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C J F I COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE JUIN 2008 - 10 euros D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S LA LÉGISTIQUE Ou l’art de rédiger le droit - NUMÉRO SPÉCIAL - Il est certains esprits... Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer. Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. Surtout qu’en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain, vous me frappez d’un son mélodieux, Si le terme est impropre ou le tour vicieux : Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme, Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme. Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d’une folle vitesse : Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d’esprit que peu de jugement. J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. [...] Nicolas Boileau (1636-1711) L’art poétique

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Ghid de tehnica legislativa Franța 2008

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Page 1: Guide Legistique Cjfi FRANCE

C J F ICOURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE

JUIN 2008 - 10 euros

D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S

LA LÉGISTIQUEOu l’art de rédiger le droit

- NUMÉRO SPÉCIAL -

Il est certains esprits...Il est certains esprits dont les sombres penséesSont d’un nuage épais toujours embarrassées ;Le jour de la raison ne le saurait percer.Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.Selon que notre idée est plus ou moins obscure,L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout qu’en vos écrits la langue révéréeDans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.En vain, vous me frappez d’un son mélodieux,Si le terme est impropre ou le tour vicieux :Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divinEst toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :Un style si rapide, et qui court en rimant,Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :Polissez-le sans cesse et le repolissez ;Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. [...]

Nicolas Boileau (1636-1711)L’art poétique

Page 2: Guide Legistique Cjfi FRANCE

Ce numéro est imprimé sur du papier recyclé

SommaireAvant-propos

Par Catherine Bergeal, directrice de la publication ................................................................ Page 3

ÉditorialPar Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement .................................................. Page 5

Simplifier le droit : une obligation pour le législateurPar Jean-Luc Warsmann, Président de la Commission des lois de l’Assembléenationale ............................................................................................................................... Page 7

Légistique et ConstitutionPar Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil Constitutionnel ..................................... Page 15

La légistique au Secrétariat général du GouvernementPar Jean Maïa, Chef du service de la législation et de la qualité du droit, Secrétariatgénéral du Gouvernement ..................................................................................................... Page 21

ABC de l’abrogationPar Nicolas Boulouis, maître des requêtes au Conseil d’État ............................................... Page 25

Vers une légistique unifiée : l’exemple des alinéas et desparagraphes

Par Rémi Bouchez, conseiller d’État .................................................................................... Page 31

Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : lesenseignements de la pratique française

Par Catherine Bergeal, Directrice des affaires juridiques de Bercy ....................................... Page 35

Une production du droit mieux raisonnée ? La diffusion dela légistique en droit français

Par Karine Gilberg, Université Panthéon-Assas (Paris 2) ..................................................... Page 47

L’élaboration de la législation communautaire par laCommission européenne : maintenir et améliorer la qualitéformelle des actes

Par Gilbert Lautissier, Service juridique de la Commission européenne ................................ Page 55

« Mieux légiférer » : un objectif européenPar Aurélie Paricio, Direction des affaires juridiques de Bercy .............................................. Page 61

Page 3: Guide Legistique Cjfi FRANCE

Normatif et non normatif : la fréquente confusion despouvoirs publics

Par Hervé Moysan, Directeur de la Rédaction « Législation » de LexisNexisJurisClasseur ........................................................................................................................ Page 65

La simplification du droit en AllemagnePar Yves-Marie Doublet, Directeur-adjoint, Service des affaires juridiques de l’Assembléenationale ............................................................................................................................... Page 73

Premier bilan de l’application S.O.L.O.N.Entretien avec Grégory Brousseaud, chef du bureau des cabinets de Bercy ........................ Page 79

Légistique et systèmes d’information : une fonction-supportPar Véronique Tauziac, chef du bureau de la légistique et des systèmes d’information,direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) ............................ Page 83

La légistique et le tempsPar Charles Touboul, chef du bureau de la coordination et de la synthèse, Directiondes affaires juridiques de Bercy ............................................................................................ Page 87

« Oui, tout cela dans la même phrase »Par Alfred Gilder, Contrôleur général près les ministères de l’économie, de l’industrieet de l’emploi, et du budget, des comptes publics et de la fonction publique, Hautfonctionnaire de terminologie ................................................................................................ Page 95

Page 4: Guide Legistique Cjfi FRANCE

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Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie - spécial légistique - juin 2008 3

Avant-propos

Catherine Bergeal,Directrice de la publication

À l’occasion de la seconde édition du « Guide pour l’élaboration des textes législatifs etréglementaires1 », le Courrier juridique des finances et de l’industrie a choisi de consacrerun numéro spécial à la « légistique ».

Le mot est encore inconnu des correcteurs d’orthographe des traitements de texte usuels.Ce n’est, au demeurant, que sur Légifrance que le guide s’aventure à prendre l’appellationde guide de légistique.

Cet art, pourtant, en France est connu de longue date et ses plus illustres artisans telsMontesquieu ou Portalis, demeurent les références obligées pour les législateurs dansnombre d’États étrangers.

La rédaction de la loi n’est pas seule affaire de juristes : elle est le produit d’une langue etd’institutions politiques. Il est grand temps que la France ne se contente plus de la notoriétéque lui vaut le prestige de l’héritage juridique révolutionnaire et l’invention d’un code civildont Stendhal pouvait s’inspirer, mais sache utiliser aussi les atouts de sa longue expérienceen légistique – abstraction, concision, précision et clarté – face à l’influence croissantede la common law, tant en Europe que dans le chantier des États en construction.

L’influence politique passe aussi par la langue du droit et une réflexion sur celle-ci. Encela, la France est en retard par rapport à des États où le multilinguisme officiel a contraintà la mise en concurrence de différents modèles juridiques pour écrire la norme. Sauflorsqu’il s’agit du sujet inépuisable de la codification, technique enviée, paraît-il, mais fortpeu recopiée, la France est plutôt absente des débats internationaux sur la « légistique »,alors que l’influence du droit français est menacée avec la langue française au sein del’Union européenne.

La direction des affaires juridiques de Bercy espère pouvoir contribuer à susciter ce débaten France.

Elle remercie tous ceux qui lui ont fait l’honneur de participer à ce numéro spécial.

1 Élaboré par le Conseil d’État et le Secrétariat général du Gouvernement, ce guide publié par laDocumentation française est paru pour la première fois en 2005. Sa seconde édition largement enrichie aété publiée en février 2008. Il est disponible et tenu à jour sur le site public www.legifrance.fr.

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Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie - spécial légistique - juin 2008 5

Éditorial

Serge Lasvignes,Conseiller d’État,

Secrétaire général du Gouvernement

Chaque fonctionnaire, chaque magistrat abrite en son for intérieur l’image d’un âge d’or dudroit. Un droit formé de quelques règles, en nombre compté, à la stabilité remarquable, àla pertinence éprouvée, à la légitimité incontestée. Voilà un idéal auquel il ne faut sansdoute pas renoncer. C’est lui qui anime nos efforts réitérés pour simplifier le droit, maîtriserle flux de la réglementation, réduire son volume.

Mais chaque fonctionnaire, chaque magistrat connaît aussi la capacité de résistance dela complexité. C’est un travail de Sisyphe que celui qui consiste à supprimer deuxcommissions ici pendant que deux naissent là, à simplifier un régime d’autorisation tandisque se prépare la nouvelle réglementation créant deux nouveaux agréments.

Il s’y ajoute que toute complexité n’est pas par nature une tare. Elle peut être justifiée parle souci de mieux prendre en compte des situations particulières. Elle peut être gage desouplesse ou souci de prévenir les effets pervers. Les droits les plus simples ne sont pasforcément ceux des peuples qui ont les mœurs les plus douces.

C’est pour cela que la légistique est nécessaire.

Le terme est inquiétant. Il pourrait laisser croire à quelque suprême vice, consistant, nonseulement à se résigner à un droit complexe, mais encore à le cultiver et en faire un sujetd’étude…

En réalité, la légistique est, pour reprendre les termes du professeur Jacques Chevallier,une « science appliquée ». Et, vu du Secrétariat général du Gouvernement, c’est le secondde ces deux termes qui importe le plus. La légistique n’est rien d’autre que l’art de faire undroit « de qualité ». On n’entrera pas ici dans la technique. On se bornera à rappeler unprincipe de base, dont il n’est pas sûr que chaque rédacteur ait une pleine conscience :un droit de qualité est un droit qui a été conçu en s’efforçant d’adopter le point de vue dusujet du droit, en faisant l’expérience de se mettre à sa place.

De même qu’il incombe à l’autorité investie du pouvoir de décision d’évaluer du mieuxpossible l’impact d’une nouvelle réglementation, il appartient au rédacteur, au juristed’anticiper les difficultés que suscitera sa lecture, son interprétation, sa mise en œuvre.Légistique et étude d’impact se rejoignent en ce qu’elles procèdent toutes deux d’unemême préoccupation : adopter une conception réaliste de l’activité normative.

C’est la maîtrise de la légistique qui doit permettre au rédacteur de traquer la complexitéinutile, celle qui résulte de l’insuffisante maîtrise, de la paresse intellectuelle ou de l’oublides effets pratiques du droit. C’est elle qui met à sa disposition un ensemble de conventionsassurant l’unification de la rédaction et donc une lecture plus facile évitant a contrario et

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ambiguïtés (combien de temps a-t-il fallu pour que l’on compte de la même façon lesalinéas dans les lois et les règlements ?). C’est encore elle qui lui rappelle qu’il ne doitjamais oublier de se préoccuper des conditions d’entrée en vigueur des nouvelles règles,ce moment entre tous délicat pour la sécurité juridique, où la norme nouvelle entre dansla réalité et risque de la froisser.

Tel est pour moi l’objet de la légistique. Et je me réjouis particulièrement que le Courrierjuridique en ait fait le sujet d’un numéro spécial parce que, j’ai eu l’occasion de l’écrire,elle ne me paraît pas encore avoir fait l’objet d’un investissement suffisant de la part desdirections juridiques des ministères. Celles-ci se sont prioritairement consacrées à destâches de contrôle de légalité et à un rôle d’avocat du ministère. Il leur reste à exercer unvéritable magistère ministériel dans la rédaction des textes.

C’est d’autant plus important que nous ne saurions longtemps encore vivre dans cetteidée française que tout fonctionnaire, quelles que soient sa formation et ses aptitudes, aune sorte de droit naturel à rédiger projets de loi et décrets, l’intervention du Conseild’État étant réputée suffisante pour mettre à niveau l’ensemble de cette production éclatée.

Il en va de l’accessibilité du droit et de la sécurité juridique. Et l’on sait que derrière cesprincipes, on trouve des enjeux plus immédiatement évocateurs, comme la vitalitédémocratique ou l’attractivité du territoire.

La légistique n’est pas une science en chambre. C’est la méthode du bon rédacteur, celuiqui est soucieux des effets concrets du droit et sait les apprécier.

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Les voix n’ont pas manqué ces dernièresannées pour dénoncer la complexité de nosrègles de droit. Mais si le constat est bienétabli et si l’idéal d’un corpus de normesnon redondantes, intelligibles et accessiblesest partagé par tous, le flot de la productionnormative ne s’interrompt pas et ne cessede se complexifier. Faute de volontépolitique pour enrayer le phénomène, lacrédibilité de la règle de droit risque elle-même d’être entamée. Aussi la politique desimplification du droit dans laquelle leParlement doit avoir pleinement sa part est-elle une ardente obligation pour l’État dedroit.

Pour le législateur, la simplification du droitemprunte aujourd’hui trois voies. Il lui revientd’abord de tirer les conséquences descontraintes constitutionnelles en matièred’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Ildoit également intervenir sur les règlesexistantes pour garantir leur sécuritéjuridique. Il lui incombe enfin d’apporter deschangements de fond à des dispositifsnormatifs trop complexes.

Dans le premier cas, le législateur sesoumet aux normes supérieures qui visentà garantir la qualité rédactionnelle de la loi ;dans la deuxième hypothèse, l’interventiondu législateur se fait sans modification surle fond de l’état actuel du droit et consistepour l’essentiel en l’abrogation de loistombées en désuétude ; enfin, lasimplification peut se montrer plus novatriceen procédant à des modifications ducontenu des règles, sachant qu’à ce niveauil s’agit moins de proposer des dispositifsnormatifs nouveaux que de mieux concevoirce qui existe déjà.

Il est clair cependant que la meilleurepolitique de simplification est celle quisaura éviter toute simplification« réparatrice » a posteriori ; seuls desdispositifs d’évaluation de la qualité de larègle applicables à la source de laproduction normative constitueront un réelprogrès.

1. Des contraintes constitution-nelles de plus en plus fortes

On sait que le Conseil constitutionnel aélevé au rang d’objectif de valeurconstitutionnelle le principe de l’intelligibilitéet de l’accessibilité de la loi1. L’intelligibilitéde la loi s’entend comme la garantie que lecontenu de la règle peut être compris parle citoyen intéressé par elle. L’accessibilitésignifie qu’aucun obstacle n’est opposé àl’accès matériel au texte de cette règle2.La légalité de la norme postule donc que lesujet du droit puisse s’en approprier tant lefond que la forme. Une exigence similaireest formulée par la jurisprudence de la Coureuropéenne des droits de l’homme pourlaquelle la loi doit être accessible etprévisible pour le citoyen.

Pas moins de quatre articles de laDéclaration des droits de l’homme et ducitoyen sont invoqués par le jugeconstitutionnel pour fonder cet objectif. Enpremier lieu, l’égalité devant la loi, énoncéepar l’article 6 ; la complexité de la loi esten effet susceptible d’entraîner une ruptured’égalité entre ceux qui auront ou non lesmoyens de la comprendre. En deuxièmelieu, « la garantie des droits » requise parson article 16 ; comment en effet s’assurerdu respect des droits individuels par lapuissance publique si les citoyens necomprennent pas l’ordre juridique que celle-ci impose ? L’exercice des droits et deslibertés dont les conditions sont posées auxarticles 4 et 5, ne saurait enfin être garantisi les bornes qui limitent les libertés dechacun sont ignorées et si le citoyen, envertu du principe selon lequel nul ne peutêtre contraint à faire ce que la loi n’ordonnepas, n’était pas éclairé sur son pouvoird’agir.

Simplifier le droit : une obligation pour le législateur

Jean-Luc Warsmann,Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale

1 Voir décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.2 Sous ce principe entrent aussi des considérationsrelatives à la présentation rédactionnelle de la loi ;ainsi, à l’occasion d’une codification, un « soucid’accessibilité » justifie « le regroupement dansdes blocs homogènes de dispositions jusqu’alorséparses ». Voir décision n° 2007-561 DC du17 janvier 2008.

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Qu’il s’agisse d’un objectif et non d’unprincipe à valeur constitutionnelle ne paraîtpas amoindrir la portée de cette nouvelleexigence. Certes un objectif de valeurconstitutionnelle n’ouvre pas un contrôledirect de conformité ; une dispositionlégislative n’ayant pas l’intelligibilité qu’ellepourrait offrir sous réserve d’une meilleurerédaction n’est pas contraire à laConstitution. En revanche, une dispositionlégislative qui n’aurait pas l’intelligibiliténécessaire à sa bonne application seraitjugée inconstitutionnelle. En effet, unobjectif devient une norme effective, une foisappréciées les circonstances d’espècesusceptibles de créer une situation oùl’exercice de droits fondamentaux risqued’être entravé.

La qualité rédactionnelle de la loi trouve parailleurs un fondement constitutionnel lié àla nature de la loi telle que la définitl ’article 34 de la Constitution. Desdispositions législatives confuses auraienten effet pour conséquence, comme l’aencore rappelé récemment le jugeconstitutionnel, de « reporter sur desautorités administratives ou juridictionnellesle soin de fixer des règles dont ladétermination n’a été confiée par laConstitution qu’à la loi

3 ». Même si leprincipe de clarté, qui recoupait la sanctionde l’incompétence négative, semble avoirété abandonné par la jurisprudenceconstitutionnelle, ce raisonnement continueà inspirer la démarche du juge. Outre laquestion des compétences qu’il soulève, ilparaît en pratique particulièrement judicieuxcar juger de la mauvaise qualité du contenud’une norme au regard du renvoi de soninterprétation à une multiplicité d’instancespeut constituer pour un juriste un critèred’évaluation pertinent.

Enfin, un fondement particulier a pu êtreinvoqué par le juge, lorsqu’il se penche surla qualité rédactionnelle de la législationfiscale : « la loi, lorsqu’elle atteint un niveaude complexité telle qu’elle devientinintelligible pour le citoyen, méconnaît enoutre l’article 14 de la Déclaration de 1789,aux termes duquel : « Tous les citoyens ontle droit de constater, par eux-mêmes ou parleurs représentants, la nécessité de lacontribution publique, de la consentir

librement, d’en suivre l’emploi, et d’endéterminer la quotité, l ’assiette, lerecouvrement et la durée4. » »

Le juge constitutionnel a été amené sur lesfondements constitutionnels précités àrecourir à deux groupes de critères pourévaluer la qualité de la loi. Le premier,souvent invoqué par le juge, soulève lesexigences de précision et de non équivocitédes formules que doit employer lelégislateur ; ont ainsi été sanctionnées desambiguïtés, des tautologies5 et desimprécisions, les dispositions incriminéespouvant être relevées d’office par le juge6.

Le second groupe de critères porte sur lacomplexité de la norme et sa lisibilité. Si« des motifs d’intérêt général suffisantspeuvent justifier la complexité de la loi 7 »,celle-ci ne saurait présenter « unecomplexité inutile8 ». Les motivations de lacensure de l’article 78 de la loi de financespour 2006 sont, en ce sens, exemplaires :« […] la complexité de ces règles se traduitnotamment par la longueur de l’article 78,par le caractère imbriqué, incompréhensiblepour le contribuable, et parfois ambigu pourle professionnel, de ses dispositions, ainsique par les très nombreux renvois qu’ilcomporte à d’autres dispositions elles-mêmes imbriquées ; […] les incertitudesqui en résulteraient seraient sourced’insécurité juridique, notamment demalentendus, de réclamations et decontentieux9 ». Le renvoi en cascade desréférences d’un texte à un autre ainsi quela rédaction d’articles d’une longueurexcessive sont des maux trop connus pourne pas se féliciter qu’ils aient pu susciterune sanction de la part du juge. Certes lamatière fiscale est par natureparticulièrement complexe. Mais, enl’espèce, il s’agissait, aux termes de cettemême décision, d’une disposition exigeant

3 Voir décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007.

4 Voir décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005.5 Voir décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004.6 Voir décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000.7 Voir décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005.8 Voir décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003.9 Voir décision n° 2005-530 DC du 29 décembre2005 et, a contrario, décision n° 2007-56 DC du17 janvier 2008 qui valide la structure logiqueadoptée dans le code du travail notamment « lalisibilité » que peut offrir la scission d’articles.

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« les choix éclairés de l’intéressé » et devantlui permettre « d’évaluer avec un degré deprévisibilité raisonnable le montant de sonimpôt ». L’inintelligibilité de la mesure aainsi pu être appréciée par le juge quidisposait de critères objectifs surl’utilisateur de la règle. Plus les destinatairesde la règle sont nombreux, plus les critèresd’intelligibilité de cette même règle sontstricts.

On remarquera que ce dispositif juridiqueexclut de reconnaître un droit subjectif àcomprendre la loi. Le problème est ancien.Dans un arrêt Connaly c/ Generalconstruction Co, rendu en 1926, la Coursuprême canadienne, recourant à descatégories propres à son époque, l’avaitrésolu à sa façon, en affirmant : « Une loiqui interdit ou impose un acte dans destermes tellement imprécis que despersonnes d’intelligence moyenne nepeuvent que deviner son sens et différerquant à son application viole l’élémentfondamental de l’application régulière de laloi ». Notre cadre juridique est différent ; ilne fait pas état d’une hypothétique normemoyenne d’intelligibilité à laquelle devrait seconformer toute règle légale. On ne voitd’ailleurs pas très bien comment des critèrescognitifs généraux pourraient être formuléset de quelle façon on pourrait donner unfondement de droit à des donnéespsychologiques de fait. Le jugeconstitutionnel impose au législateur d’êtretrès attentif à la rédaction de la règle lorsquesa bonne application suppose des conditionsd’intelligibilité particulières. Certes, une foiscette obligation relevée par le juge, ce dernierest amené à user de critères d’intelligibilitépour apprécier la qualité rédactionnelle de ladisposition en question. Mais ces critèresn’émanent pas d’une représentation del’intellect du justiciable « moyen », ilsrésultent de la lecture par le jugeconstitutionnel de la disposition incriminée ;son appréciation se fait en bon utilisateur dela règle, comme on peut dire que le juge civiljuge « en bon père de famille ».

Si on considère qu’à cette jurisprudences’ajoute le contrôle que peut exercer le jugeconstitutionnel sur la cohérence de la loi10

et sur la portée normative de ses

dispositions11, on mesure combien lelégislateur est soumis à des contraintesrédactionnelles de plus en plus fortes.Celles-ci pourraient s’accentuer encore sile Conseil constitutionnel venait à procéderà un partage plus fréquent entre la loi et lerèglement, dans la voie ouverte par ladécision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005relative à la loi d’orientation et de programmepour l’avenir de l’école.

Cependant, le législateur ne peut fonder sesobligations relatives à la qualité de la loi surla seule crainte de la sanction du jugeconstitutionnel. Il ne saurait en particuliercirconscrire l’exigence d’intelligibilité desnormes qu’il édicte aux seuls cas oùl’application de la règle est strictementconditionnée par la possibilité d’enappréhender intellectuellement le contenu.Il ne saurait non plus réserver la mise enœuvre de cette exigence à la seulecodification dont le champ d’interventionn’est pas exhaustif et dont l’avancementdépend des travaux de la commissionsupérieure de codification. Le législateur estcomptable envers l’ensemble des citoyensqu’il représente de la qualité de la législationqu’il vote ; en ce sens, le rédacteur d’un textede loi doit avoir en permanence à l’esprit quele destinataire du texte n’est pas unspécialiste du droit mais tout citoyen. Sanstomber dans les apories auxquelles aboutitle recours au critère d’intelligibilité moyenne,il revient au législateur de veiller à assurer lemaximum d’intelligibilité à ses travaux enfaisant sienne la formule de Roland Barthes :« Personne n’est à soi seul la norme de laclarté ».

On pourra ainsi estimer que toutedisposition pénale, où la liberté de chacunest mise en jeu, se doit d’être rédigée etstructurée de telle façon que tout justiciablepuisse en suivre le contenu ou quel’ensemble des règles régies par le codede l’urbanisme devrait présenter un degréde simplicité suffisant pour être compris,entre autres, par les 36.000 maires descommunes de France…

Si le juge constitutionnel impose descontraintes rédactionnelles de la loi de plusen plus précises, il convient de souligner que

10 En particulier par la censure des « cavalierslégislatifs ».

11 Voir décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004 etproposition de loi constitutionnelle n° 1832 demonsieur Jean-Louis Debré tendant à renforcerl’autorité de la loi.

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demeure sans garantie légale forte unecondition essentielle de l’intelligibilité et del’accessibilité de la loi : sa consolidation. Lefait que de nombreuses dispositionslégislatives viennent modifier desdispositions anciennes conduit à desrédactions de textes particulièrementabstrus ; on reconnaîtra, en ce sens, queles lois de simplification du droit sont elles-mêmes bien complexes… Certes, lelégislateur s’appuie, au cours des différentsniveaux de lecture d’un texte, sur destableaux comparatifs qui mettent en évidencel’insertion des nouvelles dispositions dansles textes modifiés. Mais le contenu de laloi adoptée ne peut être compris que si estétablie et rendue accessible la versionconsolidée du texte. Or cette étapeessentielle à l’intelligibilité de la loi reposesur une exigence qui n’est aujourd’hui quedu niveau du décret. Le principe avancé parla loi du 12 avril 2000 relative aux droits descitoyens dans leurs relations avec lesadministrations selon lequel « La mise àdisposition et la diffusion des textesjuridiques constituent une mission de servicepublic » ne couvre pas la confection et lapublication des textes consolidés, cesderniers n’ayant traditionnellement qu’unevaleur documentaire. Ce n’est que dans lecadre du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002relatif au service public de la diffusion du droitpar l’Internet que mission est donnée à ceservice de présenter les actes normatifs« tels qu’ils résultent de leurs modificationssuccessives ». Tandis que de nouvellesobligations de lisibilité rédactionnelle de laloi prennent place en haut de la hiérarchiedes normes, il est paradoxal de constaterque l’obligation de mettre à disposition « leproduit final » de l’activité normative, à savoirle texte intégrant ses modifications, nerepose que sur un acte réglementaire12.

2. L’abrogation, instrument desécurisation du corpus desnormes

Aux efforts de simplification portant sur larédaction de la loi, le législateur doit ajouterdes actions de simplification portant surl’ensemble du corpus normatif dans le butd’en assurer la sécurité juridique.

L’exercice consiste principalement à réduireautant que possible les conséquences quepeut avoir l’empilement des normes de droit.Avec le temps, celui-ci est tel qu’il convientde conjurer les risques de conflitd’applicabilité qui peuvent se présenter13. Ilimporte donc de retirer de notre corpusjuridique, en les abrogeant, les normesobsolètes. La législation par la négative faitaussi partie de la mission du législateur.La réforme du Règlement de l’Assembléenationale intervenue en 2006 a ainsi introduitl’obligation pour les rapports faits sur unprojet ou une proposition de loi de comporter« en annexe une liste des textessusceptibles d’être abrogés ou modifiés àl’occasion de l’examen de ce projet ou decette proposition14 ».

Le corpus des normes peut être actualiséà trois occasions : dans le cadre de lacodification, à l’occasion d’une loi desimplification quand il est procédé àl’établissement de listes de textes tombésen désuétude et lorsqu’une loi indique lesdispositions auxquelles elle se substitue.

En matière de codification, le Conseilconstitutionnel a défini le périmètre desabrogations dans les termes suivants :« […] l ’abrogation des dispositionslégislatives antérieures à la codification etentrant dans le champ de cette dernière estinhérente à la codification elle-même […]cette abrogation devra résulter de la reprisedes dispositions en cause dans le code,de la constatation qu’elles avaient étéprécédemment abrogées de façonimplicite, de la constatation de leurcontrariété à la Constitution ou auxengagements internationaux de la France,ou bien du constat de leur caractèreréglementaire15 ».

Contrairement à ses ambitions initiales, lacodification ne paraît pas avoir vocation àcouvrir l’ensemble du droit. L’abrogation dedispositions législatives anciennes doit sefaire également à l’occasion de la

12 Ce décret est en outre un décret simple qui nepeut être tenu pour le décret d’application en Conseild’État prévu par l’article 2 de la loi précitée.

13 Ces risques sont accrus du fait qu’une partie deces textes anciens sont désormais facilementaccessibles sur les bases juridiques électroniquesspécialisées.14 Article 86-7 du Règlement de l’Assembléenationale.15 Voir décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.

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discussion de lois de simplification. Ainsi,la loi relative à la simplification du droit du20 décembre 2007 a-t-elle procédé à unensemble important d’abrogations portantsur des lois, des décrets-lois, des décrets,des ordonnances et divers articles de loi,le tout étant regroupé au sein d’un articlene comprenant pas moins de 133 alinéas.

Le nombre de dispositions obsolètesprésentes dans notre corpus de règles nousest, par hypothèse, inconnu. La richessedes résultats obtenus lorsqu’une recherchesystématique est menée laisse supposerque le stock est important. L’identificationde ces textes passe cependant par desenquêtes extrêmement minutieuses. Pource faire, il n’y a pas d’autre méthode quede s’adresser aux spécialistes des matièressur lesquelles on suppose qu’il existe desdispositions à abroger ; peut-être aussi quedes recherches informatiques pourront serévéler efficaces, sous réserve que lestextes considérés figurent dans les basesexistantes.

On se doit enfin de souligner que l’abrogationne peut se présenter comme un instrumentde simplification que si elle est explicite.C’est pourquoi, pour introduire une listed’abrogations, recourt-on à la formule :« sont et demeurent abrogés », par laquelleil est signifié que les textes visés qui étaientimplicitement abrogés par l’adoption dedispositions plus actuelles font l’objet d’unacte positif d’abrogation. C’est également laraison pour laquelle les abrogationsconsistant à énoncer que « toute dispositioncontraire à […] est abrogée » sont à éviter ;ce serait en effet transformer la simplificationen facteur de complexité et d’insécurité quede renvoyer à la perspicacité des éditeursjuridiques le soin d’identifier les dispositionsconcernées.

3. L’identification et le traitementdes dispositifs législatifs tropcomplexes

Le troisième volet de la simplificationconsiste à œuvrer sur le fond du droit enprocédant à des modifications dedispositions légales inutilement complexes.Ce champ d’action est particulièrementlarge. Dans la dernière loi de simplificationdu 20 décembre 2007, les dispositionsconcernées touchaient aussi bien les

particuliers que les obligations desentreprises et le fonctionnement descollectivités territoriales. La loi desimplification du 9 décembre 2004 déclinait,sur 77 articles, des mesures en faveurdes usagers, des entreprises, de lamodernisation de l’administration ainsi quedes dispositions de simplification et deréorganisation dans le domaine sanitaire etsocial. La loi du 2 juillet 2003 habilitant leGouvernement à simplifier le droit portait surles mêmes thèmes et comprenait, en outre,des mesures de simplification desprocédures électorales.

Les critères de simplification sont variés :constat de l’inutilité d’une obligation,suppression d’un doublon, harmonisation derègles, allègement d’un régime d’autorisation,sécurisation et dématérialisation deprocédures, accessibilité à des documentsadministratifs, précision apportée à undispositif, amélioration de l’information dujusticiable, suppression de commissions,mise en conformité avec le droitcommunautaire, etc.

La simplification peut en outre avoir l’intérêtde réaliser des économies nonnégligeables. On peut ainsi relever troismesures figurant dans la loi de simplificationdu 20 décembre 2007 qui répondent à cetobjectif : la suppression du certificatprénuptial devrait générer une économie de14 millions d’euros pour la sécurité sociale ;la réforme de la déclaration de la taxed’apprentissage et de la déclaration de laparticipation au financement de la formationprofessionnelle en rendant inutiles2,2 millions de déclarations annuellesreprésente un allègement de chargesensible pour les entreprises ; lasuppression de 385.000 récépissés fiscauxde déclaration d’ouverture de successionpar les organismes d’assurances permet leredéploiement de 55 emplois équivalenttemps plein dans l’administration fiscale etfait faire l’économie de 175.000 eurosd’affranchissement.

Souvent très techniques, ces simplificationstrouvent en majorité leur origine dans dessuggestions des ministères et sontcoordonnées par les services de la directiongénérale de la modernisation de l’État(DGME). Le Médiateur de la République etle Conseil d’orientation de la simplificationadministrative (COSA) constituent

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également une source de propositions.Cette situation a pour conséquence delimiter le plus souvent la participation dulégislateur à des habilitations données auGouvernement pour légiférer parordonnance. La loi de simplification du9 décembre 2004 a ainsi donné lieu à66 ordonnances. Le début de la treizièmelégislature a cependant marqué un tournant ;pour la première fois, une proposition de loide simplification, c’est-à-dire un texted’origine parlementaire, a été votée.Certaines de ses dispositions reprenaient,certes, des mesures figurant dans letroisième projet de loi de simplificationdéposé au Sénat le 13 juillet 2006 et qui nefut pas inscrit à l’ordre du jour. L’impulsiona cependant été donnée pour faire de lasimplification du droit non seulementl’œuvre des administrations mais aussicelle du législateur, car il paraît de bon sensque le législateur s’attache à défaire lescomplexités qu’il a lui-même créées. Enoutre, la réorganisation envisagée de laDGME montre combien il convient d’êtreattentif à ne pas laisser le chantier de lasimplification dépendre des aléas del’organisation administrative.

Dans le souci de disposer de relais d’alertesusceptibles d’identifier les nœuds decomplexité présents dans notre droit, laCommission des lois de l’Assembléenationale a pris l’initiative de s’adresserdirectement à toutes les personnesintéressées en créant un site Internet intitulé« Simplifions la loi » ; celui-ci a déjà reçuplus de cinq cents contributions. Un appelaux professionnels du droit a également étélancé et des actions de sensibilisation ontété menées par plusieurs députés dansleurs circonscriptions. Une association plusétroite des initiatives provenant duParlement aux données techniquesémanant des ministères devrait rendrepossible la discussion à un rythme régulierde trains de simplification. En prenant laforme de propositions de loi, ces textespeuvent être inscrits dans les plages d’ordredu jour réservées aux initiatives desparlementaires, ce qui confère ainsi auchantier de la simplification un rythme dediscussion autonome par rapport à celui del’ordre du jour prioritaire, souvent encombré.

4. La mise en place de nouveauxdispositifs de simplification

Le travail de simplification a ceci dedéroutant qu’il entraîne un éparpillement desdispositions dans des matières juridiquestrès diverses et que l’ouvrage paraît devoirtoujours être remis sur le métier. Lanécessité de concevoir des instruments desimplification permettant une action plussystématique s’impose.

Ainsi, la proposition de loi de simplificationdu 20 décembre 2007 a eu l’ambition, dansson article premier, de créer un premierdispositif normatif portant l’action desimplification à un certain degré degénéralité. Complétant la loi n° 2000-321 du12 avril 2000 relative aux droits des citoyensdans leurs relations avec lesadministrations, la disposition introduiteoblige l’administration « d’office ou à lademande d’une personne intéressée,d’abroger expressément tout règlementillégal ou sans objet, que cette situationexiste depuis la publication du règlementou qu’elle résulte de circonstances de droitou de fait postérieures à cette date ».Certesl’objet de ce dispositif est restreint : il neconcerne que les normes de niveauréglementaire et, parmi elles, cellesdevenues illégales ou sans objet. Maisl’obligation qui pèse ainsi surl’administration, notamment du fait qu’elleest tenue d’office à procéder aux abrogationsnécessaires, porte sur l’ensemble de saproduction réglementaire16.

Peut-on concevoir des contraintes aussigénérales qui pèseraient sur la loi et quiporteraient sur la qualité rédactionnelle dela norme, la cohérence du corpus desrègles, et conduiraient à limiter lacomplexité de certains dispositifslégislatifs ? On remarquera que le systèmebritannique confie la rédaction des projetsde loi à un « Parliamentary Counsel Office »composé de soixante juristes17 ; le fait que

16 Voir rapport de monsieur Étienne Blanc, député :Assemblée nationale n° 244, 3 octobre 2007 etAJDA, n° 8, 3 mars 2008, « L’obligation légaled’abroger les règlements illégaux ou devenus sansobjet ».17 Les recommandations de ce conseil vont jusqu’àexpliquer le bon usage des virgules dans les textesnormatifs. Voir Parliamentary Counsel Office,Drafting techniques group : summary ofrecommendations, juillet 2007.

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la rédaction des projets de texte soit l’œuvred’une autorité ne relevant pas desministères concernés et possédant unecompétence spécifique en matièrerédactionnelle contribue très certainementà améliorer l’intelligibilité des normesédictées. Le même système préconisedepuis 2004 le développement d’une phased’évaluation pré-législative incluantnotamment la publication des pré-projetsde loi18et l’ouverture de consultationspubliques d’une durée minimale de12 semaines19. Il apparaît en effet que seulsdes dispositifs d’évaluation placés en amontde l’activité législative seront à même derendre moins nécessaires le recours à desmesures correctrices a posteriori.

Adopter cette solution de bon sensconsistant à anticiper autant que possiblel’impact d’une législation passe cependantpar la résolution de plusieurs problèmes.Le premier est de définir l’instance qui seraitchargée de l’évaluation, car il serait de peud’effet que les services et les personnesqui ont conçu une mesure législative soientles mêmes que ceux qui auraient en charged’en évaluer l’impact. La deuxième difficultéconsiste à caractériser les critères surlesquels s’appuieront l’évaluation et la façonde les combiner ; entre les impactsfinanciers, sociaux, administratifs ou autresque peut avoir une nouvelle disposition, queconvient-il de privilégier ? Le troisièmeobstacle porte sur la prise en considérationdes situations d’urgence ; on peut en effetadmettre que certains textes supporteraientdifficilement de voir leur discussion retardéeen raison des délais résultant deconsultations et d’études préalables. Enfin,il conviendrait de créer une contrainte légalequi empêcherait de contourner la phased’évaluation : quel type d’obligation est-ilpossible en effet de faire peser sur la based’une simple loi ordinaire ? Faut-il aller plusloin et faire de cette phase préparatoire unélément substantiel de l’élaboration de laloi, sur le fondement d’une dispositionconstitutionnelle nouvelle ? Le futur débatsur la réforme de la Constitution pourra êtrel’occasion de soulever ces questions.

18 Voir House of Lords, Parliament and the LegislativeProcess, 13 octobre 2004.19 Cabinet Office, Code of Practice on National PublicConsultation, janvier 2004.

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Ce numéro spécial du Courrier juridiquedes finances et de l’industrie est consacréaux questions de légistique. La présenteanalyse porte sur les aspects constitu-tionnels de la légistique. Si ce dernier termeest constitutionnellement inusité, laproblématique de la qualité de la législationa pris, depuis quelques années, une placecroissante dans la jurisprudence du Conseilconstitutionnel.

Cette jurisprudence a pris des formes variéesdont certaines ne relèvent pas, stricto sensu,du présent dossier. Ainsi le Conseil adéveloppé une jurisprudence relative auxconditions d’exercice du droit d’amendementnotamment pour veiller davantage à ce queles amendements ne soient pas dépourvusde tout lien avec les dispositions du texteinitial (n° 2006-534 DC du 16 mars 2006,n° 2006-535 DC du 30 mars 2006). LeConseil s’assure également du respect del’article 45 de la Constitution au niveau de lacommission mixte paritaire (n° 2004-501 DCdu 5 août 2004) et de la règle de l’entonnoirnon plus seulement à compter de la CMP(n° 98-402 DC du 25 juin 1998) mais dès ladeuxième lecture (n° 2005-532 DC du19 janvier 2006).

Au-delà de ces règles relatives au droitd’amendement, monsieur Pierre Mazeaud,Président du Conseil constitutionnel, avaitsouligné, dans ses vœux du 3 janvier 2005au Chef de l’État, que face à « ladégradation de la qualité de la loi » leConseil constitutionnel avait engagé unedouble évolution jurisprudentielle. Lapremière vise à la nécessaire clarté etintelligibilité de la loi (1.). La deuxième estrelative à la portée normative de la loi (2.).À ces deux aspects, s’ajoute une réflexionsur le domaine de la loi (3.). La présenteanalyse est consacrée à ces troisquestions.

1. L’objectif constitutionneld’intelligibilité et d’accessibilitéde la loi

Afin d’améliorer la qualité de la loi, le Conseilconstitutionnel a dégagé deux exigences :

• D’une part, le Conseil a jugé que découlede la combinaison des articles 4, 5, 6et 16 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen de 1789 un« objectif de valeur constitutionnelled’accessibilité et d’intelligibilité de la loi »(n° 99-421 DC du 16 décembre 1999). LeConseil estime notamment que l’égalitédes citoyens devant la loi requiert « uneconnaissance suffisante des normes quileur sont applicables ».

• D’autre part, le Conseil a dégagé unprincipe constitutionnel de « clarté de laloi » (n° 2001-455 DC du 12 janvier2002), rattaché à l’article 34 de laConstitution.

Ces deux exigences imposent, pour leConseil, que le législateur « adopte desdispositions suffisamment précises et nonéquivoques ». Ceci « prémunit les sujets dedroit contre une interprétation contraire à laConstitution ou contre le risqued’arbitraire ». Il n’est ainsi pas reporté surles autorités administratives oujuridictionnelles le soin de fixer des règlesdont la détermination n’a été confiée par laConstitution qu’à la loi.

