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Edouard Glissant Le discours antillais

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The French of the Caribbean

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Page 1: GlisSant

Edouard Glissant

Le discoursantillais

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REPERES

L'Histoire comme piege

"t:aigu de notre situation au monde (notre place dans lation) n'est pas en ligne directe avec la mitraillade (l'exter-ation brute) mais avec une lente usure, comme d'unenction par defaut. Nous n'avons pas Ie privilege de cettee de mort bleme, qui va Ie monde.I est vain d'accuser de pessimisme tout effort de re[lexionivise a explorer un tel manque. Cet effort partiel n'est pasrismatique, it tend a favoriser une liberation d'usage. Iesrations de fait seront des actes collectifs.Fanon dit qu'il ne veut pas etre esclave de l'esclavage. Celaus-entend pour moi qu'on ne saurait se contenter d'igno-Ie phenomene historique de l'esclavage; qu'il faut ne passubir de maniere pulsionnelle Ie trauma persistant. Ie de-ssement est exploration projective. L'esclave est d'ahord ce-

ui qui ne sait pas. L'esclave de l'esclavage est celui qui neVeut pas savoir.11serait perilleux de projeter la Relation planetaire en suc-

cession logique de conquetes, en fatalite de conquetes pourun peuple. Elle conduit quelquefois a la disparition collecti-ve. La Relation planetaire ne comporte pas de morale agie.Toute theorie generalisante de l'histoire qui sous-estimeraitIes redoutables vecus du monde et leurs sautes (leurs impas-ses possibles) peut constituer piege.

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cette consciencedont il pressent qu'elle lui est«necessaire~, mais qu'il est incapable de«faire emerger" ou de « faire passer dans Iequotidien " : parce que les donnees immediatesde ce quotidien ne s'inscrivent pas pour luidans un continuum, c'est-a-dire que son rap-port a 1'entour (ce que nous appellerions sa na-ture) est dans une relation discontinue avec

1'accumulation de ses experiences (c~ue nousappellerions sa culture). Dans un reI contexte,1'histoire en tant qu'elle est discipline et qu'ellepretend eclairer la realite que vit ce peuplesouffrira d'une carence epistemologique grave:elle ne saura pas par quel bout s'attraper. Letrouble de la conscience collective rend en effetnecessaire une exploration creatrice, pour la-queUe les rigueurs indispensables a la mise enschemas historicienne peuvent constituer, sielles ne sont pas dominees, un handicap para-lysant. Les methodologies passivement assimi-lees, loin de renforcer la conception globale oude permettre de retablir la dynamique histori-que par-del a ses ruptures subies, contribueronta leur tour a epaissir ce manque.Les Antilles sont Ie lieu d'une histoire faite de

ruptures et dont Ie commencement est un arra-chement brutal, Ia Traite. Notre conscience his-torique ne pouvait pas « sedimenter ~,si on peutainsi dire, de maniere progressive et continue,comme chez les peuples qui ont engendre unephilosophie souvent totalitaire de l'histoire, lespeuples europeens, mais s'agregeait sous lesauspices du choc, de la contraction, de la nega-tion douloureuse et de l'explosion. Ce disconti-

27. La querelle avec l'Histoire

La lecture du texte d'Edward Baugh : «TheWest Indian Writer and his Quarrel with Histo-ry I " me permet de proposer les quelques re-marques qui suivent.S'il est incongru de pretendre qu'un peuple

«n'a pas d'histoire", on peut soutenir que,dans certaines situations contemporaines,alors meme qu'une des donnees de l'elargisse-ment planetaire est la presence (et Ie poids) dela conscience historique de plus en plus gene-ralisee, un peuple soit confronte au trouble de

1. Communication au colloque de la Carifesta (Kingston, la-marque, 1976). La problematique culturelle et litteraire dansles Antilles anglophones toume principalement autour de telsconcepts. !--'historien comme poete (a propos de Braithwate),Ie romancler comme historien (a propos de Naipaul), l'histoirecomme projet (a propos de Lamming) : l'enonce du theme estpermanent. Les rencontres entre les litteratures antillaises (an-

glophone, francophone, hispanophone, creole) ne proviennentpas d'une decision des productel'lrs de texte ; ce sont les effetsen;ore camoufles d'un meme mouvement historique, d'unememe appartenance culturelle.

