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Henri GOMEZ Guide de l'accompagnement des personnes en difficulté avec l'alcool

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Henri GOMEZ

Guide del'accompagnementdes personnes en difficulté avec l'alcool

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Aux soignants, alcooliques, proches,et décideurs du passé récent et du futur proche.

À Robert, Françoise et Thomas, à Michèle Monjauze etGérard Vachonfrance, in memoriam

Et comme il se dit dans le générique des films,mes sincères congratulations

à Michelle, Véra et Juliette pour leur relecture attentiveet leurs observations.

« Trop facile d’attendre et de compter sur les autres ou sur l’État.Et dangereux. Sortons de cette torpeur qui nous écrase.

Pour éviter que notre inaction devienne un crime contre notre humanité.C’est quand chacun d’entre nous attend que l’autre commence

qu’il ne se passe rien. »

Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre(Cité par La Dépêche du Midi du 23 janvier 2007)

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Avant-propos à la troisième édition XIII

d’autres auteurs, pour participer à l’effort théorico-pratique. La cliniquealcoologique doit pouvoir se décliner sur de larges thèmes permettantdes confrontations d’éclairage. L’écriture mais aussi la « toile » peuventdonner aux personnes concernées par la problématique alcoolique desrepères et des moyens efficaces. C’est ainsi que nous avons préciséet préciserons des thématiques telles que la honte, la résilience, lesprocessus de victimisation mais aussi le cinéma comme langage, ennous promettant d’intégrer une réflexion psychosociale sur le travail etles marginalisations qu’il induit, ou encore le rôle essentiel qui peut êtrejoué par des alcooliques sobres, à certaines conditions.

La « toile » et l’écriture se prêtent à tous les usages, les pires maisaussi les meilleurs, tout comme la mondialisation. Celle-ci, en dépitdes menaces pour les civilisations soumises à la dictature destructricedu Divin Marché, aux blocages à l’œuvre dans la Santé et la sociététout entière, est aussi promesse de rencontres avec des énergies et descréativités nouvelles.

H. G., janvier 2014

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Avant-propos

ÉCRIRE POUR ÊTRE LU

Le bon usage du temps se perd dans le cours irrégulier de nos vies.Nous nous devons d’être pragmatiques. Ainsi, est-il encore justifiéd’écrire de nos jours ? Sans doute, l’écriture sert-elle à penser et àse panser mais le jeu en vaut-il la chandelle, à l’heure des réseauxsociaux ? À défaut d’une orchestration médiatique réservée à la vente demasse, la plupart des ouvrages utiles sont assurés d’un impact restreintet éphémère, d’autant plus anecdotique qu’ils ne s’inscrivent pas dansl’air du temps. De tard en tard, cependant, par l’effet du bouche àoreille, c’est-à-dire des échanges électroniques, l’un d’entre eux déjouela confidentialité à laquelle il était promis. L’auteur est alors repéré,reconnu, mais qu’en est-il de son influence ? Il participe à l’illusionde la nouveauté, à la distraction pascalienne. Quand il est novateur,il aide les dirigeants éclairés à ajuster leur mainmise intellectuelle. Ilnourrit, contradictoirement, l’esprit critique de ceux qui subissent l’ordreétabli. L’exemple emblématique de cette ambivalence est Le Prince deMachiavel. L’universalité suppose de considérer le Monde avec le regardd’un enfant blessé, tel Le Petit prince, texte et images associés.

En matière de lecture, la contribution de Pierre Bayard1 est novatrice.Cet enseignant psychanalyste nous a fait prendre conscience que la

1. Bayard Pierre, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, les éditions de Minuit,2007.

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Avant-propos XV

moindre de nos productions livresques est plurielle. Elle est parfoismort-née car refusée par les éditeurs. Ou bien, après une présence fugitivesur quelques étalages, elle attend l’heure du pilon. Cependant, la premièrede couverture peut attirer les regards. Un titre accrocheur peut provoquerune rotation de poignet pour découvrir le dos de l’objet. Le geste en restelà, le plus souvent. Il n’empêche. Nous en sommes à deux livres donton pourra parler : le titre et l’auteur, le résumé. Le moindre écrivaillonpeut ainsi se prévaloir de deux œuvres complètes. L’introduction et, dansune moindre mesure, la conclusion sont réservées aux gens pressés maiscultivés, et aux non-lecteurs habituels. Ces intrépides doivent être choyés.Mis en appétit, ils auront peut-être le courage de digérer le corps du texte,dans l’ordre, en diagonale, par fragments, par effets de crayonnage etde surlignage, par le recours respectueux à des signets et à des notes.Cette appropriation aboutira à un nouveau livre, le leur, que personne neconnaîtra sauf à être rédigé et publié à son tour.

Lecteur, si tu daignes lire le préambule qui va suivre, en dépit du peude temps dont tu disposes, tu auras fait reculer ma solitude et la tienne.Le reste est offert à ta liberté.

POUR LE LECTEUR PRESSÉ

L’alcoolique, c’est l’autre.Nous n’avons rien à voir avec ce personnage qui trahit nos traditions

du bien-manger et du bien-boire, qui se conduit et conduit mal. Nous,eux. Chacun à sa place.

Cependant, plus les usages aberrants de l’alcool se banalisent, plusles alcoolisations problématiques se diluent dans les addictions, plus lesfrontières se brouillent.