Le Conseil constitutionnel a par la suiterégulièrement util isé cette doublejurisprudence :

• En 2000, il a censuré, dans la loid’orientation pour l’outre-mer, deslimitations à l’ouverture de centrescommerciaux, et donc à la libertéd’entreprendre, qui « ne sont pasénoncées de manière claire et précise »(n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000).

Légistique et Constitution

Marc Guillaume,Conseiller d’État,

Secrétaire général du Conseil constitutionnel

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• En 2003, le Conseil a censuré l’articlede la loi portant réforme de l’élection dessénateurs relatif aux bulletins de vote(n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003).D’une part, il a relevé que plusieursnotions utilisées par cet article étaientambiguës. D’autre part, il a jugé qu’ilcréait la confusion dans l’esprit desélecteurs en permettant l’inscription surle bulletin de vote du nom de personnesnon candidates à l’élection.

• En 2004, à la suite de la révisionconstitutionnelle sur la décentralisation,le Conseil a eu à connaître de la loiorganique relative à l’autonomiefinancière des collectivités territoriales(n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004).Cette loi organique devait définir la « partdéterminante » des ressources propresdes collectivités. Le Conseil apartiellement annulé cette définition quirenvoyait à la notion constitutionnelle delibre administration des collectivitésterritoriales : ce renvoi, « outre soncaractère tautologique […] ne respectepas le principe de clarté de la loi […] ».

• Une manifestation remarquée de cettedouble jurisprudence a été la décisionsur la loi de finances pour 2006 qui acensuré la totalité du dispositif sur leplafonnement des niches fiscales(n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005).Le Conseil y a reconnu que « des motifsd’intérêt général suffisants peuventjustifier la complexité de la loi » mais ila en l’espèce estimé que la complexitéde l’article sur les niches fiscales étaitexcessive. La longueur de l’article (neufpages de la petite loi) et son « caractèreimbriqué, incompréhensible pour lecontribuable et parfois ambigu pour leprofessionnel » allaient générer del’insécurité juridique et rendreimpossible son utilisation par lescontribuables : « Lorsque la loi a un telniveau de complexité, elle devientinintelligible pour le citoyen ».

Au terme de cette évolutionjurisprudentielle, le Conseil util isedésormais le considérant de principesuivant relatif à l’objectif d’intelligibilité etd’accessibilité de la loi (voir en dernier lieu :n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007) :

« Considérant qu’il incombe au législateurd’exercer pleinement la compétence que luiconfie la Constitution et, en particulier, sonarticle 34 ; que le plein exercice de cettecompétence, ainsi que l’objectif de valeurconstitutionnelle d’intelligibilité etd’accessibilité de la loi, qui découle desarticles 4, 5, 6 et 16 de la Déclarationde 1789, lui imposent d’adopter desdispositions suffisamment précises et desformules non équivoques ; qu’il doit en effetprémunir les sujets de droit contre uneinterprétation contraire à la Constitution oucontre le risque d’arbitraire, sans reportersur des autorités administratives oujuridictionnelles le soin de fixer des règlesdont la détermination n’a été confiée par laConstitution qu’à la loi. »

On relève que, dans ce considérant, il n’estplus fait référence au principe de clarté, dontles implications sont rattachées à la seuleincompétence négative. L’intelligibilité aainsi été consacrée comme « la » normede référence en matière de contrôle de laqualité de la législation.

Dans le prolongement de ces précédentesdécisions (n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 ;n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004), leConseil constitutionnel a eu l’occasion deréaffirmer cette jurisprudence lors del’examen du nouveau code du travail(n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008). Il aalors rappelé que « la codification répond àl’objectif de valeur constitutionnelled’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ».Bien plus, il a relevé la qualité du plan dunouveau code du travail, l’inclusion danscelui-ci de l’ensemble des dispositions deportée générale et le déplacement limitévers des codes particuliers de dispositionsspécif iques, et enfin les scissionsd’articles pour séparer les règles de fonddes règles de forme ou les principes deleurs dérogations. Le Conseil en a concluque « dans ces conditions, loin deméconnaître les exigences résultant del’objectif de valeur constitutionnelled’intelligibilité et d’accessibilité de la loi,le nouveau code du travail tend, aucontraire, à les mettre en œuvre »(n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008).

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2. La portée normative de la loi

Pendant très longtemps, le Conseilconstitutionnel a estimé que desdispositions dépourvues de portée normativen’étaient pas inconstitutionnelles. Il en allaitnotamment ainsi des rapports fréquemmentannexés aux lois pour fixer des orientations,par exemple sur la justice ou sur la politiquede sécurité intérieure. Ces rapports sebornent souvent à énoncer des objectifsappelant de futures mesures législatives ouréglementaires. Le Conseil jugeait que cesrapports ne sont, par eux-mêmes, « pasrevêtus de la valeur normative qui s’attacheà la loi » (n° 2002-460 DC du 22 août 2002 ;n° 2002-461 DC du 29 août 2002). Mais iljugeait inopérants les griefs dirigés contreces dispositions.

Le Conseil a abandonné cette jurisprudenceen 2004 (n° 2004-500 DC du 29 juillet2004). Il a mis un terme à sa positionjusqu’alors tolérante à l’égard desdispositions non normatives. Il s’est appuyésur l’article 6 de la Déclaration des droitsde l’homme et des citoyens de 1789 selonlequel « la loi est l’expression de la volontégénérale ». Le Conseil en a déduit que« sous réserve de dispositions particulièresprévues par la Constitution, la loi a pourvocation d’énoncer des règles et doit parsuite être revêtue d’une portée normative ».Il en résulte que des dispositionsdépourvues de valeur normative sontdésormais inconstitutionnelles. C’est là lapoursuite de sa lutte contre les « neutrons »législatifs.

En application de cette jurisprudence, leConseil a annulé des dispositions« manifestement dépourvues de touteportée normative » de la loi d’orientation etde programme pour l’avenir de l’école(« L’objectif de l’école est la réussite detous les élèves ») (n° 2005-512 DC du21 avril 2005).

Sous réserve des règles propres applicablesaux lois de finances et aux lois definancement de la sécurité sociale, laseule exception à cette inconstitutionnalitédes dispositions non normatives estcelle prévue à l’avant dernier alinéa del’article 34 qui dispose que : « Des lois deprogramme déterminent les objectifs del’action économique et sociale de l’État »(n° 2005-512 DC du 21 avril 2005). Seules

ces lois de programmes peuvent être nonnormatives. Mais des conditions de fond etde procédure propres à ces lois doiventalors être respectées :

• D’une part, les objectifs poursuivisdoivent l’être dans le champ de « l’actionéconomique et sociale », ce qui peut êtreentendu assez largement. Cecin’englobe néanmoins pas une loipurement fiscale (n° 2000-1 LP du27 janvier 2000).Ce premier critère est rempli si la loi seréfère aux objectifs économiques etsociaux figurant dans un autredocument, en l’espèce signé à Mata-Utule 20 décembre 2002 par l’État et leterritoire des îles Wallis et Futuna(n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003).

• D’autre part, ces lois de programme àcaractère économique ou social doiventse présenter comme un catalogued’objectifs, qualitatifs ou quantitatifs. Lecaractère financier de ces objectifs n’estplus nécessaire car la loi organiquen° 2001-692 du 1er août 2001 relative auxlois de finances est silencieuse sur cepoint contrairement à l’ancienneordonnance organique du 2 janvier 1959(n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005).

• Enfin, l’article 70 de la Constitutionprévoit des formes propres. Il disposeque : « Tout plan ou projet de loi deprogramme à caractère économique ousocial est soumis pour avis au Conseiléconomique et social ». Ainsi, pour uneloi de programme d’initiativegouvernementale, l’avis du CES estnécessaire. L’omission de cetteformalité substantielle entache larégularité de la procédure et conduit àl’annulation desdites dispositions(n° 2005-512 DC du 21 avril 2005).

3. Le domaine de la loi

Le Conseil constitutionnel a jugé en 1982« que, par les articles 34 et 37, alinéa 1er,la Constitution n’a pas entendu frapperd’inconstitutionnalité une disposition denature réglementaire contenue dans une loi,mais a voulu, à côté du domaine réservé àla loi, reconnaître à l’autorité réglementaireun domaine propre et conférer auGouvernement, par la mise en œuvre des

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procédures spécifiques des articles 37 al. 2et 41, le pouvoir d’en assurer la protectioncontre d’éventuels empiétements de la loi »(n° 82-143 DC du 30 juillet 1982).

Ainsi le Conseil constitutionnel se refuse,dans le cadre de son contrôle de l’article 61de la Constitution, à sanctionner unedisposition législative empiétant sur ledomaine réglementaire. Cette jurisprudenceest parfois critiquée comme nuisant à laqualité de la loi.

Face à ces critiques, le Conseil a constatéen 2005 le caractère manifestementréglementaire de quatre articles de la loisur l’école, sans pour autant les déclarercontraires à la Constitution (n° 2005-512 DCdu 21 avril 2005). Ce constat permettait auGouvernement de les modifier – ou de lesabroger – par décret en Conseil d’État sansavoir à saisir préalablement le Conseilconstitutionnel sur le fondement du secondalinéa de l’article 37 de la Constitution.Dans l’intervalle, ces articles conserventleur rang législatif, à l’instar des dispositionsdéclassées dans les conditions habituellestant qu’un décret en Conseil d’État n’estpas venu les abroger ou les modifier.

Comme l’a souligné Damien Chamussy1,cette démarche, bien qu’elle permette defaire constater un empiètement dulégislateur sur le domaine réglementaire autitre de l’article 61, alinéa 2, de laConstitution, a parfois été jugée inachevée :« Trop ou trop peu », a jugé une partie dela doctrine. Il a été reproché au Conseil dene pas avoir renversé la jurisprudence Prixet Revenus.

Depuis 2005, le Conseil n’a néanmoins pasdécidé d’aller plus loin et de revenir surl’option appliquée constammentdepuis 1982.

Au contraire, il a eu l’occasion de réaffirmerson attachement à cette jurisprudence. Ill’a fait implicitement à l’occasion de sadécision sur la loi ratifiant l’ordonnance du12 mars 2007 relative au code du travail(n° 2007-561 DC du 14 janvier 2008).

Cette décision, rendue par le Conseil danssa composition partiellement renouvelée,montre la pérennité d’un choix qui répond àla nature du contrôle de l’article 61. Celui-ci n’a pas le même objet que les procéduresspécifiques des articles 37 al. 2 et 41.Remettre en cause ce choix n’amélioreraitpas la qualité de la loi.

Au contraire, cela contribuerait à rendrecelle-ci illisible et peu compréhensible. Lajurisprudence Prix et Revenus conservetoute sa justification.

** *

Ces évolutions jurisprudentielles desdernières années tendent aujourd’hui à unéquilibre. Celui-ci ne manquera pas d’êtreprécisé dans le futur. Quelques lignes deforce se dégagent néanmoins :

• L’intelligibilité et l’accessibilité de la loiconstituent un objectif de valeurconstitutionnelle réitéré dans lesdécisions du Conseil. Cette orientationdemeurera. Certes cette jurisprudencene peut qu’être maniée aveccirconspection. Mais les malfaçonslégislatives ne sont pas suffisammentrares pour que cette jurisprudence neconserve, le cas échéant, son utilité.

• Cette jurisprudence peut être rapprochéede celle sur l’incompétence négative quivoit le Conseil censurer un article de loisi le législateur est resté « en deçà »de sa compétence. Une telleincompétence négative est souventproche du manque de clarté de la loi.De fait, dans les deux cas, la loi estlacunaire. Ceci conduit le Conseil àparfois mêler ces deux motifs decensure (n° 2001-455 DC du 12 janvier2002, n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004).Là encore, le Conseil ne pourra quecontinuer à exercer son contrôle avecvigilance dans le futur.

• La jurisprudence sur la portée normativede la loi est d’une nature différente. Ellene doit pas aller contre les termes mêmede l’article 34 de la Constitution. Celui-ci prévoit expressément les lois deprogramme à caractère économique etsocial. Dès lors, il ne serait pas exact

1 « Le Conseil constitutionnel, le droitd’amendement et la qualité de la législation », RDPn° 4-2007.

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d’avancer que le Conseil condamneraitdésormais toute loi dépourvue de portéenormative ; il convient en revanche queces lois respectent les conditions fixéespar la Constitution. En tout état de cause,cette question perdrait toute actualité sil’article 34 était modifié comme lerecommande le comité présidé parÉdouard Balladur de réflexion etproposition sur la modernisation et lerééquilibrage des institutions de laVème République.

• Plus généralement, le Conseil appliqueavec constance sa jurisprudence Prix etRevenus (n° 82-143 DC du 30 juillet1982, n° 2007-561 DC du 14 janvier2008). La recherche de la qualité de laloi ne peut conduire, dans le cadre ducontrôle de l’article 61 de la Constitution,à la censure d’une disposition législativequi serait intervenue dans le domaineréglementaire.

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Des deux co-auteurs du guide pourl’élaboration des textes législatifs etréglementaires, le Secrétariat général duGouvernement est peut-être celui dont lerôle est le moins aisé à cerner pour leslecteurs de ce guide qui ne seraient pasfamiliers des rouages de l’État.

Autant, en effet, il est possible de se faireune idée précise, à la lecture du code dejustice administrative ou de la doctrine, dela consistance des fonctions de conseillerjuridique du Gouvernement exercées parle Conseil d’État et, par là, de seconvaincre de sa vocation à formuler des« préconisations légistiques », autant ladiscrétion du droit positif et de la doctrine1

sur les attributions du Secrétariat généraldu Gouvernement peut laisser un doute surla part qu’il prend à cette discipline.

L’occasion paraît choisie d’évoquer ici lesdifférents aspects de la pratique de lalégistique au Secrétariat général duGouvernement et de montrer comment cettepratique, partagée avec plusieursinterlocuteurs privilégiés au premier rangdesquels se trouve le Conseil d’État,s’intègre dans le travail gouvernemental.

1. Des exercices appliqués delégistique au quotidien

Une part importante de l’activité quotidiennedu Secrétariat général du Gouvernementréside dans le travail sur les textesnormatifs incombant à l’équipe de hautniveau des chargés de mission, placée sousl’autorité du Directeur au Secrétariat généraldu Gouvernement et du Secrétaire généraldu Gouvernement.

Ce travail est bien différent de la missionconfiée à l’équipe de juristes placés sousl’autorité du Premier ministre britannique ausein du « Parliamentary Counsel »,administration à laquelle revient le monopolede la rédaction pour le Gouvernement desa Majesté de la « législation primaire »,l’équivalent de nos lois. L’organisationadministrative française se caractérise parune forte décentralisation jusqu’au sein dechaque ministère de la charge deconception et de rédaction des projets detextes normatifs, serait-ce même larédaction des projets de loi déposés au nomdu Gouvernement sur le bureau duParlement : ce ne sont pas les services duPremier ministre qui tiennent la plume desavant-projets de texte mais bien lesservices du ministre en charge de la réforme,avant que ne s’engage leur exameninterministériel.

Le Secrétariat général du Gouvernementn’en intervient pas moins à des étapesdécisives de l’élaboration du texte.

Il est des cas dans lesquels il apporte uneexpertise dès le premier stade desréflexions préparatoires à la nouvelleréglementation, que ce soit sous la formed’une expertise sur une difficulté juridiqued’importance ou, dans le cadre de sesefforts de promotion de la discipline del’évaluation préalable, par l’animation detravaux interservices consacrés à l’étuded’impact de la réforme en préparation.

Qu’il ait ou non été amené à connaître enamont de l’élaboration des nouvelles règles,le Secrétariat général du Gouvernementintervient nécessairement aux derniersstades de la préparation des textes : austade de la validation interministérielle desprojets de loi, où il apporte son expertiseau cabinet du Premier ministre dans lesarbitrages à rendre et, avant présentationdes projets de textes réglementaires à lasignature du Premier ministre ou duPrésident de la République, en vue de leur

La légistique au Secrétariat général du Gouvernement

Jean Maïa,Maître des requêtes au Conseil d’État,

Chef du service de la législation et de la qualité du droit,Secrétariat général du Gouvernement

1 Pour découvrir toute l’étendue des attributions duSecrétariat général du Gouvernement, il estpossible de se référer notamment à l’article deS. Lasvignes intitulé « Le Secrétariat général duGouvernement » in Les cahiers de la fonctionpublique, juillet-août 2006, pages 11 et suivantes.

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publication dans l’édition « Lois et décrets »du Journal officiel de la Républiquefrançaise.

Dans ces interventions à un stade avancédu processus normatif, le contrôle opéré parle Secrétariat général du Gouvernement estd’une double nature : s’il porte d’abord surla légalité du projet de texte, il prendégalement en compte les questions dequalité de la norme, à tout le moins laqualité rédactionnelle du texte. C’est dansles limites du dialogue qu’il lui est permisde nouer avec les ministères en charge dudossier à une étape où la rédaction du texteest souvent cristallisée que le Secrétariatgénéral du Gouvernement peut faire valoirces préoccupations légistiques.

Toujours est-il qu’il n’est guère de textespubliés au Journal officiel qui ne fassentainsi l’objet d’un examen au Secrétariatgénéral du Gouvernement. Il n’est pasjusqu’aux arrêtés ministériels qui ne soientsoumis à un examen, certes moins intensifque celui exercé sur les textesprécédemment évoqués, mais à tout lemoins à un examen de leur présentationformelle par le service de la législation etde la qualité du droit au titre de lapréparation de la publication au Journalofficiel.

2. Une pratique nourrie d’échan-ges permanents avec d’autresintervenants du processusnormatif

Les réponses que le Secrétariat général duGouvernement donne – ou propose dedonner – aux questions d’ordre légistiquequ’il identifie quotidiennement dans lesexercices précédemment évoqués n’ontrien d’une doctrine qu’il définiraitunilatéralement.

Dans sa mission d’organisation du travailgouvernemental, le Secrétariat général duGouvernement est par construction amenéà rechercher des points d’équilibre entreministères. Si une part non négligeable dudéveloppement de la légistique consiste àréduire des singularités d’écriture quipourraient différencier les administrationscentrales, c’est dans l’échange avec ellesqu’une forme d’harmonisation estrecherchée.

La première source à laquelle puisent lesréponses promues par le Secrétariat généraldu Gouvernement est la pratique desformations consultatives du Conseil d’État,assidûment fréquentées par les chargés demission, auxquels incombe la responsabilitédes délégations de commissaires dugouvernement désignés pour présenterdevant ces formations les projets de textesdélibérés en Conseil des ministres. Là sontretenus des parties de confection destextes, à la genèse desquels peuventd’ailleurs prendre part les ministèresrédacteurs représentés au sein de ladélégation.

Une autre source d’inspiration est lapratique d’élaboration des textes retenuepar la commission supérieure decodification, dans des travaux qu’appuie leSecrétariat général du Gouvernement etdont il s’efforce de tenir informés largementles ministères. L’importance de ces travauxse conçoit d’autant mieux que rares sontaujourd’hui les textes significatifs n’ayantpas vocation à être pour tout ou partiecodifiés. La question de la « maintenancedes codes » compte parmi les plus lourdesde conséquences en termes de qualité dela production normative contemporaine.

Parmi les paramètres pris en compte dansles réponses avancées par le Secrétariatgénéral du Gouvernement, figurent de plusen plus les exigences de l’accessibilité dudroit en ce qu’elle est facilitée par la diffusionélectronique. Placé sous l’autorité duSecrétaire général du Gouvernement, leservice public de la diffusion du droit parl’Internet, que chacun connaît par le siteLégifrance, stimule les réflexions d’ordrelégistique. À titre d’exemple, la facilitéd’accès aux versions successives destextes qu’offre Légifrance n’est pasétrangère au parti pris par le Conseil d’Étatet le Secrétariat général du Gouvernementdans la seconde édition du guide delégistique de présenter comme abandonnél’usage qui consistait précédemment, dansla rédaction des visas d’un texte, àmentionner, avec leur numéro et leur date,les textes modificatifs du texte visé dans lalimite de trois2.

2 « Guide pour l’élaboration des textes législatifset réglementaires », seconde édition, fiche 3.1.5.L’usage recommandé est désormais d’en rester àl’indication que le texte a été modifié entre la mentionde la date et de l’objet.

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Il faut également souligner que la parutiondu guide pour l’élaboration des texteslégislatifs et réglementaires a permisdepuis 2005 l’établissement d’un dialogueentre le Gouvernement et le Parlement surdes questions de légistique. Ainsi a étésurmontée une divergence ancienne etpassablement irritante pour l’ensemble desparties prenantes au processus normatif,concernant le mode de décompte desalinéas.

Enfin, l’ordre juridique communautaires’intégrant à l’ordre juridique national, il y amatière pour l’ensemble des administrationsnationales à tenir compte des pratiqueslégistiques des institutions européennes, ceà quoi des réflexions récemment conduitespar le Conseil d’État sur la demande duPremier ministre doivent aider

3.

Au total, le rôle propre du Secrétariatgénéral du Gouvernement dans la genèsed’une doctrine en matière de légistique semesure donc au fait que, de par sa positionde « gardien des points de passage » et safonction d’interlocuteur de nombreuxintervenants du processus normatif, il est àmême, avec le Conseil d’État, de rechercherun équilibre entre différents points de vuepour dégager la meilleure manière de servirles exigences à valeur constitutionnelled’intelligibilité et d’accessibilité du droit.

Il n’est peut-être pas sans intérêt deprolonger ici la comparaison avecl’organisation de l’administrationbritannique. Un contraste existe en effetentre ce que le « Parliamentary Counsel »présente publiquement comme sespréconisations de légistique, qui prennentdepuis juillet 2007 la forme d’un guide deonze pages4, et le caractère englobant etassez systématique donné par le Conseild’État et le Secrétariat général duGouvernement au guide de légistique.

Il en va sans doute, dans une certainemesure, du contraste entre système decommon law et système de droit écrit. Mais

il est également permis de penser que ceque le Secrétariat général du Gouvernementne saurait contester au « ParliamentaryCounsel » en termes d’emprise sur larédaction de la loi, trouve d’une certainemanière une contrepartie dans sa capacitéfonctionnelle à embrasser très largement,en étroite relation avec le Conseil d’État, laplupart des questions de procédure et deconception formelle des textes susceptiblesde se poser aux rédacteurs.

3. L’intégration des préoccu-pations de légistique dans letravail gouvernemental

La mission de coordination interministérielleet d’organisation du travail gouvernementaldévolue au Secrétariat général duGouvernement le conduit à veiller à ce queles préoccupations de légistique soient leplus largement prises en compte et ce, demanière permanente, dans les ministères,au-delà des efforts de régulation quotidienneauxquels il s’efforce dans le contrôle destextes.

C’est de longue date qu’il s’y emploiepuisque bien avant la parution de la premièreédition du guide pour l’élaboration destextes législatifs et réglementaires en 2004,il rendait publique et diffusait largement ausein de l’administration une circulaire dite« rouge », comprenant un nombreimportant de prescriptions de procédure etde forme inhérentes à l’élaboration destextes.

Il n’est probablement pas très utile d’insisterici sur le progrès qu’a permis l’élaborationdu guide de légistique, tant du point de vuede la richesse des préconisations qui s’ytrouvent rassemblées que de sa maniabilitéet de son accessibilité en librairie commesur le site Légifrance. Si le mérite en revientde manière générale aux institutions co-auteurs du guide, qu’il soit permis desouligner ici la qualité du travail effectué àl’époque par l’équipe des rédacteurs placéssous l’autorité du Président Jean-PierreLeclerc.

L’instrument du guide de légistique peut-ilaider le Secrétariat général du Gouvernementà peser davantage encore sur la qualité desprojets de textes dans les ministères ?

3 « Pour une meilleure insertion des normescommunautaires dans le droit national », Sectiondu rapport et des études du Conseil d’État, étudeadoptée par l’Assemblée générale le 22 février2007, La Documentation française, Paris, 2007.4 Accessible par l’adresse Internet suivante :http://www.parliamentary-counsel.gov.uk/drafting_techniques.aspx.

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Il faut garder à l’esprit qu’hormis les facilitésconsenties aux ministères pour aider à unetrès large diffusion du guide, à travers lesréseaux des secrétaires généraux desministères et des hauts fonctionnaireschargés de la qualité de la réglementationpar exemple, le Secrétariat général duGouvernement n’a pas vocation à prescrireles choix d’organisation interne à chaqueministère.

Concernant la manière dont uneadministration centrale gagne à s’organiserpour la meilleure prise en compte possibledes exigences légistiques, tout au pluspourrait-on faire observer qu’au Secrétariatgénéral du Gouvernement, petite structure ilest vrai, la légistique est partout, comme il aété dit, et non concentrée entre les mainsde spécialistes : si la « mission qualité dela norme » du service de la législation et dela qualité du droit du Secrétariat général duGouvernement est la correspondantenaturelle des correspondants de légistiquedes formations consultatives du Conseild’État pour l’actualisation du guide, celui-civit d’autant mieux au sein du Secrétariatgénéral du Gouvernement qu’il n’est jamaisque la résultante et le repère de travauxcollectifs.

Cette expérience, il est vrai très particulièreen raison de la dimension même duSecrétariat général du Gouvernement,laisse en tout cas à penser que ladésignation récente de missions decodification et de légistique au sein decertains ministères n’épuise pas la réflexionsur la manière dont les différents bureauxrédacteurs peuvent s’emparer de cespréoccupations, sans même évoquer ici desaspects de formation initiale ou continue.

Il reste que les technologies de l’informationcontinueront sans doute de peser de façonmarquée dans les prochaines années surces questions d’organisation interne, jusquedans la prise en compte des préoccupationslégistiques. Le Secrétariat général duGouvernement a également sa part à cemouvement.

En termes pratiques, de même que lelogiciel MAGICODE développé dans lesannées 1990 au sein de la directiongénérale des collectivités locales acertainement aidé à donner un nouvel élanaux travaux de codification, de même le

chantier de dématérial isation desopérations normatives conduit à l’échelleinterministérielle par le Secrétariat généraldu Gouvernement peut ouvrir de nouvellesperspectives quant au respect de certainesrègles formelles de présentation des textesmais peut-être même plus profondémentquant aux méthodes pratiques deconception des textes.

S’il serait vain de penser que les outilsélectroniques puissent aider à eux seuls àfaire triompher les bonnes pratiques enmatière légistique, il y a matière à espérerque, conçus à bon escient, ils aident àprogresser dans la voie d’une bonneinsertion des projets de norme dansl’ordonnancement juridique et de laconsolidation des textes normatifs.

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Si l’espérance de vie humaine progresse,celle des normes régresse1. Le constat decette régression et de son accélérationrécente est trop connu pour qu’on s’yarrête ; il est douteux qu’il doive être revusous peu. Il entraîne, par force autant quepar un intérêt, une attention accrue del’administrateur – juriste ou non – pour lestechniques d’écriture des textes, lesimperfections « rédactionnelles » étant uneénergie naturelle, renouvelable et doncinépuisable du tournis normatif. Le juriste –administrateur ou non – peut y satisfaire songoût pour les questions, toujourspassionnantes, de champ d’application desnormes dans le temps.

Au carrefour de ces préoccupations, setrouve, entre autres, le régime del’abrogation : la succession accélérée destextes appelle inévitablement, en la matière,une doctrine de rédaction et une règled’interprétation, donc de droit… si ellesn’existaient pas déjà.

La doctrine de rédaction a été récemmentfixée dans le guide pour l’élaboration destextes législatifs et réglementaires2, aprèscelle proposée par C. Bergeal3 et D. Rémy

4.On peut en résumer la dominante par lesdeux principes suivants :

a) une abrogation explicite précise – « ledécret X est abrogé » – est toujourspréférable à une abrogation explicitevague (et sans portée normative réelle) –« tous textes contraires sontabrogés » – ainsi qu’à une abrogationimplicite ;

b) il est inutile, lorsque l’on abroge untexte, d’exclure du champ de cetteabrogation les propres dispositionsd’abrogation que peut comporter cetexte car « l’abrogation par un texte Cd’un texte B qui avait lui-même abrogéun texte A ne fait pas revivre letexte A ».

Le premier principe se présente comme unprécepte inspiré par l’impérieuse nécessitéde connaître précisément l’état du droitavant de le modifier et donc d’être, ce faisant,en mesure de désigner avec précision lesnormes à abroger, si nécessaire. Il s’agitdonc avant tout d’une règle de bonnepratique à l’usage du rédacteur de textes.Si celui-ci ne s’y conforme pas, il pourramettre dans l’embarras le destinataire dela norme et le juge devra, le cas échéant,trancher le conflit entre la norme nouvelleet la norme ancienne non explicitementabrogée. Il le fera, on le sait, à partir del’idée que l’abrogation implicite est larésultante d’une incompatibilité –strictement entendue – entre la normenouvelle et la norme ancienne. (voir lerappelant, entre autres : Ass., 16 décembre2005, ministre des affaires sociales, dutravail et de la solidarité et Syndicat nationaldes huissiers de justice, concl. J.-H. Stahl,RJEP 2006, p. 128).

Le second principe est-il d’une naturedifférente ?

Incontestablement oui en ce qu’il s’appuiesur une espèce de théorème (oud’axiome…), heureusement synthétisé parC. Bergeal sous la forme du brocard« abrogation sur abrogation ne vaut

5 » ?

Mais, s’agit-il d’affirmer que, si C abroge Bqui avait abrogé A, alors :

1. A ne peut pas revivre parce qu’il sera, laplupart du temps, incompatible avec C ?

ABC de l’abrogation

Nicolas Boulouis,Maître des requêtes au Conseil d’État

1 Si ceci est très certainement sans lien avec cela,l’on n’aurait pu espérer un lien… de sens inverse.2 Fiche 3.8.3 « Les abrogations ».3 « Rédiger un texte normatif », Berger-Levrault,5ème édition, 2004, n° 123.4 « Légistique – L’art de faire des lois » Romillat1994 n° 238. 5 Opus cité n° 40.

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2. A ne peut pas revivre parce qu’il estmanifeste que l’auteur de C n’aaucunement eu cette intention ?

3. A ne peut pas revivre du fait descaractéristiques intrinsèques d’uneabrogation ?

Les auteurs du guide de légistique auraient-ils simplement entendu (et seulement pu)faciliter la tâche des rédacteurs en leursuggérant d’avoir recours à la formule la plusexpédiente, à charge pour le destinatairedu texte et éventuellement au juge de direen cas de conflit si dans le cas d’espèce ilfaut considérer que A est ou nonressuscité ?

Bref est-on face à une règle de comportementmâtinée de droit (propositions 1 ou 2) ou faceà une règle de droit dérivant de ce qu’est, endroit, une abrogation (proposition 3) ?

Dans un récent avis6, le Conseil d’État aclairement pris parti pour cette secondeapproche, estimant que : « l’abrogation d’untexte abrogateur n’est pas, par elle-même,de nature à faire revivre le texte initial. Pourremettre ce texte en vigueur, l’autoritécompétente doit prévoir expressément qu’ilredevient applicable. »

Cette affirmation – qui remet en cause desdécisions qui avaient pu être lues, pourcertaines, comme adoptant des vuesopposées7 et confirme un précédent avisdu 15 mars 1994 – repose sur de solidesfondements.

1. Mentionnons d’abord deux sériesd’arguments, qui, sans être négligeables,ne sont toutefois pas déterminants.

Si la règle « il ne faut pas exclure lesabrogations des abrogations » édictée parle guide de légistique est ab initio

exclusivement une norme de comportement 8,son respect par tous en fera rapidement unenorme de droit. En effet, dès lors que, commeon peut le penser, voire le souhaiter,l’administration et le Conseil d’État, co-auteurs du guide, s’y conformeront ou serontréputés s’y conformer, alors le tempspassant, il n’y aura plus de cas dans lequelen abrogeant B qui avait abrogé A, C aurafait revivre A : le principe sera contraire et ilne souffrira aucune exception puisquel’auteur sera réputé, de manière irréfragable,avoir utilisé une formule lui garantissant lerésultat promis par le guide. Mais des motifssupérieurs pourront conduire, de manièreexceptionnelle, à cette solution alors mêmeque l’auteur de C, qui avait connaissance duguide de légistique mais pas nécessairementde tous les problèmes que poserait l’édictionde C, n’avait pas voulu faire ressusciter A :dans les mains du juge, la proposition 2garde toujours toutes ses chances si cesmotifs supérieurs se dégagent du débatcontentieux. La vocation (pour ne pas parlerde la prétention) « auto réalisatrice » duguide est donc insuffisante.

L’exigence de clarté et d’intelligibilité de lanorme de droit, de valeur constitutionnelle,comme peut-être le principe de sécuritéjuridique, s’ils militent sans doute, ensecond lieu, pour la proposition 3 ne lacommandent pas absolument. Cetteproposition est rassurante pour le rédacteur,plus généralement l’auteur qui n’a pas à sesoucier de A, condamné aux flammeséternelles de l’enfer normatif. Elle est, surle plan rédactionnel, bien commode : nulbesoin pour C de faire, en tout ou partie,exception aux abrogations de B. Elle a, deplus, la vertu de la simplicité tant pour ledestinataire de la norme que pour le juge :C peut poser des problèmes d’applicabilité,d’application ou d’interprétation mais aumoins ceux-ci ne résultent pas d’un retour(intempestif) de A à la vie. Cette exigenceet ce principe excluent les formules outournures incompréhensibles et prohibentl’incertitude. Pourtant à ce double égard,aucune des propositions 1 et 2 – qui posentle principe de la non-résurrection – ne sontautomatiquement condamnées. Il faudraità défaut mettre en examen nombre detextes actuels, assimiler systématiquement

6 N° 380.902 du 10 janvier 2008.7 Principalement : CE, 6 mars 1963, Baron, p. 133(cours du Président Odent p 339) – CC, décisionn° 63-24 L, RJC, p. II-13 ; Journal officiel du 21 juillet1963, p. 6762 (voir B. Genevois, « La jurisprudencedu Conseil constitutionnel », p. 83) – Cass. civ.1ère, 14 novembre 1962 (Bull. I, n° 480) – CA Paris,20 décembre 1960 (JCP 1961.II.11929, note JeanMazeaud ; S. 1961, p. 186, note Meurisse et Ch.réunies, 24 juin 1826) – 22 novembre. 1928, DallozJ. G., voir Lois n° 561 – Cass. crim., 8 février 1850 :D. P. 1850.

8 Que, toutefois, le Conseil d’État ne jugerait sansdoute pas impérative au sens de la jurisprudenceDuvignères.

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besoin d’interprétation et inintelligibilité etposer en règle supérieure que la sécuritéjuridique prohibe les couples « principe /exceptions ».

2. La démonstration de l’exactitude de laseule proposition 3, exactitude quicondamne les propositions 1 et 2 commeau mieux inutiles et au pire dangereuses,tient plus sûrement à l’effet combiné desdeux propriétés d’une abrogation : la non-rétroactivité et la non-continuité.

Si l’on admet l’existence de ces deuxpropositions, leur effet cumulé estnécessairement d’interdire la résurrectiondes textes abrogés par l’abrogation destextes abrogatifs : une action instantanéetournée vers le seul futur ne peut avoir aucuneffet sur une action instantanée réaliséedans le passé.

2.1. La non-rétroactivité : à la différencede l’annulation ou du retrait, l’abrogation estsans conséquence sur le passé.

La propriété « non-rétroactive » del’abrogation n’est ni contestable, ni d’ailleurscontestée : lorsque l’on abroge un acte onle fait disparaître sans porter atteinte à seseffets passés9. C’est ce qui distinguel’abrogation de l’annulation ou du retrait quiont également pour objet et effet de fairedisparaître la norme mais agissentégalement sur les effets qu’elle a produits.L’on a ainsi coutume de dire (un peu tropvite au regard de l’effet non-continu) quel’abrogation « ne vaut que pour l’avenir »tandis que l’annulation « vaut aussi pour lepassé ».

2.2. La non-continuité : l’abrogation estune action qui épuise ses effets au momentmême où elle se produit. Pour fairedisparaître un texte de l’ordonnancementjuridique, une action à effet instantané suffit.

On ne peut, à notre sens, démontrer lecontraire et postuler que l’abrogation a uneffet permanent serait juridiquementredoutable.

2.2.1. Toutes les normes n’ont pas le mêmeeffet temporel.

Édicter « le décret X est abrogé » n’est pasd’un point de vue normatif différent de « toutdécret est publié au JO », chaquedisposition comportant une norme. Et, dèslors qu’elles sont entrées en vigueur et tantqu’elles n’ont pas été remises en cause parune modification, une annulation (voire unretrait) ou une abrogation, ces deux normes« restent en vigueur ». Même si elle est enpartie exacte – une abrogation n’est pasmoins normative qu’une autre disposition –cette démonstration est insuffisante pourétablir que toutes les normes ont le mêmeeffet temporel, question qui est au moinspartiellement différente de celle de leur« vigueur » : il n’est pas contesté ainsi queles dispositions dites transitoires épuisentleur effet au terme du délai qu’elles fixentelles-mêmes. L’enveloppe d’un texte nedétermine pas son effet normatif, lequel estfonction de son contenu. Il est donc toutaussi inexact de dire que l’abrogation a uneffet permanent parce qu’elle voisine dansun texte avec des dispositions d’effetpermanent que d’affirmer la même chosepour des dispositions transitoires.

2.2.2. L’indivisibilité entre la norme nouvelleet l’abrogation de la norme ancienne estrelative.

Cette indivisibilité – B abroge A parce queB instaure (par ail leurs) des règlesnouvelles incompatibles avec le maintiende A – est certes incontestable à certainségards et milite pour une continuité deseffets de l’abrogation, alignés sur ceux dureste d’un texte. Le juge ne manquerajamais de la reconnaître lorsqu’i ls’interroge sur le champ d’une annulationd’un texte (ou la recevabilité d’unerequête). Comme il est jugé qu’il y aindivisibilité, dans une décision, entre lacessation de fonctions d’un agent et lanomination de son successeur (Sect.,18 octobre 1968, Vacher-Desvernais,p. 494), il y a indivisibilité au sein d’un textede portée générale entre les dispositionsd’abrogation et le reste10. À supposer que

9 Voir, pour une définition, J.-M. Auby, « L’abrogationdes actes administratifs », AJDA 1967.131.

10 Quoiqu’il n’y ait pas de décision de principe sur cepoint. Voir par exemple : 17 janvier 1996, ministrede l’environnement c/ Syndicat de gestion des eauxet de l’environnement du Gâtinais-Est, aux tablessur un autre point.

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les dispositions d’abrogation soienttoujours indivisibles du reste, le juge nepourra rien faire d’autre que d’annulerl’ensemble11.Au demeurant, il est vrai qu’iln’y a pas la moindre différence (autre querédactionnelle) entre une modification d’untexte et la décomposition de l’opérationentre une abrogation suivie d’unremplacement. Enfin, indéniablement si lanorme nouvelle n’entre pas en vigueurimmédiatement faute que les mesuresd’application indispensables aient étéprises, alors la norme ancienne reste envigueur ou ce qui revient au mêmel’abrogation n’entre pas en vigueur nonplus.

Mais cette indivisibilité est relative en cesens qu’elle est fonction de la situation del’acteur ou de l’observateur. À l’auteur d’untexte ne sont pas assignées les mêmeslimites que celles auxquelles son officecontraint le juge (de l’excès de pouvoir).L’auteur n’est, quant à lui, lié par rien quiressemble aux contraintes mécaniques etmécanistes de l’annulation12, car il n’annulepas (ni ne retire) mais abroge ou modifie. Ilva de soi ainsi que, dans cette opération,l’auteur d’un texte n’est pas tenu derespecter les intentions de sonprédécesseur. Ce que A a fait, B ou C peutle défaire sans être tenu par autre choseque la compétence et le respect des normessupérieures13. Si C abroge B, cela peut êtrefait partiellement ou en totalité sansconsidération de ce qui pour le signatairede B était ou n’était pas divisible. Si teln’était pas le cas, autrement dit si C nepouvait abroger B qu’en totalité, lequel nepouvait abroger A qu’en totalité, etc., lacréation normative serait parfaitementreprésentée par l’une des images du graveuret dessinateur néerlandais M.-C. Escher,qui combinait, par de magnifiques illusionsd’optique, possibilité graphique etimpossibilité logique.

