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RDA 85 Octobre 2013 Denis Mazeaud I l était une fois une époque où l’enseigne- ment du droit était assuré dans les Universi- tés, par des professeurs de droit d’Université. Cette époque est-elle révolue ? La vie de chaque pro- fesseur de droit de l’Université n’est pas une siné- cure. Garde-toi à droite avec le Gouvernement qui nous prépare une énième loi sur la réforme des universités, dans laquelle, en étant un peu pessi- miste, on a compris qu’il y aurait un peu moins de juristes dans les institutions représentatives, et un peu moins de droit dans les études juridiques ! Grand Deux • Au tour du droit Grand B • Passage aux actes L’enseignement du droit dans l’université 1 Marie-Laure Coquelet Vice-chancelier des universités de Paris Hervé Croze Professeur à l’Université Jean-Moulin (Lyon III) Avocat au barreau de Lyon Jean-Philippe Fruchon Notaire Secrétaire du bureau du Conseil supérieur du notariat Jean-François Guillemin Secrétaire général du groupe Bouygues Administrateur de l’Université Panthéon-Assas et de Sorbonne Universités Kami Haeri Avocat au barreau de Paris Membre du Conseil de l’Ordre Denis Mazeaud Professeur à l’Université Panthéon-Assas Philippe Théry Professeur à l’Université Panthéon-Assas Petit un du Grand B : dans l’université 1 Le style oral des interventions a été conservé.

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RDA 85 Octobre 2013

Denis Mazeaud

I l était une fois une époque où l’enseigne-ment du droit était assuré dans les Universi-

tés, par des professeurs de droit d’Université. Cetteépoque est-elle révolue ? La vie de chaque pro-fesseur de droit de l’Université n’est pas une siné-

cure. Garde-toi à droite avec le Gouvernement quinous prépare une énième loi sur la réforme desuniversités, dans laquelle, en étant un peu pessi-miste, on a compris qu’il y aurait un peu moins dejuristes dans les institutions représentatives, et unpeu moins de droit dans les études juridiques !

Grand Deux • Au tour du droit

Grand B • Passage aux actes

L’enseignement du droitdans l’université1Marie-Laure CoqueletVice-chancelier des universités de Paris

Hervé CrozeProfesseur à l’Université Jean-Moulin (Lyon III)Avocat au barreau de Lyon

Jean-Philippe FruchonNotaireSecrétaire du bureau du Conseil supérieur du notariat

Jean-François GuilleminSecrétaire général du groupe BouyguesAdministrateur de l’Université Panthéon-Assas et de Sorbonne Universités

Kami HaeriAvocat au barreau de ParisMembre du Conseil de l’Ordre

Denis MazeaudProfesseur à l’Université Panthéon-Assas

Philippe ThéryProfesseur à l’Université Panthéon-Assas

Petit un du Grand B :dans l’université

1 Le style oral des interventions a été conservé.

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Garde-toi à gauche de certaines professions judi-ciaires, dont nous alimentons pourtant le contenuet les effectifs, qui donnent de nous une imagepeu valorisante ! À les croire, les professeurs dedroit aujourd’hui enseigneraient encore en latin,seraient précédés par des huissiers qui annoncentleur entrée et liraient le Code civil, quand ils sontun peu instruits.

Garde-toi encore à droite, puisque que lesuniversités de droit sont concurrencées dans laformation des étudiants en droit ! Ici, les établis-sements publics qui peuvent fonder des écoles,délivrer des diplômes juridiques, permettre à leursétudiants d’accéder à des concours ! Et pireencore, des établissements privés, dans lesquels,dit-on, enseignent des professeurs des univer-sités ! Non, ce n’est pas un cauchemar, c’est lavérité.

Garde-toi encore à gauche, l’on voit apparaîtreune nouvelle race de professeurs de droit ! Nouscroyions avoir l’exclusivité du titre, mais non, lesprofesseurs de droit des grandes écoles signentdes manifestes pour expliquer et légitimer leurexistence.

Tout va très mal Madame la marquise, quedoit-on faire ? Des recours ? Des auditions ? Desarticles ? Nous l’avons fait, avec le succès que l’onsait… Il faut donc désormais être dynamique,parler librement, vivement, essayer decomprendre, d’avancer, d’évoluer. C’est ce quenous allons essayer de faire aujourd’hui.

Soyons dynamiques, non repliés sur nousmême, ne jouons pas les vierges outragées maisentendons les critiques, même si elles sont parfoisinjustes, ces nouvelles formes de concurrence,même si elles sont parfois déloyales et essayons deles appréhender, de les comprendre, de réagir,d’expliquer aussi, car c’est peut-être l’un desdéfauts de l’Université, nous ne communiquonspas assez sur ce que l’on fait – comme entémoigne la réforme des Universités en débats ence moment.

Ma première question concerne ce qui a étéremis en cause par un ancien président du Conseilnational des barreaux, dans une tribune qui a faitbeaucoup de bruit et a suscité de nombreusesréponses d’universitaires. La question, au fond,était celle de la qualité, de la légitimité de la

formation des futurs avocats à l’Université. Qu’at-tendons-nous, finalement, nous qui les formons,et vous qui ensuite les recevez dans vos études oucabinets, de la formation des étudiants en droit àla fin de leurs études ? Quelles sont nos ambitions(et là je m’adresse aux enseignants) ? Quels sontvos espoirs (je m’adresse plus particulièrement auxprofessionnels) ? À ce titre, je me souviens de cettedéfinition du juriste, donnée par Pierre-YvesGautier : le juriste, c’est une méthode et unebibliothèque. C’est déjà beaucoup ; n’est-ce quecela ?

Philippe ThéryLa question est difficile. L’on peut évidemment

parler d’une formation des étudiants dans l’idéal,dans l’abstrait, mais il faut aussi parler de la forma-tion des étudiants en fonction de la situation, desétablissements d’enseignement. C’est pourquoi jene vois pas beaucoup de raisons de polémiqueravec Christophe Jamin, car les conditions d’ensei-gnement à Sciences Po et à l’université ne sont pasdu tout les mêmes. Ce qui peut paraître idéal àSciences Po n’est pas susceptible d’être réalisé àl’université. Peut-être est-ce un constat qui paraîtradécourageant ; mais je le crois plutôt stimulant,car il peut être plus intéressant d’enseigner dansdes conditions difficiles que d’enseigner quand ona presque tout à disposition. Par ailleurs, l’on nepeut pas éviter la concurrence. Il ne faut pas secacher derrière son petit doigt, nous n’avons pasde monopole. Le droit appartient à tout le monde,et il existe un principe de liberté du commerce etde l’industrie, qui fait que l’on peut créer desétablissements privés d’enseignement.

Je crois qu’il y a aussi une ambiguïté : lesprofessionnels attendent quelque chose d’utile etd’utilisable pour leur profession, et nous, nousvoyons des étudiants dont nous ne savons pas s’ilsdeviendront avocats, huissiers de justice, journa-listes judiciaires, magistrats ou s’ils vont entrerdans des contentieux d’entreprise. De ce fait, toutce que la pratique peut nous dire en aval est à lafois utile, et en même temps un peu abstrait pourun universitaire. Et si nous admettons l’idée quenous formons les étudiants, la seule chose quenous pouvons dire, c’est que nous pensons qu’il ya suffisamment de choses en commun entre des

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avocats, des notaires, des huissiers de justice, deschefs de contentieux, des journalistes judiciaires,pour que la formation que nous dispensons soitutile dans toutes ces professions. Chacune d’ellepouvant évidemment apporter ce qui est néces-saire pour la pratique de la profession, mais c’estune question de mesure.

Enfin, un juriste ne peut raisonnablement êtreséduit par la distinction de la théorie et de lapratique. Un professeur sans pratique est un fruitsec, un praticien sans théorie, un singe à qui on adonné un rasoir. On ne peut pas enseigner le droitsans avoir un peu de pratique ; et – tous les prati-ciens le reconnaissent – on ne peut pas pratiquerle droit si on n’a pas de théorie.

L’enseignement du droit, ce sont des espritsaptes à utiliser le droit dans les différentes situa-tions qui sont celles des professions. Et de ce pointde vue, la formation d’un avocat n’est pas la mêmeque celle d’un magistrat, d’un huissier de justice,ou d’un journaliste judiciaire. L’université n’est pasresponsable de tout, mais simplement de formerles esprits capables de comprendre les questionsqui leur sont posées. Il ne s’agit pas tant de savoirque d’avoir compris ce dont il est question.

Kami HaeriJ’aimerais revenir sur le tumulte évoqué, qui a

pu donner le sentiment qu’il y avait une opposi-tion entre le monde de l’université et celui de lapratique du droit. Je regrette qu’il y ait eu des voixpour accuser injustement l’université d’être pous-siéreuse, et je défends le fait que les docteurs endroit puissent bénéficier d’un accès spécifiquepour venir enrichir notre profession de leurconnaissance experte des sujets que nos clientsnous soumettent. Il ne faut pas oublier qu’entrel’université et la prestation de serment, il y a dix-huit mois, donc en réalité deux années pouraccéder à la pratique, que nous devons coor-donner et organiser, nous avocats. Et nous nepouvons pas demander à l’université plus que cequ’elle ne peut offrir, ni plus que ce que l’ensei-gnement du droit peut apporter. A l’universitél’enseignement d’un droit vivant et des tech-niques d’analyse et de synthèse, et à nousd’enseigner la pratique professionnelle et lagestion de la carrière de l’avocat.

Ce que nous attendons de l’Université, si jedevais résumer, en tant que praticiens, c’estd’abord la connaissance des « grandes règles del’univers », ce qui est déjà beaucoup : je ne pourraijamais demander à qui que ce soit qu’il soit unérudit absolu dans son domaine. Cette éruditionest impossible, compte tenu des mouvementspermanents du corpus juridique, et du bombarde-ment de celui-ci, comme en matière de physiquequantique, par des éléments issus d’autressystèmes de droit (droit étranger, droit des institu-tions européennes et internationales). C’est unaspect qui n’est d’ailleurs pas assez mis en valeuren France, le droit comparé, et la manière dont ilpénètre progressivement notre manière de penseret de pratiquer le droit. Et même en isolant lamatière juridique du droit étranger, le plus éruditd’entre nous aura certainement, avant une noteou une consultation, légitimement besoin d’allerconsulter les dernières jurisprudences, relire unedernière contribution scientifique, etc. Donc cedont nous avons besoin, c’est une connaissancesolide des grandes règles de l’univers juridique, enmatière de droit civil ou de droit commercial ou deprocédure pénale. Ceci constitue incontestable-ment le socle juridique dont tout diplômé doitdisposer.

À côté de cela, j’aime voir chez nos stagiaires,nos futurs confrères, une forme de rigueurformelle. Cette discipline qui fait en sorte quelorsque l’on produit quelque chose, l’on a enviede produire ce qui sera le plus abouti, avant quela valeur ajoutée de l’autre praticien, comme desintelligences qui s’additionnent, permette deproduire le matériau le plus abouti possible. De cepoint de vue, peut-être l’université gagnerait-elleà provoquer un peu plus chez les étudiants lesopportunités de s’exprimer en public, de présenteroralement, de manière synthétique, une idée, unethèse. Il faut que l’on arrive, progressivement, versun réflexe consistant pour le juriste à produire desrecommandations, car c’est ce que notre clientnous demande.

Et puis, apprendre aux étudiants à faire desrecherches juridiques, en hiérarchisant la qualitéde la source de droit, est fondamental.Aujourd’hui nous sommes absolument fascinés,voire embarrassés, de voir que lorsque l’on pose

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une question à un stagiaire ou à un jeune avocat,il va souvent « googliser » la question ; il vadisposer dès lors de plusieurs références, pasnécessairement inexactes, mais désordonnées. Il yaura un extrait d’un blog d’un très honorable élèvede deuxième année ou encore un article de news-letter d’avocat, qui est davantage un travail decommunication qu’un travail scientifique. Et ceséléments seront présentés de manière non hiérar-chisée, aux côtés d’un article de référence publiépar un professeur de droit. Il y a donc un besoinde re-ritualiser la recherche juridique, retrouver lalente majesté de la lecture des travaux prépara-toires législatif, puis arriver vers la règle de droitapplicable, en comprenant sa genèse et son sens.Ce travail, ce cheminement intellectuel indispen-sable à la bonne compréhension de la règle estaujourd’hui supplanté par une forme de télépor-tation immédiate vers une réponse – pasforcément la bonne – à la règle applicable,présentée de manière quasiment sèche, hors decontexte. Si les sources sont ainsi mises sur un piedd’égalité, le travail n’est pas efficace. J’enseignecela volontiers à mes stagiaires, en exigeant d’euxque l’on discute de la qualité de la source juridiqueexploitée. La bibliothèque du juriste est extrême-ment vaste aujourd’hui, et la méthodologie de larecherche est intrinsèquement liée au travail dejuriste. C’est une véritable préoccupationcommune, pour nous tous, que nous soyonsenseignants ou praticiens.

Enfin, nous sommes confrontés à une formede « balkanisation » de la filière juridique, quicommence à gagner l’enseignement. Je suis unpeu inquiet de voir des modules offerts un peupartout, via différents organismes, où des gensprétendent faire du droit et enseigner le droit. Jesuis très attaché à l’unité de la filière juridique,dans sa phase de formation initiale comme dansson exercice. À cet égard, je suis sensible à laméthode de l’enseignement juridique américaine,car elle contribue à créer une profession uniquede juristes, qui ensuite se démultiplient et seconjugue avec un même esprit de corps, vers lesdifférentes pratiques du droit : comme avocat oucomme représentant du parquet, avant que lesmeilleurs de ces deux formes de pratique devien-nent magistrats. En France, nous avons, à la faveur

des enseignements professionnels, « séparé lesenfants à la naissance » et faire en sorte que l’onne se parle plus entre juristes. De ce point de vue,et compte tenu de cet éclatement en différentesprofessions juridiques qui se parlent peu, j’aimeraisque l’université développe davantage encore unesprit de corps autour de la « famille du droit ». Ilfaut remettre en valeur la marque « droit », quetoutes les universités, tous les instituts s’unissentpour créer une légion de juristes. Après, certes, ilsdeviendront notaires, huissiers, avocats, magis-trats, tout ce que qu’ils souhaiteront. Mais ilsseront avant tout juristes, issus de l’enseignementde l’Université. C’est cette appartenance à unmonde du droit que l’Université pourrait peut-être,à la faveur d’une communication différente,exprimer davantage.

Jean-François GuilleminAu cours d’un voyage récent, j’ai découvert

qu’aux États-Unis un grand débat a été lancé surl’enseignement du droit. Il porte sur la durée, lecoût et l’efficacité des études. Une réflexion estégalement menée sur la création d’une nouvelleprofession du droit, la population ne pouvant plusaccéder à une prestation juridique devenue tropcoûteuse. Il n’est pas sans intérêt de signaler quenous ne sommes pas les seuls à réfléchir à laformation des juristes.

Personnellement, je suis certain que la forma-tion d’un juriste nécessite deux phases : un tempsde formation fondamentale et un temps pour uneformation à la fois spécialisée et approfondie. Maisje vous livre aussi deux interrogations.

La première concerne la durée du temps deformation fondamentale, ces quatre années où lebachelier se métamorphose en juriste. N’est ce pastrop long ? Je le pense pour ma part. Ramener cetteformation initiale à trois ans permettrait aux étu -diants d’avoir le temps d’obtenir deux Masters 2.En tant qu’employeur de jeunes juristes, je constateque les Masters 2 sont, pour beaucoup d’entreeux, une grande réussite des universités et que cepassage est absolument déterminant dans laformation des étudiants. Nous ne recrutons quedes candidats ayant obtenu au moins un Master 2.Les entreprises ont, par ailleurs, un besoin qui necesse d’augmenter de collaborateurs pluridisci-

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plinaires, additionnant par exemple une formationjuridique et le diplôme d’une école de commerce.Mais il faut là encore du temps pour un doublecursus. Il me semble donc qu’il faut repenserl’équilibre entre la formation fondamentale et letemps de la spécialisation, de l’approfondissementou de la pluridisciplinarité…

Ma deuxième interrogation porte sur lanécessité d’un troisième temps de formation unefois le Master 2 obtenu. Les praticiens en ont deplus en plus besoin. La grande porte de l’Univer-sité se referme derrière l’étudiant. Leprofessionnel n’y revient plus, sauf celui qui a leprivilège d’y enseigner. Pourtant il lui serait formi-dablement utile au cours de sa carrière (parexemple pour réussir un changement de son péri-mètre de compétence) de suivre et obtenir ce quej’appelle un « certificat de spécialisation ». Parexemple en suivant un cours de Master 2 et enréussissant l’examen clôturant cet enseignement.Celui-ci resterait entièrement entre les mains del’université notamment en ce qui concerne lenombre et la sélection des professionnels ajoutésà l’effectif des étudiants. Une telle présence dansles promotions renforcerait les relations entre lesentreprises, ou cabinets, et les universités. Elleapporterait beaucoup aux étudiants mais aussiaux enseignants. Elle élèverait encore le niveaudes Masters 2. Mais, j’insiste, ce que j’appelle« certificat de spécialisation » répondrait à unbesoin toujours plus grand, une vie profession-nelle ne pouvant plus être menée et réussie sansun effort constant de formation. Les deuxpremiers temps, Master 1 et Master 2, nepeuvent transmettre toutes les connaissancesapprofondies ; la formation sur le tas a nécessai-rement ses limites ; certes la lecture de la doctrineet certains colloques permettent de progresser.Mais il manque cette possibilité d’un tel retour àl’université, compatible avec la poursuite parallèlede la vie professionnelle et permettant d’avoiraccès a ce niveau d’enseignement que l’univer-sité, et elle seule, dispense.

Jean-Philippe FruchonMerci Monsieur le professeur de me donner la

parole, et merci à la Revue de droit d’Assas d’in-viter le notariat, que je représente aujourd’hui en

tant que membre du bureau du Conseil supérieurchargé de la formation. C’est toujours, vous lesavez, avec un grand intérêt et un grand plaisirque nous intervenons.

Ce que nous attendons de l’université et del’enseignement est évidemment assez proche. Àcet égard, on ne peut que remercier le professeurThéry de garder les professionnels d’avoir un jourà distribuer des rasoirs à des singes. Et là l’univer-sité est un véritable rempart je crois. Ce que nousattendons, c’est que les fondamentaux du droitsoient enseignés aux différents étudiants. Nousattendons que les étudiants aient la capacité deraisonner, ce qui est extrêmement important, et,peut-être aujourd’hui, ce qui se fait un peu plussentir, la capacité de rédiger. C’est un point extrê-mement important auquel il faudra veiller. Nousn’attendons pas d’un étudiant en Master 2 qu’ilsache rédiger un acte de A à Z, mais qu’il ait « l’in-telligence » de la rédaction dans sa forme, dansson contenu, sur des clauses spécifiques. Auniveau du Master 2 notarial, peut-être qu’il luifaudrait une perception plus grande de l’identitédes fonctions vers lesquelles il se dirige, non pasconnaître les détails, mais par exemple qu’il sachece qu’est un acte authentique en tant que tel,mais qu’il ait les fondamentaux de cette notion dedroit public.

