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GRANDS éVéNEMENTS SPORTIFS ACTUALITéS Juin 2017 - Numéro 11 Directeur de publication : Nicolas DESFORGES, Préfet - Comité de rédaction : Isabelle JONC (qui a réalisé ce numéro), Frédéric RAGOT, Morad ABDALLAH, Xavier GIGUET – Conception graphique : Frédéric VAGNEY - Pour toute demande d’abonnement et/ ou de désabonnement et pour nous contacter, une seule adresse : [email protected] LE SPORT EST UN ART Il est, malheureusement, une antienne fréquente consistant à opposer le sport et l’art. Pourtant, non, les deux ne s’opposent pas. Au contraire, tous deux sont unis par des liens et des complémentarités extrêmement forts. C’est ce que démontre la présente lettre. Jusqu’à aujourd’hui, toutes les lettres du DIGES ont été consa- crées aux grands événements sportifs en cours de prépara- tion ou qui venaient de se dérouler. Le présent numéro a tou- tefois vocation à occuper une place particulière dans cette série. En effet, contrairement aux précédentes éditions, il est centré sur une thématique transversale et permet de prendre du recul ainsi que de la hauteur par rapport à la toujours très riche actualité immédiate. Il porte sur la relation parfois mé- connue mais constante entre les grands événements sportifs et l’art. Un grand événement sportif réussi a besoin d’un cadre pour se dérouler. Les stades, les gymnases, les enceintes spor- tives en général, constituent souvent des écrins méconnus, exemples de réussites architecturales, lieux de vie et symboles d’innovation. Ce fut le cas en France lors de la préparation du récent Euro 2016, comme ce fut le cas lors de très nom- breuses autres manifestations. De même, dans l’accomplissement d’une discipline, réaliser le geste parfait est intrinsèquement lié à la recherche de la meilleure performance. A la reprise de volée, au triple axel, ou à l’uchi mata correspondent une esthétique particulière, sym- bolisée d’ailleurs par une sémantique propre, qui conditionne la réussite de l’action. Le beau geste est généralement asso- cié à l’action couronnée de succès, synonyme de victoire et susceptible de passer à la postérité. Enfin, un grand événement sportif se caractérise par une affluence ainsi que par des animations qui dépassent le cadre de l’ordinaire. Plusieurs d’entre elles s’inscrivent dans le champ culturel. Lors de chaque manifestation, de nom- breuses initiatives sont conduites, aussi bien par le ministère de la culture que par les collectivités ou par des acteurs asso- ciatifs et privés. Concerts, concours de théâtre, expositions… le sport et les grands événements sportifs offrent un large champ de possibilité pour séduire aussi bien les amateurs d’arts que les férus de sport. C’est cette complémentarité que la présente lettre tient à sou- ligner et mettre en évidence. Je vous en souhaite une bonne lecture. Nicolas Desforges Préfet, Délégué Interministériel aux grands événements sportifs SOMMAIRE 1 / LE MOT DU DIGES 2 / QUAND LES GRANDS éVéNEMENTS SPORTIFS INSPIRENT LES ARTISTES 6 / LES STADES, UNE ŒUVRE D’ART... 9 / QUESTIONS à LUC PIRALLA-HENG VONG Chef du service conservation du musée du Louvre-Lens et commissaire de l’exposition RC Louvre. Mémoires Sang et Or, présentée au musée du 16 avril au 7 novembre 2016 10 / EN BREF

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Grands événements sportifsaCtUaLités

Juin 2017 - numéro 11

directeur de publication : Nicolas DESFORGES, préfet - Comité de rédaction : Isabelle JONC (qui a réalisé ce numéro), Frédéric RAGOT,

Morad ABDALLAH, Xavier GIGuET – Conception graphique : Frédéric VAGNEY - pour toute demande d’abonnement et/ ou de désabonnement

et pour nous contacter, une seule adresse : [email protected]

Le sport est Un art

il est, malheureusement, une antienne fréquente consistant à

opposer le sport et l’art. pourtant, non, les deux ne s’opposent

pas. au contraire, tous deux sont unis par des liens et des

complémentarités extrêmement forts. C’est ce que démontre

la présente lettre.