Histoire, histoires 223

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nu dans Ie continu, et l'impossibilite pour laconscience collective d'en faire Ie tour, caracte-risent ce quej'appelle une non-histoire.Le facteur negatif de cette non-histoire est

donc Ie raturage de la memoire collective.Quand Ie colonel Delgres se fit sauter avec sestrois cents hommes sur la poudriere du FortMatouba en Guadeloupe (1802), pour ne pas serendre aux six mille soldats franr;ais qui l'en-cerclaient, Ie bruit de cette explosion ne reten-tit pas immediatement dans la conscience desMartiniquais et des Guadeloupeens. C'est queDelgres fut vaincu une seconde fois par la rusefeutree de l'ideologie dominante, qui parvintpour un temps a denaturer Ie sens de son actehero"iqueet a l'effacer de la memoire populaire.Ainsi la proclamation du gouvernement fran-r;ais aux esclaves martiniquais (mars 1848) af-firme que les Guadeloupeens ont eux-memesreclame Ie retablissement de 1'esclavage en1802. Et quand les heros antillais, Toussaint ouMarti, furent victorieux, ce ne fut que dansleurs pays respectifs. Le blocus ideologiquefonctionna autant que les blocus economiqueshier pour Ha"iti,aujourd'hui pour Cuba. Si Bo-livar trouva aide et repos en HaIti, si done pourun temps l'idee d'une histoire antillaise globalese concretisa, ce temps ne dura guere. Aujour-d'hui, pourtant, nous entendons Ie fracas deMatouba. Pour retrouver Ie temps de leur his-toire, il a fallu que les pays antillais brisent lagangue que Ie lads colonial avait tissee au longde leurs cotes.Ainsi, nes de 1'acte colonial, ces peuples pen-

dant longtemps n'ont pu opposer a celui-ci (eten particulier dans les petites Antilles) que lesbrusques ruptures de leur incessante revolte, etnon pas l'inepuisable embuscade que les na-tions africaines par exemple ont pu dressercontre lui. La communaute atavique de langue,de religion, de systeme etatique, de valeurs tra-ditionnelles, en somme une conception dumonde, permettait aces peuples, chacun en cequi Ie concerne, de resister plus continument.La patience et la certitude que donne un tel ar-riere-pays culturel nous ont ete pendant long-temps interdites.II en est resulte qu'a la connaissance de son

pays Ie peuple antillais n'a pas lie une datationmeme mythifiee de ce pays, et qu'ainsi natureet culture n'ont pas forme pour lui ce tout dia-lectique d'ou un peuple tire 1'argument de saconscience. A ce point, que l'histoire obscurcies'est souvent reduite pour nous au calendrierdes evenements naturels, avec leurs seules si-gnifications affectives « eclatees ». Nous di-sions : « l'annee du grand tremblement », ou :« l'annee du cyclone qui a tombe la maison demonsieur Celeste », ou : « l'annee de l'incendiedans la Grande Rue ». Et c'est bien la Ie recoursde toute communaute desamorcee d'un actecollectif et engoncee loin de la conscience desoi. Sans doute observe-t-on de pareilles data-tions par exemple dans les communautes pay-sannes de certains pays industrialises.On ne saurait proscrire cette pratique d'un

calendrier « naturel» comme etant pure alie-nation. L'ethnopoetique mise a la mode par les

224 Le SU, l'incertain Histoire, histoires 225

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1. C'est Ie moment de se demander si I'ecrivain est (en cetravail) Ie receleur de I'ecrit ou l'iniliateur du parle? Si Ie pro-ces d'historicisation ne vient pas mettre en cause Ie statut deI'ecrit? Si la trace ecrite est «suffisante " aux archives de lamemoire collective?