Il n’est pas possible en outre de tirerargument du débat autour des décisionsBargain (Ass., 18 janvier 1980, p. 29) etOrdre des architectes (29 avril 1981, p. 198)sur les effets des déclarations d’illégalité.Si, pour certains, il serait être opportun dedire que A, abrogé par B déclaré illégal, revittant qu’un nouveau texte (C ?) n’est pasintervenu afin qu’il n’y ait pas de « videjuridique », autrement dit de faire produireà une déclaration d’illégalité les mêmeseffets résurrectionnels qu’à une annulationpour éviter ce vide incontestable, tel n’estpas, à coup sûr, l’état du droit, la questionétant, on le sait, « controversée en doctrineet incertaine en jurisprudence14 ».

Produisant un effet qui, à l’image d’autresdispositions transitoires, est temporellementlimité, divisible une fois édictée du reste dutexte pour celui qui voudrait modifier celui-ci, l’abrogation voit sa vie cantonnée à l’instantoù, entrant en vigueur, elle produit son effetmortifère instantané.

Lui promettre la vie éternelle seraitredoutablement dangereux.

Il faudrait en effet admettre – pour se limiterà une abrogation réglementaire – qu’ellepuisse, au moins théoriquement, subir lesassauts des évolutions de fait ou de droit :comment appliquer les jurisprudencesDespujol et Compagnie Alitalia à un articled’abrogation, regardé comme unedisposition à effet permanent ? !

3. On ne saurait passer sous silence pourfinir que le brocart moderne ressuscite unbrocart romain – « abrogata legeabrogante, non reviviscit lex abrogata15 » –dont l’universalité a été perdue de vue.

11 Ou de rejeter la requête comme irrecevable si elleconclut à l’annulation partielle.12 Mêmes enrichies par les possibilités – d’usageexceptionnel – offertes par la jurisprudence AC !qui ne transforme pas les annulations à effet différéen abrogations.13 Sous réserve de la jurisprudence du Conseilconstitutionnel sur l’effet de cliquet.

14 R. Abraham, conclusion Sect., 2 mars 1990,Commune de Boulazac.15 Cité, entre autres, par H Roland lexique juridique« Expressions latines » Litec 2ème édition 2002 ; voirégalement la « Circulaire de légistique formelle »,Conseil d’État de Belgique, novembre 2001 :h t t p : / / w w w. r a a d v s t - c o n s e t a t . b e / ? p a g e =technique_legislative&lang=fr,ou encore :http://wikipedia.sapere.alice.it/wikipedia/wiki/Abrogata_lege_abrogante_non_reviviscit_lex_abrogata,ou encore :ht tp: / /www.hukuki .net /modules.php?name=Encyclopedia&op=content&id=2.

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La « rogatio » était la demande – nousdirions aujourd’hui le projet ou laproposition – faite par le magistrat auxcomices qui, si elle était approuvée,devenait une loi. L’« abrogatio16 » était lademande inverse, celle consistant àsolliciter l’abolition d’une loi, le parallélismeétroit des formes étant une descaractéristiques du droit romain. Dans cetteperspective l’« abrogatio » d’une« abrogatio » n’aurait pas eu grand sens,ni sur un plan procédural, ni sur le fond.

Il semble – pour des raisons que l’auteurn’a pas retrouvées – que de transversal lebrocart se soit réduit au droit pénal, matièreoù il doit à l’évidence régner. Non pas tantcomme le soutenait un pénaliste17 parce quela loi ancienne (A) ayant été abrogée du faitde son imperfection, l’insuffisance de la loinouvelle (B) qui en fait ultérieurementdécider la suppression (par C) ne prouvepas la supériorité de la loi ancienne (A).L’idée d’un progrès normatif estmalheureusement souvent controuvée. Maisparce que cet effet de résurrection pourraitmoins qu’ailleurs être jugé conforme auprincipe de légalité des délits et des peines :faire revivre de vieilles incriminations par leseul effet d’une abrogation présente, on lecomprend, quelques inconvénients.

** *

Une telle convergence peut paraîtresuspecte. Il faut pourtant s’y résoudre : iln’y a pas, pour les normes, d’étatintermédiaire entre la vie et la mort.

Le projet de loi constitutionnelle demodernisation des institutions de laVème République ouvre aux justiciables lafaculté de contester, par voie d’exception,la constitutionnalité des lois promulguées.Dans ce cadre, il est prévu qu’« unedisposition déclarée inconstitutionnelle surle fondement de l’article 61-1 est abrogée

à compter de la publication de la décisiondu Conseil constitutionnel ou d’une dateultérieure fixée par cette décision. LeConseil constitutionnel détermine lesconditions et limites dans lesquelles leseffets que la disposition a produits sontsusceptibles d’être remis en cause. »

… Le débat sur les effets d’une abrogationn’est pas clos !

16 À distinguer de « l’adrogatio » mais non de« l’obrogatio » qui lui est synonyme.17 Roux, Cours de droit pénal (deuxième édition,tome 1, paragraphe 13, page 46, note 8).

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Si la force d’une armée peut se mesurer ennombre de divisions, celle du rédacteurd’une loi ou d’un décret se révèle dans lemaniement des divisions et subdivisions dutexte : parties, livres, titres, chapitres,sections, articles, alinéas et autres I, II et III,1°, 2° et 3° ou a), b) et c).

Ce maniement requiert en effet, en particulierlorsqu’il s’agit de toucher à un texte existantpour le modifier ou le compléter, un certainsavoir-faire et surtout la connaissance desrègles et usages qui prévalent en la matière.Rien d’insurmontable à cet égard, même siles choses ne sont pas toujours aussisimples qu’on pourrait l’espérer.

Ce n’est ainsi qu’assez récemment, par unecirculaire signée du Secrétaire général duGouvernement le 20 octobre 2000, qu’il aété mis fin à ce qu’on avait pu appeler laquerelle (ou même la guerre !) des alinéas.Auparavant, en effet, les services desAssemblées, d’un côté, et le Conseil d’Étatet les administrations, de l’autre, retenaientdes définitions différentes, et donc desmodes de décompte différents, de cettesubdivision des articles de loi, de décret oud’arrêté.

Pour les assemblées parlementaires, il y anouvel alinéa chaque fois que l’on va à laligne ; est donc un alinéa tout mot ouensemble de mots qui commence à la ligne,alors même que ce ou ces mots neconstituent pas, à eux seuls, une phraseet quels que soient les signes deponctuation dont ils sont précédés ousuivis. Pour le Conseil d’État et leGouvernement, on ne changeait d’alinéaqu’en cas de retour à la ligne à la fin d’unephrase complète, donc après un point.

Ainsi, dans un article de loi comportant un« chapeau » (par exemple « L’autorisationest accordée aux demandeurs quiréunissent les conditions suivantes : ») suivid’une énumération composée de troiséléments (1°, 2° et 3° ou a, b et c) marquéspar un retour à la ligne, la première

conception conduit à dénombrer quatrealinéas tandis que la seconde n’en voyaitqu’un seul.

Point n’est besoin d’insister sur lesdifficultés de tous ordres qui résultaient decette agaçante divergence. S’agissant deslois, les projets du Gouvernement transmisau Parlement faisaient l’objet d’unecorrection systématique par les services dela première assemblée saisie. Travail peuexaltant… Surtout, la dualité des règles,selon que le texte était de forme législativeou réglementaire, rendait plus difficilel’accès de tous au droit et pouvait conduireà des incertitudes voire à des erreursd’interprétation chaque fois qu’il était faitréférence à un alinéa désigné par son rangdans l’article. Car poussée jusqu’àl’extrême, cette divergence pouvait conduireà désigner un même alinéa d’un article deloi de façon différente selon que le renvoi àcet alinéa était fait dans une loi ou dans undécret…

Ces inconvénients se sont trouvésaccentués, avec corrélativement un risqued’aggravation de cette querelle restée trèsfeutrée jusqu’alors, par le recours de plusen plus fréquent à la législation parordonnances de l’article 38 de laConstitution, notamment pour procéder à lacodification du droit. La loi n° 99-1071 du16 décembre 1999 qui habilite leGouvernement à procéder, par ordonnances,à l’adoption de la partie législative de neufscodes (dont le code de commerce et le codemonétaire et financier) marque à cet égardun tournant.

C’est pour ces raisons et dans ce contextequ’il a été décidé, en 2000, de fairemouvement : le Conseil d’État puis leSecrétariat général du Gouvernement, parla circulaire du 20 octobre 2000, se sontpurement et simplement ralliés au mode decomputation utilisé par le Parlement. Ladéfinition et le mode de décompte desalinéas sont donc désormais unifiés etvalent pour tous les textes : lois,

Vers une légistique unifiée :l’exemple des alinéas et des paragraphes

Rémi Bouchez,Conseiller d’État

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ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires.Le guide pour l’élaboration des texteslégislatifs et réglementaires reprend, danssa fiche 3.2.2., la substance de la circulairedu 20 octobre 2000 et s’efforce de traiterles difficultés résultant de ce que coexistentencore, dans le droit positif, deuxconceptions de l’alinéa, dont l’une estdevenue caduque.

Si, sous réserve de ces problèmes detransition, la notion d’alinéa et son moded’emploi sont aujourd’hui définis de manièreclaire et unique, il n’en va pas tout à fait demême de celle de « paragraphe ».

L’usage dominant consiste aujourd’hui àréserver ce terme à la désignation desubdivisions fines dans le plan des codes,en dessous de la sous-section. Certainscodes particulièrement volumineux (code decommerce, code général des collectivitésterritoriales, code monétaire et financier parexemple) comportent ainsi, avant d’arriveraux articles, des parties, livres, titres,chapitres, sections, sous-sections, puisdes paragraphes voire des sous-paragraphes.

Cependant, il arrive aussi que l’on désignecomme paragraphes des subdivisionsinternes à l’article commençant par unnuméro ou une lettre : « le paragraphe IV del’article L. 123-5 » ou : « les paragraphes 1°à 4° ci-après ». Cela n’est pas àrecommander, car on arrive plus simplementau même résultat en écrivant : « le IV del’article L. 123-5 » ou : « les 1° à 4° ci-après ». On trouve enfin parfois des textesréglementaires ou des circulaires quiemploient le terme de paragraphe au sensd’alinéa.

Ces petites incertitudes ou variations ne vontpas dans le sens de la simplicité mais ellesn’ont pas une très grande importance, carelles n’opposent pas les tenants depratiques différentes et ne se traduisentgénéralement pas, au sein d’un mêmetexte, par des risques de confusion oud’incompréhension. La question est doncde savoir si l’on peut s’en accommoderdurablement ou s’il faudrait un jour fixer leschoses plus nettement. Mais ce qui estcertain c’est que, dans cette secondehypothèse, la définition et le mode d’emploi

« légistiques » du paragraphe devraient,pour que la démarche ait un sens et quelqueutilité, être uniques et partagés.

** *

Quels enseignements tirer de ce quiprécède ?

D’abord que ces passionnantes questionsd’alinéas, paragraphes et autres subdivisionsmontrent que la « légistique formelle », cellequi s’intéresse aux techniques de rédactionet de présentation des textes normatifs, estfaite en grande part de pures conventionsd’écriture, dont le mérite principal estd’exister.

Relèvent par exemple de telles conventions,outre les règles de subdivision des textes(fiche 3.2.2. du guide), celles relatives à leurintitulé (fiche 3.1.3.), celles relatives à larédaction et l’ordre des visas dans lestextes de forme réglementaire (fiche 3.1.5.),celles relatives aux techniques demodification d’un texte existant(fiche 3.4.1.) ou encore les règles dedésignation des articles au sein des codes(classés en LO, L, R*, R, D*, D, voire Aselon le niveau du texte : fiche 1.4.2.).

Une fois fixées et connues, ces conventions,qui peuvent avoir des aspects arbitraires(comment départager sur le fond les deuxconceptions de l’alinéa mentionnées plushaut ?), apportent des solutions pratiqueset communes à ceux qui élaborent destextes et leur font gagner du temps en leurévitant de se poser des questions à chaquepas. Elles facilitent ainsi la rédaction deslois et décrets mais aussi leur lecture etleur interprétation et limitent les ambiguïtéset les risques d’erreur.

Certes, la stricte application de ces règleset recommandations légistiques est denature aussi à brider la liberté desrédacteurs et à aboutir à une formehomogène et répétitive des textes normatifs.Mais les auteurs d’une loi ou d’un décret,ou même d’une circulaire, doiventrechercher la clarté et l’intelligibilité, gagesde la sécurité juridique et de la bonneapplication du droit, plutôt que l’originalitéet la qualité littéraire.

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Seconde idée, qui découle largement de laprécédente : il y a grand avantage à faireconverger les façons de faire, dans le sensd’une technique légistique unifiée.

L’élaboration d’un texte normatif est presquetoujours un travail collectif, qui fait intervenirsimultanément ou successivementplusieurs contributeurs. Ainsi, pour une loiissue d’un projet gouvernemental :ministère, Secrétariat général duGouvernement, Conseil d’État, Assembléenationale, Sénat. Certains textes, commeles arrêtés ministériels, sont signés etpubliés après un circuit beaucoup plus court,mais il est cependant rare qu’ils soient dela plume d’un seul rédacteur.

Dans un cas comme dans l’autre, etprécisément parce qu’il ne s’agit que deconventions qui, comme telles, necoïncident pas nécessairement avecl’intuition des rédacteurs, la définition etl’application de règles et recommandationsde rédaction des textes normatifs netrouvent tout leur intérêt que si elles sontcommunes, stabilisées, connues etrespectées.

On évite ainsi que les uns défassent etrefassent le travail des autres, que lesprésentations varient selon les catégoriesde textes et selon leurs auteurs et, endéfinitive, que les usagers, qui ont souventfort à faire avec le fond du droit et seschangements incessants, puissent êtreperturbés par sa forme.

** *

Les considérations qui précèdent sont, engrande part, à l’origine du guide pourl’élaboration des textes législatifs etréglementaires, souvent appelé guide delégistique.

Ce guide est une réalisation conjointe duSecrétariat général du Gouvernement(SGG), qui en a eu l’initiative, et du Conseild’État. Ces deux institutions, qui ontl’habitude de travailler ensemble,disposaient, chacune de son côté, d’outilsde travail comportant des recommandationsrelatives à la présentation et à la rédactiondes textes : circulaire dite « rouge » duSGG, relative « aux règles d’élaboration, de

signature et de publication des textes et àla mise en œuvre de procéduresparticulières incombant au Premierministre », dont la version initiale datede 1985 et qui avait été remaniée par lacirculaire du 30 janvier 1997 avant d’êtremise en ligne, en 2003 ; mémento à l’usagedu rapporteur devant les formationsadministratives, actualisé en 2000, du côtédu Conseil d’État.

Fort heureusement, et ce n’était pas le fruitdu hasard, les règles et recommandationsénoncées dans ces deux documentsétaient très largement convergentes etmême le plus souvent strictementidentiques.

Cependant, la démarche qui a conduit àl’édition du guide de légistique, outil detravail et « référentiel » commun, et qui sepoursuit avec sa mise à jour régulière, a eupour objet d’aller beaucoup plus loin dansla définition d’un corpus unique de règles àappliquer par les rédacteurs, en précisantdes points qui ne l’étaient pas encore oupas suffisamment et en résorbant lesquelques petites divergences ou incertitudesqui pouvaient subsister entre le SGG et leConseil d’État voire entre les sectionsadministratives de celui-ci.

La mise à jour du guide, fiche par fiche pourson édition en ligne ou plus globalement àl’occasion de chaque édition papier, se faitégalement conjointement : les modificationsou développements nouveaux sontsuggérés et préparés tant par le Secrétariatgénéral du Gouvernement, qui accomplitl’essentiel du travail à cet égard, que par leConseil d’État. Ils font ensuite l’objet d’unerelecture et d’une double validation grâcenotamment, du côté du Conseil d’État, auréseau des « correspondants Légistique »désignés dans chacune des quatre (cinqdésormais) sections administratives.

Notons au passage parmi les changementsretenus d’un commun accord à l’occasionde la deuxième édition du guide par laDocumentation française et en s’en tenantà la « légistique formelle » et à sesconventions, dont il est ici question :l’abandon de l’usage consistant àmentionner, dans la limite de trois, lesmodifications des textes figurant dans lesvisas d’une ordonnance ou d’un décret(fiche 3.1.5.) et la simplification de l’intitulé

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des textes modificatifs par la suppression,sauf exception, de la mention du textemodifié (fiche 3.1.3.).

Mais cette collaboration ne reste paspurement bilatérale. Elle s’est élargiedès 2005 aux services des assembléesparlementaires, qui ont été rendusdestinataires d’un avant-projet de lapremière version du guide et ont pu fairevaloir, sous la plume de leur Secrétairegénéral, des observations et suggestionsdont la plupart ont été intégrées dans laversion finale du guide. De nouveaux travauxconjoints et « tripartites », entreprisrécemment, devraient accentuer ces effortsd’unification et d’amélioration de latechnique légistique, notamment parl’identification des divergences pouvantexister encore et la recherche des solutionsà leur apporter.

C’est une contribution modeste maisconcrète qui est ainsi apportée au vastechantier de l’amélioration de la qualité dudroit.

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En France, la « légistique » ne fait pasl’objet d’une formation universitaire2. Uneseule formation dédiée pour lesfonctionnaires de l’État existe à l’Écolenationale d’administration3. Cette carenceest d’autant plus préoccupante que laFrance, ne dispose pas comme le Canada,de légistes spécialisés dans la rédactiondes textes : tous les agents publics sontcensés maîtriser un art qu’ils n’ont jamaisappris.

Cette relative carence, pourrait s’expliquerd’abord, par le lien historique qui lie enFrance l ’édif ication de l ’État, lacentralisation administrative et l’usageobligatoire d’une langue unique. Depuisl’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539,le français est imposé dans tous les actesofficiels. Son monopole en France et sarelative suprématie en Europe ontlongtemps laissé la France ignorante descontraintes du multilinguisme dans larédaction des normes publiques, dontétaient familiers des États comme laSuisse, la Belgique et le Canada où lalégistique est une matière d’enseignementreconnu. L’influence de l’anglais dansl’élaboration du droit européen, croissanteavec les élargissements successifs del’Union européenne, met en évidence leretard français dans l’usage des techniquesdu jurislinguisme4. La seconde cause de

cette carence pourrait être le fait que lesavoir-faire français en matière derédaction des textes s’est largementfocalisé sur l’art de la codification.

La pratique française de la codificationrepose sur plusieurs paradoxes. Le premierest qu’inaugurée il y a plus de deux siècles,la codification est pourtant, en 2008,toujours en chantier. Le second est ladistance entre l’enthousiasme desGouvernements et des juristes français pourcette technique qu’ils veulent universelle etle peu d’écho que la codification rencontredans les autres États, malgré l’intérêt polique manifeste l’Union européenne. Ledernier de ces paradoxes n’est pas lemoindre : i l oppose l’objectif de lacodification – l’intelligibilité du droit – et sesconséquences : l’inintelligibilité croissantede la loi.

Le lien historique en France entrecodification et communication politique (1.)explique la place particulière qu’y tient lacodification (2.).

Les conséquences ambivalentes dudéveloppement de la codification surl’ intelligibil ité de la loi (3.) rendentnécessaire de définir les conditions d’unebonne utilisation de la codification (4.).

1. Le lien historique entrecodification et communication

1.1. Le mot code vient du latin « codex »,qui signifie le recueil. Il se définit commel’ensemble des lois et dispositions légalesrelatives à une matière spéciale5. C’est unensemble cohérent et écrit de normesclaires conçues comme définitives et

Apports et limitesde la codification à la clarté de la loi :

les enseignements de la pratique française1

Catherine Bergeal,Conseiller d’État,

Directrice des affaires juridiques

1 Cet article est la version remaniée d’unecommunication faite en 2006 à l’institut canadiend’administration de la justice lors du colloque « Ledroit pluriel, un défi singulier ».2 Le travail de Karine Guilbert est, en 2007, lapremière thèse universitaire consacrée à ce sujet.Voir l’article de l’auteur dans cette revue.3 Il faut citer aussi quelques formations assezéparses au sein des instituts régionauxd’administration.4 Pour comprendre l’apport des contraintes dumultilinguisme à la clarté de la rédaction voir l’articlede Gilbert Lautissier dans cette revue. 5 Dictionnaire Le petit Robert 1978.

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impératives, publiées et sanctionnées6.Codifier « ce n’est pas compiler ou empiler,ce n’est pas mettre bout à bout des textesdans un ordre quelconque comme le fontcertains éditeurs privés, c’est regrouper destextes normatifs dans un ensemblecohérent

7 ».

1.2. Ainsi entendue, la codification a dessources historiques fort anciennes. On citetraditionnellement les 282 articles du coded’Hammourabi au 17ème siècle avant JC ; lesTables de la loi que Moise rapporte du montSinaï

8 constituent déjà un code, dont le livredu Lévitique pourrait constituer la partieréglementaire.

On distingue, en général, deux types decodification. Le premier est celui de lacodification qui réforme, c’est-à-dire qui créeun droit nouveau : c’est la codification detype napoléonien. Le second est celui dela codification qui reforme, c’est-à-dire quirestructure, sans le modifier, le droit déjàexistant. La frontière entre les deuxcatégories a cependant toujours étéfluctuante.

Pour le codificateur historique, que ce soitHammourabi, l’empereur romain Justinienou le consul Bonaparte, la codificationremplit, d’abord, une fonction politique : lacodification est une prise de pouvoir. Lecodificateur affirme son autorité sur sessujets en leur dictant sa loi, qui l’emportesur les droits divers, en particulier les droitscoutumiers. Il a dès lors l’obligationd’exhaustivité : le code opère un partagedéfinitif entre ce qui est la loi (le contenu ducode) et ce qui n’existe plus (tout ce quin’est pas dans le code).

Le codificateur écarte la loi étrangère etimpose la sienne : c’est ainsi que Napoléonimpose les codes français aux Étatseuropéens occupés. Le codificateur veut

écarter toute interprétation qu’il nemaîtriserait pas, et en particulier celle destribunaux ou des légistes. Un code se suffità lui-même9. La codification est uninstrument de dialogue direct, sansintermédiaire, entre le pouvoir politique quidicte sa loi et le citoyen qui, désormaiséclairé, n’a plus qu’à exécuter.

Clarté et codification sont doncconsubstantielles : la clarté est un moyenau service du pouvoir central qui impose savolonté au citoyen et aux juristes. C’est bienpourquoi elle peut rencontrer quelquerésistance : ainsi que l’analysait Alexis deTocqueville dans son « Voyage enAmérique » au 18ème siècle.

« Les légistes américains font en généraldes éloges emphatiques du droit coutumier.Ils s’opposent de toutes leurs forces à lacodification, ce qui s’explique de cettemanière : 1) si la codification avait lieu, illeur faudrait recommencer leurs études ;2) la loi devenant accessible au vulgaire,ils perdraient une partie de leur importance.Ils ne seraient plus comme les prêtres del’Égypte, les seuls interprètes d’une scienceocculte » (« Voyage en Amérique »,Tocqueville, collection la pléiade tome 1,p. 320).

1.3. L’histoire de la codification en Franceest liée à l’histoire de l’édification de l’État :le premier code français identifié date du15ème siècle10. Mais c’est l’époquerévolutionnaire qui ouvre le chantier généralde la codification que, depuis lors, lesGouvernements français n’ont jamaisabandonné.

6 Discours d’Alain Plantey, conseiller d’État, àl’Académie des sciences morales et politiques, dontil est membre, à l’occasion du bicentenaire du codecivil.7 Guy Braibant, conseiller d’État, président de lacommission de codification, « La problématique dela codification », in « Savoir innover en droit »,Hommage à Lucien Mehl, La Documentationfrançaise, 1999.8 Exode, chapitre 34, verset 6.

9 Ce qui est, à l’évidence une illusion. Les codessuscitent immédiatement des commentaires. Tousles utilisateurs en France d’un code, qu’ils soientmagistrats, juristes ou étudiants n’utilisent jamaisles codes bruts du Journal officiel, mais les codesdit annotés des éditeurs privés, enrichis dejurisprudence.10 L’ordonnance de Montils-les-Tours, en 1453,recense et rédige les différentes coutumes deFrance. Par l’ordonnance de Blois, en 1579, le roiHenri III ordonne le recueil complet des édits etordonnances du royaume de France. Le premiercode véritablement novateur, c’est-à-dire qui ne soitpas une simple compilation des textes existants,mais une réorganisation de l’ensemble du droit, estl’ordonnance royale de 1673, dite code marchandou code Savary, du nom du ministre responsable.

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Le premier objectif des révolutionnaires estcelui d’être entendu par le peuple.L’article 19 de la loi des 16 et 24 août 1790dispose : « les lois civiles seront revues etréformées par les législateurs et il sera faitun code général des lois simples, claireset appropriées à la Constitution11 ». Lescodes napoléoniens12 promulgués de 1804à 1811 sont directement issus des travauxrévolutionnaires.

Depuis la période révolutionnaire,l’entreprise française de codification nes’est jamais arrêtée, même si elle a connudes périodes de sommeil13.

Elle a, au cours du 20ème siècle, changé designification politique. Lorsqu’en 1995, leGouvernement se donne l’objectif utopiquede codification totale, la codification estalors promue comme remède aux maux dela prolifération et de l’instabilité législative.La codification n’est plus au service dupouvoir, elle est désormais conçue commeun instrument au service du citoyen et unoutil de la réforme de l’État.

2. La place actuelle de la codifi-cation en France

2.1. On est entré, depuis 1995, en Francedans une nouvelle ère de la codificationtriomphante. C’est en effet, lors d’unséminaire consacré à la réforme de l’Étaten septembre 1995, que le Gouvernementdécide d’achever la codification del’ensemble des lois et règlements dans ledélai de cinq ans14.

L’objectif alors proclamé est de faciliter « lamise en œuvre du principe selon lequel nuln’est censé ignorer la loi et de permettreaux citoyens, aux élus, aux fonctionnaires,aux entreprises de mieux connaître leursdroits et obligations ».

La consécration politique s’accompagnait,peu après, de l’élévation au rang de principeconstitutionnel donné, par une décision du13 décembre 1999, par le Conseilconstitutionnel15 en jugeant que « lacodification répond à l’objectif de valeurconstitutionnelle d’accessibilité etd’intelligibilité de la loi 16 ».

2.2. La relance effective de la codificationest le résultat de deux décisions politiques :la création d’administrations dédiées et lechoix du recours aux ordonnances.

Le rôle de la commission de codification17,placée auprès du Premier ministre, a étédéterminant, bien qu’elle n’ait en charge quela programmation des travaux et le suivi deleur avancement, laissant chaque ministèreen charge, sous son contrôle, des travauxde codification. Tout aussi importante a étéla constitution d’équipes dédiées au seinde chaque ministère, en général rattachéesà la direction en charge des affairesjuridiques18.

Renonçant, par ailleurs, à solliciter unlégislateur peu enthousiaste pour cestravaux d’ampleur souvent considérable, à

11 Les révolutionnaires se fixent comme objectif de« rédiger un code succinct et complet des loisrendues jusqu’à ce jour, en supprimant celles quisont devenues confuses ».12 Code civil 1804 ; code de procédure civile 1806 ;code de commerce 1807 ; code d’instructioncriminelle 1808 ; et code pénal 1811.13 Elle est périodiquement relancée en particulieren 1948. La codification a connu un changementde statut décisif en 1989 avec la création d’uneinstitution permanente dédiée : la commission decodification à laquelle la très longue présidence duconseiller d’État Guy Braibant (1989 à 2005) a donnéla légitimité nécessaire pour contraindre lesadministrations à ce travail long et fastidieux.14 Circulaire du 30 mai 1996 relative à la codificationdes textes législatifs et réglementaires.

15 Voir aussi : n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 ;n° 2004-500 du 29 juillet 2004.16 Voir dans cette revue l’article de Marc Guillaume« Légistique et constitution ».17 Décret n° 89-647 du 12 septembre 1989. Lacodification a connu un changement de statut décisifen 1989 avec la création de cette institutionpermanente dédiée. La longue présidence duconseiller d’État Guy Braibant (1989 à 2005), ancienPrésident de la section du rapport, a donné àl’institution la légitimité nécessaire pour contraindreles administrations à ce travail long et fastidieux.Le choix comme successeur de l’ancien Présidentde la section du Contentieux du Conseil d’État DanielLabetoulle, en 2005, garantit la pérennité del’institution. Voir les rapports annuels publiés à laDocumentation française.18 Sur le nouveau rôle des directions des affairesjuridiques dans la rédaction des textes, voir l’éditorialde Serge Lasvignes dans la présente revue.

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partir de 1999, le Gouvernement décida derecourir, avec l’aval du Conseilconstitutionnel, aux délégations législativespermises par l’article 38 de la Constitution.L’utilisation des ordonnances a permisd’accélérer considérablement le rythme dela codification19.

2.3. Enfin une doctrine générale de lacodification se dégageait qui seraformalisée par une circulaire du Premierministre en 199620.

Cette doctrine a longtemps reposé sur leprincipe d’une codification « à droitconstant », « sous réserve des modificationsnécessaires pour améliorer la cohérencerédactionnelle des textes rassemblés,assurer le respect de la hiérarchie desnormes et harmoniser l’état du droit », selonles termes consacrés par la loi du 2 avril2000 relative aux droits des citoyens dansleurs rapports avec l’administration.

Elle impose, d’abord, un travail de nettoyagejuridique. Le codificateur vérifie la validité desnormes à codifier, abroge les lois devenuesobsolètes ou contradictoires qui seraientcontraires à la Constitution de 1958 ou à desengagements internationaux de la France,et séparent dispositions législatives etréglementaires.

La codification est, ensuite, un travail surle langage du droit. Le codificateur supprimearchaïsmes ou concepts légaux disparus,rectifie syntaxe, vocabulaire, ponctuation etapplique les normes modernes de rédactionlégislatives, par exemple en remplaçant letemps futur par le temps présent.

La codification est enfin, une techniqued’écriture méthodique. Le code français estun jardin à la française : ordonné, logique,

prévisible. Parties en L et R se déclinent àl’infini suivant l’ordre décimal et se répondenten miroir par le numéro d’article qui désigneà chaque disposition, sa place, au sein d’unlivre, d’un titre et d’un chapitre. Le code estle triomphe de l’esprit cartésien, et del’influence du droit romain. À l’opposé de lacommon law, il fixe des normes abstraitesqui se déclinent du général au particulier etdivise, comme la pensée cartésienne,chaque champ exploré, jusqu’à la pluspetite partie intelligible, l’article.

Le bilan actuel est de 68 codes promulgués,regroupant un peu moins de 100.000 articleslégislatifs et réglementaires et se déclineselon l’ordre alphabétique du site Légifrance,du code de l’action sociale et des famillesau code de la voirie routière.

La codification est un processus sans fin :les codes doivent être complétés de leurpartie réglementaire, qui tarde trop souvent.Le temps que soit élaborée cette partieréglementaire, la partie législative a souventévolué dans des proportions parfoisconsidérables21. La pratique a, en outre,montré l’impérieuse nécessité de procéderà une révision régulière des codes achevés,qui se dégradent en vieillissant

22. Or, àmesure que la codification progresse – elleatteint désormais près de 70 % de lalégislation23 – des doutes apparaissent, nonseulement sur la possibilité d’atteindrejamais l’objectif fixé en 1995 – lacodification intégrale –, mais même surl’opportunité de poursuivre un tel objectif.

19 L’accélération de la codification s’était heurtée,en effet au goulot d’étranglement de l’ordre du jourencombré des assemblées parlementaires. Elles’était heurtée aussi à la répugnance desparlementaires à voter un ensemble de dispositionslégislatives, sans pouvoir les amender, en particulierlorsqu’il contenait des dispositions autrefoiscombattues. En 1994, l’Assemblée nationale en étaitmême venue à rejeter le code du commerce qui luiétait soumis.20 Circulaire du 30 mai 1996 publié au Journal officieldu 9 juin 1996.

21 L’avancement de la partie réglementaire peutimposer d’ailleurs que soit modifiée la partielégislative, par exemple lorsqu’un chapitreréglementaire imprévu s’impose qui n’a pas decorrespondant législatif. La commission decodification impose alors que soit créé un chapitrelégislatif vide, avant l ’adoption de la partieréglementaire.22 Les codes se dégradent notamment parce queles règles qui ont présidé à leur confection sontrarement exactement observées lorsqu’ils sontmodifiés : le législateur légifère dans le domaineréglementaire, les principes des numérotationsfluctuent. Certaines doctrines elles même decodification évoluent : ainsi, alors que la règle étaitde séparer en parties différentes décrets en Conseild’État et décret simple (partie R et partie D), lapratique les regroupe désormais dans une mêmepartie.23 Certains domaines comme le domaine social sontentièrement codifiés.

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3. La codification contre l’intelli-gibilité de la loi

Le succès même de la codification met enévidence les limites d’une codificationintégrale. Dans la doctrine, quelques voixdiscordantes ont commencé de se faireentendre sur la limite des bienfaits de lacodification24.

Force est aujourd’hui de constater que lacodification peut paradoxalement contribuerà l’inintelligibilité de la loi : inintelligibilité tantpour le rédacteur, que pour l’hommepolitique, pour le citoyen et pour l’utilisateur.

3.1. La loi inintelligible au rédacteur

Il faut désormais gérer les conséquencesdu succès de la codification : c’est-à-direl’intervention d’une loi nouvelle dans unchamp réglementaire entièrement codifié.L’extension continuelle du champ de lacodification rend, en effet, de plus en plusrare les cas où le rédacteur n’a pas à insérerle nouveau texte dans un code déjàexistant25. Or, l’insertion dans un code estune opération technique complexe : il faut,par exemple, savoir faire de la place au seindu code aux nouvelles dispositions, et gérerles renvois multiples et inévitables desarticles les uns aux autres à l’intérieur ethors du code.

Ces difficultés sont sources d’erreurs quivont croissant. Elles sont favorisées par lefait qu’en dehors des toutes petites équipesdédiées à la codification, les agents publicsne sont pas familiers des techniques decodification auxquelles ils sont pourtantdésormais systématiquement confrontés. Iln’est donc pas surprenant de constater queles règles de codification sont parfoisperdues de vue dans l’évolution du code,

malgré les consignes diffusées par lacommission de codification. Le jardin à lafrançaise prend, avec les années, desallures de parc à l’anglaise.

Des erreurs de rédaction peuvent, ausurplus, naître de l’utilisation par le rédacteurd’un code qui n’est pas à jour. Le risquenait de la rapidité avec laquelle certaineslégislations sont modifiées. Lesadministrations et les parlementairesutil isent, en pratique, des codescommentés, c’est-à-dire des codesauxquels les éditeurs privés ont adjoint descommentaires et de la jurisprudence. Or,compte tenu du délai d’édition, les codesde l’année peuvent ne pas être à jour. Il fautalors recourir au site public Légifrance, quicontient, lui aussi quelques erreurs. Il a puainsi arriver que le même emplacementdans un code soit util isé pour desdispositions différentes26. Ces erreurs sontévidemment peu propices à la clarté de la loi.

La codification peut même favoriser laprolifération des dispositions législatives.C’est ainsi que le texte de la loi n° 2008-126du 13 février 2008, relative au service publicde l’emploi, a dû doubler son volume pourécrire la nouvelle loi dans le code du travailalors en vigueur, et en même temps danscelui du nouveau code entré en vigueur le1er mai 2008.

3.2. La loi inintelligible au politique

La plupart des lois nouvelles se présententdésormais comme une modification d’un oude plusieurs codes. La règle de rédactionveut que l’ordre des articles de la loimodificatrice suive l’ordre des articles duou des codes modifiés par ordre croissant.L’ordre des débats parlementaires devraitêtre, en principe, le même.

24 Voir notamment : « Le code Napoléon, un ancêtrevénéré ? » Mélanges offerts à JacquesVanderlinden 2005, et les articles d’Hervé Moysan,dont « La consolidation des codes, lois décrets :position doctrinale d’éditeurs ou devoir de l’État »,dans la revue « Les petites affiches », 29 septembre2005, n° 194, pages 11 et suivantes, et labibliographie qu’il cite. Voir aussi son article« Normatif et non normatif : la fréquente confusiondes pouvoirs publics » dans la présente revue.25 En outre, lorsque le texte à modifier n’est pasencore codifié, le rédacteur se voit le plus souventdans l’obligation de codifier la loi, en même tempsqu’il la modifie.

26 Le Conseil d’État a exceptionnellement accepté,de considérer dans ses fonctions consultatives que« des articles ayant reçu par erreur les mêmesnuméros mais contenus dans des chapitresdifférents ont coexisté dans la partie réglementairedu code de la santé publique, malgré cettecirconstance, il y a lieu de considérer que lesderniers articles intervenus n’ont pas abrogé lesprécédents » (CE, section sociale, n° 357743, 3 mai1995). Au contentieux, il a aussi accepté de modifierla numérotation erronée d’un renvoi (CE, 25 mars2002, Caisse d’assurances accidents agricoles duBas-Rhin). Est-il besoin de souligner le risqued’incertitude juridique pesant sur les citoyens ?

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Cet ordre ne convient en général, ni auxparlementaires ni au Gouvernement, parcequ’il ne permet pas de mettre en évidencel’articulation politique du texte et qu’il rendmême parfois le texte difficilementcompréhensible. En outre, le débat politiquelui-même se trouve encombré d’unappareillage technique assez difficile àmanipuler et encore plus à discuterpubliquement.

Deux tactiques sont alors utilisées :

• lorsque la loi à modifier n’est pas encorecodifiée, le ministre rapporteur de laloi demande que la codification ne soitfaite qu’après le vote de la loi par leParlement

27 ;

• si le code existe déjà et que l’insertionest, par conséquent, inévitable, lesarticles de la loi sont souvent regroupésdans un ordre différent de celui de lanumérotation du code, mais qui donneun sens politique à la discussion auParlement.

Pourtant, les ministres, en France, sontfriands des codes et se les approprientvolontiers. En principe, certes, aucun coden’appartient à un ministère. Dans la réalité,chaque ministre tient à « son » code et lepérimètre des codes peut faire l’objet deconflits aigus28. En réclamant la créationde « son » code, le ministre favorise, defait, la parcellisation et, par suite, lamultiplication des codes.

C’est en quelque sorte, la résurgence de lafonction archaïque du code – celled’instrument du pouvoir politique –, audétriment de sa fonction moderne – celled’instrument de lisibilité de la loi au bénéficedu citoyen.

3.3. La loi inintelligible au citoyen

La loi nouvelle, telle qu’elle est publiée auJournal officiel, est devenue illisible.

La loi se présente, en effet, désormaiscomme un amalgame de dispositionsmodificatrices de plusieurs codes dontseules le titre et les intertitres permettentde saisir le sens. Un exemple récentpresqu’au hasard : l’article Ier de la loin° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réformede la protection juridique des majeurs estainsi rédigé :

« Art. 1 – Le livre Ier du code civil est ainsimodifié :

1° Les articles 476 à 482 deviennent lesarticles 413-1 à 413-7, et l’article 487devient l’article 413-8 ;

2° Dans l’article 413-5 tel qu’il résulte du 1°,la référence à l’article 471 est remplacéepar la référence à l’article 514 ;

3° Le titre XII devient le titre XIII29. »

Qui peut prétendre que le citoyen lecteurne sera pas rebuté dès le premier articlede la loi ?

