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Gestion de Crise et Diplomatie Introduction La gestion de crise est un terme récurrent dans les médias, et nous l’avons tous constaté en lisant un journal ou en regardant un reportage. Dès lors qu’il existe des tensions en un point ou un autre du globe, on nous parle de crise : crise humanitaire (Darfour), crise politique et militaire (Haïti), crise inter ethnique (Rwanda), crise diplomatique (Côte d’Ivoire)… Bref, l’expression Gestion de crise est aujourd’hui très à la mode et comme toute mode on doit s’en méfier, et essayer de savoir ce qu’il se cache derrière cette expression, avant toute interrogation sur le rôle de la diplomatie dans cette « gestion de crise ». C’est donc après s’être interrogé sur le sens des mots crise et gestion, ainsi que sur la possibilité de gérer une crise au niveau diplomatique que nous pourrons, en connaissance de causes, nous pencher sur le ministère français des affaires étrangères, et plus particulièrement sur les mécanismes mis en œuvre en temps de crise. I. Gère-t-on nécessairement une crise ? A. Crise : quelles frontières ? Tout d’abord, essayons de définir le terme : pour ce faire, j’en donnerai deux définitions : Usuelle : Phase grave dans l’évolution des choses, des événements, des idées… Diplomatique et militaire (plus utile pour l’éclairage de notre problème) : la crise s’apprécie par rapport à un état stable qui sert de référence ; Pour aller plus loin, et par analogie : Le système international, qui répond à des relations stables et équilibrées, qui sont dictées par des rapports de forces hiérarchisés entre Etats peut se définir, d’après Philippe Braillard, comme : « un ensemble d’éléments en interaction, constituant une totalité et manifestant une certaine organisation ». « la crise s’instaure quand cesse un certain consensus (…) sur l’ordre établi ». La crise est donc un moment critique qui signale un « changement d’état » du système international. Ce changement s’opère par l’intervention de forces supérieures à celles qui sont ordinairement en jeu. 1

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Gestion de Crise et Diplomatie

Introduction La gestion de crise est un terme récurrent dans les médias, et nous l’avons tous constaté en lisant un journal ou en regardant un reportage. Dès lors qu’il existe des tensions en un point ou un autre du globe, on nous parle de crise : crise humanitaire (Darfour), crise politique et militaire (Haïti), crise inter ethnique (Rwanda), crise diplomatique (Côte d’Ivoire)…

Bref, l’expression Gestion de crise est aujourd’hui très à la mode et comme toute mode on doit s’en méfier, et essayer de savoir ce qu’il se cache derrière cette expression, avant toute interrogation sur le rôle de la diplomatie dans cette « gestion de crise ».

C’est donc après s’être interrogé sur le sens des mots crise et gestion, ainsi que sur la

possibilité de gérer une crise au niveau diplomatique que nous pourrons, en connaissance de causes, nous pencher sur le ministère français des affaires étrangères, et plus particulièrement sur les mécanismes mis en œuvre en temps de crise. I. Gère-t-on nécessairement une crise ?

A. Crise : quelles frontières ? → Tout d’abord, essayons de définir le terme : pour ce faire, j’en donnerai deux définitions : → Usuelle : Phase grave dans l’évolution des choses, des événements, des idées…

→ Diplomatique et militaire (plus utile pour l’éclairage de notre problème) : la crise s’apprécie par rapport à un état stable qui sert de référence ;

Pour aller plus loin, et par analogie :

Le système international, qui répond à des relations stables et équilibrées, qui sont dictées par des rapports de forces hiérarchisés entre Etats peut se définir, d’après Philippe Braillard, comme : « un ensemble d’éléments en interaction, constituant une totalité et manifestant une certaine organisation ». « la crise s’instaure quand cesse un certain consensus (…) sur l’ordre établi ».

La crise est donc un moment critique qui signale un « changement d’état » du système international. Ce changement s’opère par l’intervention de forces supérieures à celles qui sont ordinairement en jeu.

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Cette même analogie peut être appliquée à des rivalités internes ou à des systèmes sociaux intra étatiques.