Jusqu’à aujourd’hui, toutes les lettres du diGes ont été consa-

crées aux grands événements sportifs en cours de prépara-

tion ou qui venaient de se dérouler. Le présent numéro a tou-

tefois vocation à occuper une place particulière dans cette

série. en effet, contrairement aux précédentes éditions, il est

centré sur une thématique transversale et permet de prendre

du recul ainsi que de la hauteur par rapport à la toujours très

riche actualité immédiate. il porte sur la relation parfois mé-

connue mais constante entre les grands événements sportifs

et l’art.

Un grand événement sportif réussi a besoin d’un cadre pour

se dérouler. Les stades, les gymnases, les enceintes spor-

tives en général, constituent souvent des écrins méconnus,

exemples de réussites architecturales, lieux de vie et symboles

d’innovation. Ce fut le cas en france lors de la préparation

du récent euro 2016, comme ce fut le cas lors de très nom-

breuses autres manifestations.

de même, dans l’accomplissement d’une discipline, réaliser

le geste parfait est intrinsèquement lié à la recherche de la

meilleure performance. a la reprise de volée, au triple axel, ou

à l’uchi mata correspondent une esthétique particulière, sym-

bolisée d’ailleurs par une sémantique propre, qui conditionne

la réussite de l’action. Le beau geste est généralement asso-

cié à l’action couronnée de succès, synonyme de victoire et

susceptible de passer à la postérité.

enfin, un grand événement sportif se caractérise par une

affluence ainsi que par des animations qui dépassent le

cadre de l’ordinaire. plusieurs d’entre elles s’inscrivent dans

le champ culturel. Lors de chaque manifestation, de nom-

breuses initiatives sont conduites, aussi bien par le ministère

de la culture que par les collectivités ou par des acteurs asso-

ciatifs et privés. Concerts, concours de théâtre, expositions…

le sport et les grands événements sportifs offrent un large

champ de possibilité pour séduire aussi bien les amateurs

d’arts que les férus de sport.

C’est cette complémentarité que la présente lettre tient à sou-

ligner et mettre en évidence. Je vous en souhaite une bonne

lecture.

Nicolas Desforgespréfet, délégué interministériel aux grands événements sportifs

sommaire1 / Le mot dU diGes

2 / QUand Les Grands événements sportifs inspirent Les artistes

6 / Les stades, Une ŒUvre d’art...

9 / QUestions à LUC piraLLa-HenG vonG Chef du service conservation du musée du Louvre-Lens et commissaire de l’exposition RC Louvre. Mémoires Sang et Or, présentée au musée du 16 avril au 7 novembre 2016

10 / en bref

Grands événements sportifs aCtUaLités 2

Juin 2017 - Numéro 11

QUand Les Grands événements sportifs inspirent Les artistesL’organisation des grands événements sportifs alimente la création de bien des manières, et celle-ci a parfois des liens très distendus avec l’art. néanmoins les artistes sont inspirés par le spectacle sportif, et ce depuis longtemps.

avec les bouleversements intervenus dans le champ de l’art depuis le début du XXe siècle et la volonté des artistes de développer un discours sur la société, le sport est devenu l’un des moyens d’expression auxquels ils ont volontiers recours, dans une approche souvent critique.

Les liens du sport et de l’art sont donc multiples, et empruntent des voies parfois surprenantes…

LES éVéNEMENTS SpORTIFS ALIMENTENT

LA CRéATION

L’organisation d’un événement sportif

donne lieu à une activité de création

intense, souvent confiée aujourd’hui à

des sociétés de marketing. Les objets

très divers produits – affiches, flyers, mas-

cottes… –servent à fixer l’identité-même

de l’événement, à assurer sa promotion

auprès du public.

des artistes sont régulièrement sollicités

dans ce cadre : dernièrement, le psG a

demandé à nairone, figure émergente

du street art, de réaliser une affiche col-

lector pour le double affrontement contre

le fC barcelone en Ligue des champions.

