grands penseurs de l’anthropologie

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GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE FRANZ WEIDENREICH Weidenreich, Franz (1873-1948), anthropologue et anatomiste allemand, généralement considéré comme l’un des chercheurs les plus éminents dans l’étude de l’évolution humaine. Weidenreich est né à Edenkoben, en Allemagne. Il obtint un diplôme de médecine à l’université de Strasbourg en 1899, puis fut nommé professeur d’anatomie à Strasbourg (1904-1918) et Heidelberg (1921-1924), puis à l’université de Chicago en 1934. À Strasbourg, il publia de nombreux écrits traitant du sang et se passionna progressivement pour l’étude de l’anatomie du squelette, en particulier des ossements fossiles. Il publia une analyse des fossiles humains trouvés sur le site d’Ehringsdorf en Allemagne en 1927. Contraint par le gouvernement nazi à abandonner son poste à Francfort, en 1935, Weidenreich devint professeur d’anatomie au collège de médecine de l’Union de Pékin. Là, il fut à même d’étudier les restes d’hominidés extraits des sédiments d’une grande grotte proche du village de Zhoukoudian (Choukoutien). Ces fossiles, connus sous le nom de Sinanthropus pekinensis, appartiennent au groupe des Homo erectus. Des monographies

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Page 1: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

FRANZ WEIDENREICH

Weidenreich, Franz (1873-1948), anthropologue et anatomiste

allemand, généralement considéré comme l’un des chercheurs les

plus éminents dans l’étude de l’évolution humaine. Weidenreich

est né à Edenkoben, en Allemagne. Il obtint un diplôme de

médecine à l’université de Strasbourg en 1899, puis fut nommé

professeur d’anatomie à Strasbourg (1904-1918) et Heidelberg

(1921-1924), puis à l’université de Chicago en 1934. À

Strasbourg, il publia de nombreux écrits traitant du sang et se

passionna progressivement pour l’étude de l’anatomie du

squelette, en particulier des ossements fossiles. Il publia une

analyse des fossiles humains trouvés sur le site d’Ehringsdorf en

Allemagne en 1927.

Contraint par le gouvernement nazi à abandonner son poste à

Francfort, en 1935, Weidenreich devint professeur d’anatomie

au collège de médecine de l’Union de Pékin. Là, il fut à même

d’étudier les restes d’hominidés extraits des sédiments d’une

grande grotte proche du village de Zhoukoudian (Choukoutien).

Ces fossiles, connus sous le nom de Sinanthropus pekinensis,

appartiennent au groupe des Homo erectus. Des monographies

Page 2: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

extrêmement détaillées de Weidenreich sur ces fossiles

exceptionnels furent publiées entre 1936 et 1943, et prirent

d’autant plus d’importance qu’ils disparurent pendant l’occupation

de la Chine par les Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui encore, ces descriptions précises sont considérées

comme inégalées dans le domaine de l’anthropologie physique.

Weidenreich passa le reste des années de guerre à New York,

travaillant à l’American Museum of Natural History.

ARNOLDVAN GENNEP

1 PRÉSENTATION

Van Gennep, Arnold (1878-1957), ethnologue français, connu

pour son travail sur les rites de passage et auteur d’un travail

monumental sur le folklore français.

Les travaux d’Arnold Van Gennep, par la somme de connaissances

accumulées, les idées nouvelles avancées, les pistes de

recherche dégagées, constituent un jalon essentiel dans

l’histoire des théories anthropologiques modernes.

2 UN PARCOURS SINGULIER

Né à Ludwigsburg, en Allemagne, Arnold Van Gennep grandit

entre son père d’origine française et sa mère néerlandaise.

Après le divorce de ses parents, il suit sa mère en Savoie, où elle

se remarie avec un chirurgien. Bien que sa scolarité se déroule

successivement à Lyon, Paris, Nice puis, enfin, Chambéry, il fait

de la Savoie son pays d’adoption, et en parcourt la campagne

durant son temps libre, passionné par la préhistoire savoyarde et

les civilisations lacustres. Dès son enfance, il manifeste un don

certain pour les langues, et en parle six dès l’adolescence.

Page 3: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Non-conformiste, le jeune Arnold Van Gennep délaisse la

Sorbonne et s’inscrit à l’École des langues orientales (aujourd’hui

Inalco) pour étudier l’arabe, ainsi qu’à l’École pratique des hautes

études, où il étudie la linguistique générale, l’arabe ancien,

l’égyptologie et la religion des peuples non civilisés et islamiques.

Parallèlement à sa formation universitaire (1894-1897), il

commence à publier ses premiers articles, sur la numismatique,

ce qui l’amène ensuite à se pencher sur les marques de propriété.

En 1897, il se marie et, pour assurer sa situation après avoir

rompu avec sa famille, accepte un poste de professeur de

français en Pologne. Durant les quatre années de son séjour, il

apprend le russe et le polonais. De retour à Paris, en 1901, il

obtient le poste de chef des traductions au ministère de

l’Agriculture.

3 .UN OUVRAGE CAPITAL, LES RITES DE PASSAGE

Durant ces années au ministère de l’Agriculture, Arnold Van

Gennep se passionne pour les problèmes qui agitent le monde de

l’anthropologie et de la sociologie, notamment le totémisme, la

magie, le tabou, et les formes originelles de la religion ; il publie

ainsi Tabou et Totémisme à Madagascar (1904), puis Mythes et

Légendes d’Australie (1905), ouvrages dans lesquels il

appréhende le tabou comme institution sociale, et non plus

seulement comme institution religieuse. Cherchant à dresser un

bilan des recherches sur le totémisme, il publie en 1920 l’État

actuel du problème totémique, qualifié quarante ans plus tard

par Claude Lévi-Strauss de « chant du cygne des spéculations

sur le totémisme ».

Dès 1908, Arnold Van Gennep décide de vivre de ses articles,

conférences et traductions. En 1909, il publie les Rites de

passage, livre capital pour l’auteur lui-même (« comme un

morceau de ma chair et le résultat d’une sorte d’illumination

Page 4: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

interne qui mit subitement fin à des sortes de ténèbres où je me

débattais depuis près de dix ans ») et avancée marquante dans la

compréhension des sociétés humaines. Analysant ces rites qui

accompagnent les changements rythmant la vie humaine, comme

le changement d’état, de situation sociale, d’âge, ainsi que les

cérémonies périodiques, saisonnières, comme le carnaval ou les

cérémonies agricoles de l’automne, Arnold Van Gennep montre

que les rites de passage sont universellement structurés selon

les trois stades successifs de la séparation, de la marge et de

l’agrégation, chacun des stades de la séquence pouvant être

d’importance variable. Il insiste également sur le passage «

matériel », souvent présent dans les cérémonials, comme par

exemple le passage d’un seuil, d’un portique, d’une frontière, d’un

cours d’eau… Cette analyse, qui ouvre la voie à une nouvelle

interprétation de ces rites communs à toutes les sociétés, est

néanmoins remise en cause dès l’année suivante, notamment par

Marcel Mauss qui la qualifie de « randonnée à travers l’histoire

et l’ethnographie » (in l’Année sociologique, 1910). Néanmoins,

dans les années 1950, certains éléments sont repris et

complétés, par les anthropologues britanniques Max Gluckmann

(1911-1975) et Victor Turner (1920-1983).

4 L’ŒUVRE D’UNE VIE

En 1912, Arnold Van Gennep obtient la chaire d’ethnographie et

d’histoire comparée des civilisations à l’université de Neuchâtel

(Suisse). Il participe alors à la réorganisation du Musée

d’ethnographie de la ville et est également à l’initiative du

premier congrès international d’ethnologie et d’ethnographie qui

s’y déroule en juin 1914. Mais en 1915, il est expulsé de Suisse en

raison d’un article polémique mettant en cause la neutralité du

pays par rapport à l’Allemagne, et revient à Paris, où il réintègre

le ministère de l’Agriculture. Il retrouve son indépendance au

Page 5: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

début des années 1920, pour une série de conférences aux

États-Unis.

À partir de 1922, il se consacre entièrement à sa passion pour

l’ethnographie de la France, et à son folklore. Sans soutien

institutionnel, il récolte une masse importante de matériaux,

dans tout le pays (reprenant également les collectes des

folkloristes du XIXe siècle), et les ordonne selon la théorie des

rites de passage qu’il a développée. Arnold Van Gennep

s’intéresse particulièrement aux zones folkloriques

(géographiques et historiques) et tente, en vain, d’en déterminer

les lois de formation. Il détermine néanmoins que « les

phénomènes collectifs dits folkloriques évoluent dans un plan

autonome qui est indépendant de la géographie, de l’organisation

politique, de l’organisation diocésaine, de la différenciation

économique, du dialecte […] ». De sa collecte, il tire six grandes

monographies régionales, et surtout le Manuel du folklore

français contemporain, sur lequel il travaille jusqu’à la fin de sa

vie. Il reçoit pour la première fois, vers 1950, une bourse du

CNRS, mais ce soutien financier ne lui permet pas d’achever son

Manuel avant sa mort en 1957.

SIR EDWARD BURNETT TYLOR

1 PRÉSENTATION

Tylor, sir Edward Burnett (1832-1917), anthropologue

britannique, dont les travaux ont fondé l’anthropologie

culturelle.

2 UN BRILLANT AUTODIDACTE

Né à Camberwell, dans l’agglomération de Londres, Edward

Burnett Tylor grandit dans une famille de quakers, et ne peut

Page 6: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

étudier à l’université, réservée aux fidèles de l’Église anglicane.

Atteint de tuberculose, il part en convalescence en Amérique

centrale, où il se découvre un intérêt marqué pour les cultures

étrangères.

À la faveur d’une rencontre avec l’ethnologue britannique Henry

Christy lors de ses pérégrinations, il accompagne celui-ci au

Mexique pour un périple de six mois, dont, à son retour en

Angleterre, il tire son premier livre Anahuac, or Mexico and the

Mexicans, ancient and modern (« Anahuac, ou le Mexique et les

Mexicains, anciens et modernes », 1861). Ses travaux ultérieurs,

tels Researches into the Early History of Mankind («

Recherches sur les débuts de l’histoire de l’humanité », 1865),

Primitive culture (la Civilisation primitive, 1871) et Anthropology:

an Introduction to the Study of Man and Civilisation («

Anthropologie : une introduction à l’étude de l’homme et de la

civilisation », 1881), lui permettent d’obtenir le poste de

conservateur du musée d’Oxford puis, en 1884, celui de lecteur

de l’université d’Oxford. En 1896, il est nommé professeur et

devient le premier titulaire de la chaire d’anthropologie de

l’université d’Oxford, qu’il conserve jusqu’en 1909. Président de

l’Anthropological Society (future Royal Anthropological Society),

il est anobli par le roi George V en 1912.

3 DES AVANCÉES FONDATRICES

3.1 Une nouvelle conception de la culture

C’est par l’ouvrage la Civilisation primitive (1871) que Tylor laisse

une empreinte profonde dans cette science jeune qu’est

l’anthropologie. Avec sa définition de la culture, ancrée dans la

théorie évolutionniste, il propose de fait un objet d’étude

universel : « La culture est un ensemble complexe qui comprend

les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les

Page 7: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

coutumes et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert

l’homme en tant que membre d’une société ».

Cette définition, qui insiste sur le rôle primordial de

l’apprentissage, induit également une étude comparative « des »

cultures humaines. Tylor est le premier à aborder les faits

culturels dans leur ensemble et leur systématisme ; il prend ainsi

ses distances avec la théorie « radicale » de l’évolution linéaire,

incarnée par Lewis Morgan. Considérant que l’intellect humain

est universel, il défend l’idée de stades d’évolution plutôt que

d’une nature différente entre sociétés « primitives » et sociétés

« civilisées ».

3.2 L’« inventeur » de l’animisme

Tylor se penche sur la religion, plus précisément sur l’origine de

la religion, et crée le terme animisme (du latin anima, « âme »)

pour désigner ce qu’il considère comme la forme primitive de la

croyance. Dans une perspective évolutionniste, il cherche à

mettre en évidence des stades d’évolution culturelle, dégageant

également le concept de « survivances » — des vestiges de

stades culturels antérieurs qui n’ont plus de signification — pour

expliquer la pérennité d’éléments « archaïques » dans des

systèmes élaborés. Cette théorie des survivances est complétée

par l’idée de la diffusion entre cultures (le diffusionnisme), piste

féconde développée plus tard par Franz Boas et A. L. Kroeber.

3.3 Une méthodologie « scientifique »

La méthodologie de Tylor vise à étudier le plus grand nombre de

cultures pour en comparer les formes. Il développe donc une

méthodologie originale et rigoureuse, en s’appuyant notamment

sur la méthode des probabilités empruntée à la statistique :

collecte large et systématique des documents et des faits,

Page 8: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

analyse comparative, et recherche des corrélations et des

fréquences des faits. Cette démarche donne à l’anthropologie

une base scientifique fondée sur une analyse rigoureuse qui, bien

que largement critiquée par la suite, est devenue un outil

fondamental de l’anthropologie.

LOUIS-VINCENT THOMAS

Thomas, Louis-Vincent (1922-1994), ethnologue français,

spécialiste de l'Afrique et créateur de la thanatologie.

Né à Paris, Louis-Vincent Thomas entreprend des études de

philosophie à la Sorbonne avant de partir pour Dakar où il

enseigne dans le secondaire de 1948 à 1958. Nommé professeur

de philosophie et de sociologie à l'université de Dakar, il est

ensuite élu doyen (1965-1968). Il travaille sur les Diola de la

Casamance (les Diola, 1959), menant une étude sociologique qui

se veut également ethnographique. Dans un cadre privilégié qui

voit émerger une nouvelle Afrique avec l'indépendance de

nombreux pays, il opte pour l'ethnologie et l'étude des systèmes

de pensée (religions, mythes) qui permettent de « saisir le fait

humain du dedans ». Il se spécialise sur la mort en Afrique et

sur les systèmes de parenté. Rentré en France après vingt ans

de travail sur le terrain, il est nommé professeur à la Sorbonne

en 1968. Père de la thanatologie, il a écrit Anthropologie de la

mort (1975) son œuvre principale ; il est aussi l’auteur de Cinq

essais sur la mort africaine (1968), Mort et pouvoir (1978) et la

Mort africaine (1982).

GEZA ROHEIM

Róheim, Géza (1891-1953), anthropologue et psychanalyste

américain d’origine hongroise, auquel on doit l’introduction des

concepts psychanalytiques dans la recherche anthropologique. Il

Page 9: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

est le principal représentant de l’ethnopsychanalyse, avec

Georges Devereux.

Né à Budapest dans une famille aisée de commerçants, Géza

Róheim suit des études classiques de philosophie et

d’anthropologie à Leipzig et à Berlin, avant de se passionner pour

la psychanalyse et les travaux de Sigmund Freud, Karl Abraham,

Otto Rank et Sandor Ferenczi. Il est analysé par ce dernier puis

par Wilma Kovacs entre 1915 et 1916. En 1919, il devient

titulaire de la chaire d’anthropologie à l’université de Budapest.

Tout en étudiant et pratiquant la psychanalyse, il mène des

recherches en anthropologie qui font l’objet de sa première

publication, le Totémisme australien (1925), ouvrage dans lequel

il s’inspire des travaux de Melanie Klein.

À partir de 1928, il effectue avec sa femme un voyage

ethnographique de près de quatre années en Somalie, en

Australie, en Mélanésie et en Californie. Il conclut à

l’universalité du complexe d’Œdipe, contrairement à Bronislaw

Kasper Malinowski qui pensait que celui-ci n’existait pas dans les

sociétés matrilinéaires. Il publie ses observations en 1932 dans

un article intitulé Psychanalyse des types culturels primitifs,

qu’il reprendra dans sa vaste synthèse Psychanalyse et

anthropologie (1950).