Certes, cette difficulté n’est pas laconséquence de la seule codification. Toutemodification d’une disposition législativedéjà existante, toute insertion dans une loimême non codifiée la suscite. Elle estcependant particulièrement marquée dansle cas de la codification, en raison desappareillages techniques qui l’entourent etde l’utilisation de numérotation en trois, etdésormais quatre chiffres. Il est devenufréquent que les lois, telles celle du 5 mars2007, commencent par un article 1er

consacré à des déplacements et desrenumérotations d’articles et de chapitres,qui peuvent atteindre une demi-page auJournal officiel 30.

La loi n’est rendue compréhensible que parl’œuvre de consolidation. Or cette œuvrede consolidation, essentielle à la

27 Ainsi le ministre de la défense a-t-il retardél’insertion programmée du statut général desmilitaires voté en 2005 et de la loi sur les réservesvotée en 2006 au sein du code de la défensepourtant promulgué en décembre 2004. Ces deuxlois ont été votées par le Parlement sans êtrecodifiées et autorisation a été donnée auGouvernement de procéder ultérieurement à lacodification par ordonnance.28 Voir, pour un exemple parmi de nombreux autres,le conflit entre le ministre de l’intérieur et celui de ladéfense pour la codification de la législation sur lesarmes dans le code de la défense ou le code de lasécurité intérieure. Les arbitrages de compromisrendus ne sont pas tous favorables à la lisibilité dela législation.

29 Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 disponible surwww.legifrance.gouv.fr.30 Par exemple : loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991relative à la formation professionnelle.

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compréhension, n’est pas garantie parl’État. Elle est assurée par des éditeursprivés, parfois avec de manière différente etpar le site Internet public Légifrance, sansrésultats garantis et non sans quelqueserreurs.

L’illisibilité peut même atteindre le code lui-même. Certains codes, constituésd’ensembles massifs et indigestes,paraissent plus faits pour l’usage del’administration que pour le citoyen31 : voirpar exemple, le code général descollectivités territoriales.

La codification n’a nullement fait obstacle,ensuite, à l’inflation législative : 10 % desarticles d’un code sont modifiés en moyennechaque année. Depuis sa création,3.000 des quelques 4.500 articles du codegénéral des collectivités territoriales ont étémodifiés32.

Dans ces conditions, le citoyen se retrouvedifficilement dans un code dont il ne lui estpas garanti, au surplus, qu’il est à jour. Pire,certaines dispositions du code peuvent avoirdes versions différentes selon les éditeurs.L’entreprise de consolidation est, en effet,d’une telle complexité qu’aucune édition nepeut être considérée comme entièrementfiable, pas même Légifrance33. Certes, cesdivergences ne concernent qu’un nombretrès limité de dispositions. La seule

possibilité, cependant, de leur existencefragilise la crédibilité de chaque article, dèslors que la répartition de ces erreurs estaléatoire.

3.4. La loi inintelligible au praticien

La codification cache aussi, pour l’utilisateurprofessionnel, plusieurs pièges.

La codification signifie, d’abord, disparitiond’une identification familière. L’utilisateurdoit s’habituer à une nouvelle numérotationdifférente, parfois difficile à mémoriser(citons par exemple l’article L. 4532-45).Passe encore s’il ne s’agit que des’habituer à une nouvelle numérotation, sicelle-ci est destinée à rester aussiimmuable que le célèbre article 1382 ducode civil. Mais encore faut il que cettenumérotation ne soit pas remise en causeultérieurement. Or la pratique de ladénumérotation, c’est-à-dire la pratique quiconsiste à modifier les numéros d’une séried’articles pour faire de la place à denouvelles dispositions est assez répandue,malgré toutes les recommandationscontraires de la commission de codification.

La codification emporte, ensuite, perte dela chronologie. Un code n’a aucuneépaisseur historique : les dispositionsabrogées disparaissent à jamais34. Seulesfigurent au code les dispositions en vigueur,comme si elles avaient toujours été de touttemps les mêmes. Le code repose sur unefiction : il est atemporel. Or l’utilisateur, qu’ilsoit juriste, magistrat, historien, étudiant,a besoin des versions successives d’unedisposition. La pratique des tables deconcordance est extrêmement difficile etsource de nombreuses erreurs pour lepraticien ; elle est, reconnaissons-le, quasiincompréhensible pour le citoyen.

La codification ignore, aussi les dispositionstransitoires. Le code est atemporel, on l’adit. Les dispositions transitoires, rien moinsle plus souvent que la date et les modalitésd’entrée en vigueur des nouvellesdispositions ne sont jamais dans le code :elles sont demeurées dans la loi initiale. Il

31 Voir les exemples donnés dans le discours duconseiller d’État, Alain Plantey, à l’Académie dessciences morales et politiques dont il est membre, àl’occasion du bicentenaire du code civil.32 La codification au sein du code de l’entrée et duséjour des étrangers et du droit d’asile del’ordonnance du 2 novembre 1945 relative auxconditions d’entrée et de séjour des étrangers enFrance n’a en rien freiné l’ardeur du législateur àmodifier les règles du séjour des étrangers chaqueannée (voir la dernière modification dans le projetde loi de modernisation de l’économie adopté par leConseil des ministres en avril 2008).33 Un exemple particulièrement source d’erreurs pourle rédacteur : la computation des alinéas. Mêmerésolu le problème de la divergence entre leParlement et le Conseil d’État – voir l’article de RémiBouchez dans cette revue –, il reste qu’il arrivequ’une saisie maladroite sur Légifrance compactedeux alinéas en un seul ou au contraire, par unretour à la ligne facheux, crée deux alinéas où il n’yen avait qu’un et les renvois faits par d’autres lois àces alinéas deviennent fantaisistes. Seule la lecturedu Journal officiel permet de prendre consciencede l’erreur, qui n’est pas toujours évidente.

34 Voir, sur les conséquences définitives del’abrogation, l’article de Nicolas Boulouis, « ABC del’abrogation », dans cette revue.

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faut donc songer à se reporter à la loi initialeou là encore, compter sur les éditeurs privéspour mentionner ces dispositionstransitoires, en note de commentaire sousl’article du code publié.

Certaines techniques, enfin, de lacodification se sont révélées directementcontraires aux objectifs de lisibilité et desécurité juridique. Tel est le cas de latechnique sophistiquée du code pilote35.

Le souci d’exhaustivité a conduit, en effet,à des effets pervers : le premier est legonflement exagéré des codes, dontcertains se nourrissent d’un nombreimportant de dispositions exclusivement« suiveuses ». Ensuite et surtout, leserreurs se sont multipliées du fait del’insuffisance de la maintenance des codes.On a vu des dispositions suiveuses omettrede recopier les modifications portées auxdispositions pilotes, voire les modifier : sibien qu’un même article d’un code pilotepeut avoir des rédactions différentes selonles codes suiveurs36.

Ces dérives ne doivent pas conduire àrenoncer à la politique de codification, maisà en avoir une conception peut être plusmodeste que celle qui prévalait en 1995.

4. Une codification modeste

4.1. L’impossible renoncement

Un constat s’impose, dès l’abord : il estimpossible d’abandonner la codification. Ceserait, en effet, perdre le bénéfice de deuxsiècles de travail continu.

Il faut, cependant, être conscient qu’il s’agitd’un travail de Sisyphe. L’horizon glorieuxd’une codification totale, annoncé en 1995,

n’existe pas. Il est possible qu’on s’approche,en 2008, d’une limite indépassable :l’abandon du code de l’administration, untemps envisagé, pourrait en être un signe.

Le rayonnement international de lacodification française présentée commemodèle n’a, d’ailleurs, en rien été diminué.La codification est toujours à l’ordre du jourde l’activité réglementaire européenne,même si le nombre des colloques qui luisont consacrés parait inversementproportionnel aux progrès qu’elle fait dansla législation européenne.

4.2. Une pratique plus souple

Il faut, d’abord, renoncer à tout codifier. Forceest de constater que certaines grandes loisn’ont pas besoin d’être codifiées, parcequ’elles sont parfaitement connues et del’utilisateur et du citoyen et constituent enelles-mêmes autant de « mini codes » : loidu 1er juillet 1901 sur les associations, loidu 9 décembre 1905 sur les cultes, loi du6 janvier 1978 dite informatique et libertés,loi du 17 juillet 1978 dite d’accès auxdocuments administratifs. La commissionde codification a renoncé à créer un codeadministratif

37 qui aurait codifié ces lois sousdes numéros d’articles plus abstraits queles titres de ces lois.

Les techniques ont du, ensuite, s’adapteraux enseignements de la pratique.

Revenant sur le dogme des dernièresannées, le Parlement a en 2003 pour lapremière fois38 autorisé le Gouvernement àcodifier à droit non constant, puis l’habitudes’en est prise les années suivantes. Ceshabilitations ont permis de procéder enfin àdes modernisations profondes devenuesindispensables de certaines législations,comme celle relative au domaine public(nouveau code des propriétés publiques paruen 2006).

35 La même disposition figure simultanément dansdeux codes différents, l’un dit pilote, l’autre suiveur.L’usager n’a besoin de consulter qu’un seul code.Cette technique a été de plus en plus utilisée avecla multiplication du nombre des codes et lesdemandes récurrentes des ministères des’approprier le plus grand nombre de dispositionsau sein de « leur » code.36 La commission de codification dans son rapportpour 2005, cite en exemple les différentesrédactions de l’article L. 541-1 du code del’éducation.

37 L’éditeur Dalloz a cependant regroupé dans unouvrage intitulé « Code administratif » un ensemblede textes autonomes relatifs aux procéduresadministratives. Les textes sont juxtaposés et noncoordonnés : c’est un code au sens historique duterme, non pas au sens juridique.38 Loi du 2 juillet 2003 autorisant le Gouvernement àsimplifier le droit par ordonnances.

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La commission de codification a, pour sapart, décidé en 2006 de renoncer à la règledu code suiveur. Les dispositions pilotesne seront plus dans le code suiveur. Cedernier se contentera de renvoyer au codepilote par une référence au numéro d’articlede la disposition concernée, ce quicontraindra le lecteur à se reporter à unautre code. Observons que c’est revenir surl’interdiction faite en 1995 de l’usage de lalégislation par référence39 et peut être,derrière cette inflexion en apparencetechnique, prendre acte de la fin d’un mythe :celui qui veut que l’accès du citoyen au droitse fasse essentiellement par la lecture dela loi ou du code.

4.3. Des objectifs réalistes

4.3.1. Non pas la stabilité du droit…

La codification, telle qu’elle a été vouluedepuis dix ans, avait pour objectif affichéde freiner l’inflation et l’instabilité législative.Or, la codification a elle-même subi cetteinflation et cette instabilité, contribuant àson tour à l’insécurité juridique. L’inflationdes codes n’est-elle pas en voie deremplacer l’inflation des lois ?

La codification est, d’abord, une opérationde mise en cohérence, de lisibilité et demodernisation du droit. Elle s’occupe assezpeu finalement de stabilité du droit, prompteà pérenniser dès la parution au Journalofficiel, toute évolution normative dans sescadres intemporels.

Le Conseil constitutionnel n’avait d’ailleurspas, dans sa décision du 13 décembre1999 précitée, donné à la codificationl’objectif de stabilité, mais ceuxd’accessibilité et d’intelligibilité de la règlede droit. Ces deux objectifs, qui sont ceuxd’un État de droit sont largement suffisantspour justifier la poursuite de l’entreprise.

4.3.2. …Mais l’accessibilité auxutilisateurs…

La codification reste, malgré ses défauts,un instrument irremplaçable. Elle offre unaccès direct et aisé à l’ensemble de laréglementation sur un domaine circonscrit.Enrichi par le travail des éditeurs privés, decommentaires de jurisprudence et dedoctrine, largement diffusé par les basesde données et Internet, le code reste lemoins inaccessible des accès au droit pourle praticien.

Cette accessibilité, en effet même si lescodes sont disponibles sur Légifrance, entrois langues40, est plus destinée auprofessionnel qu’au citoyen. La langue ducode a pu être historiquement un modèlepour certains écrivains, mais il s’agissaitde Stendhal et c’était le code civil.

Aujourd’hui il faut reconnaitre que le codeet surtout le code moderne, pas plus quela loi n’est facilement lisible pour le citoyen.Le travail de diffusion du droit relève de lacommunication des pouvoirs publics etsurtout des relais que constituent lesprofessionnels du secteur et lesassociations d’utilisateurs du droit. Dumoins le code laisse-t-il à chacun la relativeillusion en achetant son propre exemplaire41

d’avoir à sa portée, sur la simple peine dele lire, l’intégralité du droit.

4.3.3. …Et l’intelligibilité du droit

La codification représente, pour le pouvoirpolitique, une contrainte indispensable, quile force à veiller à la cohérence de l’ensemblede la législation produite. Nombreuses sontles codifications qui ont conduit, cheminfaisant, à la prise de conscience de lanécessité d’une réforme de fond de la

39 « Vous veillerez à ce que les textes élaboréspar vos administrations soient directement lisiblespar les citoyens et les utilisateurs en éliminant enparticulier les excès d’écriture par référence »,circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995relative à la préparation et à la mise en œuvre de laréforme de l’État et des services publics. Voir noscommentaires sur cette circulaire dans « Rédigerun texte normatif », Berger-Levrault 2004, n° 212.

40 Par un remarquable travail de traduction, ceséditions en anglais et en espagnol contribuent aumaintien d’une relative influence du droit français.41 Qui n’est jamais, il faut le souligner, celui du Journalofficiel. Le citoyen achète « le Dalloz » ou « leLitec », pas le code dont il peut disposer surLégifrance où sa lecture demeure, malgré tous lesprogrès accomplis, d’une lecture ésotérique. Lecode à lui seul ne suffit donc pas à la tâche, il y fautles apports des professionnels du commentaire…là encore, la modestie s’impose.

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législation codifiée. La demande récurrentede la création d’un code de la commandepublique42 correspond précisément à cebesoin de « remise à plat » de législations,en concurrence incohérente.

4.4. Écrire le droit

Il faut souligner, enfin, le rôle important quela codification joue dans l’écriture du droit.

Le code reste, en effet, pour tous lesrédacteurs de la norme en France unmodèle qui diffuse dans l’ensemble de laproduction du droit ses exigences de rigueur,de logique et d’abstraction. Il n’est que delire l’ensemble de la productionréglementaire des autorités publiques enFrance et même une circulaire, uneinstruction quelconque, la moindre décisiond’une autorité détentrice d’un pouvoirréglementaire de base, pour constatercombien leur rédaction en est influencéepar les techniques de rédaction des codes :raisonnement du général au particulier,subdivision en chapitres et articles,abstraction de la norme avec utilisation decritères larges pour pouvoir trouver leurapplication à chaque cas particulier, sansqu’il soit nécessaire d’en faire une listenécessairement incomplète.

Ce mode d’écriture est un modèle pour leslégistes bien au-delà des frontièresfrançaises : Montesquieu et Portalisdemeurent les références obligées deslégislateurs des États démocratiques.L’abstraction et la concision des techniquesde rédaction législatives françaises sontconsidérées par nombre de juristesspécialisés comme conditions de la clartéet de l’efficacité de la loi, par opposition au« fouillis43 » du droit de la common law.

Cette relative spécificité de l’écriture du droitfrançais, héritier du droit romain réinterprétépar les révolutionnaires, est cependant envoie de recul avec l’influence de la commonlaw sur le droit européen, que montre assezbien l’utilisation croissante des définitionsdans la loi, pourtant « contraires à l’espritdu droit français

44 ».

Il n’est pas sûr que la clarté du droit y gagne.

Ne soyons pas, certes, trop pessimiste :l’influence entre le droit écrit et la commonlaw est, d’excellents auteurs l’ont démontré,réciproque45, du moins dans l’espaceeuropéen. Soyons conscient, cependant,que le langage du droit est vecteur directd’influence politique. Cela n’est pasnouveau : Napoléon déjà l’avait prouvé, endotant les pays conquis des codes français.Au 21ème siècle, sur les théâtres d’opérationmilitaire extérieure internationaux sous labannière de l’ONU, de l’OTAN et parfoisdésormais de l’Union européenne, la langueanglo-saxonne véhicule ses conceptsjuridiques et, dans une continuité logique,ses institutions politiques. Les systèmesjuridiques sont en concurrence pour offrirleurs modèles aux territoires enreconstruction politique. Le modèle françaisest à l’évidence, en recul, malgré sesqualités. L’influence politique de la Franceen est nécessairement affectée, enparticulier lorsqu’il s’agit comme dans lesBalkans, d’États européens.

La codification en France est en voied’atteindre sa limite physique. Elle ne pourrapas enserrer beaucoup plus de droit qu’ellene le fait actuellement.

L’ère des défricheurs est donc en voie dese terminer, celle de la maintenancecommence. Le travail est long et quasiexclusivement technique. La nouvellerévision générale du code du travail crééen 1910 et révisé une première fois en 1973a nécessité pas moins de deux ans detravail, avant son entrée en vigueur le1er mai 2007.

42 L’habilitation donnée par le législateur auGouvernement pour créer un code de la commandepublique par ordonnance n’a pas été utilisée, pourassurer une relative stabilité au droit de la commandepublique après trois modifications substantielles ducode des marchés en cinq ans. Où l’on voit que lesrapports entre codification et stabilité du droit sontambigus.43 Voir par exemple : « L’abstraction au service dela clarté en rédaction législative » , RichardTremblay, avocat au ministère de la justice duQuébec, in « Legal language and the search forClarity », Peter Lang, 2006.

44 Rapport public du Conseil d’État pour 1991.45 Bernard Stirn, Duncan Fairgrieve et MattiasGuyomar, « Droits et libertés en France et auRoyaume-Uni », Odile Jacob, 2007.

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On aurait presque pu penser que lacodification était entrée dans la routine : leParlement vote sans grandes difficultésdepuis 2003 de larges habilitations àcodifier, éventuellement accompagnées dequelques habilitations précises à réformer

46

puis approuve la loi de ratification del’ordonnance de codification, éventuellementaccompagnée de quelques dispositionslégislatives corrigeant quelques erreurs decodification. Une polémique a surgi pourtantlors de la ratification parlementaire dunouveau code du travail en 2008.

L’augmentation de 4.363 à 9.964 articles ducode, la modification du plan et surtout ladélégalisation de nombreuses dispositionsde la partie législative vers la partieréglementaire du code du travail ont étédénoncés par certains comme une volontéde reprise en main par le Gouvernement desrelations entre partenaires sociaux.

Critiques sans fondement, certes, maiscritiques qui démontrent la rémanence de lasymbolique politique de la codification, aumoment même où le Conseil constitutionnel,pour la première fois saisi d’une loi portantratification d’un code, réaffirme que la lisibilitéde la règle est indispensable à la démocratie(n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008). Lapolémique prouve que deux siècles après lecode civil, la codification reste un actepolitique.

46 Voir par exemple le toilettage du code monétaireet financier nécessité par la réforme du livret A dansla loi de modernisation pour l’économie adoptée parle Conseil des ministres en avril 2008.

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Des exigences de rigueur formelle et decohérence sont classiquement attachéesau droit, notamment à la loi. Le « droitmoderne » était, à la fin du 19ème siècle, paréde tels attributs de rationalité, la rigueur etla cohérence étant d’ailleurs considéréescomme intrinsèques à la règle juridique.Cette présomption de rationalité a étéprofondément remise en cause au début du20ème siècle, l’idée du droit comme ordre setrouvant ébranlée par une productionlégislative et réglementaire exponentielle,mal maîtrisée2. De plus, les dispositionslégislatives comportent des malfaçons, ellessont soit trop précises3, soit trop générales4

(manquant alors de densité normative).

Le constat est dès lors double : d’unepart, la « natalité des règles n’estplus contrebalancée par une mortalitééquivalente5 » ; d’autre part, la pratique d’une« législation de panique6 », c’est-à-dire une

conception et une adoption des normesselon des procédés d’urgence, ne permetplus d’envisager l’élaboration de la règle dedroit avec « le recul » nécessaire7.

Deux phénomènes de croissance et dedégradation s’entretiennent mutuellement :l’accélération du temps juridique conduit àune production normative médiocre parceque précipitée ; de la même manière, lesmalfaçons des textes rendent nécessairesdes modifications toujours plus fréquentes.Cette situation met en péril la sécuritéjuridique et la légitimité de la règle,fragilisant ainsi l’action des gouvernants.Face à cette situation, les autoritéspubliques, françaises comme étrangères,ont cherché les moyens de rationaliser laproduction des textes. Les préceptes etoutils issus de la légistique ont alors étémis en avant : cette discipline théorique etpratique, qui vise à déterminer « lesmeilleures modalités d’élaboration, derédaction, d’édiction et d’application desnormes8 », semblait constituer une voieprivilégiée de rationalisation du droit.Toutefois, l’incursion de cette science enFrance est longtemps restée limitée.

Si les critères de qualité de la loi et lesoutils de rationalisation semblents’uniformiser au sein des pays occidentaux,la légistique recouvre des réalités différentesd’un système à l’autre : la conception etles pratiques françaises de la disciplinesemblent à cet égard particulières. Depuisquelques années, face aux incitationsrépétées du Conseil d’État, de l’OCDE etaux conséquences négatives d’une

Une production du droit mieux raisonnée ?La diffusion de la légistique en droit français

Karine Gilberg1,Docteur en droit,

Chargée d’enseignement,Université Panthéon-Assas (Paris 2)

1 Auteur de « La légistique au concret : lesprocessus de rationalisation de la loi », Thèsesoutenue en novembre 2007, Université Panthéon-Assas2 On notera que l’intensification de la productionnormative, constatée depuis les années 1950, nese limite pas seulement à un accroissement relatifdu nombre de textes ou de leur volume, elle setraduit aussi par une extrême ramification du corpusde règles ainsi que par une instabilité croissante decertains domaines du droit.3 Des « Codes secrets pour spécialistes »,C. Wiener, « Crise et science de la législation », inI. Bankowski, « La science de la législation », PUF,« Philosophie du droit », 1989, p. 91.4 Voir le droit des « principes directeurs » évoquépar C.-A. Morand, « Le droit néo-moderne despolitiques publiques », LGDJ, « Droit et société »,volume 26, 2000, page 189.5 C. Wiener, « Crise et science de la législation »,in I. Bankowski, « La science de la législation »,PUF, « Philosophie du droit », 1989, p. 89.6 D. Latournerie, « La qualité de la règle de droit »,« Revue administrative », 1981, p. 593 : l’utilisationabusive des procédures d’urgence dans laproduction juridique est également dénoncée par leRapport public du Conseil d’État, Rapport d’activitéen 1998.

7 F. Ost, « Le temps virtuel des lois post-modernesou comment le droit se traite dans la société del’information » , in J. Clam (dir.), « Lestransformations de la régulation juridique », LGDJ,« Droit et société », volume 5, 1998, page 428.8 J. Chevallier, « L’évaluation législative : un enjeupolit ique » , in A. Delcamp et al., « Contrôleparlementaire et évaluation », 1995, p. 15.

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production juridique « déficiente », unepolitique plus cohérente de rationalisationdu droit se met en place.

Quels qu’en soient l’acception et le degréd’avancement, l’introduction de la légistiquemodifie profondément les modes deproduction du droit français (1.). Lemouvement en faveur de la légistique quis’est progressivement affirmé à compter dela fin des années 1980 a pris une ampleurnouvelle, depuis 2007, semblant conduireà l’adoption d’une méthodologie législativeplus précise et contraignante (2.). Cetapprofondissement de la politique derationalisation du droit qui s’appuie sur lesréflexions des instances de régulation(Conseil d’État, Secrétariat général duGouvernement), pourrait s’intensifier à lafaveur des nouvelles technologies del’information.

1. Une lente incursion de lalégistique en droit français

Alors que certains pays (Suisse, Belgique,Pays-Bas…) ont largement développé lesréflexions et outils de légistique, la Francereste plus en retrait sur ces questions. Pourautant, le souci de qualité de la loi resteune préoccupation ancienne des autoritéspubliques françaises.

1.1. Un retard français ou une autreconception de la rationalisation dela production juridique

De longue date, les pays de traditiongermanique, notamment l’Allemagne ou laSuisse, ont entrepris une analyse pousséede la technique législative. L’étude d’abordthéorique (notamment liée au mouvementde codification des 18ème 9 et 19ème siècles)a fait l’objet d’ouvrages au travers desquelsse sont affrontées différentes écolesdoctrinales10, sans que l’on puisse toutefoisy voir une discipline cohérente.

À compter des années 1970, les analysesont pris un tour plus pratique – la sciencede la législation devient une science del’action11 et suscite l’intérêt d’autres pays(notamment le Québec, les États-Unis). Cemouvement se traduit au milieu desannées 1980 par la publication d’ouvragesde légistique12. La collaboration étroite deschercheurs et des autorités publiquesconduit, par ailleurs, au développement,puis à la diffusion auprès des rédacteursde principes détaillés de légistique tantmatérielle que formelle13.

En France, la science de la législation a,dans un premier temps, peu retenu larecherche et les autorités publiques,quelques publications seulement étantconsacrées à la technique législative14. Lasymbolique de la loi explique largement

9 Voir F. Ost, in P. Gerard, F. Ost, M. Van de Kerchove,« Actualité de la pensée juridique de J. Bentham »,Bruxelles, Publications FUSL, 1987, p. 163 et ss.10 V. Lasserre-Kiesow, « La technique législative.Étude sur les codes civils français et allemand »,LGDJ, 2002, p. 6 et ss. : Le questionnement sur latechnique législative s’accélère après la publicationdu projet de BGB (code civil allemand à la fin du19ème siècle) ; sur les oppositions d’écoles : p. 27et ss.

11 C.-A. Morand, « Éléments de légistique formelleet matérielle » , in « Légistique formelle etmatérielle », PUAM, 1999, 334 pages, not. p. 17et ss.12 Voir par exemple : I. Mader, « L’évaluationlégislative. Pour une analyse empirique de lalégislation », Lausanne, Payot, 1985, p. 190.13 Voir par exemple les différents guides rédactionnels« Legislative Drafting Manual », très détaillés,diffusés sur les sites Internet des Assemblées desÉtats américain. Voir aussi : Conseil d’État, Bureaude coordination, « Légistique formelle :recommandations et formules », novembre 2001,p. 94, http://www.raadvst-consetat.be (actualisationen ligne). Voir également le guide rédactionnel élaborépar le Gouvernement flamand depuis les année 1960,actualisé régulièrement depuis lors par circulaire duPremier ministre flamand, pour plus de précisions :S. Debaene, R. Van Kuyck, B. Van Buggenhout,« Legislative Technique as a Basis of a LegislativeDrafting System », Jurix, 1999, p. 23-34. De la mêmefaçon, voir : Premier ministre, ministre des affairesgénérales, « Dutch Legislative Directives » ,Instructions, 20 décembre 1995, GovernmentGazette, Stcrt 251, 5 septembre 1996, Stcrt. 177,19 février 1998, Stcrt. 45, 69 pages. Et enfin, le« Guide linguistique des lois et ordonnances de laConfédération »,http://www.bk.admin.ch/ch/f/bk/sp/guide.htm.14 Voir par exemple : Gustave Rousset publie unesérie d’articles : « De la lettre des lois ou de larédaction et de la codification rationnelle deslois » , Revue crit ique de législation et dejurisprudence, tome IX, 1856, p. 324-371 ; tome X,1857, p. 319-353 ; tome XI, 1857, p. 159-188 ;tome XII, 1858, p. 439-469 ; tome XIII, 1858, p. 235-284 ; « Des formules de rédaction des loisciviles », Revue critique de législation et dejurisprudence, tome XX, p. 353-367 et p. 423-456.L’intérêt pour la technique législative sera plusmarqué en France, au début du 20ème siècle et dansles années 1950.

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cette situation : classiquement, les juristesfrançais considéraient la législation comme,a priori, rationnelle15, ou à tout le moins,l’effort de rationalisation était laissé à laseule appréciation du législateur.Systématisée, « permanente autant quegénérale, la règle juridique » a pu êtredécrite comme « un soleil qui ne se couchejamais16 ». Dès lors, le mouvement en faveurde la légistique, au sens strict, ne s’estimposé qu’assez récemment comme unaxe de réflexion théorique et d’actionpublique.

1.2. Un souci ancien de qualité de la loi,des initiatives dispersées

S’ils se sont progressivement affirmés, lespréceptes de légistique sont restés assezdiffus, les instances de régulation (Conseild’État, SGG, SGAE) préférant un cadresouple d’écriture du droit plutôt qu’une grilleméthodologique très contraignante17. Il fauttoutefois isoler dans ce constat les deuxbranches de la légistique : la légistiqueformelle a, en effet, connu un développementplus ancien que la légistique matérielle, quiest longtemps restée en retrait. La légistiqueformelle, qui est donc la plus développéeen droit français, renvoie aux outilstraditionnels de rationalisation du droit(codification, qualité rédactionnelle18) : eneffet, à première vue, sa mise en œuvre neposait pas de difficulté particulière.

Depuis les années 1970, une série decirculaires gouvernementales a ainsirégulièrement appelé les ministres et lesservices d’administration centrale à plus devigilance dans la production des textes :une plus grande tempérance dans laproduction de règles nouvelles, leur qualitérédactionnelle, un respect des consultationspréalables (interministérielles, instancesconsultatives…) ont notamment étépréconisés19. Les outils, telle que lacodification à compter de la fin desannées 198020 et plus récemment lasimplification du droit

21, ont été érigés aurang de priorité gouvernementale. Toutefois,bien que portées par une véritable impulsionpolitique, ces initiatives sont restéesponctuelles et surtout sans valeur juridiquecontraignante. Elles se sont heurtées àd’importantes limites de mise en œuvre :lenteurs des processus, résistance desacteurs, application inégale des directivesde qualité rédactionnelle suivant lesservices producteurs de texte…

Le développement de la légistiquematérielle a rencontré des obstacles plusimportants encore, empêchant mêmecertaines initiatives d’aboutir. L’exempledes études d’impact est, à cet égard,significatif. En effet, malgré les incitationsgouvernementales répétées et lesrecommandations de l’OCDE en la matière,depuis le milieu des années 1990, leprincipe d’une analyse préalable et

15 Cette sacralisation de la loi entraîne le rejet desméthodes d’élaboration hors de la sphère juridique :elles sont considérées comme une boîte noire quireste l’affaire du législateur et ne constitue plus unobjet d’étude pour les juristes.16 J. Carbonnier, « Flexible droit, pour unesociologie du droit sans rigueur » , LGDJ,8ème édition, 1995, p. 49.17 Voir, sur ce point, le guide de légistique (édition2005) qui prône une démarche casuistique et nonsystématique : « Il n’y a […] pas lieu d’adopter deposition systématique en la matière : le choix entreles deux techniques de rédaction doit être fait aucas par cas », p. 187. Dans le même sens, seréférant à la circulaire du 30 septembre 2003 relativeà la qualité de la réglementation et notamment aucontenu des chartes ministérielles de qualité de laréglementation, le guide de légistique souligne qu’« ilest clair que ces dispositions seront d’autant plusefficaces que l’on se gardera de tout systématismeau profit d’une approche concrète ».18 La légistique formelle a pu être définie comme « larecherche de procédés, de règles et de formules,destinés à une rédaction correcte et à une meilleure[Suite en bas de colonne suivant]

[Suite du bas de colonne précédent]appréhension des textes normatifs, et s’efforçantde parvenir à cette fin par l’harmonie, la clarté, etle rejet de différences non fondées », C. Lambotte,« Technique législative et codification », Story-Scientia, Bruxelles, 1988, p. 10.19 Voir, à cet égard, les circulaires relatives àl’élaboration des textes législatifs et réglementaires :la première, du 31 juil let 1974, a été assezrégulièrement actualisée jusqu’à sa dernière versiondu 1er juillet 2004, relative aux règles d’élaboration,de signature et de publication des textes au Journalofficiel.20 Circulaire du Premier ministre du 15 juin 1987relative à la codification des textes législatifs etréglementaires ; décret n° 89-647 du 12 septembre1989 relatif à la composition et au fonctionnementde la commission supérieure de codification.21 Circulaire du 30 septembre 2003 relative à la qualitéde la réglementation et les lois habilitant leGouvernement à simplifier le droit (voir notamment laloi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, la loi n° 2004-1343du 9 décembre 2004) ainsi que la loi n° 2007-1787du 20 décembre 2007 relative à la simplification dudroit.

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systématique des effets de la loi n’a pasréussi à s’imposer. Initiée par la circulairedu Premier ministre du 21 novembre 1995,la procédure d’analyse d’impact aurait dûêtre généralisée par la circulaire du18 mars 1996, devant les blocagespersistants, une nouvelle circulaire du26 janvier 1998 est venue, sans succès,simplifier la procédure. Plusieurs textes,qui ont récemment tentés de relancer leprincipe d’une analyse préalable, ne sontpas plus parvenus à l’imposer dans les faits(voir en particulier la circulaire du Premierministre du 26 août 2003 relative à lamaîtrise de l’inflation normative et àl ’amélioration de la qualité de laréglementation, restée sans effet en lamatière). Reposant sur des techniquesplus nouvelles (évaluation, expertisetechnique…), invitant à légiférer à meilleurescient, la légistique matérielle s’est, defaçon générale, heurtée à des résistancesadministratives22 et politiques23. Ses outilsne relevaient pas de l’évidence dans lecontexte français de production de la loi :l’évaluation de l’impact des lois, le recoursà l’expertise, l’association plus étroite desacteurs sociaux à l’élaboration et à la miseen œuvre de la loi… imposaient en effetaux producteurs de textes un profondchangement de méthode.

Ce premier constat est, aujourd’hui, enpartie dépassé. En effet, depuis quelquesannées, la France a surmonté certainesrésistances et la légistique, tant formelleque matérielle, a acquis une force nouvelle.Toutefois, ici encore, la légistique formellesemble prédominer.

2. Une approche récemmentrenouvelée : une démarche delégistique plus structurée

Depuis la fin des années 1990, lespréceptes de légistique, en particulier dequalité de la loi, ont fait l’objet d’une

attention renouvelée. Ce mouvementsemble se confirmer et s’intensifier,depuis 2007, amorçant la mise en placed’une méthodologie toujours plus précisede production du droit.

2.1. La consécration de préceptes delégistique formelle et matérielle

Sous l’effet des incitations du SGG et desHautes juridictions constitutionnelle etadministrative, une série de préceptes delégistique ont été consacrés et ont pourcertains acquis valeur constitutionnelle ; unguide de légistique, publié en 2005 etactualisé en 2007, est venu énoncer etpréciser les règles d’élaboration des textesjuridiques.

La consécration par le Conseilconstitutionnel, depuis une dizained’années, des préceptes de légistiqueformelle s’inscrit, sans surprise, dans lacontinuité de la politique française derationalisation du droit. Le principe declarté24, l ’objectif d’intelligibil ité etd’accessibilité25 puis de densité normative26

figurent désormais parmi les outils decontrôle constitutionnel de qualité de la loi.S’ils sont utilisés par le Conseil pour exercer

22 Les procédures nouvelles se superposent auxméthodes de travail existantes et sont dès lorsvécues comme une charge supplémentaire plutôtqu’un outil d’aide à la décision.23 Les contraintes du temps politique conduisent àun recours fréquent à la procédure d’urgence devantle Parlement et plus généralement à une productiondes textes dans la précipitation. Par ailleurs, larédaction des textes résultent de compromispolitiques, les exigences de rigueur formellepassant alors au second plan.

24 Voir notamment la décision n° 98-407 DC du14 janvier 1999, loi relative au mode d’élection desconseil lers régionaux et des conseil lers àl’Assemblée de Corse : il s’agit moins, dans cettedécision, d’un manque de clarté dans la formulationdu texte que d’un manque de clarté juridique inhérentà la disposition visée. Il faut noter que le souci declarté est apparu dans la jurisprudence du Conseildans les années 1980. Voir la décision n° 80-127 DCdes 19 et 20 janvier 1981, loi renforçant la sécuritéet protégeant la liberté des personnes qui examinele caractère suffisamment précis et non obscuredes dispositions contestées.25 Décision n° 99-421 du 16 décembre 1999, loihabilitant le Gouvernement à procéder à l’adoptionde la partie législative de certains codes parordonnance.26 Avant 2003, le Conseil n’exerçait pas son contrôlesur les dispositions non normatives, les considérantcomme inexistantes. Dans deux décisions, n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003 (cons. 23), loi portantréforme de l’élection des sénateurs, et n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, loi organique relative àl’autonomie financière des collectivités territoriales,le Conseil censure d’abord des dispositions dont laportée normative est incertaine. Puis, depuis sadécision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, loid’orientation et de programme pour l’avenir del’école, il invalide les dispositions sans portéenormative.

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ses missions de contrôle de la loi, cescritères restent toutefois trop généraux, voireimprécis, pour constituer de véritables outilsd’aide à la rédaction de textes27. De ce fait,le programme de rationalisation du droit seheurte à une importante limite.

Les outils de légistique matérielle vontégalement être mis en avant, mais de façonplus dispersée. Ainsi, la loi constitutionnelledu 28 mars 2003 relative à l’organisationdécentralisée de la République consacrel’expérimentation législative (article 37-1 dela Constitution28) et l’expérimentation locale(nouvel alinéa à l’article 72) dont lesmodalités seront précisées par la loiorganique n° 2003-704 du 1er août 2003.

Dans un registre très différent, la loi n°2007-130 du 31 janvier 2007 demodernisation du dialogue social pose« l’obligation de concertation préalable » àl’élaboration de « tout projet de réforme »sur les domaines essentiels du droit dutravail (article 101-1 de l’ancien code dutravail29). Ce dernier dispositif vise àconsolider la place du dialogue social, afind’affiner la pertinence sociale et la légitimitédes règles. Toutefois, cette obligation portesur un domaine limité et peut être écartée

en cas d’urgence. Quant à l’évaluationlégislative, elle ne bénéficie pas encored’outils méthodologiques précis etfonctionnels.

Ces avancées visent à remédier à plusieursdifficultés rencontrées pour rationaliserl’élaboration des textes (défauts de qualitérédactionnelle, travail préparatoire inégalsuivant les textes, respect inégal desprocédures d’élaboration des textes,consultation aléatoire des acteurssociaux…) : la constitutionnalisation despréceptes rédactionnels vise donc à leurconférer la valeur juridique contraignantequi leur manquait jusqu’à lors ; l’éditiond’un document méthodologique, sous laforme du guide de légistique, facilite ladiffusion des directives auprès desrédacteurs, dans le triple objectif d’assurerleur respect, d’uniformiser

30 la présentationdes textes mais aussi de faciliter le travaildes rédacteurs. Ces premièresconsécrations qui tendaient à normaliseret à systématiser les bonnes pratiques deproduction du droit semblent devoir êtrepoursuivies comme en témoignentplusieurs projets de réforme actuellementà l’étude. Cet approfondissement pourraitpermettre de dépasser certaines limitesactuelles du processus de rationalisationdu droit.

2.2. Les voies d’approfondissementd’une politique de rationalisationdu droit

La légistique matérielle gagne en autorité.À cet égard, la nécessité d’une « évaluationpréalable31 » a retenu l’intérêt : le Conseild’État appelle ainsi, dans son rapport publicde 200632, à plus de rigueur dans

27 L. Milano, « Contrôle de constitutionnalité etqualité de la loi », RDP, n° 3, mai 2006, p. 637, pourl’auteur la multiplication des critères de qualité seraitmême contre-productive et source de confusionsur la ligne de conduite à suivre.28 Mise en place dans les année 1950,l’expérimentation législative a connu un essor assezrécent, alors qu’elle concernait à l’origine lesréformes institutionnelles et administratives ; depuisles années 1970, la méthode est utilisée pourconduire certaines réformes de société. L’intérêtpour la méthode s’intensifie depuis la fin desannées 1980, l’expérimentation étant considéréecomme une réponse adaptée à certaines difficultésde la production juridique. D’abord visée par lajurisprudence administrative et constitutionnelle, lapratique sera consacrée par la loi constitutionnelledu 18 mars 2003 relative à l ’organisationdécentralisée de la République qui visel’expérimentation locale et bouleverse ainsi lesmodalités de mise en œuvre de la loi.29 Avant tout projet de réforme, le Gouvernementdoit engager une concertation avec lesorganisations professionnelles (salariés,employeurs) représentatives au niveau national etinterprofessionnel, afin de déterminer si ellessouhaitent ouvrir une négociation nationale etinterprofessionnelle sur les sujets visés.