Ayant délimité par cette définition les frontières de la notion de crise, nous éviterons de

tomber dans les abus de langage et autres amalgames. N’ayant pas le temps de développer tous les types de crise entrant dans cette définition, nous retiendrons néanmoins deux choses :

→ Les critères caractéristiques des crises :

- La rupture ; - L’urgence ; - L’incertitude (et le chaos) ;

- L’apparition de dangers et de menaces ;

- Des conséquences durables et importantes.

→ Un ébauche de typologie : on pourrait distingué 4 types de crises :

- Crises récurrentes sur de nombreux terrains avec comme illustration le cas des catastrophes naturelles en Amérique Centrale : le phénomène El Nino en 96 ;

- Crises « durables » dans de nombreux pays touchés par la guerre avec une

intensité variable comme en Angola, au Soudan ;

- Crises à issue incertaine comme en Afghanistan et en ex-Yougoslavie où l’avenir reste plein de points d’interrogation ;

- Les situations dites en « peau de léopard » où dans un même pays, région en

paix et région en guerre se côtoient comme en Somalie ou au Burundi.

Voyons maintenant, la gestion de crise à l’échelle diplomatique et posons nous la question : est-ce l’unique mission de la diplomatie ?

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B. La gestion de crise : unique mission de la diplomatie ?

Avant d’aller plus loin, entendons-nous dès à présent sur la définition de la diplomatie : → Nous la considérerons comme la mise en œuvre de la politique étrangère dans un souci de

consensus et de défense des intérêts nationaux. Bien que cette définition soit un peu réductrice, elle a le mérite d’être relativement claire.

Pour en revenir à notre question : assurément, la gestion de crise - si l’on considère qu’elle est possible - ne constitue pas en général l’unique mission de la diplomatie, mais elle reste l’une des plus médiatisée car la plus prestigieuse : on se souviendra à titre anecdotique du plaidoyer de Dominique de Villepin à la tribune de l’ONU, à l’encontre de l’intervention unilatérale américaine en Irak.

Mais n’oublions pas que la diplomatie a d’autres missions comme celles :

- d’assurer la diffusion de la culture et de la langue nationale dans les pays étrangers (c’est le cas de la France en particulier) ;

- de promouvoir les relations bilatérales (relations amicales et relations politiques);

- d’assurer la communication sur le terrain (via les ambassades notamment) ;

- de s’impliquer dans l’aide au développement ; - d’entretenir de bonnes relations au sein de l’ONU ;

- d’aider l’action humanitaire ;

- de lutter contre le terrorisme…

Bref, la diplomatie a un très grand nombre de missions, et ne tombons donc pas dans le piège d’y voir seulement celle de la « gestion de crise ».

Donc, si l’on revient à la notion de crise, je pense que l’on peut s’interroger sur le fait que

l’on peut peut-être y voir une forme d’échec de la diplomatie (dans l’accomplissement de ses nombreuses missions)?

→ Il reste très difficile de répondre à cette question, et cela nécessiterait d’avoir beaucoup plus de temps pour y répondre. → Cependant, il est possible d’entendre par échec, le résultat d’une mauvaise gestion ce qui nous ramène implicitement à celle que nous nous posons dans cet exposé, c’est-à-dire de savoir si une crise est gérable ou non.

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C. La crise : se gère-t-elle vraiment ?

Le terme « gestion » dans son sens premier, sous-entendrait un véritable contrôle sur une

situation qui permettrait d’entreprendre des actions qui modifieraient le cours des évènements. Ce terme associé à celui de crise s’apparente presque à un oxymore, et l’on pourrait voir dans

l’emploi du terme « gestion » une dérive du langage diplomatique derrière lequel se cache systématiquement une pluralité sémantique.

Nous ne parlerons pas de prévention des crises qui pourrait s’inscrire dans l’une des missions

diplomatiques mais qui poserait le même problème que celui de leur gestion.

Au regard des événements qui font chaque jour l’actualité, force est de constater que les crises ne s’évitent ni ne se gèrent mais bien plus, elles nous modèlent et nous forcent à toujours mieux savoir nous adapter. Face à une crise, l’idée serait peut être l’humilité et considérer la diplomatie non comme gestionnaire mais comme aide à l’adaptation car elle ne peut être toujours tenue pour responsable des échecs et de l’apparition des crises dont les caractéristiques lui sont bien souvent extérieures.