Juif, il s’exile à New York en 1938. Il travaille au Worcester

State Hospital sur un cas de schizophrénie décrit dans Magie et

schizophrénie, ouvrage publié après sa mort, en 1955. Pratiquant

et enseignant la psychanalyse, il publie Origine et fonction de la

culture (1943), Héros phalliques et symboles maternels dans la

mythologie australienne (1945), la Guerre, le Crime et l’Alliance

(1945). Sa dernière enquête sur le terrain concerne les indiens

Navajos, en 1947, année où il fonde une revue annuelle

d’anthropologie psychanalytique, la Psychanalyse et les sciences

sociales.

Page 10: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

En 1953, après la mort de sa femme, il se laisse mourir dans un

hôpital, et s’éteint le jour de la publication de son livre intitulé

les Portes du rêve.

PAUL RIVET

Rivet, Paul (1876-1958), médecin, anthropologue, ethnologue et

homme politique français.

Ancien élève de l’école militaire de Lyon d’où il sort diplômé en

1897, il est médecin d’une expédition française de géodésie

envoyée en Équateur entre 1901 et 1906. Là, il collecte des

matériaux d’histoire naturelle, d’archéologie, de linguistique et

d’ethnographie pour son étude sur les populations des pays

andins (Ethnographie ancienne de l’Équateur, 1912).

En 1925, il fonde avec Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Mauss

l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris, dont il devient dès

1926 le secrétaire général. Après avoir été élu professeur

d’anthropologie au Muséum national d’histoire naturelle en 1929,

il obtient du gouvernement français les subventions nécessaires

pour construire, en remplacement du musée du Trocadéro, le

musée de l’Homme en 1937.

En dehors des activités propres à ses centres d’intérêt (la

métallurgie et la linguistique des Amérindiens), il est un homme

politique actif qui sera à la fois député socialiste du Ve

arrondissement de Paris en 1920, membre du réseau de la

Résistance du musée de l’Homme dirigé par Boris Vildé, puis de

nouveau député socialiste à la Libération.

Son ouvrage sur les Origines de l’homme américain (1943), où il

défend l’idée d’un peuplement récent de l’Amérique par des

populations océaniques, a été particulièrement remarqué.

ALFRED REGINALD RADCLIFFE BROWN

Page 11: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

1 PRÉSENTATION

Radcliffe-Brown, Alfred Reginald (1881-1955), anthropologue

britannique, chef de file modéré du fonctionnalisme.

Alfred Radcliffe-Brown est l’artisan de l’évolution décisive de

l’anthropologie britannique, et contribue notamment à fonder

l’anthropologie sociale avec Evans-Pritchard. Pédagogue réputé

et conférencier brillant, il a également formé une grande partie

des anthropologues de son époque.

2 UN PROFESSEUR GLOBE-TROTTER

Né à Birmingham (en Angleterre), Alfred Reginald Radcliffe-

Brown étudie l’anthropologie à l’université d’Oxford (Trinity

College) puis de Cambridge. Il part entre 1906 et 1908

effectuer une enquête de terrain dans les îles Andaman (alors

colonies britanniques), puis étudie les Aborigènes d’Australie

occidentale (1910-1913). Il publie les résultats de ses enquêtes

dans The Andaman Islanders (« les habitants des îles Andaman

», 1922) et The Social Organization of Australian Tribes («

l’organisation sociale des tribus australiennes », 1931). Après un

bref mais fructueux retour à Birmingham, où il donne des

conférences très suivies en anthropologie sociale, il poursuit sa

carrière à l’étranger, d’abord comme directeur de l’éducation

dans le royaume de Tonga en Polynésie britannique (1916), puis à

la chaire d’anthropologie du Cap (Union sud-africaine) de 1921 à

1925. Il retourne en Australie pour organiser le département

d’anthropologie de l’université de Sidney, où il enseigne de 1926

à 1931, puis part enseigner en Chine, à l’université Yenching

(Pékin), de 1931 à 1937.

Enfin, de retour en Angleterre, il occupe jusqu’à sa retraite, en

1946, le premier poste de professeur d’anthropologie sociale à

l’université d’Oxford — durant les années de guerre, il est

Page 12: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

détaché deux ans à l’université de São Paulo. Mais la retraite

n’arrête guère ses activités de pédagogue, et c’est ainsi qu’il

continue à enseigner en Égypte (Alexandrie, 1947-1949), en

Afrique du Sud (Grahamstown, 1951-1954), puis à Manchester et

à Londres. Couvert d’honneurs académiques et professionnels,

président du Royal Anthropologic Institute et de l’Association of

British Social Anthropologists, il est un artisan infatigable de la

promotion de sa discipline.

3 UN FONCTIONNALISTE MODÉRÉ

Au début du XXe siècle, l’anthropologie est marquée par le

courant évolutionniste, le diffusionnisme et l’historicisme, et

l’introduction de la psychologie. Radcliffe-Brown se construit

théoriquement en opposition à ces trois propositions théoriques,

radicalement au début de sa carrière, mais de manière plus

modérée à la fin de sa vie, reconnaissant notamment l’apport de

l’histoire dans la compréhension des institutions, et celui de la

psychologie dans la compréhension du fonctionnement de

l’individu. À la suite de Bronislaw Malinowski, auquel on l’associe

souvent, il est partisan d’un fonctionnalisme modéré.

Convaincu que les systèmes sociaux sont naturels, Radcliffe-

Brown entreprend d’élaborer une nouvelle théorie des sciences

sociales — une « science naturelle et théorique de la société » —

, basée sur l’analogie entre organismes biologiques et systèmes

sociaux. Il s’appuie pour cela sur les travaux du philosophe

britannique Herbert Spencer et sur l’œuvre du sociologue

français Émile Durkheim, partisan de l’utilisation de méthodes

scientifiques pour l’étude des sociétés. Les deux monographies

de Radcliffe-Brown, ainsi que les articles réunis dans Structure

et fonction dans la société primitive (Structure and Function in

the Primitive Society, 1952) et Method in Social Anthropology

Page 13: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

(« méthodes de l’anthropologie sociale », 1958) tentent ainsi de

constituer cette science.

L’œuvre théorique de Radcliffe-Brown, ainsi que sa pratique de

terrain, est violemment attaquée de son vivant, puis tombe dans

l’oubli. Néanmoins, Radcliffe-Brown a exercé une influence

considérable sur l’anthropologie britannique, et a formé un

nombre important d’anthropologues dans le monde entier.

ARMAND DE QUATREFAGES DE BREAU

Quatrefages de Bréau, Armand de (1810-1892), naturaliste et

anthropologue français, célèbre pour ses travaux sur l'anatomie

du crâne. Tout d'abord zoologue, il fut nommé à la chaire

d'anthropologie et d'ethnologie du Muséum national d'histoire

naturelle (1855). À ce titre, il se trouva lié aux découvertes de

Boucher de Perthes, fondateur de la science préhistorique, qui

avait mis au jour des vestiges d'instruments de silex dans le lit

de la Somme en 1844. Ses travaux sur l'anatomie du crâne

(Crania ethnica, en collaboration avec Hamy, 1882) soutenaient la

thèse monogéniste (toutes les races descendaient d'une même

souche, dolichocéphale pour l'Europe) contre les polygénistes

qui, comme Paul Broca, affirmaient qu'elles avaient plusieurs

origines. Disciples de Cuvier, les monogénistes admettaient tout

au plus un transformisme limité et la théorie de l'évolution

darwinienne les rendaient sceptiques. En énonçant la théorie de

la migration forcée des dolichocéphales indigènes (Lapons,

Finnois, Basques) poussés par des Ariens brachycéphales,

devenus par la suite les Nordiques (Allemands, Saxons, etc.), ils

ne créèrent pas à proprement parler la « question arienne »,

mais des linguistes y trouvèrent peut-être un point de départ

pour l'élaboration d'idées qui eurent les développements

dramatiques que l'on connaît.

Page 14: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

JOHN WESLEY POWELL

Powell, John Wesley (1834-1902), ethnologue et géologue

américain, explorateur et administrateur gouvernemental, qui

établit la première classification majeure des langues

amérindiennes et réalisa un travail inédit sur les montagnes

Rocheuses.

Powell est né à Mount Morris (État de New York). Quand sa

famille déménagea dans l'Illinois, il effectua de longs voyages

solitaires sur l'Ohio et le Mississippi, et se passionna pour le

monde de la nature. Après ses études aux collèges Oberlin et

Wheaton et son service dans l'armée de l'Union lors de la guerre

de Sécession, il devint professeur de géologie à l'Illinois

Wesleyan College en 1865 et enseigna par la suite à l'Illinois

Normal University. En 1867 et 1868, il conduisit des expéditions

géologiques dans le Colorado et l'Utah. L'année suivante, avec

l'aide du gouvernement, il explora les canyons du Colorado. Entre

1870 et 1879, il poursuivit ses travaux sur la région des

montagnes Rocheuses.

Powell étudia les Amérindiens qu'il rencontra au cours de ses

voyages et, en 1879, il fut nommé directeur de l'US Bureau of

Ethnology. De (1881 à 1892), il assuma la direction de l'US

Geological Survey, qui devint un organisme de grande notoriété.

En 1891, il publia la première carte classifiant de façon

exhaustive les cinquante-huit familles de langues qu'il avait

reconnues chez les Amérindiens des États-Unis et du Canada.

Les principaux ouvrages de Powell comprennent Explorations of

the Colorado River of the West (« Explorations du fleuve

Colorado, dans l'Ouest », 1875), An Introduction to the Study

of Indian Languages (« Introduction à l'étude des langues

amérindiennes », 1877) et Report on the Lands of the Arid

Region of the United States (« Rapport sur les terres de la

région aride des États-Unis », 1878).

Page 15: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

LEWIS HENRY MORGAN

1 PRÉSENTATION

Morgan, Lewis Henry (1818-1881), ethnologue américain, dont les

travaux sont à la base de l’anthropologie moderne.

Connu pour ses recherches sur la parenté et sa théorie de

l’évolution de l’humanité, Lewis Henry Morgan est également le

premier à collecter directement des données, ce qui fait de lui le

premier ethnologue « de terrain ».

2 UN ENGAGEMENT PERSONNEL

Né dans l’État de New York, Lewis Henri Morgan étudie le droit

et débute comme conseiller juridique pour une compagnie de

chemins de fer à Rochester. Il s’engage en politique et, au sein

du Parti républicain, devient député puis sénateur. Il s’établit

ensuite, en 1844, comme avocat à Rochester. Son intérêt pour

l’anthropologie naît de sa rencontre avec un Amérindien Seneca

dans un club littéraire ; il organise une enquête sur la

confédération des Iroquois, dont la tribu Seneca est l’une des

cinq nations, et défend la tribu contre une compagnie qui

cherche à la déposséder d’une partie de ses terres. Adopté en

1846 par le clan Faucon, il partage la vie de ses membres

pendant plusieurs années, et est nommé Ta-ya-da-o-wh-kuh,

c’est-à-dire « celui qui vit entre les deux ». C’est à partir de ses

observations durant cette période qu’il conçoit et publie, en

1851, The League of the Ho-de-no-sau-nee or Iroquois, une

étude sur la structure sociale et l’organisation politique de la

confédération iroquoise ; cette description précise et détaillée

de la société Seneca est considérée comme la première

ethnographie des Amérindiens d’Amérique du Nord. Tandis que

Page 16: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

ses prédécesseurs, parfois surnommés ethnologues « de

chambre », se contentaient d’analyser des données récoltées par

d’autres, Lewis Morgan, qui collecte les données directement,

est le premier ethnologue « de terrain ».

3 L’UN DES FONDATEURS DE L’ANTHROPOLOGIE MODERNE

3.1 Les systèmes de parenté

À partir de 1859, Lewis Morgan élargit ses recherches sur la

parenté et réalise une vaste enquête, en recueillant lui-même

des données auprès de soixante-dix tribus amérindiennes ;

constatant une similitude entre les systèmes de parenté, il fait

diffuser un questionnaire dans le monde entier. L’ouvrage

Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family («

Système de consanguinité et d’affinité dans les familles

humaines »), publié en 1871, est la première tentative de

classification et de comparaison des systèmes de parenté. Il y

distingue deux systèmes majeurs, descriptif et classificatoire.

Dans les systèmes descriptifs, les termes de parenté désignent

exactement la relation (fille, père, mère, oncle, cousin, etc.) ;

dans les systèmes classificatoires, les termes de parenté, peu

nombreux et simples, désignent des catégories indépendamment

de la proximité de la relation.

Cherchant à trouver l’universel, dans une technique de travail

fondée sur la comparaison d’éléments sélectionnés comme

constitutifs d’une société à tout moment, Lewis Morgan dégage

quatre stades de l’évolution du modèle de la famille : la famille

consanguine, dans laquelle l’individu, partie prenante du groupe,

reconnaît quelques liens élémentaires de parenté ; le mariage

collectif, d’où dérivent les premiers interdits, justifiés par la

consanguinité biologique (inceste) ; le mariage polygame, fondé

sur l’instauration de lignages patri- ou matrilinéaires ; le mariage

monogame, qui repose sur un système descriptif. Selon la théorie

Page 17: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

évolutionniste de Lewis Morgan, le passage au mariage individuel

marque ainsi le passage de la sauvagerie à la civilisation.

Sa théorie est largement critiquée par la suite, notamment car

elle se heurte au problème de la traduction et des équivalences,

méconnaissant ainsi la portée des mots utilisés. Lewis Morgan a

cru que les systèmes descriptifs étaient l’apanage des sociétés

occidentales, les plus « évoluées » dans la perspective

évolutionniste. Néanmoins, en montrant que les sociétés se

différencient selon la structure des liens de parenté, il ouvre

une voie nouvelle et fonde l’une des branches majeures de

l’anthropologie moderne, l’étude des systèmes de parenté.

3.2 La théorie évolutionniste

Lewis Morgan s’inscrit dans le courant évolutionniste des

sociétés humaines, inspiré par la théorie d’Auguste Comte sur les

trois étapes de développement d’une société (théologique,

métaphysique, et positive ou scientifique), ainsi que par les

travaux d’Herbert Spencer (lui-même fortement influencé par

Jean-Baptiste de Lamarck). Aux fondements de ces théories se

trouvent les deux conceptions opposées de Hobbes et de

Rousseau, lesquels, quoique s’opposant sur la « nature » de la

société humaine primitive (chaotique pour Hobbes, idéale pour

Rousseau), défendent l’idée d’une évolution d’un état naturel à un

état non-naturel, de manière linéaire, et dont la civilisation

occidentale moderne représente le degré le plus élevé.

C’est dans la Société archaïque (Ancient Society, or researches

in the lines of human progress from savagery through barbarism

to civilization, 1881) que Morgan développe sa théorie de

l’évolution humaine : s’appuyant sur les découvertes de

l’archéologie historique, il propose une hiérarchisation de

l’évolution des sociétés selon le développement des techniques et

outils. L’histoire de l’humanité se serait déroulée en trois stades,

Page 18: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

la sauvagerie, la barbarie et la civilisation, eux-mêmes divisés en

trois stades. Au stade inférieur de la sauvagerie, l’homme est

cueilleur ; au stade moyen, il est cueilleur et pêcheur, et

maîtrise le feu ; au stade supérieur, l’homme maîtrise également

la chasse, grâce à la fabrication d’armes. Au stade inférieur de

la barbarie, l’homme crée la poterie et vit d’élevage ; au stade

moyen, l’homme possède des rudiments d’agriculture, et sait

construire un habitat durable ; au stade supérieur, l’homme

maîtrise la métallurgie. Vient ensuite la civilisation, marquée par

l’apparition de l’écriture alphabétique, l’agriculture à grande

échelle, puis le développement de l’industrie.

La théorie de Morgan, pour controversée qu’elle soit -

notamment par Edward Burnett Tylor, qui met l’accent sur le

développement de systèmes cognitifs, et par les diffusionnistes

(particulièrement Franz Boas) -, a permis une avancée

considérable de l’anthropologie.