exces de la deshumanisation industrielle ou ad-ministrative enseigne qu'il y a la plus de raisonque suppose. Mais la nature une fois coupee desa signification est aussi pauvre (pour I'hom-me) et desarmee que I'histoire subie. Laconjonction dynamique nature-culture est in-dispensable a I'assise d'une communaute.Aujourd'hui nous entendons Ie fracas de Ma-

touba, mais aussi la fusillade de Moncada. No-tre histoire nous frappe avec une soudainetequi etourdit. L'emergence de cette unite dif-fractee (de cette conjonction inape~ue d'his-toires) qui constitue les Antilles en ce momentnous surprend, avant meme que nous ayonsmedite cette conjonction. C'est dire aussi quenotre histoire est presence a la limite du sup-portable, presence que nous devons relier sanstransition au trame complexe de notre passe.Le passe, notre passe subi, qui n'est pas encorehistoire pour nous, est pourtant Ia (ici) quinous lancine. La tache de l'ecrivain est d'explo-rer ce lancinement, de Ie « reveler» de manierecontinue dans Ie present et I'actuell• Cette ex-ploration ne revient donc ni a une mise enschemas ni a un pleur nostalgique. C'est a de-meler un sens douloureux du temps et a Ie pro-jeter a tout coup dans notre futur, sans Ie re-cours de ces sortes de plages temporelles dontles peuples occidentaux ont beneficie, sans Ie

1. Preface a la premiere edition de Monsieur Toussaint, Ed.du Seuil, Paris, 1961.

227Histoire, histoires

secours de cette densite collective que donned'abord un arriere-pays culture! ancestral. C'estce que j'appelle une vision propherique dupassel.

« La ou se joignent les histoires des peuples,hier reputes sans histoire, finit l'Histoire.»(Avec un grand H.) L'Histoire est un fantasmefortement operatoire de l'Occident, contempo-rain precisement du temps ou il etait seul a« faire » l'histoire du monde. Si Hegel a rejeteles peuples africains dans l'anhistorique, lespeuples amerindiens dans Ie pre-historique,pour reserver l'Histoire aux seuls peuples euro-peens, il semble que ce n'est pas parce que cespeuples africains ou americains « sont entresdans l'Histoire » qu'on peut penser aujourd'huiqu'une telle conception hierarchisee de la« marche a l'Histoire» est caduque. Les faitsont par exemple impose a la pensee marxiste!'idee que ce n'est pas dans les pays technique-ment Ies plus avances, ni par les proletariatsles plus organises, que la revolution triomphed'abord. Le marxisme a ainsi critique par Ie reelet de son propre point de vue la notion d'uneHistoire lineaire et hierarchisee. C'est ce procesde hierarchisation que nous nions dans laconscience commen~ante de notre histoire,dans ses ruptures, sa soudainete a investir, saresistance a !'investigation.Parce que la memoire historique fut trop

souvent raturee, l'ecrivain antillais doit « fouil-

Le SU, l'incertain226

David Mazerolle
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ler» cette memoire, a partir de traces parfoislatentes qu'il a reperees dans Ie reel.Parce que la conscience antillaise fut balisee

de barrieres sterilisantes, I'ecrivain doit pou-voir exprimer toutes les occasions ou ces bar-rieres furent partiellement brisees.Parce que Ie temps antillais fut stabilise dans

Ie neant d'une non-histoire imposee, l'ecrivaindoit contribuer a retablir sa chronologie tour-mentee, c'est-a-dire a devoiler la vivacite fe-conde d'une dialectique reamorcee entre natu-re et culture antillaises.En ce qui nous concerne, I'histoire en tant que

conscience a I'reuvre et l'histoire en tant quevecu ne sont done pas I'affaire des seuls histo-riens. La litterature pour nous ne se repartirapas en genres mais impliquera toutes les appro-ches des sciences humaines. Les categories heri-tees ne doivent pas en la matiere bloquer la har-diesse methodologique, la ou elle repond auxnecessites de notre situation. Quereller I'His-toire, c'est peut-etre, pour Derek Walcott 1, affir-mer I'urgence de cette mise en question des cate-gories de la pensee analytique.Vne realite qui fut longtemps non evidente a

elle-meme et qui prit corps en quelque sorte acote de la conscience que les peuples en avaientreIeve autant de la problematique exploratoireque de la mise en plans historicienne. C'estcette implication « litteraire » qui oriente I'eclat

NOTE 1

sur l'histoire comme nevrose

229Histoire, histoires

de la reflexion historique, dont aucun d'entrenous ne peut pretendre etre sauf I.