Transition : fort de cet éclairage sur la notion ambiguë de la gestion de crise dans le domaine diplomatique, il convient désormais, et en connaissance de causes, de s’intéresser de plus près au fonctionnement de la diplomatie française confrontée à une situation de crise.

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II. Comment fonctionne la diplomatie française en temps de crise ?

A. Un bref panorama du Ministère des Affaires Etrangères ;

Rappelons rapidement les principaux axes de la politique étrangère française :

- La France et la construction européenne ; - La France et l’ONU ; - La France et les grands pôles du monde contemporain ; - La politique de la France en matière de droits de l’homme ; - L’aide au développement ; - L’action humanitaire ; - La France et la lutte contre le terrorisme ; - La francophonie : échange et solidarité.

Ces axes sont véhiculés au travers de plusieurs canaux constitués par les différents acteurs

composant la hiérarchie du ministère. Celle-ci se ventile en tout un tas de directions au premier rang desquelles, nous retrouvons :

- La Haute direction : - Le Ministre des affaires étrangères : Michel Barnier ; - La Ministre déléguée aux Affaires européennes : Claudie Haigneré ; - Le Ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie : Xavier Darcos ; - Le Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères : Renaud Muselier ; - Le Secrétaire général ;

- La direction générale des affaires politiques et de sécurité ; - La direction générale de la coopération internationale et du développement ; - La direction des affaires économiques et financières ; - L’Europe et les directions géographiques ; … Bref, les directions sont nombreuses et ont chacune leur importance mais ce qu’il importe de prendre en compte ce sont les éléments particulièrement sollicités ou simplement mis en œuvre en temps de crise.

Rapidement, les trois instances autour desquelles est organisée la capacité de réaction de la France face à une crise sont :

- la cellule de crise réunie au ministère des Affaires étrangères qui associe tous les

ministères concernés, et assure le pilotage politique de l'ensemble ; - une structure permanente d'appui interministérielle installée au Secrétariat

général de la Défense nationale (SGDN) et qui est chargée d'assurer la mise en oeuvre coordonnée des orientations arrêtées par la cellule de crise ;

- l'Agence française de développement (AFD) désignée comme opérateur de

référence des actions décidées.

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Ce nouveau dispositif permanent a pour vocation :

- en permanence, de développer la capacité d'alerte et d'anticipation des situations de crise et également d'identifier les moyens nationaux et multilatéraux d'action en fonction des besoins ;

- par ailleurs, pendant les phases successives de gestion d'une crise, d'assurer la coordination des actions militaires et civiles afin de parvenir à une bonne articulation de l'ensemble des moyens de l'État et à l'efficacité optimale de leur emploi ;

- pendant la phase de remise en marche de l'économie et de rétablissement de l'État de droit, de promouvoir la présence française, tant dans l'assistance technique que dans la reconstruction elle-même.

B. Face à une crise : entre recherche d’information et prise de décision

Avant d’aller plus loin, on doit garder à l’esprit qu’en France, le Ministre des affaires

étrangères est appelé a collaboré étroitement avec le Président de la République. Ceci, nous le devons à la Constitution de 1958 qui confère au Président un rôle éminent en politique étrangère. Voilà pourquoi, il est possible d’interpréter le fait que la première voix qui s’est élevée pour condamner le bombardement de positions rebelles aux abords de Bouaké en Côte d’Ivoire, fut celle de Jacques Chirac.

La recherche d’informations est primordiale lors de l’apparition d’une crise ou de son

éventualité, et il est important au-delà du travail fait au cœur des ambassades ou des informateurs locaux officiels ou officieux de s’assurer de bien avoir pris identifier les facteurs suivants :

- Les signaux d’alerte :

→ Signaux politiques : Conflit entre les pouvoirs législatifs et exécutifs ( Haïti), Appel à la violence (Rwanda), Ascension d’un groupe politique extrémiste (Israël-Palestine)… → Signaux sociétal : Actes de violences isolés, Constitution de groupes mafieux, Montée de l’insatisfaction envers le pouvoir politique… → Signaux économique : Dégradation des conditions de vie, Corruption ; → Signaux environnemental : Alertes naturelles (Ouragans, Inondations…), Incidents technologiques ;