Au niveau de la licence, qui participe beau-coup de l’enseignement, le découpage en unitésde valeur me paraît assez dangereux, en tout casprocure de trop grandes libertés, car les étudiantspeuvent avoir un cursus à la carte, où la culture etla connaissance des fondamentaux semblepouvoir être perturbée.

Hervé CrozeD’abord, l’on parle de formation, et je ne sais

pas si l’on a vraiment compris ce que cela voulaitdire par rapport à l’enseignement. En effet, cen’est pas du tout la même chose, et je crois quel’un des problèmes est précisément que l’univer-sité était classiquement chargée d’enseigner, etque maintenant l’on nous charge de former. Or,je ne sais pas former dans un amphithéâtre ; je saisformer en petits groupes, si je peux organiser desbinômes d’enseignement avec un praticien, etsurtout si je peux faire agir mes étudiants. Cela

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suppose effectivement des moyens, qu’en raisonde la démographie universitaire nous n’avons pas,et j’ai peur que les facultés de droit, et l’universitéen général, ne soient demain condamnées àdispenser un enseignement dématérialisé, pourdes raisons d’économie une fois de plus, et jecrains que cela ne nous tue petit à petit au profitdes grandes ou petites écoles. L’avantage desécoles est, au départ, leur petit effectif, l’autreavantage étant les droits d’inscription.

Ensuite : qui entendons-nous former ? Jepense, et là je suis en divergence avec ChristopheJamin, que nous devons nous recentrer sur lesjuristes. Cela a été dit précédemment, et je lerejoins tout à fait : nous n’avons pas de raison denous diluer dans des disciplines voisines, qui sontsouvent, historiquement, les filles des facultés dedroit, je pense à la science politique d’un côté,mais aussi à l’économie qui, du moins en France,est apparue dans les facultés de droit. Je necherche pas à aller sur le terrain de l’homme d’en-treprise. Du juriste d’entreprise, à la rigueur, maisje m’arrête là. Christophe Jamin me dit quelque-fois que je rétrécis le champ des facultés de droit,oui je le fais volontiers. Je suis comme une unprofesseur de médecine : une faculté de méde-cine, ça forme des médecins, moi je forme desjuristes, un point c’est tout et c’est déjà beaucoup.En leur donnant une culture économique, histo-rique, de sciences politiques, scientifique aussipourquoi pas, un peu de langue car on n’y échap-pera pas, mais je le fais à l’intérieur d’une structurequi est la faculté de droit.

Et puis enfin – on reprend toujours la formulede Pierre-Yves Gautier, du juriste comme étant uneméthode et une bibliothèque –, cela me fait mequestionner sur la durée des études de droit.Personnellement, pendant longtemps, j’ai consi-déré qu’il fallait cinq ans pour faire un juriste, mais,là aussi, le dialogue avec Christophe Jaminm’amène à douter. Nous sommes tellementdébordés aujourd’hui par les sources du droit queje crois qu’on devrait peut-être, accepter unsystème assez comparable à celui des États-Unis,à savoir qu’en licence, il y aurait une formationgénérale, dans laquelle il y aurait du droit bienentendu, mais pas uniquement, avant un Masteroù l’on ferait du droit, et qui serait sélectif.

Évidemment, ceci peut être vu comme unemanière de replier les études de droit, mais celapeut leur donner une efficacité, si l’on part del’idée qu’on est condamné aujourd’hui à ce qu’unbon juriste soit quelqu’un qui sache rédiger, parler(un peu compter quand même), lire et retrouverl’information, y compris avec Internet d’ailleurs. Ils’agit peut-être d’un combat d’arrière-garde quede dire que l’on va tout apprendre, car, d’unefaculté à l’autre, les programmes ne sont pas lesmêmes, et lorsqu’on engage des collaborateurs,on ne sait absolument pas ce qu’ils ont apprisavant. De ce point de vue notamment, l’auto-nomie des universités est une catastrophe.

Marie-Laure CoqueletTout d’abord, je tiens à remercier le professeur

Denis Mazeaud, et la Revue de droit d’Assas pourleur invitation. Je souhaite également préciser àtitre préliminaire que je m’exprimerai davantageen ma qualité de professeur des universités etprofesseur de droit qu’en celle de vice-chancelierdes Universités de Paris.

S’agissant de l’enseignement du droit à l’Uni-versité et de ses ambitions, un certain nombred’échanges ont déjà eu lieu à la tribune que jepartage très largement. Pour les reprendre simple-ment, l’ambition de l’université est de former debons juristes, sachant notamment chercher,rédiger mais aussi argumenter et s’exprimer. Pour-tant, avant l’intervention du professeur HervéCroze, quelque chose manquait dans le débat : sil’Université ne manque assurément pas d’ambi-tions pour ses étudiants, elle ne dispose pasnécessairement des moyens propres à réaliser sesambitions. Les universités de droit sont aujourd’huiobligées de faire face à une massification de leureffectif qui s’accompagne d’une diversification deleur public. Celui-ci s’est en effet considérable-ment élargi. Les lauréats de baccalauréatsgénéraux côtoient désormais, dans les amphithéâ-tres, un nombre croissant de bacheliers titulairesd’un baccalauréat professionnel ou technolo-gique.

Cette massification des effectifs, conjuguée àcette diversité de public conduisent à l’évidence às’interroger sur les conditions et modes d’ensei-gnement du droit non seulement actuels mais

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aussi à avenir. Dit autrement, on peut en effet sedemander si notre enseignement actuel estadapté, ou si au contraire il est nécessaire quecelui-ci évolue ? Et si oui, comment ? À titred’exemple, convient-il de revoir la pédagogie quiest la nôtre afin de s’adapter à ce public nouveau ?De même, faut-il réviser nos modes traditionnelsd’enseignement ? Notamment, et en reprenant lesinterrogations du Professeur Hervé Croze,convient-il de donner plus de place à un enseigne-ment du droit dématérialisé au sein de nosuniversités ? Et si oui, dans quel but ? Afin d’intro-duire le numérique comme un instrument auservice de la pédagogie ou comme une solutionéconomique à des amphithéâtres bondés ?

Voilà les quelques et très sommaires impres-sions que je souhaitais faire, qui se limitentseulement à faire écho aux interventions précé-dentes.

Intervention de Pierre-Yves GautierJe voulais vous demander, Madame le vice-

Chancelier, ce que vous entendez par s’adapter àun public nouveau ? Est-ce que les professeursactuellement ne sont pas formés pour s’yconfronter ?

Marie-Laure CoqueletPour répondre à la première question, il me

semble aujourd’hui difficile de ne pas tenir compted’une évolution non seulement quantitative maisaussi qualitative du public dans les amphithéâtresde droit. Au risque de me répéter, nombreux sontles lauréats d’un baccalauréat autre que général àfaire le choix de s’inscrire en droit, et souvent parune méconnaissance de la discipline, qui n’est pasenseignée dans le secondaire, à la différence parexemple de l’économie. D’où le point de savoir, s’ilconvient (ou pas) de modifier notre façon deconcevoir actuellement l’enseignement du droit ?Des pistes et expérimentations sur ce point exis-tent. Notamment, faut-il suivre l’exemple del’Université de Paris II et « généraliser » un ensei-gnement par niveaux en première année deLicence ?

Concernant la seconde question, une distinc-tion doit être faite entre l’enseignement magistral,professé dans les amphithéâtres, et l’enseigne-ment suivi en travaux dirigés. Or, s’agissant de ce

dernier, nous en confions le plus souvent laresponsabilité à de jeunes doctorants qui ne sontpas nécessairement armés pour assurer la missionde formation qui leur est ainsi confiée. Pourtant,les travaux dirigés sont en principe le lieu où lesnotions fondamentales, présentées dans le cadredu cours magistral, doivent être approfondies etoù la méthodologie du commentaire d’arrêt, de ladissertation juridique, de la consultation juridiqueou bien encore de la note de synthèse doit êtretransmise. Or, il me semble que nos doctorants (eton peut inclure de nombreux vacataires) ne sontpas suffisamment formés par nous pour faire faceà leur mission. Il ne s’agit pas d’une critique maisd’un constat car la formation des jeunes ensei-gnants supposent du temps et des moyens dontnous ne disposons pas nécessairement.

Intervention de Pierre-Yves GautierOui, mais ils ont fait, pour la plupart, cinq ans

d’études et sont encadrés par des professeurs.Tout cela se passe plus ou moins bien, mais à unéchelon individuel, je ne suis pas convaincu qu’uneréforme générale, puisse améliorer la pédagogiede tel ou tel de nos chargés de travaux dirigés, oude tel ou tel de nos professeurs face aux étudiants.

Marie-Laure CoqueletJe n’ai pas parlé de réforme mais simplement

d’une réflexion qui doit être menée sur l’aide etl’encadrement que nous nous devons d’apporterà ces enseignants en herbe. Personnellement, jene crois pas que l’on naît pédagogue. Mais, jepense en revanche que l’on peut le devenir. Aussi,même si nos doctorants ont reçu une formationjuridique solide et de qualité pendant cinq ans, latransmission du savoir que d’autres leur ont précé-demment transmis s’apprend. Cet apprentissagenous permettrait, peut-être, d’atteindre plus aisé-ment l’objectif d’ambition que toutes universitésde droit partagent : à savoir former de bons et belsesprits.

Denis MazeaudAu fond, le thème est aussi celui de la forma-

tion des enseignants. Simplement, on peut direque les expériences passées ont été, en général,désastreuses. C’est vraiment un objet de réflexion,mais, pour le moment, les doctorants qui sont àl’IUFM, c’est une catastrophe.

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Marie-Laure CoqueletRaison de plus pour mener une réflexion sur

l’aide que nous devons et pouvons apporter à nosdoctorants, et ce dans l’intérêt de nos étudiants etde leur réussite.

Intervention de la salleIl y a peut-être une autre difficulté pour les

jeunes enseignants, qui est qu’ils sont pris entenaille entre leur thèse et l’enseignement. Et lathèse n’avance pas toute seule, de sorte qu’on aparfois tendance à la privilégier sur l’enseigne-ment. Les étudiants passent un peu en second, onn’a pas le temps d’organiser des rendez-vous indi-viduels pour faire de la méthodologie, car on a desclasses de trente, alors que la méthodologie peutse faire à cinq ou six, mais non pas à trente.

Marie-Laure CoqueletPour continuer sur ce que vous venez de dire,

c’est le constat que je fais : nous avons des ambi-tions que nous partageons tous, mais nousn’avons pas les moyens de nos ambitions. C’estnotamment flagrant quand on voit la massifica-tion des effectifs, le nombre d’étudiants qu’onnous demande de former par rapport au nombred’enseignants. On voit bien la limite du système.

Intervention de la sallePour aller dans le même sens, peut-être un

peu plus loin, Maître Haeri nous a expliqué, demanière assez convaincante, que ce qui étaitattendu, c’était d’enseigner aux étudiants à savoirfaire une recherche, écrire et parler. Or, ces tâcheslà, on les délègue aux plus jeunes des enseignants,ou à des personnes qui peuvent être des chargésde travaux dirigés vacataires. Dans certainesuniversités de province, elles peuvent même êtreconfiées à des gens très peu impliqués. Et leprofesseur, lui, se réserve l’autre partie. Peut-êtrese pose la question de savoir si les professeurs nedevraient pas mettre la main à la pâte, pour vrai-ment apprendre aux étudiants à chercher etécrire ; on revient toujours sur le problème deseffectifs.

Denis MazeaudJe pense qu’il existe des professeurs qui

mettent les mains dans le cambouis, qui ne secontentent pas de donner leur cours dans le grandamphithéâtre, et qui réunissent leur équipe,

parfois de manière hebdomadaire, et qui leurexpliquent la façon dont la méthodologie desexercices doit être donnée. Je pense qu’il ne fautpas non plus trop distinguer de façon binaire lerôle du professeur, chargé de l’enseignementmagistral et celui de ses assistants, chargés detravaux dirigés. Il peut y avoir un mélange desgenres, et les professeurs ne sont pas que dans lesamphithéâtres ! Dans les séminaires de Master 2,où nombre de professeurs enseignent, certainsfont de la méthodologie. Donc là – mais je ne dispas que tout va pour le mieux dans le meilleur desmondes –, je pense que dire ceci accrédite uneimage un peu surannée du professeur.

Hervé CrozeSur la méthodologie, si vous me permettez,

une fois de plus, on parle de méthodologie univer-sitaire, c’est-à-dire notamment apprendre à fairedes commentaires d’arrêts. Ce dont il est question,c’est de la méthodologie professionnelle, or cecine se fait concrètement que par les stages, enprenant par la main les stagiaires pour leur direconcrètement comment rédiger, parler, etc. Etcela, à mon avis, l’université ne pourra jamais lefaire seule, même en posant des règles. Pouracquérir la méthodologie, il faut que les étudiantsfassent des stages organisés par l’université carsinon on crée une inégalité sociale scandaleuse.

Denis MazeaudJe ne peux pas le faire en amphithéâtre de

première année avec six cents étudiants, mais enMaster 2 de droit notarial, c’est possible. Dansl’enseignement que j’y donne, je suis en binômeavec un notaire, je fais un peu l’aspect théoriqueet lui fait l’aspect pratique, il apporte des actesinstrumentaires.

Intervention de Sébastien NeuvilleOn a parlé un peu, mais très brièvement, des

universités étrangères. Or, j’ai eu la chance d’êtreinvité à Pékin et à l’université de Columbia de NewYork. Dans ces universités, les méthodes sont assezdifférentes des nôtres, ce qui a été simplementévoqué. On insiste beaucoup plus sur la questionde la culture générale, parce que, justement,comme l’a dit Marie-Laure Coquelet tout àl’heure, on se rend compte que les étudiants quientrent à l’université n’ont pas la même culture

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générale que celle que l’on pouvait avoir il y aquelques années. Et donc, à mon avis, il est bond’insister sur la culture générale, et sur desmatières qui ne sont pas nécessairement juri-diques.

Je pense qu’il est bon d’insister, même si celaa été un peu contesté tout à l’heure, sur desmatières historiques, de philosophie, notammentde philosophie du droit, ou même sur la littérature.Pourquoi ? Parce qu’ensuite, lorsque les étudiantspassent les examens, et surtout les concours,notamment celui de la magistrature, c’est laculture général qui leur est demandée en priorité.Or, quels sont les étudiants qui réussissent le mieuxces concours ? Ceux de Sciences Po Paris, parceque, précisément, ils ont cette culture générale. Jecrois que les facultés de droit ne peuvent pas selimiter simplement à enseigner le droit, sinon lerisque est de se dessécher un peu. Si l’on apprendaux étudiants, et c’est finalement un peu ce quiarrive, toutes les procédures en matière de divorce,c’est très intéressant, mais quatre ans après, toutva être réformé. Il faut trouver, je crois, denouvelles méthodes permettant d’anticiper, et dene donner que des cours qui soient des cours deprincipes. Et c’est ce qui se passe souvent dans lesuniversités étrangères, même s’il y a beaucoup dechoses à redire sur les méthodes d’enseignementà l’étranger.

Denis MazeaudOn est vraiment, me semble-t-il, dans la ques-

tion de la durée des études. Car il s’agit de savoircombien de temps il faut consacrer à la formationgénérale et la formation spécialisée.

Philippe ThéryD’abord, une précision de pur fait. J’ai

commencé en disant que je ne sentais pas parti-culièrement l’université en concurrence avecSciences Po, mais je voudrais quand mêmerappeler que nous avons eu, à l’IEJ de Paris II,jusqu’à 42 % des auditeurs de justice admis auconcours de la magistrature, ce qui ne me paraîttout de même pas un résultat si médiocre. Mais jen’ai pas du tout l’intention de polémiquer sur cettequestion. Je n’ai pas un amour immodéré de mapropre boutique, mais quand même, quand ellemérite d’être défendue, je le fais volontiers.

Ensuite, je suis quand même très frappé de cequ’au fond, on surcharge considérablement lestâches des facultés, je ne parle pas de l’universitéen général mais des facultés qui se caractérisentpar la discipline qu’elles enseignent. Parce que sinous devons enseigner l’orthographe, la rédac-tion, l’art oratoire, la culture générale, l’économie,l’histoire, et, accessoirement, le droit, je crains quela longueur des études ne s’en ressente singuliè-rement. Je crois qu’on ne peut pas non plus partirdu principe qu’en France, à chaque étage de l’en-seignement, on doit recourir mêmes techniquesde maternage. Cela n’est pas possible. Nous avonsdes étudiants qui sont grands ; que nous ne puis-sions pas leur offrir le mieux qu’on puisse leuroffrir, pour différentes raisons dont certaines noussont imputables, et d’autres non, je pense quec’est exact, et que c’est profondément regrettable.Il s’agit simplement de faire au mieux avec ce quenous avons. En particulier, et je n’insisterai paslongtemps sur ce point, l’usage est de dire du maldu cours magistral, mais il constitue la seuleressource laissée aux universitaires pour assurerl’enseignement d’une matière. Un cours magistraln’est pas purement et simplement de la spécula-tion, de la dogmatique, cela peut être unediscussion des solutions : sur ce point, chacun faitexactement comme il veut. Mais je crois qu’il fautaussi être un peu réaliste. Le jour où des historienssortiront des facultés de droit, je ne suis pas sûrque les praticiens y trouveront leur compte ! Laculture générale, c’est quand même quelquechose que l’on acquiert en dehors de l’université,avant l’université ! Le tout est de savoir si lesétudes de droit sont organisées de telle manièrequ’on laisse respirer les étudiants. Et là sur cepoint, je crains que l’on se préoccupe davantagede faire des têtes bien pleines plutôt que des têtesbien faites.

Intervention de Bénédicte Fauvarque-CossonJe partage l’opinion de Philippe Théry. On a

beaucoup parlé de la mission de l’université quantà la formation des esprits, on a parlé des attentesdes professionnels et des entreprises, mais on amoins parlé des attentes des étudiants. Je croisqu’il faut aussi prendre les choses par ce côté-là,car ce qui va faire le marché de l’enseignement du

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droit, ce sont les attentes des étudiants, et de leursparents éventuellement prêts à financer desétudes coûteuses. Ces attentes rejoignent cellesdes entreprises avec une prime aux doubles forma-tions dont on voit le succès aujourd’hui :formations dans deux disciplines ou formations àl’étranger. Il faut les développer.

Les attentes consistent aussi en un enseigne-ment plus poussé des langues vivantes,notamment en anglais juridique. Le débat sur laquestion de la part de l’anglais dans l’enseigne-ment du droit dans les universités est important.L’attente des étudiants est très forte, et il faut entenir compte. Dans un monde qui devient de plusen plus technologique et scientifique, idéalement,il faudrait aussi que nos étudiants reçoivent unecertaine culture générale en ces domaines, maisce n’est pas la mission de l’université. Aussifaudrait-il laisser plus de temps aux étudiants pourqu’ils puissent eux-mêmes acquérir des connai-sances dans les disciplines qui les intéressent. Avecle développement des cours à distance, nosétudiants peuvent suivre gratuitement des coursd’universités américaines ou autres. Cela leurpermet de recevoir une formation dans d’autresmatières, avec des méthodes différentes. Il fautleur en laisser le temps.

