frank lloyd wright, une architecture écouménale

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Andréa GOUDAL Frank Lloyd Wright, une architec- ture écouménale.

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Réflexion sur les "Prairie House" de Franck Lloyd Wright, mise en lien avec les principes d'"écoumène" théorisés par le géographe et philosophe français Augustin Berque, dans le rapport qu'entretient l'architecture avec le milieu.

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Andréa GOUDAL

Frank Lloyd Wright, une architec-ture écouménale.

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Page 3: Frank Lloyd Wright, une architecture écouménale

Introduction

Le concept d’écoumène, issu du Grec « oiko’oumene » : terre habitée, a été réintroduit dans le langage actuel par le philosophe et géographe français Augustin Berque. Ce moyen sert à définir le lien onto-géographique de l’homme avec son milieu et est appelé « prise écouménale »1. Ces relations qui s’opèrent au-delà des milieux physiques in-cluent la dimension mésologique et questionne le va-et-vient entre l’objet et le contexte. Augustin Berque appelle cela une « trajection »2 et induit la notion corrélative de tra-jectivité. Il introduit ce concept pour montrer que la réalité des milieux humains n’est pas réductible au dualisme du sujet et de l’objet mais s’articule dans la relation trajective entre ces deux pôles. « La raison trajective, elle est en effet dans la pulsation existentielle qui, par la technique, déploie notre corps en monde sur la terre et qui simultanément, par le symbole, reploie le monde en notre chair.»3. Dans le cas de cette étude, la trajectivité entre l’objet et le sujet, s’entend comme la relation de l’homme à l’environnement, par l’architecture et réciproquement. Le bâtiment s’offre comme le dispositif de réconciliation de l’être et du milieu.

L’architecte américain Frank Lloyd Wright semble interro-ger le contexte dans son architecture. Ces réalisations ainsi que ces écrits questionnent l’intégration d’une production dans un lieu singulier. Il revendiqua une architecture « or-ganique »4 où toutes les parties sont reliées au tout et où le tout à un rapport avec toutes les parties. « Je présentais que, à ce moment-là, la seule bonne architecture devait prendre racine sur le sol en quelque sorte à partir du ter-rain, que la condition technique, la nature matérielle et le

1. BERQUE Augustin, Ecoumène: intro-

duction à l’étude des milieux, Paris, Ed.

Belin, 2000. Chapitre 6, p 239.

2. BERQUE Augustin, La Mésologie,

pourquoi et pour quoi faire, Paris, Ed.

Essai et conférences, 2014. Chapitre

3&4

3. BERQUE Augustin, Ecoumène: intro-

duction à l’étude des milieux, Paris, Ed.

Belin, 2000. p.402

4. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.33

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but du projet devaient inévitablement déterminer la forme et le caractère de toute bonne construction.»5. Ce qu’il ex-pliquera de manières plus concises par « form is function » lors d’un discours retranscrit en 19536.

C’est au regard de cette notion de trajection, pour en com-prendre les prises écouménales, que sera examiné un des projets de l’architecte. Cette introspection se fera avec la maison individuelle « Fre-derick C. Robie » construite sur l’avenue Woodlawn 5757 à Chicago dans l’Illinois en 1908, dans le style des Prairies Houses6. Ce mouvement architectural cherche à favoriser la relation entre le bâtiment et son contexte. « Nous, les ha-bitants du Middle-West, nous vivons dans la prairie. La prai-rie possède une beauté qui lui est propre. Nous devons re-connaître et accentuer cette beauté naturelle, son étendue tranquille. »7. Supposant un lien fort avec la nature, cette maison, dernière réalisée par l’architecte, est considérée comme la plus caractéristique de son travail. Largement médiatisé à son époque, nous avons aujourd’hui accès à plusieurs écrits plans et photographies de Wright. Ces élé-ments seront triés par statut architectural (coupes, niveaux, élévations, perspectives) et l’attention sera porté à analyser visuellement chaque sujet pour comprendre les modèles de représentation utilisés par l’architecte, trouver la place de la nature dans le projet, les proportions du bâtiment et la relation entre ces deux comme autant d’éléments influen-çant le dessin du bâtiment.