Et si l’alcoolique était notre miroir ? Un miroir d’autant plus révéla-teur qu’il montre ce à quoi nous avons échappé comme personne, sansl’avoir cherché. Le miroir d’une société déboussolée. La nôtre.

Quelle délimitation donner au mot ? La définition doit être simple, nepas souffrir de controverse : l’alcoolique, c’est celui dont la façon deboire est indiscutablement préjudiciable. Pour lui, pour les autres. Ainsile champ de l’action soignante est-il fixé.

Si la recherche de l’effet l’emporte sur le plaisir du goût, si l’étatsecond ou l’ivresse deviennent le mode de régulation, hebdomadaire,quotidien, ou discontinu, d’un mal-être, nous sommes confrontés àun détournement d’usage. Ce détournement d’usage a des effets trèsdéfavorables sur tout ce qui fait une vie : le travail, le couple, les enfants,

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l’estime de soi... Pourtant, le sujet continue d’avancer dans l’impasse.La perte du contrôle de la consommation, qui s’exprime, un temps, sousla forme du besoin de contrôle, marque un tournant. La dépendance estl’aboutissement d’un processus. Elle représente une capture de l’énergielibidinale associée à des troubles de la connaissance de soi. L’alcoolest au pouvoir, balayant toute fiabilité. Les troubles dits cognitifs sontau premier plan. Ils ne disparaîtront pas toujours à l’arrêt de l’alcool.Ils préexistaient souvent. Ils ont été aggravés. Le sujet est étranger etcomme indifférent à lui-même, à son corps, à son temps, à ses choix...Il oppose le déni à l’évidence, la dénégation en forme de minimisationet de « mauvaise foi », les mensonges. La moindre des difficultés oudes occasions devient prétexte à boire. Il s’angoisse, s’ennuie, perd lamémoire et l’envie, éprouve le vide.

Les modes de consommation modernes, à l’anglo-saxonne, visantl’ivresse, ont avancé l’heure où boire devient incompatible avec lagouvernance psychique et la vie relationnelle. La dépendance est laconséquence d’une compatibilité innée/acquise et l’alcool croise toutesles routes. La dépendance prend forme par le génie propre de l’alcool, parses effets pharmacologiques, anxiolytiques, euphorisants, anesthésiants,mais aussi par ses effets sensoriels, par ce qu’il évoque dans l’inconscient.Elle est le symptôme et l’agent d’une pathologie de la sécurité affectiveet du lien, la trace d’un défaut d’individuation somato-psychique qui serevit en buvant, avec des angoisses d’abandon, de séparation, de mor-cellement, d’anéantissement. De très nombreux facteurs diachroniquesd’ordre différent sont à prendre en compte : génétiques, psychopatholo-giques, familiaux, culturels, sociétaux, événementiels. La vulnérabiliténeurobiologique devient déterminante dans de nombreux cas. En mêmetemps, elle bénéficie d’un effet d’ambiance.

Les addictions aux autres produits psychotropes, médicaments com-pris, les comportements compulsifs, anciens et modernes, accompagnent,précèdent et parfois suivent l’installation d’alcoolisations pathologiques.Cigarette, cannabis et bière, conduisent aux alcools forts. Le vin s’habillede plastique et se transporte en cubi, quand les finances ne suivent plus.Le patient est presque toujours de nos jours un polyaddicté, avec un effetde vases communicants et de sommation entre produits psychoactifs.Il est question de part alcoolique1 ou de composante addictive dufonctionnement psychique. Dans nombre d’histoires, l’alcool prendle statut d’un produit de substitution, ou de complément en plus duSubutex ou de la Méthadone, doté des avantages décisifs d’être

1. Monjauze Michèle, La part alcoolique du soi, Interéditions, 2011.

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Avant-propos XVII

disponible, licite, relativement bon marché. Les addictions créent uneambiance délétère. Le il est interdit d’interdire a abouti à un renforcementde la surveillance et du contrôle social.

Personne ne s’avise de contester l’impact du contexte développe-mental d’un enfant comme facteur de désorganisation psychique. Uneambiance familiale peut être traumatique, dure ou molle, selon le modede violence exercée, et induire un conditionnement, des effets d’imitationultérieurs. Le laxisme est aussi une violence dans la mesure où il associedéfaut d’attention et de repères. L’alcoolisme est souvent, mais pastoujours, le symptôme et l’agent d’un dysfonctionnement familial passéet rejoué dans les deux lignées. Il est source de confusions de générationset d’identité sexuelle, de transgressions. Cet effet systémique et decontamination se retrouve chez le conjoint. Combien, par exemple, defilles d’alcooliques font couple avec un alcoolique ? Le soignant a besoinde connaître l’histoire du patient, sa version du roman familial, s’il ena une, et son contexte affectif. Les familiers influencent l’évolution. Lesujet peut retrouver ses vieux fonctionnements, ses vieux schémas, s’iln’y prend garde, à leurs côtés. La répétition semble inscrite dans soninconscient. Rencontrer l’entourage possiblement aidant ou à problèmeest une étape importante pour le soin.

Il est d’autres réponses pathologiques à la souffrance inexprimée, enparticulier quand le buveur suspend son addiction. La douleur peut adop-ter le langage du corps et développer des maladies psycho-fonctionnellesou psychosomatiques. Dans la première éventualité, un organe souffremais, anatomiquement, rien ne se constate. Dans la seconde éventualité,les lésions occupent le devant de la scène : la peau s’altère, une muqueusepleure le sang, une maladie grave met en jeu la vie du sujet. Le corps, telcelui de Saint Sébastien, exhibe plaies, cicatrices, percings.