Intervention de Guillaume DragoJe crois que le malheur des hommes est de ne

pas savoir choisir. Et l’un des malheurs de lajeunesse est que personne n’aide les jeunes àchoisir. À la fois le choix de vie, mais aussi, évidem-ment, le choix d’études. Je considère que notrevocation, en tant que professeurs de droit, c’estde leur annoncer clairement la couleur, de leur dire« vous entrez dans un monde, qui est le mondedes juristes, dans lequel on va vous demander uncertain nombre de qualités, et on va vous fairerentrer dans un d’univers dans lequel vous n’allezpas trouver beaucoup de relation entre lesmatières, les choses, les thèmes, les sujets », maisle rôle du professeur est justement de créer, au fildes années, cette relation. Mais cela se fait, malgrétout dans un domaine déterminé, où on a besoinde former des juristes généralistes, qui seront despublicistes, des privatistes, ou des historiens dudroit. Il faut donc quand même donner à un

moment ce message à l’entrée dans l’université.Par là, je veux dire qu’il faut que les études de droitsoient cohérentes et le restent.

Ensuite, sur la pluridisciplinarité et la culturegénérale, la question est essentielle, car on nepeut pas enseigner le droit à des gens qui neconnaissent pas l’histoire de leur pays. Pour moiqui enseigne le droit constitutionnel, c’est uneévidence, il faut connaître l’histoire générale, et cepeut être le cas pour toutes les matières. On nepeut pas tout reprendre, d’une certaine façon. Jesuis tout à fait partisan de la pluridisciplinarité,mais elle peut être vue sur le plan scientifique,c’est-à-dire au plan des rapports entre scienti-fiques de plusieurs disciplines, sans qu’il soitabsolument nécessaire de l’imposer à desétudiants auxquels il faut dire qu’ils ont fait lechoix d’un certain type de métier. Et c’est d’unecertaine façon, pour revenir aux propos de notrecollègue, la critique que je ferais, on doit aider lesjeunes étudiants qui arrivent pour faire des étudesde droit à prendre des décisions sur leur choix devie et de métier. Et tout de même, il faut le faire àun moment donné. J’avoue que je suis assezinquiet du fait du projet de loi actuel, qui prévoitune licence beaucoup plus pluridisciplinaire.Qu’elle soit pluridisciplinaire dans un secteurdonné, je l’admets tout à fait : les facultés de droitle font, et cela mérite d’être remis sur le métier,mais dans une certaine limite, dans une certainemesure. Le malheur des hommes, c’est de ne passavoir choisir ce qu’ils veulent faire.

Denis MazeaudNous passons tout de même beaucoup de

temps à répondre aux questions. Alors, évidem-ment, ce ne sont que des questionsindividualisées, mais il y a tout de même un centred’information, et d’orientation ; il existe des struc-tures dans l’Université. Peut-être est-on troppessimiste ?

Intervention de la salleJe pense qu’il faudrait aussi parler de péda-

gogie, qui est fondamentale lorsque l’on parled’enseignement. Et, en tant qu’étudiant, jedéplore la non utilisation par les enseignants decertaines technologies, tels les outils informatiquespermettant de faire des recoupements avec

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plusieurs disciplines. Un exemple assez simple :dans les salles de travaux dirigés au centre Assas,il y a des écrans géants neufs, qui ne sont pourainsi dire jamais utilisés. C’est dommage : cesécrans permettraient de faire des schémas, dediffuser des documents qui permettraient d’enri-chir l’enseignement ou encore de faire desrecoupements avec d’autres disciplines. Et celadonne des stagiaires ou des avocats qui ne saventpas faire des recherches sur Internet, car personnene l’enseigne, et il faut l’apprendre soi-même, enstage, alors que ce n’est pas forcément évident.J’espère qu’à l’avenir, ces moyens seront plusutilisés, pour une meilleure pédagogie, car il fauttransmettre ce savoir aux nouvelles générations,afin qu’elles puissent s’adapter à ce nouveau typede supports.

Intervention de Pierre-Yves GautierÀ la bibliothèque universitaire, à Assas, une

assistance vous permet de vous initier à larecherche. Et en première année, me semble-t-il,nombre de professeurs expliquent comme celafonctionne.

Intervention de Didier R. MartinJe voudrais dire simplement quelques mots de

mon expérience personnelle. Ayant bien écoutétout ce qui a été dit, j’aimerais d’abord vousdonner mon sentiment : moi, je ne vends pas destondeuses à gazon prêtes à l’emploi. Je suis ensei-gnant, et lorsque l’on parle de formation, il nes’agit pas de livrer des étudiants clé en main à descabinets d’avocats ou des études de notaires. Cequi m’intéresse et me fait plaisir dans l’enseigne-ment, et ce que je crois devoir apporter auxétudiants, ce sont la rigueur de raisonnement,l’aptitude à résoudre un problème juridique, etsavoir où trouver les solutions pour le résoudre.

J’ai entendu tout à l’heure qu’il valait mieuxdes têtes biens faites que des têtes bien pleines,c’est ce que l’on répète depuis quarante ans dansles universités, et la situation va de mal en pis, caron a empilé les matières. Il faut diminuer lenombre de matières et revenir à un enseignementdu droit qui soit un peu plus dynamique. Il fautdonner aux étudiants le loisir de réfléchir à cequ’ils font, à leur discipline, et ne pas les stresseravec des examens en permanence. De ce point de

vue la réforme de l’enseignement supérieur a étéune catastrophe. Il faut à mon avis diminuer lenombre de matières et d’examens, et peut-êtresonger à un rééquilibrage entre les cours magis-traux et les travaux dirigés : les cours magistrauxont une utilité, mais n’y a-t-il pas beaucoup decours magistraux, peut-être trop pour lesétudiants ?

Quant à la pluridisciplinarité, on a déjà du malà former des juristes, on ne va pas en plus formerdes historiens ou autres, même si certainsMasters 2 le font très bien. Ceci relève d’un choixpersonnel des étudiants à un certain niveau deleurs études, pas dans les premières années entout cas. C’est au fur à mesure que l’étudiant vapoursuivre ses études de droit qu’il va ressentirce besoin de s’ouvrir sur d’autres disciplines,comme la philosophie, la littérature, l’économie,mais pas en faculté de droit. Nous sommes làpour former des juristes, ce que nous pouvonstrès bien faire en réduisant le nombre dematières.

Intervention de la salleIl y a beaucoup de chargés de travaux dirigés

à Paris II qui sont pluridisciplinaires, et riches d’unecertaine expérience. Certains assistants sontuniversitaires, doctorants, d’autres sont des prati-ciens. Ne faudrait-il pas réfléchir à réorganiser lesemestre, pour que chaque étudiant bénéficie à lafois de l’apport des uns et des autres ?

Intervention de Michel VivantJe suis tout à fait d’accord avec ce qui a été

dit, mais voudrais intervenir sur deux points parti-culiers. Je pense que, comme l’ont dit certainscollègues, se recentrer sur certaines questions peutêtre une bonne chose. L’importance des fonda-mentaux a été soulignée, tout comme l’idée qu’unempilage n’est pas la solution à quoi que ce soit.Il faut certainement définir ce que l’on souhaitefaire. Sans revenir longuement sur l’expérience deSciences Po, cela a été notre première démarche,nous disant que nous ne serions jamais un petitParis II, nous poussant ainsi à nous questionner surce que nous voulions faire, sur nos objectifs.

Deuxième chose, même s’il y a un recentrage,je pense qu’il est important, dans l’idée de forma-tion générale, et pour les besoins aussi de la

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pratique, que nous ne soyons pas refermés sur ledroit. Là aussi, cela ne veut pas dire qu’il faut s’enéloigner par trop, mais cela veut dire qu’il estnécessaire d’éviter cette vision d’un droit refermésur lui-même. Jean Carbonnier parlait du positi-visme clos sur lui-même : évitons le droit clos surlui-même. Ceci ne veut pas dire que tel ou telenseignement doit se rajouter aux autres, maisqu’il faut comprendre la règle par son histoire, sadimension économique, étudier sa compréhensiongéopolitique, etc. Et là, peu importe finalement defaire un enseignement portant sur tel ou tel objet.Si nous voulons former des étudiants qui soientprêts à réfléchir et comme prêts pour la vie profes-sionnelle, il faut se concentrer sur la méthode. Siun professionnel ou un universitaire forme lesétudiants sur ce qui se passe dans le sud-est asia-tique, et que demain, cet étudiant est envoyé enAmérique latine, peu importe : ce qui est impor-tant, c’est qu’il aura vu une autre approche et auraperçu les choses autrement. Il y a certes desapproches différentes selon les écoles, mais, entermes de pédagogie générale, je pense qu’onpeut se retrouver là dessus.

Philippe ThéryJ’aimerais évoquer une question à propos du

temps de la formation en général, et celui de laformation spécialisée, en apportant une précisionfactuelle en tant que directeur d’IEJ. Toutes lesprofessions auxquelles on accède après avoir faitdes études de droit requièrent un diplôme quin’existe plus dans les textes, mais qui existe encoredans les faits, la maîtrise. De ce fait, dans lesfacultés de droit, et encore plus dans les univer-sités qui sont monocolores ou quasiment, commela notre, la réforme du LMD n’a pas eu de véritableécho, tout simplement parce que nous devonsmener nos étudiants à la maîtrise, et que la licencen’est généralement pas un diplôme suffisant ! Eneffet, il n’y a pas de sélection après la Licence 3,et même s’il y en avait une, cela signifierait que lamoitié de nos étudiants ne pourraient être ninotaires, ni avocats, ni huissiers de justice. Et cettecontrainte, qui a l’air étrange et secondaire, a jouéun rôle considérable dans la réflexion que nousaurions dû avoir, mais que nous n’avons pas puavoir lors de la réforme des enseignements.

Jean-François GuilleminPermettez-moi de revenir sur le concept de

juriste « clé en main ». Dans le cadre du débat encours aux États-Unis, beaucoup d’avocats expli-quent que leurs clients en ont assez de payer laformation des jeunes juristes par leurs cabinets, ilsreprochent aux universités de ne pas leur livrer desjuristes immédiatement opérationnels.

Je ne crois pas du tout à la pertinence de cettecritique et à l’idée selon laquelle il serait possiblede former au sein des universités des juristes« clé en mains ». Chaque secteur d’activité est unmonde complexe. Par exemple les Telecoms sontun univers extrêmement sophistiqué et il est illu-soire d’attendre des universités la mise àdisposition de juristes Telecoms rapidement effi-caces. Je pense que les entreprises, les cabinets,les praticiens ont et auront toujours la responsa-bilité fondamentale de professionnaliser, deformer leurs jeunes juristes à l’exercice de leursactivités professionnelles. Je vais plus loin, il mesemble que ce serait une erreur fondamentale deraisonner autrement : l’entreprise connaît mieuxque quiconque son métier et son secteur d’acti-vité. Le savoir-faire juridique est devenu unecomposante de sa compétitivité. Avoir cette ambi-tion, bâtir et former une équipe juridique interneperformante et apte à répondre à tous les défisque présentent les métiers de l’entreprise… Celaest indispensable pour la performance et la péren-nité des entreprises, en tout cas les grandesentreprises. En revanche, bien sûr, il faut que lesuniversités fournissent de jeunes collaborateursqui sont devenus des juristes de très bon niveaugrâce aux deux premiers temps de formationqu’elles seules peuvent dispenser.

Hervé CrozeJ’aimerais que l’on évite dans cette discussion

le « syndrome des fusions-acquisitions ». J’ai l’im-pression qu’on parle beaucoup des juristes de droitdes affaires, à propos des doubles formations avecles écoles de commerce. Je voudrais rappeler toutde même que la population des juristes est extrê-mement diversifiée : certains font du droit de lafamille, du petit pénal, et ils auraient, par exemple,besoin de formations en psychologie, pour gérerles médiations. Mais alors, où s’arrête la formation

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à l’intérieur des facultés de droit ? Doit-on donnerdes formations supplémentaires dans certainssecteurs ? Nous avons vu les aspects internatio-naux, qui peuvent être très différents selon quel’on est publiciste, privatiste, etc. Bref, il y a un vraidéfi dans la définition du « socle commun » de ceque devrait être la formation juridique.

Intervention de Didier TruchetJ’allais dire presque la même chose. L’avenir de

l’enseignement du droit, c’est donc notre théma-tique. Mais quel est l’avenir du droit que nousdevons enseigner ? C’est l’une des difficultés quel’université éprouve, plus que les écoles spéciali-sées, parce que nous devons être généralistes.Nous formons autant de juristes se destinant auxadministrations et professions publiques qu’auxprofessions judiciaires et réglementées dont nousavons parlé jusqu’à maintenant. C’est une vraiedifficulté, qui a mon avis est plus importante quela distinction, certes présente, mais assez artificielleentre théorie et pratique. La difficulté est de savoir,devant l’inflation des règles et des sources derègles, quel est le droit à enseigner. Est-ce un droitpar matières ? Par métiers ? Par grandes disci-plines, de droit public ou de droit privé ? Et est-ceque nous devons, dans les premières années, êtregénéralistes, ou former des spécialistes ? C’est peuévident.

Une observation à propos de la pédagogie. Entermes de formation des étudiants, la monocul-ture intensive, exclusive, perpétuelle ducommentaire d’arrêt est tout à fait nocive. Il fauten faire, mais cela entraîne à comprendre desmécanismes sur des décisions déjà rendues, non àfaire soi-même un processus de décision. Nosconcurrents sont ici nettement meilleurs. Je plaideinlassablement et pratique auprès de mesétudiants de deuxième année pour le développe-ment de la technique de la note de synthèse.

Intervention de la salleSciences Po et les écoles de commerce se

présentent comme des formations formant lesfuturs décideurs, pas seulement dans les adminis-trations. Nous, universitaires, sommes traités parle Gouvernement comme des enfants qui jouentdans leur bac à sable, et ne nous présentons pascomme ceux qui forment non seulement des

juristes, mais qui aussi des personnes qui contri-buent à l’Etat de droit et à la défense des valeurs,et qui garantissent la démocratie. Et je crois quenous-mêmes, nous avons intérêt à nous ressentircomme ayant un rôle fondamental dans la société.

Intervention d’Alain GhoziJe voudrais faire plusieurs remarques, de

nature différente.L’un des handicaps de notre discipline tient

dans ce que nous ne sommes plus perçus commedes acteurs de la vie publique. Sous la TroisièmeRépublique, le juriste était un individu considéréen tant que tel ; sa formation juridique lui confé-rait un statut dans la cité. Certes, aujourd’hui, il ya une évolution vers la reconnaissance, dans l’en-treprise, de l’autorité des juristes d’entreprise,grâce en particulier au droit pénal et au risque depoursuite des dirigeants il faut bien le reconnaître.Mais il est certain que les juristes ne sont plus àprésent perçus comme des gens importants. C’estpourquoi les pouvoirs publics traitent nos facultéscomme des structures d’accueil de lycéens qui nesavent que faire de leur baccalauréat : le coût dela formation d’un étudiant par les facultés de droitest minime en comparaison de ce qu’il en est dansles IUT, classes préparatoires aux grandes écoles etdans les grandes écoles.

Une remarque sur la pluridisciplinarité. L’invo-quer sert à régler deux types de problèmes :former un public qui vient au droit faute d’avoirtrouvé une autre formation d’un côté et ouvrirl’accès de métiers complexes à des étudiants quisont intéressés par le droit.

Recevoir ces étudiants parfois perdus nousconduit en réalité à pallier un certain nombre defaiblesses du secondaire ; et l’on nous demandeen particulier de mettre à niveau autant que fairese peut, d’encadrer et de former ce public que lesecondaire a négligé.

L’autre aspect du problème est de sensibiliserdes personnes sachant raisonner en droit à desmétiers qu’ils pourraient rejoindre ultérieure-ment. De sorte que la question de fond se poseen amont : il s’agit de l’orientation des lycéensvers les études correspondant à leurs aptitudes età leur goût ; elle avait été réglée naguère par ledeuxième bac. Or les pouvoirs publics l’ont

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supprimé, et ils ne savent plus comment le réin-venter à moins que telle soit la fonction non ditedes classes préparatoires aux grandes écoles ?Plus grave, ils sont en train de contourner lebaccalauréat actuel par une sorte de nouvellelicence qui permettrait de passer aisément de laclasse de seconde à la Licence 3. C’est un premierproblème.

Enfin, travailler dans un secteur exigeant uneformation pluridisciplinaire, comme les télécom,c’est un exemple, soulève une autre difficulté : onne peut pas enseigner à un étudiant de premièreannée le droit des télécoms ! C’est une impostureque de le laisser croire, or nous savons que desétablissements font de la publicité là-dessus.

Une chose est de savoir comment fairecomprendre à des lycéens ce qu’est le droit, cequ’il exige et où il conduit, autre chose est la sensi-bilisation aux métiers. Nous avons dans cettemaison un exemple au succès permanent, quiatteste que l’on ne peut pas apprendre tout dès lapremière année, c’est l’Institut de criminologie :c’est à partir de la troisième année au plus tôt, etsurtout à partir de la quatrième et de la cinquièmeannées que l’on enseigne la psychologie, le profi-lage criminel, à des personnes qui, au fil des cours,déjà reçus, de droit pénal et de procédure pénale,ont découvert progressivement l’intérêt qu’ellespourraient retirer de la criminologie.

Intervention de la salleUne simple question d’une étudiante aux

enseignants : travaillez-vous ensemble entre lesdifférentes matières, par exemple entre le droitadministratif et le droit civil ?

Philippe ThéryLa division des matières est bien plus profonde

dans la tête des étudiants qu’elle ne l’est dans celledes enseignants ! Mais cela ne retire rien à la perti-nence de votre question.

Denis MazeaudBien sûr, il y a une dissociation et peu

d’échanges. Mais cela arrive, je me souviens avoirfait un cours sur les antennes relais avec YvesGaudemet, on a chacun parlé une demi-heure auxétudiants de deuxième année. Cela reste ponctuel.

Intervention de la salleQu’en est-il des différences dans le travail

demandé entre les différentes « équipes » entrelesquelles sont divisées les années ? Par exemple,les étudiants estiment souvent qu’il existe desdifférences sensibles dans la charge de travail(quinze fiches d’arrêts et un commentaire dans uncas, deux ou trois arrêts et pas de travail écrit àrendre dans un autre), voire dans les exigences auxexamens (plus d’étudiants aux rattrapages pourtelle équipe, sujets plus difficiles, notation plussévère, etc.). C’est un vrai problème.

Intervention de Didier TruchetVous soulevez un problème auquel les

étudiants sont extrêmement sensibles, au nom del’égalité. Mais il est certain que nous aurons desdifficultés inéluctables liées au fait qu’entre lesdeux équipes, les résultats peuvent être sensible-ment différents. Qu’il y ait une grande diversité deméthodes pédagogiques, voire de sévérité, cellede l’un étant compensée par l’indulgence del’autre, c’est aussi une forme d’apprentissage dela vie professionnelle et juridique. Il ne faut pastout formater, normaliser, et il est assez sain queles étudiants soient confrontés à une diversité deméthodes pédagogiques, de notation ou detravail. Cela fait partie de la formation.

Intervention de Michel VivantUn simple témoignage : lorsque j’étais

étudiant en première année de droit, je merappelle que le cours d’introduction au droit étaitassuré par un trio : l’enseignant de droit privé,celui de droit public et celui d’histoire du droit. Cesprofesseurs s’étaient livrés à un exercice assezremarquable d’organisation, d’homogénéisation,et c’était une façon de montrer de manièreconcrète les liens entre les disciplines.