30 Ainsi que de « standardiser les formulations »,J. Chevallier, « Les lois expérimentales. Le casfrançais », in D. Bourcier, C. Thomasset, « L’écrituredu droit face aux technologies de l’information »,Diderot éditeur, 1996, p. 194.31 On notera que dans les deux rapports le termed’évaluation préalable a été préféré à celui d’étuded’impact, afin de conférer à l’évaluation ex anteune portée plus large, l’étude d’impact n’enconstituant qu’une partie.32 Conseil d’État, « Rapport public 2006. Sécuritéjuridique et complexité du droit », p. 300.

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l’élaboration des textes législatifs etréglementaires ; le SGG propose, pour sapart, un guide méthodologique de l’analysed’impact33. Signe de cet essor de lalégistique matérielle, le Gouvernement s’estdoté depuis juin 2007 d’un secrétaire d’Étatà la prospective34.

Ce mouvement ne vise pas seulement àréaffirmer l’importance d’une démarcheméthodique d’élaboration du droit, mais tendégalement à conférer aux préceptes delégistique une valeur contraignante. Ainsi, leConseil d’État propose de réviser l’article 39de la Constitution qui renverrait à la loiorganique le soin d’organiser « la procédured’élaboration et de dépôt des projets de loidevant le Parlement ». Cette proposition aété reprise, fin 2007, par le comité deréflexion et de proposition sur lamodernisation et le rééquilibrage desinstitutions de la Cinquième République. Cedernier précise que le respect des conditionsd’élaboration de la loi inscrites dans la loiorganique ferait l’objet d’un contrôle préalabledu Conseil constitutionnel.

Toutefois, la proposition n’a pas été retenuepar l’avant-projet de loi constitutionnelleportant réforme des institutions, transmisau Conseil d’État le 20 mars 2008. Larévision vise principalement à unrééquilibrage des pouvoirs dans leprocessus législatif au profit du Parlement(en particulier, en matière d’ordre du jour).

Les réformes engagées pourraient à termebénéficier de l’appui des nouvellestechnologies, qui restent encore peudéveloppées en droit français. Lalégimatique (« legimatics ») pourraitconstituer un important vecteur de diffusiondes préceptes de légistique et constituerun outil d’aide à la rédaction des textes.Cette discipline, qui dissèque et modéliseles « bonnes pratiques » rédactionnelles,s’appuie sur les NTIC pour concevoir des

systèmes informatisés d’aide à l’écriture (ou« legislative drafting-support systems »).Toutefois, deux conditions principales, quine sont pas encore réunies en France,président au développement de lalégimatique : l ’existence de guidesrédactionnels très structurés etparticulièrement détaillés ; la constitutiond’un pôle « informatique et droit » au seinou en lien avec l’administration. Lalégimatique n’a connu d’ailleursd’application concluante que dans les paysbénéficiant de cette double conjoncture :notamment les Pays-Bas (LEDA), laBelgique (SOLON), l’Italie (LEXEDIT) etl’Australie (EnAct35).

Conclusion

Au-delà du constat d’un mouvementcroissant en faveur de la légistique, ilconvient de s’interroger sur les limites etl’intérêt même de la démarche adoptée pouraméliorer la qualité des textes juridiques.En effet, doit-on généraliser la démarchealors même que les outils issus de lalégistique ne produisent pas toujours leseffets escomptés, voire produisent des effetspervers ? Par exemple, la codification n’apas permis d’endiguer le flot de textes ; latechnique législative n’a pas été réellementrecentrée, elle est toujours foisonnante etles dispositions d’une même loi restentsouvent hétérogènes. Le recours àl’évaluation ou la consultation des acteurssociaux est souvent instrumentalisé.

En outre, le processus, essentiellementgouvernemental, confirme voire accuse ledéséquilibre des pouvoirs dans la productiondes textes, certains qualifiant de« bureaucratique » l’objectif même derationalisation du droit. Toutefois, il apparaîtque l’effort de rationalisation rencontre de

35 Système développé par le MIT de Melbourne,actuellement sous la responsabilité de T. Arnold-Moore,http://www.thelaw.tas.gov.au/background.html :l’auteur propose une description des fonctionnalitésmultiples du système (création automatiqued’amendement à la législation).

33 Rapport au Premier ministre du groupe de travailcharge d’une réflexion sur les suites du rapportpublic 2006 du Conseil d’État, 2007, Annexe VIII.34 Voir le décret n° 2007-1006 du 12 juin 2007.

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36 Voir, sur ce point, le décret n° 2008-225 du 6 mars2008 relatif à l’organisation et au fonctionnementdu Conseil d’État qui doit permettre, selon les termesdu Conseil d’État, « d’accroître l’efficacité de [son]activité consultative » en consacrant le principed’une séparation des fonctions consultative etjuridictionnelle. Voir également la nouvelledénomination du service de la législation, devenudepuis 2006 service de la législation et de la qualitédu droit.37 L’Assemblée nationale a ainsi prévu de se doterd’un comité d’évaluation et de contrôle chargé decontre-expertiser les projets gouvernementaux.Voir, sur ce point, les vœux à la presse duPrésident de l’Assemblée nationale, 10 janvier2008 : « j ’ai proposé la création d’un comitéd’audit, composé de députés, qui décidera desactions d’évaluation et de contrôle à conduire.Des moyens humains seront mis à sa disposition :fonctionnaires de l’Assemblée, fonctionnairesdétachés des grands corps de contrôle de l’Étatmais aussi en tant que de besoin cabinets privés.Ce comité d’évaluation et de contrôle sera finaliséavec tous les groupes représentés et présents àl ’Assemblée nationale prochainement ». Lerapport du comité sur la modernisation et lerééquilibrage des institutions de la Vème Républiqueproposait également la création d’un « comitéd’audit parlementaire », dont la mission principaleserait d’évaluer les politiques publiques, allantdonc au-delà de l’évaluation législative. Voir lerapport du comité, « Une Vème République plusdémocratique », octobre 2007, p. 54-55.

telles limites car il n’est pas encore conçucomme une refondation de la productionlégislative qui impliquerait l’ensemble desacteurs concernés, mais plutôt comme destentatives d’ajustements de cetteproduction.

Une telle entreprise semble se profiler : lesinstances de régulation (SGG, Conseild’État

36) et le Parlement se réorganisent afind’améliorer le contrôle de la qualité destextes, notamment sur le fond37.

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L’amélioration de la qualité de la législationcommunautaire1 est une préoccupation quis’est considérablement renforcée dans lapériode récente. La nécessité de mieuxprendre en compte les besoins desdestinataires, mais aussi divers facteurstels que la multiplication des domainescouverts par l’action de la Communauté,l’augmentation du volume de la législation,la complexité croissante du cadreinstitutionnel et le poids du multilinguisme,ont entraîné le besoin de « mieuxlégiférer

2 », en particulier à l’approche desderniers élargissements.

Des actions sont désormais menéespour moderniser l’activité législativecommunautaire et l’adapter aux réalitésd’aujourd’hui. Ces actions recouvrent desaspects de légistique tant matérielle queformelle : analyses d’impact, réduction descoûts, simplification, recours accru auxméthodes de la codification et de la refonte3.Parallèlement, des efforts ont été entreprispour maintenir et améliorer la qualitéformelle des actes. C’est ce dernier aspectqui sera abordé ici, en restant au plus prèsde la pratique.

La Commission européenne joue, à cetégard, un rôle de premier plan puisqu’elleest responsable de la formulation de projets

pour la plupart des actes communautaires,qu’il s’agisse de ses propres actes ou despropositions d’actes qu’elle transmet auParlement européen et au Conseil de l’Unioneuropéenne.

1. Les actes et leur moded’élaboration à la Commission

Les actes concernés sont ceux qui sontprévus à l’article 249 du traité instituant laCommunauté européenne, qui établit unetypologie des actes que les institutionspeuvent prendre pour l’accomplissement deleur mission : règlements, directives etdécisions principalement, pour ne citer queles formes d’actes dits contraignants ouobligatoires.

Les auteurs du projet initial de ces actessont les directions générales (DG)opérationnelles de la Commission (la DG« Pêche », la DG « Environnement », la DG« Énergie et transports », par exemple).

Chaque projet d’acte, lorsqu’il arrive à undegré de maturité suffisant, est adressépour avis aux autres directions généralesconcernées, et systématiquement auSecrétariat général et au Service juridiquede la Commission : c’est ce que l’on appellela « consultation interservices », quiprécède obligatoirement l’adoption du projetpar la Commission.

À ce stade, le texte circule uniquement dansla langue originale, qui est soit l’anglais soitle français. Il doit ensuite être traduit danstoutes les langues officielles de laCommunauté4 sur la base de l’original

L’élaboration de la législation communautairepar la Commission européenne :

maintenir et améliorer la qualité formelle des actes

Gilbert Lautissier,Membre du groupe des juristes-réviseurs

du Service juridique de la Commission européenne

NB : Les opinions exprimées dans cet article sontcelles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairementle point de vue de la Commission européenne.1 On s’en tiendra ici à la terminologie juridiquerésultant des traités en vigueur. Le traité deLisbonne, en cours de ratification, introduit la notiond’actes « de l’Union ».2 « Mieux légiférer » (en anglais « Betterregulation ») est devenu le mot d’ordre pour lesactions récentes en matière de législationcommunautaire.3 Voir, à cet égard, le « Livre blanc sur lagouvernance européenne » (Journal officiel del’Union européenne (JO) C 287 du 12 octobre 2001,p. 1), qui annonce une approche développée depuislors dans de nombreux documents internes de laCommission.

4 Les exigences linguistiques découlent du règlementn° 1 du Conseil du 15 avril 1958 portant fixation durégime linguistique de la Communauté économiqueeuropéenne (JO n° 17 du 6 octobre 1958, p. 385),et du règlement intérieur de la Commission (JO L 347du 30 décembre 2005, p. 83) et de ses modalitésd’application.

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stabilisé où le service auteur a intégré lesmodifications issues de la consultation. Laconsultation interservices, moment-clé del’élaboration des actes, se déroule suivantdes modalités strictes fixées par leSecrétariat général. Les exigences dumultilinguisme, notamment, pèsent surl’ensemble du processus et nécessitent lerespect d’un calendrier de plus en pluscontraignant. Rédiger dans les délais desactes aussi clairs et simples que possible,en tenant compte de l’avis de tous lesservices intéressés, dans le respect du droitet de la technique législative, ces actesdevant en outre faire l’objet d’une traductionen vingt-deux langues5 et produire lesmêmes effets dans tous les Étatsmembres : voilà un aperçu des difficultésqui jalonnent le processus de rédaction.

2. Les instruments de la qualitéformelle

Améliorer la qualité formelle, ou au moinsla maintenir, dans un environnement de plusen plus complexe, c’est d’abord mettre àla disposition du rédacteur des instrumentsqui facilitent son travail.

La rédaction s’appuie sur une structuretype, qui présente l’enchaînement suivant :titre, visas, considérants (ou motivation del’acte6) et dispositif, éventuellement suivid’annexes. Cette structure suit une logiquequi peut se résumer comme suit :

• Titre : sur quoi l’acte porte-t-il, quel estson objet principal ?

• Visas (« vu le traité […], tel règlementou telle directive […] ») : l’institution est-elle compétente pour adopter l’acte, eta-t-elle respecté les procédures ?

• Considérants (« considérant ce qui suit[…] ») : comment l’acte s’insère-t-il dansla législation existante ? Quelles sontles justifications de fait et de droit quimotivent son adoption ?

• Dispositif : quelle est la situationjuridique créée par l’acte ?

• Les annexes, pour leur part, contiennentdes éléments techniques en relationavec des droits et obligations fixés dansles articles.

Les éléments de base de cette structuresont fournis au rédacteur par une applicationde traitement de texte dénommée« Legiswrite », sous la forme de modèlesd’actes dont l’utilisation est obligatoire.

Quant aux règles détaillées de présentationdes actes, la Commission dispose d’unmanuel intitulé « Règles de techniquelégislative », qui répond à ses besoinsspécifiques, en particulier pour la rédactionde ses propres actes.

À la suite d’une réflexion entamée dans lesannées 1990, le Parlement européen, leConseil et la Commission ont adoptél’accord interinstitutionnel du 22 décembre1998 sur les lignes directrices communesrelatives à la qualité rédactionnelle desactes communautaires7. Cet accord établit,d’une part, une série de principes à prendreen considération lors de la rédaction desactes et, d’autre part, une liste de mesuresd’organisation interne destinées à garantirl’application correcte de ces principes8.

Sur cette base, les trois institutions ontélaboré un « Guide pratique commun àl’intention des personnes qui contribuent àla rédaction des actes législatifs9 », quireproduit, en les il lustrant et lescommentant, les lignes directrices fixéespar l’accord10. On y trouve des précisionssur les différentes parties de l’acte, leur rôleet leur contenu, et notamment une structuretype du dispositif (objet et champd’application, définitions, droits etobligations, dispositions conférant descompétences d’exécution, dispositionsprocédurales, mesures d’application,dispositions transitoires et finales).

5 Vingt-trois si l’on compte l’irlandais qui fait l’objet,pour l’instant, d’un régime transitoire.6 À ne pas confondre avec l’exposé des motifs, quiaccompagne les propositions d’actes transmisesau Parlement européen et au Conseil sans fairepartie intégrante des actes.

7 JO C 73 du 17 mars 1999, p. 1.8 Ces mesures sont à l’origine de la plupart desévolutions qui sont décrites ici.9 http://eur-lex.europa.eu/fr/techleg/index.htm.10 Il est à noter que chaque institution conserve parailleurs ses propres règles correspondant à sesbesoins particuliers.

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L’accord et le guide pratique jouent un rôlecentral pour faire connaître et respecter lesbonnes pratiques. Ils constituent à la foisune aide pour le rédacteur et un point d’appuipour la vérification de la qualité formelle. Ilsservent également de base à desformations internes à la rédaction législative.Bien que non contraignant, l’accordtémoigne des principes que les institutionss’efforcent de suivre, et commence à êtrecité à ce titre dans la jurisprudence de laCour de justice des Communautéseuropéennes11.

3. Les méthodes

L’expérience a montré que la qualité ne segreffe pas sur un acte à un stade tropavancé de la rédaction, mais qu’elle doitêtre une préoccupation constante tout aulong de la chaîne d’élaboration. Néanmoins,quels que soient les efforts des rédacteurs,il faut aussi une intervention horizontale deconseil, de vérification et d’assistance. Telest le rôle joué en particulier par le Servicejuridique de la Commission12.

3.1. L’examen du texte original : mettreà profit la consultation interservices

La consultation interservices, on l’a vu,consiste à recueillir les avis de tous lesservices intéressés sur le projet d’acte.Enfermée dans des délais stricts, elle peuttoutefois s’étendre en amont et en aval dansle cadre de la coopération entre lesservices. Cette consultation a été identifiéecomme le moment le plus favorable à la priseen compte de la qualité formelle. À ce stade,le projet a déjà reçu une formulation initialeet sort de la sphère technique de l’auteurpour faire l’objet de discussions avec desinterlocuteurs multiples : autres directionsgénérales, Secrétariat général et Servicejuridique.

Le Service juridique a alors l’occasiond’intervenir selon deux axes qui serejoignent et se complètent : d’une part, lavérification de la légalité et du contenujuridique des textes, qui incombeprincipalement aux juristes des équipesthématiques du Service juridique ; et,d’autre part, la vérification de la techniquelégislative et de la qualité rédactionnelle,qui incombe principalement aux juristes-réviseurs.

Dans la pratique, les meilleurs résultatssont obtenus en combinant les deuxaspects, qui se révèlent souventindissociables. Cette intervention débouchesur un avis unique du Service juridique, quicomporte à la fois les remarques de fond etcertaines remarques sur la qualité formelle13.L’avis est très souvent accompagné d’uneversion retravaillée du texte, avec mise enévidence des changements qui sontproposés au service auteur.

Le Service juridique ne se substitue pas aurédacteur, mais fournit toutes lesorientations utiles pour une amélioration dela rédaction, ce qui peut aller jusqu’à unerestructuration complète du texte et à laproposition d’un libellé pour des articlesentiers ou des passages-clés de lamotivation.

L’intérêt de cette méthode réside dans leséchanges qu’elle permet entre les services,à un moment où le texte n’est pas encorefigé. L’avis du Service juridique est trèssouvent précédé et suivi de multiplesdiscussions entre le service auteur, le juristeresponsable quant au fond et le juriste-réviseur. Le texte n’est souvent mis au pointqu’après plusieurs allers et retours entre lesinterlocuteurs. La dynamique créée à cestade favorise l’adéquation entre le fond etla forme. Ce mode de travail permetd’améliorer en profondeur la qualité du texte,et c’est souvent là que se jouent la clartéde l’acte et sa capacité à traverser sansdommage les étapes ultérieures de laprocédure.

11 Jusqu’ici principalement dans les conclusionsd’avocats généraux (voir notamment affairesC-478/99, C-63/00, C-144/00, affaires jointesC-154/04 et C-155/04). La Cour de justice amentionné pour la première fois l’accord dans sonarrêt dans les affaires jointes C-154/04 etC-155/04, au sujet de lacunes présentées par lesarticles d’une directive.12 Le Secrétariat général fournit également une aideà la rédaction sur des points procéduraux.

13 Les défauts de qualité formelle ne constituentpas un motif de blocage ni de retardement desprocédures. Toutefois, le service auteur estfortement incité à tenir compte des suggestions duService juridique et s’y conforme dans la plupartdes cas.

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3.2. L’examen des versions linguis-tiques : la révision multilingue

Après la consultation interservices14, leprojet fait l’objet d’une traduction dans leslangues officielles par la direction générale« Traduction ». Une bonne structure dedépart et une formulation claire dans lalangue originale sont de nature à faciliter lepassage vers d’autres langues. À leur tour,les travaux de traduction, qui supposent unexamen minutieux du texte dans la langued’origine, peuvent révéler certainesinsuffisances qui sont alors signalées auservice auteur.

Il faut aussi que les différentes versionslinguistiques concordent entre elles,comportent une terminologie juridiqueexacte dans chaque langue et produisentles mêmes effets dans tous les Étatsmembres. Tel est l’objet des travaux derévision multilingue effectués par les juristes-réviseurs du Service juridique.

Dans la révision multilingue, qui intervientimmédiatement avant, ou parfois après,l’adoption de l’acte par la Commission, leprojet est tout d’abord examiné dans lalangue d’origine afin d’établir une versiondéfinitive du texte. Les corrections sontensuite répercutées sur toutes les versionslinguistiques, qui sont en même tempsmises au point sous l’angle terminologiqueet juridico-linguistique.

La révision multilingue a longtempsconstitué, hormis quelques consultationsisolées, la seule possibilité d’interventiondes juristes-réviseurs. Il fallait alorscombiner, dans un même examen, le travailsur le texte original qui s’effectuemaintenant lors de la consultationinterservices et la mise au point desversions linguistiques. Cette méthode étaithéritée d’une époque où le nombre deslangues officielles et des matières traitéesétait encore limité, et où les actes étaientélaborés par des services plus stables oùs’étaient constitués une tradition d’écriture,une terminologie et des modèles.

Dans la période récente, les inconvénientsde cette méthode sont apparus de plus enplus nettement. Par sa lourdeur et soncaractère tardif dans le déroulement de laprocédure, elle ne permettait d’examinerqu’un nombre très limité d’actes et nefacilitait pas la coopération entre lesservices. Pratiquées dans l’urgence, lesinterventions, notamment celles impliquantune restructuration du texte, étaient malcomprises et ne pouvaient pas toujours êtremenées jusqu’à leur terme. L’apport desjuristes-réviseurs devait parfois se limiter àla vérification des références et citations,et à des corrections superficielles.

De nos jours, cette méthode subsiste pourla mise au point de certains textes : aumoment de la consultation interservices, legroupe des juristes-réviseurs peut demanderà réexaminer le projet en phase finale afind’en effectuer la révision, lorsqu’il a desraisons de penser que cette intervention sejustifie. Le travail en consultation ayantnormalement permis de résoudre en amontles principaux problèmes, la révisionmultilingue joue désormais un rôle plus clairet mieux accepté en tant que phase definalisation des textes. La révision peutaussi servir de filet de sécurité lorsque laconsultation interservices n’a pas porté tousses fruits quant à la qualité formelle.

4. Nature des interventions

Outre les questions de choix du type d’acteet de la base juridique, qui relèvent ducontrôle au fond mais comportent aussi desaspects de forme, les principalesvérifications qui sont effectuées pour veillerà la qualité formelle des actes portent surles points ci-dessous.

4.1. Contenu

Les éléments nécessaires sont de plus enplus nombreux. En raison d’exigencesaccrues dans le sens d’une plus granderigueur institutionnelle et d’une meilleureprotection directe et indirecte du citoyen,les considérants, par exemple, doiventrendre compte de la conformité de l’acte àune série de principes (subsidiarité,proportionnalité, respect de la Charte desdroits fondamentaux, etc.), selon desformulations en partie standardisées. À

14 En raison des impératifs de temps, il est fréquentque la traduction commence pendant ou même avantla consultation interservices. Les modificationsissues de la consultation sont alors communiquéesen temps utile à la direction générale « Traduction ».

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l’inverse, il faut éliminer les élémentssuperflus : informations sans pertinencepour le texte, simples déclarationsd’intentions, répétitions inutiles, etc.

4.2. Structure

L’acte doit non seulement suivre unestructure type, mais il doit aussi pouvoir êtrecomplété ultérieurement tout en gardant sonéquilibre. Il est très fréquent qu’un actefasse, dans les années qui suivent sonadoption, l’objet de multiples modifications.La structure ne doit donc pas être dès ledépart trop complexe et à la limite de larupture. Dans le cas des propositionsd’actes transmises au Parlement européenet au Conseil, elle doit aussi pouvoiraccueillir les amendements apportés autexte initial aux stades ultérieurs de laprocédure législative.

4.3. Cohérence interne

Les considérants doivent annoncer etjustifier les droits et obligations énoncésdans le dispositif de l’acte. Il faut doncexaminer la cohérence entre ces deuxparties de l’acte. Le dispositif, pour sa part,doit être examiné de très près afin d’éliminerles dispositions superflues ou qui secontredisent, et d’ajouter les élémentsmanquants ; il faut aussi s’assurer que lesréférences internes sont et demeurentcohérentes après toutes les restructurationsnécessaires.

4.4. Cohérence externe

Un acte s’insère dans un ensemble dedispositions préexistantes. Ces dispositionssont celles des traités et des actes pris pourleur application. Ce sont également cellesdes conventions internationales et autresaccords qui lient la Communauté. Il fauts’assurer de la présence de toutes lesréférences nécessaires, et en vérifier lapertinence et l’exactitude.

4.5. Terminologie juridique, formulation

La terminologie juridique doit être adéquateet répondre autant que possible auxexigences de simplicité énoncées par

l’accord interinstitutionnel sur la qualitérédactionnelle. La formulation doitnotamment tenir compte des exigences dumultilinguisme, afin de faciliter la traductionet de permettre l’utilisation de structuresparallèles et concordantes dans toutes lesversions linguistiques.

4.6. Environnement législatif

À ces vérifications classiques s’ajoutent deplus en plus souvent des vérifications auregard de la politique législative d’ensemble,des politiques législatives sectorielles et dela simplification. Dans ce contexte, unedirection « Qualité de la législation » a étérécemment créée au Service juridique pourveiller à l’ensemble des aspects formels dela législation (intervention des juristes-réviseurs en consultation et révision, suivides codifications et des refontes, gestiondes actes en vigueur – l’« acquiscommunautaire »).

** *

De nouveaux changements s’annoncentavec le traité de Lisbonne et lamultiplication des actes qui, proposés parla Commission, seront adoptés encodécision par le Parlement européen et leConseil. Sans relâcher les efforts portantsur la qualité du projet initial, il pourra devenirnécessaire d’assurer un meilleur suivi de laqualité des propositions d’actes tout aulong du parcours législatif. Des discussionssont amorcées en ce sens entre leParlement européen, le Conseil et laCommission. Quel que soit le moded’organisation retenu, il est à souhaiter quela dynamique qui se crée à la Commissionà l’occasion de la consultation interservices,fondée sur l’anticipation des difficultés et lacoopération étroite entre les interlocuteurs,ne se perde pas dans une superposition decontrôles trop abstraits, mais puisseproduire ses effets tout au long de laprocédure devant le Parlement européen etle Conseil.

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1 Début de l’élaboration du projet par le service auteur (par exemple, la DG « Energie et transport »), enanglais ou en français

2 Lancement de la consultation interservices

3 Fin de la consultation interservices : le service auteur reçoit les avis du Secrétariat général, du Servicejuridique et des autres directions générales intéressées (par exemple, la DG « Environnement », la DG« Budget »)

4 Introduction par le service auteur des changements issus de la consultation interservices / Début de latraduction vers les langues officielles

5 Fin de la traduction / Le cas échéant : début de la révision multilingue

6 Le cas échéant : fin de la révision multilingue

7 Adoption par la Commission

8a) Dans le cas des actes de la Commission : publication au Journal officiel de l’Union européenne

8b) Dans le cas des propositions d’actes transmises au Parlement européen et au Conseil de l’Unioneuropéenne : transmission à ces institutions pour la suite de la procédure législative

Schéma de l’élaboration des actes à la Commission européenneet interventions du Service juridique sur la qualité formelle

: Principales possibilités d’intervention du Service juridique sur la qualité formelle

Élaborationdu projet initial

Consultationsinterservices

1 2 4

Traduction (Révision)

5 6

Adoption

7

Publication8 a)

Transmissionaux institutions8 b)

3

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Le déficit démocratique imputé à l’Unioneuropéenne a longtemps désigné la seuleinsuffisance des pouvoirs accordés auParlement européen dans le processus dedécision. Plus récemment, la problématiquedu déficit démocratique a débordé cettepremière acception. La qualité démocratiquede l’Union est désormais appréciée, nonseulement au regard de ses modalitésd’organisation du pouvoir, mais aussi auregard de sa capacité à atteindre certainsrésultats. En tant que communauté d’intérêt,la légitimité démocratique de l’Union estdépendante de la capacité de cette dernièreà produire une législation transparente, claire,cohérente et efficace, autrement dit,conforme aux critères modernes de bonnegouvernance1.

Les chefs d’État et de Gouvernement desÉtats membres ont, avec constance,réaffirmé, depuis le Conseil européend’Édimbourg de 1992, la nécessitéd’améliorer la qualité et l’efficacité de lalégislation européenne. Partie intégrante del’Agenda de Lisbonne, cet objectif s’esttraduit par l’adoption de l’accordinterinstitutionnel « Mieux légiférer

2 » ainsique par la communication de la Commissionde mars 2005 intitulée « Améliorer laréglementation en matière de croissance etd’emploi dans l’Union économique

3 ». Cette

initiative d’ensemble de l’Union européennepour écarter les obstacles bureaucratiqueset remédier à l’excès de réglementation s’esttraduit par nombre d’initiatives concrètes.Ainsi, le 27 septembre 2005, la Commissiona annoncé de nouveaux résultats de soninitiative visant à améliorer la réglementation.En effet, à l’issue d’un examen de183 propositions de textes communautairesen instance devant le Parlement européenet le Conseil, elle a annoncé la suppressionde plus d’un tiers (68), pour diversesraisons : non conformité aux objectifs dunouveau partenariat pour la croissance etl’emploi (stratégie de Lisbonne) ;inadéquation aux normes d’amélioration dela réglementation ; processus législatifenlisé ; propositions devenues obsolètes.Parmi les propositions retirées, on peut citerpêle-mêle : celles portant sur les ventes ensolde sur le marché intérieur, l’étiquetage desdenrées alimentaires, la taille des paquetsde café.

Plus récemment, la Commission a lancéune réflexion sur la rédaction de nouvelleslignes directrices sur les études d’impact.Ce document est encore en cours dediscussion au sein des États membres etn’est pas à ce jour adopté.

La stratégie « Mieux légiférer » se déclinealors autour de trois axes principaux4 : ledéveloppement de la lisibilité du « corpus »normatif et de la procédure législative, lerenforcement de l’efficience de la normecommunautaire et enfin l’amélioration de laréception et de l’application de cettedernière.

« Mieux légiférer » : un objectif européen

Aurélie Paricio,Consultante,

Direction des affaires juridiques

1 Relativement récent, ce concept se référantglobalement à l’exercice du pouvoir, se présentecomme polysémique. Au niveau communautaire, laCommission européenne a donné sa propredéfinition de la notion de gouvernance dans sonLivre blanc sur la gouvernance européenne (COM(2001) 428 final). L’expression « gouvernanceeuropéenne » y désigne « les règles, les processuset les comportements qui influent sur l’exercicedes pouvoirs au niveau européen, particulièrementdu point de vue de l’ouverture, de la participation,de la responsabilité, de l’efficacité et de lacohérence ». Ces cinq « principes de la bonnegouvernance » renforcent ceux de subsidiarité etde proportionnalité.2 JO 2003/C 321/01.3 COM (2005) 97. Cette communication expose lesprincipaux objectifs de cette stratégie.

4 La cohérence du processus législatif estégalement une priorité de l’accord interinstitutionnel.Celui-ci préconise en ce sens une meilleurecoordination des institutions à tous les stades duprocessus législatif, notamment par la tenue deprogrammations annuelles communes et par undialogue interinstitutionnel sur le choix de l’instrumentlégislatif par la Commission.

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1. Développer la lisibilité du« corpus » normatif et de laprocédure législative

Pour améliorer la lisibilité du « corpus »normatif et du processus décisionnel, ladémarche adoptée met l’accent sur lasimplification de la législation commu-nautaire et sur le renforcement de latransparence. Amorcée en octobre 20055,la simplification de l’environnementréglementaire constitue une priorité pourl’Union européenne. Il s’agit alors deproduire des réglementations ne dépassantpas ce qui est nécessaire pour atteindreles objectifs poursuivis. Cette simplificationdu « corpus » normatif est effectuée autravers de différentes méthodes comme lacodification de l’acquis communautaire, larefonte des textes présentant descontradictions ou des redondances entreeux ou encore l’abrogation de textes jugésobsolètes6.

Notons que l’initiative « Mieux légiférer »s’inscrit dans un débat déjà ancien sur lapropension de la Communauté européenne,et singulièrement de la Commission, à troplégiférer, ou encore à rédiger des directivesde plus en plus détaillées, ne sedifférenciant plus que très partiellement d’unrèglement.

Parallèlement, sur la question de latransparence, les institutions se sontmobilisées pour renforcer l’information descitoyens tout au long du déroulement deleurs travaux législatifs. Le Conseil a ouvertau public toutes ses délibérations, votes etexplications de vote intervenant dans lecadre d’une procédure de codécision, ainsi

que ses premières délibérations lorsquecelles-ci interviennent dans le cadre d’autresprocédures, dont l’importance donne lieu àune présentation orale par la Commission.

2. Renforcer l’efficacité de lanorme communautaire

Pour renforcer l’efficacité de la normecommunautaire deux axes sont développés :le renforcement de la participation de lasociété civile et une évaluation préalableaccrue de la législation envisagée.

La société civile se voit désormais confiéeun rôle de corégulation7 et un rôled’autorégulation8. Ces modes alternatifs derégulation, initiés en dehors de tout cadrejuridique dans les années 1980, dans lesdomaines de la normalisation technique, desrègles professionnelles et du dialogue socialsont définis pour la première fois en 2003par l’accord interinstitutionnel « Mieuxlégiférer ». Disposant désormais d’un statutjuridique9, ces modes alternatifs derégulation connaissent aujourd’hui undéveloppement considérable, dans dessecteurs d’activités divers comme lestransports ferroviaires, l’aviation ou encoreplus récemment la publicité. Ces nouvelles

5 Communication de la Commission au Parlementeuropéen, au Conseil, au Comité économique etsocial européen et au Comité des régions, du25 octobre 2005, « Mettre en œuvre le programmecommunautaire de Lisbonne : une stratégie desimplification de l’environnement réglementaire »(COM(2005) 535 final). Cette communication faitsuite à la communication de mars 2005 sur laréglementation en matière de croissance et d’emploiprécitée.6 Pour un état des lieux de la situation, voir ledeuxième rapport de la Commission sur la mise enœuvre de la pratique de la simplification del’environnement réglementaire (COM (2008) 32 finalet COM (2008) 35 final).

7 La corégulation est définie comme étant « lemécanisme par lequel un acte législatifcommunautaire confère la réalisation des objectifsdéfinis par l ’autorité législative aux partiesconcernées reconnues dans le domaine(notamment les opérateurs économiques, lespartenaires sociaux, les organisations nongouvernementales ou les associations). Un telmécanisme peut être utilisé sur la base de critèresdéfinis dans l’acte législatif pour assurerl’adaptation de la législation aux problèmes et auxsecteurs concernés, alléger le travail législatif ense concentrant sur les aspects essentiels, etprofiter de l’expérience des parties concernés »(Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer »).8 L’autorégulation est définie comme étant « lapossibilité, pour les opérateurs économiques, lespartenaires sociaux, les organisations nongouvernementales ou les associations d’adopterentre eux des lignes directrices communes auniveau européen (notamment codes de conduiteou accords sectoriels) » (Accord interinstitutionnel« Mieux légiférer »).9 Ces modes de régulation sont en ce sensstrictement encadrés par des mécanismes desurveillance et de suivi confiés à la Commissioneuropéenne.

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formes de production du droit présententdes avantages certains comme lasimplification des règles, l’adéquation decelles-ci aux besoins de leurs destinataires,la souplesse et la rapidité de mise enœuvre, le désencombrement des circuitslégislatifs et la coresponsabilité de sesparticipants.

Parallèlement à la mise en place de cesmodes alternatifs de régulation, l’étudepréalable de la pertinence des normesenvisagées s’est également développéenotamment par le biais d’analyses d’impact.Ces dernières ont pour objet une évaluationpré-législative des actions communautaireset consistent, dans le respect des principesde spécialité, de subsidiarité et deproportionnalité, à évaluer les conséquencespotentielles de l’action communautaire, àexaminer les différentes options politiqueset juridiques à cette action et à améliorer latransparence du processus de décision.Dès 2002, la Commission a établi des lignesdirectrices précisant les procédures etinstruments d’évaluation.

3. Améliorer la transposition etl’application de la normecommunautaire par les Étatsmembres

Le dernier axe de la stratégie « Mieuxlégiférer » est d’améliorer la transpositionet l’application du droit communautaire parles États membres. Des études ayant révéléune transposition tardive et partielle desdirectives communautaires dans leslégislations nationales, la politiquecommunautaire tend à se durcir. L’accentest mis sur l’obligation de coopération quipèse sur les États membres en vertu del’article 10 du traité instituant laCommunauté européenne et la procédured’infraction dont ils peuvent faire l’objet encas de manquement. Par ailleurs, latendance est à la réduction des délais detransposition et à la mise en place d’unepratique de suivi annuel de celles-ci tant auniveau communautaire que national.

La Commission, dans sa communicationdu 5 juin 2002 « simplifier et améliorerl’environnement réglementaire 10 » a

recommandé aux États membresd’impliquer, le plus en amont possible dansle processus législatif, les administrationsrégionales et locales en charge de latransposition et de l’application des actescommunautaires et de désigner uncorrespondant en charge de la coordinationdes transpositions et de l’application desactes communautaires. Enfin, pour faciliterla communication, la notification desmesures de transposition nationales peutdésormais se faire par voie électronique, surla base d’un formulaire unique.

** *

Cette démarche se traduit avant tout parun processus continu d’efforts pouraméliorer la législation communautaire,comme le soulignent clairement lesconclusions adoptées lors du Conseileuropéen du 14 mars 2008. Il y est rappeléen effet le lien étroit entre la stratégie deLisbonne et l’initiative « Mieux légiférer ».L’enjeu est d’améliorer la compétitivité desentreprises européennes, notammentles PME. Le Conseil européen a estimé queles mesures suivantes « doivent être prisespour que l’initiative « Mieux légiférer »apporte des avantages économiquesconcrets et substantiels » :

• Intensifier les efforts visant à réduire de25 %, d’ici 2012, les chargesadministratives découlant de lalégislation de l’UE, conformément auxconclusions du Conseil européen demars 2007 ; les progrès accomplisseront évalués en 2009 sur la base del’examen stratégique du programme« Mieux légiférer » que réalisera laCommission.

• Adopter dans les meilleurs délais lespropositions législatives en coursd’examen selon une procédure accéléréeet en élaborer de nouvelles ; laCommission devrait poursuivre sonprogramme glissant de simplification.

• Comme l’a souligné le Conseil« compétitivité », il est nécessaire dedévelopper la capacité des institutionsde l’UE en matière d’analyse d’impact.

10 COM(2002) 278 final.

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Néanmoins, le défi le plus importantconsiste peut-être, au-delà desprogrammes et des processus, toujourslargement drapés dans leur gangue determes technocratiques, à trouver le pointd’équilibre entre le nécessaire objectif de« légiférer mieux », et le risque de secontenter de « légiférer moins11 ».

11 C’est ce qu’a montré le débat qui s’est engagéautour des modalités de mise en œuvre de l’initiative« Mieux légiférer », notamment au sein du grouped’experts de haut niveau sur les chargesadministratives, présidé par M. Stoiber,parlementaire européen de nationalité allemandemandaté pour trois ans par la Commissioneuropéenne, afin de la conseiller sur la mise enœuvre du plan d’action visant à réduire les chargesadministratives imposées par la législation de l’Union.

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Le thème de l’inflation législative etréglementaire est largement traité par ladoctrine. Celle-ci a notamment décrit sesmanifestations et ses effets, en ce quiconcerne tant la qualité et la cohérence dusystème normatif que ses conséquencessur le corps social1.

Les solutions d’ordre « normatif » mises enplace par les pouvoirs publics pour tenterde remédier aux problèmes soulevés parl’inflation législative sont largementanalysées. C’est en particulier le cas de lacodification par voie d’ordonnances engagéeces vingt dernières années, la simplificationdu droit et la définition par le Conseilconstitutionnel et le juge administratif d’uncorps de règles, principes ou objectifs denature à encadrer l’activité normative etprincipalement celle du législateur2.

En revanche, les solutions d’ordre « nonnormatif », dans l’acception la plus largedu terme, à savoir d’ordres informatif,scientifique ou doctrinal, apparaissentmoins traités par la doctrine : il n’y a, eneffet, pas de réflexion générale sur ce champd’action de l’État. Il a pourtant connu undéveloppement extrêmement important,dans ou hors du cadre de l’activité normativeproprement dite, afin de lutter contrel’inflation normative ou de limiter sesconséquences négatives, notamment ladifficulté des destinataires de la loi à laconnaître.

Bien que sa création par le Conseilconstitutionnel soit relativement récente3,l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité dela loi a joué un rôle essentiel dans cedéveloppement de solutions d’ordre nonnormatif, peu importe que celles-ci lui soientantérieurs ou postérieurs : en constituantleur fondement juridique premier, il a permisleur essor véritable.

