guy et kinou filhoud-lavergne

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Guy et Kinou FILHOUD-LAVERGNE

MARRAKECH

Ville Impériale

ET LE GRAND SUD MAROCAIN

Illustrations

Paulette FILHOUD-LAVERGNE

ÉDITIONS H O R V A T H

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Voyager, c'est vivre sept fois - Joseph Kessel-

A ma femme Kinou et à mes filles Vanessa et Lydia

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INTRODUCTION

Pourquoi Marrakech, pourquoi cette ville et pas une autre ; Marra- kech fascine dès l'abord ou irrite. Marrakech envoûte ou dégoûte, Marrakech, son nom à lui seul est un chant sur les lèvres et déclenche en l'esprit une cascade de rêves.

La première fois que je parcourais cette ville c'était en 1966, elle m'a séduit au premier regard, elle s'est offerte au premier contact, fantas- tique, exubérante, somptueuse, poétique, sensuelle, féminine, elle est tout à la fois. La voir, la pénétrer, la connaître, il faut y aller à plusieurs saisons.

Le printemps explose triomphalement, les joies estivales s'accomo- dent de certaines longues journées ardentes, l'automne est tout paré de splendeur lumineuse, et l'hiver y est doux sous la limpidité cristaline d'un ciel irrémédiablement bleu.

Chaque saison enchante, et au pied de l'Atlas argenté « La Reine de la plaine du Haouz » rêve à la façon des sultanes couvertes de bijoux, couvertes d'onguents aux senteurs ineffables propres à rehausser leurs singulières beautés. Il est arrivé à cette ville une fabuleuse histoire. Elle a rêvé de rayonner sur de vastes contrées, et des siècles durant, elle a été la capitale d'un empire qui s'étendait du Niger au Guadalquivir, de l'At- lantique à la Tripolitaine. Elle n'a pas oublié l'admirable grandeur de son passé, et Séville, Grenade, Cordoue conservent comme des joyaux quelques pages des mille et une nuits que le vent de la conquête porta en Espagne. L'aventure serait-elle morte parce qu'elle ne règne plus sur de trop vastes contrées ? Certainement pas puisqu'elle continue à le faire sur tous ceux qui savent voir avec le cœur. Même après sa déchéance, des quatre coins du monde, on lui obéit, en venant chercher à son pied de minaret, l'immense Koutoubia, cette incomparable flèche qui écrit chaque jour son histoire sur la soie du ciel, au pied du grand Atlas qui lui sert de couronne, entre les murs de ses palais, dans les salles aux colonnes fines où les dentelles de cèdre et de stuc encadre le barriolage savant des plafonds réhaussés d'or. Mais aussi sur ses places, aux creux des venelles ou de ses humbles demeures, coin des amoureux mais

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aussi des artistes et des poètes, elle reste à travers le temps l'amulette du talisman que les enfants du soleil se transmettent.

Sa richesse n'est pas seulement d'être, mais d'avoir été. J'aime cette ville jusqu'au fond de mes viscères, jusqu'au bout de

mes fibres, au tréfond de mon âme. J'en reste à chaque voyage un peu plus ébahi, ébloui et heureux, heureux d'avoir été accepté, fier d'avoir été compris.

Cette fille du désert ne manque pas de courtisans car elle possède cette singulière politesse des grandes dames jointe à la technique de ces masseuses des maisons closes qui lui permet de bercer le plus simple visiteur de la douce illusion qu'il est distingué des autres et aimé pour lui-même, que le spectacle immense qu'elle lui offre n'est produit que pour lui.

J'aime le fourmillement de ses rues, où elle montre plus d'ordre que l'on pourrait en attendre d'une ville saharienne. J'ai un immense plaisir à la voir jouer avec ses ruelles où l'on se perd avec délice pour revenir sur ses pas et retrouver le fil de sa route dans ce labyrinthe, tantôt sombre, envahi d'une atmosphère ouatée, tantôt éclatante de lumière et de soleil renvoyé par des sols blancs de gypse, ou jaunes et rouges suivant la courbe du soleil.

Entre ses murs de pisé bat son sang poivré de poussière ocre. J'aime les souks, avec le grouillement, les étalages bariolés, leurs

senteurs grisantes. Ils sont l'escale aux mille couleurs, où le peuple des ménagères, des porteurs d'eau, des commerçants de tous horizons ; de belles filles, des gamins débrouillards nous donnent la plus fantastique des comédies.

Les Marrakchis y vont et viennent affables et courtois, renfrognés ou rieurs, ils vivent dans leur ville sans s'y perdre. Le sublime est quoti- dien et si certains les envient, ils sont quand même assez lucides pour n'en tirer aucune fierté. Ils sont près de quatre cent mille, confrontés à leurs problèmes, sans oublier les anes et les mulets, les touristes et les gentils membres qu'il ne faut pas confondre. Ces derniers sont recon- naissables à mille lieues à la ronde bardés ostensiblement d'appareils des plus sophistiqués au plus simples à travers lesquels, malheureuse- ment, trop souvent, ils ne voient Marrakech qu'à travers un miroir à verre dépoli. On les croise aussi sur la très célèbre place Djemma el Fna, le cœur, le poumon, le ventre de la cité, où l'on respire à pleins poumons les odeurs les plus variées, qui vont des fleurs aux fruits, des cuissons de brochettes au pissat de quadrupèdes, de la fumée d'encens au cuir fraîchement tanné. Sur cette place on se grise, on se saoule, on se flippe. Des rumeurs, des cris, des palabres, des musiques et des chants. C'est le

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manège fantastique, la stéréophonie sans enceintes aux amplis effra- yants, l'opéra des couleurs, l'opérette des visages, le kaléidoscope des races, l'entrelas des véhicules à deux ou quatre roues, le fouillis de vélo- cipèdes, la symphonie du piétinements, l'apothéose du grouillement humain et là, sur cette place, quand on aime, on y revient sans cesse.