Intervention de la salleMonsieur Théry, vous dites que considérer une

sélection à partir de la licence pour entrer enMaster serait difficile, car cela empêcherait lesétudiants de devenir avocats par exemple. Maispourquoi penser impossible d’avoir une sélectionprogressive, pour éviter d’arriver en Master 2 enétant trois cents étudiants à postuler ?

Par rapport à la formation en droit étranger,pourquoi ne serait-il pas intéressant de voir quellessont les méthodes d’enseignement utilisées, parti-culièrement dans les pays anglophones, proposant

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quatre ans de formation de socle commun, avecensuite la possibilité d’entrer dans la vie profes-sionnelle, pour suivre ensuite un Master avec desenseignements différents, tournant autour dedébats, après une pratique et une formation théo-rique ?

Philippe ThéryJ’ai passé deux années à Oxford, et si j’avais à

réorganiser l’université française, je le ferais volon-tiers comme cela. Simplement, il est difficile demodifier huit cents ans d’université comme cela.La question de la sélection est une question quime paraît très compliquée.

Je ne suis pas favorable à une sélection à l’en-trée à l’université, pour une raison qui n’a rien dejuridique : il doit exister dans un système d’ensei-gnement supérieur une voie ouverte pour ceux quiveulent y entrer. Le droit joue plus ou moins ce rôleaujourd’hui. Il y a des exemples d’avocats ou deprofesseurs agrégés célèbres avec des bacs tech-niques : si nous avions pratiqué une sélection tellequ’elle peut être pratiquée raisonnablement,suivant dossier, ces gens seraient morts avantmême d’arriver ici. Je n’en suis donc pas partisan.Il y a une autre raison de fond : personne n’estcapable, au stade du baccalauréat, de dire quellessont les qualités requises pour faire un juriste. Onpeut naturellement dire quelles sont les qualitésrequises pour faire un bon étudiant.

Par ailleurs, la sélection est quand même faiteau cours des études. On nous reproche de« jeter » littéralement des étudiants à la poubelle,mais il faut être conséquent : on laisse rentrer lesétudiants à l’université, il faut aussi que l’universitéait la possibilité de les juger. S’il faut savoir si nousles jugeons bien ou mal, et nous essayons de lesjuger correctement, non arbitrairement, il meparaît inévitable, dans le système que nousconnaissons, que les étudiants qui entrent à l’uni-versité n’en sortent pas tous diplômés. Là où lesétudiants sortent tous diplômés, c’est dans lesuniversités avec une sélection à l’entrée. Si ellen’est pas faite avant, il faut la faire pendant.

Il faudrait quand même arriver à fairecomprendre qu’on ne peut pas demander à l’uni-versité de tout traiter ! Nous ne sommes pas desformateurs, ni des conseillers d’orientation. On

nous demande simplement d’enseigner le mieuxpossible, et de tirer le plus grand nombre d’étu-diants possible vers ce que nous pensons être unebonne formation de juriste. Quand on mereproche de mettre des étudiants dehors, jeréponds que c’est le système qui est ainsi ; aumoins, il a permis de les laisser entrer. On ne peutpas non plus reprocher aux universités cette élimi-nation en cours de route.

Hervé CrozeSur les méthodes pédagogiques étrangères, il

faut savoir de quoi on parle. J’ai essayé, avec desétudiants français, le système consistant à discuter,dans le cadre du cours, sur des documents remisavant, à l’américaine, en utilisant Internet et unebase de données. Cela a absolument échoué.D’abord, dans un amphithéâtre, quand unétudiant voulait prendre la parole, il n’avait pas demicro. Ensuite, pratiquement aucun étudiantn’avait lu ce qu’il fallait lire. Et l’un de mes amisqui enseigne à Sciences Po m’a dit que ce qui estmerveilleux avec ses étudiants, c’est que lorsquel’on leur dit de lire les choses, ils le font. Cela veutdire que si vous avez de bons étudiants, vouspouvez travailler avec un matériau de luxe, et l’onvoit ça dans les magistères. Pour la masse desétudiants, je ne suis pas sûr que, techniquement,les méthodes de l’enseignement à l’américainefonctionnent.

Par ailleurs, je me demande toujours s’il y a unlien entre l’enseignement et le système juridiqueque l’on enseigne. Est-ce qu’on peut enseigner lacivil law comme la common law ? ChristopheJamin m’a ébranlé là-dessus, avec l’évolution dessources du droit, qui fait que l’on est réduitaujourd’hui à avoir une méthode de pensée quin’est plus la méthode déductive avec un Code civilet une Cour de cassation. Peut-être que l’on vaêtre obligé de basculer dans un autre monde et ilfaut en tenir compte. Il y a une vraie question làdessous : le système de droit ne conditionnerait-ilpas l’enseignement du droit ?

Jean-François GuilleminVous parlez des méthodes pédagogiques. Je

ne me permettrai pas d’intervenir sur ce sujetdevant autant de professionnels de l’enseigne-ment ! Mais je suis sûr que le choix des méthodes

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doit procéder de la recherche de deux objectifs.Cela est très important car les jeunes juristes quenous accueillons dans nos entreprises et qui sontissus des universités ont deux faiblesses.

La première, déjà évoquée par un intervenant,est le niveau de l’exposé oral et de l’écrit. Cettefaiblesse est d’autant plus fâcheuse, que plus letemps passe et plus le juriste devient la voix et laplume de l’entreprise. Parce que les autres colla-borateurs, par exemple les ingénieurs, ont deslacunes dans ce domaine. Parce que les entreprisesont dans tous les aspects de leurs activités un souciaccru de prévention des risques juridiques. Parceque les régulateurs, ces nouveaux acteurs, necessent d’accroître leur interventionnisme ce quiaccroît non seulement la sollicitation des juristesmais l’importance de leur rôle.

La seconde faiblesse est la difficulté à travailleren équipe. C’est un véritable handicap qui péna-lise les juristes. Malheureusement il les différenciebeaucoup des collaborateurs issus d’écoles d’in-génieurs ou de commerce qui sont eux plutôt bienpréparés à cette dimension essentielle de la voieprofessionnelle. Par exemple, et c’est très curieux,les jeunes juristes ont du mal à donner un avis, àapporter la contradiction, à débattre… En sommeils sont mal préparés au délibéré, exercice qui estpourtant au cœur de l’activité juridique !

Kami HaeriMême si, en tant que professionnels du droit,

le besoin est celui d’un cycle très court, la duréede vie et d’exploitation du produit juridique est deplus en plus longue. Aujourd’hui, les notes quenous pouvons être amenés à produire auront deseffets longtemps. La précision avec laquelle nousdevons rédiger est donc extrêmement importante.C’est dans sept ans que tel régulateur viendrainterroger le membre de telle entreprise sur lesraisons qui ont poussé, sept ans auparavant, àprendre telle décision. On est aujourd’hui dans ledomaine de l’inter-régulation : le même fait juri-dique est appréhendé par plusieurs régulateurs,avec des pouvoirs concurrents, pendant despériodes rendues plus longues par la pérennisationet l’intégrité des archives électroniques. Ce produitjuridique va soulever différentes questions àtravers différents prismes. Il faut donc être d’au-

tant plus attentif à la rédaction, voire à la dimen-sion stratégique de ce que nous produisons.

Intervention de Cécile ChainaisLes stimulantes observations faites par les

intervenants m’évoquent trois types de remarques.En premier lieu, nous sommes peut-être un

peu sévères sur le rôle que pourrait jouer la culturegénérale dès la première année de licence. On nepeut pas se contenter de dire que son introductionen première année conduirait à alourdir les ensei-gnements et que l’idée doit donc être écartée.Proposer la culture générale en première annéeaurait la grande vertu de permettre une continuitéavec certaines matières enseignées au lycée, àcommencer par la philosophie, qui développe chezeux une forme d’esprit critique extrêmementprécieuse.

Ayant longtemps enseigné la culture généraleà l’IEJ, j’ai constaté que les étudiants connaissent,au fil de leurs études juridiques, une forme d’assè-chement dans leurs connaissances extra-juridiques.Plutôt que de proposer des enseignements deculture générale seulement en Master 2 ou dans lecadre de l’IEJ après avoir laissé ce domaine endéshérence pendant les premières années de droit,il pourrait être opportun de le faire dès la premièreannée et de cultiver ainsi les acquis, fussent-ilsmodestes, du lycée. Mais encore faut-il préciser cequ’est la culture générale, dont il ne faut pas avoirune vision encyclopédique. En réalité, la culturegénérale consiste avant tout en un ensemble deméthodes de nature à développer l’esprit critique,à expliquer comment aborder un sujet, et à déve-lopper chez l’étudiant la volonté de questionner unsujet avant d’y répondre. Le droit comparé remplitd’ailleurs la même fonction, lui qui nous incite àrenouveler notre regard, à voir autrement lesthèmes proposés. Ce déplacement du regarddevrait être cultivé et renforcé durant les étudesjuridiques, beaucoup plus qu’il ne l’est aujourd’hui.

En deuxième lieu, il faut insister sur unemission nouvelle, essentielle, de l’enseignementuniversitaire : transmettre aux étudiants le sens dela hiérarchie des sources d’information juridique.Le nivellement des informations lié à leur accessi-bilité sous forme électronique et particulièrementsur Internet pose des difficultés nouvelles. C’est

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particulièrement sensible en première année, oùles étudiants ne font pas la différence entre un« blog » plus ou moins juridique et une sourceélectronique autorisée telle qu’une revue juridique.On a même vu certains étudiants de Master 2 (peunombreux heureusement !), reproduire dans leursmémoires, des extraits d’articles repris directementde Wikipédia ! C’est dire qu’il entre désormaisdans les fonctions de l’université d’aider lesétudiants à aborder les sources électroniques demanière critique puisque c’est avec ces sourcesqu’ils travailleront dans le futur.

En dernier lieu, un mot sur la pédagogie à l’uni-versité. D’une part, il faudrait, dans l’idéal, que lesenseignants-chercheurs titulaires fassent eux-mêmes les travaux dirigés… mais on sait bien quenos structures et le manque de moyens ne lepermettent pas ! Cette mission incombe donclargement aux doctorants. Il faudrait, en consé-quence, faire porter l’effort sur la formation de cesjeunes enseignants et « former les formateurs » ;nous devrions davantage réfléchir à la meilleuremanière d’« apprendre à apprendre » aux docto-rants lorsqu’ils font leur première expérienced’enseignement, notamment dans le cadre ducontrat doctoral. D’autre part, il y aurait certaine-ment des progrès à faire quant à l’éventail desexercices pédagogiques (dissertations, commen-taires d’arrêt, commentaires d’articles, caspratiques, etc.) proposé aux étudiants en première,deuxième, troisième et quatrième années de droit.Il faudrait veiller à ce que chaque étudiant ait bienété formé à l’ensemble de ces exercices à la fin deson parcours, indépendamment des préférencespersonnelles qui animent parfois tel ou tel ensei-gnant pour tel ou tel de ces exercices.

Intervention de la sallePlusieurs professionnels ont indiqué leur

souhait que l’on enseigne aux étudiants les règlesgénérales, et un étudiant souhaite que les profes-seurs discutent entre eux sur les sujets et lesmatières. Est-ce qu’il ne serait pas opportun,pour certaines matières telles que le droit de laresponsabilité ou la procédure, de faire des ensei-gnements qui dépassent les disciplinesuniversitaires que sont le droit public, le droit privéou le droit pénal ?

Marie-Laure CoqueletL’idée d’un cours de droit de la responsabilité

transversal, avec un enseignant de chaque spécia-lité ne serait pas évident à monter. Il y a desexpériences à Nanterre, en Master 1, sur le droitprocessuel, où il s’agit d’avoir une approche trans-versale du procès ; c’est un exercice passionnantpour l’enseignant, mais je ne sais pas commentcela est reçu par les étudiants.

Intervention de Jean-Sébastien BorghettiEn lien avec la question de ces magnifiques

écrans que nous avons à Assas et n’utilisons pas,je voudrais ajouter que nous n’avons toujours pasde vidéoprojecteur dans tous les amphis, ce qui estdommage. Il me semble en outre qu’une forma-tion des enseignants serait la bienvenue, qui nouspermette de savoir comment utiliser intelligem-ment ces nouveaux moyens technologiques. Parexemple, faire un Powerpoint en première annéen’est guère évident, si l’on souhaite faire autrechose qu’un résumé du cours et utiliser pleine-ment les ressources qu’offre le recours à l’image.Nous gagnerions à être formés sur les aspectspurement techniques, mais aussi sur la manièred’utiliser de manière intelligente ces instruments,pour éviter qu’ils ne tendent qu’à appauvrir lemessage, mais viennent au contraire l’enrichir.

Juste une anecdote. J’avais entrepris, il y aquelques années, de communiquer mon cours àmes étudiants, afin qu’ils puissent en prendreconnaissance avant les séances et que nous puis-sions insister sur tel ou tel point en amphithéâtre.Pour transformer un cours d’amphithéâtre entravaux dirigés, c’est la méthode idéale : j’avaisvidé mon amphi à 80 %. Je n’ai manifestementpas su m’y prendre comme il fallait, mais uneformation spéciale aurait peut-être pu m’aider.

Plus généralement, il me semble évident quenous nous soucions, pour la plupart d’entre nous,de l’enseignement. Mais je suis frappé du peu dereconnaissance et d’importance qui lui sont accor-dées, sur le plan institutionnel. Le travailpédagogique prend du temps et, dans notreemploi du temps, il y a finalement peu de tempsqui lui soit réservé. La répartition des chargesadministratives n’est pas mince, nous sommessouvent en sur-service, avec beaucoup d’heures de

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cours. S’y ajoutent nos activités de recherches,voire de consultation. Le système ne fait rien pournous encourager à consacrer du temps à l’innova-tion pédagogique, même si nous le faisons parmotivation. Les modes de valorisation officieux ouofficiels des enseignants-chercheurs sont très peuliés à l’enseignement : ce sont le travail derecherche, la notoriété scientifique qui priment. Jen’ai pas l’impression que les activités d’enseigne-ment soient considérées, ne serait-ce que parceque c’est très délicat. Il y a pourtant là une vraiequestion, car si nous faisons des efforts, l’institu-tion ne nous seconde pas beaucoup.

Intervention d’Olivier BeaudSur la sélection en première année, elle est

indispensable, non pour empêcher les étudiantsd’avoir leur chance, mais parce les étudiants enpremière année n’ont pas toujours le niveaurequis. J’ai enseigné cinq ans en première année,et je pense que sur les six cents étudiants quej’avais, il y en avait deux cent qui, dès le départ,étaient voués à l’échec, car ils ne maîtrisaient pasla langue. Il y a un vrai problème : le bac s’estvulgarisé, et tout bachelier peut accéder à l’uni-versité, donc certains viennent par défaut, sansvocation, et sans avoir les compétences requises.C’est un problème de fond, vouant toutes lesdiscussions sur la méthode à tourner en rond. S’iln’y a pas de sélection à l’université, les bonsétudiants vont ailleurs, à Sciences Po, non pourapprendre des choses fondamentales mais unsavoir-faire, en petits groupes très motivés. Pareffet mécanique, les très bons étudiants vont dansles grandes écoles, et, même en droit, ne viennentà l’université que par défaut. Et nous, enseignants,sommes totalement dépendants de ce fait, etprisonniers.

Dans les universités étrangères, ce n’est pascomparable. Il est facile de former vingt étudiantstrès intéressés et triés sur le volet, et c’est parfaitd’enseigner dans ces conditions. Mais on n’est pasà Oxford ou à Yale, mais à Paris. En France, l’uni-versité est la dernière roue du carrosse. À partir delà, on peut inventer tout type de méthodologie,mais innover face à un public qui n’est absolumentpas réceptif, c’est vouer l’innovation à ce qu’elletourne en rond. Si l’on ne résout pas le problème

global, on se retrouve dans l’impasse. Nous avonsessayé d’en sortir avec le Collège et l’École dedroit, en partant du constat que nous sommes enconcurrence inégale et déloyale avec les écoles. Ilfaut bouger le verrou. Ce n’est pas forcément êtremalthusien, mais il faut permettre aux universi-taires de dire que tel étudiant a le droit d’entrerpour faire du droit, parce qu’il sait lire et écrirecorrectement. Tant qu’on n’aura pas cela, on auraune dégradation perpétuelle et continuelle de lasituation des universités.

Par ailleurs, sur la sélection en Licence 3 ou enMaster 1, elle est impossible, puisque l’UNEF s’estaccordée avec Monsieur Sarkozy à l’occasion de laloi Pécresse pour la refuser. La réforme LMD impli-quait la sélection à partir de l’entrée en M1, laFrance évidemment fait exception, et pour desraisons politiques qui n’ont rien d’universitaires, cequi est un contre-sens total et majeur.

Sur la pluridisciplinarité, nous sommes tropspécialisés, et je suis favorable à ce qu’on essaied’ouvrir un peu la formation à d’autres disciplinesque le droit. Il faut réfléchir sur l’enseignement àl’université, pour une raison très simple, qui estque, pour la carrière, ce n’est pas valorisé. Être unbon enseignant ne rapporte rien à un bon univer-sitaire, donc comme l’universitaire est un animalrationnel, il voit là où est son intérêt, qui est defavoriser la recherche sur l’enseignement. C’est unpeu pessimiste tout ce que je raconte, mais celame paraît correspondre à la réalité.

Intervention de Dominique FenouilletIl y a des universitaires qui, je crois, sont

soucieux de pédagogie, même si cela ne se traduitpas forcément par des innovations extraordinaires,et je pense qu’un certain nombre d’entre noussont attentifs à susciter un certain intérêt auxétudiants pour leur matière.

Sur la sélection, nous n’aurions que desmauvais étudiants, car les étudiants viendraient àla faculté de droit par défaut. Je ne crois pas dutout que ce soit vrai, il y a de très bons étudiantsen première année de droit. Si certains vontailleurs, c’est leur liberté. Et il ne faudrait avoirchez nous que les meilleurs étudiants en procé-dant par le biais d’une sélection. Mais le systèmesecondaire n’est pas infaillible, et il est indispen-

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sable de laisser à des étudiants qui, jusqu’au bac,ont eu un parcours chaotique, la possibilité dedécouvrir une matière nouvelle, qu’ils n’ont jamaisétudiée jusque-là, et qui leur permettait d’exceller,et d’apporter beaucoup de diversité à l’université.Je pense que s’il y a vraiment une fausse bonnepiste, c’est celle de la sélection.

En revanche, une fois que les étudiants ont étéacceptés à l’université, il faut qu’on leur donne lesmoyens de s’en sortir, notamment en aidant ceuxqui ont des difficultés ; cela est effectivement unenécessité absolue. Nous avons fait, à Paris II, unparcours qui se veut d’excellence, et de la mêmemanière il nous faut un système qui permette auxétudiants en difficulté de s’en sortir, en leur offrantde vraies compétences linguistiques, historiques.Mais de là à dire qu’à la fin du baccalauréat, onpeut exclure certains étudiants sur la base d’unesélection, je crois cette piste désastreuse. Elle estmauvaise pour les étudiants et pour l’université.