Les troubles de l’humeur – grande anxiété, dépression, troublesbipolaires – représentent un terreau favorable au développement desconduites addictives. Ils ne sauraient jouer un rôle d’écran et fairel’économie de la compréhension de la psychopathologie à l’œuvre, dela structuration psychique sous-jacente : organisations limites, instableset compliquées à gérer, pathologies du narcissisme, psychoses, traitsnévrotiques surajoutés et, assez souvent, au premier plan. Il serait plusjudicieux de parler de troubles psychopathologiques ou de pathologiepsychiatrique avec co-morbidité addictive que l’inverse. Les personna-lités addictées sont de moins en moins solidement structurées. Leursressources mentales sont de plus en plus éparpillées. Ne nous leurronspas : la problématique alcoolique est une pathologie complexe dont lepronostic d’ensemble va en s’aggravant.

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Penser en termes de causalité linéaire relève ainsi d’un déterminismesimplet. Une même cause peut produire des effets diamétralementopposés. Elle peut être à l’origine d’une faille psychique (Monjauze)repérable au Rorschach, d’un défaut fondamental (Balint), qui s’expri-mera quelquefois des dizaines d’années plus tard, lors de la retraiteou du départ des enfants, par rupture d’étayage. Elle peut avoir desrépercussions mentales qui handicapent le sujet dès son adolescence. Undétail de vie banal en soi peut avoir des effets structurants pour le piremais aussi pour le meilleur. L’habitude du danger peut aussi bien nourrirla résilience, cette aptitude à survivre après des traumas.

Comprendre sert avant tout à donner une interprétation qui atténue etrecentre honte et culpabilité. Une empathie distanciée incite la personnealcoolique à persévérer dans la relation de soin malgré les retoursd’alcool. La part de l’imprévu donc de l’intuition clinique, mais aussidu détail hasardeux ou du changement de contexte, intervient dansla prise de distance avec l’alcool, déjouant protocoles et pronostics.Une maturation s’est faite. L’alcoolique peut décliner le paradoxe deMonjauze : « Puisque je ne peux m’en passer, je ne vais pas en boireune goutte ». Contre toute attente, le temps de l’acceptation, de laresponsabilité, et des initiatives se fait jour, suscitant apprentissages,progrès, changements. Le clivage donne l’impression, exacerbée parl’alcoolisation, d’une personnalité dédoublée, Sa présence signifie aussique le sujet a une part de lui-même compatible avec une juste appré-ciation du réel. L’ambivalence va pouvoir lui succéder, autorisant deschoix de compromis. Le soignant doit encourager cette part adaptative,désactiver les facteurs qui la neutralisent, inciter le sujet à supporter sespeurs autrement que par l’addiction et les chimères. Il doit inciter sonpatient à avoir le courage de l’intelligence, à lier l’esprit critique à lacréativité. Dans les moments difficiles, le soignant doit manifester sadisponibilité, comme la bouteille, avec la parole en plus, sans se laisserabsorber.

Le patient alcoolique est, surtout dans les premiers temps de larelation, un client difficile : trop près, envahissant, trop loin, absent, aussiexigeant qu’inconstant. Son temps n’est pas celui du soignant. Dès lors,il est tentant de préférer parler de lui que parler avec lui. Le colloquesingulier présente des particularités, d’autant qu’il s’agit souvent, lorsdes premières rencontres, d’un patient sans demande explicite, et parla suite, d’un sujet à la pensée opératoire. L’écoute fonde l’avance dela parole car, autrement, le patient est confronté à son manque-à-dire,aux difficultés de la mise en mots. L’avance de la parole n’est pas undiscours à sens unique et stéréotypé émanant du soignant, face à un

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Avant-propos XIX

patient muet ou limité à l’expression d’une pensée convenue, mais unesubtile dialectique qui prolonge les propos du patient, posant les basesd’une relation intéressante. La parole soignante n’est pas de l’ordre de lalogique, du raisonnable, dont les oreilles de l’alcoolique sont rebattues,mais plutôt de l’ordre du paradoxe, de l’association libre, de la métaphore.Pour dédramatiser l’expérience du mal-boire, il suffit de citer des faitsd’armes racontés par d’autres alcooliques. Ne pas prendre une coupe dechampagne ou un verre de vin en société reste un acte incivil alors quefumer l’est devenu.

L’explication a sa place dans la relation de soin, comme elle l’a pourtoute autre pathologie. Il s’agit non de farcir les têtes de connaissancesinutiles mais de donner des notions qui aident à accepter la nécessitéde la non-consommation. Nul besoin d’être anatomopathologiste pourfaire comprendre par un simple schéma que la zone du besoin de boire,des plaisirs compulsifs et répétitifs, se situe dans le diencéphale et lesnoyaux gris du cerveau et que la volonté n’intervient pas à ce niveau. Lamise en place du conditionnement à boire par l’effet des alcoolisationssuccessives aboutit chez le dépendant à un renversement de pouvoir :l’intelligence et la délibération se soumettent aux besoins de satisfactionque nous partageons, d’un point de vue neurologique, avec les rats. Dèslors, la question est simple, acceptons-nous de donner en nous le pouvoirà un rat ou prenons-nous le risque de la lucidité et du bon sens ?