Peut-être aurez-vous la chance d'aller plus avant dans vos contacts et vous découvrirez alors l'incomparable hospitalité marocaine.

On se force à vous considérer comme un frère, ce qui vous honore en vous mettant à l'aise. Bien vite on s'aperçoit que dans cette cité se perpétuent des traditions ancrées d'élégance et de générosité. De plus en toutes saisons les couleurs éclatent sous la profonde mer immaculée d'un ciel trop bleu. Le vert des jardins tranche comme un couperet et donne l'empression d'un immense repos, du bien-être parfait, de paix et de sérénité. Le vert sur cette terre d'Islam a une énorme importance, n'est-ce pas l'emblême du salut, la couleur de la connaissance, comme celle du prophète.

Et le soir les nomades, après avoir accompli leur dernière prière, n'évoquent-ils pas l'histoire d'el Akhdar, l 'homme vert, le patron des voyageurs qui a dressé sa tente « au point extrême du monde, là où se touchent les deux océans celui du ciel et celui des montagnes ». Mais il y a aussi les autres couleurs. L'or, l'or bruni, l'indigo, le rouge cramoisi et ardent des couchers de soleil. Les soirs faits de roses et de bleus, l'écla- tante blancheur des neiges de l'Atlas, le vert tendre des herbes sauvages, le jaune vif du sable éblouissant sous le soleil de midi, les ocres des falaises, les verts de gris, les jaunes sulfureux et les violets des ombres portées en demi-teintes. Au passage en rêvant s'offrent à mes yeux les nobles et sereines mosquées, inaccessibles au non musulman, les somp- tueux palais qui témoignent de la grandeur du passé, tout comme les petites places enguirlandées de treilles voluptueuses, sans oublier ses jardins coincés entre deux murs où les orangers, les grenadiers, les jasmins s'épanouissent autour des vasques bleues veinées comme des turquoises dans lesquelles les jets d'eau murmurent la fraîcheur en égre- nant le chant de la vie.

Marrakech se boit et se vit, il faut savoir ouvrir au maximum ses sens pour assouvir ses joies, pour qui sait voir et regarder au hasard des souks, le simple geste de la petite fille porteuse d'eau, du solennel chamelier, de l'habile artisan, du vieillard au visage d'argile noble, ou de l'aveugle qui clame la parole de Dieu, la canne sonnant sur un sol éteint. Pour qui sait contempler les mille et un détails dont fourmille le spec- tacle multiforme de cette ville insensée, où tout ce qui s'impose à la réflexion envoûte au point que l'on arrive à trouver beau tout ce qui vit ici même la laideur.

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Marrakech, il faut s'y plonger par surprise, pénétrer celle qui boit, qui mange, qui dort, travaille, flane, aime, souffre, joue et va à l'école ; celle qui prie et celle qui meure. Alors je vais, je viens, en solitaire oréolé de mon surnom donné par les possesseurs de la place, promeneur infati- gable, sans esprit de suite en évitant ostensiblement les comparaisons si chères aux voyageurs sans imagination ; et alors j'invite ceux qui me font l'amitié de m'écouter au cours de mes conférences ou de me lire, à faire comme moi. Mais je livre aussi à leur méditation ce proverbe berbère :

« Il vaut mieux voir de ses yeux qu'être informé par autrui ».

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L'arbre de vie béni par le phophète Mohammed le Palmier

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Ksar Ait Benadou

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MARRAKECH ET L'HISTOIRE

Là où aujourd'hui s'étale Marrakech et son immence palmeraie, il n'y avait au XI siècle que l'immense étendue ocre et poussiéreuse de la plaine du " Haouz " plus ou moins contrôlée par deux cités : Aghmat et Neffis, installées au pied de l'Atlas.

Le géographe Bakri disait en 1068 que Neffis est une ville jardin et qu'elle jouait un rôle important depuis qu'elle avait été islamisée par Okba Ben Nafi en 681. Aujourd'hui on ne sait plus où se trouvait cette ville. Par contre l'Aghmat d'alors était à côté de l'actuelle, mats quand même beaucoup importante, elle s'étendait le long de l'oued Ourika « c'était une ville ouverte, dans un site admirable assise sur un sol excel- lent, couvert de végétation et sillonné par des eaux vives coulant dans toutes les directions, toute parfumée par l'odeur des herbes et des arbres, elle était entourée de jardins, de vergers, de vignes où dominait l'olivier ».

Les habitants étaient paraît-il très ingénieux, possédaient un sens aigu des affaires et s'étaient organisés pour faire du commerce avec le pays des Voirs situé au-delà de l'Atlas. Ils expédiaient par les caravanes de dromadaires des drogues, des parfums, des objets de fer ou de verre, des tissus, des vêtements de laine, du cuivre et même ce cuir extraordi- naire le Gamasi, ancêtre du maroquin, qui était préparé avec le tanin de l'euphorbe, qui était si souple et qui ressemblait, précise-t-on, à de la soie.

En échange ils recevaient du Soudan et du Niger, de l'or, des bois précieux, des épices et des esclaves ; et de la région du Sous du sucre de canne. Selon les descriptions laissées par Idrisi, les peuplades d'Aghmat habitaient des ksours de briques et de boue séchée, d'une architecture complexe et savante. Comme celles des ksours d'aujourd'hui, les maisons possédaient plusieurs étages réunis par une toile d'escaliers, de terrasses et de nombreuses cours, à l'intérieur desquelles les animaux trouvaient le refuge indispensable pour la nuit.