Intervention d’Alain GhoziMonsieur Croze, je suis de ceux qui sont

certains qu’il existe une relation entre la pédagogieet la conception de la règle de droit. Notre systèmejuridique est de droit civil ; le raisonnement estdonc déductif ; et il n’y a pas lieu de confondrel’analyse du fait avec la déduction de la solution.Or, telle est la confusion que l’on veut actuelle-ment véhiculer lorsque l’on met sur le devant dela scène tel bâtonnier, peut-être en mal de coursinnovants (?), pour expliquer que nous formonsmal nos étudiants. Sur ce point, nous pourrionsdébattre très longuement.

Pour ce qui est des remises à niveau, leparcours dit « de la réussite » est mis en œuvre àParis II ; il s’agit d’un parcours constitué par l’en-seignement des matières fondamentales du droitet, au titre de disciplines complémentaires, desmatières où les résultats dans le secondaire sontinsuffisants pour suivre une formation juridiqueavec des chances de succès raisonnables (ainsi dela langue française en particulier) : sur lesétudiants qui étaient voués à l’échec total enraison de leurs lacunes avérées, 35 % ont étéreçues à l’examen terminal. Donc l’on en a sauvé35 %. D’ores et déjà, les personnes qui suiventcette question à l’université essaient de passer de

35 à 40 %, et de faire mieux encore progressive-ment, si possible. Tout au plus peut-ons’interroger : est-il normal d’ajouter à la missionde l’université celle de combler les lacunes dusecondaire ?

Sur les nouvelles technologies, il y a un malen-tendu. Pourquoi fonctionnent-elles dans certainesdisciplines et non pas chez nous, en droit ? Toutsimplement parce que soit elles ne sont utiliséesque pour illustrer le cours, et alors nous faut-ilapprendre à illustrer, par schémas, ce que sont uncréancier et un débiteur pour participer à ce ventde modernité ? Soit il s’agit de représenter desconcepts : alors il nous faudrait trouver dessymboles représentatifs de nos raisonnementspour nous hisser à la pointe de l’art (convenons dereprésenter le caractère abstrait de la lettre dechange par « a », les vices de forme par « b » etl’opposabilité des exceptions par « c » et dérou-lons le raisonnement…). Si plutôt nous faisons lechoix de rester nous-mêmes, de rester à notreplace, ces technologies ne peuvent être que l’affi-chage d’un plan, et de temps en temps uneillustration.

Lorsque l’on se tourne vers l’e-learning, lemoins que l’on puisse dire, c’est que les étudesnord-américaines de l’efficacité de cette formationà distance par le recours aux nouvelles technolo-gies de la communication, ne témoignent pasd’un grand succès de la méthode ! C’est un pis-aller, un bon moyen du maintien du niveau desconnaissances, à distance, mais non un instrumentde formation des esprits, sauf à avoir unepersonne pianotant un clavier d’ordinateur en facede trois étudiants, à temps complet.

Sur le travail en équipe, il fonctionne très bienen Master 2, et non pas pendant les premièresannées : il ne peut s’organiser que dans le cadred’effectifs réduits alors que les pouvoirs publicsfont de nous des structures d’accueil comme je l’aidéjà souligné.

Intervention de la salleEn France, l’université est le seul système d’en-

seignement supérieur qui n’a pas la maîtrise deson entrée. La distinction s’installe donc entre leMaster 2 et le reste des études de droit : si vousn’avez pas de Master 2, vous n’existez pas. Ceci

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est logique : à ne pas sélectionner en Licence, onfinit par le faire plus tard, et c’est à partir de là queles étudiants deviennent reconnaissables. C’estquelque chose de très particulier dans le systèmefrançais.

Intervention d’Olivier BeaudSur la question de la sélection, j’aimerais

simplement évoquer une anecdote amusante,avec le professeur d’université qui a un fils dontles résultats sont aléatoires, et qui se retrouve ainsiconvoqué par le proviseur, qui lui dit que si celacontinue comme cela, il n’y a plus que la fac pourson fils. On en est là. Les proviseurs considèrentque l’université est la dernière solution, et c’est unphénomène global. À partir du moment où lesecteur est dominé parce qu’on n’a pas le droit desélectionner, on est structurellement inférieur auxautres établissements. Je ne disconviens pas quenous avons d’excellents étudiants en premièreannée, mais a-t-on compté le coût que représente,pour l’État, les étudiants qui n’ont aucune chancede réussir en première année ? Est-ce qu’on acompté le coût de la deuxième session, qui est uneaberration ? Elle coûte énormément, pour uneréussite extrêmement minime, et un investisse-ment considérable des enseignants. A-t-oncompté le nombre d’heures que perdent nosATER, nos thésards, à corriger des copies ? On n’apas le droit de le dire, cela, car ce n’est pas gentil,mais c’est la vérité, la réalité.

Intervention de la salleOn parle beaucoup de sélection, mais je ne

pense pas que l’université n’ait vocation qu’àformer de très bons juristes, elle doit aussi formerle juriste moyen. Il n’y a pas de place pour les seulsbons juristes sur le marché du travail. Il y a desjuristes qui travaillent dans les petites entreprises,dans les petits cabinets, dans les petits ministères,etc. Or, si on sélectionne, qui va former ces gens ?N’est-ce pas la fonction de l’université de ne pasformer seulement l’élite, mais de former lamasse ? Même s’ils ne vont pas jusqu’au bout, ilsauront ainsi la culture juridique.

Kami HaeriLa difficulté est celle de la fonction sociale de

l’université. Il est difficile de poser des limites àl’entrée en faculté de droit, même si on peut

essayer de faire enseigner le droit dans les lycées.En revanche, il est absolument nécessaire d’as-sumer une sélection progressive. L’égalité deschances à l’arrivée n’existe pas. Elle doit exister audépart. Cette croyance que tout le monde peutarriver au même résultat est fausse. Sinon, on seretrouve, comme aujourd’hui, à une sorte d’em-bouteillage à la sortie du CAPA : il y a 1 800 futursavocats, l’année prochaine, à l’EFB, et celaaugmente de 10 à 15 % chaque année ; c’estassez effrayant car nous devons offrir à ces jeunesfuturs avocats un cadre professionnel fiable. Nousdevons avoir un dialogue franc avec les universitésau sujet de l’accès à la profession. L’Universitéproduit énormément de bons juristes, mais nousne pouvons pas absorber l’ensemble de cesnouveaux diplômés, certains titulaires du CAPAvont directement travailler en entreprise. Il peut yavoir des situations d’injustice, des problèmes definancement, mais nous sommes en train derepousser un problème qui est inévitable. Nousdevons réfléchir à l’accès initial.

Je pense qu’il faut en venir à une sélection plusforte, peut-être plus progressive. Je vous donnel’exemple du CAPA, dont l’organisation coûteenviron 500 000 euros chaque année à notreprofession à Paris, mais qui est un examen qui nesanctionne qu’une dizaine d’élèves chaque année.Donc en réalité il ne sélectionne rien. Il faudraitréfléchir sur ces questions. C’est d’ailleurs ce quenous faisons au Conseil de l’Ordre de Paris. Ce quenous souhaitons à travers ces réflexions, c’est devaloriser la place du droit, sa fonction sociale, safonction économique. Même sa fonction concur-rentielle. Un exemple : on se désole souvent quela common law soit préférée dans les démocratiesémergentes. Mais pourquoi ne rappelle-t-on pasque le droit civil a un avantage concurrentielincroyable : comme il n’exige pas de constructionprétorienne pour exister (la norme écrite étantd’application plus immédiate), il est plus facile àpromouvoir dans des pays émergents. Nousdevons construire notre droit comme une fierté,mais également comme un instrument deconquête. Encore aujourd’hui, il n’y a pas assez dejuristes qui accompagnent les économistes, lesfinanciers, les entrepreneurs à l’étranger.

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Jean-François GuilleminJ’aimerais revenir sur cette phrase conster-

nante rapportée par Olivier Beaud. Je souhaitesimplement dire que le monde dans lequelj’évolue, celui des entreprises, ne partage pas l’opi-nion de ce proviseur. En tout cas lorsqu’il s’agit deporter une appréciation sur la formation dispenséepar l’enseignement du droit dans les universités.Je constate que l’intérêt porté au savoir-faire, auxcompétences juridiques ne cesse de croître. Exem-ples parmi d’autres, un directeur financier ou unresponsable commercial ne peut exercer sa fonc-tion sans s’appuyer sur les juristes. Il doit lui-mêmeacquérir un minimum de connaissances juridiquespour exercer convenablement sa fonction. Jeconstate aussi que les personnes choisies pourdiriger les entreprises sont désormais celles qui ontmontré leurs compétences à manager et àdéfendre des stratégies mais aussi celles quicomprennent et maîtrisent les questions finan-cières et juridiques. La création dans les écoles decommerce d’enseignements du droit ou demasters ou formations à dominante juridique estun signe très fort de l’importance très grandeaccordée à la compétence juridique. Et les entre-prises savent parfaitement qu’à ce jour, à de raresexceptions près, c’est dans les universités que sontdispensés les enseignements les plus complets etdu meilleur niveau.

Didier R. MartinVoilà près de cinquante ans que je suis présent

à l’université, et j’entends à peu près la mêmechose. Les propos qui ont été développés ici, je lesai entendus dès mon entrée dans le corps profes-soral. J’ai pâti de ne pas avoir été spécialementformé, mais c’est cela qui fait la magie de nostravaux dirigés, de se former sur le tas, d’êtreanimé par cette espèce de passion, d’enthou-

siasme, à la fois pour la discipline et pour l’acte depédagogie, qui fait que nos facultés tournent.C’est de l’héroïsme quotidien, et c’est de la magiequotidienne. L’université française est digne detous les compliments. On ne peut pas rougir del’enseignement français lorsque l’on va àl’étranger, et les étrangers nous signalent quenous leur envoyons des étudiants qui sont dotésd’un bagage théorique remarquable. Et je peuxvous dire que l’on revient assez fier avec cetteinformation.

Je suis donc tout à fait confiant dans l’avenirde notre enseignement, reçu comme dispensé.Qu’il y ait, à la marge, des possibilités nouvelles,des éléments de commodité, de facilité qui soientcréés, très bien, mais la formation fondamentalerestera toujours l’enseignement magistral, qui estune caractéristique française que tout le mondeveut maintenir. Un amphithéâtre bien emmené, jepeux vous dire que c’est quelque chose de fabu-leux, prenez les cours de Denis Mazeaud, auxquelsj’ai assisté ! C’est cette espèce de capacité person-nelle à éveiller l’intérêt des étudiants, même chezceux qui n’avaient pas conscience d’aimer le droit.On peut faire naître des vocations. Cela se cultive,c’est une espèce de don, de passion personnelle,qui fera lever les étudiants.

Et quand on voit la qualité de la publicationjuridique aujourd’hui, c’est qu’il doit se passer debonnes choses dans les facultés de droit. Cela nerelève pas du miracle a priori ! Nous avonsaujourd’hui une densité culturelle dans l’ordre juri-dique, comme en témoignent tous les travaux,toutes les publications, tous les colloques, cela n’apas d’égal dans l’histoire, c’est tout à fait remar-quable. Je pense donc que nous avons fait plutôtdu bon travail, je suis plein d’espoir sur l’avenir denos facultés que je défends, en dépit de toutes lesattaques administratives dont elles font l’objet.

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Pierre-Yves Gautier

P endant la première partie, nous avons vudes professeurs de droit espérer, mais

beaucoup souffrir, avec l’aide des professionnelsqui sont venus réfléchir avec nous. Dans cettedeuxième partie, nous allons discuter avec d’autresprofesseurs de droit dont la particularité est d’en-seigner et de former – nous pouvons utiliser cesdeux mots de l’enseignement et de la formationen les distinguant – en souffrant probablement

beaucoup moins. Comment, ayant été formés parl’université et enseignant pour une grande parten dehors, vous situez-vous par rapport à l’uni-versité ? C’est un autre monde, un autre temps,une autre vie, disait Michel Vivant. Êtes-vous heu-reux dans cette autre vie ?

Michel VivantSi la question est : suis-je heureux ? la

réponse est oui. Denis Mazeaud m’a assuré quele plan en deux parties, « dans l’université ; hors

Petit deux du Grand B :hors de l’université

Grand Deux • Au tour du droit

Grand A • Passage aux actes

L’enseignement du droithors de l’université1Hugues Bouthinon-DumasProfesseur associé de droit à l’ESSEC Business schoolVice-président de l’Association des professeurs de droitdes grandes écoles

Pierre-Yves GautierProfesseur à l’Université Panthéon-Assas

François-Xavier LucasProfesseur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris I)Membre du comité pédagogique de HEAD

Didier TruchetProfesseur à l’Université Panthéon-AssasPrésident du Conseil national du droit

Michel VivantProfesseur à l’École de droit de Sciences Po

1 Le style oral des interventions a été conservé.

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Grand Deux • Grand B • Petit deux : hors de l’université

de l’université », ne signifiait pas « hors de l’Église,il n’y a point de salut ». J’ai été formé par l’univer-sité et il n’y a aucune disparité, aucune coupure.

Parmi les raisons qui m’ont conduit à SciencesPo, il y a d’abord les capacités persuasives deMarie-Anne Frison-Roche, mais surtout, au fond,le fait que je me suis dis que ce qui pouvaitparaître un peu exotique ou extravagant dans lecontexte de l’université traditionnelle serait plusfacilement accepté à Sciences Po. C’était doncpour moi une expérience dans la continuité. Pourêtre plus précis quant au second point, c’est lafaculté de mettre en œuvre ce que j’évoquais toutà l’heure qui m’a paru spécialement intéressant :le fait, quelles que soient les matières en cause, depouvoir les éclairer par des dimensions écono-miques, sociologiques, etc. C’est une chose quej’avais instaurée dans les Masters dont j’avaisauparavant la responsabilité, et j’ai donc toutsimplement continué dans cette ligne à SciencesPo, mais avec plus de facilités.

Quant aux rapports avec les collègues, ils sontexcellents et le sont aussi avec beaucoup de ceuxqui enseignent en université.

Hugues Bouthinon-DumasOui, je suis un enseignant en droit heureux. J’ai

été très heureux en tant qu’étudiant à l’université,notamment celle qui accueille aujourd’hui cecolloque. Je suis également très heureux quandj’enseigne dans des programmes des facultés dedroit, notamment dans les Master 2 des universitésqui sont partenaires de mon école. Je suis heureuxen tant qu’enseignant-chercheur en droit exerçantdans une grande école, parce que j’ai le sentimentque ce que nous faisons est original et tout à faitpassionnant. Il ne me semble pas inutile de préciserd’ailleurs en quoi consiste le rôle des professeursde droit dans les écoles de management, car il y abeaucoup de méconnaissance sur l’enseignementdu droit dans les grandes écoles. C’est en effet surla base de données exactes et en tenant à distanceles préjugés que l’on peut avoir sur un type deformation relativement peu familier des juristes quel’on peut engager une discussion féconde sur laquestion de l’enseignement du droit en dehors desuniversités et son avenir.

Notre première mission est de donner uneformation juridique fondamentale – qui est néces-

sairement assez succincte - à des étudiants qui nese destinent pas aux professions juridiques. Cen’est pas parce que les étudiants des écoles decommerce, dans leur majorité, ne deviendront pasjuristes qu’ils n’ont pas tout intérêt à avoir desconnaissances juridiques élémentaires et desréflexes vis-à-vis du droit (ne serait-ce que pouréviter de passer par la « case prison » au cours deleur carrière). Il est utile pour eux d’être préparésà interagir avec des juristes car le droit joue un rôlede plus en plus important dans la vie des affaires,aux différentes fonctions qu’ils seront appelés àexercer (création et direction d’entreprises,finance, marketing, gestion des ressourceshumaines, etc.). Dans l’économie contemporaine,le droit tend même à devenir un facteur majeur decompétitivité, non seulement pour les économiesnationales, mais aussi pour les entreprises quisavent en tirer parti. Or, cela suppose que lesprofessionnels de l’entreprise et de la gestionsoient sensibilisés à l’importance du droit. Lacontribution du droit à la performance des entre-prises (approches Law & Management) estd’ailleurs un thème de recherche particulièrementétudié dans les écoles de commerce.

Notre deuxième rôle important est depermettre à des étudiants d’acquérir une doubleformation. C’est sans doute l’aspect qui nous inté-resse le plus dans le cadre de cette table ronde.Cette double formation consiste à acquérir,successivement ou simultanément, une compé-tence juridique spécifique et une compétencecomplémentaire dans les domaines de l’économieet du management.

Dans les écoles de commerce comme l’ESSEC,il y a deux modalités principales pour acquérircette double formation. La première modalitéconcerne les étudiants entrés en grande école àl’issue des classes préparatoires. Ces étudiantsadmis sur concours ont la possibilité de s’inscriredans des filières juridiques qui portent différentsnoms suivant les écoles : « cursus droit », majeures« juridiques et fiscales », etc. Dans le cadre de cesfilières, ils vont acquérir une formation juridique,à la fois dans les écoles elles-mêmes (les cours sontdonnés par des professeurs des grandes écoles,des collègues des universités et des intervenantsextérieurs), et dans les facultés de droit d’univer-

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sités partenaires des écoles. Il existe des passerelleset un certain nombre de facilités entre les deuxcursus, mais, fondamentalement, la double forma-tion école de commerce-droit repose sur un doublecursus suivi dans les deux types d’établissements defaçon coordonnée et intensive. Les étudiantsobtiennent des diplômes de la faculté de droit et dela grande école qui sanctionnent une véritabledouble formation et non pas une formation hybrideet accélérée. Dans le cas de l’ESSEC, cela consiste,pour les étudiants sélectionnés à la fin de leurpremière année, à s’inscrire au niveau de la Licenceà l’Université de Cergy-Pontoise, à enchaîner géné-ralement avec le CAVEJ au niveau du Master 1 etensuite, en tout cas pour les plus déterminésd’entre eux (c’est-à-dire une vingtaine de personnespar an), à s’inscrire dans les Masters 2 partenairesde l’ESSEC, notamment ceux de Paris II. Récipro-quement, les écoles comme l’ESSEC accueillentdes étudiants de l’université, fortement sélec-tionnés, qui rentrent en deuxième année ou enMastère spécialisé, pour acquérir une formationmanagériale qui vient s’ajouter à leur formationjuridique initiale. C’est la deuxième modalité d’ac-quisition d’une double formation. Elle repose elleaussi sur des partenariats entre les grandes écoleset les universités. C’est ainsi qu’un certain nombred’étudiants de Paris II intègre chaque annéel’ESSEC après avoir été recommandés par leursdirecteurs de Master 2 et avoir été admissiblesd’office au concours. De nombreuses écoles àParis et en province ont mis en place avec lesuniversités des dispositifs similaires, à la satisfac-tion mutuelle des différentes parties et desétudiants.

François-Xavier LucasSi enseigner à Paris I est une source de joies

toujours renouvelées, je dois reconnaître que maparticipation à la création du projet HEAD (Ecoledes Hautes études appliquées du droit) me procured’autres satisfactions, d’autant plus grandes quecette infidélité faite à ma légitime (Paris I) estpimentée du stimulant parfum d’interdit que déga-gent les mines outrées de nombreux notables del’université frappés d’apoplexie lorsqu’ils décou-vrent ce crime de lèse-université. C’est cetteentreprise aussi belle qu’audacieuse, qui devraitjouer un rôle important dans la formation des

juristes d’affaires, que je voudrais m’employer àvous faire découvrir en répondant à trois ques-tions : qu’est-ce ? Pourquoi ? Quid ?