Cet objectif est venu ajouter à l’adage « Nuln’est censé ignorer la loi » : il adjoint uneobligation positive faite à l’État d’offrir auxcitoyens les moyens de connaître

Normatif et non normatif :la fréquente confusion des pouvoirs publics

(ou l’opinion critique d’un juriste du secteur privésur un défaut majeur des politiques de lutte contre l’inflation normative)

Hervé Moysan,Docteur en droit,

Directeur de la Rédaction « Législation » de LexisNexis JurisClasseur

1 Voir notamment, parmi l’abondante littérature deces dernières années, A. Outin-Adam et A.-M. Reita-Tran, « Excès et dérives dans l’art delégiférer » : D. 2006, p. 2919 ; E. Grass, « L’inflationlégislative a-t-elle un sens ? » : RD publ. 2003,p. 139 ; G. Hispalis, « Pourquoi tant de loi(s) ? » :Pouvoirs 2005, n° 114, p. 101 ; E. Matutano,« L’inflation normative en question » , Rev.adm. 2007, p. 617 ; P. Mbongo, « De l’inflationlégislative comme discours doctrinal » : D. 2005,Point de vue, p. 1300 ; H. Moysan, « À propos del’inflation des chiffres mesurant l’inflation deslois » : D. 2007, p. 3029 ; A. Paynot (dir.F. Rouvillois), « L’inflation normative » : Études dela Fondation pour l ’ innovation polit ique,www.fondapol.org ; R. Piastra, « Trop de lois enFrance […] » : D. 2006, Point de vue, p. 1060 ; J.-M. Pontier, « Pourquoi tant de normes ? » :AJDA 2007, p. 769 ; J.-C. Zarka, « À propos del’inflation législative » : D. 2005, Point de vue,p. 660 – Sur l’inflation engendrée par le recoursaux ordonnances, Voir les références citées plusloin, note 36.2 Voir par exemple : W. Baranès et MA Frison-Roche,« Le principe constitutionnel de l’accessibilité etde l’intelligibilité de la loi » : D. 2000, p. 361 ;P. Gonot, « La simplif ication du droit parordonnances » : AJDA 2003, p. 1652 ; N. Molfessis,« Les illusions de la codification à droit constant[Suite en bas de colonne suivant]

[Suite du bas de colonne précédent]et la sécurité juridique » : RTD civ. 2000, p. 186 ;D. Ribes, « Codes en stock : le Conseilconstitutionnel et les aléas de la codification » :RFD const. 2000, p. 120 ; J.-E. Schoettl,« Codification par ordonnances » : AJDA 2000,p. 31 ; « Simplification du droit et constitution » :AJDA 2003, p. 1391 ; « Simplification du droit etconstitution » : « Petites affiches », 20 décembre2004, p. 6 – Pour des références bibliographiquesplus complètes en complément des notes 1 et 2, sereporter à la bibliographie établie par P. de Montalivetet annexée à R. Drago (dir.), « La confection de laloi » : PUF, coll. « Cahiers des sciences moraleset politiques », 2005, et à celle, périodiquementactualisée, de la préface du « Juris-Classeur,Codes et lois, Droit public et droit privé ».3 Cons. Const. n° 99-421, 16 décembre 1999 : JO,22 décembre 1999, p. 19041.

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effectivement la loi, à la simple présomptionprocédurale ou formelle interdisant de seprévaloir de son ignorance pour sesoustraire à son application.

La création de cet objectif suscite certainesinterrogations. La doctrine a ainsi analyséou dénoncé son caractère « polymorphe4 »,l’incertitude pesant sur son contenumatériel5, ou encore les effets pervers qu’ilest susceptible de produire6. De ce fait, onpeut se demander s’il n’a pas autorisé ledéveloppement de solutions marquées parune absence de réflexion préalableapprofondie et par une confusion desprincipes et conceptions qui les guident,notamment une absence de distinction dunormatif et du non normatif.

En effet, toute réflexion critique des pouvoirspublics à l’égard des solutions mises enœuvre semble interdite du fait du caractèrenécessairement positif des postulats qui lesjustifient7 (par exemple, la nature« évidemment » positive de l’objectif defavoriser la connaissance de la loi, l’intérêtgénéral qui s’attache « par principe » auxactions de l’État ou encore l’objectivité etla qualité intrinsèques des données qu’ilproduit).

La confusion du normatif et du non normatifse manifeste hors du cadre de l’activiténormative (1.) mais également dans lecadre de celle-ci (2.). Elle rejaillit sur lecœur de l’activité normative de l’État, enconduisant ce dernier à se désengagerd’aspects essentiels de celle-ci (3.).

1. Confusion hors du cadre del’activité normative : le cas deLégifrance

Justifié par l’arrêt Ordre des avocats aubarreau de Paris du 17 décembre 19978, quivoit dans la diffusion de textes juridiquespar Internet « par nature une mission deservice public au bon accomplissement delaquelle il appartient à l’État de veiller9 », leservice public de la diffusion du droit trouvedans le site Légifrance une traduction dontla légitimité juridique et économiqueapparaît incontestable10. Pourtant uneinterrogation mérite d’être formulée sur lanature – très diverse – des donnéesdiffusées le site, leur périmètre ou leurfiabilité.

Dans ce cadre, on observe que la confusiondu normatif et du non normatif se réalise deplusieurs manières, spécialement depuis lamise en ligne, en janvier 2008, de lanouvelle version du site, dite« Légifrance IV ».

1.1. les réponses obtenues dans le cadredu masque de requête principal donnentindistinctement accès aux textes brutsparus dans la source faisant seule foi (le

4 G. Cornu, « Introduction au droit » : Domat-Montchrestien, 13ème édition, 2007, p. 70 et ss.5 P. de Montalivet, « La juridicisation de la légistique.À propos de l’objectif de valeur constitutionnelled’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » inR. Drago (dir.), « La confection de la loi », précité,spécialement p. 128.6 Voir, par exemple, G. Cornu, « Introduction audroit », précité, pp. 65-66.7 Ainsi T. Revet écrit que les pouvoirs publics« subjugués par l’omniprésence du droit, qui neprovoque de leur part aucune critique puisqu’ilsne voient en elle qu’un hommage appuyé, […]n’entendent donc pas en contrarier la demandemais permettre seulement sa satisfaction. Leurcrédo est dès lors celui du droit au droit, élémentessentiel du pacte démocratique […] », RTDciv. 1999, p. 220.

8 Et non par l’article 2 de la loi n° 2000-421 du 12 avril2000 qui ne le vise pas (voir : B. Stirn et S. Formery,« Code de l’administration » : Litec, 3ème édition,2008, paragraphe 5, p. 27) non plus par l’objectifde valeur constitutionnelle d’accessibilité etd’intelligibilité de la loi, qui ne l’implique pas(concernant les seuls textes consolidés, Voir :H. Moysan, « La consolidation des codes, lois etdécrets : position doctrinale d’éditeurs ou devoirde l’État » : « Petites affiches » , n° 194,29 septembre 2005, p. 12). L’un comme l’autre, audemeurant, ne l’interdisent évidemment pas.9 CE, 17 décembre 1997, Ordre des avocats aubarreau de Paris, Req. n° 181611 : Rec., CE, p. 491 ;AJDA 1998, p. 362, conclusion J.-D. Combexelle ;Juris-Data n° 1997-046424.10 Aux postulats de nature juridique mentionnés plushaut, s’ajoute un argument d’ordre économique –qui n’en est pas moins un argument d’autorité – pourclore le questionnement sur la légitimité ou lajustification de l’action de l’État en matière deconstitution et de diffusion d’information juridiquepar Internet : celui, quantitatif, du nombre de visiteet de pages lues sur le site Légifrance, qui attestede l’importance du besoin dans sa globalité et justifiele coût somme toute assez élevé, en termesd’investissement et de fonctionnement, supportépar le contribuable.

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Journal officiel), à des contenusdocumentaires ou éditoriaux, tels que lesrésumés et liens issus de la base dite« Lex » et constitués par le Secrétariatgénéral du Gouvernement ou que les textesconsolidés issus de la base mise à jour parla Direction des Journaux officiels (dite« Legi »). Pis, les textes bruts et lesrésumés et liens sont présentés de manièrefusionnée depuis l’intégration des donnéesélaborées par le Secrétariat général duGouvernement à la base « Journal officiel »proprement dite.

1.2. Cette ambiguïté portant sur la naturedes données consultées est singulièrementrenforcée par l’absence corrélatived’avertissement sur le statut del’information, contrairement à l’usage de laplupart des sites publics11.

1.3. La mise à jour des textes consolidéss’opère manifestement selon uneconsolidation mécanique, c’est-à-direreposant sur la primauté donnée à latechnique informatique sur l’analysejuridique ou scientifique. À ce titre,Légifrance présente une difficulté récurrenteà intégrer des informations complexes(changements de date d’entrée en vigueurde dispositions modifiées avec une dateinitiale de prise d’effet12, intégration desannulations contentieuses de dispositionsréglementaires13, etc.) ou s’évertue àintégrer systématiquement les dispositionsbalais dont on sait pourtant que le traitement

exige beaucoup de discernement en raisondes innombrables problèmes que cettetechnique normative pose14. Cette approchemécanique15 élude étonnement l’irréductiblepart doctrinale de la consolidation de la loi16.Ce refus de distinguer entre données bruteset données scientifiques issues de leurconsolidation illustre la confusion dunormatif et du non normatif dans la diffusiondes données publiques. Il engendre denombreuses erreurs dans les contenusreproduits et diffusés et mêmes lesprofessionnels les plus avertis sontfréquemment induits en erreur17.

11 Voir spécialement l’avertissement accessible àpartir de chaque page du site du Conseilconstitutionnel, rappelant que « s’agissant destextes normatifs reproduits sur le site, seule laversion publiée au Journal officiel de la Républiquefrançaise fait foi ». Cette ambiguïté des donnéesreproduites sur Légifrance apparaît mêmedifficilement compatible avec l’objectif d’accessibilitéet d’intelligibilité de la loi que leur consultation estcensée servir.12 Par exemple, les dispositions issues de la réformedes autorisations d’urbanisme sont longtemps aprèsle 1er juillet 2007 demeurée en vigueur sur Légifrancealors même que leur date d’entrée en vigueur avaitété reportée de cette première date au1er octobre 2007.13 Par exemple, l’article R. 4236-5 est toujours envigueur au 30 mars 2008 sur Légifrance, alors mêmequ’il a été annulé par le Conseil d’État six moisauparavant (CE, 24 septembre 2007, n° 295920,Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santépublique : Juris-Data n° 2007-072459).

14 Voir H. Moysan, « L’accessibilité et l’intelligibilitéde la loi : des objectifs à l’épreuve de la pratiquenormative » : AJDA 2001, p. 428.15 Qui s’inscrit dans le prolongement logique duconstat fait en 2005 selon lequel « les réellesdifficultés de la consolidation réalisée par la DJO[sont] l iées à la dispersion et au manqued’homogénéité des bases de données actuelleset au vieillissement des outils de production »(point 3.1 du rapport 2005 du comité de suivi duservice public de la diffusion du droit, disponiblesur Légifrance, présentant la substance du rapportsur la consolidation confié au Président du comitéde suivi et à A. Lacabarats).16 H. Moysan, « Le caractère doctrinal de laconsolidation de la loi » in « La confection de laloi » (R. Drago, dir.) : PUF, 2005, p. 177. De même,le Secrétaire général du Gouvernement expliqueque « c’est [la consolidation du droit accessible surl’internet] une prestation à la fois essentielle etdélicate, parce que la part de l’expertise juridiqueest bien plus importante en la matière que pourles autres prestations liées à la diffusion du droitsur l’internet » (J.-M. Sauvé, Discours d’ouverturedes Sixièmes journées Internet pour le droit, 3 au5 novembre 2004 : « Petites affiches », n° 194,29 septembre 2005, p. 5).17 Par exemple l’article 3 de l’ordonnance n° 2003-1216 du 18 décembre 2003, conjointement signé parle Premier ministre et le Garde des Sceaux, modifiel’article 153 du code du domaine public fluvial sanstenir compte de son abrogation par la loi n° 72-1202du 23 décembre 1972. De même, le rapport relatif àla dépénalisation de la vie des affaires, dit rapportCoulon, remis le 20 février dernier au Garde desSceaux, rapporte dans des termes erronés plusieursdes dispositions qu’il analyse. Par exemple, lemontant de l’amende prévue à l’article 54 de la loin° 78-763 du 19 juillet 1978 ne s’établit pas à3.750 euros, comme il est précisé dans le tableaufigurant page 44 du rapport, mais à 1.500 euros :originellement délictuelle, celle-ci est devenuecontraventionnelle et celui-là obéit en conséquenceà des règles de revalorisation spécifique. De même,la peine de trois mois d’emprisonnement et l’amendede 25.000 francs (sic) prévue à l’article L. 529-5 ducode rural, rapporté dans le même tableau, n’estplus en vigueur : la récidive des contraventions desquatre premières classes a été abrogé par la loin° 92-1336 du 16 décembre 1992.

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1.4. Cette confusion est égalemententretenue par le développement progressifet régulier de contenus éditoriaux tels queles dossiers législatifs, les résumés etliens, les notas, les informationsstatistiques, les rubriques d’actualité (aulieu et place de celui de la source faisantseule foi18).

Cette confusion présente le risque que lanormativité d’une information qui en estentièrement dénuée soit déduite ducaractère officiel du site sur lequel ellefigure, spécialement par les citoyenssimples justiciables – mais pas seulementeux, ainsi qu’en attestent les exemplesrapportés plus haut. Avec d’autresphénomènes de normativité supposée partout ou partie de ses destinataires19,l’information ainsi consultable participe àune remise en cause de la distinctionséculaire entre sources du droit et doctrine,sous la forme particulière de la résurgenced’une interprétation « authentique20 ». Sicertains s’inquiètent du « leurre » qu’estsusceptible de représenter l’informationdiffusée par le service public de la diffusiondu droit, faute d’un véritable éclairagedoctrinal21, d’autres appellent de leur vœuxle développement d’une doctrine librementaccessible sur internet car elle estindispensable à la compréhension oul’intelligibilité de données brutes (ouprétendues brutes22).

La confusion du normatif et du non normatifse produit également dans le cadre del’activité normative.

2. Confusion dans le cadre del’activité normative : le cas dela codification dite à droitconstant

La confusion du normatif et du non normatifrevêt plusieurs formes dans le cadre del’activité normative. La multiplication desdispositions dépourvues de portée juridiquedans la loi en est une de sesmanifestations23.

La multiplication d’actes qui, bien quedépourvus de portée normative sont perçuscomme présentant un caractère obligatoirepar les sujets de droit, notamment parcequ’ils émanent d’autorités titulaires d’unpouvoir réglementaire, en constitue uneautre24.

La codification dite à droit constant enconstitue une troisième. La double naturede la codification, telle qu’elle est présentéepar ses concepteurs ou partisans, témoignede cette confusion. En effet, la codificationadministrative du droit français réaliséedepuis vingt ans est certes décrite commeun outil de « remise en ordre du droit

25 ».Elle est surtout présentée comme unmoyen d’accès au droit

26.

18 Voir infra.19 Voir infra.20 Voir P. Malaurie et P. Morvan, « Introductiongénérale au droit civil » : Defrénois, 2ème édition,2005, pp. 293-294 et 307.21 J.-L. Bergel, Avant propos au dossier « Nouvellesméthodes d’accès et diffusion informatique dudroit » : RRJ n° 2006-5, pp. 2651-2652.22 D. Mazeaud, « L’accès libre au droit grâce àinternet : une nouvelle garantie de démocratie dansun nouvel espace de luttes d’influences » inSixième journées Internet pour le droit : « Petitesaffiches », n° 194, 29 septembre 2005, p. 23.

23 Voir N. Molfessis, « La distinction du normatif etdu non normatif » : RTD civ. 1999, p. 729(spécialement la liste donnée par lui, p. 731).24 Sur ces instructions, recommandations, avis, etc.formant cet ensemble qualifié de « droit mou », voirE. Claudel et B. Thullier (dir.), « Le droit mou, uneconcurrence faite à la loi » :www.glose.org/cedcace.htm.Voir aussi P. Sablière, « Une nouvelle source dudroit ? Les documents référents » : AJDA 2007,p. 66.25 G. Braibant, « Codifier pour mieux réformer »(entretien) : « Petites affiches », 21 novembre 1997,spécialement p. 6.26 Voir, par exemple, la teneur des discours ettémoignages accompagnant le quinzième rapportannuel de la commission supérieure de codification :Doc. fr., 2004 – Ainsi visant à facil iter laconnaissance de la loi, « la codification répond aumême souci que celui qui a inspiré la création deLégifrance. La codification entretien d’ailleurs desliens multiples avec les banques de donnéesjuridiques » (JE Schoettl, « Codification etconstitution » in rapport précité, p. 27). Voir aussiG. Braibant, « Codifier pour mieux réformer »(entretien) : précité, spécialement p. 11 ;D. Mandelkern (prés.), « La qualité de laréglementation » : La Doc. fr., 2002, p. 26 ;R. Schwartz, « Éloge de la codification » : Dr.adm. 2002, chron. n° 22, spécialement p. 13.

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Paradoxalement, cette seconde dimensioninformative est même la plus immédiatementperçue et valorisée. À ce titre l’utilisation dela technique des dispositions « pilotes » et« suiveuses27 », conçue pour assurer « laplus complète information de l’utilisateur

28 »est révélatrice, même si celle-ci n’est plusaujourd’hui utilisée par le codificateur

29 enraison des très grandes difficultés de miseen œuvre et de gestion dans le temps qu’elleprésente30. Cette technique constitue latransposition dans l’ordre normatif d’unefonction traditionnelle des codes d’éditeur,qui ont précisément pour objet de rassemblerles dispositions pertinentes d’une matière defaçon cohérente et organisée à travers deséditions successives, ainsi que de lesannoter ou commenter

31.

Cette confusion portant sur le rôle formelde la codification conduit même sesconcepteurs ou partisans à la percevoir pource qu’elle n’est pas, c’est-à-dire un moyend’accès au droit, et à ne pas la percevoirpour ce qu’elle est, c’est-à-dire unetechnique d’organisation des lois etrèglements… qui, le cas échéant, peut êtrejugée comme facilitant le développement demoyens d’accès au droit. En effet, il existedes dispositions codifiées d’accès difficilecar peu disponibles sur des supportséditoriaux ou documentaires32 et des

dispositions non codifiées très accessiblesparce que bénéficiant d’une large diffusion33.

Cette confusion du normatif et du nonnormatif conduit l’État à multiplier lesactivités et les interventions les plusdiverses. Il n’est pas certain que l’État dedroit ait beaucoup à gagner de cedéveloppement de l’État providence34. Eneffet, ce faisant, l’État perd de vue le cœurde sa compétence juridique et sedésengage de pans essentiels de sonactivité normative.

3. Effets de la confusion : ledésengagement de l’Étatd’aspects essentiels del’activité normative

En se dispersant dans de multiplesactivités, l ’État omet des aspectsessentiels de son activité normative, tenantprincipalement à la définition du cadre danslequel elle s’exerce. Certes, la circulaire du30 septembre 2003 relative à la qualité dela règlementation a donné lieu àl’élaboration de chartes de qualité qu’elledemandait. De même, ultérieurement, leConseil d’État a recommandé la mise enœuvre de solutions dans son rapportpublic 2006, dont la généralisation durecours aux études d’impact. Plusrécemment, la loi n° 2007-1787 du20 décembre 2007 de simplification du droita engagé une clarification formelle de lalégislation et de la règlementation eninstaurant une obligation pour les autoritésadministratives d’abroger les règlementsillégaux et en abrogeant expressément denombreuses dispositions législatives dontl’applicabilité était incertaine. Néanmoins denombreux autres aspects essentiels del’activité normative de l’État sont délaissés.C’est en particulier le cas de l’absence de

27 Elle consiste à reproduire dans un code desdispositions d’un autre code.28 JE Schoettl, précité, p. 28.29 Voir néanmoins récemment le décret n° 2008-108du 5 février 2008, reproduisant dans le code de lasécurité sociale l’article qu’il introduit dans le codede la santé sur la délivrance de médicaments par lepharmacien.30 Voir par exemple : L. Miniato, « Les inconvénientsde la technique du code pilote et du code suiveur(note sous Cass. crim., 17 décembre 2003) » :D. 2004, n° 20, p. 1416.31 La très grande technicité de l’entreprise et lesdifficultés auxquelles elle se heurte expliquent queces codes soient généralement réalisés sous ladirection ou la responsabilité scientifique des pluséminents universitaires ou praticiens.32 Ainsi les codes spécifiques à l’outre-mer ou ceuxpropres à l’Alsace Moselle restent peu accessiblescar peu publiés. De manière similaire, la grandetechnicité formelle de codes tels que le code généraldes impôts ou celle d’éléments spécifiques de codestels que certaines de leurs annexes ou tableaux,sont parfois mal rendues par les supports éditoriaux.Enfin, l’instabilité chronique qui affecte nombre decodes sans cesse modifiés, tels que le code de lasanté publique ou le code du travail, rend incertainleur consolidation et par là même l’accès au droit.

33 Les textes constitutionnels ou les grandes lois dela République sont largement diffusés, en raisonde leur statut. De nombreuses dispositionslégislatives, intéressant par exemple lesconsommateurs ou les locataires, le sont égalementen raison des obligations légales d’information oude reproduction pesant sur les professionnels decertains secteurs économiques.34 Sur le fait que les politiques de l’accès au droitconstituent une manifestation de l’État providenceplus que de l’État de droit, voir T. Revet, précité ouN. Molfessis, « La sécurité juridique et l’accès auxrègles de droit » : RTD civ. 2000, p. 663.

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réflexion sur le caractère excessivementdétaillé ou précis de la législation et surtoutde la règlementation. C’est encore le casde l’absence de mise en œuvre de moyenspour lutter contre l’instabilité chronique deslois et règlements nationaux, au contraireamplifiée par la politique de codificationsystématique du droit français35 et par lerecours massif aux ordonnances pourréformer

36. Trois autres exemples, d’inégaleimportance, peuvent être ici donnés.

3.1. Maintien de pratiques normativesfaisant peser une incertitude surl’établissement de la loi applicable

Les dispositions balais, les modificationsindirectes, les abrogations implicites37, leremplacement de mots et non d’unitéslogiques comme des articles ou alinéascomplets38 constituent quelques illustrationsd’une technique normative qui n’est pas aussiaboutie qu’elle devrait et pourrait l’être.

De même, la codification fiscale ne remplitpas toutes les exigences requises. En dépitdes garanties de compétence et de contrôlede l’administration et du juge, cettecodification administrative permanenteemporte nécessairement des inexactitudesou incertitudes en raison principalement deson mécanisme très particulier de réalisationet de l’absence de ratification expresse parla loi39. Enfin les pratiques en cours dans

un certain nombre de domaines conduisentle pouvoir normatif lui-même à perdre lamaîtrise de la connaissance de certainscorpus applicables. Le droit des collectivitésd’outre-mer se révèle singulièrementconcerné. La complexification du droit, fruitde la généralisation de statuts sui generis,ou encore la pratique d’abrogationsgénériques40 rendent de plus en plusincertaine la détermination du droitapplicable41.

3.2. Absence d’élaboration d’un guidede légistique opérationnel entermes de techniquerédactionnelle des textes

L’imposant guide de légistique accessiblesur Légifrance42 s’apparente à un guide deprocédure visant à assurer, lors de

35 Codification dont l’ampleur sinon le rythmedevraient néanmoins décroître : voir D. Labetoulle,« Du (nouveau) code du travail au futur code del’énergie » : RJEP 2008, Repère n° 2.36 P. Delvolvé, « L’été des ordonnances » :RFDA 2005, p. 909 ; Y. Gaudemet, « La loiadministrative » : RD publ. 2006, p. 65 ; « Lesordonnances de la XIIème législature (2002-2007) :L’avènement de la législation administrative » :Dossier spécial législation encarté dans leséditions G et A de la Semaine juridique n° 38 et n° 39des 19 et 24 septembre 2007 ; Service des étudesjuridiques du Sénat, « Les ordonnances » ,mars 2008 (www.senat.fr).37 Voir J. Moreau, « De l’abrogation implicite endroit public français » : JCP A 2005, n° 1339.38 Ainsi que le recommandait une circulaire du Premierministre du 18 avril 1988 (JO du 21 avril 1988).39 Voir spécialement : V. Haïm, note sous CE,13 septembre 1995, Simha : AJDA 1996, p. 65 et« Le contribuable peut-il utilement se prévaloir ducode général des impôts ? » : Dr. fisc. 1996, n° 27,[Suite en bas de colonne suivant]

[Suite du bas de colonne précédent]p. 908 – Voir également conclusions de J. Arrighide Casanova sur : CE, 20 février 1991, SAFER duBassin de l’Adour : Dr. fiscal 1991, n° 852, p. 679 ;note sous : CE, avis n° 115874, 8 juin 1990,M. Barrault : Dr. fiscal 1991, n° 383, p. 39 ; Cass.crim., 3 octobre 1994 : Bull. Crim. n° 311.40 Parmi les exemples récents, l’article 3 du décretn° 2007-1847 du 26 décembre 2007 qui crée lesdeux livres du code général des collectivitésterritoriales définissant le cadre général,institutionnel, administratif, financier et électoral desnouvelles collectivités de Saint-Barthélémy et Saint-Martin prescrit laconiquement que « sont abrogéestoutes dispositions réglementaires contraires auprésent décret ». La logique opératoire susceptiblede présider à cette abrogation générique apparaîtbien difficile à discerner. Et l’idée que les auteursdu décret ne savaient pas quels textes viser nepeut manifestement pas être écartée.41 À ce titre, l ’ordonnance n° 2007-1801 du21 décembre 2007, relative à l’adaptation à Mayottede dispositions législatives, écarte l’application àcette collectivité de textes qui pourtant, en raisondes matières dans lesquels ils interviennent,devraient en toute logique s’y appliquer (en vertude l’article LO 6113-1 du code général descollectivités territoriales). – Sur la question del’applicabilité des textes aux collectivités d’outre-mer, voir notamment E. Matutano, « L’identité et laspécialité législative au gré des évolutionsinstitutionnelles de l’outre-mer » : JCP A 2007,n° 2065 ; J.-P. Thiellay, « L’application des textesdans les outre-mer français » : AJDA 2003, p. 1032.42 Ce guide reprend la substance de la circulaire du30 janvier 1997 relative aux règles d’élaboration,de signature et de publication des textes (parue auJO du 1er février 1997), qui a été elle-même abrogéepar la circulaire du 1er juillet 2004 de même objet(non publiée).

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l’élaboration des normes, le respect desnombreuses obligations de forme résultantpar exemple de la hiérarchie des normesou de l’organisation des pouvoirs publics(en matière de visas, de consultations, etc.).Il consacre en revanche relativement peude développements concrets ouopérationnels aux techniques de rédaction,et fournit notamment peu de directivesvisant à limiter le recours aux pratiquesnormatives défaillantes évoquées plus haut,contribuant ainsi à leur permanence.

3.3. Imperfections de la publication dessources faisant foi

La publication des textes, du moins de ceuxrevêtant une portée générale, est un acteessentiel de l’activité normative puisqu’elleles rend exécutoires et fonde leuropposabilité43. La nécessité est réelle pourles sujets de droit d’accéder à la seulesource faisant foi, Journal officiel ou Bulletindes lois l’ayant précédé, dans son intégralitéet en « texte dur » (et non pas seulementen fichier « image »). Le site Légifrancepourrait aider les destinataires des normesà les trouver dans leur rédaction opposable,en leur permettant notamment de procéderà toutes les recherches extrêmementprécises, en « full text », qui sontfréquemment indispensables.

Le site public ne l’autorise que pour lestextes parus à compter du 1er janvier 1990,et sous certaines limites. Mais réalisantune nouvelle confusion du normatif et dunon normatif, l’État privilégie en matière dediffusion du droit ce qui est second (lapublication de textes consolidés etd’informations n’ayant qu’une valeurdocumentaire), à ce qui est premier (l’accèsaux textes opposables tels que publiés dansla source faisant seule foi44).

43 Concernant les directives, les instructions, lescirculaires émanant de diverses autorités centrales,déconcentrées ou décentralisées, voir lesarticles 29 et suivants du décret n° 2005-1755 du30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès auxdocuments administratifs et à la réutilisation desinformations publiques.44 Paradoxalement, c’est le site d’un éditeur privé,en l’occurrence Lamyline Reflex, qui pallie cettedéfaillance, en permettant un accès au Journalofficiel en « texte dur » depuis 1955.

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À l’image de leurs collègues allemands lesjuristes français attribueront-ils un jour unprix de la bonne législation ? Le 24 avril2007 la société allemande de législation(Deutsche Gesellschaft für Gesetzgebunge.V.) a décerné en effet ce prix à desuniversitaires et des étudiants qui avaientrédigé un projet de loi relatif au contrat detravail. Mais au-delà de cette anecdote,l’attachement de nos voisins à la qualité dela norme juridique s’est concrétisé cesdernières années par la mise en œuvre d’unepolitique de simplification du droit, quigagne à être connue à la fois pour sonancienneté et pour son ampleur.

1. Une politique amorcée il y aplusieurs années

Pour situer la production normative de notrevoisin à l’échelon fédéral, on recensaiten 2004 dans ce pays 2.066 loiscomprenant 46.308 dispositions et3.051 règlements contenant 38.766 dispo-sitions (« Wolfgang Thierse, Wege zubesserer Gesetzgebung, Begründung,Folgenabschätzung und Wirkungskontrolle,Verlag C.H. Beck München 2004, S. 10,Initiative Bürokratieabbau, Bereinigung desBundesrechts, Bundesministerium derJustiz, 9 Mai 2004 »). Ces chiffres étaientpassés respectivement à 2.100, 46.000,3.140 et 41.000 un an plus tard. À l’inversede ce que l’on constate en France, onn’enregistre pas en Allemagne d’inflation dunombre de lois sur une longue période. Eneffet entre 1949 et 1953, sous la premièrelégislature, 136 lois étaient adoptées enmoyenne par an, ce chiffre étant exactementle même sous la septième législatureentre 1972 et 1976, voire légèrementinférieur (128) sous la quinzième législature,entre 2002 et 2005. Par ailleurs, 90 % destextes adoptés par le Bundestag émanentdu Gouvernement, l’examen juridiquementformel des projets incombant au ministèrefédéral de la justice (« Arnd Vollmer, diePrüfung von Gesetzentwürfen durch denfranzösischen Conseil d’État : gibt es inDeutschland funktional vergleichbare

Prüfverfahren ? Deutsche Hochschule fürVerwaltungswissenschaften, 2005 »).Cependant dès les années 1980,l’Allemagne a engagé une réflexion sur lanécessaire évaluation de la loi ex ante. Envertu de deux décisions du 11 décembre 1984et du 20 décembre 1989, le Gouvernementfédéral a décidé que les ministères devaientrépondre à une série de dix questions,élaborées par les ministères fédéraux del’intérieur et de la justice, afin de s’assurerde la nécessité, de la portée et de la clartéde tout projet de texte (« BlauePrüffragen »). Les rédacteurs d’un texteétaient invités à se demander si celui-ci étaitnécessaire ; s’il existait des alternatives ; s’ilrelevait de la compétence fédérale ; si uneloi était souhaitable ; si cette initiative étaitopportune ; si le périmètre de laréglementation pouvait être défini ; si sadurée devait être limitée ; si la règle étaitcompréhensible, aisée à mettre en œuvre etsi le rapport entre le coût et l’utilité de lamesure était adapté. Mais cette premièretentative de rationalisation de la productionde la norme accordait peu de place auxcritères qualitatifs. Le Bundestag dressaitaussi dans le même temps une listesystématique de questions auGouvernement sur les projets de loi qui luiétaient soumis (« Prüffragen für die Beratungvon Gesetzentwürfen in den Auschüssendes Bundestages, cité dans GeraldKretschmer, Zum Stand derGesetzesfolgenabschätzung im deutschenBundestag, Wirkungsforschung zum RechtIV, 2003, Nomos »).

Les praticiens percevaient l’évaluation « exante » comme un moyen d’informationsupplémentaire du Bundestag etsuggéraient de la coupler avec le recours àInternet, pour ouvrir un champ de discussionsur le projet concerné (« Thomas Hadamek,Gesetzesfolgenabschätzung-auch eineSache des Parlements ? Zeitschrift fürGesetzgebung, 2001, S. 382 »). Lors deleur conférence de 1998 les présidents desLandtage se prononçaient de leur côté enfaveur d’une évaluation des normesjuridiques à l’échelon des Länder. En 2001

La simplification du droit en Allemagne

Yves-Marie Doublet,Directeur adjoint,

Service des affaires juridiques de l’Assemblée nationale

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un manuel de l’évaluation de la loi étaitréalisé sous l’égide du ministère fédéral del’intérieur et du ministère de l’intérieur duBaden-Württemberg. Le Land de Rhénanie-Palatinat mettait en place une politiqued’évaluation des textes à compter du1er janvier 2001, un accord étant passé ence sens entre l’administration du Land et leLandtag.

2. La contribution de la Courconstitutionnelle fédérale

Lorsque la doctrine allemande plaide pourla clarté et la normativité de la norme, cettepréoccupation rejoint la jurisprudence duConseil constitutionnel sur l’intelligibilité dela loi. Si le Conseil constitutionnel déduitdepuis sa décision du 16 décembre 1999cet objectif constitutionnel des articles 4,5, 6 et 16 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen, les auteursallemands font dériver le principe de clartéde l’article 20 de la Loi fondamentale, quidispose que le pouvoir législatif est lié parl’ordre constitutionnel (« Jörg Lücke, dieallgemeine Gesetzgebungsordnung,Zeitschrift für Gesetzgebung, 16, 2001,S. 8 »). La jurisprudence constitutionnellea également invité le législateur à apprécierles effets de ses initiatives. Le législateurdoit notamment examiner si sa décisioninitiale doit être maintenue lorsque lecontexte a changé (BVerfGE 49, 89 –Kalkar I). Il doit épuiser toutes les sourcesd’information auxquelles il a accès pourpouvoir évaluer de manière aussi fiable quepossible les conséquences prévisibles desdispositions qu’il prend (BVerfGE 50, 290).L’analyse du législateur doit reposer sur desprévisions (BVerfGE 57, 139 ; 88, 203). C’està lui par exemple qu’il appartient d’évaluerles effets d’un raccourcissement des délaisde résiliation du contrat de travail (BverfGE82, 126). Il échoit en revanche à la Courconstitutionnelle fédérale d’examiner si lelégislateur a pris en considération les motifsd’intérêt général ainsi que les avantages etles inconvénients de la réglementation(BverfGE 86, 90).

3. Un nouvel élan donné par leGouvernement de grandecoalition

Les premières initiatives du Gouvernementfédéral en matière de simplification de laréglementation remontent à 2003, lesministères de l’intérieur et de la justice étantles administrations pilotes de cettepolitique. Elles relayent les conclusions durapport du président Dieudonné Mandelkernà l’intention des États membres de l’Unioneuropéenne (« Dr. Ulrich Smeddinck,Optimale Gesetzgebung im Zeitalter desMandelkern Berichts, DeutschesVerwaltungsblatt 118 (2003) »). LeGouvernement fédéral a franchi le 9 juillet2005 un pas supplémentaire s’inscrivantdans la stratégie de Lisbonne engagée auniveau de l’Union européenne en 2000. Ilappelle de ses vœux la mise en place d’unconseil de contrôle des normes. Il suggèred’introduire une procédure d’identification etde mesure de certains coûts induits par labureaucratie et i l plaide pour unecoordination gouvernementale chargée desimplifier la réglementation. Cette volontéde réduction des coûts de l’administrationet de simplification de la réglementation estamplifiée dans l’accord de formation de lagrande coalition du 11 novembre 2005passé entre la CDU et le SPD, où cetteréforme figure en bonne place. L’objectif estde réduire les coûts administratifs de 25 %d’ici 2011.

Le conseil de contrôle des normes a étécréé par la loi du 14 août 2006. Il estcomposé de huit membres dont lanomination pour un mandat de cinq ans estproposée par le Chancelier au Présidentfédéral. Ces personnalités doivent avoir uneexpérience en matière de législation etdisposer de connaissances économiques.Elles sont chargées d’apprécier les coûtsen termes de bureaucratie de nombreuxtextes, qu’il s’agisse des projets denouvelles lois fédérales, de projets de loimodificatifs, des projets de règlementsd’application. Elles appliquent la mêmegrille d’analyse aux travaux préparatoiresdes directives communautaires, auxdispositifs de transposition de directives etaux lois fédérales existantes. La positiondu conseil de contrôle à l’égard desministères responsables des projets de loin’est pas rendue publique mais elle est

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jointe aux projets lors de leur dépôt devantle Bundestag. Les projets de loi sontsoumis au conseil avant leur examen parle Gouvernement. Le conseil est à ladisposition des commissions permanentesdu Bundestag et peut être entendu parcelles-ci. La Commission des finances duBundestag a fait usage de cette faculté lorsde la discussion de la réforme de la fiscalitédes entreprises. C’est en effet devant cetteinstance que le conseil a fait valoir que lesmodifications des règles d’amortissementdes biens de faible valeur auraient pour effetd’alourdir de 190 millions d’euros le coût dela mesure proposée. Au final la réforme apermis de réaliser une économie de65 mill ions d’euros. La commissionéconomique et technologique a égalementsaisi le conseil, afin qu’il identifie les coûtsadministratifs pesant sur les petites etmoyennes entreprises.

Pour remplir sa mission d’évaluation, leconseil a recours au modèle de coûtsstandard SKM (« Standardkosten-Modell »), inspiré du système néerlandaisintroduit en 1990 et appliqué dansplusieurs États européens. Il s’agitd’apprécier la charge administrative d’uneréglementation pour l’entreprise, pour lescitoyens et pour l’administration. L’accentest particulièrement mis sur le coûtadministratif des obligations d’informationqui sont imposées à ces trois publics, lesexpériences menées au Danemark et auxPays-Bas montrant que 20 % de cesobligations génèrent 80 % des coûts. Sontessentiellement visées : les déclarationsaux services financiers, les publications dedonnées et les demandes d’autorisations.10.900 obligations d’information àcaractère économique ont été ainsiidentifiées par les ministères, soit un chiffrepratiquement identique à celui retenu parla RGPP en France.

Par exemple à la suite de cette révision deprocédures, il a été décidé que desprestations en espèces aux salariés nedonneraient pas lieu à déclaration dans lalimite d’une franchise de 50 euros, afin dedécharger les entreprises de l’obligationcorrélative de déclaration à laquelle ellesétaient soumises ; l’économie ainsi réaliséea été évaluée à 32 millions d’euros. C’estsur la recommandation du conseil que laliberté de l’accès au registre des plantationsOGM a également été maintenue, le conseil

obtenant gain de cause par rapport auministère de l’alimentation, de l’agricultureet de la protection des consommateurs quisouhaitait introduire une procédure dedemande préalable.

Dans cette démarche, l’introduction dubulletin de salaire électronique estprésentée comme étant susceptible degénérer une économie de plus de230 millions d’euros. La priorité ainsidonnée à l’allégement des formalités pourles entreprises n’a pas échappé à l’OCDEdans son rapport de 2004 sur la qualité dela réglementation en Allemagne.

Depuis le 1er décembre 2006 les ministèresfédéraux ont soumis 225 lois et règlementsau conseil de contrôle et il en a examiné 190.Le rapport d’activité du conseil pour 2007 faitvaloir que la prise en compte de sesrecommandations a permis d’économiser720 millions d’euros. Environ 60 % desobligations d’information contenues dans lesprojets examinés ont été amendées ouabrogées. Parallèlement le règlementcommun des ministères fédéraux(« Gemeinsame Geschäftsordnung derBundesministerien » – « GGO ; WolfgangIsmayr, Gesetzgebung in Westeuropa,Gesetzgebung im politischen SystemDeutschlands, VS Verlag fürSozialwissenschaften 2008, S. 383 ») exigedes ministères qu’ils d’effectuent uneévaluation ex ante des textes et un manuelde l’étude d’impact s’inspirant du SKM a étéélaboré (« Leitfaden für die ex anteAbschätzung der Bürokratiekosten nachdem Standardkostenmodell »).