Cette initiative permettrait au club de

s’ouvrir à un public moins sportif, mais

plus branché et de se placer au cœur de

la culture parisienne.

dans le cas de l’euro 2016 de football, le

thème retenu pour la création du logo

et la mise en place des activités de pro-

motion et de marketing, « Célébrons l’art

du football », établissait un parallèle direct

entre le sport et l’art.

il devait exprimer à la fois la beauté du

jeu et la créativité de la culture française affiche réalisée à l’occasion du match psG - barcelone en 2017. © nairone

Grands événements sportifs aCtUaLités 3

Juin 2017 - Numéro 11

et illustrer les qualités qui font du football un sport

unique et populaire dans le monde entier : l’incertitude

du résultat, la beauté du geste, la passion des joueurs

et l’intensité que suscite l’enjeu.

Créé par une société de consulting en marques portu-

gaise, le logo marie différentes formes d’expression artis-

tique avec des éléments inspirés du monde du football.

Cette assimilation très répandue entre le sport et l’art

est pourtant directement mise en cause par paul

Yonnet, qui invoque deux raisons majeures : d’une part,

au contraire du sport, l’art n’est pas organisé par l’in-

certitude. d’autre part, dans le sport, c’est la quantité,

la mesure, qui fait le résultat ; en art, on ne juge jamais

de la qualité par la quantité.

LE SpECTACLE SpORTIF INSpIRE LES ARTISTES

il n’est que de compiler la masse des photographies

prises à l’occasion d’un grand événement sportif pour

constater qu’elles ont de multiples fonctions : saisir un

moment fugace pour en garder la mémoire, exalter

l’exactitude d’un geste, la beauté et la puissance d’un

corps, montrer le mouvement ou la vitesse, partager

une émotion.

Cette capacité de l’art à magnifier la beauté du corps

sportif a été l’un des éléments invoqués par pierre de

Coubertin à l’appui de la création des concours artis-

tiques à l’occasion des Jeux olympiques, concours qui

ont effectivement eu lieu entre 1912 et 1948.

pour Coubertin, l’art et le sport jouaient en outre un

rôle majeur dans l’éducation : leur union au cœur du

déroulement des Jeux devait permettre de façonner

harmonieusement les corps et les âmes, engendrant

par là-même une forme de progrès social.

aujourd’hui, l’union de l’art et du sport est mise en

œuvre notamment à l’occasion des Jeux de la

francophonie, dont les buts sont, au-delà de la com-

pétition, de promouvoir les échanges entre jeunes fran-

cophones, de faire connaître l’originalité de la culture

francophone, mais aussi de favoriser l’émergence de

jeunes talents sur la scène internationale.

plus globalement, la compétition sportive suscite la

création artistique spontanée, par exemple sous forme

d’expérience vécue très directement, comme ce fut

le cas pour richard Conte qui, pendant la coupe du

monde de football 1998, s’est astreint à peindre une

toile pendant chaque match, devant un public, en ima-

ginant ce qui se passait sur le terrain.

sur un mode plus critique, dans Deep Play, installa-

tion réalisée à l’occasion de la finale de la coupe du

monde 2006, Harun farocki propose une relecture du

spectacle télévisuel, fondée sur l’idée que celui-ci ne

retransmet finalement qu’une réalité « construite » spé-

cifiquement pour lui.

à l’occasion de l’euro 2016 de football, les productions

artistiques de circonstance ont été nombreuses.

par exemple, la musique a été convoquée à la

philharmonie de paris, qui a proposé un match-

concert : le 21 juin, jour de la fête de la musique, le

match Croatie-espagne a été « commenté » en direct,

en utilisant un répertoire musical très varié.

exposition rC Louvre. © musée du Louvre-Lens / emmanuel Watteau

Grands événements sportifs aCtUaLités 4

Juin 2017 - Numéro 11

autre exemple original, la littérature : à saint denis,

les étudiants du master création littéraire de l’Univer-

sité paris 8 ont écrit des textes à partir d’entretiens de

supporters. Ces textes ont donné lieu à une lecture/

performance dans le cadre du festival Hors limites au

printemps 2016 et à une publication dans l’Humanité

pendant l’euro.