Qu’est-ce que c’est ? Le projet HEAD a étéconçu comme un partenariat public-privé alliantles avantages d’une société commerciale consti-tuée comme support de l’activité, pour lever desfonds et impliquer des investisseurs, et les forcesvives de l’université sans laquelle il est difficileaujourd’hui de réunir une équipe pédagogique dehaut niveau. À cet égard, le projet HEAD n’est passans évoquer la société constituée par l’universitéde Paris II en partenariat avec un grand éditeurpour développer une offre de formation perfor-mante (Assas Lextenso Formations SAS). D’autresuniversités suivront car ce mouvement est inéluc-table compte tenu de l’état de faillite latente detrop d’établissements et de la nécessité d’associerdes bailleurs de fonds privés à des projets que l’onveut ambitieux. L’idée est qu’une société commer-ciale privée puisse, sur le marché du droit,développer une formation au service des profes-sionnels, en utilisant ce que l’université est enmesure de lui offrir. Si vous êtes critique, vousdirez que ce sont des parasites qui viennentutiliser nos forces vives ; mais ce n’est pas du toutcomme cela que je le vois. C’est au contraire unprojet d’intérêt commun qui s’établit entre HEADet ses partenaires universitaires, HEAD accueillant,à partir de la quatrième année, des étudiants quiont grandi dans les facultés de droit et qui vontvenir acquérir un savoir-faire que nous sommesparfois en peine de leur transmettre. Parfois…parce qu’en réalité, on n’a pas attendu HEADpour faire des choses merveilleuses dans lesfacultés de droit et l’on redécouvre, comme l’atrès bien dit Didier Martin tout à l’heure, l’eautiède tous les vingt ans… C’est ainsi que les réac-tions hostiles des universitaires inquiets dulancement de l’expérience HEAD, ne sont passans évoquer celles qu’a subies Jean-Marc Mous-seron, mis au pilori par ses collègues lorsqu’il avaitlancé le DJCE pour répondre aux besoins desavocats d’affaires. Tous les pionniers de cetteaventure du DJCE vous raconteront les procès ensorcellerie que leur a valu leur implication dans unprojet aussi nouveau qui heurtait le conservatismedes maisons où ils officiaient. Le même psycho-

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drame se reproduit aujourd’hui mais le succèsexceptionnel des DJCE est là pour nous dire cequ’il convient de penser de ces réactions où semêlent légitime inquiétude face à la nouveautépour certains et immobilisme érigé en doctrinepour les autres.

Pourquoi un tel projet existe-t-il ? HEAD n’estqu’une école d’application, de sorte qu’elle n’estpas à proprement parler en situation de concur-rence avec l’université, à laquelle elle ne visenullement à se substituer dans la mission deformation académique des juristes. L’École n’avocation à accueillir des étudiants qu’à partir de laquatrième année d’enseignement (M1) en vue deleur dispenser la formation attendue par les cabi-nets d’avocats d’affaires et les directions juridiquesde grandes entreprises dans lesquels ces jeunesgens ambitionnent de faire carrière. HEAD ne setrouve donc pas en situation de concurrence fron-tale avec l’université, mais elle apporte un plus enmatière de formation, ce petit quelque chose quipermettra à nos étudiants non seulement d’êtred’excellents juristes, mais aussi d’accéder à d’au-tres sciences et savoirs sans lesquels ils peinerontà s’imposer, qu’il s’agisse d’avoir une parfaitemaitrise de l’anglais et de l’environnement de l’en-treprise. Les cabinets d’avocats d’affaires et lesgrands services juridiques des entreprises atten-dent des étudiants qui soient ainsi formés et seplaignent de ne pas les trouver chez ceux quisortent de nos maisons le diplôme en poche. Cequi les conduit à bouder les universités, et à faireleur marché dans les écoles de commerce ou àSciences Po. Sans pour autant y trouver satisfac-tion car il manque aux étudiants qui sortent de cesbelles écoles une vraie culture de juriste que seulprocure l’accomplissement du cursus completd’études de droit et que ne remplace pas uneformation – aussi prestigieuse soit-elle – où le droitn’est qu’un module, c’est-à-dire pour l’exprimeren termes juridiques un accessoire au lieu d’êtrele principal.

Le projet HEAD me paraît constituer une offrede formation intéressante en vue de donner satis-faction aux cabinets et entreprises qui nous fontle reproche de ne pas former les étudiants qu’ilsrecherchent. Cette revendication doit êtreentendue et pour n’avoir pas su l’accueillir rapide-

ment, l’université – abimée il est vraie par trop deréformes néfastes – doit constater que la forma-tion ultime des juristes d’affaires lui échappe etque l’enseignement de cette branche du droit« hors l’université » n’est pas une vue de l’esprit.Dans un monde idéal, celui de facultés de droitque les pouvoirs publics n’auraient pas outragéespar trop de réformes inutiles mais auraient dotéesde moyens leur permettant de lancer des projetsambitieux et innovants, HEAD ne pourrait exister,de même que nous n’aurions pas besoin d’écolesde management ou de Sciences Po pour formerdes juristes. Mais ce monde idéal n’existe plus. Onne va pas pleurer sur notre sort et regarder dansle rétroviseur, c’est un fait que nous avons besoinde réfléchir au moyen de former nos étudiants, ycompris en dehors des universités.

Que faut-il penser de tout cela ? Vous l’avezcompris, plutôt du bien. Mon ralliement à unprojet comme celui d’HEAD est d’abordcommandé par la nécessité (ces choses là nousdépassent, feignons d’en être les organisateurs…),que je déduis du constat que l’université traverseune crise si grave, est accablée de telles lourdeurset se trouve à ce point privée de moyens qu’ellen’est pas en mesure de lancer seule des projetsaussi ambitieux que celui que portent lespromoteurs d’HEAD. Au-delà, s’il y a lieu de s’en-thousiasmer pour ce projet, c’est qu’il constitueun défi pédagogie et un véritable laboratoired’idées pour qui s’intéresse à l’enseignementdu droit vivant à des fins professionnelles. HEAD,ce n’est pas seulement une organisationnouvelle, une institution atypique, mais un projetpédagogique conçu par des professionnels etdes universitaires très impliqués, qui s’emploientà réfléchir à la pratique de leur art et de leurpédagogie, avec une certaine humilité puisqueles nouvelles pratiques développées nous révè-lent les limites de notre enseignement magistraltraditionnel. Ce n’est pas facile pour nousuniversitaires qui n’y sommes pas habitués, l’hu-milité n’étant pas la vertu la mieux pratiquéedans la corporation, mais tous ceux qui ontpratiqué l’enseignement version HEAD et enparticulier la pratique du binôme praticien/universitaire vous diront le profit considérablequ’ils ont tiré de cette expérience.

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Pierre-Yves GautierOn voit d’ores et déjà le contraste profond

avec la première table ronde où nous avons essen-tiellement évoqué les contraintes qui sont lesnôtres et qui produisent un certain nombre d’ef-fets négatifs, pouvent certes être corrigés maisdans des limites qui ne sont pas faciles à déter-miner. Qu’en pense le Conseil national du droit etl’enseignant de deuxième année ?

Didier TruchetL’enseignant de deuxième année confesse le

même bonheur que ses prédécesseurs, unbonheur supérieur même, puisque c’est celui dela fidélité absolue. Ce qu’en pense le Conseilnational du droit, il l’a exprimé dans un avis public,après avoir entendu les porteurs du projet HEAD,en le condamnant à l’unanimité sauf deux voix.Or, au Conseil, les représentants des professionsjuridiques sont majoritaires et y siègent toutes : leBarreau de Paris, la Conférence des bâtonniers etle Conseil national des barreaux notamment. Pour-quoi ce projet n’a-t-il pas convaincu ?Probablement pour des raisons assez divergentesparmi les membres du Conseil.

Concurrence de qui et par qui ? C’est unequestion de segmentation du marché. Selon ceque nous avons perçu HEAD vise les avocats d’af-faires parisiens : HEAD tire son éventuellelégitimité de ce format étroit, de ce que quelquescabinets font une école interne. HEAD est davan-tage une pierre dans l’École de formation duBarreau que dans celui des universités. C’est unepetite école, quasiment d’auto-formation dequelques cabinets, et qui n’a pas convaincu leConseil national du droit.

Par ailleurs, je dois vous dire que nous trouvionsque le projet était mal fait pédagogiquement.Quand on parle en termes de concurrence ou d’en-seignement du droit en dehors de l’université, leConseil national du droit a précisément pour objetde l’accompagner. La concurrence me choqued’autant moins sur le marché de la formation dudroit que là où elle est la plus vive, c’est entre lesuniversités. Et ce n’est pas dans une maison suffi-samment modeste comme la nôtre pour inscriresur son site « La meilleure université juridique deFrance » que nous pouvons l’ignorer ! La concur-rence, qu’elle plaise ou non, est présente, entre

universités, entre établissements universitaires etgrands établissements, entre universités et écolesde commerces, entre universités et formationstotalement pluridisciplinaires.

Concurrence sur quel objet ? À HEAD, leConseil nationale du droit a dit : vous « vendez »une formation mais vous ne vendez pas undiplôme, n’y étant pas habilités et Paris I ayantrefusé l’accord initialement envisagé pour habiliterHEAD. Ce projet délivre donc une formationcertainement de qualité à une vingtaine d’étu-diants pour cette première année, mais quin’auront pas de grade universitaire à la sortie. Maisce n’est pas illégitime : si quelques cabinetssouhaitent faire de l’auto-formation et l’ouvrir unpeu, pourquoi pas ? La situation des écoles decommerce est différente, parce qu’elles sont habi-litées à délivrer des Masters, encore qu’elles aientun statut privé, qu’il s’agisse essentiellement dedroit des affaires, et que cela qui concerne seule-ment les grandes villes. Dans les autres disciplines,l’université continue à former seule les juristes,notamment dans le secteur du droit public.

Pierre-Yves GautierVous avez évoqué le marché, la concurrence.

D’où une deuxième question : les études juri-diques sont-elles un marché ? Était-ilmonopolistique jusqu’à maintenant, c’est-à-direréservé aux universités « traditionnelles », et s’est-il ouvert ? Et qui est concerné par cetteconcurrence ? Pour que deux « entreprises » setrouvent en concurrence, encore faut-il qu’elles lesoient à conditions égales. Or, il a été soulignél’impossibilité de sélectionner les étudiants… J’aientendu un étudiant dire qu’à l’université, lesétudes sont gratuites, donc au rabais (!) C’estdonc le jour et la nuit : les contraintes des univer-sités en raison de leur tutelle gouvernementalecontrastent avec les conditions très favorablesfaites aux grandes écoles. Y a-t-il vraiment concur-rence dans ces conditions ? Nous la subissonsplutôt.

Michel VivantIl me faut présenter Sciences Po, où règnent

effectivement des règles propres. C’est qu’enFrance, nous aimons les grands principes, maisque cela n’empêche pas l’existence de grandesécoles, ce qui est un phénomène très français.

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Aussi est-il vrai que Sciences Po offre des oppor-tunités qui n’existent pas dans les universités, etnotamment une liberté toute particulière depenser et d’organiser nos enseignements. Non,nous n’avons pas de rémunération supérieure àcelle des autres universitaires, mais nous sommeslibres de définir le contenu, le format, l’esprit, lecalendrier de nos enseignements, ce qui est un vraiprivilège et ne manque pas d’être passionnant.D’autant que nous nous trouvons face à desétudiants sélectionnés, et qui vont donc jouer lejeu de l’interactivité qui est au cœur de nos ensei-gnements.

Comme je l’ai dit précédemment, lorsquel’École de droit de Sciences Po a été fondée, nousnous sommes réunis pour définir ce que nousvoulions faire (il aurait été absurde, à sept ou huit,de faire un petit Paris II, ou même n’importe quelleuniversité). Nous avons fait des choix, plutôtorientés vers le droit des affaires. Nous avonsessayé de définir un projet. Je ne dis pas qu’il estbon, même si je crois qu’il l’est, mais il a été définisur la base de trois idées, à savoir une approchecritique, multidisciplinaire et globale des questions.Critique : il s’agit d’analyser les situations pour lescomprendre, et non de recevoir simplement ledroit comme un donné. Multidisciplinaire : non enajoutant des couches multiples d’enseignementsdivers, mais en éclairant les questions juridiquespar des considérations qui ne le sont pas, ce quiest faisable de manière vraiment intéressante siceci n’est pas pensé en termes très généraux maisrapporté à un objet particulier. Globale – encoreque le droit soit un jeu permanent entre le globalet le local, comme la propriété intellectuelle ledémontre bien, s’agissant d’un droit territorial quine peut être sérieusement appréhendé sans visionprécisément globale – : nous cherchons à donnerà nos étudiants une formation de l’esprit aux« règles de l’universel » évoquées par Kami Haeri.

Comment le faisons-nous ? Au moins dansle deuxième cycle, nous avons la chance d’avoirde petits effectifs, ce qui permet de jouer lacarte de discussions interactives. J’ai enseignépendant plus de trente ans dans des amphis quiallaient de cent vingt à six cents étudiants. Surun petit effectif, il est évident que l’on peutconcevoir les choses tout autrement. Mais,

comme le souligne bien Christophe Jamin, cefaisant, il ne s’agit pas de transposer le systèmeaméricain, mais d’appliquer une nouvelle péda-gogie à un nouveau format.

Qu’essayons-nous alors de faire ? Nousessayons simplement d’appliquer les formules quinous paraissent les plus adéquates pour amenernos étudiants à une réflexion personnelle et à l’au-tonomie. Il s’agira par exemple de donner auxétudiants des documents qui seront la base d’untravail propre. Mais pas nécessairement dans uneformule d’esprit américain où l’on attendrait d’euxune glose de ceux-ci. Ainsi, à titre personnel, jedemande aux étudiants de dégager les idéesforces des documents mis à disposition, pourpouvoir débattre du thème, quitte à ce que jereconstruise, dans un second temps, leur discours.On pourrait fort bien parler de maïeutique plutôtque de modèle américain ou évoquer la disputatiomédiévale.

Cela dit, il est vrai – et on ne peut pas le nier –qu’il y a une disparité à la base entre Sciences Poet les universités, et il faudra un jour la régler. Peut-être d’ailleurs en ne donnant pas aux universitéscette indépendance qui peut souvent se révélerfinalement très mauvaise, mais une autre indépen-dance, celle qui consiste à donner les moyensd’une pédagogie. Mais les choses sont ce qu’ellessont. La particularité de Sciences Po et de l’Écolede droit de Sciences Po est d’avoir joué sur cetteliberté qui nous était offerte.

Pierre-Yves GautierC’est une liberté que l’université n’a pas. Je ne

suis pas sûr que ces méthodes soient nouvelles,c’était celles de l’âge d’or de nos anciens et onpourrait très bien les appliquer si l’on avait desgroupes d’étudiants en nombre réduit, donc sursélection. J’adorerais pour ma part faire cela dèsla première année ! Finalement, on ne peut l’as-surer qu’à compter du Master 2.

Hugues Bouthinon-DumasIl n’y a absolument pas de concurrence géné-

rale, dans la formation juridique, entre lesuniversités et les grandes écoles. Si l’on veut iden-tifier une concurrence, il faut plutôt la cherchersur des segments particuliers et assez étroits dela formation juridique. Plusieurs intervenantsl’ont évoqué : cela concerne surtout les juristes

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d’affaires recherchés par les grands cabinets etles directions juridiques des grands groupes. Pouraccéder à ces situations professionnelles, il existeplusieurs voies : les filières purement universi-taires (qui incluent généralement unemultiplication des diplômes de troisième cycle),les formations dans des universités étrangères(type LLM), les doubles formations droit etgrande école. À quoi il faut ajouter des formulesplus récentes comme l’école de droit de SciencesPo et le projet HEAD. En ce qui concerne la rela-tion entre les écoles de management et lesuniversités, il n’y a pas concurrence, maiscomplémentarité. Nous sommes spécialisés dansnotre avantage compétitif. Les universités appor-tent l’excellence de la formation juridique, lesécoles la complètent. Pour que l’on soit fondé àparler de concurrence, il faudrait que les forma-tions soient substituables : il faudrait que l’onpuisse choisir, pour devenir juriste, entre lesfacultés de droit et les écoles de management,comme l’on peut choisir pour son petit déjeunerdu thé ou du café. Or, à notre connaissance,aucune école de management ne propose uneformation juridique autosuffisante, commeprétend le faire par exemple Sciences Po, quidispenserait de suivre un cursus universitaire.Nous avons affaire à des formations qui ne sontpas substituables mais qui sont éventuellementcumulables. On peut choisir de mettre ou pas dusucre dans son café. Certains juristes serontformés uniquement à l’université tandis qued’autres ajouteront une formation en grandeécole à leur formation juridique. Il nous sembleque cette double formation est pertinente parrapport aux attentes des cabinets et des groupesqui recrutent des juristes d’affaires de hautniveau. Je pense que nous – c’est-à-dire lesgrandes écoles avec les universités – répondonsbien à cette demande, en offrant à la fois l’excel-lence dans la maîtrise de la technique et duraisonnement juridiques, avec, en complément,l’apprentissage du travail en équipe, la valorisa-tion de l’expression écrite et orale, etc.

Je voudrais insister sur le fait que les doublesformations juridico-managériales ou juridico-économiques proposées par les écoles demanagement en partenariat avec les universités,

offrent aux étudiants quelque chose de spécifique,que n’offrent pas les autres voies d’accès auxprofessions de juristes d’affaires, à savoir la socia-lisation des futurs juristes avec les futursnon-juristes, qui seront leurs clients et leurs parte-naires dans leur carrière. Il ne s’agit passimplement, en effet, d’offrir de la pluridisciplina-rité, mais de former ensemble des juristes et desnon-juristes qui vont ainsi, dès leur formation,apprendre à travailler en équipe. Cet apprentis-sage est très concret. Les futurs professionnels dudroit rencontrent dans nos écoles des étudiantsqui sont engagés, parfois avant même d’êtrediplômés, dans des projets de création d’entre-prises. Très concrètement, ces entrepreneurs enherbe vont interroger leurs camarades juristes surles meilleurs moyens de structurer juridiquementleur entreprise ou de protéger leur savoir-faire…Pour les uns et les autres, le droit va donc êtreimmédiatement perçu par rapport à son utilitédans la vie des affaires réelle. En outre, nous fami-liarisons nos étudiants juristes aux langages de lavie des affaires, c’est-à-dire l’anglais, les notionscomptables et financières, les concepts du mana-gement, l’utilisation de logiciels comme Excel ouPowerpoint… C’est en effet ce qui constitue laréalité concrète des échanges dans l’entrepriseaujourd’hui. Il est important que de futurs juristesd’affaires maîtrisent les langages de leurs interlo-cuteurs pour les comprendre et se fairecomprendre d’eux. Pour que le juriste d’affairesjoue un rôle de traducteur et de passeur entre lemonde du droit et le monde de l’entreprise, il fautqu’il soit polyglotte ! C’est cette compétencesingulière que nous nous employons à développerchez eux.