L’avance de la parole se fait au sein des groupes : « Je me reconnaisdans ce que vient de dire... ». L’alcoologie clinique renverse la positiondu docteur Knock : l’alcoolique peut être aussi un bien portant qui nes’ignore plus. Au grand dam des non-alcooliques qui ont besoin qu’ilaille mal pour avoir l’illusion d’aller mieux.

La tentation normative est l’attitude privilégiée par les proches etl’État. Elle considère l’alcoolique comme un déviant dont il faut contenirles excès. Le champ visuel se rétrécit sur la bouteille et la main qui latient. L’alcoolique est une des cibles du système judiciaire, un client del’Institution psychiatrique. L’alcoologie est organisée comme un volet dela médecine sociétale, sur le modèle des soins prescrits aux toxicomanes :des médicaments, une obligation de suivi. La problématique s’alourditaussi des insuffisances de la praxis clinique, des inadaptations de l’offredu soin, de l’absence de filière praticienne identifiable.

Privilégier une seule grille de lecture engendre des erreurs d’appré-ciation et réduit les approches thérapeutiques. La fonction soignantes’exerce aussi sans protocole codifié, en dehors des professionnels. Lasurprise est une composante du soin. Nous ne pouvons négliger commesoignants la force de l’irrationnel, de la subjectivité. La suggestion, n’en

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déplaise aux fidèles du père de la psychanalyse et des partisans dessciences « dures », peut se révéler un puissant levier. L’hypnose, l’EMDRet les techniques dérivées suggèrent qu’il est possible de soulager enbrouillant momentanément la conscience !

Borner les temps thérapeutiques à des hospitalisations sans préoccupa-tion d’alliance thérapeutique, privilégie la logique institutionnelle sansbénéfice durable pour le patient. L’alliance thérapeutique gagne à sedévelopper, à partir d’une hospitalisation brève1, ou sans hospitalisationdu tout. La relation d’aide peut s’étoffer, même si l’alcoolisation perdureplus ou moins. Isoler le patient de son milieu de vie pendant plusieurssemaines ne doit plus être la règle. Le soin alcoologique ne doit plusse concevoir sur le mode de « la cure ». Les hospitalisations devraienttoujours être prolongées par un accompagnement de proximité préétabli.Le temps de l’urgence n’est pas celui du soin, même si c’est une occasionde parler d’alcool. L’alcoolique peut retirer un bénéfice du lien avecplusieurs cliniciens. Aucun alcoologue averti n’en prendra ombrage. Lesoin alcoologique s’accommode assez mal d’une relation duelle. Unenfant a besoin de deux parents, compris comme deux sources de repères,d’affection et de limites. Le suivi bifocal, pour prendre une expressionde Maurice Corcos, s’impose en cas d’adolescent. Le groupe de parolepeut satisfaire ce besoin, en le complétant par la dimension fraternellequi se vérifie dans la relation égalitaire et le double JE du clinicien.

Sans doute des alcooliques s’arrêtent-ils de boire tout seuls et long-temps. Ce fait ne justifie pas pour autant le laisser-faire des soignantset les hospitalisations-parkings, lieux de passivité, de dévalorisationaccrue, de pourvoyance et d’illusions affectives. L’alcoolique n’a pas, audébut de sa démarche de soin, la moindre idée de ce qui lui sera utile.Il a ses défenses, ses préjugés, confortés parfois par des expériencesde soin décevantes. S’il a eu besoin de drogues, nul doute qu’il vivramal les règles. Il ne connaît les limites qu’en les transgressant. Latarification à l’activité achève d’en faire des patients peu attractifs pourles établissements. De ce point de vue, rien ne vaut une bonne cirrhose ouun os à réparer. La psychothérapie demande du temps et du savoir-être.Elle demande aussi d’être financièrement accessible à tous ceux qui enont besoin.

Le soin a besoin d’une méthodologie et de cadres pérennes pours’adapter à la diversité des patients. Une chose est certaine, les alcoo-liques ne disposent pas aujourd’hui d’un corps de cliniciens capablesde répondre à leurs besoins. Globalement, les pathologies somatiques

1. Gomez Henri, L’hospitalisation brève en alcoologie, Érès, 2012.

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Avant-propos XXI

trouvent encore leurs techniciens, en dépit d’une pénurie croissante,manifeste au-dehors des agglomérations.

Les pathologies du psychisme sont nettement moins pourvues. Nousaurions besoin de praticiens alcoologues, de psychologues clinicienshabitués aux problématiques addictives, de thérapeutes du conjoint etdes enfants, de soignants capables de développer les aptitudes corporelleset créatives. Mais les statuts professionnels facilitant l’accès aux soinsde tous, par extension des paiements par la Sécurité sociale, ainsi que lescontrats d’objectifs et de moyens opérationnels, font défaut. La sociétédu gaspillage oppose des chiffres aux réalités, des études randomiséescoûteuses et sans résultat interprétable au bon sens, à l’expérience, àl’innovation, aux besoins les plus criants. La recherche scientifique, sion peut dire, a le dos large, au détriment des cliniciens de terrain. Ons’interroge, aujourd’hui, sur les bonnes procédures à proposer selon lesprofils des patients, alors qu’en réalité c’est le patient qui choisit enfonction des menus que lui proposent de trop rares équipes de cuisine.

Au prétexte de la crise, un darwinisme sociétal informulé s’opèreà grande échelle. Il s’intensifie à bas bruit. Il ne se limite pas auxalcooliques, même si l’alcool finit souvent par se retrouver sur le chemindes laissés-pour-compte. À maints égards, l’alcoolique est un citoyenexemplaire : l’homo addictus consomme, produit, fait vivre toutes sortesd’institutions et meurt, avec l’aide du tabac, dix ans au moins avant lesautres, participant ainsi à l’équilibre des retraites. Il justifie l’ordre établiplus qu’il ne le dérange.