LES GRANDS éVéNEMENTS SpORTIFS SONT uTILISéS

pAR LES ARTISTES pOuR DéNONCER LES DéRIVES

DE LA SOCIéTé

Cette approche est particulièrement sensible dans

certaines des expositions organisées à l’occasion de

l’euro 2016.

au musée d’aquitaine, à bordeaux, l’exposition football,

a la limite du Hors Jeu proposait une analyse de l’évo-

lution du football calquée sur celle de la société toute

entière, c’est-à-dire affectée par les mêmes dérives ou

les mêmes questionnements, liés à la mondialisation,

aux phénomènes identitaires et de violence, à l’instru-

mentalisation à des fins politiques…

Comme l’explique paul matharan, conservateur au

musée d’aquitaine, l’art traduit cette évolution : l’artiste

qui, dans les années 60, représentait le sport, le football

en particulier, de manière positive, comme le modèle de

la vitalité d’un monde nouveau, est devenu plus critique,

trouvant notamment dans le foot matière à stigmatiser

une société tournée vers la consommation et le profit.

Les nombreuses œuvres contemporaines inspirées par

le sport attestent l’importance prise par celui-ci, en par-

ticulier par le football, dans notre société, et traduisent le

parti choisi par l’artiste pour aborder ce phénomène :

entre célébration et critique franche, tous les registres

sont explorés, y compris celui de l’onirisme ou même

de l’amusement.

La même question affleure dans presque toutes les

œuvres : qu’est-ce que le sport nous dit sur la société ?

Œuvre de l’artiste benedetto bufalino, Le stade de foot dans le ciel, 2010, www.benedettobufalino.com

Grands événements sportifs aCtUaLités 5

Juin 2017 - Numéro 11

dans The Art of the Game, michael J.browne présente

un eric Cantona transformé en Christ victorieux, dans

une scène qui évoque la peinture de la renaissance

italienne, et plus particulièrement la manière de

mantegna, le peintre mantouan du Quattrocento.

L’artiste lyonnais benedetto bufalino conçoit un pho-

tomontage montrant un ciel habité par la trace d’un

terrain de football.

dans la Grande Galerie du foot ouverte à la villette pen-

dant l’euro, une œuvre emblématique de Wim delvoye,

Saint Stephanus II, interroge elle aussi sur le rapport du

sport à la spiritualité et sa possible transformation en

une forme de religion.

Le point ultime de ce dialogue possible entre l’art et la

société à travers le sport est-il atteint lorsque, en 1968,

le champion olympique du 200m, tommie smith, sur

la plus haute marche du podium à mexico, compose

avec son propre corps une image dans laquelle il met

en scène sa révolte contre la situation faite aux noirs

dans son pays, et qui fera le tour du monde ?

aujourd’hui, dans un registre qui fait lui aussi appel à

la tension, des artistes utilisent la boxe pour évoquer les

difficultés que rencontrent les femmes dans une société

encore largement dominée par les hommes.

Comme l’écrit Jean-marc Huitorel à l’occasion de

l’exposition dont il assure le commissariat, en 2011, au

musée des beaux-arts de Calais, le sport, par les simi-

litudes qu’il présente avec l’art (la règle, le geste, la

performance, la tension, l’affrontement, la violence, cer-

taines formes de beauté…), en même temps qu’il nour-

rit [l’art], lui sert constamment de métaphore. Certes, le

sport n’est pas l’art, mais faire de l’art, c’est à bien des

égards se plier à un exercice qui n’est pas sans rappe-

ler la pratique sportive.

C’est pourquoi cette exposition s’est intitulée, sur un

mode qui emprunte à pierre bourdieu l’une de ses

phrases les plus connues : L’Art est un sport de combat.

Ce titre à lui seul pourrait lancer un nouveau débat sur

les liens entre le sport et l’art : il illustre à quel point ces

rapports sont riches, multiformes, inspirants.