Cette étude d’impact (« GFA-Gesetzesfolgenabschätzung ») comportesix étapes : identification des obligationsd’information ; examen des alternatives etdes possibilités de simplification desobligations d’information imposées auxassujettis ; évaluation du coût de la mesurenotamment à partir d’un coût horaire ;évaluation du nombre de personnesconcernées ; agrégation des deuxcomposantes précédentes ; estimation ducoût du projet en termes de bureaucratie.À ce stade le rédacteur doit se demandercombien d’obligations d’information sontmises à la charge des entreprises, descitoyens et de l’administration. Les deuxdernières étapes de la procédureconsistent à évaluer les coûts

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administratifs du projet et à intégrer cesinformations dans une banque de données,une fois le projet adopté. Lasystématisation de ces études d’impactdoit avoir pour mérite de surmonter lesobstacles qui ont été opposés à uneprocédure, à laquelle on reproche parfoisd’être longue, coûteuse et inapte à remettreen cause les compromis politiques quisont à l’origine du texte (« HelmuthSchulze-Fielig, Wege, Umwege oderHolzwege zu besserer Gesetzgebung :durch sachverständige Beratung,Begründung, Folgenabschätzung undWirkungskontrolle ? Juristenzeitung,59, 2004 »).

La Chancellerie dispose également en sonsein d’un coordonnateur chargé au sein duGouvernement fédéral de la simplificationadministrative et ayant rang de secrétaired’État. C’est à lui que revient le soin demettre en œuvre et de coordonner lapolitique de simplification administrative,d’arbitrer les conflits éventuels entre lesministères et le Conseil de contrôle desnormes et de fixer les objectifs quantitatifsde réduction de la charge administrative.Cette cellule de coordination compte unedizaine de personnes.

4. Le programme de simplifi-cation de la réglementation

I l est demandé à chaque ministèred’engager une simplification de laréglementation de son ressort. Lesministères sont incités à supprimer lesdispositions sans objet et à simplifier lesdispositions complexes. Le critère d’unedisposition sans objet a été défini par leministère de la justice : elle est ancienne ;elle est le reliquat d’une période de réformequi n’a plus de justification ; sa particularitéexplique qu’elle n’ait pas été intégrée dansune législation ; elle obéit à une terminologieantérieure à la Loi fondamentale. Lesministères qui ont pratiqué ce « toilettage »sur la base de ces critères sont nombreux.Il s’agit des ministères de la justice ; del’intérieur ; des finances, de l’économie, dutravail et des affaires sociales ; de la santé ;des transports, de la construction et dudéveloppement urbain ; de l’alimentation, del’agriculture et de la protection desconsommateurs. C’est ainsi que desdispositions législatives introduites lors de

la réunification et ressortant à lacompétence du ministère de l’économie etdu travail ont été abrogées (« ZweitesGesetz zur Rechtsbereinigung im BereichWirtschaft und Arbeit »).

Les résultats quantitatifs de ce programmede lois de simplification (« Rechtsbe-reinigung ») ne sont pas négligeables. Lapremière loi de simplification du ministèrefédéral de l’intérieur du 19 février 2006 aabrogé 183 dispositions. La première loi desimplification du ministère fédéral de lajustice du 19 avril 2006 a abrogé ou modifié217 dispositions. La première loi desimplification du ministère fédéral de la santéa abrogé respectivement 39 dispositionslégislatives et 188 dispositions régle-mentaires. Le 22 août 2005, le ministèrefédéral de la justice estimait que l’actionglobale de simplification avait permisdepuis 1998 l’abrogation de 160 lois et de155 règlements, soit la moitié du programmearrêté par le Gouvernement, puisqu’ilambitionne de revenir sur 600 lois etrèglements.

Au total on constate qu’une forte volontépolitique s’appuyant sur des moyensadministratifs significatifs a permisd’engager en Allemagne une politique deréduction de la charge administrative et desimplification des normes de grandeampleur, généralement méconnue àl’étranger. Une analyse plus affinée ducontenu des abrogations consisteraittoutefois à déterminer dans cet ensemblela part des textes issus de la réunificationqui n’ont plus vocation à recevoir application,ce qui aurait pour effet sans doute derelativiser la portée de cette politique. Siles préoccupations des autoritésallemandes en faveur de la simplificationadministrative rejoignent celles expriméesdepuis peu par les pouvoirs publics français,on remarque cependant que l’Allemagne sesépare de son voisin sur un point notable,qui est celui de la codification, les allemandsne connaissant qu’une douzaine de codes(code civil, code pénal, code de procédureadministrative, code de procédure civile,code de procédure pénale, code de justiceadministrative, pour ne citer que certainsd’entre eux). L’échec récent de la tentativede réécrire un nouveau code du travail enne se contentant pas d’une réécriture à droitconstant a pesé sur l’entreprise decodification.

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Quant aux difficultés suscitées par laconsolidation des textes, les incertitudes surl’identification des textes en vigueur quisèment le doute chez les praticiens français,sont loin d’être absentes chez leurshomologues allemands (A. Konzelmann,« Sur la recherche du texte consolidé fidèleà la loi », JCP, n° 50, 13 décembre2006).Cette consolidation est pratiquéeautant que possible, les textes étantaccessibles sur le site Internet du ministèrefédéral de la justice qui les publie en liaisonavec la société JURIS.

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1. Pouvez-vous nous présenterl’application S.O.L.O.N. ?

Le système d’organisation en ligne desopérations normatives (S.O.L.O.N.) a étéconçu pour permettre la dématérialisationde l’ensemble de la chaîne d’élaboration desactes normatifs, en vue de leur publicationau Journal officiel.

L’application déployée au début du moisd’avril 2007 gère ainsi le parcours de cesactes des ministères initiateurs, via, le caséchéant le Conseil d’État, via le Secrétariatgénéral du Gouvernement et jusqu’à ladirection des Journaux officiels. Permettantdes transmissions en temps réel entre lesdifférentes étapes du parcours des actes,elle supprime les ruptures de chargeobservées dans la période antérieure dansle traitement matériel des dossiers. Elleallège d’autant le travail de composition duJournal officiel (édition « Lois et décrets »).

L’application gère aujourd’hui l’ensemble desmesures réglementaires et individuellesfaisant l’objet d’une publication au Journalofficiel, à la seule exception des mesuresnominatives inscrites en partie B de l’ordredu jour du Conseil des ministres.

2. Pourquoi avoir fait le choix dedématérialiser la productionnormative ?

La dématérialisation de la productionnormative entre dans le cadre de lamodernisation de l’État en ce qu’elle tireparti des technologies de l’information pourrationaliser la chaîne de traitement desactes normatifs.

Dans l’attente de l’aboutissement desréflexions en cours sur l’éventualité del’introduction dans le système de lasignature électronique, la signature desactes échappe à ce jour, il est vrai, à ladématérialisation. Il reste que, pour les

arrêtés ministériels, le parcours des actespeut se faire par le canal exclusif del’application avec l’introduction d’une versionscannée de l’original dans le dossierS.O.L.O.N. Des originaux ne continuent àcirculer par la voie papier hors del’application que pour les actes du Premierministre et du Président de la République.

Le déploiement de l’application a ainsi dotéle Secrétariat général du Gouvernementd’un outil fiable de supervision du travailgouvernemental. Tant pour les ministèresque pour les services du Premier ministre,S.O.L.O.N. constitue un instrument de suivide la production normative : transparencepour les util isateurs, traçabilité etconservation des états successifs desprojets de textes sont de ce point de vueles caractéristiques principales del’application. Celle-ci comprend des outilsstatistiques qui permettent à chaque entitéd’évaluer le nombre et l’état d’avancementdes textes dont il a la responsabilité.

3. Quel est le rôle du bureau descabinets de Bercy dans la miseen œuvre de S.O.L.O.N. ? Etcelui du SGG ?

L’administration du système repose sur unecoordination entre la maîtrise d’ouvrage dela responsabilité du Secrétariat général duGouvernement et les administrateursministériels pour leur propre organisation.

Le SGG est le pilote interministériel del’application et l ’ interlocuteur desadministrateurs S.O.L.O.N. de chaqueministère. Il remplit un rôled’accompagnement : paramétrage léger del’application, formation des administrateursS.O.L.O.N., gestion des organigrammes etsupervision des utilisateurs de l’application,gestion des connexions ainsi que lamaintenance, organisation de réunionssemestrielles de bilan. Afin de répondre auxbesoins des utilisateurs et d’améliorer les

Premier bilan de l’application S.O.L.O.N.

Grégory Brousseaud,Chef du bureau des cabinets

du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi,et du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique

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fonctionnalités et les performances dulogiciel, un marché de tierce maintenanceapplicative a été passé et les premièresaméliorations ont été implantées enavril 2008.

À Bercy, le bureau des cabinets avaitparticipé, en amont même du déploiement,aux réunions préalables à la mise en placede l’application et a émis un avis sur lecahier des charges rédigé lors de l’appeld’offres.

Dans la phase de recette, le SGG avaitsollicité la participation de quelquesministères. Le ministère de l’économie, desfinances et de l’Industrie (Minefi) s’était portévolontaire, de même que le ministère del’intérieur et de l’aménagement du territoireet le ministère de l’écologie et dudéveloppement durable. Pour le Minefi, lebureau des cabinets ainsi que la directiondu budget, la DGE et la DGTPE ont testéS.O.L.O.N. dans sa première version. Cettephase expérimentale s’est déroulée de maià décembre 2006.

Le bureau des cabinets a ensuite étédésigné, par le Secrétariat général, en tantqu’administrateur S.O.L.O.N. pour lecompte du ministère de l’économie, del’industrie et de l’emploi (Meie) et celui duministère du budget, des comptes publicset de la fonction publique (Mbcpfp). À cetitre, le bureau des cabinets a été chargédu déploiement de l’application S.O.L.O.N.dans les directions des deux ministères,de la gestion des numéros NOR et desdroits des utilisateurs.

L’équipe chargée du suivi et de la mise enplace des projets informatiques au bureaudes cabinets (mission qualité et projetsapplicatifs, MQPA) a d’abord assuré laformation initiale des utilisateurs, dans lecadre de 12 sessions d’une demi-journéedans des locaux informatiques que l’IGPDEa mis à sa disposition et a rédigé un manueld’utilisation qui a été remis à chaqueparticipant (soit 70 personnes).

Elle assure aujourd’hui encore une missionde formation continue et d’aide à l’utilisationde l’application par une assistancetéléphonique.

Enfin, l’équipe MQPA du bureau descabinets centralise les demandesd’évolutions de l’application souhaitées parles directions et en fait part au SGG dansle cadre des réunions périodiques du comitéde pilotage qu’il a mis en place. À ce titre,avant la mise en place des dernièresévolutions, en avril 2008, le bureau descabinets a apporté un concours significatifen prenant part aux tests de validation despremières améliorations apportées àl’application.

4. Quels sont les avantages, etéventuellement les inconvé-nients de S.O.L.O.N. ?

S.O.L.O.N. a, dans un premier temps,demandé un investissement important desutilisateurs. En effet, l’utilisation deS.O.L.O.N. a nécessité une réorganisationdu traitement des textes normatifs au seindes directions : les méthodes de travail ontdû être harmonisées pour s’adapter aufonctionnement de l’application (nombrerestreint de connexions accordées à chaquedirection ; remise en cause pour lesrédacteurs des méthodes de travail(rédaction des actes sur les feuilles destyles du SGG).

Toutefois, ces inconvénients ont étélargement compensés par les avantagesqu’apporte S.O.L.O.N. pour les services encharge de la production des textes.

La dématérialisation des textes garantit latraçabilité de chaque étape de travail et laconservation des états successifs desprojets, ceci dans des conditionsindiscutables de sécurité électronique.

En outre, S.O.L.O.N. permet de réduire lesdélais entre les différentes étapes d’un textejusqu’à sa publication. Le délai depublication des textes se réduit donc dufait du traitement par S.O.L.O.N..

Cela étant, des voies d’amélioration sont àenvisager, notamment en ce qui concernela gestion plus souple des profils deconnexion, l’élargissement de S.O.LO.N. àde nouvelles institutions ainsi que larésolution des lenteurs de l’application.

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4.1. S’agissant des profils, les directionsde Bercy ont évoqué leur besoin desuperviser, chacune pour ce qui laconcerne, les textes dont elles sontinitiatrices.

Il faut rappeler que les différents profilspouvant être attribués dans le cadre del’application S.O.L.O.N. sont les suivants :

• Le profil « Administrateur » (créé et gèreles connexions ainsi que les droits desutilisateurs) : le bureau des cabinets pourle Meie et le Mbcpfp.

• Le profil « Utilisateur » (contributeurs del’application qui saisissent lesdossiers) : utilisateurs des directions.

• Le profil « Vigie » (permet à un utilisateurd’avoir une vue sur un ensemble detextes) : administrateurs et / ouutilisateurs des directions. Ce profil estnéanmoins réservé, pour le moment, auxadministrateurs pour des raisons deconfidentialité.

Or, contrairement à ce que les directionssouhaitent, ces profils ne permettent pas,actuellement, de donner un aperçu, pardirection, de l’ensemble des textes dontchacune d’elles est à l’origine (statut de« Vigie » comprenant une vue par ministère,basée sur les trois premières lettres du NORqui définissent le département ministériel).

Des évolutions ont été demandées pour quece statut soit affiné au niveau de chaquedirection (en prenant également en comptela quatrième lettre du NOR qui définie ladirection). Cette amélioration pourrait êtreapportée à l’application dans le courant dudeuxième semestre 2008.

4.2. Par ailleurs, toutes les institutionsamenées à contribuer à l’élaboration d’untexte, ne sont pas encore reliées àl’application S.O.L.O.N. Cependant, desévolutions ont été récemment apportées ence sens, notamment avec le raccordementde certaines autorités administrativesindépendantes (CSA, CRE, ARCEP...) etcelui de la Cour des comptes qui devraitintervenir prochainement.

Cet élargissement permet d’étendredavantage le processus de dématérialisationdu traitement des textes réglementaires,d’améliorer la traçabilité et de réduire aumaximum les délais de transmission.

4.3. Enfin, les utilisateurs de l’ensembledes ministères contributeurs ont constatédes lenteurs dans l’util isation del’application. Celles-ci ont conduit le SGGà procéder à un audit, auquel l’ensembledes ministères a participé et pour lequel leBureau des cabinets a été chargé del’installation d’un programme traceur qui apermis de constater que l’installation enclient léger (par accès URL sur unnavigateur de type Internet explorer,Netscape ou Mozilla) n’était pas la solutionla plus adéquate.

En effet, le client léger n’assure quel’affichage, alors que toute la logique métierest sur le serveur. Selon le client utilisé parle ministère, les données transférées surle réseau pour une même séquencefonctionnelle varient dans un rapport de 1à 10.

Un accès en client lourd (avec installationd’une partie de l’application sur les postes)permettrait de résoudre ce problème(système utilisé par le SGG et qui s’avèretrès performant). En effet, dans cetteconfiguration, le poste client contribuant àla présentation et à la logique métier, lestemps de réponse sont quasimentinstantanés.

Cette solution doit être étudiée par le bureaudes cabinets en collaboration avec lesservices informatiques de la DPAEP, aprèsque le SGG aura fourni les élémentsnécessaires pour l’analyse de la faisabilité.

5. Quel est le premier bilan quel’on peut établir de l’applicationS.O.L.O.N. ?

Au cours de cette première annéed’existence (depuis le 2 avril 2007),l’application S.O.L.O.N. s’est imposéecomme le vecteur de droit commun de latransmission des actes au Secrétariatgénéral du Gouvernement puis au Journalofficiel pour publication.

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Pour l’année 2007, 3.704 textes ont étépubliés par les ministres et les secrétairesd’État relevant de la sphère de Bercy, surles 17.943 actes qui ont été publiés aumoyen de l’application.

Les utilisateurs se sont bien appropriésl’outil et les relations constantes entre lebureau des cabinets, le Secrétariat généralet le SGG garantissent la transmission etla pérennité des bonnes pratiques dansl’utilisation de l’application S.O.L.O.N..

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Domaine encore méconnu du grand public,la légistique et son articulation avec lessystèmes d’information prend uneimportance cruciale pour les administrationsà l’heure des vastes réformes entreprises.La DGAFP mène en ce domaine un travailessentiel et précurseur.

Depuis début 2007, la DGAFP (Directiongénérale de l’administration et de la fonctionpublique) est dotée d’une sous-direction« de l’information et de la légistique » quiinclut en son sein un « bureau de lalégistique et des systèmes d’information ».Que signifie ce terme de « légistique »,encore peu connu du grand public ?Pourquoi l’associer aux systèmesd’information ?

1. Quelques explications sontnécessaires

La légistique, selon l’une des définitions lesplus claires (Chevallier, 1995) « est unescience appliquée de la législation, quicherche à déterminer les meilleuresmodalités d’élaboration, de rédaction,d’édiction et d’application des normes ».Autrement dit, son champ d’activité, et parvoie de conséquence ses outils et sesmétiers, couvrent tout ce qui – du point devue du citoyen et de l’usager – va de laproduction d’un texte à sa diffusion la pluslarge, sous l’angle particulier de fournir lesoutils et les méthodes nécessaires à lameilleure qualité possible de cetteproduction et de cette diffusion.

Depuis plusieurs années, le triple objectif :

• assurer une meilleure qualitéréglementaire face à l’inflation normative,

• permettre à l’usager un meilleur accèsaux textes,

• faciliter aux agents l’exercice de leursfonctions,

est un souci constant des responsablessuccessifs, y compris à l’échelon européen.Au niveau français cette préoccupation setraduit par une mobilisation des acteurs –Conseil constitutionnel, Parlement, Conseild’État, Secrétariat général du Gouvernementet ministères – et par des publications : desrapports (rapport Mandelkern en 2002), unguide méthodologique sur Légifrance,(élaboré en collaboration entre le SGG et leConseil d’État), des dispositions législativeset réglementaires (codification, ordonnancesde simplification…). Si l’impulsion estdonnée la tâche reste immense.

On conçoit, en outre, à quel point lalégistique est importante dans le domainede la fonction publique, pourvu d’un droitparticulier et complexe. Ce droit régissantl’activité et la carrière de près d’un quartdes actifs en France, droit impacté, ausurplus, de façon diverse par le droiteuropéen et soumis à de fréquentesmodifications. Dès lors, il n’est pas étonnantqu’une direction, dont la vocation premièreest la production de droit dans ce domaine,ait ressenti la nécessité de se doter d’unbureau dédié pour assurer, sous l’anglelégistique, son travail de production.Toujours dans un souci d’amélioration dela qualité réglementaire, le bureau a aussien charge la transcription des règles dudroit de la fonction publique dans lesréférentiels des systèmes d’informationsdes ressources humaines de l’État. Cettedernière fonction élargit les contours de ladéfinition de la légistique en prenant encompte la mise en œuvre du droit dans lessystèmes d’informations.

Sous l’angle légistique, la particularité dela fonction publique est de permettre uneapproche globale d’un secteur du droit : laconception et l’écriture des règles de droit,leurs publications, leurs mises en œuvredans les systèmes d’information desressources humaines, le suivi descontentieux possibles. L’État est présent àtoutes les étapes de la chaine du droit. Cette

Légistique et systèmes d’information :une fonction-support

Véronique Tauziac,Chef du bureau de la légistique et des systèmes d’information,

(Direction générale de l’administration et de la fonction publique)

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approche novatrice d’un domaine ciblé dudroit permet de modéliser plusieurs typesd’opérations légistiques et induit unbouleversement de la production du droit.La période actuelle d’évolutions profondesde la fonction publique renforce la nécessitéde trouver des moyens innovantsnotamment par le développement de lalégistique.

2. Anticiper, consolider

Pour la DGAFP, les objectifs sont doncclairs : améliorer la qualité de la productionréglementaire, renforcer l’efficience du droitde la fonction publique en rapprochant lagestion des ressources humaines de lanorme, consolider aussi bien en amont (enélaborant et en diffusant des outils dequalité réglementaire dès l’écriture destextes) qu’en aval après la publication auJournal officiel, et plus généralementbaisser les coûts de production et de miseen œuvre du droit de la fonction publiqueen le simplifiant.

Lors de la phase d’élaboration d’un texte,le souci de qualité réglementaire impliquepar exemple de pouvoir simuler uneconsolidation dans les textes qui serontmodifiés, ou encore de prévoir l’impact,dans les SIRH, de la mise en œuvre desévolutions de la norme. Dans toute la phasedu processus d’adoption du texte, cettedémarche « qualité » est permanente afinde toujours « être en adéquation » avec ceque pourrait être le texte in fine. Des outilsinformatiques peuvent aider les rédacteursen leur offrant un cadre de rédaction quiintègre les contraintes techniques poséespar le guide de légistique. Cette facilitépermet d’automatiser les étapes deconsolidation-simulation.

Quand, enfin, le texte concernant la fonctionpublique est publié au Journal officiel, ildevient obligatoire et opposable. C’est alorsqu’entre en jeu sa diffusion du droit, et saconsolidation, accessible sur le site de laBIFP (banque de données juridiques inter-fonctions publiques), devient « officielle »dans le cadre du service public de diffusiondu droit.

Si les outils nécessaires à une productionde qualité passent par une clarification del’écriture, ils ne vont pas, par ailleurs, sans

une fondamentale capacité d’anticipation.Elle est indispensable pour vérifier lescapacités de mise en œuvre des règles dedroit au moment de leur élaboration et, lecas échéant, évaluer le temps nécessaireen cas d’une mise en œuvre différée et éviterainsi une « rétroactivité de gestion » destextes très coûteuse. De même, lesdemandes d’information imposées par lestextes (rapports…) doivent pouvoir êtreanticipés.

3. Fonction-support

Le rôle du nouveau bureau « Légistique etsystèmes d’information » est celui d’unefonction-support. S’il a la responsabilité dela diffusion des textes des trois fonctionspubliques, et s’il produit des référentiels, ilne crée pas lui-même de droit et ce sontles producteurs qui valident son travail surle fond du droit. Cette fonction est rendueindispensable par cette particularité de lafonction publique qui fait que l’État,contrairement au secteur privé où lesentreprises appliquent le code du travailmais n’écrivent pas les règles juridiques,est présent à tous les niveaux et assureaussi bien la production que l’applicationde la norme, en relation avec les partenairessociaux. L’État, en somme, maîtrise tousles outils de sa mise en œuvre, sur la totalitéde la chaîne. En appui à l’ensemble de ladirection, le bureau « Légistique etsystèmes d’information » est organisé pourapporter son expertise dans chacune deces étapes, notamment en termes deprocessus.

Désormais, cette chaîne inclut une étapeincontournable et fondamentale : latranscription de la règle de droit dans lessystèmes d’information des ressourceshumaines (SIRH), transcription effectuée parl’intermédiaire d’un « noyau commun ». DesSIRH, en effet, il y en a dans tous lesministères pour gérer les agents suivant lesrègles spécifiques de la fonction publique,mais l’enjeu est qu’ils opèrent la gestionde la même manière, autrement dit qu’ilssoient organisés autour du même« référentiel ». Cette condition estdésormais essentielle pour que le futursystème d’information de la paye nationalpuisse calculer la paye des agents de lafonction publique de l’État à partir deremontées d’informations structurées et

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cohérentes des services gestionnaires (qui,naturellement, gardent la maîtrise de leurgestion). Les SIRH ministériels sont doncdans l’obligation de se mettre en conformitéavec les caractéristiques de ce « noyaucommun » publié désormais sous laresponsabilité de l’Opérateur national depaye (ONP). En tant que « propriétaire desréférentiels ressources humaines » laDGAFP est comptable de leur exactitudeet complétude juridique. Dans leprolongement des évolutions duréglementaire, elle les met à jour encoopération avec les équipes de l’ONP. Lebureau de légistique et des systèmesd’information veille ainsi à ce qu’aucuneambiguïté ne subsiste dans ce quiconstituera le cœur de l’opérateur.

D’une manière générale, au-delà de ce vastechantier ONP, le bureau assure aussil’évaluation de la qualité réglementaire pardes indicateurs d’amélioration de la gestiondes ressources humaines. Expert légistiquesoutien des autres bureaux de la direction,il modélise le travail normatif (« commentpasser d’une commande à un texte ou unensemble de textes ? »), conçoit desméthodes, outils et des procédures, meten place un système d’information quipermet de refléter la hiérarchie normes / loi /textes d’application, prépare la codification,simplifie, déclasse, transpose des textes,facilite le travail de la direction lors du suivides débats parlementaires, pilote lesdifférents tableaux de suivi de la productionnormative, fournit les éléments d’analysedu coût de la norme en termes deproduction… Côté diffusion, le bureauassure enfin le développement de la BIFP,permettant une diffusion du droit consolidésur Internet. Ce principe de diffusion du droitconsolidé est l’une des missions de servicepublic de la DGAFP. Il n’existe qu’une seuleautre base juridique de droit consolidé deservice public : Légifrance, placé sousl’égide des Journaux officiels. Base dedonnées thématique, la BIFP couvre lestrois fonctions publiques. Après sa refonte,en cours de préparation, elle articulera lestextes spécifiques de la fonction publiquede l’État avec les référentiels (en mettanten face de chaque article de loi ou décretle ou les numéros de règles de gestioncorrespondant, afin de raccourcir les misesà jour et favoriser les anticipations lors desétudes d’impact.) Elle s’articulera

également avec les futurs outils légistiques(autrement dit avec l’écriture de la normestricto sensu).

4. L’impact européen

Plus sans doute qu’elle ne s’y attendait il ya quelques années, la fonction publiquefrançaise a été et reste « impactée » par ledroit européen, en termes par exemple delibre circulation des travailleurs oud’équivalence des diplômes.

L’impact européen sur la légistique est luiaussi réel. Il s’exerce d’ailleurs égalementsur la diffusion, par le biais des sites deservices publics de diffusion du droit (unlangage commun de description etd’échange est en préparation, qui devraitpermettre des passerelles entre pays decommon law et pays de civil law) ; ils’exerce enfin sur la conception et la miseen œuvre d’outils légistiques, avec une forteconcurrence dans ce domaine qui ne selimite pas à l’Europe mais en dépasselargement les frontières. Outil de servicepublic, la BIFP devra prendre en comptel’ensemble de ces contraintes.

5. Des souris et des hommes

La douzaine d’agents qui composent lebureau « Légistique et systèmesd’information » travaillent en liaison avecbien d’autres acteurs ; la légistiqueimplique, en effet, la mise en œuvre d’unréseau d’institutionnels et de praticiens auxmétiers variés (documentaliste juridique,producteur de normes, cogniticiens…). Parexemple, il est prévu de monter un réseaude « correspondants BIFP » dans lesdifférents ministères, qui sont à la foisproducteurs et utilisateurs de textes. Lesoutils de ces équipes, pour assurer lestâches décrites, sont essentiellementd’ordre dématérialisé : messagerie,naturellement, mais également tous lesdispositifs concernant l’ONP, le noyaucommun déjà cité, les référentiels, etc., etbien entendu le système SOLON1, projetlancé sous l’égide du Secrétariat généraldu Gouvernement et seul outilinterministériel légistique existant à ce jour,

1 Système d’organisation en ligne des opérationsnormatives.

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même s’il existe dans les ministères desexpériences internes en matière d’outil deproduction de la norme. À noter, toutefoisune application métier interministérielleutilisée dans le cadre de la codification :MAGICODE que DGAFP elle-même utiliseelle-même dans le cadre de ses travaux decodification.

Finalement, au carrefour entre les« ressources humaines » et les « nouvellestechnologies », c’est à l’émergence denouveaux métiers que l’on assiste, métierssitués aux croisées du droit, del’informatique et de l’information. Ils reflètentl’émergence de normes de qualité dansl’écriture du droit, aboutissent à la rédactionde « référentiels méthodologiques » ou de« guides de légistique ». Ces nouveauxmétiers ne se substituent pas aux métiersdéjà existants, et, à terme, avecl’organisation d’un système completd’information légistique, c’est un nouveaumétier régalien qui est en train de voir lejour.

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La légistique, entendue comme l’art de faireles lois, comprend une dimension temporelleessentielle. Un bon texte demande du temps.Mais un bon texte normatif est égalementun texte qui arrive au bon moment. Entreces deux évidences, une question centrale,celle du temps nécessaire au légiste pourrédiger la norme.

Dans un contexte temporel de plus en pluscontraignant pour l’action publique, où ledélai entre l’annonce des réformes et leurréalisation concrète est de moins en moinsaccepté par le corps social, le temps exerceune pression croissante sur les processusnormatifs (1.). Pour y faire face, les pouvoirspublics ont peu à peu développé des outilsspécifiques de gestion du temps permettantnon seulement d’accélérer le « tempslégistique » mais aussi, autant quepossible, de l’anticiper (2.). Depuisquelques années, ces questions prennentun tour nouveau avec une multituded’initiatives tendant à une meilleureintégration du temps dans les processusnormatifs (3.).

1. La pression du temps sur lesprocessus normatifs : unecontrainte croissante

Si le temps presse davantage les processusnormatifs, c’est que ces processus sontplutôt plus lourds et longs aujourd’hui qu’ilsne l’étaient hier (1.1.), tandis que lescontraintes de délais vont croissant (1.2.).

1.1. Des processus normatifs de plus enplus longs et complexes

Les procédures normatives font intervenir uncertain nombre de protagonistes dont lesrôles et les « temps » doivent être pris encompte dans l’élaboration des textesnormatifs. Tout ne se résume pas au travailde conception et de rédaction d’un légistesolitaire. Sauf quelques rares cas, « le »légiste est en réalité une collectivité de

plusieurs dizaines de personnes appartenantà des institutions diverses dont lesinterventions enrichissent le processusnormatif autant qu’ils pèsent sur soncalendrier.

Au croisement de ces interventions setrouve ceux qui, le plus souvent au sein d’unministère, « portent » un projet de textenormatif et qui, des premières ébauches dutexte jusqu’à sa publication au Journalofficiel, doivent faire la synthèse entre deuxséries de contraintes de temps.

Les premières sont inhérentes aux relationsdu service initiateur du projet de texte avecl’extérieur de l’administration.

C’est notamment le temps nécessaire àl’évaluation préalable, c’est-à-dire le tempsnécessaire à la définition de l’objet d’unenouvelle norme (Pourquoi un problème sepose ? Pourquoi la réglementation actuellene semble pas y répondre ? Quellessolutions pourraient être envisagées pour yrépondre ?…). Mais c’est aussi le tempsnécessaire à la concertation, c’est-à-dire àla confrontation du projet de norme avec sesactuels ou futurs sujets.

Face à la complexité croissante desquestions qui se posent et au besoin deprendre en compte la diversité des intérêtsconcernés, ces relations ont peu à peuchangé de formes ces dernières années:pratique des livres blancs et livres vertsinspirés de ceux pratiqués par laCommission européenne, consultationsouvertes lancées par les autorités derégulations ou désormais par certainesadministrations « classiques », pratique –qui connaît un net regain d’intérêt à l’heureactuelle – des commissions ou comitéschargés tout à la fois de réfléchir à uneréforme tout en procédant aux consultationsnécessaires. Toutes formes de réflexion etde concertation qui ont pour point communde nécessiter un délai suffisant pour êtremenées à bien.

La légistique et le temps

Article rédigé par Charles Touboul,Chef du bureau de la coordination et de la synthèse,

de la Direction des affaires juridiquesdes ministères financiers

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Les secondes tiennent aux procéduresinternes à l’administration au sens large.

C’est le temps nécessaire à la stabilisationet à la validation du texte au sein mêmed’un ministère, puis le temps desdiscussions interministérielles (échangesbilatéraux entre les services et les cabinetspuis les réunions interministériellesdestinées à en arrêter le contenu).

C’est ensuite le temps nécessaire auxconsultations obligatoires, celle du Conseild’État bien sûr, mais surtout celles qui,connaissant un essor très significatifs cesdernières années, tendent à soumettre letexte à différents organismes sectoriels ouautorités de régulations. Multiplication desconsultations obligatoires qui tout à la foisenrichissent le processus normatif et fontpeser sur celui-ci des lourdeurs parfoisexcessives (sans même évoquer les risquesnon négligeables de fragilisation duprocessus en cas de défaut deconsultation).

Il y a enfin le temps nécessaire au recueildes signatures nécessaires pour les actesréglementaires et celui de la discussionparlementaire pour les textes législatifs.

Autant de temps qui s’ajoutent et qui pèsentsur la capacité des pouvoirs publics à édicterla norme dans des délais raisonnables.Capacité d’autant plus obérée, dans lecontexte – trop connu pour qu’on s’yattarde – de très forte inflation normativeaussi bien au plan législatif queréglementaire.

Les contraintes de délais vont pourtantcroissant.

1.2. Des exigences accrues de céléritéde la norme et de résultat del’action publique

Trois types d’exigences peuventclassiquement se présenter.

Les premières sont d’ordre juridique ettiennent aux contraintes de calendrierprévues par les textes et susceptibles d’êtresanctionnées par le juge. Parmi denombreux exemples, celui de la nécessité,tirée de l’article 38 de la Constitution, dedéposer un projet de loi de ratification d’une

ordonnance dans le délai prescrit par la loid’habilitation à peine de caducité desordonnances. Celui aussi de prendre lesdécrets d’application des lois dans un délairaisonnable sous peine de sanctionsfinancières prononcées par le juge.

Les deuxièmes sont d’ordre pratique ouopérationnel. Il s’agit alors d’édicter unenorme dans un délai très bref pour faire faceà la nécessité de maintenir ou rétablir unesituation administrative, en somme, d’assurerla continuité de l’État et de ses servicespublics. L’urgence peut être prévisible,comme bien souvent en matière de financespubliques (la nécessité par exemple derenouveler tous les ans l’autorisationd’émettre des titres de financement de ladette publique). Elle est d’autant pluspressante lorsqu’elle est imprévue (cas parexemple des conséquences des annulationscontentieuses).

Les troisièmes sont d’ordre politique ouinstitutionnel et c’est là que les exigencesse sont le plus nettement renforcées cesdernières années. Il s’agit alors de respecterdes calendriers annoncés par les autoritéspolitiques à l’opinion, aux partenairessociaux. Il peut également s’agir de tenirdes engagements pris auprès d’autresinstitutions dans le cadre de leurs fonctionsde contrôle, qu’il s’agisse du Parlement, dela Commission européenne ou même de laCour des comptes.

Bien sûr, ces trois types de contraintespeuvent se combiner et se combinent enfait le plus souvent.

La publication d’un décret d’application estainsi bien souvent une exigence politiquevis-à-vis du Parlement et de l’opinion quiattendent que les réformes adoptées setraduisent rapidement dans la réalité et uneexigence juridique vis-à-vis de l’État lui-même, qui engage sa responsabilité en casde carence prolongée.

Il en va de même pour la transposition desdirectives. Cette exigence politique, demettre en œuvre les décisions négociées auniveau européen par la France avec sesdifférents partenaires, est également uneexigence institutionnelle pour respecter lesobjectifs fixés par les Conseils européenset contrôlés par la Commission, notammentpar la publication de son tableau d’affichage.

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Il s’agit aussi d’une exigence proprementjuridique : le juge communautaire pourraconstater le « manquement » de la Franceà ses obligations communautaires etéventuellement la condamner pécuniai-rement ; le juge interne écartera quant à luiles normes nationales en contradiction avecles textes communautaires même nontransposés et pourra considérer laresponsabilité de l’État comme engagée encas de préjudice né de ce défaut de mise enconformité.

Pour faire face à ces contraintes de délaistoujours plus fortes dans des procéduresnormatives elles-mêmes de plus en pluslourdes et complexes, des instrumentsexistent et ont été peu à peu perfectionnés.

2. La gestion du temps dansles processus normatifs : lesinstruments disponibles

Certains, les plus classiques enfait, permettent l ’accélération desprocédures normatives (2.1.). Les nombreuxinconvénients qu’ils présentent ontnéanmoins conduit à en développerd’autres. C’est ainsi que l’accent aété mis ces dernières années surl’idée d’anticipation des procéduresnormatives (2.2.).

2.1. L’accélération des processusnormatifs

Dans un contexte temporel de plus en plusexigeant, ou chaque jour de retard peutcompter, la question des mécanismesjuridiques ou administratifs permettantd’accélérer les processus normatifs devientcentrale.

Ces mécanismes sont en réalité assezdivers.

Au sein même des ministères, lescabinets ont une responsabilité essentielledans l’accélération des procédures etjouent un rôle irremplaçable d’impulsiondes services appelés à élaborer les projetsde textes.

L’accélération peut et doit aussi porter le plussouvent sur les consultations obligatoiresprévues par les textes. La plupart des

organismes consultatifs intervenant dansl’élaboration de la norme connaissent desprocédures d’urgence, prévues par leurstextes institutifs ou ayant tout simplementémergées d’une pratique généralementcompréhensive. Il peut s’agir, dans leslimites fixées par la jurisprudenceadministrative, de transmettre officieusementun projet de texte même non totalementvalidé voire même stabilisé, d’inscrireprioritairement le texte à l’ordre du jour del’organisme voire même de limiter les étapesd’examen du texte au sein de celui-ci.Lorsque plusieurs consultations doivent êtresuccessivement menées, en général, celled’un organisme sectoriel avant celle duConseil d’État, des consultations parallèles,dites « en temps masqué », permettent ungain de temps précieux avec pour seulelimite, la nécessité que tous les avis prévuspar les textes aient été recueillis avant quele Conseil ne rende effectivement le sien.

Une fois les avis recueillis, les voies del’accélération des processus normatifsdépendent de la nature réglementaire oulégislative des textes qu’il s’agit d’édicter.

S’agissant des textes réglementaires, ils’agit d’accélérer le recueil des signaturesnécessaires à la validité de l’acte, c’est-à-dire, outre celle du signataire principal(Président de la République, ou Premierministre pour les décrets, ministres oudirecteurs d’administration centrale pourla plupart des arrêtés), celle descontresignataires ou cosignataires. Parmidifférents procédés plus ou moinsformalisés, ceux du recueil descontreseings dits « simultanés » et« accélérés » jouent un rôle essentiel. Lescontreseings nécessaires aux actesréglementaires sont depuis longtemps déjàrecueillis non sur un exemplaire transmissuccessivement aux différents signatairesmais sur autant d’exemplaires que d’autoritéappelée à signer. La procédure de recueildes contreseings accélérée permet auSecrétariat général du Gouvernement encas de retard prolongé, de recueillir descontreseings manquant directement auprèsdu ou des ministres concernés lors dupremier Conseil des ministres qui en donnel’occasion. La procédure est à vrai dire fortexceptionnelle. Il reste en ce domaine biendes marges de progrès. Trop souventencore, le temps des contreseings est troplong et Bercy n’est pas, sur cet indicateur,un ministère particulièrement performant.

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S’agissant des textes législatifs,l’accélération du processus passe bien sûrpar l’inscription prioritaire de la discussiondu projet de loi à l’ordre du jour desassemblées sur le fondement de l’article 28de la Constitution. Elle peut se prolonger parla déclaration d’urgence prévue parl’article 45 de la Constitution qui permet laconvocation d’une commission mixteparitaire à l’issue d’une seule lecture du textepar chacune des deux assemblées. Ellepeut, enfin, s’appuyer sur les différentesfacultés ouvertes au Gouvernements’agissant de l’adoption des textes eux-mêmes (vote bloqué, engagement de saresponsabilité sur le texte, etc.), et mêmeau-delà. Bien que peu mis en œuvre,l’article 61 de la Constitution permet auGouvernement de demander au Conseilconstitutionnel de statuer sous huit jours encas d’urgence.