Les détournements d’usage ne sauraient justifier la diabolisation duvin ou des alcools ayant acquis des lettres de noblesse culturelles ethédoniques. Le débat pour ou contre le vin a un côté surréaliste. On peutcependant s’interroger sur le volume de production, sachant que 50 %des boissons alcoolisées sont consommées par 10 % de la population,et sur les formes commerciales des boissons visant manifestement àhabituer les adolescents à boire des alcools forts. La prévention voitson champ limité à des mises en garde, à des spots TV parfois réussis,à des mesures en entreprise qui déplacent les consommations d’abusdans la sphère privée, sans empêcher les burn out ni l’encombrementdes tribunaux par des délits de conduites au volant alcoolisées. Desinterventions brèves sont mises en place dans les grosses entreprisespour faciliter le repérage et diminuer leurs risques médico-légaux. Lerepérage ne prend sa signification qu’à la condition de disposer d’unréseau soignant qui, en réalité, n’existe pas à la hauteur des besoins. Àquoi sert de dépister une panne, si on n’a pas les moyens de réparer ? Demême, la prévention n’est pas intégrée dans une pédagogie progressive.

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L’information ne s’inscrit pas dans une mise en dialogue enseignante,de la fin du primaire à l’enseignement professionnel. Il se parle d’alcooldans l’ignorance des ressorts de la problématique alcoolique.

L’alcoolisme dessine en creux des alternatives de changement. Marxrésumait le tragique de notre condition en une formule : « Les hommesfont l’histoire mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ». Nouspouvons cependant faire preuve de résistance, passive ou créative, etfaire vivre des valeurs étrangères à la logique autodestructive en cours,orchestrée par l’ultralibéralisme aussi déshumanisé que les totalitarismeshistoriquement dénoncés. Chaque groupe social devrait œuvrer dans unesprit de résistance créative1, car critiquer n’est recevable que si d’autressolutions éprouvées sont expliquées et enseignées.

Un meilleur rapport au temps et à l’action, un entraînement audiscernement, une éthique recréée, un souci nouveau de l’équilibrepsychique et somatique, une affectivité plus ajustée, une créativitéconforme aux aptitudes représentent des clés pour un changementsignificatif. L’entraide n’est pas un mot pieux mais une réalité vérifiéedans le travail en groupe et autour du groupe, avec les soignants. Cesderniers ont à maîtriser leurs contre-attitudes et leurs contre-transferts, àles comprendre, à abandonner l’illusion de toute-puissance, à gagner enhumilité. Les patients ont alors la possibilité d’être co-auteurs de leursoin, à la façon dont un lecteur s’approprie l’œuvre d’un auteur qu’ilaime.

Un maître mot doit guider nos pratiques, celui d’efficience : commentsoigner mieux au meilleur coût ? Les deux termes doivent être équilibrés,pas question que l’un serve à faire négliger l’autre. Notre offre desoin a des particularités dont plusieurs justifieraient d’être modélisées.Notre méthodologie repose sur trois temps qui ont été détaillés dansnos précédents ouvrages : la première rencontre ou entretien préalable,suivi après accord soit par un soin uniquement ambulatoire – associantentretien d’histoire, communication de références livresques, incitationà découvrir le travail en groupe –, soit par une hospitalisation brève oustage, ce second temps ouvrant sur l’accompagnement dont la base estl’association d’un temps individuel mensuel à des temps collectifs, facul-tatifs, représentés par un travail en groupe élaboré sous la responsabilitéde l’alcoologue et d’autres soignants. La fréquence trihebdomadaireassure la dimension psychothérapique. En cas de phobie des groupes,d’éloignement géographique ou d’indisponibilité personnelle, il est aiséde communiquer les comptes rendus des séances, préférentiellement

1. Nouvelle revue de psychosociologie, La résistance créative, Érès, 2009.

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Avant-propos XXIII

par mail, contre une adhésion à l’association de réflexion et d’entraideconstituée, pour permettre qu’un travail de réflexion (d’élaboration) sefasse. Ainsi le travail de l’alcoologue reste une activité de clinicien.

Les thérapies cognitivo-comportementales ont suscité l’expressiond’entretien motivationnel. Nous lui préférons celle de première rencontre,adoptée aussi par d’autres auteurs, ou d’entretien préalable. Le secondtemps est d’ordre initiatique. Il peut correspondre à une hospitalisationbrève sur 8 jours effectifs, d’un mercredi à l’autre, pour quatre patientsau maximum. Le « stage » se présente comme une alternative à la cureclassique de 3 semaines ou plus. Le séjour n’a nul besoin d’un cadrepsychiatrique. Nous le réalisons d’ailleurs, depuis le commencement,dans un établissement médico-chirurgical pour les pathologies soma-tiques. Notons que la Sécurité sociale autorise un psychiatre à réunir 30patients sous sa responsabilité dans une structure de soin, à plein tarif.Un travail de forçat ou de fumiste, à moins de disposer d’un corps excep-tionnel d’infirmières, de psychologues cliniciennes, d’ergothérapeutes,de psychomotriciens et de soprologues. Le rapport financier est donccaricaturalement en notre défaveur, étant entendu que pour des raisonsd’harmonie entre les hospitalisés, le nombre d’hospitalisations se réduitassez souvent à 3 par semaine.