DéCOuVREz quELquES œuVRES MAJEuRES quI FONT LE LIEN ENTRE SpORT ET ART

adrienne Jouclard, Match de rugby

http://www.artnet.com/artists/adrienne-jouclard/match-de-rugby-do9hWWrradGz29KKieLbLQ2

richard Conte, Brésil-Chili

http://peinture.richardconte.fr/diaporama#slider-75

Harun farocki, Deep Play

http://www.harunfarocki.de/installations/2000s/2007/deep-play.html

Javier rodriguez, Epifania Futbolera

http://www.leuroabordeaux.fr/animations/football-a-limite-jeu/

benedetto bufalino, Le stade de foot dans le ciel

http://www.dda-ra.org/fr/oeuvres/bUfaLino/page-terrain-de-foot

michael J.browne, The Art of the Game http://www.nationalfootballmuseum.com/collections_detail/

painting-the-art-of-the-game-michael-browne-1997

Wim delvoye, Saint Stephanus

https://wimdelvoye.be/work/goals/

salla tykkä, Power http://www.sallatykka.com/web/index.php?id=31

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Juin 2017 - Numéro 11

uNE ARCHITECTuRE SOuMISE à DES IMpéRATIFS

DE FONCTIONNALITé ET D’EFFICACITé

La silhouette des grands stades génère une émotion

ancrée dans notre mémoire collective.

en parallèle, les fonctions-mêmes des enceintes du

spectacle sportif, à savoir accueillir un grand nombre

de personnes dans des conditions de sécurité, de cir-

culation, de visibilité optimum, dictent des contraintes

majeures aux architectes.

à ces impératifs de fonctionnalité s’en ajoutent

d’autres, tout aussi prégnants : maîtrise des coûts, effi-

cacité technologique, intégration dans des projets de

développement territorial.

Les réponses que les architectes proposent sur ces

questions sont des éléments forts à l’appui des choix

de structure, d’organisation, voire de silhouette.

aujourd’hui, il faudrait ajouter la multiplication des

demandes de loges « à prestation » et d’espaces vip,

liée à un impératif de rentabilité, ainsi que l’anticipation

des aménagements nécessaires pour des activités non

sportives.

Les prescriptions des organisateurs de grandes compé-

titions sont également des catalyseurs puissants.

Le nouveau stade de Bordeaux. © bordeaux métropole

Les stades, Une ŒUvre d’art...L’architecture des grands stades est soumise à des contraintes nombreuses, tenant aux différentes fonctions qui sont assignées à ceux-ci. pourtant les architectes n’ont pas renoncé à des recherches esthétiques approfondies, qui font de chaque enceinte une création unique, porteuse de sens. Ce dialogue entre le sport et l’art trouve aujourd’hui un nouveau prolongement dans la pratique qui consiste à faire du stade un lieu d’exposition de l’art.

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Juin 2017 - Numéro 11

dans le cas de l’euro 2016 de football, l’Uefa avait

rédigé en 2011 un cahier des charges stipulant que le

pays hôte devrait disposer de deux stades de plus de

50 000 places assises, trois d’au minimum 40 000, les

autres devant comporter au moins 30 000 places.

Ce cahier imposait par ailleurs des normes concernant

les aires de jeu, les vestiaires, le fonctionnement, l’ac-

cueil et la sécurité.

pour répondre à ces impératifs, la france a engagé un

mouvement de modernisation de son parc d’équipe-

ments de grande ampleur, passant par la construction

de quatre nouveaux stades et la rénovation, plus ou

moins importante, de six autres.

Les programmes se voulaient fondés sur une vision à

long terme, dans laquelle chaque enceinte constitue-

rait un élément majeur de la réalisation d’un projet

conçu à l’échelle de la ville, voire au-delà.

L’exemple bordelais est à cet égard significatif: la

construction du stade y contribue à la revitalisation

d’un quartier nord de la ville, selon une logique ouverte

qui laisse la possibilité d’imaginer d’autres aménage-

ments au fil du temps et de l’évolution des besoins.

enfin certains évoquent des finalités moins directement

apparentes des stades, que l’on pourrait qualifier de

sociopolitiques.

C’est le cas de marc perelman, architecte et professeur

d’esthétique, selon qui le stade n’est pas un objet d’art,

pas plus d’ailleurs qu’un lieu culturel.

il constitue un espace clos, coupé de la ville, qui

ordonne la foule des spectateurs et expose le spec-

tacle sportif.