Les textes réglementaires, les ordonnanceset les décrets de promulgation des loissignés, la priorité attachée à la publicationd’un texte donné, dûment motivée auSecrétariat général du Gouvernement, estenfin prise en compte par celui-ci dans latransmission du texte à la direction desJournaux officiels pour publication.

Lorsque tous ces efforts ne suffisent pas,d’autres procédés permettent encore degagner du temps dans ce qui devient parfoisune véritable course pour s’assurer de l’entréeen vigueur à une date donnée. Il y a, parexemple, la possibilité de prévoir l’entrée envigueur immédiate d’un décret publié auJournal officiel sans attendre le lendemaindu jour de sa publication, régime de droitcommun prévu par l’article 1er du code civil.Pour les textes législatifs, il est égalementpossible de prévoir l’application rétroactived’une ou de plusieurs dispositions, sauf enmatière pénale, dans le respect néanmoinsde règles strictes et étroitement contrôléespar le juge constitutionnel.

Souvent indispensable mais trop souventmise en œuvre, l ’accélération desprocédures normatives présente demultiples inconvénients, à commencer parla moindre qualité du processus normatiflui-même (augmentant le risque d’erreurset donc de textes rectificatifs, ainsi quecelui d’éventuelles d’annulationscontentieuses…). Ces techniques

d’accélération ne permettent, en outre, quedes gains de temps limités. Plus encoreque l’accélération des procéduresnormatives, c’est donc l’anticipation de cesprocédures qui constitue désormais leprincipal axe de gestion du « tempslégistique ».

2.2. L’anticipation des processusnormatifs

L’outil essentiel de l’anticipation desprocédures normatives est, bien sûr, leurprogrammation, qui peut prendre des formesassez variées.

Certaines présentent un objet particulier, selimitant à une période ou à une matièredonnée. Dans le premier cas, il s’agira parexemple de lutter contre l’engorgement destextes à publier au journal officiel à la fin dumois de décembre (le SGG lance chaqueannée à cet effet un recensement destextes en cause), ou encore d’assurerl’application d’un maximum de lois en finde législature (comme cela a été le cas àla demande du président de la Républiqueà la fin de la 12ème législature). Dans lesecond cas, il s’agira de dispositifs deprogrammation destinés à assurer la miseen œuvre concrète d’une réformeparticulièrement signalée d’un point de vuepolitique (comme, par exemple, celui misen place pour suivre la mise en œuvre de laloi « travail, emploi, pouvoir d’achat »,dite TEPA).

D’autres, et c’est bien entendu ceux quiretiennent le plus ici l’attention, ont uneportée générale aussi bien d’un point de vuematériel, puisqu’il concerne l’essentiel dela production normative, que temporel,puisqu’ils sont permanents.

L’exercice essentiel de ce point de vue estcelui destiné à arrêter la programmation del’ordre du jour du Conseil des ministres tousles six mois. Ce mécanisme deprogrammation du travail gouvernemental(PTG) est une pratique déjà très ancrée dansles habitudes. Son seul cadre est celui fixéchaque semestre dans la lettre cosignée parle directeur de cabinet du Premier ministreet le Secrétaire général du Gouvernement àl’ensemble des départements ministériels.

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Sa vocation principale consiste à arrêter,par ministère, lors d’une réunioninterministérielle à laquelle sont en généralreprésentés les directeurs de cabinetsconcernés, la liste des textes etcommunications à inscrire à l’ordre du jourdu Conseil des ministres pour les six moisà venir. Chaque ministère est ainsi appelé,à intervalle régulier, à proposer la liste desprojets de lois, d’ordonnances, de décretset de communications en Conseil desministres qu’il souhaite voir inscrits à l’ordredu jour de ce Conseil au prochain semestre.

Loin de se limiter à la seule question,centrale, de l’ordre du jour du Conseil desministres, l’exercice « PTG » est égalementl’occasion pour le SGG de faire un bilan del’état de l’application des lois etordonnances. Bilan dressé avec, pourcritère d’évaluation, l’objectif d’unepublication des textes d’application des loisdans les six mois de leur entrée en vigueur(délai au-delà duquel le juge saisi de telsretards tend à considérer l’attitude del’administration comme fautive et dès lorssusceptible d’engager sa responsabilité).

Les réunions PTG peuvent enfin donner lieuà un bilan des transpositions de directivescommunautaires. La jonction de cettequestion n’est toutefois pas systématique.Il est vrai que si, comme le PTG, le dispositifde suivi des transpositions de directives sedécline sur un rythme semestriel, les bilansqui comptent en la matière sont ceux dresséspar la Commission, pour l’ensemble des Étatsmembres, dans son « tableau d’affichage »,dont les dates d’élaboration et de diffusionne coïncident pas avec celle du PTG.

Pour s’y préparer au mieux, lestranspositions de directives font l’objet d’unsuivi spécifique, depuis la circulaire duPremier ministre du 27 septembre 2004. Elleprévoit, en particulier, des réunionsinterministérielles ad hoc, dites groupe àhaut niveau (GHN), réunissant en principetous les six mois les représentants dechaque ministère, sous l’égide du Secrétairegénéral du Gouvernement et du Secrétairegénéral des affaires européennes, afin defavoriser la publication d’un maximum detextes de transposition avant l’échéance fixéepar la Commission, pour l’évaluation desperformances des États membres.

Les outils ne manquent donc pas pour gérerau mieux les contraintes temporelles desprocédures normatives. La question de lanécessaire conciliation de la qualité et dela célérité de la norme a néanmoins prisdepuis plus de deux ans une ampleurnouvelle.

3. L’intégration du temps dansles processus normatifs : unerationalisation engagée

Sans doute encouragée par le rapport publicdu Conseil d’État de 2006, consacré à lasécurité juridique et à la complexité du droit,un consensus est apparu sur la nécessitéde rationaliser les processus normatifs.Tandis que l’ensemble des acteurs semobilisaient pour assurer une surveillanceaccrue des processus normatifs et luttercontre leurs errements (3.1.), denombreuses réflexions ont été consacréesou ont au moins abordé la question de lanécessaire réforme des procéduresnormatives elles-mêmes (3.2.).

3.1. Une surveillance accrue desprocédures normatives.

Dès le début de l’année 2006, unmouvement – qui se prolonge encoreaujourd’hui – a commencé à se dessinerpour renforcer de beaucoup le suivi, et enfait la surveillance, des procéduresnormatives.

Ce mouvement s’est d’abord concrétisé ausein même des services du Premierministre.

Au Secrétariat général du Gouvernement,la création, en 2006, du service de lalégislation et de la qualité du droit1 a traduit,au plan organique, la priorité donnéedésormais à la conciliation de la qualité destextes et de leur ponctualité. Cettestructure, regroupant l’ancien servicelégislatif et un département de la qualité denorme, s’est enrichie d’une cellulespécifiquement dédiée à la programmationdes activités normatives, appelée à travailleren lien étroit avec chacun des chargés demission et ministères concernés.

1 On se reportera à l’article de Jean Maïa, danscette revue.

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Au plan fonctionnel, cette surveillanceaccrue des processus normatifs s’estessentiellement concrétisée en matièred’application des lois. Le nouveau dispositifmis en place, codifié dans la circulaire duPremier ministre du 29 février 2008, reposesur la combinaison de plusieurs mesuressignificatives : convocation d’une réunioninterministérielle consacrée à l’applicationde la loi dans les jours suivant sapublication, élaboration d’un tableau détailléde l’ensemble des textes à prendre, desresponsabilités de chaque ministère dansleur élaboration et les délais dans lesquelsils devront être publiés, réalisation de bilanspériodiques par ministère adressés auParlement et à la presse, etc. L’ensemblede ce nouveau dispositif de programmations’accompagne, en outre, d’un suivi attentifde la publication de chaque texted’application des lois au Journal officiel, ainsique des éventuels retards sur le calendrierprévu, immédiatement signalés auxautorités compétentes.

Le Secrétariat général des affaireseuropéennes a connu, quant à lui, uneévolution comparable dans son champ decompétence. Son secteur juridique (JUR)s’est ainsi renforcé, pour suivre de manièresystématique l’ensemble des transpositionsde directives. Depuis la circulaire du Premierministre du 19 février 2007 sur leprécontentieux et le contentieuxcommunautaire, ce suivi est, en outre, assuréen intégrant la dimension contentieuse queles retards de transposition peuvent induire.Dernier élément en date, et non desmoindres dans le sens d’un renforcementcontinu de la surveillance des processusnormatifs, les GHN, jusqu’ici réunis sur unrythme semestriel, sont convoqués tous lestrimestres depuis juin 2008.

Ce mouvement de resserrement de lasurveillance des activités normatives, initiépar les services du Premier ministre, nes’est pas limité à ces derniers. Tous lesministères ont dû s’organiser pour répondreà ces nouvelles exigences, en se dotantde structures et procédures dédiées.

Bercy, par la diversité des directions qu’ilregroupe et la forte tradition normative de laplupart d’entre elles, a sans doute été l’undes ministères les plus affectés par cetteévolution.

Les missions de coordination juridiqueconfiées à sa direction des affaires juridiques(DAJ), à la fin de l’année 2004, en matièrede transposition des directives, et au coursde l’année 2005, en matière d’applicationdes lois, ont en effet pris leur véritableampleur à compter du début del’année 2006. La DAJ a alors pris en chargeun suivi systématique de la productionnormative du ministère, organisé par unecirculaire du Secrétaire général du ministèrede mars 2006.

Jouant désormais, aux côtés du cabinet,le rôle d’interface entre ces directions etles services du Premier ministre, le pôle decoordination juridique constitué à Bercy,comme ceux constitués sous une autreforme au sein des autres ministères, estpeu à peu devenu un relai essentiel du suivides procédures normatives. Relais du SGGet du SGAE au sein des ministères pourcollecter les informations et rappeler lespriorités, mais aussi relai des directionsproductrices de textes pour signaler auniveau interministériel les difficultés ou lanécessité de faire accélérer la procédure,ces dispositifs de coordination internes auxdifférents départements ministérielsconstituent désormais un maillon essentielde cette surveillance du « tempslégistique ».

3.2. Les perspectives de réforme desprocédures normatives.

Parallèlement à ce mouvement de contrôleresserré des procédures normatives, denombreuses réflexions ont abordé laquestion de la nécessaire réforme desprocédures normatives elles-mêmes.

Qu’il s’agisse du rapport précité sur lasécurité juridique et la qualité du droit, decelui conduit sur les suites à donner à cedernier (et notamment la relance des étudesd’impact), du rapport pour une meilleureinsertion des normes communautaires dansle droit national, du rapport d’audit consacréà la coordination du travail ministériel, ou,plus récemment, du rapport sur la libérationde la croissance française, ou du rapportsur la modernisation des institutions de laVème République, il est frappant de constaterle nombre de réflexions sur la nécessité derepenser les procédures normatives.

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Si ces différents travaux diffèrentsensiblement les uns des autres, en termesd’objet et d’approche, des lignes de forceapparaissent, traduisant un souci communde rationaliser les processus normatifs, ycompris dans leur dimension temporelle.Sans prétendre à l’exhaustivité, deux idéessemblent se dégager.

Une première série de propositions tend,d’une part, à permettre des gains de tempsdans les processus normatifs, lorsque ceux-ci ne nuisent pas à la qualité de la norme.

Il s’agit, par exemple, d’essayer degagner du temps dans les arbitrages entreservices de l’État, en limitant le nombredes départements ministériels et,éventuellement, en regroupant lesadministrations centrales.

Il s’agit, également, de limiter le nombre deconsultations obligatoires, en les regroupantau sein d’un seul organisme (le conseiléconomique et social), ou de simplifierl’examen parlementaire (qui se dérouleraitessentiellement en commission), pour lestextes les plus techniques ou lorsque lesmarges de manœuvre des pouvoirs publicssont limitées. En la matière, beaucoup, ilest vrai, reste à faire : bien souvent, en mêmetemps qu’on rationalise les procédures deconsultation en supprimant descommissions inutiles, s’en recréent d’autres.

Afin de réduire le temps passé par lesassemblées à examiner des projets detextes législatifs trop réglementaires voirenon normatifs, il a de même été proposéde renforcer les moyens d’opposerl’irrecevabilité et d’élargir la possibilité pourle Parlement de voter des résolutions. Pourrenforcer l’efficacité du travail parlementaire,il a encore été envisagé de fixer a priori unedurée de débat, à l’issue de laquelle ladiscussion serait considérée comme close,et de diminuer la période de dépôt desamendements. On le voit, les propositionsdestinées à gagner du temps ne manquentpas…

Une seconde série de dispositions tend,d’autre part, et de manière plus singulière,à donner du temps aux processusnormatifs, lorsque cela est jugé nécessaire.

Il s’agit, par exemple, de rendre obligatoirel’évaluation préalable des projets de textes,de renforcer les moyens d’expertise duSecrétariat général du Gouvernement, oubien encore de permettre l’examen par leConseil d’État des propositions de loi, ceque prévoit le projet de loi portant réformeconstitutionnelle.

D’autres propositions tendent par ailleurs àouvrir un véritable contrôle du bien fondé del’urgence (qu’il s’agisse des pouvoirsexceptionnels de l’article 16 de laConstitution ou, plus simplement, desdéclarations d’urgence de l’article 45permettant l’examen accéléré d’un texte parle Parlement). D’autres, enfin, tendent àprévoir un délai minimum d’examen destextes par les commissions parlementaires,afin de s’assurer qu’elles auront disposé dutemps nécessaire pour mener à bien leurmission, etc.

Ces dernières propositions témoignentd’une évolution des esprits surl’appréhension du temps dans lesprocessus normatifs. L’idée que le tempsest indispensable à la qualité, voire, toutsimplement, à la sérénité des processusnormatifs, fait son chemin.

Il est encore trop tôt pour savoir précisémentlesquelles de ces propositions serontretenues, dans le cadre de la réformeconstitutionnelle en cours, à l’heure où cespages sont imprimées.

Gageons néanmoins que toutes celles quele constituant aura adopté contribueront, àleur manière, à la réconciliation de lalégistique et du temps.

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Il est difficile de trancher si c’est le goûtd’un français cartésien, clair et concis, ouplutôt le frisson sinistre, sec et coupant,du bruit de la guillotine ; entre le cheminde la raison et les voies du droit, entre lesinstruments de l’esprit et les œuvres dejustice. Mais peu de phrases auront faitrêver autant d’auteurs que celle-ci : « Toutcondamné à mort aura la tête tranchée. »Immortalisé par Marcel Pagnol et Fernandeldans « Le Schpountz », ce quasi-alexandrinque la Législative inscrivit dans la loi du6 octobre 1791 pour uniformiser les voiesd’exécution capitale, est souvent cité parmiles plus beaux vers de la langue française,au même titre que « le vert paradis desamours enfantines » ou « Et l’uniquecordeau des trompettes marines », lesasphodèles au parfum frais ou les roses dontl’ombre est rouge aux Alyscamps quand setaisent les colombes. Ce n’est pas le lieude réfléchir à l’étonnante fascinationqu’exerce cette disposition pénale, abolibibelot aujourd’hui. Notons néanmoins quele droit agit comme une sorte de miroir oùla langue se regarde, au plus probable parcequ’il emporte des conséquences ultimes.Car juger, c’est dire, et « prononcer » unepeine c’est, en fait, condamner. Il y a là levieux rêve que les linguistes appellent« performatif » (« quand dire, c’est faire »),et la nostalgie de l’enfance où il suffitd’ouvrir la bouche pour que les parentsobéissent. À propos de « Lucien Leuwen »,

Stendhal écrivit à Sainte-Beuve : « Cela estécrit comme le code civil. J’ai horreur de laphrase à la Chateaubriand. » Il y reviendrasix ans plus tard, à propos de « LaChartreuse de Parme », cette fois-ci,écrivant à Balzac : « En composant LaChartreuse, pour prendre le tour, je lisaischaque matin deux ou trois pages du codecivil, afin d’être toujours naturel ; je ne veuxpas, par des moyens factices, fascinerl’âme du lecteur. »

Mais, pour cerner notre propos, il fautentendre l’autre son de cloche, de Rabelaisà Montaigne, de Molière aux « Plaideurs »de Racine. On se souvient de l’incroyablefigure du juge Bridoye dans le « TiersLivre », entre ses formules absconses, sestermes ésotériques, ses citations pédanteset farfelues, et le creux de son propos :« C’est pourquoi, messieurs, conclutRabelais comme s’il s’agissait d’une pâteà crêpes, je sursoye, délaye et diffère lejugement, afin que le procès, bien ventilé,grabelé et débattu, vienne par successionde temps à sa maturité. » Ou de cetétonnement d’un Montaigne, pourtantmagistrat à Périgueux puis à Bordeaux, aulivre III de ses Essais : « Pourquoi est-ceque notre langage commun, si aisé à toutautre usage, devient obscur et nonintelligible en contrat et testament, et quecelui qui s’exprime si clairement, quoi qu’ildise et écrive, ne trouve en cela aucunemanière de se déclarer qui ne tombe endoute et contradiction ? Si ce n’est que lesprinces de cet art, s’appliquant d’uneparticulière attention à trier des mots

« Oui, tout cela, dans la même phrase. »ou le délicat problème des relations

entre la langue et le droit

Alfred Gilder1,Contrôleur général près les ministères

de l’économie, de l’industrie et de l’emploi,et du budget, des comptes publics et de la fonction publique,

Haut fonctionnaire de terminologie

« La langue est à tout le monde. L’artiste le plus avant est tenu de luigarder son caractère national et populaire ; il doit parler le langagepublic. S’il veut se tailler un idiome particulier de l’idiome de sesconcitoyens, s’il croit qu’il peut changer à son gré le sens et lesrapports des mots, il sera puni de son orgueil et de son impiété :comme les ouvriers de Babel, ce mauvais artisan du parler maternelne sera entendu de personne, et il ne sortira de ses lèvres qu’uninintelligible murmure. »Anatole France, article paru dans « Le Temps », 19 août 1888

1 Dernier ouvrage paru : « Le français administratif :écrire pour être lu », Éditions Glyphe, rééditionen 2008.

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solennels et former des clauses artistes onttant pesé chaque syllabe, épluché siprimement chaque espèce de couture, queles voilà enfrasqués et embrouillés enl’infinité des figures et si menues partitions,qu’elles ne peuvent plus tomber sous aucunrèglement et prescription ni aucune certaineintelligence. ». Quant à Molière, dès qu’ilcommence à écrire, dès « La Jalousie duBarbouillé », i l ne lâchera plus sesdocteurs, dix fois docteurs, « doctor,eruditissime doctorum », notaires, avocats,ou plaideurs, dont le jargon, le latin, lesréférences intempestives et les prétentionssont, à côté de ceux des médecins, un desplus sûrs ressorts comiques de son théâtre.

Critique du droit, de son vocabulairehermétique, des techniques des procès, dela jurisprudence qui prolifère, desprétentions des juristes, d’un barreaupléthorique, de la justice trop lente, et doutesur le relativisme des lois, sur les raisonsde leur obéir, c’est une anthologie de lacritique du droit qu’il nous faudrait écrire.De l’admirable « ut olim flagitiis, sic nunclegibus laboramus » des « Annales » deTacite (« comme jadis les scandales, cesont les lois qui aujourd’hui nousaccablent »), aux « Fragments sur leslois » de Rousseau, à Montesquieu lui-même qui met en garde contre les loisobscures, aux notaires de Balzac, ce seraitune anthologie toute entière consacrée àla lutte contre la chicane, la basoche, legalimatias, le jargon, le pinaillage, lesconciliabules, les manœuvres de couloir, lespetits arrangements et les grandscompromis, la ruse et la tromperie.

Quel tableau contrasté donc ! Quel « clair-obscur » serait-on tenté de dire. Si l’onn’examine que les louanges et les reprochesqui s’adressent à la rédaction juridique, ils’avère que d’un côté, on souhaite unelangue précise, concise, claire, sansaffectation, sans pathos, impersonnelle enquelque sorte, descriptive et normative, quidise les obligations, les droits, lesinterdictions et les sanctions, et que del’autre, on craint une langue technicienne,jargonnante, fermée sur elle-même,sentencieuse, prétentieuse, qui nécessiteautant de travail de qui veut la comprendreque de qui veut l’écrire, qui éloigne, qui metà distance, qui fonde la compétence d’uninterprète plutôt que d’un lecteur, qui dit lesrègles pour multiplier les exceptions, nourrit

la jurisprudence, les malentendus et lesgloses qui s’entre-glosent, pour reprendrel’expression de Montaigne. D’un côté, ledroit immédiat, de l’autre le droit desmédiateurs. Au-delà de la langue, c’est biend’une conception du droit qu’il s’agit, et,dans son « Discours préliminaire au codecivil », Portalis le dit ainsi : « Nous n’avonspas cru devoir simplifier les lois, au pointde laisser les citoyens sans règle et sansgarantie sur leurs plus grands intérêts. Nousnous sommes également préservés de ladangereuse ambition de vouloir tout régleret tout prévoir. » Entre le tout ou rien, entrele médiat et l’immédiat, que faire ? À l’heureoù nous aimons trancher les questions,rompre et bouleverser, on voit que nosprédécesseurs ne vont guère nous aider àrésoudre nos problèmes : ils sont toutmesure, prudence, circonspection. Et si làrésidait le secret du droit bien écrit ?

Peu ou prou, à tort ou à raison, le droitapparaît à l’écrivain comme un mondeautonome. Qu’il soit « kelsenien » ou non,il y voit un système auto-référencé, dirait-on en babélien d’aujourd’hui, où on exprimedes règles qu’on décline comme unealgèbre sociale. La langue en doit être doncpure, analytique, logique et déductive.

Mais la chose n’est pas si simple, car sitout un chacun ne maîtrise pas le calculintégral, les conséquences personnellessont relativement faibles, alors qu’à ignorerce que dit la loi, on court les plus gravesdangers. C’est bien là que gît le cœur denotre question. La loi ne s’applique pasqu’aux juristes. Peu importe, somme toute,que l’ordonnance soit mal écrite si lepharmacien la comprend. Mais la loi ? Elledispose, elle prévient, elle sanctionne, elleautorise, elle interdit, elle permet à conditionque, elle empêche sauf si. Pour cela, elledoit être comprise. Là où il y a devoir, il y aloi. Et de la protection du droit par la qualitéde la langue, on passe tout naturellementà la protection de la langue par la force dudroit.

Depuis près de cinq siècles, les agentspublics ne doivent s’exprimer qu’en français.Tour à tour, quatre grandes lois linguistiquesl’ont proclamé. À Villers-Cotterêts,François Ier ordonna, le 7 août 1539, l’usageofficiel du français. Le chancelier GuillaumePoyet la rédigea, et lui donna son nom, la« guillemine », en 192 articles. Désormais

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les actes officiels, actes notariés,jugements, procédures judiciaires, etc.seraient rédigés « en langage françaismaternel et non autrement… afin qu’ilssoient en un langage clair et qu’il n’y ait, niqu’il puisse avoir aucune ambiguïté ouincertitude ». Plus expéditive, promulguéepar la Convention sur le rapport de l’abbéGrégoire, la loi du 2 thermidor an II se veutplus directive « sur la nécessité et lesmoyens d’anéantir les patois etd’universaliser la langue française ». Uneseule nation, une seule langue. LesConventionnels condamnaient à six moisd’emprisonnement et à la destitution toutagent public qui rédigeait des documentsofficiels ou des actes authentiques « enidiome ou langue autre que la française ».L’heure n’était pas propice aux circulairessur le temps libre. Soucieuse de protégerle consommateur, la loi n° 75-1349 du31 décembre 1975, dite loi Bas-Lauriolrendit obligatoire l’emploi de la languefrançaise dans la publicité, les factures etles quittances. Enfin, la loi n° 94-665 du4 août 1994, dite loi Toubon, concrétisel’article 2 de la Constitution introduiten 1992 : « La langue de la République estle français ». Elle dispose que l’emploi dela langue française est obligatoire, souspeine d’amendes, dans tous les documentslégaux ou contractuels, actes privés,publicités, etc. Mais le Conseilconstitutionnel, se fondant sur le principede la liberté d’expression tel qu’exprimé àl’article 11 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen, déclara nonconformes à la Constitution les dispositionsqui visaient les médias ainsi que les activitésprivées, limitant son champ d’applicationaux personnes morales de droit public ou àcelles exerçant une mission de servicepublic.

Mais, par un de ces retournements dontl’histoire juridique a le secret, c’était par laconsécration des travaux ministérielsd’« enrichissement de la languefrançaise », voulus par Georges Pompidou,menés par les comités de terminologie etofficialisés en 1973, que cette loi porte desfruits, certes clairsemés, mais trèsconcrets, à l’illustration de notre langue.L’époque n’était plus aux oukases ni auxitératives défenses, mais à la prudence, àla mesure, à la circonspection. Et si làrésidait le secret d’une langue biendéfendue ?

Le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 relatifà cet « enrichissement » crée, outre un hautfonctionnaire chargé de veiller, dans chaqueministère, à la bonne application de la loidu 4 août 1994, une commission généraleet des commissions spécialisées determinologie et de néologie. La Commissiongénérale, placée auprès du Premierministre, présidée par un Académicien,M. Gabriel de Broglie jusqu’en 2006 etmonsieur Marc Fumaroli maintenant, a pourmission de compléter le vocabulairefrançais, compte tenu des besoins exprimésdans la vie économique, les travauxscientifiques et les activités techniques etjuridiques, en proposant des termesnouveaux pouvant servir de référence.S’appuyant sur tout un dispositif réunissantles commissions spécialisées, l’Académiefrançaise, la Délégation générale à la languefrançaise, des experts scientifiques ettechniques. Une fois recueilli l’avis del’Académie française, les listes de termesadoptés sont publiées au Journal officieldans les « Avis et communications », avecdéfinitions et équivalents étrangers. Parmiles dix-huit commissions ministérielles,sept sont placées auprès des ministres deBercy : automobile, chimie et matériaux,économie et finances, informatique etcomposants électroniques, pétrole et gaz,ingénierie nucléaire, télécommunications etactivités postales. C’est à peu près troiscents termes nouveaux qui sont ainsipubliés chaque année.

Courriel, logiciel, en ligne, baladeur, crédit-bail, jardinerie, voiturette, mini moto,monospace, télé-sécurité, point mort,supérette, externalisation, gagnant-gagnant… nombreux sont les termespassés dans le langage commun eteffectivement « adoptés » par noscompatriotes. Loin d’être un « inventaire »à la Prévert, encore moins un « usefulvocabulary » pour lire « The HeraldTribune » en supplément du dimanche avecle DVD « La Callas chante Nina Hagen », ils’agit de listes de vocabulaire nécessaire.Travail de fourmis, diront certains. Sansdoute. Travail de Sisyphe, diront d’autres.Certainement pas. Travail bénéfique ?Assurément.

Mais les difficultés sont nombreuses. Lapremière concerne l’usage. Lorsque naît, àla faveur d’une découverte, d’un événement,ce qui est fréquent en économie, finances,

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industrie ou informatique, un terme nouveau,c’est bien souvent dans sa langue d’origine,et très souvent l’anglo-américain, qu’il estrepris et diffusé. La vitesse de réaction estalors essentielle, mais trop souvent tardivepour changer les habitudes déjà prises. Onpeut toujours essayer, et cela marcheparfois, comme avec « baladeur » qui a sibien effacé le « Walkman », lequel avaitd’abord prospéré. Mais on voit qu’il estdifficile d’envisager une langue française« pure » à côté d’une langue françaiseréellement pratiquée, une langue officielleà côté d’une lingua franca. La deuxièmeconcerne la compréhension. Lorsque dansdes domaines de haute technique, onpratique une langue, elle aussi « depointe », dont les locuteurs, ingénieurs,techniciens, commerciaux, journalistesspécialisés sont en relation les uns avecles autres, il est bien difficile hélas ! dechercher à imposer un terme français, carla condition est qu’il n’y ait aucunedéperdition d’efficacité dans les échanges,aucune erreur dans la désignation deproduits ou de processus qui vont souventpar famille et ne se distinguent que par demenues différences pour le non-spécialiste.On peut voir ainsi, de temps en temps, dansdes marchés publics et des appels d’offres,une magnifique présentation dans unfrançais, certes technique, maisimpeccable, et qui satisfait en tous pointsaux exigences de la loi, mais suivisd’annexes où les abréviations, lesacronymes ou les équivalences en anglaisfont trois fois le texte de présentation. Celafait songer à ces résumés (« abstracts »)des revues scientifiques et techniques dontles articles, dans certains domaines, sontaujourd’hui 100 % anglophones, mêmelorsque l’auteur est français, un peu, si l’onpermet l’expression, comme des feuilles devigne cachant des nudités. Il est aussitentant, troisièmement, de céder à la mode,d’aller chercher le néologisme chez lesharengères des Halles, comme un auteurcélèbre, en imaginant que la francisation« passera » plus facilement auprès dupublic, en élevant en quelque sorte le parlerde la rue, ou pour être plus exact, de latélévision et de la radio, à un niveau delangue supérieur, en lui donnant la sanctiondu juridique. Mais c’est bien souvent uneillusion, car, la mode passée, on se retrouveavec un jeune archaïsme mal vieilli etdésuet, qui a le charme des tables decuisine en formica des années 1960, où

Roland Barthes décrivait avec humour etférocité les ravages d’une certaine« modernité ».

Mais la plus grave des difficultés est laquatrième, celle qui, dans le cadre decet article paré des vertus d’une revuejuridique à l’attention de ceux qui ne le sontpas, pourrait s’intituler « Savoir balayerdevant sa porte ». Il y a d’abord lepédantisme. « Je vous saurais gré de bienvouloir me faire l’honneur de prendre enconsidération… », alors qu’on hésite entre« être gré » et « savoir gré ». Plusampoulée, cette croustil lante perleparlementaire tombée de la tribune etrelevée, à la date du 4 septembre 1848, parVictor Hugo dans « Choses vues » : « Nousn’avons pas eu l’idée d’avoir la pensée derien faire qui pût nous faire supposerl’intention d’avoir, du plus loin possible, defaire planer la souveraineté du droit dansles considérations qui militent en faveur dela souveraineté du fait. » Il y a, ensuite, leshabitudes. Le conseil pour la simplificationdu langage administratif (C.O.S.L.A.) fait untravail circonspect qui devrait être mieux prisen compte. Il fait souvent remarquer queles habitudes des fonctionnaires, si hautssoient-ils, tendent à singer le droit etdemandent, par exemple, à « renseigner »des formulaires. Or, on ne renseigne quequelqu’un qui le demande. Ainsi lepardessus de Fernand Raynaud lève-t-ilson chapeau mou pour demander àMademoiselle de la Poste comment on doitfaire pour obtenir le 22 à Asnières. Or, onne fait que « remplir » un formulaire. C’estmoins « technique », mais bien souvent plusdifficile. De même, une demande de délaipour honorer l’obligation fiscale peut êtreprésentée sur « papier libre ». Quel papetiera jamais vendu un papier « incarcéré » ? Àmoins qu’il ne s’agisse de promouvoir —en vue, comble du pléonasme, d’un « trisélectif » — le papier « recyclé », auquelcas, pour filer la métaphore, il vaudrait mieuxdire « en voie de réinsertion ». Cessons cetétrange « professionnalisme » oùl’administration veut « faire du droit »pour se dire, à la cafette : « Salut ! T’aspassé un bon dimanche ? » Enfin, lesnobisme qui fait des ravages plus rapidesque le réchauffement de la planète. Sousprétexte de promotion d’un discours demanagement différent, de promotion d’écolede commerce de chef-lieu de canton enliaison avec le North Dakota, débarquent

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sur les plages du service de l’État, de jeunessoldats qui pensent que, pour nousannoncer que les vaches grasses vont devoirsubir un régime amaigrissant, se croientobligés de nous dire que l’« approchebottom up est requise dans le cadre d’uneimplémentation d’un lean. » (sic) ! Etpourquoi pas : « C’est quoi ton time pourjust a coffee, before d’entrer dans leFinances Department ? »

Ces quelques exemples montrent bien, jecrois, combien il est délicat de donner desrègles, de formuler des jugements définitifs.D’un côté, il est, bien entendu, souhaitableque le vocabulaire ait et conserve unecertaine stabilité, une certaine distance faceà la langue commune pour être manié avecsécurité, juridique, mais aussi technique.Mais outre le risque du jargon, etd’incompréhension, il est délicat de favorisertrop longtemps une langue sectorisée pardomaines. Il est alors tentant de promouvoirun idiome plus proche des habitudes dupublic. Mais comme le remarquait déjàPaul Valéry dans L’idée fixe : « Écrirecomme on parle était peut-être un bonconseil à l’époque où l’on parlait bien. »Sans même céder à la « déclinologie » ouà la déploration sur le temps présent, c’estparce que le langage lui-même estvulnérable aux interprétations, aux fauxsens, aux évolutions sémantiques, que laloi, même si elle doit réduire les incertitudespour assurer les droits et garantirl’intelligence des contentieux, est objetd’interprétation. « Notre parler a sesfaiblesses et ses défauts, comme tout lereste. La plupart des occasions destroubles du monde sont grammairiennes.Nos procès ne naissent que du débat del’interprétation des lois. » On aura reconnu,une fois encore, la prose des « Essais »,qui, somme toute, ne rechignait pas à allerpuiser au gascon ce qui manquait aufrançais.

La langue qu’on parle n’est pas un objetfacile à mettre à distance. Jean Paulhanrappelait, dans « Les Fleurs de Tarbes »,combien tel mot honoré par la droite faisaitrire les gens de gauche, et combien telautre, vénéré par la gauche, suscitait lemépris des gens de droite. Chacun voyaitune chose, un concept, une valeur, là oùl’adversaire ne voyait que billevesées etparoles creuses, emphase ou démagogie.Mesure, prudence et circonspection. J’ai

bien conscience d’écrire avec une blousegrise, les doigts pleins d’une craie blanche,sur une estrade de guingois, lorsqu’un élèvearrivé après la rentrée des classes à qui jedemanderais son nom, répondrait« Meaulnes. Augustin ». Ce qui vaut bien« Bond. Je m’appelle Bond. James Bond. »J’accepte, très volontiers la référence. Maisce n’est pas de la nostalgie.

Les questions relatives à la langue françaisesont à la mode. Promotion de laFrancophonie, qualité de la rédactionadministrative, lutte contre les anglicismes,impropriétés nombreuses dans le parlerquotidien, facilités du langage politiquementcorrect et journalistiquement banalisé,promotion de l’exportation en « américaindes aéroports », féminisation des mots pourcause de parité hommes-femmes, luttecontre les discriminations de toutes sortes,défense de l’identité culturelle et del’exception nationale, protection del’environnement et de la biodiversité, desanimaux rares et des hommes bizarres.Tout cela est noble. Tout cela est vrai sansaucun doute, mais ne nous y tromponspas. Les objectifs de tous ces combats,ou du moins de tous ces efforts, ne sontpas, à l’évidence, les mêmes.

Dans un tout petit livre qui vient d’êtreréédité, « L’Uruguay » de Jules Supervielle,on lit cette merveilleuse phrase sur sajeunesse : « Je suis né à Montevideo, maisj’avais à peine huit mois que je partis unjour pour la France dans les bras de mamère qui devait y mourir, la même semaineque mon père. Oui, tout cela, dans la mêmephrase. »

Il y a tout juste trois siècles et demi, Molièrerevenait à Paris après un long périple enprovince où les dettes, une incompétencecrasse en analyse financière, l’amour d’unefemme plus âgée que lui et le désird’aventure l’avaient conduit. Dans sapremière pièce imprimée, « Les Précieusesridicules », Magdelon répond à Mascarillequi lui demande ce qu’elle pense de Paris :« Hélas ! qu’en pourrions-nous dire. Ilfaudrait être l’antipode de la raison, pour nepas confesser que Paris est le grand bureaudes merveilles, le centre du bon goût, dubel esprit et de la galanterie. » N’y entendantgoutte, leur père, excédé de toute cette« pommade », leur dira qu’il n’entend point

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changer leurs noms de baptême « qui vousont été donnés par vos parrains etmarraines ».

Autrement dit : fidélité à sa langue commeà son nom, mots simples, parler clair,langage compris de tous. Il me semble quedans ce délicat problème des relations dela langue et du droit, l’objectif, modestecertes, est d’abord d’assurer que, loin dela « pommade », on puisse s’entendre entreenfants et parents, parrains et marraines,cousins cousines, voisins voisines. Oui !tout cela, dans la même phrase. Concilierla sécurité linguistique et la concordesociale ? Ménager la chèvre et le chou ?Cela ne sera déjà pas si mal. N’est-ce pasle meilleur moyen d’avoir la prospérité dansle potager et la paix dans la bergerie ?

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LETTRE D’ACTUALITÉ JURIDIQUE DES MINISTÈRES FINANCIERS - 1 jeudi sur 2

La Lettre de la DAJComment la consulter ?

Diffusée un jeudi sur deux, cette lettre offre un large panorama de l’actualitéjuridique en mettant un accent tout particulier sur les dossiers auxquelsest associée la DAJ.

Complément au Courrier juridique des finances et de l’industrie (CJFI),qui reste la revue juridique de référence des ministères financiers, la Lettrede la DAJ donne accès à une information rapide, tout en offrant au lecteurla possibilité d’approfondir celle-ci. En effet, la Lettre permet, via des liensinteractifs, d’accéder directement à la source support de l’article : textelégislatif ou réglementaire, jurisprudence, dossier documentaire …

Vous pouvez accéder à cette lettre, disponible exclusivement sous uneforme numérique, en vous connectant à l’adresse URL suivante :

http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/daj/lettre/sommaire.htm

L a L e t t r e d e l a D A J

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LE COURRIER JURIDIQUE

DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE

LE COURRIER JURIDIQUE

DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE

Publication bimestrielle de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, de l’Industrie et del’Emploi et du ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, le Courrier Juridique desFinances et de l’Industrie apporte un éclairage sur des thèmes juridiques d’actualité, au travers d’articles desynthèse et d’analyse des jurisprudences constitutionnelle, judiciaire, administrative et européenne.Fruit d’une expertise pluridisciplinaire, portant sur tous les domaines du droit (droit privé et public, droiteuropéen et international, droit des sociétés, droit économique et financier, droit des participations de l’État etdroit des marchés publics), cet outil a vocation à permettre, avec ses six numéros annuels, de mieux saisir lesenjeux juridiques de la société actuelle.Le Courrier Juridique des Finances et de l’Industrie est également disponible sous forme numérisée accessible en ligne(au format PDF ou mode texte) par téléchargement payant, sur le serveur internet de la Documentation française,en vente au numéro ou par abonnement. Plus d’information sur www.ladocumentationfrancaise.fr

Comité éditorial

Directeur de la publicationCatherine Bergeal, directrice des affaires juridiques

Membres externesJoëlle Adda, chef du service juridique de l’Autorité de régulation des communications électroniques et despostes, Frédéric Ancel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Claudie Boiteau, professeur d’université,Vincent Feller, avocat général à la Cour des comptes, Alain Lacabarats, conseiller à la Cour de cassation, directeurdu service de documentation et d’études, Jean-Marc Morin, directeur juridique de l’Assistance publique -Hôpitaux de Paris, Marie-José Palasz, chef de mission au contrôle général économique et financier, Annie-Claude Selvi, conseiller juridique à la direction générale des entreprises

Membres de la DAJJean-Guirec Le Noan, chef de serviceMichèle Hourt-Schneider, sous-directrice,Nicole Planchon, sous-directrice,François Schoeffler, sous-directeurMichel Lejeune, sous-directeur

Rédacteur en chefCharles TouboulRédactionFrédéric Amérigo

Direction des affaires juridiques :bâtiment Condorcet - Télédoc 353 - 6, rue Louise Weiss - 75703 Paris Cedex 13adresse courriel : [email protected]