De nos jours encore, il se produit des sevrages sur une semaine sansle moindre souci d’amorcer l’après. L’hospitalisation sert uniquementà assurer un sevrage physique sécurisé. Pourquoi le patient choisirait-ild’aller plus loin ? Qu’a-t-il découvert d’incitatif pendant ces jourspassés à l’horizontale ? Nous avons densifié autant qu’il se pouvait cettesemaine, dite de prise en charge car le sujet est, au début, plutôt passifou du moins attentiste – il demande à voir. Nos visiteurs de l’AREA,association de bénévoles, sans ou hors-alcool selon la distanciation avecla référence alcoolique, donnent du temps, de l’écoute, de l’expérience,de l’espoir. Pour témoigner de la période du sans-alcool et de larévolution qui a suivi pour eux, ils sont incomparables. Ils mettent enœuvre un compagnonnage. Chaque visiteur bénéficie de la supervisiondes soignants, différence essentielle avec les counsellors, prestataires deservice, qui ne font le plus souvent l’objet d’aucun suivi et n’effectuentpas de psychanalyse ou de travail d’élaboration en groupe. Chaque équipede stagiaires apporte son lot de découvertes. L’effet du séjour est laissé aupouvoir du Dieu Kaïros, celui des opportunités. La semaine s’enrichit dela mise à disposition de films hors-objet (l’alcool étant l’objet), stimulant,hors référence à l’alcool et hors séjour, les capacités d’expression et lapensée associative. Le corps n’est pas oublié. Ce qui est esquissé dans ce

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temps fort qu’est l’hospitalisation doit pouvoir faire trace et être reprispar la suite, de retour dans son quotidien.

Le groupe de parole médiateur du lien s’inscrit comme tiers dans larelation soignant/soigné. C’est un outil multifonction(1). Avant tout, ilfournit un climat agréable, sécurisant, où la bonne humeur s’associe àl’authenticité et à un effort de réflexion. Il bénéficie de plusieurs grilles delecture, cognitives, comportementales, analytiques, systémiques..., qu’ildécline sous la forme de thématiques larges. Ouvert à des participantsdifférents quant à la structuration psychique et à la distance prise avecl’alcool, ce type de groupe est nécessairement éclectique et intégratif (2).C’est même le plus bel exemple d’outil intégratif. Il permet un travailpsychique en stimulant la pensée associative et paradoxale. Participerau groupe dans la durée prévient les réalcoolisations ou atténue leursconséquences. Il aide une majorité de sujets à faire de l’abstinence unorganisateur psychique. On conçoit aisément que cet objectif ne soit pasenvisageable dès la première rencontre.

Pendant les séances, le soignant contrôle les décharges émotionnelleset les contre-attitudes. Il assure reformulations et transitions. Il use duJe de l’alcoologue et, ponctuellement, du Je comme personne. Commepersonne, le soignant est ainsi un analysant, comme soignant, il joueprincipalement de ses aptitudes contre-transférentielles. Le groupe, parsa consistance et ses retours, est son analyste. Chaque séance donne lieuà un compte rendu à partir de notes recueillies par des scribes, mises enforme par le soignant chargé de la réunion. Le compte rendu est alorsdonné à tous les adhérents de l’association. Le respect de ces critèresfournit une base référentielle qui rend les évaluations aisées. Ce groupepermet la formation d’étudiants et de soignants. Le travail effectuéest à l’origine d’un langage, d’une mémoire et d’une culture propres,d’un style. Un tel groupe exige une forte implication de soignantsexpérimentés, psychiquement solides et culturellement ouverts. C’estune des conditions pour devenir le lieu géométrique d’un soin conçu surle principe de l’alliance thérapeutique. Ce type de groupe, véritablementpsyCOalcoologique, selon le mot de Gérard Ostermann, est spécifique del’accompagnement après le temps d’hospitalisation. Il n’a pas bénéficiéde la reconnaissance des milieux hospitalo-universitaires. Faute d’êtrereconnu comme référentiel de l’accompagnement alcoologique, il nedispose pas de moyens budgétaires pérennes alors qu’il est une sourced’économies en temps, en consultations, en journées d’hospitalisation.

Une pratique alcoologique centrée sur les personnes et leurs prochessuppose la formation à la relation des différents acteurs du champ : lesmédecins généralistes et du travail, les soignants, les professionnels

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Avant-propos XXV

confrontés aux réalités des problématiques addictives, ceux qui ont lacharge de la vie collective. Cet effort serait nécessaire pour obtenirun effet de filière et de partenariat optimal. Nul n’est à exclure, bienau contraire. Chacun doit évoluer pour donner plus d’efficience àl’ensemble.

Que les Pouvoirs publics n’aient pas saisi à ce jour l’intérêt écono-mique, dans les différents sens du terme, d’une telle approche n’estpas étonnant. Les démarches évaluatives actuelles confortent, dans leurforme, l’incompréhension entre les décideurs et les acteurs de terrainalors que l’intérêt commun serait de favoriser, par ce biais, des éclairagespertinents. L’évaluation est toujours politique – et nous pourrions ajouterjamais réellement scientifique. Tout dépend pourquoi elle est établie, quila fait, comment elle s’opère et pour quels résultats.