LA RéFLEXION DES ARCHITECTES SuR L’ESTHéTIquE

DES STADES

du côté des organisateurs de compétitions sportives,

la mise en œuvre du spectacle passe par la produc-

tion d’outils contribuant à l’élaboration d’une identité

visuelle facilement reconnaissable de l’événement,

Le parc des princes et le stade Jean bouin

Grands événements sportifs aCtUaLités 8

Juin 2017 - Numéro 11

mais ne va pas jusqu’à soumettre les stades, dans leur

construction-même, à des prescriptions concernant

leurs qualités esthétiques: dans le cahier des charges

de l’Uefa-euro 2016, ce point ne figure pas.

il n’en va pas de même pour les commanditaires des

stades, en particulier les collectivités locales.

Le musée des monuments français s’est intéressé au

fonds de l’architecte roger taillibert, à qui on doit notam-

ment le stade du parc des princes ainsi que le parc

olympique de montréal, qui accueillit les Jeux en 1976.

parmi les quelques 250 maquettes conservées dans ce

fonds, 83 ont été achetées par le musée, qui a dans ses

choix privilégié les programmes sportifs.

Ces maquettes constituent le témoignage éloquent

des recherches passionnées de l’architecte sur les

volumes, les effets de la lumière et les formes, toujours

inspirées par les formes de la nature.

plus récemment, les architectes suisses Jacques Herzog

et pierre de meuron, concepteurs du projet du nou-

veau stade de bordeaux, soulignent l’élégance de la sil-

houette de ce dernier, sa pureté, sa clarté géométrique.

L’intégration de l’enceinte dans son environnement a

fait l’objet d’un soin tout particulier : placée au som-

met d’un gigantesque emmarchement qui brouille les

frontières entre le dehors et le dedans, la structure a

été posée sur une forêt de colonnes rappelant les pins

des landes, afin de créer une sensation de lumière et

d’ouverture.

à l’intérieur, la neutralité des espaces est renforcée par

les teintes des sièges, allant du blanc au gris clair, et

la clarté de l’architecture par les rubans de béton qui

encadrent les loges.

LE STADE, LIEu D’EXpOSITION DE L’ART ?

a arlington, au texas, l’at&t stadium, qui accueille les

dallas Cowboys, a été achevé en 2009, dans le cadre

d’un projet pharaonique de plus d’un milliard de

dollars.

a l’intérieur de l’enceinte une vingtaine d’œuvres d’art

réalisées par des artistes américains et européens ont

été installées dans les espaces publics. treize de ces

œuvres ont été spécialement créées pour le lieu : leurs

dimensions s’accordent tout particulièrement à l’am-

pleur des volumes.

Le résultat est présenté comme une interaction

constante entre ce que les œuvres d’art produisent

dans l’esprit du public et ce qu’engendre l’action spor-

tive sur le terrain. Les finalités des artistes, qui ont voulu

capter l’attention du public, seraient les mêmes que

celles des joueurs.

selon d dillon et d pagel les œuvres agissent d’avan-

tage dans ce type d’espace qu’elles ne le font dans

un musée, parce qu’elles touchent un public beau-

coup plus large, mais aussi parce que les espaces eux-

mêmes s’en trouvent transformés en lieux de rencontre

et de discussion.

dès lors, c’est toute l’enceinte qui serait habitée par

l’art comme elle l’est par le spectacle sportif. Les spec-

tateurs, après avoir admiré la silhouette signifiante

du stade, après avoir fait le parcours allégorique les

menant de l’extérieur vers l’intérieur, après avoir vibré

de tout leur être grâce à l’intensité de l’engagement

des joueurs, viendraient pour finir se rassembler autour

des œuvres d’art, dont ils goûteraient, toutes catégories

sociales confondues, dans un pas ultime accompli vers

la civilisation, le pouvoir d’enchantement.

au final, si on a pu dire que les stades sont les cathé-

drales des temps modernes, la présence des œuvres

d’art, en permettant l’accomplissement d’une nou-

velle forme de spiritualité, ne participe-t-elle pas à cette

transformation ?

exposition rC Louvre. © musée du Louvre-Lens / emmanuel Watteau

Grands événements sportifs aCtUaLités 9

Juin 2017 - Numéro 11

DANS quEL CONTEXTE CE pROJET D’EXpOSITION

A-T-IL éTé DéCIDé ?

il y avait un consensus pour que l’Uefa euro 2016 soit

un véritable événement populaire au-delà de son

importance sportive ; c’est la raison pour laquelle les

structures culturelles, notamment les musées, ont été sol-

licitées pour élaborer une programmation en lien avec

le football.