MARGARET MEAD

Mead, Margaret (1901-1978), anthropologue américaine, célèbre

pour ses études des sociétés non-industrialisées et pour ses

travaux d'anthropologie sociale. Née à Philadelphie, Margaret

Mead fit ses études au Barnard College et à l'université

Columbia. En 1926, elle devint conservateur assistant

d'ethnologie à l'American Museum of Natural History de New

York, et occupa ensuite les fonctions de conservateur associé

(1942-1964) et de conservateur (1964-1969). Elle fut directrice

de recherche en cultures contemporaines à l'université Columbia

de 1948 à 1950, puis professeur adjoint d'anthropologie après

1954. En septembre 1969, elle fut nommée professeur et chef

du département de sciences sociales au Liberal Arts College de

l'université Fordham au Lincoln Center à New York. Elle a aussi

participé à différentes commissions gouvernementales et

Page 19: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

internationales et prit des positions controversées sur certains

problèmes sociaux modernes.

Lors de plusieurs expéditions sur le terrain, Margaret Mead

mena des recherches remarquables en Nouvelle-Guinée, aux îles

Samoa et à Bali. Une grande partie de son travail fut consacré à

l'étude des structures d'éducation des enfants dans les

différentes cultures. Elle analysa aussi de nombreux problèmes

de la société contemporaine américaine, en particulier ceux qui

concernent les jeunes. Ses intérêts étaient variés, et

comprenaient l'éducation des enfants, l'adolescence, les

comportements sexuels, le caractère et la culture américaine.

Les principaux ouvrages de Margaret Mead sont Mœurs et

Sexualité en Océanie (tiré de deux ouvrages parus

respectivement en 1928 et 1935), L'un et l'autre sexe, les rôles

d'homme et de femme dans la société (1949), Soviet Attitudes

Toward Authority (1951), New Lives for Old (1956), Culture and

Commitment : A Study of the Generation Gap (1970), ainsi que

ses mémoires, Blackberry Winter (1972).

MARCEL MAUSS

1 PRÉSENTATION

Mauss, Marcel (1872-1950), anthropologue et sociologue

français qui a contribué à la création de l'école ethnologique

française.

2 FORMATION ET CARRIÈRE

Né à Épinal, neveu et disciple d’Émile Durkheim, Marcel Mauss

étudie à l'université de Bordeaux (agrégation de philosophie),

puis à l'École pratique des hautes études de Paris (EPHE), avant

d'y être nommé titulaire de la chaire d’« histoire des religions

des peuples non civilisés » en 1901, intitulé qu’il récuse dans sa

Page 20: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

leçon inaugurale. Durant cette période, il rédige son Essai sur la

nature et la fonction du sacrifice (1899), ainsi que De quelques

formes primitives de la classification (1901). En 1925, il fonde

l'Institut d'ethnologie (qu’il dirigera jusqu’en 1939), puis obtient

une chaire de sociologie au Collège de France en 1931. Figure

centrale du cercle d'intellectuels et de scientifiques réunis

autour de la revue l'Année sociologique, fondée par Émile

Durkheim, il en assure la direction éditoriale à la mort de son

oncle.

3 LE « FAIT SOCIAL TOTAL »

Moins désireux de développer un système théorique qu’Émile

Durkheim, Marcel Mauss ne s'en inscrit pas moins dans la

continuité de la sociologie durkheimienne. Illustrant l'idée de «

fait social » par des études concrètes, il s'attache à montrer

comment un seul phénomène significatif donne à voir les

structures sociales sous-jacentes dans leur totalité. Il met ainsi

en évidence le rôle central d’une forme de don (le potlatch) chez

certaines populations nord-américaines. Étendant son hypothèse

aux sociétés antiques (Une forme ancienne du contrat chez les

Thraces, 1921), il formule l’idée selon laquelle le potlatch serait

la forme fondamentale de l’échange, qui se serait

progressivement dégradée dans les sociétés modernes ; c’est

l’Essai sur le don, forme archaïque de l'échange (1923-1924),

ouvrage qui rassemble une somme considérable de données

ethnographiques et historiques, et qui vaut à Marcel Mauss la

célébrité. Le « don » (ou plus précisément le triptyque « donner,

recevoir, rendre ») s'insère, au sein des sociétés archaïques,

dans un système « social total » (impliquant des facteurs

religieux, économiques, politiques, familiaux et juridiques) qu’il

contribue à structurer et à faire exister. Le « social » (et les

formes qu’il prend en un lieu précis) n’est donc plus une donnée,

Page 21: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

mais une catégorie qui mérite bel et bien d’être conceptualisée

en tant que telle.

Cette posture permet à Marcel Mauss d’appréhender de façon

fine les rapports entre le collectif et l’individuel, entre la

contrainte et la liberté, et donc de traiter de questions tant

anthropologiques que psychologiques. C’est là d’ailleurs son

principal point de rupture avec Émile Durkheim qui, traitant « les

faits sociaux comme des choses », établit une différence de

nature qui fonde la spécificité de l’objet sociologique.

4 DIVERSITÉ ET PROLONGEMENTS DE L’ŒUVRE DE MARCEL

MAUSS

Bien qu’il ne réalise jamais lui-même d’études de terrain, Marcel

Mauss aborde, dans ses ouvrages et articles, des questions

étonnamment variées : la mort, les « techniques du corps »

(c’est-à-dire la façon dont une société impose à l’individu un

certain usage de son corps), la magie et la transe… À la fin de sa

carrière, il se concentre plus particulièrement sur des

interrogations méthodologiques et publie un Manuel

d’ethnographie (1947) ainsi que Sociologie et anthropologie

(1950).

L'œuvre de Marcel Mauss a été une source d'inspiration décisive

tant pour l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss que

pour de nombreux travaux issus du courant anti–utilitariste.

MARC AUGE

1 PRÉSENTATION

Augé, Marc (né en 1935), anthropologue français, pionnier de

l’anthropologie des mondes contemporains.

2 UN ANTHROPOLOGUE AFRICANISTE

Page 22: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Né à Poitiers, Marc Augé intègre l’École normale supérieure

(ENS) avant d’obtenir son agrégation de lettres. Il commence sa

carrière au début des années 1960 comme directeur de

recherche au sein de l’Office de la recherche scientifique et

technique outre-mer (ORSTOM, aujourd’hui IRD); il y demeure

jusqu’en 1970 et publie en 1969 le Rivage alladian. Organisation

et évolution des villages alladian, une étude d’un peuple côtier de

Côte d’Ivoire. Il rejoint alors l’EHESS (École des hautes études

en sciences sociales) où il occupe le poste de directeur d’études

— et dont il assure la direction de 1985 à 1995. Il effectue de

nombreuses missions en Afrique, particulièrement au Togo et en

Côte d’Ivoire (Théorie des pouvoirs et idéologie. Étude de cas en

Côte d’Ivoire, 1975). Parmi ses travaux importants, citons

également Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Introduction à une

anthropologie de la répression (1977), Symbole, fonction,

histoire. Les interrogations de l’anthropologie (1979) et Génie du

paganisme (1982). Les travaux de recherche de Marc Augé se

caractérisent rapidement par l’importance accordée à la

perception de l’autre, et à sa place dans la société postmoderne.

3 UN NOUVEAU CHAMP D’ÉTUDES : LES MONDES

CONTEMPORAINS

Marc Augé diversifie au début des années 1980 ses champs

d’étude, pour s’intéresser aux mondes contemporains — un

champ de recherche traditionnellement dévolu à la sociologie. Il

en fait bientôt son principal objet de recherche, et contribue à

établir le monde de la modernité, de la globalisation, comme

objet d’étude anthropologique. Marc Augé dirige le Centre

d’anthropologie des mondes contemporains au sein de l’EHESS

depuis sa création en 1993.

Page 23: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Après quelques terrains d’étude en Amérique du Sud, Marc Augé

revient en France et publie successivement la Traversée du

Luxembourg (1985) et un Ethnologue dans le métro (1986),

s’intéressant ainsi à son environnement le plus proche. Avec Non-

Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité

(1992), il tente d’analyser les rapports que l’individu entretient

avec ces lieux de passage anonymes que sont les transports et

leurs lieux d’échange (échangeurs, gares, aéroports), mais aussi

les hôtels anonymes et les supermarchés, tout ce qui ne relève

pas de la demeure, du domicile, du lieu ; cette réflexion est

approfondie de manière plus théorique avec Pour une

anthropologie des mondes contemporains (1994).

Avec les Formes de l’oubli (2001), Marc Augé livre, sous une

forme faussement simple, une réflexion anthropologique sur

l’oubli et son corollaire, la mémoire, et sur la manière dont l’oubli

est appréhendé par chaque culture pour produire des formes

socialisées. Il complète cette réflexion par le Temps en ruine

(2003), devenu une référence pour l’anthropologie du temps. En

2006, il publie le Métier d’anthropologue : sens et liberté, une

version remaniée d’une conférence donnée à l’EHESS.

4 LE PASSAGE AU ROMAN

Marc Augé s’essaie au roman en 2005, avec la Mère d’Arthur, et

explique ainsi sa démarche : « Le passage au roman, ce n’est pas

une rupture. Pas plus que ne l’était le passage des lettres à

l’ethnologie, ou le passage de l’Afrique aux non-lieux de la

surmodernité. C’est un infléchissement. Dans toutes les

situations que l’anthropologue est amené à décrire, il y a l’amorce

de mille romans possibles. » Le roman, construit sur la

disparition d’un professeur d’université, joue à égarer le lecteur

à travers un labyrinthe de pistes et d’indices.

Page 24: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

BRONISLAW MALINOWSKI

1 PRÉSENTATION

Malinowski, Bronislaw, (1884-1942), anthropologue britannique

d’origine polonaise, théoricien de la méthode de l’observation

participante.

Bronislaw Malinowski est le fondateur du fonctionnalisme, qui

affirme que les institutions humaines doivent être examinées

dans le contexte global de leur culture. Il reste jusqu’à

aujourd’hui l’une des influences majeures de l’anthropologie

culturelle britannique et américaine, malgré de nombreuses

remises en cause.

2 DES MATHÉMATIQUES AUX ÎLES TROBRIAND

Né à Cracovie (en Pologne), Bronislaw Kaspar Malinowski suit des

études scientifiques, et obtient en 1908 un doctorat de

mathématiques et sciences physiques à l’université de Cracovie.

Il part ensuite pour Leipzig, où il se tourne vers l’anthropologie,

notamment au travers des travaux de James Frazer et de sa

rencontre avec le psychologue Wilhelm Wundt. Il s’établit à

Londres en 1910, où il s’inscrit à la London School of Economics

et travaille en liaison avec un pionnier de l’anthropologie « de

terrain », Charles G. Seligman (1873-1940) ; il rencontre

également les anthropologues Alfred Radcliffe-Brown et Edvard

Westermarck.

En 1914, avec l’aide de Charles Seligman, il participe à une

expédition en Nouvelle-Guinée : après un premier séjour chez les

Mailu, au sud de l’île, il séjourne ensuite dans l’archipel des

Trobriand (situé au nord-est de l’île) de 1915 à 1918. Il se livre à

une étude très précise de la culture trobriandaise, dont il rend

compte dans deux ouvrages, les Îles Trobriand (The Trobriand

Page 25: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Islands, 1915) et surtout son chef-d’œuvre, qui l’impose comme

une figure majeure de l’ethnologie : les Argonautes du Pacifique

occidental (Argonauts of the Western Pacific. An Account of

Native Enterprise and Adventure in the Archipelagoes of

Melanesian New Guinea, 1922). Il y décrit un mécanisme original

d’échange économique entre les îles de l’archipel, la kula.

Bronislaw Malinowski commence à enseigner à l’université de

Londres en 1924 et devient professeur d’anthropologie sociale

en 1927. Entre 1939 et 1942, il est professeur associé à

l’université Yale. Ses recherches sur la formation de la culture

humaine l’amènent à voyager en Afrique du Sud et en Afrique de

l’Ouest, en Amérique centrale (Mexique) et dans certaines

régions des États-Unis. Il meurt avant d’avoir pu utiliser les

notes prises lors de son terrain, entre 1940 et 1941, chez les

Zapotèques d’Oaxaca (Mexique).

3 UN APPORT ESSENTIEL À L’ANTHROPOLOGIE SOCIALE ET

CULTURELLE

3.1 Une nouvelle méthode : l’observation participante

Bronislaw Malinowski, lors de ses terrains en Mélanésie, met en

œuvre une méthode particulière d’observation, énoncée plus d’un

siècle auparavant par la Société des observateurs de l’homme,

une société savante fondée à la fin du XVIIIe siècle par le

groupe des Idéologues : l’observation participante (dite aussi «

méthode de l’observateur participant », de l’anglais participant-

observer). Le principe essentiel de cette méthode a été défini

par le philosophe De Gerando : « Le premier moyen pour bien

connaître les sauvages est en quelque sorte de devenir l’un deux.

» Dans l’application de ce principe, l’observation participante

requiert donc tout d’abord de l’ethnologue de se défaire de sa

propre culture, de ses préconceptions et préjugés ; il lui faut

ensuite qu’il s’intègre au groupe étudié, en en apprenant la langue

Page 26: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

et en en partageant la vie quotidienne ; les faits relatés doivent

l’être dans le cadre d’un constat, et non pas d’une information

rapportée ; enfin, l’ethnographe doit distinguer entre la coutume

théorique, la coutume réellement pratiquée, et l’interprétation

faite par le groupe de cette coutume.

3.2 Un nouveau schéma d’intelligibilité : le fonctionnalisme

L’analyse que conduit Bronislaw Malinowski sur la culture des îles

Trobriand est à la base de sa théorie dite fonctionnaliste,

explicitée et étayée tout au long de son œuvre. Concevant la

culture comme un phénomène universel, il veut définir un schéma

d’interprétation qui permette une étude comparative des

sociétés et surtout qui prenne en compte tous les faits. Ses

monographies, qui rompent avec le style ampoulé et

muséographique des études ethnologiques contemporaines par

l’abondance de détails, le style alerte et la diversité des données

présentées, sont des supports efficaces au service de sa théorie

fonctionnaliste : l’étude d’une société doit prendre en compte

tous les éléments et tenter de leur donner une cohérence, l’idée

maîtresse étant que tous ces faits fassent sens les uns par

rapport aux autres. Dans cette collecte exhaustive des faits, il

est ainsi amené à traiter de sujets rarement abordés, comme la

sexualité (la Sexualité et sa répression dans les sociétés

primitives [Sex and Repression in Savage Society, 1927]) ; la Vie

sexuelle des Sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie [The

Sexual Life of Savages in North-Eastern Melanesia, 1929]) ; il

est d’ailleurs l’un des premiers anthropologues à s’intéresser à la

sexologie, notamment auprès du médecin Havelock Ellis, pionner

dans ce domaine, et à mêler anthropologie et psychanalyse. Il

défriche également le champ juridique (le Crime et la coutume

dans les sociétés primitives in Trois essais sur la vie sociale des

primitifs [Crime and Custom in Savage Society, 1926]).

Page 27: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Bronislaw Malinowski s’intéresse également aux relations que des

cultures différentes nouent entre elles, et sur la manière dont

interagissent les modèles et structures de chacune (dégageant

le concept d’acculturation) ; la conséquence méthodologique est

de permettre à l’ethnologie de saisir et d’analyser, de manière

dynamique, les conflits et tensions d’une société, et la façon

dont celle-ci s’y ajuste. Plusieurs livres traitent de cette

problématique, en particulier les Jardins de corail (Coral

Gardens and their Magic, 1935), les Dynamiques de l’évolution

culturelle (The Dynamics of Culture Change, posth. 1945) et

Magic, Science and Religion (« magie, science et religion »,

posth. 1948).

Critiqué par les structuralistes, notamment par Claude Lévi-

Strauss, le fonctionnalisme connaît un renouveau dans les années

1950, notamment avec le sociologue américain R. K. Merton.