En près de 25 ans, nous avons eu tout loisir de vérifier la fermeturedes Pouvoirs publics aux innovations représentées par les divers aspectsde notre conception de la relation de soin en alcoologie. Le managementactuel des entreprises soumises aux impératifs de rendement financierne fait qu’agraver la situation. Le phénomène du tout-virtuel n’aide pasau dialogue au sein des équipes soignantes et moins encore le caractèreinterchangeable de celles-ci, avec l’extension de l’intérim. Notre payssouffre d’un double cloisonnement, vertical, entre le haut et le bas, ethorizontal, entre acteurs de terrain. Il semble incapable de se réformerutilement. Une meilleure inspiration lui viendra peut-être d’ailleurs, depays capables d’audace.

Le fonctionnement de nos sociétés évoque de plus en plus celui desorganisations limites de la personnalité : coupure avec les réalités, immé-diateté, primat de l’émotionnel, de l’événementiel, de l’apparence, choixdes sensations et de la fuite en avant, au détriment du sens, insouciancequant aux conséquences, goût pour les amalgames, caractéristiquesde la pensée paresseuse, au détriment des analogies, déni et clivage,immaturité, Surmoi de pacotille, bouillie de morale, alibi du laisser-faire,Moi en miettes, auto-destructivité active.

L’alcoolique nous donne un message d’espoir : il faut toucher le fondpour réagir véritablement. L’intervention des soignants vise à relever lefond, selon une expression de François Gonnet.

Une conclusion s’impose pour aujourd’hui, la personne devenue alcoo-lique doit rechercher ses appuis dans le labyrinthe des vraies-faussessolutions. Elle doit se faire à l’idée de lâcher sa béquille et se hasarderà créer son propre chemin, fût-ce en chutant et en boitant. Elle doitapprendre, à la fois, à compter sur ses ressources et à trouver les bonnespersonnes car, seule, le parcours devient trop difficile. Avec le temps, le

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XXVI GUIDE DE L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN DIFFICULTÉ AVEC L’ALCOOL

pas se fera plus assuré, plus alerte. L’alcoolique, figuration, avec Œdipe,des destins tragiques, peut changer de culture, et devenir, enfin, à samanière, épicurien. À bien y réfléchir, la question centrale de notreépoque, pour les peuples de civilisation greco-latine en particulier, est :« Qu’est-ce qu’être épicurien aujourd’hui ? ».

Depuis 2011, notre mode de soin a été infléchi dans le sens d’unediversification de l’offre avec la double préoccupation de s’adapter àla situation clinique de chaque patient et de viser l’efficience. Nousavons évité le plus possible les hospitalisations ou tout au moins limitéleur durée à ce qui est effectivement nécessaire. L’effet de réseaupermet aussi de faire prévaloir la logique clinique sur les logiquesinstitutionnelles. L’effet de filière, à partie des divers points de rencontredes personnes ayant des problèmes à cause de l’alcool – médecinsgénéralistes ou spécialistes, médecins du travail, services de justiceou lieux d’apprentissage...– permet de laisser le moins possible depatients sur le bord de la route. Nous avons voulu dégager de l’activitéquotidienne une offre permettant la réalisation d’un véritable soinpsyalcoologique au plus près des conditions de vie du patient, qu’ilse réalise en ambulatoire ou qu’il passe par un temps d’hospitalisation.Dans les deux cas, le soin suppose un accord, un contrat entre les partieset un double investissement de part et d’autre, côté patient et parfoisproches, et côté soignants. Au-delà de la question du coût, nous avonsle souci de laisser mûrir la motivation du sujet avant de l’aider à selancer dans l’aventure d’une vie où l’alcool est écarté. Nous avonségalement la préoccupation de tirer parti de tout ce qui fait ressourcechez le patient, en lui et autour de lui. Nous cherchons à lui laisserl’initiative, quitte à l’accompagner dans ses hésitations et ses erreurs.Nous n’avons d’ailleurs pas la prétention de savoir à l’avance ce qui estbon pour lui. Nous savons qu’il réussira d’autant mieux qu’il deviendraun acteur conscient de son rétablissement. Nous faisons confiance à larelation instaurée pour qu’elle donne des solutions aux difficultés duparcours. Le temps fournit lui-même des ouvertures qui n’existaientpas lors des premières rencontres. Des pertes, de nouveaux échecsmais aussi de bonnes opportunités peuvent changent la nature de ladémarche. La relation d’aide s’inscrit ainsi dans une pratique humanistede l’alcoologie.

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Introduction

LA FAMILIARITÉ avec des buveurs donne l’illusion de la connais-sance. Le serpent du Petit Prince a le pouvoir de résoudre toutes

les questions. L’alcoolique répond à ce qui fait problème à sa façon : enbuvant. Il tient sa solution : répétitive et conjuratoire.

Face aux réalités, le buveur a mis au flou une stratégie alternative :boire. Il change le manque à être en soif, jusqu’à l’insupportable : « Avecl’alcool, je ne peux plus vivre ; sans, comment faire ? »

De plus en plus souvent, arrivent à la consultation des personneschez lesquelles la dépendance alcoolique, « le besoin irrépressible deboire », n’a pas eu le temps de s’installer. Elles ne boivent pas tous lesjours. Elles attendent le week-end ou les fins de journée, mais, déjà, laliste des préjudices, évidents ou insoupçonnés, s’allonge. Il est questionde consommations à risque et d’usages nocifs... La consommation parhabitant diminue mais la moitié de la production est bue par 10 %de la population. Soyons lucides, les consommations sont de plusen plus rapidement pathologiques, la problématique alcoolique va ens’aggravant.