Lens étant ville hôte de la compétition, il était particuliè-

rement important que le Louvre-Lens s’associe à l’évé-

nement, qui était également l’occasion de créer du

lien entre les deux « monuments » de la ville que sont le

stade bollaert-delelis et le musée.

au départ, le projet était conçu avec le musée natio-

nal du sport à nice comme une collecte de mémoires

autour des supporters de notre territoire afin enrichir

les collections nationales dans le domaine. Ce n’est

qu’ensuite que notre président du Conseil d’administra-

tion et président-directeur du Louvre, Jean-Luc martinez,

a souhaité qu’une exposition dans le pavillon de verre

se tienne sur le sujet pendant la compétition.

quELS éTAIENT VOS OBJECTIFS ?

L’objectif était de faire comprendre que le supporter de

football a sa place dans les musées, qui ont pour cer-

tains d’entre eux fait du supportérisme un objet d’étude

et de collection. bien entendu, il s’agissait aussi de créer

les conditions d’une rencontre avec le musée pour des

publics « a priori » moins proches de lui. il est à noter

que 20% des participants à la collecte de mémoire

n’étaient jamais venus au Louvre-Lens auparavant.

quELS TYpES D’OBJETS ONT éTé COLLECTéS ?

CES OBJETS AVAIENT-ILS D’EMBLéE LEuR pLACE DANS

uN MuSéE DES BEAuX-ARTS ?

il faut rappeler que la collecte d’objets et de mémoire a

été menée par plusieurs musées partenaires de l’opé-

ration (musée national du sport à nice, musée d’aqui-

taine à bordeaux, musée d’art et d’histoire à saint-denis,

archives nationales du monde du travail dans la métro-

pole Lilloise). il avait été convenu que seraient collectés

à la fois les témoignages et des objets dans lesquels

les supporters investissent leur passion, afin d’enrichir

les collections nationales à nice. Les témoignages sont

dans ce cadre considérés comme des objets muséaux.

nous avions décidé de renverser la « charge de la

patrimonialisation » en demandant aux participants

de déterminer eux-mêmes s’ils se considèrent comme

des supporters ou non, et quels objets ont pour eux

un caractère patrimonial. Les objets ont été très divers.

Ce qui caractérise peut-être le plus la collecte lensoise

c’est un nombre important d’objets « faits main », dans

un cadre familial dans lequel se transmet sans doute

plus qu’ailleurs la passion sang et or.

Le projet s’est voulu tout de suite très muséal avec pour

vocation de faire comprendre un processus original

d’enrichissement des collections nationales grâce à

cette collecte si particulière. L’enjeu étant de faire saisir

les coulisses d’un type de musée, la collecte avait sa

place au musée du Louvre-Lens. La question de la typo-

logie de la collection est secondaire. Le Louvre n’est

d’ailleurs pas qu’un « musée de beaux-arts ».

COMMENT AVEz-VOuS TRAITé LA COLLECTE

DE MéMOIRE ?

en tant que commissaire de l’exposition, je n’étais pas

intéressé par le fait de raconter l’histoire du rC Lens

que tout le monde connaît bien mieux que moi. en

revanche, j’étais attaché à rendre le côté émotionnel

de cette passion qui transcende bien des générations.

AVEz-VOuS pu DRESSER uNE SORTE DE pROFIL-TYpE

DES SuppORTERS quI ONT RépONDu à VOTRE AppEL ?