LUCIEN LÉVY BRUHL

Lévy-Bruhl, Lucien (1857-1939), philosophe et ethnologue

français, qui étudia la « mentalité primitive ».

Lévy-Bruhl étudia à l'École normale supérieure et enseigna à la

Sorbonne de 1899 à 1927. En 1917, il prit la direction de la

Revue philosophique et fonda l'Institut d'ethnologie en 1925.

Lévy-Bruhl est principalement connu pour ses travaux

d'ethnologie portant sur les mentalités des peuples dits alors «

primitifs ». Son travail sur la morale est à l'origine de son

intérêt pour cette question. Il publia en effet la Morale et la

Science des mœurs en 1903, où il critique la conception

traditionnelle de la morale qui se fonde sur l'identité de la

nature humaine à travers les cultures. Lévy-Bruhl défend au

contraire l'idée d'une relativité de la nature humaine et soutient

que celle-ci est déterminée par la société dans laquelle vit un

individu. Il propose de remplacer la morale par une science

Page 28: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

positive des mœurs fondée sur l'observation des comportements

et des représentations.

Cette enquête le conduisit à formuler l'hypothèse qu'il y a des

types de mentalité spécifiques à des cultures données, et que

ces différents types de mentalité sont exclusifs les uns des

autres. Il examina cette hypothèse en procédant à une

comparaison entre les mentalités rationalistes des sociétés

occidentales et les mentalités des sociétés dites « primitives »,

dans un ensemble de six livres qui constituent le cœur de son

œuvre : les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures

(1910), la Mentalité primitive (1922), l'Âme primitive (1927), le

Surnaturel et le Naturel dans la mentalité primitive (1931), la

Mythologie primitive (1935) et l'Expérience mystique et les

Symboles chez les primitifs (1931).

Selon Lévy-Bruhl, les peuples « primitifs », c'est-à-dire ceux qui

ne possèdent pas l'écriture, raisonnent en suivant des principes

différents de ceux que suit la mentalité rationaliste. Les «

peuples primitifs » disposent d'un système de représentations

communes, qui sont caractérisées par une absence de séparation

entre le naturel et le surnaturel. Selon Lévy-Bruhl, ces

représentations sont non conceptuelles, mystiques, et ne sont

pas liées logiquement entre elles. Le principe fondamental de la

mentalité « primitive » est la « loi de participation », qui est la

négation du principe de non-contradiction. De nombreuses

critiques conduisirent Lévy-Bruhl à nuancer ses positions à la fin

de sa vie, tel qu'on peut le voir notamment dans ses célèbres

Carnets.

CLAUDE LÉVI-STRAUSS

1 PRÉSENTATION

Lévi-Strauss, Claude (1908– ), anthropologue français dont les

travaux sur la prohibition de l’inceste, les structures sociales de

Page 29: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

la parenté et les règles du mariage ont profondément marqué

l’anthropologie moderne.

2 LA FORMATION

Né à Bruxelles, Claude Lévi-Strauss poursuit ses études à Paris

où il obtient, en 1931, l’agrégation de philosophie. Après quelques

années d’enseignement en France, il est nommé auprès de la

mission universitaire de São Paulo, au Brésil où, de 1935 à 1938,

il effectue plusieurs missions ethnographiques (dans le Mato

Grosso, puis en Amazonie).

Durant la Seconde Guerre mondiale, il quitte la France pour les

États-Unis, où il occupe divers postes jusqu’en 1948 (enseignant,

conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France). Peu après

son retour en France, il passe avec succès son doctorat (les

Structures élémentaires de la parenté, 1949) et présente sa

thèse complémentaire (la Vie familiale et sociale des Indiens

nambikwara). Simultanément, il devient sous-directeur du musée

de l’Homme et directeur d’études à l’École pratique des hautes

études (Ve section). En 1973, il est élu à l’Académie française.

Jusqu’en 1982, date à laquelle il prend sa retraite, il occupe

diverses fonctions : professeur au Collège de France (à partir de

1959), directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale (fondé

par lui-même en 1960) ; responsabilités à travers lesquelles il

marque plusieurs générations de chercheurs qu’il forme et initie

à l’anthropologie structurale. Il a raconté la naissance de sa

vocation d’anthropologue et ses premières expéditions chez les

Indiens du Brésil dans Tristes Tropiques (1955), journal de bord

ethnographique aux tonalités littéraires et philosophiques, et

autobiographie intellectuelle.

3 L’ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE

Page 30: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Qu’il s’agisse des peuples de l’Afrique, des Amériques ou de

l’Europe, l’anthropologie contemporaine reconnaît le fait de la

diversité culturelle, la pluralité des groupes sociaux, des

civilisations et des systèmes d’organisations dont les

différences tiennent à des circonstances géographiques,

historiques et sociologiques. L’une des questions majeures qui

sous-tend l’œuvre de Lévi-Strauss est de savoir comment

appliquer à des ordres de faits culturellement disparates une

méthode de connaissance permettant de dégager une unité de

structure anthropologique entre les représentations humaines et

leurs manifestations institutionnelles. Il n’est pas question de

gommer les différences entre les sociétés humaines, mais de

contribuer à mettre au jour des mécanismes d’interactions entre

les hommes et leur milieu, de saisir les modalités du passage de

la nature à la culture humaine pour comprendre ce qui constitue

l’unité de l’homme.

Dans cette perspective, un article de Lévi-Strauss fait date : «

l’Analyse structurale en linguistique et en anthropologie »

(1945), repris dans Anthropologie structurale I (1958), où il

formule les principes fondamentaux de sa méthode de

recherche. Inspiré par les travaux de la linguistique —

notamment par ceux de Nicolas Troubetskoï et de Roman

Jakobson avec qui il se lie d’amitié — Lévi-Strauss postule que

les faits sociaux sont structurés par un ensemble de

déterminations inconscientes qui s’articulent de manière à

former un système organisé. Chacun des éléments de ce système

ne se définit que dans la relation qu’il entretient avec les autres

; l’analyse structurale consiste donc à dégager les lois générales

qui régissent ces relations. Telle est la méthode appliquée dans

son maître ouvrage, les Structures élémentaires de la parenté

(1949), où sont analysées les formes prototypiques de l’alliance

matrimoniale. Il s’agit pour Lévi-Strauss de montrer que, sous la

diversité des systèmes de parenté propres à chaque société, il

Page 31: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

existe des règles universelles. Ainsi en est-il de l’interdit

concernant l’inceste qui, dans toutes les sociétés et de manière

diversement codifiée, conditionne les relations d’alliance

matrimoniale.

4 LES MYTHOLOGIQUES

L’application de l’analyse structurale à l’étude des mythes est

centrale dans l’œuvre de Lévi-Strauss. Les mythes sont une

forme du récit qu’il faut considérer comme un instrument

intellectuel à partir duquel les sociétés formulent des réponses

originales à des questions que se pose l’humanité en général

(origine du monde, de l’Homme, phénomènes astronomiques,

météorologiques, etc.).

L’objectif fixé par les quatre volumes des Mythologiques (le Cru

et le Cuit, 1964 ; Du miel aux cendres, 1966 ; l’Origine des

manières de table, 1968 ; l’Homme nu, 1971) est de comprendre

les mécanismes de construction de la pensée mythique ; mais

c’est aussi une véritable plongée dans les catégories les plus

fondamentales de la pensée symbolique. Cette vaste enquête

prolonge, en quelque sorte, l’étude des systèmes de parenté qui

sont aussi des systèmes de symboles offrant un terrain

privilégié pour saisir la spécificité de l’esprit humain.

Conjointement, à travers l’analyse structurale, la recherche de

Lévi-Strauss amène à cette constatation majeure : tout système

mythologique est le reflet d’une structure sociale indissociable

d’un système de valeurs déterminé. Étudier et comparer les

mythes, c’est découvrir comment, dans une société donnée, les

techniques, l’art, les croyances religieuses, l’économie,

l’organisation politique, les liens de parenté sont des aspects

interdépendants de la vie sociale et constituent des domaines qui

se répondent à des niveaux différents d’une même structure.

Page 32: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Dans cette ligne, avec le Totémisme aujourd’hui (1962) et la

Pensée sauvage (1962), Lévi-Strauss montre que, loin d’être

l’expression d’une mentalité primitive et arbitraire de l’Homme,

les mythes traduisent des opérations de pensée complexes et

fournissent des modèles logiques à travers lesquels les sociétés

dites « traditionnelles » structurent leurs représentations du

monde et d’elles-mêmes.

5 UN HUMANISTE DANS LE SIÈCLE

En 1952, sur une commande de l’Unesco, Lévi-Strauss rédige un

texte intitulé Race et Histoire (repris dans Anthropologie

structurale II, 1973) qui donne au structuralisme la dimension

d’un nouvel humanisme. Mettant à profit les acquis de la

réflexion ethnologique, Lévi-Strauss récuse l’idéologie raciste en

remettant en cause le préjugé d’une relation entre l’apparence

physique d’un individu et ses dispositions morales, et l’idée d’une

hiérarchisation des « races » fonction de leurs productions

culturelles. C’est pourquoi Lévi-Strauss rejette la notion de «

progrès » liée à l’histoire et au développement technique de la

civilisation occidentale, parce qu’elle « implique l’idée que

certaines cultures, en des temps et en des lieux déterminés,

sont supérieures à d’autres, puisqu’elles ont produit des œuvres

dont ces dernières se sont montrées incapable de produire » (De

près et de loin, 1988). On ne saurait donc se pencher sur le

problème de « l’inégalité des races humaines » sans aborder le

problème de la diversité entre des cultures humaines qui

conditionne la perception d’une différence de « nature » entre

les groupements humains.

Enfin, il est absurde de décréter qu’une culture est « supérieure

» à une autre, car dans l’humanité aucune société ne s’est

développée à l’écart des autres : aucun groupement social n’étant

jamais absolument endogène, il est le produit historique

Page 33: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

d’échanges et de relations « interhumaines », au cours

desquelles ont fusionné des influences culturelles variées.

ROBERT LOWIE

Lowie, Robert (1883-1957), anthropologue américain.

Né à Vienne, il émigre avec sa famille à New York en 1893, et il

entre à l’université Columbia où il devient le disciple de Franz

Boas. En 1921, il est nommé professeur d’anthropologie à

l’université de Californie à Berkeley, titre qu’il gardera jusqu’à sa

retraite en 1950.

S’étant livré, de 1910 à 1916, à des études de terrain chez les

Indiens Crow (Indiens des plaines) qui lui ont permis d’enrichir

ses connaissances dans le domaine de l’organisation sociale et

politique, il remet en question, dans son ouvrage Primitive

Society (1920), les tendances à la théorisation abusive et

notamment l’évolutionnisme finaliste de Lewis Henry Morgan. À

l’origine de la méthode comparative, critique du diffusionnisme,

on a aussi pu le considérer comme un précurseur du

structuralisme.

Après avoir tenté de retracer la genèse de la centralisation du

pouvoir dans les sociétés sans État, il fait paraître Social

Organization (1948), qui actualise Primitive Society, et se

consacre, avec The German People : a Social Portrait to 1945 et

Toward Understanding Germany (1954) à l’étude de l’Allemagne

et de l’Europe.

MICHEL LEIRIS

1 PRÉSENTATION

Page 34: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Leiris, Michel (1901-1990), écrivain et ethnologue français dont

l’œuvre autobiographique, en partie fondée sur la psychanalyse,

utilise le langage comme un procédé d’investigation.

2 LE SURRÉALISME

Né à Paris, Michel Leiris connaît une enfance bourgeoise passée

dans le quartier d’Auteuil. Après une formation classique puis de

brèves études scientifiques, il fréquente les surréalistes,

collabore à la revue d’art, d’archéologie et d’ethnographie

Documents (1929-1934) et écrit ses premiers poèmes dont «

Simulacre » (1925), marqué par l’influence de Max Jacob. Deux

ans plus tard, il passe au récit avec le Point cardinal, texte

surréaliste et onirique. À cette même époque, il fait la

connaissance du peintre André Masson avec lequel il se lie

d’amitié. Du surréalisme — mouvement auquel il participe dès

1924 —, il retient l’importance accordée aux rêves, au hasard et

aux rencontres verbales fortuites.

Son unique roman, Aurora, écrit dans les années 1920 mais publié

en 1946, se développe à partir de jeux sur l’homonymie : le nom

du personnage éponyme se transforme en « Horrora », « Or-aura

», « Eau-Rô-Râh », marques graphiques des métamorphoses

successives de l’héroïne. L’année 1929 marque une rupture dans

l’itinéraire de Michel Leiris. Sa collaboration à la revue

Documents, dirigée par Georges Bataille, entraîne une brouille

avec André Breton et l’éloigne du surréalisme.

3 L’ETHNOLOGIE

Nommé secrétaire archiviste d’une mission ethnologique qui le

mène de Dakar à Djibouti entre 1931 et 1933, Michel Leiris

témoigne de son expérience dans l’Afrique fantôme (1934),

journal de voyage où, désabusé, il se met en marge d’une

Page 35: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

ethnologie officielle trop inspirée par la politique coloniale. Cet

ouvrage voit naître deux pratiques conjuguées en un seul et

même livre : l’autobiographie et l’ethnologie. Ce texte ouvre la

voie à l’entreprise autobiographique de l’écrivain qui, tout en se

consacrant à la littérature, poursuit ses recherches sur les

sociétés primitives au musée de l’Homme et au CNRS, soutient

sa thèse sur la Langue secrète des Dogons (1939) et fonde avec

Roger Caillois et Georges Bataille le Collège de sociologie en

1936. Militant, pour lequel « toute poésie vraie est inséparable

de la Révolution », Michel Leiris est un ardent défenseur des

mal-logés et des populations immigrées, et un sympathisant des

révolutions cubaine et chinoise.

4 LE PROJET AUTOBIOGRAPHIQUE

La grande œuvre de Michel Leiris reste son autobiographie, dont

le premier volume, l’Âge d’homme (1939), est écrit après une

psychanalyse entreprise pour « mettre à nu certaines obsessions

», vaincre une angoisse de l’impuissance intellectuelle et sexuelle

et une obsession du suicide. Michel Leiris qualifie l’Âge d’homme

de « photomontage ». Il y livre ses souvenirs d’enfance, ses

terreurs, ses rêves, ses fantasmes.

Cet ouvrage préfigure la tétralogie de la Règle du jeu qu’il rédige

pendant plus de trente ans. Les quatre tomes de cette œuvre

monumentale, Biffures (1948), Fourbis (1955), Fibrilles (1966)

et Frêle Bruit (1976), portent eux aussi la marque de la

psychanalyse dans l’importance accordée à la sexualité.

Renonçant au récit chronologique pour une écriture sinueuse

tirant parti des jeux verbaux et des lapsus, l’autobiographie de

Michel Leiris doit aussi à l’influence surréaliste des débuts,

tandis qu’il emprunte sa méthode de travail à l’ethnologie (fiches

d’observation, montage ultérieur) et met l’accent sur

l’importance du sacré dans l’évocation de son expérience

Page 36: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

personnelle. Celle-ci, toujours rattachée au mythe, a vocation

universelle. La passion de Michel Leiris pour le langage donne la

tonalité de l’ensemble de sa production.