Les adolescents, cibles privilégiées, effectuent leurs premièresconsommations collectives pour s’affirmer et faire comme les autres.Assimiler leurs ivresses à répétition à des rituels de passage sacralisela « fête », alors qu’elle est un argument de défonce et d’accroche dessujets les plus vulnérables. Les laissés-pour-compte se recrutent danstoutes les catégories sociales...

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2 INTRODUCTION

Ce livre part d’une expérience douloureuse : en dépit des aménage-ments réalisés, l’offre d’aide est insuffisante dans sa répartition territo-riale, inadéquate dans sa forme et dans son contenu. L’alcoologie n’estpas reconnue comme spécialité clinique. Certains espèrent améliorerson avenir en la camouflant sous le manteau des addictions. Ainsi, laproblématique alcoolique devrait s’effacer devant d’autres dépendances,moins complexes et moins prégnantes socialement. Il est excellent delutter contre le tabagisme, qui fait partie avec les bières et le cannabis,des drogues de première dépendance à la post-adolescence. Le tabactue davantage que l’alcool, 65 000 contre 45 000 personnes par an enFrance. Leur association est responsable de 15 000 décès annuels sup-plémentaires. Cependant, le tabac n’attaque pas les capacités psychiques.Il ne compromet pas la tranquillité des familles, ni l’avenir des enfants.Il n’induit pas de déchéance sociale. Il est aujourd’hui concurrencé ausein des jeunes et des moins jeunes générations par le cannabis, endépit des troubles du comportement induits par son usage habituel.Les médicaments psychotropes jouent placés. L’alcool s’impose enassociation et comme substitution à la plupart des drogues illicites dontl’impact quantitatif est dix fois moindre.

Si l’alcool est la plus destructrice des drogues aléatoires, elle estégalement la plus révélatrice du « malaise dans la civilisation ».

Il est convenu de se donner bonne conscience en discourant sur lesméfaits du « produit », le cynisme des alcooliers, l’irresponsabilité desbuveurs au volant, l’électoralisme des politiques. Il est moins confortablede se confronter quotidiennement aux « malades de l’alcool ».

Harcelés par les tâches quotidiennes, les alcoologues s’habituent àendurer. Ils seraient menacés par le découragement s’il n’y avait le« détail » des souffrances des personnes en difficulté avec l’alcool : lesalcooliques, ceux qui risquent de le devenir, leurs proches, d’autressoignants. S’il n’y avait aussi le plaisir de modifier favorablement nombrede trajectoires de vie.

Le tabou le plus déterminant en matière d’alcoolisme concerne donc lesoin alcoologique. Aujourd’hui, quand un alcoologue clinicien cesse sonactivité, la pérennité de son action est en péril immédiat. Particulièrements’il exerce comme praticien libéral, tant le champ de l’alcoologie estconsidéré comme une chasse gardée par les centres d’addictologiepublics. Dans bien des régions de France, des confrères, salariés ounon, s’épuisent et évitent de partir en vacances, pour que la continuité del’activité soit préservée. Les personnes en difficulté avec l’alcool doiventévoluer avec les carences de l’offre de proximité. Ce livre sert à fairecomprendre ce que la problématique met en jeu et la façon d’en prendre

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Introduction 3

la mesure. Il va aider les alcooliques et leurs proches à identifier de bonspartenaires, car il n’est pas possible de se sortir du piège de l’alcool seulet sans accompagnement durable. Il vise à leur faire gagner du temps, àleur économiser des errements. Il est également destiné à faire d’eux des« résistants » pour un ordre social plus équitable et plaisant.

Couvrir le champ d’une problématique aussi vaste, sous la formed’un guide, est un défi qui garde sa cohérence grâce au regroupementen six thématiques détaillées. Chacune rassemble plusieurs chapitres,cinquante-quatre en tout, rédigés en phase avec le travail quotidien :

1. la mise en place de la problématique, avec la question sous-jacentede la prévention ;

2. la personne alcoolique, à la période de l’alcool, afin qu’elle sereconnaisse dans sa diversité ;

3. l’environnement de l’alcoolique, dans ses principaux aspects, humainset sociaux ;

4. l’accompagnement des premiers mois suivant une démarche de soin,à une période où le système constitué autour de l’alcoolisation entreen déséquilibre ;

5. le « hors alcool », c’est-à-dire le temps du développement et de lamise en jeu d’une conduite de vie réconciliée avec le plaisir et le sens ;

6. des propositions pour améliorer la pratique de l’alcoologie.

Ce livre s’efforce de réaliser une synthèse entre des acquis partagés etnotre approche de l’alcoologie. L’ensemble est un questionnement.

Nous invitons, à présent, le lecteur à entrer dans ce travail, commedans un bois, à décrocher après chaque période, à laisser flotter sa pensée,nez en l’air, regard distrait, sur une banquette de train ou de métro, aupied d’un arbre, à la terrasse d’un café, tête à l’ombre et jambes ausoleil...

POUR LA COMMODITÉ DE LECTURE

➙ Des encadrés intitulés « Voir également » proposent au lecteur unefilmographie et une bibliographie en rapport avec le sujet précédemmenttraité. Ils renvoient également à d’autres parties de l’ouvrage. Cecireprésente un éclairage complémentaire et permet au lecteur qui lesouhaite d’emprunter un autre chemin de lecture.

➙ La présence d’un astérisque renvoie au glossaire, lequel peut faire l’objetd’une lecture en tant que tel.

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