L’intérêt de la collecte me semble être d’avoir attiré

des profils qui passent souvent sous les radars de la

recherche spécialisée dans la mesure où nous avons

eu de vrais amoureux de leur club mais qui, pour la plu-

part, ne faisaient pas partie de groupes de supporters

constitués. nous avons eu des supporters comme vous

et moi en quelque sorte…

COMMENT CETTE EXpOSITION A-T-ELLE éTé REçuE ?

qu’EN RESTERA-T-IL ?

même si nous manquons cruellement d’éléments

d’évaluation, l’exposition semble avoir été bien accueil-

lie par les supporters, qui l’attendaient. en tant que com-

missaire, j’ai rarement vu des gens pleurer d’émotion au

moment de la visite, cela a été le cas pour rC Louvre.

au-delà de l’exposition, tous les témoignages et

quelques objets de la collecte ont été acquis par le

musée national du sport à nice, où ils sont disponibles

pour les chercheurs des générations futures.

QUestions à LUC piraLLa-HenG vonG

Chef du service conservation du musée du Louvre-Lens et commissaire de l’exposition RC Louvre. Mémoires Sang et Or, présentée au musée du 16 avril au 7 novembre 2016©

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Grands événements sportifs aCtUaLités 10

Juin 2017 - Numéro 11en bref

20 Km de paris

La 39e édition des « 20 km de paris »

organisée par l’association ad hoc

se déroulera le 8 octobre prochain,

sur le thème du street art.

après la musique, le cinéma et

la bande dessinée, c’est donc

le thème du street art qui a été

retenu, cette pratique aujourd’hui portée par des artistes de

renommée internationale et très prisée par le grand public. C’est

parce que la course se déroule dans les lieux-mêmes où le street

art s’expose, les rues, que le thème a été choisi.

L’affiche de cette édition des 20 km a été réalisée par un jeune

artiste qui a choisi le graffiti pour s’exprimer, nebay.

L’exposition qui se tiendra dans le village des 20 km, au bas du

Champ de mars, promet donc d’être haute en couleur !

JeUX de La franCopHonie

La huitième édition des Jeux de la francophonie se tiendra

en Côte d’ivoire, à abidjan, du 21 au 30 juillet 2017. près de

4 000 jeunes talents sportifs et artistes, venant des 84 états et

gouvernements de la francophonie invités seront présents.

Les jeunes compétiteurs s’affronteront dans les différentes

disciplines sportives retenues, mais également lors de

concours culturels, dans des domaines variés : arts de la rue,

arts visuels, chansons, conte, danse, littérature, photographie.

Ces Jeux du sport et de la culture participent à la réalisation

des buts de l’organisation internationale de la francophonie

(oif) : promouvoir les rencontres et échanges de jeunes

afin de favoriser la paix et le développement, rapprocher

les pays de la francophonie et faire connaître l’originalité

de la culture francophone, favoriser l’émergence de jeunes

talents artistiques francophones sur la scène internationale

et préparer la relève sportive.

Le public aura la chance de voir les sportifs en action, mais

aussi de suivre le processus créateur des artistes grâce aux

visites d’ateliers.

nul doute que ces Jeux contribuent également à une meil-

leure compréhension entre sportifs et artistes et au dévelop-

pement du dialogue entre le sport et l’art.

Une eXpo sUr Le foot annonCée aU mUCem

marseille est en 2017 capitale européenne du sport. Le musée des

civilisations et de la méditerranée (mUCem) a voulu célébrer cet évé-

nement en organisant une exposition sur le football. « nous sommes

tous foot » se déroulera du 11 octobre 2017 au 12 février 2018.

300 œuvres, objets, photos, installations et vidéos y seront présen-

tées, afin de rendre hommage au football et à la culture popu-

laire qui l’accompagne, en méditerranée comme à marseille.

très pratiqué, le football permet de créer du lien social, a contrario,

il est aussi porteur de violence. il est également traversé par des

débats de fond, touchant au pouvoir de l’argent, à la triche, à la

professionnalisation. Certains s’en emparent aujourd’hui pour reve-

nir à la source du jeu et prôner des valeurs morales et humanistes.

Ce sont toutes ces dimensions, contrastées, parfois contradictoires,

mais également porteuses d’espoir, que l’exposition mettra en valeur.

L’aCtUaLité dU mUsée nationaL dU sport

en lien avec les championnats du

monde de hockey sur glace qui se

sont déroulés du 5 au 21 mai 2017

à paris, le musée national du sport

propose une exposition virtuelle qui

permet de découvrir les pièces de sa

collection dans cette discipline.

bibLioGrapHie sommaire

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