RICHARD LEAKEY

Leakey, Richard (1944- ), paléoanthropologue kenyan, fils de

Louis et de Mary Leakey, né à Nairobi. Il conduisit sa première

expédition scientifique (à West Natron, Tanzanie) à l'âge de 19

ans et a depuis lors mené des expéditions dans divers sites du

Kenya, notamment dans la basse vallée de l'Omo, en Éthiopie. Les

fouilles menées par Leakey sur les rives du lac Turkana, au nord

du Kenya, aboutirent aux découvertes d'un grand nombre

d'hominidés, et à une révision spectaculaire des théories sur les

débuts de l'évolution humaine. Ces découvertes comprirent un

certain nombre de crânes et autres ossements très anciens du

genre Homo, et le tout premier crâne d'Australopithecus

robustus. L'une des découvertes les plus spectaculaires fut le

squelette presque complet d'un adolescent, découvert en 1984 à

Nariokotome, sur la rive ouest du lac Turkana. Avec une datation

d'environ 1,6 million d'années, il s'agit du squelette le plus

complet datant de cette époque. En 1983, Leakey participa à une

autre découverte capitale : la mâchoire, les dents et des

fragments de crâne vieux de 17 millions d'années du

Sivapithecus, l'ancêtre commun possible des humains et des

singes.

MARY LEAKEY

Leakey, Mary (1913-1996), paléontologue britannique, célèbre

pour ses découvertes fondamentales en paléontologie, qui ont

fait considérablement progresser la compréhension de l’évolution

humaine.

Page 37: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Fille d’un peintre paysager, Mary Leakey naît en Angleterre et

voyage à l’étranger durant une grande partie de son enfance. Elle

découvre l’anthropologie à l’âge de onze ans, à l’occasion d’une

visite des sites préhistoriques de Dordogne. Elle suit plus tard

des cours d’anthropologie et de géologie à University College, à

Londres, et se spécialise dans l’étude des outillages lithiques.

Elle participe à des fouilles en Angleterre et, en 1931, mène une

étude de la culture clactonian dans l’Essex. Elle participe ensuite

aux expéditions du paléontologue Louis Leakey en Afrique, et

l’épouse en 1936.

Dans les gorges de l’Olduvai (Tanzanie) en 1959, Mary Leakey

fait une découverte capitale : un crâne de zinjanthrope

(Zinjanthropus) vieux de 1,8 million d’années, qui révèle pour la

première fois la grande ancienneté des hominidés en Afrique. À

Laetoli, également en Tanzanie, elle découvre en 1975 des restes

fossiles d’Homo habilis, considéré comme le premier

représentant du genre Homo. En 1979, elle met au jour les

empreintes fossilisées, datant de 3,6 millions d’années, d’un

hominidé.

LOUIS SEYMOUR LEAKEY

Leakey, Louis Seymour (1903-1972), paléoanthropologue et

préhistorien kenyan d’origine anglaise, connu pour ses

découvertes d’hominidés fossiles.

Fils de missionnaires anglais, Louis Leakey est né à Kabete, au

Kenya, et est élevé parmi le peuple kikuyu. Il écrit plus tard une

étude complète sur leur culture. Leakey suit ses études à

l’université de Cambridge, où il obtient un doctorat

d’anthropologie. À l’âge de vingt ans, il interrompt ses études

universitaires pour revenir en Afrique, en tant que membre d’une

expédition d’étude de reptiles fossiles menée par le British

Page 38: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Museum au Tanganyika (aujourd’hui partie principale de la

Tanzanie).

À partir de 1926, Leakey conduit des campagnes de prospections

archéologiques dans l’Olduvai, les gorges d’une rivière du

Tanganyika, où il met au jour des fossiles importants et des

outils préhistoriques. En 1948, il annonce la découverte au Kenya

d’un crâne datant d’environ 20 millions d’années, qu’il appelle

Proconsul africanus.

Le nom de Louis Leakey est également associé à deux

découvertes capitales réalisées par sa femme et partenaire de

travail, Mary Leakey : les vestiges fossiles du zinjanthrope

(Zinjanthropus), datant d’environ 1,8 million d’années, trouvés à

Olduvai en 1959, et d’Homo habilis (« homme habile »), mis au

jour en 1960, considéré comme le premier représentant du genre

Homo (2 millions d’années) et le premier véritable fabricant

d’outils. L’importance de ces fossiles dans le monde de

l’anthropologie physique est universellement reconnue.

Dans les dernières années de sa carrière, Leakey s’intéresse de

plus en plus au comportement des primates. Il aide à mettre en

place des projets de recherche d’avant-garde, tels ceux de Jane

Goodall, qui travaille sur les chimpanzés de Gombe en Tanzanie ;

de Dian Fossey, qui étudie les gorilles de montagne du Rwanda ;

et de Birute Galdikas Brindamour, qui réalise des recherches sur

les orangs-outans du Sarawak en Indonésie.

EDMUND RONALD LEACH

1 PRÉSENTATION

Leach, Edmund Ronald (1910-1989), anthropologue britannique.

2 .DE LA MÉCANIQUE À L’ANTHROPOLOGIE

Page 39: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Né à Sidmouth (Angleterre), Edmund Ronald Leach se forme

d’abord en mathématiques et mécanique ; il part travailler

comme ingénieur dans une entreprise en Chine, durant quatre

ans. Il s’essaie à l’ethnologie lors d’un séjour chez les Yami (sur

l’île de Batel Tobago, à Taïwan) et, en 1935, à son retour en

Grande-Bretagne, il entreprend d’étudier l’anthropologie à la

London School of Economics, avec notamment comme

professeurs Bronislaw Malinowski et Alfred R. Radcliffe-Brown.

Un court séjour chez les Kurdes (1938) lui permet d’écrire son

premier ouvrage, Social and Economics Organisation of the

Rawanduz Kurds (1941).

Son second terrain, perturbé par la Seconde Guerre mondiale,

prend place chez les Kachin de Birmanie — Leach sera incorporé

à l’armée birmane durant la guerre.

Anthropologue reconnu, Edmund Leach enseigne l’anthropologie à

la London School de 1947 à 1953, puis à Cambridge (1953-1978),

jusqu’à sa retraite.

3 ENTRE ANTHROPOLOGIE POLITIQUE, CULTURELLE ET

SOCIALE

À la suite de son séjour en Birmanie, Leach publie les Systèmes

politiques des hautes terres de Birmanie. Analyse des structures

sociales kachin (Political Systems of Highland Burma. A Study of

Kachin Social Structure, 1954), où il expose sa théorie

dynamique de l’anthropologie sociale : critiquant le

fonctionnalisme de Radcliffe-Brown, il met en lumière

l’importance du conflit dans l’équilibre des systèmes sociaux. En

effet, il considère que la réalité empirique est toujours

caractérisée par un état d’instabilité (à la différence du modèle

construit par l’ethnologue, qui illustre un équilibre idéal, mais

fictif) et que, par conséquent, des changements structurels sont

perpétuellement induits par la dynamique sociale (Georges

Page 40: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Balandier fait de ce constat la base de ses recherches sur

l’anthropologie dynamique). Le deuxième livre important de Leach

est issu d’un séjour à Ceylan (l’actuel Sri Lanka) ; intitulé Pul

Eliya, a Village in Ceylon (« Pul Eliya, un village de Ceylan », 1961),

il décrit le fonctionnement d’une communauté, particulièrement

les processus d’appropriation et de transmission des terres, en

relation avec les liens de parenté et les stratégies

matrimoniales.

Enfin, dans Rethinking Anthropology (Critique de l’anthropologie,

recueil d’articles écrits de 1940 à 1959, publié en 1961), Leach

remet en cause la méthodologie de la discipline, et prône la

recherche de lois générales plutôt que la collecte systématique

(qualifiant les fonctionnalistes comme Radcliffe-Brown de «

collectionneurs de papillons anthropologiques »). À la recherche

de modèles formels, qui ne soient plus susceptibles d’être taxés

d’ethnocentrisme, il se penche sur les catégories rituelles

indigènes et les formes d’expression rituelles (Culture and

Communication, 1976 ; l’Unité de l’homme, recueil d’articles,

1980). Parfois proche de la théorie structuraliste de Lévi-

Strauss, notamment par son intérêt pour les modèles formels, il

s’en écarte toutefois, et souligne dans un essai leurs différences

fondamentales (Claude Lévi-Strauss, 1970).

Edmund Leach a développé tout au long de son œuvre une pensée

originale, indépendante, et qui a nourri bon nombre de débats

théoriques — son humour ravageur et agressif lui attirant la

sympathie ou l’antipathie de ses pairs, mais rarement

l’indifférence.

ALFRED LOUIS KROEBER

Kroeber, Alfred Louis (1876-1960), anthropologue américain

dont les travaux portent sur l'anthropologie physique et

linguistique, l'archéologie et l'ethnologie. Né à Hoboken, dans le

Page 41: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

New Jersey, il fit ses études à l'université Columbia. Il enseigna

à l'université de Californie de 1901 à 1946, et devint professeur

d'anthropologie en 1916. Il fut aussi successivement

conservateur puis directeur du musée anthropologique de

l'université de 1908 à 1946. Kroeber mena un certain nombre

d'expéditions de recherches sur les Indiens d'Amérique, en

particulier dans le sud-ouest des États-Unis, et participa à des

expéditions au Mexique en 1924 et 1930, et au Pérou en 1925,

1926 et 1942. Il fut l'une des autorités les plus éminentes pour

ce qui concerne les langues, les religions et les cultures des

peuples amérindiens. Il eut une grande influence sur la

planification et l'exécution du travail de terrain anthropologique

aux États-Unis et sur l'enseignement de cette matière dans les

universités américaines, en grande partie grâce à son manuel

intitulé Anthropology (1923, mis à jour en 1948). En 1917 il fonda

l'American Anthropological Society. Parmi les autres ouvrages

de Kroeber figurent Handbook of Indians of California (1925),

Peruvian Archaeology (1944) et Style and Civilization (1957).

ABRAM KARDINER

Kardiner, Abram (1891-1981), psychiatre, psychanalyste et

anthropologue américain, un des principaux fondateurs de

l’anthropologie culturelle.

Né à New York en 1891, Abraham Kardiner fit des études à

l’université Cornell, rejoignit Freud à Vienne en 1921, puis

travailla en tant que psychanalyste à l’Institut psychanalytique

de New York, tout en enseignant l’anthropologie et la psychiatrie

à Cornell, puis à Columbia. Dès 1922, s’intéressant aux relations

entre culture et personnalité, il créa un séminaire consacré aux

sociétés primitives, où se noua un dialogue entre psychiatrie et

anthropologie. Il chercha à analyser l’impact de la culture d’une

société donnée sur les individus qui la composent.

Page 42: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

L’Individu dans la société. Essai d’anthropologie psychanalytique

(1939, traduction française 1969) et l’ouvrage collectif The

Psychological Frontiers of Society (1945) présentent les

résultats de ses recherches. Il y développe la notion de

personnalité de base, représentant l’individu moyen d’une

société, construite à partir des institutions primaires — en

premier lieu, l’éducation —, qui transmettent les valeurs que la

société se donne pour fondamentales. C’est là la marque de la

culture sur l’individu. À l’inverse, les institutions secondaires,

comme les croyances religieuses, reflètent la personnalité de

l’individu et expriment ses réactions à l’influence des institutions

primaires.

En 1955, Abraham Kardiner fonda sa propre clinique

psychanalytique. De 1961 à 1968, il enseigna à l’université Emory

d’Atlanta.

JOSÉ MARIA ARGUEDAS

1 PRÉSENTATION

Arguedas, José María (1911-1969), écrivain et ethnologue

péruvien, l'une des figures majeures du mouvement indigéniste

latino-américain, promoteur d'un métissage des cultures andine

d'origine quechua et urbaine d'origine européenne.

2 UNE VOCATION INDIGÉNISTE

2.1 Le refuge quechua

José María Arguedas est né à Andahuaylas, au cœur de la région

andine la plus déshéritée du Pérou, dont les paysages et les

personnages peuplent son œuvre. La mort de sa mère, alors qu’il

n’a que trois ans, et les nombreuses absences de son père,

avocat, l’obligent à vivre avec sa belle-mère, riche propriétaire

Page 43: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

terrienne, et le poussent à chercher refuge parmi les paysans

indiens de la région, dont il assimile le langage — le quechua —,

les croyances et les valeurs. (Voir aussi Amérindiens).

2.2 L’engagement

Admis, en 1931, à la faculté de Lettres de l’université San

Marcos de Lima, il éprouve une grande difficulté à s’adapter à la

vie urbaine. À la mort de son père, il est obligé de subvenir à ses

besoins et est engagé comme employé des postes à Lima. En

1937, après avoir participé à une manifestation d’étudiants

d’extrême gauche protestant contre la venue d’un envoyé de

Mussolini, il est emprisonné à El Sexto, prison de Lima, où il

côtoie des criminels et des assassins ainsi que des militants

politiques qui lui inspirent quelques années plus tard un court

roman, El Sexto (1961).

2.3 De l’étude du folklore à l’ethnologie

Devenu professeur en 1939, il se marie et commence à

s’intéresser à l’ethnologie. En 1947, il est nommé conservateur

général du folklore au ministère de l’Éducation nationale.

Dépressif, il cesse son activité et en profite pour suivre des

études d’anthropologie. Il enseigne alors le quechua puis est

nommé directeur de l’Institut d’études ethnologiques du musée

de la Culture. Il publie la revue Folklore Americano. Sa thèse sur

les communautés espagnoles et péruviennes lui permet de

voyager en Europe en 1958. De retour au Pérou, il prend la

direction de la chaire d’ethnologie à l’université de San Marcos.

Docteur en ethnologie, en 1963, il sillonne les routes d’Amérique

latine, prend la tête de la maison de la culture du Pérou (1963),

du musée national d’Histoire (1964), du département de

Sociologie de La Molina (1968).

Page 44: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

2.4 Constat d’un déracinement

Il fonde et publie également plusieurs revues et participe à de

nombreux colloques littéraires. Divorcé en 1965, il se remarie en

1968. Ne voulant pas renoncer à la tradition indigène, il vit dans

sa propre chair l’expérience de tout Andin déraciné. N’étant

jamais tout à fait parvenu à surmonter ce déchirement culturel,

malgré sa réussite professionnelle et souffrant de dépression

nerveuse, il se suicide en 1969.

3 UNE ŒUVRE INDIGÉNISTE

3.1 Une défense indigéniste modérée

Dans son recueil de nouvelles Eau (Agua, 1935), dans son premier

roman Yawar fiesta (1941), comme dans le recueil Diamants et

Silex (Diamantes y Pedernales, 1954), Arguedas exprime la

tendresse qu’il voue aux populations andines et la profonde

connaissance qu’il a de l’âme indienne, fustigeant dans le même

temps et avec la même force l’asservissement et la misère

auxquels les réduit la voracité des propriétaires terriens blancs,

les latifundistes. Ce faisant, soucieux d’éviter le

conventionnalisme de la littérature indigéniste de dénonciation, il

s’efforce d’offrir de la vie andine une vision aussi juste que

possible, par le biais d’une approche plus intériorisée. Ces

précautions, il les justifie par le souci de ne pas verser dans un

racisme inversé. Arguedas reste ainsi modéré et ne tombe pas

dans la problématique marxiste et anti-impérialiste d’auteurs

plus virulents comme José Carlos Mariátegui (1894-1930, l’un

des principaux penseurs marxistes latino-américains) ou Ciro

Alegría (auteur très engagé politiquement), tous deux «

indigénistes ».

Page 45: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

3.2 Une œuvre lyrique entre mythe et réalité

D’une œuvre abondante, on retiendra principalement trois

romans : les Fleuves profonds (Los ríos profundos, 1956), Tous

sangs mêlés (Todas las sangres, 1964) et le Renard d’en haut et

le Renard d’en bas (El zorro de arriba y el zorro de abajo, 1971),

un roman / journal intime que son suicide a laissé inachevé.

De ces trois titres, les Fleuves profonds est peut-être celui qui

exprime le mieux tout le lyrisme et la profondeur du monde

mythique des indigènes, son unité cosmique avec la nature et la

persistance de ses traditions magiques. Ce roman parvient en

effet à montrer toute la variété, toute la richesse cachée d’un

Pérou andin engagé dans un intense processus de métissage.