Ces atouts des doubles formations découlentde la combinaison coordonnée des savoirs, savoir-faire et savoir-être en droit et en management.Cela résulte de la coopération entre les grandesécoles et les universités. Elles ne sont donc pasplacées dans un rapport de concurrence. Si l’ondoit envisager une menace – qui constitue unenjeu pour nous professeurs de droit exerçantdans les grandes écoles – elle réside plutôt dansles modèles alternatifs de formation des mana-gers, fondés sur une conception du managementdétachée du droit. On ne peut en effet pas exclure

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que certains acteurs économiques ou certainsdécideurs considèrent que le droit est inutile voirenuisible pour « faire du business » et que, parconséquent, il vaudrait mieux que le droit ne soitpas enseigné dans les formations au manage-ment, de même qu’il serait inutile que des juristespassent par des écoles de management. Telle estla raison d’être de l’association des professeurs dedroit des grandes écoles, qui vise à sensibiliser àcette idée que le droit est une composante de lavie des affaires, et qu’il est important que l’onforme à la fois les futurs managers à des élémentsde droit, et des professionnels du droit qui vontinteragir avec eux dans leur vie professionnelle.

François-Xavier LucasOn peut comprendre l’amertume des profes-

seurs des universités publiques lorsqu’ilsdécouvrent des projets qui, tels ceux que dévelop-pent HEAD, Sciences Po ou certaines écoles decommerce hors de l’université, ont tout de laprovocation pour ces universitaires faméliques quisouffrent de la grande misère des maisons où ilsofficient. Confrontés à des amphis crasseux,remplis d’étudiants dont certains n’ont rien à fairelà, persécutés par un Ministère tatillon qui lesaccable de contraintes, asphyxiés par lescontraintes budgétaires qui ramènent les cours àune portion qui n’est même plus congrue, lesuniversitaires ne peuvent que regarder avec émer-veillement ces nouveaux lieux où l’on enseignedans des locaux propres à des étudiants biennourris et où tout concourt à ce que le cours sedéroule dans les meilleures conditions.

Pour autant et en dépit de ces difficultésnombreuses, il convient de ne pas se laisser aller àce sentiment où le découragement le dispute àl’envie. Le meilleur moyen de s’en garder est nepas perdre de vue tout ce qui fonctionne encorebien à l’université. L’université a le monopole del’enseignement du droit. Elle s’acquitte de cettemission à la satisfaction générale et les cabinetsd’avocats rendent hommage à la formation fonda-mentale acquise par nos étudiants. La critiqueintervient uniquement lorsqu’il s’agit de formationprofessionnelle, car c’est là qu’apparaît la tenta-tion pour nos étudiants et pour ceux qui lesemploient d’aller voir ailleurs, hors de l’université,nombre de cabinets faisant leur « marché » en

dehors de nos amphis, dans les LLM étrangers, àSciences Po, dans les écoles de commerce. D’oùleur intérêt pour le projet HEAD. Les juristes del’université sont de très bons juristes, mais il leurmanque ce petit supplément d’âme damnée à lapratique, que l’on attend chez un directeur juri-dique de grand groupe ou chez un avocatpratiquant le droit des affaires internationales.

Intervention de Philippe ThéryJ’ai été assez perplexe en écoutant Monsieur

le Président du Conseil national du droit. Il estévident qu’il n’y a que l’État qui puisse délivrer desdiplômes, et que la concurrence entre HEAD etl’université est faussée à l’origine, sauf à consi-dérer que le diplôme n’est pas une nécessitéessentielle. Or, cette formation s’adresse à desétudiants titulaires d’un Master 1, qui n’ont doncpas besoin de plus pour passer le barreau ! Si lescabinets d’avocats recrutent de préférence desétudiants qui sortent de HEAD et non d’un Master2 de droit des affaires, on aura beau dire qu’ilsn’ont pas de diplôme, ils auront un travail. De cepoint de vue là, je n’ai donc pas du tout étéconvaincu par ce qui a été dit : la concurrence sefait avec ou sans diplôme.

Je suis très heureux d’entendre qu’on tressedes lauriers à l’université, mais j’aimerais que celane se fasse pas qu’en petit comité. M. Wickers aparfaitement le droit de donner son opinion : cequi est critiquable, c’est que personne, à partquelques universitaires, n’ait dit que cette chro-nique était indigne. Il n’est pas possible de direque l’université a des qualités sans jamais le direpubliquement. C’est à ceux qui évoquent lacomplémentarité de l’université et des milieuxprofessionnels de dire que l’université est uneexcellente chose, pour encourager les étudiantsà y aller.

Intervention de la salleLes formations à Sciences Po ou HEC sont

excellentes, avec des étudiants d’un niveau assezformidable. La concurrence, qui existe, forcechacun à rechercher de nouveaux modèles péda-gogiques. Or, il me semble qu’il y a deux secteursqui ne vont pas aussi bien que le secteur desformations de type du niveau Master 2 : l’École deformation du Barreau et la thèse de doctorat.Quelque chose ne fonctionne pas dans le système,

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comme en témoigne l’accueil fait dans les cabinetsd’affaires aux gens qui ont fait une thèse en droit,sur des sujets parfois très pointus, et dont lesqualités peuvent intéresser les cabinets. Il n’y a pasde place pour eux, ils arrivent trop tard, ont choisiune autre voie, et ne peuvent plus revenir.

Pierre-Yves GautierCe n’est pas complètement faux. Pour les

docteurs en droit, il y a eu la question de la voied’accès à l’EFB. Finalement, cela a été réglé aprèsprotestations. Pour ce qui est de l’accueil desdocteurs dans les cabinets d’avocats, on ne peutpas généraliser. Certains y sont indifférents, maiscomment l’être face à quelqu’un qui a, pendantplusieurs années, fait de la recherche approfondie,impliquant l’acquisition d’un savoir-faire et d’unegrande méthodologie ? Comment le mettre sur lemême plan que celui qui a un LLM ou suivi uneécole de commerce ? C’est une difficulté sociolo-gique dans certains cabinets d’avocats. Mais quefaire, alors ? Que doivent faire les avocats ?

Intervention de la salleDans les grands cabinets, les associés sont tous

docteurs. Il y a un problème qui n’est pas la résul-tante du format des cabinets anglo-saxons, maisqui vient de la formation des docteurs. Dans unentretien d’embauche, avoir passé cinq ans seulsur un sujet peut laisser croire aux cabinets d’avo-cats que le candidat à l’embauche ne saura pass’intégrer.

Michel VivantIl y a un problème de définition de l’exercice

de thèse en France. Les thèses se sont alourdiesau fil du temps : les grandes thèses du XIXe sièclepouvaient faire cent vingt pages et l’auteur ydéfendait une idée. Tandis qu’aujourd’hui, lesthèses font sept cents pages et ne sont biensouvent que de la compilation. Cette manière deconcevoir la thèse explique, pour une part, cephénomène. Le malheur est que, sur cent vingtpages, il peut y avoir un travail excellent, maisque, terrible pesanteur sociologique, le candidatne sera alors jamais agrégé, ni maître de confé-rences. Je pense qu’il faut impérativement seposer des questions, et remettre en cause leschéma reçu, si nous souhaitons former nosétudiants de manière optimale.

François-Xavier LucasLes avocats nous ont reproché d’avoir, dans

certaines universités, fabriqué des thésards ensérie, dont certains étaient moins motivés par l’in-térêt pour la recherche académique que par laperspective de pouvoir contourner l’examend’accès à l’École de formation du Barreau, unefois devenus docteurs. Ces pratiques sont révo-lues mais elles ont fait beaucoup de mal audoctorat, car les cabinets l’ont su, trop de mauvaiscandidats docteurs se pressant dans les centres deformation à la profession d’avocats, où ils étaientsouvent les rares à échouer. L’un des moyens deredorer le blason du doctorat serait de réintro-duire la distinction entre le doctorat d’État et celuide troisième cycle, en admettant qu’il puisse yavoir des thèses professionnelles dont les auteursn’ont pas d’ambitions académiques. En Alle-magne, on peut faire une thèse trèsprofessionnelle sur un sujet pointu, en dix-huitmois, là où c’est difficile pour ne pas dire impos-sible en France. Il me semble que c’est regrettableet que l’on gagnerait à créer ces filières d’accès àdes doctorats à finalité plus professionnelle.

Didier TruchetLe Conseil national du droit considère que le

doctorat est le grand sujet de l’avenir, y comprisen termes de concurrence. Et le signal d’alerte tirépar la délibération du Conseil national desbarreaux de juin dernier demeure. Certes, lepremier coup de semonce n’a débouché sur rienparce que l’offensive a été mal préparée, mais leproblème demeure et il faut y réfléchir.

C’est un problème d’« employabilité » desdocteurs. Elle évolue considérablement, mais il estclair que, dans de très nombreuses professions, ledoctorat deviendra un niveau requis de fait, pourl’exercice de la profession, sauf peut-être aubarreau, qui est actuellement le plus réticent. Lenotariat, la fonction publique n’ont rien contre lesdocteurs. Et vous ne menez pas une carrière inter-nationale intéressante dans les secteurs que jeconnais si vous n’êtes pas titulaire d’un PhD.

Mais alors, titulaire de quel doctorat ? Nousretrouvons la distinction fondamentale entredoctorats académique et professionnel. Si lesdoctorats sont distingués, ce à quoi je suis favo-rable, il faut être conscient que, de manière tout à

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fait légitime, les établissements non universitaires,publics ou privés, habilités à délivrer le Master,demanderont à pouvoir délivrer le doctorat.

Intervention de Denis MazeaudPremière chose, lorsque François-Xavier Lucas

dit qu’HEAD est une action comme les autres, il ya tout de même une singularité. C’est une entre-prise commerciale, alors que les autres actions nes’inscrivent pas dans ce registre.

Deuxième chose, la distinction entre formationet enseignement est en partie fausse. On fait ausside la formation à l’université. En premier cycle, il ya les diplômes d’apprentissage, et en troisièmecycle, nous avons maintenant des Masters 2professionnels, tel celui de notariat, où il s’agit deformation plus que d’enseignement. Cette distinc-tion est à relativiser.

Troisième chose, il y a une vraie concurrence,avec les DJCE par exemple. Il est vrai qu’il est diffi-cile d’innover. HEAD est en concurrence avec lesDJCE, et peu importe qu’un diplôme soit délivré :le DJCE est un diplôme d’université, n’ayant pas lesceau de l’État, mais c’est le plus reconnu enpratique ! Si tous les meilleurs professeurs de Paris I vont à HEAD, ce serait très attractif, mêmesans diplôme. Mais, dans cette concurrence, nousn’avons pas les mêmes moyens, car l’Université estun paquebot, alors que vous avez des trimaranset des catamarans, plus faciles à manœuvrer.

François-Xavier LucasIl n’y a pas de concurrence entre ces premiers

cycles, paquebots sur lesquels nous sommes simalheureux de naviguer, et le cycle HEAD quin’entre en compétition qu’avec le M2 et le troi-sième cycle.

Intervention de Denis MazeaudOn peut être très heureux en premier cycle à

l’université. Et même en première année, c’estmon cas en tous cas.

François-Xavier LucasLa satisfaction personnelle de l’enseignement

est une chose, c’en est une autre de savoir si l’uni-versité doit encore accueillir ces deux centsétudiants hébétés, qu’évoquait Olivier Beaud, dontje partage entièrement l’analyse et le diagnostic,qui ne sont pas armés pour suivre l’enseignementque nous leur dispensons. Cet accueil du plus

grand nombre honore l’université mais je ne suispas certain que ce soit une réussite.

Intervention de Denis MazeaudJe n’en suis pas certain non plus. Olivier Beaud,

où a-t-il été formé ? À l’université ! Tous lesavocats, d’où viennent-ils ? De l’université. Arrê-tons de dire que c’était mieux avant. Je n’ai pasvu, depuis que j’enseigne, de dégradation. Lesprofesseurs ne sont pas moins bons, les étudiantsne sont pas moins bons, ils sont différents. Peut-être, alors, devrait-on se réunir pour discuter deméthodologie ; mais malheureusement, il estprobable que personne ne viendrait aux réunions.

Intervention d’Alain GhoziLe doctorat est de nos jours handicapé par

plusieurs éléments : d’abord par les conventionscollectives dans les relations du travail et ensuite,dans l’ordre purement académique, par les procé-dures actuelles de recrutement.

Les conventions collectives dressent l’un desobstacles majeurs à l’ « employabilité desdocteurs ». En droit des affaires, nous avons beau-coup de thèses professionnelles. Cela ne nousgêne pas du tout, loin s’en faut : ce genreconcerne peut-être même la majorité des étudesen ce domaine. Les candidats rédigent ces thèsespour le plaisir de la recherche, sans aucun avan-tage en termes d’emploi parce qu’ils se heurtentaux effets que la convention collective tirent del’obtention du grade : souvent une rémunérationplus avantageuse est prévue, qui dissuade le recru-tement ! Et puis le « docteur » est perçu commeun « théoricien » éloigné du sens pratique indis-pensable à l’action sur le terrain, sans nier qu’ilarrive sur le marché de l’emploi plus âgé que sesconcurrents. S’agissant de l’aspect purementacadémique, j’aimerais rappeler qu’il s’agit d’undes effets pervers des modes de recrutementactuels : l’épreuve sur travaux du concours d’agré-gation et la procédure de recrutement par le CNUhypertrophient la place de la thèse, avec uneévolution encyclopédique du genre.

S’agissant du projet HEAD, rappelons quepour analyser l’impact d’une institution, il fautimaginer ce qu’elle pourrait devenir. Elle pourraitd’abord conduire à ce que d’autres cabinetsfassent pareil sur la place de Paris ; alors la multi-plication de ces initiatives pourrait fournir la

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preuve de l’incompétence de l’université. Ensuitel’on peut construire une institution soit en partantde la base – la première année d’études – pourmonter vers le sommet, soit en partant du hautpour descendre vers la base. Dans ces deux cas,l’on peut donc créer un système parallèle ausystème universitaire existant, complet, à partird’un commencement, qu’il soit à la base ou ausommet, comme c’est le cas dans le systèmeHead. Il est ainsi possible de partir du Master 2,pour créer un cycle préparatoire en Master 1, puisdescendre ainsi de suite jusqu’à une premièreannée. Donc HEAD constitue une expérience inté-ressante et tout à fait légitime. Mais rien n’interdità ces structures construites à partir du haut dedescendre progressivement vers la base en créantdes cycles préparatoires. Alors il y a bien créationd’un système parallèle complet. C’est cela seule-ment qui est gênant.

François-Xavier LucasCela n’ayant jamais été envisagé dans le cadre

d’HEAD, le projet n’a donc rien de gênant. L’EcoleHEAD accueille des étudiants qui sont aujourd’huidiplômés après quatre années de droit, et cela luiconvient tout à fait. Il ne s’agit en aucun cas de selancer dans un enseignement de masse, pourlequel HEAD n’est ni armée ni légitime mais seule-ment d’assurer une formation à viséeprofessionnelle dans le domaine du droit desaffaires.

Intervention d’Alain GhoziCe qui fait la différence, c’est qu’actuellement

c’est la puissance publique qui paye la formationélémentaire. Money is money : on voit bien oùsont les vraies motivations de négliger la formationde base. De sorte qu’à cette heure-ci, le seulobstacle à la création d’un système parallèle estd’ordre purement financier. J’ai peine à imaginerqu’il y ait un tel hommage à la formation acadé-mique de base chez les promoteurs d’uneformation aussi élitiste qui, par ailleurs, nemanquent pas de dénigrer nos formations.

François-Xavier LucasCe n’est pas le cas des promoteurs d’HEAD

qui, au contraire, font montre de la plus granderévérence pour l’université et pour ses ensei-gnants. Quant à la crainte de voir un projet être

dupliqué et essaimer, le risque est tout de mêmeassez limité. Ce n’est pas un cabinet unique qui alancé ce projet, mais une fédération de gros cabi-nets de la place et d’importantes directionsjuridiques de grands groupes, qui ont mis leursressources au service de cette école. Le projetpédagogique est axé sur une formation résolu-ment tournée vers l’entreprise. L’étudiant fait unstage, avec un tuteur qui le suit toute l’année,tuteur qui n’est autre que le directeur juridiqued’une entreprise importante (du CAC 40 pour laplupart) ou un associé d’un cabinet anglo-saxon !Par ailleurs, tous les cours sont dispensés par unbinôme praticien/avocat, ce qui renouvelle tota-lement la façon d’enseigner. À l’heure où je vousparle, Laurent Aynès et Emmanuel Brochier,dispensent ensemble, à quatre mains, auxétudiants d’HEAD un cours de technique contrac-tuelle et de contentieux contractuel. Je ne croispas me tromper en supposant que beaucoupd’étudiants (et pas seulement…) aimeraientassister à tel numéro de duettistes. Même si lecours magistral d’amphi a ses mérites, il faut bienreconnaître que le cousu main version HEAD, lahaute couture Aynès/Brochier a aussi soncharme…

Intervention de Hervé CrozeCela me fait penser – la gratuité en moins – à

« 42 », l’école d’informatique créée par XavierNiel, dont le propos est le suivant : l’éducationnationale ne fournit pas à l’industrie informatiqueles programmeurs que l’on voudrait. D’où uneécole gratuite, mais très sélective à l’entrée, suppo-sant de montrer que l’on est parfaitement douéau départ. À la fin, un diplôme est délivré, noncautionné par l’État, mais reconnu par la profes-sion. C’est un peu l’histoire du DJCE.

Par ailleurs, nous sommes des facultés dedroit, dont la mission est très particulière : nousdevons former les futurs magistrats et lesmembres des professions réglementées. C’est unnoyau dur, qui repose sur l’idée de la primauté dujuridique sur le reste. Le droit est une matière entant que telle. Or, dans les écoles de management,le droit est instrumentalisé, il y est un outil auservice de l’entreprise, ce qui est une véritableidéologie. Pour ma part, je crois que le cœur dudroit, c’est la justice, qui supposerait une double

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tutelle avec la Chancellerie. La déontologie, l’in-dépendance qui est d’abord celle de l’esprit, sontdes valeurs primordiales. Car, dans une école decommerce, il faut aller dans le sens du marché :comment y dénoncer la situation des travailleurs ?Y critiquer les licenciements boursiers ? Quelleindépendance un « professeur de droit desgrandes écoles » peut-il revendiquer dans cecadre ?

Hugues Bouthinon-DumasSans revenir sur la dernière partie de votre

intervention, qui porte sur un point assez particu-lier, il me semble possible et même légitime deconsidérer que le droit est un instrument de la viedes affaires. Certes, il n’est pas que cela : le droitest aussi un instrument de régulation, voire unmoyen qui peut concourir à un projet collectif quel’on peut appeler, comme vous le faites, la« justice ». Le droit remplit aussi une fonctionsymbolique qui est tout à fait importante. Mais ledroit a un caractère fondamentalement instru-mental. C’est d’ailleurs quelque chose que j’aiappris ici même, dans cette université : le droit sertà quelque chose. En cela, phénoménologique-ment, la règle de droit se distingue très nettementd’un théorème mathématique ou d’un énoncépoétique, par exemple. Je ne crois donc pas qu’ily ait de différence entre la conception du droit quiest couramment retenue dans les écoles de mana-gement et celle qui prévaut traditionnellementdans les facultés de droit. La définition du droitque l’on enseigne dans les cours d’introductiongénérale au droit, en première année, ne mesemble pas incompatible ou significativementdifférente de l’idée que le droit est un instrumentau service des acteurs sociaux, et notamment desacteurs économiques.