Serait-il derisoire ou odieux de considerernotre histoire subie comme cheminementd'une nevrose ? La Traite comme choc trauma-tique, !'installation (dans Ie nouveau pays)comme phase de refoulement, la peri ode ser-vile comme latence, la «liberation» de 1848comme reactivation, les delires coutumierscomme symptomes et jusqu'a la repugnance a« revenir sur ces choses du passe» qui seraitune manifestation du retour du refoule ? Sansdoute n'est-il pas utile et ne deviendrait-il pasprobant de fouiller un tel parallele. Le refoulehistorique nous persuade pourtant qu'il y apeut-etre la plus qu'un jeu de I'esprit. Quel psy-chiatre saurait problematiser Ie paralleIe ? Au-cun. L'histoire a son inexplorable, au bord du-quel nous errons eveilles.

1.£su, l'incertain228

1.. Les reuvres.de Derek Walcott, peete originaire de Sainte-LUCie,O?t ~ouml a Edward Baugh, peete de Jamaique, l'argu-ment pnnclpal du texte que je commente iei : « History is irrele-vant in the Caribbean ».

1. Le leurre chronologique et la simplieite d'une « periodisa-tion » evidente sont les boucliers « culturels » contre ce desirehistorique. Plus la pseudo-periodisation parait « objective "plus on a I'impression d'avoir vaincu ce desire combien subjec-tif, laneinant, incertain.

David Mazerolle
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230 1£ su, l'incertain Histoire, histoires 231

NOTE 2

sur la transversalite

Mais nos histoires diversifiees dans la Ca-ra'ibe produisent aujourd'hui un autre devoiIe-ment : celui de leur convergence souterraine.Ce faisant elles nous enseignent une dimensioninsou~onnee, parce que trop evidente, deI'agir humain : la transversalite. L'irruption aelle-meme de I'histoire antiIlaise (des histoiresde nos peuples, convergentes) nous debarrassede la vision lineaire et hierarchisee d'une His-toire qui courrait son seul fiI. Ce n'est pas cetteHistoire qui a ronf1e sur les bards de la Cara'ibemais bel et bien des conjonctions de nos histoi-res qui s'y sont faites souterrainement. La pro-fondeur n'etait pas Ie seul abysse d'une nevrosemais avant tout Ie lieu de cheminements multi-plies.Le poete et historien Braithwate, dressant

dans la revue Savacou un recapitulatif des tra-vaux effectues dans la Cara'ibe sur notre his-toire (nos histoires aujourd'hui et par evidencesolidaires), resume la troisieme et derniere par-tie de son etude en cette seule phrase : «Theunity is submarine. »

Je ne traduis, quant a moi, cette proposition,qu'en evoquant tant d'Africains lestes de bau-lets et jetes par-dessus bard chaque fois qu'unnavire negrier se trouvait poursuivi par des en-nemis et s'estimait trop faible pour soutenir Ie

combat. Ils semerent dans les fonds les bouletsde ['invisible. C'est ainsi que nous avons appris,non la transcendance ni I'universel sublime,mais la transversalite. II nous a fallu bien dutemps pour Ie savoir. Nous sommes les racinesde la Relation.Des racines sous-marines : c'est-a-dire deri-

vees, non implantees d'un seul mat dans unsew limon, mais prolongees dans tous les sensde notre univers par leur reseau de branches.Nous vivons la, nous avons la chance de vi-

vre, cette relativisation qui est participante,cette conjonction qui eloigne de I'uniformite.