Dans Tous sangs mêlés, roman foisonnant aux personnages

innombrables, Arguedas fait le récit de l’affrontement que se

livrent d’un côté les latifundistes, soutenus, mais aussi de plus en

plus remplacés par les grands groupes économiques, et les

populations indigènes de l’autre. Au-delà de l’intrigue proprement

dite, c’est bien sûr la disparition d’un monde, celui de la société

rurale indienne, attachée à ses racines (mais qui adhère aussi,

pour une partie d’entre elle, au progrès, seule solution pour

sortir de la stagnation) et la naissance d’un monde nouveau que

l’auteur évoque.

D’autres récits, enfin, comme El Sexto (1961), La agonía de Rasu

Ñiti (1962) et Amor mundo (1967), complètent sa vision du

monde. Considéré parfois comme l’un des maîtres d’un nouveau

réalisme magique, il devient après son suicide une figure

mythique pour de nombreux intellectuels et mouvements

impliqués dans le même combat politique en faveur des

populations andines.

FRANÇOISE HÉRITIER

Page 46: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Héritier, Françoise (1933- ), anthropologue française.

Née à Veauche, Françoise Héritier a été directeur d'études à

l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle a

été nommée en 1983 professeur au Collège de France à la chaire

d’étude comparée des sociétés africaines.

Auteur de travaux sur les Samo du Burkina dans le cadre du

laboratoire de Lévi-Strauss, elle a mis en évidence la faculté de

toute société à organiser sa reproduction pour ne pas

contrevenir aux normes qui régissent la personne et l'Univers.

Ses recherches sur la terminologie et sur les lois de la parenté

ont pris pour point de départ le système omaha (terminologie qui

spécifie le mariage d'un homme avec une femme, avec la sœur du

père de celle-ci, comme avec la fille du frère de la même femme)

et ses prohibitions, dont l'inceste est l'infraction la plus grave

et la plus lourde de conséquences quant à l'équilibre de la

société. C'est ainsi qu'elle a porté ses recherches sur les

systèmes complexes (liberté du choix du conjoint, hormis

l'inceste proprement dit) et semi-complexes (interdits divers

sans mariage préférentiel spécifique imposé). Elle est

notamment l'auteur de l'Exercice de la parenté (1981), les

Systèmes semi-complexes (1990), les Systèmes complexes

(1991), De l'inceste (1994) et Deux sœurs et leur mère (1994).

ARTHUR HOCART

Hocart, Arthur (1883-1939), anthropologue britannique.

Né à Etterbeck (Belgique), il passe son enfance à Guernesey où

son père s’est installé comme pasteur. Il étudie l’histoire au

collège Exeter d’Oxford de 1902 à 1906 et fait la connaissance

d’Edward Evan Evens-Pritchard. Par la suite, il part à Berlin

étudier la philosophie et la psychologie. En 1908-1909, il est

membre de l’expédition de recherches que P. S. Trust dirige

avec le médecin et ethnologue britannique William Halse Rivers

Page 47: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

aux îles Salomon. Il devient directeur d’école dans l’une des îles

Fidji de 1909 à 1912 et se consacre alors à l’anthropologie.

Enseignant au collège universitaire de Londres de 1932 à 1934, il

remplace Evens-Pritchard à la chaire de sociologie de l’université

du Caire de 1935 à sa mort.

Refusant le courant fonctionnaliste alors dominant, il fait

aujourd’hui figure de précurseur car ses travaux font une large

place aux institutions sociales (les Castes, 1936), aux rituels

(Rois et courtisans, 1979), ainsi qu’aux échanges cérémoniels (le

Mythe sorcier, 1973). Il nous a laissé également des études

importantes et précises sur les îles Fidji et sur Ceylan (actuel

voir Sri Lanka).

MARCEL GRIAULE

Griaule, Marcel (1898-1956), ethnologue français, célèbre pour

ses recherches consacrées aux Dogon. Homme de terrain, il a su

valoriser ses recherches auprès du public et des institutions.

Né à Aisy-sur-Armançon (Yonne), Marcel Griaule est l’élève de

Marcel Mauss et du linguiste Marcel Cohen. En 1927, il obtient

un premier diplôme d'amharique et commence ses recherches en

Abyssinie (1928-1929). En 1931, il est élu secrétaire-général

adjoint de la Société des africanistes (créée la même année) et

profite de la grande Exposition coloniale pour organiser la

mission Dakar-Djibouti (1931-1933). Celle-ci rompt avec les

expéditions classiques — mettant en avant essentiellement

l'exploration — et permet de mener une étude en profondeur

des populations et des mentalités. Assisté de Michel Leiris,

chargé de tenir le « journal » de la mission, il traverse le pays

dogon au Mali ; les habitants, au centre de ses recherches, sont

le motif d'un très long séjour sur le terrain qui reste un modèle

du genre.

Page 48: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Denise Paulme et Deborah Lifchitz font partie de la mission

suivante en pays dogon (mission Sahara-Soudan, 1935). Germaine

Dieterlen (1903-1999), sa disciple et sa continuatrice, est

associée à la mission Sahara-Cameroun (1936-1937). En 1941,

Marcel Griaule remplace Marcel Cohen à l'INLCOV (École des

langues orientales), interdit de cours en raison des lois

antisémites, et occupe, l'année suivante, la chaire

d'ethnographie qui vient d'être fondée à la Sorbonne.

C'est en 1946-1947, au cours d'une mission dans la vallée du

Niger, consacrée à l’étude des cosmologies dogon et bambara et

des sociétés bozo et kouroumba, qu'il fait sa désormais célèbre

rencontre avec Ogotemmêli ; les trente-quatre jours d'entretien

au cours desquels Ogotemmêli raconte la cosmologie et la

mythologie dogons donnent lieu, en 1948, à la publication du récit

Dieu d'eau, entretiens avec Ogotemmêli, un ouvrage grand public

qui met à mal toute idée préconçue sur la simplicité supposée de

la pensée africaine. Le livre montre toute la richesse des mythes

dogons, qui n’a rien à envier à celle des Grecs.

Outre de nombreuses publications scientifiques, Marcel Griaule

a relaté sa première mission en Abyssinie dans un récit de

voyage, les Flambeurs d'hommes (1934) et publié plusieurs

autres ouvrages sur l'art des Dogon et sur leur système de

pensée, notamment les Masques dogons (1938) et le Renard pâle,

en collaboration avec Germaine Dieterlen (1965). Son œuvre a

contribué au développement d’une école ethnologique fondée sur

l'étude des cosmologies propres à chaque peuple.

MARCEL GRANET

Granet, Marcel (1884-1940), sinologue et importante figure de

l’École de sociologie française.

Né à Luc-en-Diois (Drôme), il intègre l’École normale supérieure

en 1904 et passe l’agrégation d’histoire trois ans plus tard. En

Page 49: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

1911, il profite d’une mission du ministère de l’Instruction

publique pour parfaire ses connaissances de la Chine ancienne.

Travaillant à partir de différents corpus contenant les plus

anciens documents sur l’« Empire du Milieu », il reconstitue

cette société de manière sociologique et ethnographique. En

effet, au lieu de focaliser son attention sur l’histoire

événementielle, comme le font la plupart de ses contemporains, il

analyse dans ses ouvrages les Fêtes et Chansons anciennes de la

Chine (1919), les Danses et Légendes de la Chine ancienne (1926)

ou bien encore les Catégories matrimoniales et Relation de

proximité dans la Chine ancienne (1953).

Élu directeur d’études pour les religions de l’Extrême-Orient à

l’École pratique des hautes études en 1913, puis professeur à

l’Institut des langues orientales, il a été chargé du cours de

civilisation chinoise à la Sorbonne et a dispensé son

enseignement à l’Institut national des langues et civilisations

orientales vivantes (INLCOV).

SIR JAMES GEORGE FRAZER

1 PRÉSENTATION

Frazer, sir James George (1854-1941), anthropologue

britannique, pionnier de l’anthropologie religieuse.

James George Frazer est notamment l’auteur du Rameau d’or,

une étude monumentale sur les croyances et rites des peuples

primitifs et antiques du monde entier, qui a connu un succès

important auprès du grand public.

2 UN CHERCHEUR PASSIONNÉ

Né à Glasgow (Écosse), James George Frazer grandit au sein

d’une famille luthérienne profondément croyante. Il commence

Page 50: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

ses études à l’université de Glasgow, où il étudie les lettres

grecques et latines. Puis, admis à Trinity College (université de

Cambridge) et conformément à la volonté de son père, il fait son

droit mais ne donne aucune suite professionnelle à cette

formation. Il soutient par ailleurs une thèse sur Platon en 1879.

Sa découverte de l’anthropologie se fait par l’intermédiaire de

l’ouvrage d’Edward Tylor, la Civilisation primitive (Primitive

Culture, 1871). Il rencontre également à Cambridge

l’anthropologue et orientaliste William Robertson Smith,

spécialiste des religions des peuples sémitiques ; ce dernier lui

commande, pour l’Encyclopaedia Britannica dont il est alors l’un

des éditeurs, les articles « Tabou » et « Totémisme ». Cette

expérience incite James Frazer à se vouer au travail

intellectuel, et est à l’origine de son monumental travail sur les

mythes et les religions, le Rameau d’or (The Golden Bough: A

Study in Comparative Religion, dont deux premiers volumes sont

publiés en 1890). Son mariage en 1896 avec une Française, qui,

dévouée, gère pour lui les aspects matériels (pensions, honneurs)

et la diffusion de ses recherches (notamment en effectuant des

traductions vers le français), lui permet de se consacrer

totalement à sa science. Bien que restant un ethnologue « de

cabinet », Frazer est conscient de l’importance cruciale des

données collectées par les chercheurs de terrain, et entretient

avec certains d’entre eux une abondante correspondance ; il

rédige même un manuel à l’intention des ethnographes,

Questions on the Customs, Beliefs and Languages of Savages («

Questions sur les mœurs, croyances et langages des sauvages »,

1907).

Nommé chargé de cours (fellow) à Trinity College en 1879, il y

enseigne jusqu’à la fin de sa vie ; il occupe par ailleurs la chaire

d’anthropologie sociale à l’université de Liverpool de 1907 à

1908. Anobli en 1914, Frazer connaît une renommée importante,

nationale et internationale, et surtout en dehors du cercle

Page 51: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

anthropologique, et il donne de nombreuses conférences. Frappé

de cécité en 1931, il meurt dix ans plus tard, à l’âge de 87 ans —

sa femme s’éteint quelques heures plus tard, considérant « sa

tâche […] terminée ».

3. LE PÈRE DE L’ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE

3.1 Le Rameau d’or, une œuvre monumentale

Le Rameau d’or est publié en plusieurs étapes : la première

édition de 1890 comprend deux volumes, la seconde édition

(1900) trois volumes, et la troisième édition (1911-1915), douze

volumes. En 1935 paraît le treizième et dernier volume. Il est

subdivisé en plusieurs sous-volumes : le Roi magicien dans la

société primitive (The Magic and The Evolution of Kings) ; Tabou

ou les périls de l’âme (Taboo and the Perils of The Soul) ; le Dieu

qui meurt (The Dying God) ; Adonis. Atys et Osiris ; Esprit des

blés et des bois (Spirits of the Corn and of the Wild) ; le Bouc

émissaire (The Scapegoat) ; Balder le Magnifique (Balder the

Beautiful). Frazer se livre à une exploration des croyances,

rites, mythes et religions des peuples de l’Antiquité et des

sociétés primitives, compilant nombre de données du monde

entier (ce qui vaut à l’œuvre d’être qualifiée par Marcel Mauss

d’« encyclopédie des faits religieux »). Cet ouvrage a connu un

vif succès auprès du grand public, et, quoique fort critiqué pour

ses partis pris théoriques, a inspiré jusqu’à aujourd’hui nombre

d’anthropologues et de mythologues. Il est également à l’origine

de l’anthropologie religieuse.

Frazer prend pour point de départ un mythe de la Rome

archaïque : sur les bords du lac Nemi, le prêtre-roi, au service

de la déesse Diane, y est un esclave fugitif, qui vit près d’un

arbre sacré. Dès les premiers signes de faiblesse, un rituel

particulier préside à la succession du prêtre-roi : le «

remplaçant » (qui doit également être un esclave fugitif) ne peut

Page 52: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

occuper la place qu’après avoir arraché un rameau de l’arbre

sacré, puis tué son prédécesseur. Ce mythe, dont Frazer

interroge le sens (pourquoi sacrifier le roi ? pourquoi couper une

branche d’arbre ?), joue le rôle de fil conducteur, et permet à

Frazer de chercher à découvrir le fonctionnement de la pensée

primitive et des rituels magiques. Il théorise ainsi l’évolution des

sociétés en trois stades : la pensée magique, la pensée religieuse

et la pensée scientifique. Pour lui, le rite est le versant pratique

du mythe, tout comme la technique est le versant pratique de la

science.

3.2 Une théorie de la magie originale

Frazer expose également dans le Rameau d’or une théorie

originale de la magie. Il définit d’abord un premier grand

principe de la magie, le principe de sympathie ; la magie agit à la

fois par ressemblance et par imitation — par exemple, la fumée

d’un feu rappelle les nuages devant le soleil, et c’est pourquoi,

pour faire venir les nuages et la pluie, les Zuñi (un peuple du

Nouveau Mexique) pratiquent un feu cérémoniel. Frazer dégage

aussi deux autres lois pour tenter d’expliquer la causalité de

l’action magique ; la magie homéopathique, qui opère par

similitude (« tout semblable appelle le semblable », c’est-à-dire,

par exemple, le feu est semblable au soleil, ou l’ennemi est

incarné dans une figurine), tandis que la magie contagieuse joue

sur la pérennité spirituelle du contact (« les choses qui ont été

en contact continuent d’agir l’une sur l’autre à distance »,

expliquant ainsi pourquoi une rognure d’ongle, un cheveu,

continuent à être efficaces pour agir sur un ennemi). Frazer

dégage également des concepts comme la symbolique du pouvoir,

le dieu qui meurt, le transfert du mal, le bouc émissaire, qui sont

jusqu’à aujourd’hui des objets d’études en anthropologie.

Page 53: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

4 POSTÉRITÉ DE L’ŒUVRE

Le Rameau d’or est très vivement critiqué par les anthropologues

: théoriquement dépassé (la théorie anthropologique de

l’évolutionnisme, en vogue au moment du début de la rédaction,

dans les années 1890, est complètement obsolète lorsque paraît

le dernier tome du Rameau en 1920), et inexact — notamment

par une absence de contextualisation des éléments et faits, qui

interdit d’en tirer une signification culturelle et sociale. La

théorie de la magie est remise en cause très tôt par Henri

Hubert et Marcel Mauss (Esquisse d’une théorie générale de la

magie, 1902-1903).

Mais le Rameau d’or a également fécondé l’imaginaire occidental

et nourri les réflexions d’auteurs comme Rudyard Kipling, Ezra

Pound, William Butler Yeats, James Joyce, Ludwig Wittgenstein,

et enrichi les travaux de Sigmund Freud sur le totémisme. Le

psychanalyste et anthropologue Géza Róheim reprend quant à lui

les thèses du Rameau d’or pour les relire au regard de la

psychanalyse.

5 AUTRES ÉTUDES

Frazer, quoique absorbé dans son œuvre majeure, publie d’autres

ouvrages, tels Sur les traces de Pausanias à travers la Grèce

ancienne (Pausanias and Other Greek Sketches, 1898), Totemism

and Exogamy (« Totémisme et exogamie », 1910), très daté dans

son appréhension du totémisme. Le Folklore dans l’Ancien

testament (Folk-Lore in the Old Testament, 1918) appréhende le

récit biblique comme un matériau ethnographique, susceptible

d’être comparé à d’autres sources de témoignages. Mythes sur

l’origine du feu (Myths of The Origin of Fire, 1930) et la Crainte

des morts dans la religion primitive (The Fear of the Dead in

Page 54: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Primitive Religion, 1933), ses derniers ouvrages, restent fidèles

à la méthodologie de Frazer, fondée sur l’étude comparée.