Par ailleurs, cette conception du droit entre enrésonnance avec les attentes des professionnels etdes organisations : les cabinets d’avocats d’af-faires, les directions juridiques des grandesentreprises et même les administrations. De plusen plus, l’Etat a besoin de juristes qui sont nonseulement compétents juridiquement, mais aussicapables de mettre en œuvre des politiques et degérer des dispositifs organisationnels complexes.Par exemple, la présidence d’une juridictionimplique d’assumer des fonctions managériales.

Or, le management, comme le droit, ça s’ap-prend… On peut donc se réjouir que ce type defonctions soit assumé par des juristes, mais aussique de plus en plus en plus de magistrats soientégalement formés aux techniques du manage-ment. Il ne me semble donc pas bienvenud’opposer une conception instrumentale du droitet une vision pragmatique de l’exercice des profes-sions juridiques à la Justice et à la déontologie.

Didier TruchetJe suis en complet désaccord avec Hervé

Croze. Certes Me Wickers était encore plus étroitque vous lorsqu’il souhaitait mettre la faculté dedroit au service de la profession d’avocat, ce quiétait tout à fait ridicule, votre vision me sembleégalement assez étroite. Vous écartez les juristesd’entreprise, d’administration ou d’association,alors que la force de l’université juridique est,précisément, d’irriguer l’ensemble du milieu juri-dique. Le Conseil national du droit, ce sont ceuxqui forment les juristes, y compris HEC et SciencesPo, et ceux qui les emploient, y compris les juristesd’entreprise. Le vice-président du Conseil est d’ail-leurs Hervé Delannoy, président de l’Associationfrançaise des juristes d’entreprise. C’est cettevision globale de la formation des juristes en rela-tion avec l’emploi qui est notre mission.

Je suis aussi en désaccord radical avecMonsieur Croze, sur le mythe du double rattache-ment à la Chancellerie. Ce serait une catastropheabsolue. Le Conseil national du droit est créé pardécret du premier ministre et placé auprès desdeux ministres de la justice et de l’enseignementsupérieur, et a des relations avec chacun d’eux.C’est parfois difficile car les deux ministères ontdes préoccupations différentes. Je ne souhaite pasque les facultés de droit soient la balle de ping-pong entre deux raquettes qui s’ignorent, ce quia pour conséquence que la balle tomberait. Quetous les juristes qui souhaitent un double rattache-ment s’informent, et aillent voir ce qu’il se passedans les hôpitaux publics : la rue Descartes a étéévincée de la gestion des PUPH, car l’aspect hospi-talier des emplois l’emporte que l’aspectuniversitaire.

Intervention de Bénédicte Fauvarque-CossonJe voudrais revenir sur la conception du droit

comme instrument de la vie des affaires. Cela nous

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renvoie au grand débat qui a eu lieu à la suite dupremier rapport de la Banque Mondiale intituléDoing Business. Nous, les juristes, avons déve-loppé une autre conception du droit et du rôle dudroit dans la société. Le droit n’est pas qu’unsimple instrument économique.

Hugues Bouthinon-DumasSi nous soulignons que le droit est un instru-

ment économique, cela n’implique pas qu’il nesoit que cela, ni qu’il ne puisse être utilisé pourencadrer et donc contraindre l’économie et lesacteurs économiques. Que ce soit pour faire desaffaires ou pour concevoir, critiquer et mettre enœuvre des politiques, il nous semble importantque les futurs décideurs privés et publics aient desconnaissances juridiques. Nous pensons que ledroit leur sera utile.

Ensuite, les usages que les diplômés des écolesde management feront du droit sont variés, àl’image des parcours des anciens élèves. Parmitous les diplômés d’une école comme l’ESSEC, lamajorité ne sera évidemment pas constituée dejuristes mais de managers et parmi les juristes, lesavocats d’affaires et les fiscalistes seront les plusnombreux. Mais on se rend compte que certainsdiplômés, dix ans après leur sortie de l’école, fontdu droit de la famille ou du droit pénal. Il y a desanciens des écoles comme HEC ou l’ESSEC quisont universitaires, conseillers d’Etat, magistrats,responsables politiques… Ils seront tous appelés àse servir du droit et nous espérons que ce quenous enseignons peut être utile à chacun.

Intervention de Sébastien NeuvilleJ’enseigne le droit bancaire et le droit des

sûretés à Sciences Po en Master 2, et parmi lesétudiants cette année, j’avais un étudiant qui avaitfait HEC. En expliquant les subtilités du caution-nement, l’on pourrait penser que les étudiants quiont fait du droit auparavant seraient les meilleurs,mais c’était lui, qui n’avait fait finalement qu’unan de droit à Sciences Po, qui était le plus brillantde la promotion. Je dois l’avouer, j’ai été surprispar la subtilité qu’il pouvait avoir pour surpasserles autres, qui étaient juristes, d’autant que lecautionnement est tout de même quelque chosed’assez difficile.

Sur la question de la concurrence entre lesuniversités, je suis désolé de revenir sur les univer-

sités étrangères, mais elles sont en concurrence. Etje pense que cela a quand même du bon, car celaforce les enseignants à s’y mettre un peu. Si l’on ades groupes, pourquoi ne pas essayer de faire uneconcurrence entre eux ? Que les étudiants puissentdire qu’ils veulent être dans tel groupe ? Pourquoine pas permettre une certaine concurrence entreles universités et le faire apparaître ? Je pense quecela serait bénéfique pour la méthode d’enseigne-ment, et cela obligerait les universitaires à êtremeilleurs dans l’enseignement. D’ailleurs, laconcurrence existe entre les Master 2.

Intervention de Vincent RebeyrolQu’enseigne-t-on en école de commerce ?

Bien entendu, nous aidons nos étudiants à seservir de certaines règles de droit pour pouvoirfaire du business. Mais il faut bien cerner aussique, parmi les enseignements majeurs des disci-plines juridiques en école de commerce, on trouvela responsabilité et le droit social.

S’agissant du droit social, je peux vous garantirque lorsque je l’enseigne à mes étudiants, je neleur apprends pas à exploiter les travailleurs, maisà connaître leurs droits et ceux de leurs subor-donnés, pour les respecter. Au sein de l’école,d’ailleurs, comme dans toute institution et notam-ment comme à l’université, chaque professeur asa propre sensibilité, ses opinions ne lui sont pasdictées par son institution qui imposerait unevision de la société uniquement au service dugrand capital. Il ne faut pas caricaturer les écolesde commerce.

Quant au droit de la responsabilité, heureuse-ment que nous sommes là pour l’enseigner à defuturs décideurs, qui ne passent pas par lesfacultés de droit parce qu’ils ne sont pas juristes,et qui sans nous ne connaîtraient pas leurs obliga-tions alors qu’ils seront en première ligne dans lecadre de leur future profession. Nous contribuonspar ces enseignements à former des managersdans le respect du droit et de la justice, ce qui noussemble essentiel.

Enfin, pour répondre au Professeur Croze,rassurez-vous : les avocats et les magistrats quipassent par chez nous passent aussi obligatoirementpar chez vous, puisqu’il faut justifier d’un diplômejuridique délivré par l’Université pour présenter leCRFPA et l’ENM. Et c’est une bonne chose : ils se

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forment chez nous aux disciplines du management,ils se forment chez vous au droit, et c’est complé-mentaire. Je suis d’ailleurs ravi de recruter desétudiants qui viennent de l’université, parce qu’ilssont bons en droit, et que nous pouvons ensuite,dans mon institution, compléter leur formation.

Intervention de Dominique FenouilletJe vais vous faire part d’une expérience que j’ai

eue il y a dix ans à Paris XI. J’avais, pour l’essentiel,des étudiants formés à l’université, et un petitgroupe d’étudiants d’HEC, qui n’étaient paspassés par les premières années. Je les ai inter-rogés à l’oral, et j’ai été bluffée par leursconnaissances et leur capacité à présenter unexposé. Dans les années suivantes, j’ai décidé deprocéder en deux temps : d’abord une restitutionde connaissances, puis la résolution d’un caspratique. Et là, si les étudiants d’HEC brillaient surla première partie, c’était beaucoup moins le cassur la seconde. La formation à l’université estirremplaçable. Mais l’université ne sait pasapprendre aux étudiants à présenter, de façonsynthétique et brillante, les compétences acquises.Nous sommes meilleurs en technique, mais il nousmanque l’aptitude à l’exposé oral et à la rédaction.Et si ce n’est pas le cas, c’est notamment parceque ce n’est pas possible dans des groupes detravaux dirigés à trente-cinq.

Intervention de la salleQuelques interventions ont eu pour objet de

dire que les étudiants de HEC ou de Sciences Posont globalement meilleurs que les étudiants issusdes facultés de droit. Pourquoi s’en étonne-t-on ?Ces écoles, contrairement aux universités, sélec-tionnent à l’entrée : elles prennent des étudiants qui,par hypothèse, sont déjà bons avant d’entrer. L’af-firmation revient ainsi à poser que les meilleurs…sont les meilleurs. Pour parler de concurrence etcomparer, encore faut-il se trouver dans une situa-tion d’égalité des armes. Or, ce n’est pas le casentre les universités et les écoles. Pour le reste, il ya aussi de très bons étudiants à l’université – peut-être simplement moins en proportion, pour laraison évoquée –, parfois meilleurs que ceux quifréquentent les écoles : c’est d’ailleurs ce qu’ontrappelé la plupart des intervenants !

Par ailleurs, le problème de l’université neserait-il pas de communication ? L’on entend que

les facultés de droit devraient s’ouvrir à d’autresdisciplines, telle l’économie, le management, lasociologie, la culture générale, etc. Mais, au coursde mon parcours, j’ai l’impression d’avoir fait unpeu de toutes ces matières à l’université. Et il existeaussi, depuis quelques années, des doubleslicences, dont la promotion n’est pas suffisam-ment faite, alors que de plus en plus d’étudiantsles suivent, en droit et en économie par exemple.Et c’est ce qu’avait dit le Président Teyssié dans unnuméro précédent de cette Revue, se demandantsi ce n’était pas l’heure du « faire savoir » qui étaitvenue pour l’université. Communiquons ! Si lesfacultés de droit proposent de bonnes formationsmais ne le disent pas, c’est ennuyeux… D’autantque ce ne sont pas les « concurrents » qui le dirontpour elles…

Intervention de la salleÀ un moment, nous avons failli arriver à la

question de la privatisation de l’université. J’aibeaucoup apprécié d’entendre qu’en école decommerce aussi, les gens sont capables de parlerde justice. Cela est d’autant plus vrai qu’il existedes établissements privés qui enseignent le droitet peuvent parler de justice, les établissementscatholiques. La privatisation pourrait donc, iciaussi, être envisagée. Mais si l’on privatise l’ensei-gnement, attention à la rupture d’égalité. Lafaculté est gratuite ? Non, elle ne l’est pas, elle estfinancée par nos impôts. Est-ce que l’on ne pour-rait pas envisager de donner aux parents l’argentqui est aujourd’hui donné à l’université, pour queles parents choisissent où mettre leurs enfants ?C’est le ticket-éducation, les parents choisissantl’établissement de leurs enfants, tout en instaurantune saine concurrence, et en garantissant uneégalité.

Pierre-Yves GautierQue de propositions radicales ! Il reste une

minute, le temps pour le Professeur Mazeaud deconclure ce colloque.

Denis MazeaudJe voulais simplement terminer en disant que

je suis très frappé par l’intérêt suscité par cettedemi-journée. La salle est comble. Les débats ontété extrêmement riches. Merci à tous les partici-pants.

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Est-ce un effet de l’âge qui gagne inexorablement du terrain sur le temps dans lequelje passe à trop grande vitesse, à mon corps défendant et à mon cœur emballé, mais j’ai cesderniers temps, le curieux sentiment d’être très à l’étroit sur notre planète terre, quej’arpente pourtant sans modération sous toutes ces cultures depuis déjà plus de cinqdécennies, en dépit des maladies incurables, mais orphelines à un point qu’elles constituentun insurmontable défi pour la science elle-même, dont je suis convaincu d’être atteintdepuis des lustres ?

Raison pour laquelle sans doute, j’aimerais, assassiennes, assassiens, vous faire partagerla sublime découverte qui a ensoleillé mes vacances insipides, très mollement avachi surune plage corse surchauffée, passé à contempler la mer méditerranée, si calme qu’elle endevient fade, en me demandant ce que je pourrai bien faire à la rentrée pour que monfutur ne soit pas trop simple et ne se conjugue pas fatalement au même temps que monpassé décomposé. Or, donc, je crois avoir trouvé la réponse dans un ouvrage rédigé parl’injustement méconnu et excessivement controversé Philibert Ledoux, publié avec lacomplicité du professeur Hervé Croze, également avocat lyonnais de son état, donccumulard éclairé, que les amateurs de procédure civile connaissent, mais auxquels lesamoureux de littérature absurde et loufoque sont invités désormais à vouer un culteempreint de dévotion, rien de moins. C’est grâce, en effet, à notre collègue de la cité desGaules, que la deuxième édition de l’Introduction au Droit martien de Philibert Ledoux aété, depuis 2005, publié aux éditions Litec, que l’on a connues plus conformistes etauxquelles il convient de rendre grâce pour l’immense service rendu à la science avec lapublication de cet ouvrage à mettre d’urgence entre toutes les mains, des plus adroitesjusqu’aux plus gauches, des plus expertes jusqu’aux moins émérites.

On retrouve dans cet ouvrage les chapitres écrits de la main de Ledoux, dans lequelcelui-ci a ébauché la substance de sa passionnante Introduction au Droit Martien, et quiétaient déjà présents dans la première édition qui date de 1977. Pour convenablement lesapprécier, il convient de garder à l’esprit la posture que Ledoux adopta à la suite de sadécouverte de la planète rouge, dans laquelle, rappelons-le aux ignorants qui n’ont jamaisentendu parler de cet apôtre du Code civil et comparatiste de haut vol, il finit ses jours surMars en partageant ses nuits avec une verte martienne. En effet, et cette opinion lui valutde vertes critique de son collègue et néanmoins ennemi Eugène Clou, professeur dans uneuniversité parisienne à un chiffre, Ledoux a toujours défendu, bec et ongles, envers et contreClou donc, la théorie de l’humanité des martiens, partant de l’idée que ceux-ci éprouventdes sentiments, qu’ils raisonnent et réfléchissent, et qu’ils communiquent entre eux dansun langage articulé. Certes, les martiens n’ont aucune conscience de la vie et de la mort,ils entretiennent des relations avec les animaux, notamment avec les kangourous, que, àquelques Marguenaud et limougeauds près, rares sont ceux qui, sur Terre, pourraientcomprendre… Certes, ils ne supportent pas l’alcool et ne résistent pas à la reproduction deleur image… Certes, leur écriture supposerait, pour être déchiffrée, la naissance d’unnouveau Champollion, certes… mais rien n’a jamais fait dévier Philibert Ledoux de sa

Denis  Mazeaud, Directeur scientifique, Professeur à l’Université Panthéon-Assas

Droits fois rien…

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conviction : les martiens sont des êtres humains et certainement pas une race intermédiaireentre ceux-ci et les choses vivantes ou simplement existantes. Ceci étant précisé, ladécouverte du droit martien est un ravissement intellectuel à nul autre pareil, que ce soitdans une perspective purement comparatiste ou à des fins simplement cognitives. J’avouem’être tout simplement régalé comme jamais, ou presque (faut quand même pas pousser),à la lecture des développements consacrés au droit de la responsabilité, même siparadoxalement, celle-ci ne fait l’objet d’aucune théorie d’ensemble et ne constitue qu’unattribut de la personnalité. Le droit de la famille, quant à lui, recèle de véritables pépites ;le mariage s’y conjugue à tous les genres, sans distinction de sexe, et sans condition d’ordrequantitatif, puisque le mariage en duo côtoie le mariage à plus encore et, même, le mariageunipersonnel. Je suis encore sous le choc de l’originalité dont le droit martien irrigue, parailleurs, la propriété, qui renvoie la fameuse école lyonnaise au rayon du classicisme le pluséculé, puisque l’objet de celle-ci embrasse les enfants dont les parents sont, un temps aumoins, propriétaires indivis. Mieux, ou pire c’est selon, les domaines, dont les terriensdiraient qu’ils sont des choses et les qualifieraient d’immeubles (mais les martiens ignorentsuperbement nos summa divisio académiques, notamment celle qui distingue les personneset les choses ; quant à Ledoux, il prêche pour l’abolition de la division des biens entremeubles et immeubles…), entretiennent un rapport de propriété avec ceux des martiensqui sont à leur service et les exploitent, voire qui parfois y habitent. Entre beaucoup d’autrespépites, le lecteur découvre avec émerveillement les sources du droit martien, au seindesquelles la jurisprudence joue le premier rôle, sans doute parce que le juge n’est pas là-haut considéré comme la simple bouche de la loi, mais comme le robinet de la justice. Enrevanche, les amateurs de droit pénal seront un peu déçus, car les martiens ne s’intéressentguère à cette branche de notre droit, notamment pas à la responsabilité pénale, pourlaquelle ils éprouvent aussi peu de considération que pour la responsabilité civile…

L’un des immenses mérites de Hervé Croze, dans cette deuxième édition qu’il achapeautée, est d’avoir ajouté aux développements purement juridiques de l’ouvrage, lejournal de Philibert Ledoux que celui-ci a régulièrement tenu lorsqu’il a découvert, dans lesannées soixante-dix, la planète rouge et ses grands hommes verts. Certes, sauf à réduireson intérêt pour l’Univers à notre minuscule hexagone, la planète Mars et ses martiens n’ontplus guère aujourd’hui de secret pour nous. Mais, le journal de Ledoux permet de leverd’importants malentendus, surtout à la suite des épisodes particulièrement sanglants quiont marqué les relations entre terriens et martiens, et qui lui ont valu d’être mis au ban denotre civilisation, pour intelligence avec les martiens. On comprend mieux alors pourquoiles martiens se sont rebellés contre ces terriens, qui exploitaient leurs domaines et leursrichesses au mépris des règles les plus élémentaires du droit interplanétaire, dont Ledouxbrosse avec le talent et l’humanisme qui le caractérisent les grands traits.

En un mot comme en cent, il faut lire et relire cette envoûtante Introduction au DroitMartien et espérer que Hervé Croze sera béatifié pour l’ensemble de son œuvre, parce qu’ille vaut bien, nom d’un martien…

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La revue est disponible en ligne sur le site www.u-paris2.fr

L’équipe de la RDA tient à remercier le FSDIE, le Laboratoire dedroit civil, Maître Arsène Kronshagen ainsi que la Direction de lacommunication de l’Université Panthéon-Assas.

COMMENT PUBLIER UN ARTICLEDANS LA RDA ?

Il peut être adressé au comité de rédaction unarticle d’une ou deux pages « autour du droit »(actualités de l’Université, vie à l’Université, faitdivers en lien avec le droit, etc.). Les meilleurescontributions feront l’objet d’une publicationdans la revue.

Les auteurs peuvent adresser leur manuscrit par courrier électronique à l’adresse suivante :

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