- Les indicateurs de crises : surtout politique et sociétal ; - Les acteurs de violence : en distinguant les acteurs engagés par idéologie

(politique, religieuse….), des acteurs autonomes (tels que mafias, pirates, chefs de guerre), des acteurs institutionnels (forces armées du gouvernement local, milices nationalistes…) et des acteurs insurrectionnels ( population civile) ;

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- Les acteurs de résolution : organisations internationales, institutions nationales…

- Le but politique d’une éventuelle intervention : maintenir la stabilité, rétablir la

stabilité, imposer un nouvelle stabilité. → entendant la notion de stabilité aussi bien comme politique, économique, sociale ou environnementale ;

Une fois que l’ensemble de ces facteurs a été pris en compte, la dernière étape consiste à

décider quel type d’intervention doit être mis en œuvre : opération de soutien de la paix, de sécurité, de guerre…

Mais ne nous trompons pas, chaque crise est différente et la prise de décision et la tentative

de gestion est bien plus difficile que l’application de cette recette certes théorique mais éclairante en raison du maquis d’informations dans lequel les décideurs sont plongés.

Cependant, en s’appuyant sur les différents dispositifs mis à leur disposition, les décideurs

publics se voient efficacement assister même s’ils restent face à leurs responsabilités. En outre, la prise en compte de ces facteurs et la mise en place de nouveaux dispositifs

n’exempt pas la diplomatie française de toutes critiques. C’est la raison pour laquelle, il peut être intéressant de se pencher sur les suggestions tendant à améliorer le processus diplomatique français de « gestion de crise ».

C. Des suggestions pour l’amélioration du processus de « gestion de crise » ; On pourrait penser aux dires de Gérard Chaliand, géostratège et membre du Centre

d’Analyse et de Prévision du Quai d’Orsay - sorte de laboratoire d’idées et d’analyse pour la politique étrangère française – qu’il serait judicieux de donner plus de poids au CAP dans la prise de décision. En fait, il regrette que les chercheurs et les analystes du CAP ne soient pas plus écoutés.

Une autre suggestion qui est intéressante : si l’on en croît Georges-Marie Chenu, diplomate

ayant servi dans plusieurs pays en crise tels le Nigeria, Haïti, l’Argentine ou le Togo, l’efficacité d’une intervention extérieure pourrait être accrue en assurant non seulement

→ par un meilleur échange entre les acteurs présents sur le terrain (ONG, diplomates et militaires)

→ mais aussi en assurant un découplage entre la mission des militaires et celle des diplomates afin d’éviter que les premiers s’émissent dans las plats de bande des seconds en sympathisant, par exemple, trop avec la population.

De son expérience dans les Balkans entre 1991 et 1995, il en retire deux autres constats : → le problème de la fiabilité de l’information sur place qui pourrait être, selon lui,

améliorée par l’envoi d’un informateur sur le terrain disposant de moyens de communications autonomes ;

→ et une nécessité d’associer davantage les parlementaires à l’action extérieure de la France.

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Conclusion : Pour conclure, il convient de rester prudent quant à l’utilisation de l’expression « gestion de crise » car manifestement une crise ne se gère pas et s’évite difficilement surtout dans une dimension d’action à l’étranger.

Retenons aussi que loin d’être l’unique mission de la diplomatie, elle en constitue néanmoins l’une des plus complexes et des plus prestigieuses. Cette complexité, nous n’avons fait que l’ébaucher au travers de l’exemple de la diplomatie française et de la multiplicité des facteurs en jeux devant être pris en compte en temps de crise par les décideurs publics.

Mais la diplomatie française dans son souci de défendre l’exception française ainsi que ses

intérêts à l’étranger doit continuer de s’améliorer car à en croire Samy Cohen : « loin d’affaiblir l’Etat et les diplomates, les nouvelles turbulences mondiales renforcent leur potentiel d’intervention sur la scène international ». Gageons donc que ce potentiel serve davantage à aider à l’adaptation aux crises plutôt qu’à vouloir les gérer coûte que coûte et que les diplomates soient plus que jamais à l’écoute des experts.

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