SIR RAYMOND WILLIAM FIRTH

Firth, sir Raymond William (1901-2002), anthropologue néo-

zélandais.

Né à Auckland, Raymond Firth rédige une thèse sur l’industrie

de la viande congelée en Nouvelle-Zélande et suit les séminaires

de Tawney et de Malinowski. Ses travaux sur les Maoris

(Economic Psychology of the Maori en 1925 et The Primitive

Economics of the New Zealand Maori en 1927) et sur les

Tikopias des îles Salomon font sa renommée. Il retournera

d’ailleurs à maintes reprises sur cette île (1952, 1966 et 1972)

et publiera We, the Tikopia : A Sociological Study of Kinship in

Primitive Polynesia (seconde édition de 1961). De 1930 à 1932, il

enseigne l’anthropologie à l’université de Sydney et est nommé

également professeur à la London School of Economics de

l’université de Londres. En 1939, il se rend en Malaisie avec sa

femme, Rosemary Upcott, dans le but d’étudier une communauté

de pêcheurs. De son séjour, il fera paraître Malay Fishermen.

Their Peasant Economy (1946).

Critique du structuralo-fonctionnalisme, il s’intéresse à

l’adaptation des individus au quotidien et distingue le concept

d’organisation sociale de celui de structure sociale. Prompt à

dénoncer l’exploitation de l’homme (Famine, 1986), il est aussi

l’un des fondateurs des paradigmes de base en anthropologie

économique. Raymond Firth a été anobli en 1973.

SIR EDWARD EVAN EVENS-PRITCHARD

1 PRÉSENTATION

Page 55: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Evans-Pritchard, sir Edward Evan (1902-1973), anthropologue

britannique, pionnier de l’anthropologie politique.

Edward Evans-Pritchard occupe une place décisive dans

l’anthropologie africaniste, et dans la constitution de

l’anthropologie politique, notamment par ses recherches sur les

sociétés sans État. Il peut par ailleurs être considéré comme le

fondateur de l’école structurale britannique.

2. UN AFRICANISTE ET UN PÉDAGOGUE INFLUENT

Né à Crowborough (en Angleterre), Edward Evan Evans-

Pritchard suit d’abord des études d’histoire moderne à

l’université d’Oxford, puis étudie l’anthropologie à la London

School of Economics de Londres, où il obtient son doctorat en

1927 — élève puis collaborateur de Claude Gabriel Seligman, il

prend le relais du vieux professeur dans ses recherches auprès

des populations sud-soudanaises. De 1926 à 1940, il entreprend

ainsi une longue série de voyages d’études au Soudan, tout en

enseignant épisodiquement dans les universités de Londres et du

Caire (1932-1934). Il suit également des cours à l’université de

Londres, notamment ceux des anthropologues G. Elliott Smith et

W. J. Perry. En 1940, le gouvernement britannique utilise Evans-

Pritchard et sa connaissance des peuples sud-soudanais pour

lutter contre l’armée italienne en Éthiopie ; de 1942 à 1944, il

conseille l’administration militaire britannique en Cyrénaïque, et

étudie parallèlement la confrérie musulmane des Senoussis. À

l’issue de la guerre, il est nommé professeur d’anthropologie

sociale à l’université d’Oxford — où il succède à Reginald

Radcliffe-Brown. Il donne en 1950 une série de conférences à la

BBC, touchant ainsi un large public dans son entreprise de

vulgarisation — les conférences sont publiées en recueil sous le

titre Anthropologie sociale (Social Anthropology, 1956). Evans-

Prichard (surnommé « EP » par ses élèves et ses collègues)

Page 56: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

enseigne à Oxford jusqu’à la fin de sa carrière, en 1970 ; il est

anobli en 1971.

3 UNE VIE D’AFRICANISTE

Son premier ouvrage, Sorcellerie, oracles et magie chez les

Azandé (Witchcraft, Oracles and Magic among the Azande,

1937) va à l’encontre de nombreuses thèses développées par

l’ethnologue français Lucien Lévy-Bruhl sur la mentalité des «

primitifs » et leur mode de raisonnement « prélogique », que

Lévy-Bruhl oppose à la mentalité rationaliste des sociétés

occidentales. Evans-Prichard démontre avec force détails que

les croyances en apparence irrationnelles relatives à la

sorcellerie ou à la divination sont en fait systématiquement liées

entre elles : les croyances procèdent d’une fonctionnalité proche

d’une forme de rationalité caractéristique de la civilisation

occidentale. En fait, la magie et la sorcellerie remplissent chez

les Azandé une fonction psychologique en les rassurant sur leur

destin, et permettent également la régulation des conflits

sociaux.

Evans-Pritchard est surtout connu pour sa trilogie sur les Nuer,

un peuple de pasteurs nomades du Sud soudanais ; lorsqu’il y

arrive, en 1930, le pays nuer sort de plusieurs répressions

britanniques, et l’anthropologue ne gagnera jamais la confiance

de la population, considéré « non seulement comme un étranger,

mais comme un ennemi ». Il leur consacre cependant une

centaine d’articles et trois ouvrages. Dans les Nuer, description

des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple

nilotique (The Nuer: A Description of the Modes of Livelihood

and Political Institutions of a Nilotic People, 1940), il montre que

ceux-ci s’organisent d’après un système souple de segmentation,

où les hommes se réunissent en groupes, ou en unités plus

grandes, selon un ordre hiérarchique, en fonction de la nature de

Page 57: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

l’événement qui les préoccupe. Son ouvrage Parenté et Mariage

chez les Nuer (Kinship and Marriage Among the Nuer, 1951)

constitue une étude particulièrement riche des procédures et

des pratiques relatives à la parenté et à la vie familiale. Dans la

Religion nuer (Nuer Religion, 1956), recueil d’essais sur

différents aspects de la cosmologie et du symbolisme des Nuer,

il s’efforce de montrer que les croyances religieuses de ce

peuple jouent un rôle déterminant dans sa symbolique sociale,

notamment dans le système politique d’« anarchie ordonnée ». Il

montre en particulier l’importance du temps (temps cyclique des

travaux agricoles, temps linéaire des moments forts de la vie

sociale, comme le renouvellement tous les dix ans des classes

d’âge) dans la coordination des relations sociales.

Evans-Pritchard poursuit toute sa vie son travail de recherche

sur les Nuer et les Azandé ; il revient en particulier à ses

travaux avec les Azandé à la fin de sa vie et publie plusieurs

recueils (The Zande Trickster [« l’escroc zandé »], 1967 ; The

Azande: History and Political Institution [« les Azandé : histoire

et institutions politiques »], 1971 ; Man and Woman among the

Azande [« l’homme et la femme chez les Azandé »], 1974).

4 UNE PENSÉE ORIGINALE

4.1 Le fondateur de l’anthropologie politique

Evans-Pritchard publie en 1940, en codirection avec

l’anthropologue britannique Meyer Fortes, l’ouvrage collectif

Systèmes politiques africains (African Politican Systems).

Partant de ses travaux sur les Nuer, l’ouvrage tente, pour la

première fois, de classifier les systèmes politiques ; dans le

contexte colonial anglo-saxon, caractérisé par l’indirect rule —

gouvernement à travers les institutions existantes —, la

connaissance des habitudes et coutumes politiques locales

constitue un enjeu important. Evans-Pritchard distingue deux

Page 58: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

types d’organisation : les sociétés avec État (disposant d’un

appareil administratif) et les sociétés sans État, régies par des

règles complexes basées sur les lignages, les classes d’âge, les

sociétés secrètes… Il constate que dans ces sociétés règne

comme une « anarchie ordonnée », les alliances se faisant tantôt

selon le lignage tantôt selon le territoire ; les groupes sont ainsi

souvent remodelés, par scission ou fusion, et peuvent également

s’affilier à un ensemble plus large. Evans-Pritchard dégage le

concept de « distance structurale » afin d’expliquer le

fonctionnement des sociétés segmentaires : la structure est

pour lui une réalité mentale, et non plus une traduction directe

de l’organisation sociale.

En désaccord avec Bronislaw Malinowski, mais surtout avec

Alfred Radcliffe-Brown, sur la conception d’une anthropologie

comme une « science naturelle des sociétés », les théories qu’il

développe dans Systèmes politiques africains sont en rupture

avec la théorie fonctionnaliste ; véritable révolution

conceptuelle, le passage « de la fonction à la signification » est

parallèlement balisé en France par Claude Lévi-Strauss et le

structuralisme.

4.2 Entre anthropologie et histoire

Evans-Pritchard conçoit l’anthropologie comme une branche des

sciences humaines, et recommande aux anthropologues de faire

la jonction entre les cultures, dans une perspective

comparativiste. La dimension historique étant pour lui

indissociable d’une étude synchronique, il s’oppose à l’approche

de ses prédécesseurs Malinowski et Radcliffe-Brown et défend

le lien entre anthropologie et histoire : il confère ainsi à

l’histoire un rôle important dans l’explication des processus de

changement culturel, tel que décrit dans The Sanussi of

Cyrenaica (« Les Senoussis de Cyrénaïque », 1949), ou dans

Page 59: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

l’article « Anthropologie et histoire » (in les Anthropologues

face à l’histoire et la religion [Theories of Primitive Religion],

1965). De plus, il défend la connaissance de « terrain » comme

préalable à l’édification de théories, et affiche tout au long de

son œuvre un scepticisme certain à l’égard de l’existence de lois

universelles relatives aux comportements culturels.

L’influence déterminante de ses travaux et le grand nombre

d’étudiants qu’il a formés à Oxford font d’Edward Evans-

Pritchard une figure éminente de l’anthropologie britannique.

LOUIS DUMONT

Dumont, Louis (1911-1998), anthropologue français.

Ses recherches sur les castes indiennes ont mis en lumière leurs

caractéristiques fondées sur la notion de pureté plutôt que sur

celle de pouvoir. Elles s'inscrivent dans les études faites par

ailleurs, depuis les années soixante, sur l'analyse des systèmes

de pensée et leurs corrélations. Il est l'auteur de plusieurs

ouvrages : Homo hierarchicus. Le Système des castes et ses

implications, 1966 ; Homo æqualis, Genèse et épanouissement de

l'idéologie économique, 1977 ; l'Idéologie allemande, 1992.

PIERRE CLASTRES

Clastres, Pierre (1934-1977), anthropologue français connu pour

ses travaux sur l’anthropologie politique des sociétés

amérindiennes sans État. Né à Paris, de formation philosophique,

Pierre Clastres fut également un homme de terrain : il accomplit

de 1963 à 1974 diverses missions en Amérique du Sud. Son

premier séjour l’amena chez les Indiens Guayakis du Paraguay,

population alors presque inconnue, qui ignorait l’agriculture. Il en

fit le récit dans sa Chronique des Indiens Guayakis. En 1965, il

Page 60: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

séjourna chez les Indiens Guaranis du Paraguay dont il récolta

les paroles adressées aux dieux (le Grand Parler, 1974).

L’essentiel de la pensée de Pierre Clastres est développé dans la

Société contre l’État (1974) et les Recherches d’anthropologie

politique (1980), recueils d’articles publiés entre 1962 et 1977.

Il y critique l’analyse ethnocentrique des sociétés primitives

étudiées uniquement à la lumière de l’histoire occidentale.

L’affirmation courante selon laquelle ces sociétés ne connaissent

pas de pouvoir politique et sont prisonnières d’une économie de

subsistance masque, selon lui, leur rationalité originale.

Il montre, au contraire, que leur organisation est fondée sur la

destruction volontaire des risques d’inégalité en supprimant tout

surplus de production et en attribuant l’autorité politique à un

chef soumis à des devoirs, mais ne jouissant d’aucun droit. Il

propose alors une distinction de nature entre sociétés à pouvoir

coercitif et sociétés à pouvoir non coercitif.

PAUL HENRY CHOMBART DE LAUWE

Chombart de Lauwe, Paul-Henry (1913-1998), sociologue

français, notamment reconnu pour ses études de sociologie

urbaine.

Né à Cambrai, Paul Chombart de Lauwe fit des études

d’ethnologie et de psychologie. En 1940, il s’engagea dans la

Résistance et rejoignit deux ans plus tard les forces aériennes

en Afrique du Nord. En 1945, il mena, au Centre national de la

recherche scientifique (CNRS), ses premiers travaux sur

l’espace urbanisé, en s’appuyant sur des prises de vue aériennes.

Il fonda en 1949 le Groupe d’ethnologie sociale, et s’intéressa

particulièrement au milieu ouvrier. En 1952, le groupe publia un

ouvrage sur Paris et son agglomération. De nombreuses enquêtes

sociologiques aboutirent à la publication de la Vie quotidienne

des familles ouvrières (1956). En 1959, le groupe devint le

Page 61: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Centre d’ethnologie sociale, que Paul Henry Chombart de Lauwe

dirigea jusqu’en 1980.

En 1960, il entra à l’École des hautes études en sciences sociales

(EHESS), où il dirigea un séminaire sur les transformations de la

vie sociale et les processus d’interaction individus-groupes-

société. Puis, après Mai 68, il orienta ses recherches sur les

mouvements sociaux et le rôle des intellectuels.

Paul Henry Chombart de Lauwe est l’un des précurseurs de la

sociologie urbaine en France. S’appuyant sur l’ethnologie et la

psychosociologie, il s’intéressa au devenir des sociétés

industrialisées à travers les transformations sociales et les

processus de domination qu’elles génèrent. Parmi ses principaux

ouvrages, citons : Des hommes et des villes (1965) ; Pour une

sociologie des aspirations (1969) ; la Culture et le Pouvoir (1975)

; la Fin des villes. Mythe ou réalité ? (1982).

MICHEL DE CERTEAU

Certeau, Michel de (1925-1986), historien et anthropologue

français dont les recherches portent sur la construction des

objets d’étude de l’historiographie, de la théologie et de la

psychanalyse.

Né à Chambéry, Michel de Certeau poursuivit des études de

lettres et de philosophie, puis entra en 1950 dans la Compagnie

de Jésus. Docteur en science des religions, fortement influencé

par Henri Sonier de Lubac, membre de l’École freudienne de

Paris (jusqu’à sa dissolution en 1980), il enseigna successivement

à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Paris VII, puis à

l’université de San Diego et à l’École des hautes études en

sciences sociales. Mai 68 lui inspira des réflexions sur l’évolution

du savoir (la Prise de parole, 1968).

Michel de Certeau montra que l’historiographie tend à mettre en

relief un ensemble cohérent d’événements en omettant des

Page 62: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

éléments qui iraient à l’encontre de sa cohésion. Dans l’Absent de

l’histoire (1973), il cherche à rendre justice aux versants oubliés

du passé, notamment à la tradition orale, généralement ignorée

au profit des sources écrites.

La psychanalyse, qui attache une importance primordiale au

passé de l’individu, notamment à l’enfance qui détermine la

personnalité de l’adulte, considère que les événements

historiques appartiennent à l’« enfance de l’humanité ». Cette

métaphore, utilisée par de nombreux penseurs, de Hegel à

Auguste Comte, se retrouve notamment dans les travaux de

Freud consacrés à l’analyse des textes du XVIIe siècle qu’il

présente comme des témoignages d’un état naïf de la société.

Dans l’Écriture de l’histoire (1975) et dans la Fable mystique

(1982), Michel de Certeau met en évidence les ambiguïtés d’une

telle image. La vocation de la pensée, affirme-t-il, est

d’échapper à la tentation de tout conquérir, pour laisser

s’exprimer la Culture au pluriel (1980).

ROGER CAILLOIS

1 PRÉSENTATION

Caillois, Roger (1913-1978), anthropologue et poète français,

dont l’œuvre véhicule une réflexion sur l’imaginaire, sur le mythe

et sur le sacré.