28. Carifesta 1976

La fete de la Cara'ibe s'est organisee en Ja-ma'ique (1976) autour des heros antiIlais : pourcette fois Toussaint Louverture, Jose Marti,Juarez, Bolivar, Marcus Garvey. La commu-nion populaire consacrait la de maniere specta-culaire et massive ce qui n'avait jusqu'alors etequ'un reve d'intellectuels. En ce sens, la Cari-festa faisait passer dans la conscience de tousla pulsion de quelques-uns.Vne publication pamphletaire de la Martini-

que a fait (en 1979) reproche aux « intel1ectuelsseparatistes » de ce pays de nourrir un « com-plexe de Toussaint », c'est-a-dire de tenter decompenser par I'adoption des heros d'autruiI'absence en Martinique meme d'un grand he-

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232 Le su, l'incertain Histoire, histoires 233

ros populaire. £t il est vrai que cette absencecontribue a frapper une collectivite d'un man-que-a-vaincre paralysant. La meme publica-tion, dans Ie meme article, s'evertuait a exalterIe role de Victor Schrelcher dans la liberationdes esclaves martiniquais en 1848. Que faisaitdonc Ie redacteur de l'article sinon chercher unheros tutelaire et victorieux ? En verite Ie debatautour de Schrelcher est un leurre ; ce qui esten cause n'est pas l'importance de son role, quifut indeniable et efficace, mais d'abord Iecontexte de son action (Ie passage de l'econo-mie servile a I'economie marchande, Ie poidsgrandissant des betteraviers fran<;ais, dont Iesaffiches a Paris proclament a l'epoque : « Monsucre n'est pas teint du sang des Negres », l'inter-vention interessee des abolitionnistes anglais)et ensuite l'utilisation qu'on en a faite : Ieschrelcherisme, qui fut pendant Iongtemps uneveritable ideologie. Par-dela Ie personnage deSchrelcher, on ne peut qu'observer que Iemode, Ie climat, la tendance de la « liberation »

de 1848 portent en eux Ie germe de I'assimila-tion; Ie schrelcherisme est Ie signifiant de cemouvement. II ne s'agit pas, nous Ie verronspar ailleurs, de savoir si cette liberation a etearrachee de maniere sanglante par les esclavesinsurges. L'histoire martiniquaise deborded'insurrections sans profit. II serait comique dedeclencher en Ia matiere une guerre des dates :27 avril (declaration du projet d'Abolition),22 mai (insurrection des esclaves), en ergotantsur des chronologies ou des proclamations. IIs'agit d'une occultation plus profonde, conte-

nue dans Ie principe et Ie deroulement de I'Abo-lition : I'occultation de Ia specificite du peuplemartiniquais.Le manque de grande figure populaire (d'un

heros) n'est pas imputable a une logique de ladefaite. C'est la particularite d'un peuple assurede son identite de transformer en victoire my-thique une defaite reelle ; ainsi la Chanson deRoland a magnifie en hero'isme symbolique lafaute strategique et la deroute de Charlemagnea Roncevaux. On est meme en droit d'affirmerque les defaites des heros sont necessaires aI'unanimite des peuples.La legitimite de l'adoption des heros antillais

partout dans la Carai:be, y compris en Martini-que, est encore a demontrer. Elle ne sauraitetre plus patente. Toussaint Louverture est unmarronneur, de la meme espece, j'allais dire dela meme race, que Ie plus obscur et Ie plus me-connu des Negres marrons de Fonds-Massacreen Martinique. II s'agit du me-me phenomenehistorique. Et c'est parce que Ie peuple martini-quais n'a pas mythifie les defaites de ses Negresmarrons, mais les a enterinees purement etsimplement, qu'il y a lieu encore aujourd'huid'argumenter autour de Toussaint. II faut ici re-connaftre Ie pMnomene histori que.Ce jour-la, dans Ie stade de Kingston, des

milliers d'Antillais venus de tous les horizonsont acclame les noms que j'ai cites. Vainqueursou non, ces hommes, qui avaient fait la reellehistoire des Antilles, naquirent la une fois pourtoutes a la conscience collective. Maintenant,la Martinique est-elle un kyste dans la zone de

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234 Le SU, l'incertain

civilisation antillaise? Toussaint Louvertureest-il Ie heros d'autrui, et Schrelcher notre« vrai» heros? Que !'intelligentsia martini-quaise en soit encore a debattre de tels proble-mes montre, de maniere consternante, la pro-fondeur du deracinement qu'elle subit. Saurait-elle reconnaitre en Frantz Fanon un des per-sonnages qui ont anime (au sens profond duterme) les peuples du monde contemporain?Elle ne Ie saurait pas. Les heros d'autrui nesont pas les notres, nos heros par force sontd'abord ceux d'autrui.