2. UN ITINÉRAIRE INTELLECTUEL TRÈS RICHE

Né à Reims, Roger Caillois entre à l’École normale supérieure et

obtient l’agrégation de grammaire en 1936. Il rejoint le groupe

surréaliste en 1932, pour s’en séparer trois ans plus tard, en

publiant Procès intellectuel de l’art, où il exprime son désaccord

avec André Breton au sujet du merveilleux.

Page 63: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Plus tard, il se rapproche de Georges Bataille et, avec celui-ci et

Michel Leiris, fonde en 1938 le « Collège de sociologie », lieu de

réflexion anthropologique transdisciplinaire orienté sur la

question des rapports de l’Homme et du sacré. La même année, il

publie le Mythe et l’Homme et, l’année suivante, fait paraître

l’Homme et le Sacré, textes qui prolongent les travaux du

Collège de sociologie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il vit en Amérique du Sud,

où il fonde l’Institut français de Buenos Aires, et se consacre à

la traduction d’auteurs latino-américains, notamment Pablo

Neruda, Antonio Porchia et Jorge Luis Borges. Il crée également

la revue Lettres françaises, qui soutient la Résistance.

Après la guerre, de 1948 à 1971, il devient chef de division

chargé des affaires culturelles à l’Unesco, organisme avec le

soutien duquel il fonde une revue interdisciplinaire, Diogène

(1952). Parallèlement il s’efforce de promouvoir en France la

littérature sud-américaine en créant la collection « la Croix du

Sud » aux éditions Gallimard (1948).

Il consacre ensuite divers essais à l’écriture poétique (Art

poétique, 1958 ; Approches de la poésie, 1978), à l’esthétique

(Esthétique généralisée, 1962), à l’imaginaire onirique

(l’Incertitude qui vient des rêves, 1956 ; Pierres, 1966 ;

Approches de l’imaginaire, 1974), au fantastique (Au cœur du

fantastique, 1965) et au jeu (les Jeux et les Hommes, 1958).

En 1971, Roger Caillois est reçu à l’Académie française. Il a

laissé une autobiographie, le Fleuve Alphée, qui a été publiée en

1978.

3 UNE ŒUVRE À LA CROISÉE DE LA POÉSIE ET DE LA

SCIENCE

L’œuvre de Roger Caillois est tout à fait originale et

indépendante dans l’histoire de la pensée française du XXe

siècle. Si elle hérite du surréalisme son inclination pour

l’imaginaire, elle s’efforce d’en repenser les thèmes à la lumière

Page 64: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

d’une investigation scientifique afin de « déchiffrer

l’indéchiffrable ».

Effectuant l’inventaire des formes du monde minéral et animal,

cette œuvre est à la recherche d’une unité derrière la

multiplicité des formes. Veillant à dépasser les cloisonnements

des sciences spécialisées, elle convoque les sciences « diagonales

» pour proposer une approche complexe du monde. Attentive aux

symétries, aux dissymétries, aux cohérences et aux

récurrences, elle effectue des analogies entre les différentes

parties du réel et tente d’en dessiner les structures.

L’œuvre de Roger Caillois, quoique érudite, n’est pas animée par

un esprit rationaliste : elle mêle regard poétique, goût des mots

et rigueur du style. Conjuguant science, poésie et philosophie,

l’approche de Caillois aboutit à ce qu’on a pu appeler un «

mysticisme de la matière » : « Je parle des pierres : algèbre,

vertige et ordre ; des pierres hymnes et quinconces ; des

pierres, dardes et corolles, orée du songe, ferment et image. »

(Pierres, 1966).

Cette approche précise, rigoureuse, du monde et de l’imaginaire

provient chez Caillois d’un profond refus de la « littérature » —

il est proche en cela de Georges Bataille — et d’une grande

méfiance à l’égard du langage. Élève de Marcel Mauss et de

Georges Dumézil, il associe sociologie et anthropologie du sacré

dans sa compréhension de l’Homme.

Admirateur de Descartes et de Montesquieu, Caillois est

également l’un des premiers écrivains français à s’être intéressé,

en tant qu’essayiste, au roman policier (Puissances du roman,

1941).

FRANZ BOAS

Boas, Franz (1858-1942), anthropologue et ethnologue américain

d'origine allemande.

Page 65: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Né à Minden, il fit ses études à Heidelberg, Bonn et Kiel. En

1883-1884, il entreprit une exploration scientifique en arctique

dans la terre de Baffin, où il vécut avec les Inuits. Deux ans plus

tard, il émigra aux États-Unis et effectua le premier d'une série

de voyages destinés à l'étude des Kwakiutls et autres peuples

indigènes de Colombie-Britannique. En 1899, il devint le premier

professeur d'anthropologie de l'université Columbia, où il

enseigna jusqu'en 1937. Il organisa et participa à l'expédition du

Jesup North Pacific de 1902, qui lui permit d'envisager

l'existence d'un lien entre les cultures du nord de l'Asie et

celles du nord-ouest des États-Unis.

Les travaux anthropologiques de Boas sont devenus des

classiques du genre. Il insistait sur la nécessité de recherches

empiriques et descriptives, se méfiant des systématisations et

des classifications arbitraires. Par ses contributions

extrêmement diverses, il a également démontré la nécessité

d'étudier une culture sous tous ses aspects, au nombre desquels

il faut compter la religion, l'art, l'histoire, la langue, les

caractéristiques physiques du peuple, mais également le poids

des expériences individuelles. En montrant que les prétendus «

types raciaux » ne sont pas des caractéristiques stables, il

aboutit à une critique radicale du concept de « race pure », et

de l'opposition traditionnelle du primitif et du civilisé. Il est

l'auteur de la Croissance des enfants (1896), l'Esprit de

l'homme primitif (1911), Anthropologie et Vie moderne (1928) et

Race, langage et culture (1940).

JOHANN FRIEDRICH BLUMENBACH

Blumenbach, Johann Friedrich (1752-1840), naturaliste,

physiologiste et anthropologue allemand né à Gotha, qui fit ses

études aux universités d'Iena et de Göttingen. Il devint

professeur de médecine à l'université de Göttingen en 1776 et,

Page 66: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

en tant qu'enseignant, exerça une grande influence pendant plus

de cinquante ans. Considéré comme un des fondateurs de

l'anthropologie physique, Blumenbach fut parmi les premiers à

envisager l'anatomie comparée d'un point de vue scientifique.

Son Manuel d'anatomie comparée (1805) expose les résultats de

ses études portant sur les crânes de divers peuples. Blumenbach

se fit le champion de la théorie de l'unité de l'espèce humaine

qu'il classifia en cinq catégories résolument arbitraires :

caucasienne, mongole, malaise, américaine et éthiopienne. La

théorie de Blumenbach ainsi que les classifications raciales

qu'elle inspira au XXe siècle furent démenties par les

recherches scientifiques.

RUTH BÉNÉDICT

Benedict, Ruth (1887-1948), anthropologue américaine, née à

New York, formée au Vassar College et à l'université Columbia.

Elle effectua son travail de terrain le plus important dans les

réserves de différentes tribus d'Amérindiens entre 1922 et

1939. Jouissant d'une grande autorité en tant qu'ethnologue

spécialisée dans l'étude des Amérindiens, Ruth Fulton Benedict

acquit aussi une grande notoriété grâce à ses travaux en

anthropologie culturelle. Parmi ses principaux ouvrages figurent

Patterns of Culture (« Modèles culturels », 1934), Zuñi

Mythology (« Mythologie zuni », 1935), Race : Science and

Politics (« Race : science et politique », 1940) et The

Chrysanthemum and the Sword : Patterns of Japanese Culture

(« Le chrysanthème et le sabre : modèles culturels au Japon »,

1946).

GREGORY BATESON

1 PRÉSENTATION

Page 67: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Bateson, Gregory (1904-1980), anthropologue et ethnologue

américain d’origine britannique.

Fondateur de l’école de Palo Alto en Californie, il a développé la

notion de double-bind (« double contrainte ») sur l’origine de la

schizophrénie, et reste célèbre pour son approche théorique de

la communication.

2 L’EXPLORATION ÉPISTÉMOLOGIQUE

Né à Grantchester, près de Cambridge, Gregory Bateson est le

fils du biologiste William Bateson. Passionné de science et de

pensée scientifique, il étudie la biologie à l’université de

Cambridge avant de se tourner vers l’anthropologie, sous la

direction de Bronislaw Malinowski et d’Alfred Radcliffe-Brown.

À partir de 1927, il poursuit des études sur le terrain en

Nouvelle-Guinée. En 1929 et 1930, il étudie en particulier les

comportements individuels et les systèmes de communication au

sein de la tribu Iatmul, où il rencontre sa future femme,

l’anthropologue Margaret Mead. Avec elle, il poursuit son travail

à Bali (1936-1938), où il entreprend d’utiliser les outils

cinématographique et photographique pour son analyse des

comportements.

C’est dans la Cérémonie du Naven (Naven, 1936) qu’il livre son

analyse des rituels de travestissement Iatmul célébrant les

premiers exploits des jeunes enfants. Sa description des faits

ethnographiques se double d’une analyse sur la nature de leur

explication, dans laquelle l’interprétation sociologique

s’accompagne d’une étude de leurs aspects cognitifs (qui

constituent ce qu’il appelle l’eidos) et émotionnels (l’ethos).

3. UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA COMMUNICATION

Page 68: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

Ces premières recherches d’analyse des processus sociaux

amènent Gregory Bateson à développer une nouvelle conception

des sociétés par leur prisme fondamental, la communication.

Dans Communication: the social matrix of psychiatry (coécrit

avec le psychiatre Jurgen Ruesh et paru en 1951), il développe

les grands axes de sa réflexion. Pour lui, la communication est

l’ensemble des interactions (verbales ou comportementales) qui

relient les membres d’un système (famille, collègues de travail,

société, etc.). On ne peut comprendre la nature des

comportements d’une personne qu’en analysant la nature de ses

interactions sociales.

Ce principe, selon lequel tout comportement est communication,

va servir de base essentielle aux concepteurs des thérapies

familiales systémiques : un comportement pathologique, comme

l’anorexie d’une adolescente, est révélateur des problèmes de

communication au sein du système familial. Pour soigner

l’individu, porteur du symptôme familial, il faut donc modifier les

relations entretenues par les membres du système.

Dans les années 1950, les conceptions de Gregory Bateson

trouvent un écho important auprès de chercheurs d’horizons

disciplinaires différents, qui se rassemblent autour de lui à Palo

Alto, une petite ville près de San Francisco. Ceux qui forment «

le collège invisible » échangent et poursuivent la réflexion et les

travaux de Gregory Bateson, notamment sur deux points

fondamentaux et complémentaires : la communication paradoxale

et la double contrainte.

4 COMMUNICATION PARADOXALE ET DOUBLE

CONTRAINTE

Pour Gregory Bateson, toute communication renvoie donc à deux

niveaux : son contenu propre et la nature de la relation des

personnes qui communiquent. Dans la plupart des cas, les deux

Page 69: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

niveaux sont en adéquation. En cas de discordance entre les

deux (par exemple, quand une personne dit « je t’écoute » à une

autre tout en focalisant son attention sur autre chose), la

communication est perturbée. Gregory Bateson considère que ce

type de communication, dite paradoxale, peut avoir des

conséquences très négatives sur la santé psychologique s’il est

répété. Parmi les paradoxes principaux, on trouve l’injonction

paradoxale et la double contrainte. Par injonction paradoxale, il

faut entendre un ordre contenant en lui-même une contradiction.

L’exemple le plus célèbre est la consigne « sois spontané » : être

spontané par obéissance n’a plus rien de spontané.

La double contrainte est l’un des principaux concepts de Gregory

Bateson. Dès les années 1940, avec Margaret Mead, il cherche à

comprendre le comportement des enfants de Bali en analysant

leurs relations avec leurs parents. Les deux anthropologues

s’aperçoivent que les relations mère-enfant impliquent des

comportements paradoxaux de la part de la mère, celle-ci

incitant son enfant à exprimer ses émotions tout en rejetant ce

type de comportement. L’enfant n’étant pas autorisé à dire son

malaise, il se retire de ces échanges pour échapper à cette

double contrainte. En 1956, il publie avec D.D. Jackson, J. Haley

et J.H. Weakland (des membres importants du collège invisible)

un article au retentissement si grand dans le monde de la

psychopathologie que ses effets sont encore sensibles

aujourd’hui. Fondé sur les observations de Gregory Bateson et

de Margaret Mead sur les enfants balinais, et inspiré de la

cybernétique, Vers une théorie de la schizophrénie (Toward a

theory of schizophrenia) avance que la schizophrénie infantile a

pour origine les doubles contraintes imposées par la mère dans la

communication avec son enfant, et l’impossibilité pour l’enfant de

métacommuniquer (c’est-à-dire de communiquer sur la

communication).

Page 70: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

5 UNE ÉCOLOGIE DE L’ESPRIT

L’ouvrage le plus important de Gregory Bateson est un recueil

d’articles écrits entre les années 1930 et les années 1960. Publié

en 1972, Vers une écologie de l’esprit (Steps to an ecology of

mind) est la synthèse de ses travaux et de ses conceptions. Qu’il

s’agisse de sa théorie de la communication, de l’analyse de la

schizophrénie, des processus d’apprentissage ou de la dynamique

des sociétés, tous ses sujets tendent à un seul et même objectif

: l’analyse de l’« écologie de l’esprit », c’est-à-dire l’ensemble des

relations qui relient l’individu à son environnement physique et

social. La pensée de Gregory Bateson, très influente encore de

nos jours, est aussi celle du changement, individuel (en

psychothérapie) ou sociétal, par la modification des règles et

des interactions qui composent chaque système.

ROGER BASTIDE

Bastide, Roger (1898-1974), anthropologue français, auteur

d’une œuvre éclectique dépassant les frontières traditionnelles

des sciences humaines.

Roger Bastide est né dans une famille protestante de Nîmes.

Agrégé de philosophie, il partit en 1938 enseigner la sociologie à

l’université de São Paolo. Il s’était déjà intéressé aux questions

de sociologie religieuse et au dialogue entre sociologie et

psychanalyse. Le Brésil lui fournit un terrain ethnographique

d’une grande richesse et il étudia en particulier un rite afro-

brésilien le « Candomblé », un culte au cours duquel les initiés

sont possédés par des dieux venus d’Afrique.

Il interpréta ce rituel de façon originale, comme une réponse

des Afro-Brésiliens à leur acculturation. Roger Bastide fut à cet

égard l’un des premiers ethnologues à proposer l’étude

sociologique de phénomènes considérés jusque-là comme

Page 71: GRANDS PENSEURS DE L’ANTHROPOLOGIE

purement psychologiques tels la transe, le rêve ou la folie. Ainsi,

dans Sociologie des maladies mentales, il montre que la

définition de la folie et les manières de la traiter varient selon

les sociétés.

En 1959, il fut nommé professeur d’ethnologie et de sociologie

religieuse à la Sorbonne. Dans les dernières années de sa vie, il

dirigea le Centre de psychiatrie sociale et le Laboratoire de

sociologie de la connaissance où il forma de nombreux étudiants.

Il a laissé une œuvre très riche, orientée autour de trois thèmes

: l’ethnologie religieuse, l’acculturation et les rapports entre

inconscient et société.

ADOLF BASTIAN

Bastian, Adolf (1826-1905), anthropologue et médecin allemand,

qui tenta de démontrer le caractère universel de certaines

croyances populaires. Né à Brême, Bastian fit ses études aux

universités de Berlin, Heidelberg et Prague. Dès 1850, il voyagea

à travers l'Asie, l'Afrique, l'Australie et l'Amérique du Nord et

du Sud, et, en 1860, il publia Der Mensch in der Geschichte («

L'homme dans l'histoire »), une étude anthropologique qui en fit

une figure de proue du diffusionnisme. Auteur prolifique, il

publia près de soixante ouvrages qui accordent un rôle primordial

à la psychologie dans l'interprétation de l'histoire des cultures

et apportent une contribution à l'étude comparative de

différentes cultures.

Par Fabien Bekale