Depuis l’extérieur La vue satellite actuelle révèle l’emplacement de la mai-son, en bordure de rue, le long de la parcelle d’un terrain d’angle. Une position qui donne les raisons de la forme gé-nérale du projet. Cette première relation à l’espace public suppose que l’architecte se conforme à la réalité dimension-nelle et géométrique du lieu. Cependant les croquis dessi-nés par Wright ne montrent pas le contexte et valorisent la végétation proche de façon abstraite, car dessinée par le contour, comme un objet détaché de la réalité (figure 1). L’horizontalité très présente donne à la maison un profilage continu qui semble se propager au-delà des limites des ter-rains. « La Robie House, située à Chicago, se distingue

2

5. (Traduction de l’auteur) .Frank Lloyd

Wright, the futur of architecture, 1953,

Ed. Plume, 352p. Version anglaise.

« I felt sure, even then, that architecture

which was really architecture proceeded

from the ground and that somehow the

terrain, the native industrial conditions,

the nature of materials and the purpose

of the building, must inevitably deter-

mine the form and character of any good

building.”

6. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. Cha-

pitre 3 p43.

7. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.21

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Figure 1.Rendering of the Robie House, 1910. Copy-right © the Frank Lloyd Wright Foundation.

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Figure 2.Photographie par Jim Schiefelbein,

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avant tout par ses spectaculaires volumes horizontaux et ses toitures largement débordantes. Leur agencement pa-raît complexe car certains murets, de la même facture que les murs de la maison (briques rouges et filets de pierre), délimitent des cours, intérieures et extérieures. »8. La fa-çade en retrait disparaît sous ses toitures débordantes, la végétation extérieure rentre dans les creux du volume et remplace les murs, Wright représente cette végétation sur les élévations qu’il dessine comme un élément structurant de l’architecture, porteur de lignes horizontales (figure 1). Est-ce issu d’une volonté purement plastique, ou l’archi-tecte fait-il par transposition, le lien entre les usages inté-rieurs et les « affordances »9 qu’offre le site? La réponse devient complexe quand on sait que Wright définit égale-ment la « Prairie House » comme l’évidence d’une repré-sentation plastique. Toutefois, les lignes horizontales qui paraissent suspendues dans le vide, abritent des espaces intérieurs qui eux, n’ont rien d’irrationnels. « La hauteur et la masse pyramidale des piliers de briques et des murets sont soigneusement calculés pour permettre la vue depuis les pièces du niveau principal tout en empêchant d’être vu de-puis le trottoir. »10. Wright entend donc entretenir un rapport visuel de l’habitation sur la rue, ce dispositif nécessite pour fonctionner d’être à la fois conçu en fonction de l’homme qui occupe la maison mais également dans un rapport « trajectif » du bâtiment à son contexte. Mais la réalité contre-dit ce constat, les photographies extérieures du projet ré-vèlent à nouveau la forte présence végétale (figure 2). Les rues et constructions alentour sont absentes, comme étouffés sous cette masse verte qui dérobe la maison à son contexte. Wright essaye-t-il finalement de recréer un monde, un espace autonome qui comprend le projet et ses extérieurs dans un périmètre contrôlé, faisant abstraction de tout le reste? On peut le croire si l’on se réfère au prin-cipe des « Prairie House »11, une critique de la construction dense et la volonté de faire entrer la ruralité dans la ville en réalisant des projets qui émergent du sol « J’aimais la prai-rie distinct, pour sa grande simplicité (...) J’eus l’idée que les plans horizontaux dans les bâtiments appartenaient au sol. »12. Wright croit fortement à l’idée d’un bien-être qui ne peut que passer par un rapport fusionnel de l’homme avec la nature allant jusqu’à donner un aspect religieux à cette pensée « La nature est tout ce que nous connaîtrons ja-

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8. TEXIER Simon, « ROBIE HOUSE ,

Chicago (F. L. Wright) », Encyclopædia

Universalis [en ligne]. URL : http://www.

universalis.fr/encyclopedie/robie-house/

9. GIBSON James J., Approche éco-

logique de la perception visuelle, Ed

Dehors, traduction de l’américain, paru

pour la première fois en 1979, Paris,

2014, 492p.

10. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. p94.

11. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. Cha-

pitre 3 p43.

12. (Traduction GOSSEL Peter)

WRIGHT Frank Lloyd, A Testement, Ed.

New York, N.Y, Version anglaise, p. 124.

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mais de l’apparence de Dieu »13. Ses bâtiments cherchent à permettre à l’être humain de participer à la subsistance de la nature tout en profitant des joies et du bien-être que celle-ci nous apporte. C’est une manière d’élaborer les pré-misses des questions environnementales contemporaines qui est un des facteurs que soulève l’écoumène, par la tra-jection des éléments construits avec les milieux naturels.Même si l’homme est absent dans les représentations de l’architecte, ce constat trouve son sens quand on regarde les proportions et l’organisation de la maison.« Prenant pour échelle un être humain, j’abaissai toute la maison, afin que sa hauteur convînt à un homme normal... Ne croyant à aucune autre échelle que l’être humain. »14.Pour comprendre l’aspect signifiant, extérieur de ce bâ-timent, il devient évident de faire l’étude des espaces in-térieurs, car ceux-ci sont prépondérants du résultat plas-tique de l’ensemble. « Entrer dans la maison Robie n’a rien d’évident. On est attiré par la longue façade sud, à cause du jeu dynamique de ses murs en dégradé, de ses toits et de ces espaces enfouis dans l’ombre. »15 Wright signe ici des dispositifs d’ombre et de lumière, qui donne une mou-vance à l’enveloppe du bâti. L’architecte réalise une pers-pective de cette entrée, il signifie comme à son habitude la végétation ainsi que les lignes majeures du bâtiment et ajoute un dessin des sols pour exprimer le parcours de l’ha-bitant. L’entrée dans la maison se fait par un endroit caché, Wright ne souhaite pas une entrée visible depuis la rue, le visiteur doit parcourir l’enceinte de la maison, passer sous les porte à faux, longer murs et murets, se retrouver dans des espaces éclairés, parfois sombre pour arriver devant la porte. Cela fut par la suite connu comme le « plan ou-vert »16 la maison ne se contient pas dans un volume clos, les porte-à-faux de toiture, les ouvertures, les murs qui se prolongent au-delà de l’emprise du bâti sont autant d’élé-ments qui invitent la nature à pénétrer dans l’architecture et l’architecture à s’étendre pour prendre prise sur la nature.

Extérioriser l’intérieur L’entrée mène directement aux pièces de jours, quand on observe la photographie (figure 3), l’espace s’étend hori-zontalement en analogie aux lignes extérieures du bâ-timent, cela est dû à l’absence de cloisons séparatives.

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13. Interview par : Mike Wallace inter-

view, September, 1957 (https://www.

youtube.com/watch?v=DeKzIZAKG3E)

14. WRIGHT Frank Lloyd, A Testement,

Ed. New York, N.Y, Version anglaise.

15. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. p94.

16. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. p94.2.

GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright, Ed.

Taschen, Paris, 1991, p.21.

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Wright représente ses plans intérieurs avec le même gra-phisme et détail que ses façades ou perspectives exté-rieures, il décontextualise totalement son bâtiment, signifie la végétation extérieure qui se développe jusqu’aux limites de l’espace intérieur sans toutefois y rentrer et transpose les lignes horizontales de ses plans dans l’agencement des intérieurs. « L’espace intérieur devient la réalité du bâtiment et non pas les murs, ni les plafonds »17 Le bâtiment devient transparent comme lisible depuis l’extérieur. Au centre de la pièce principale, trouve place l’escalier pour accéder aux espaces de nuit à l’étage ainsi que la cheminée, massive, elle organise l’espace. Son emprise est d’ailleurs mise en valeur dans les plans du projet, c’est le centre de l’attention. La cheminée s’inscrit dans la maison comme une colonne vertébrale centrale qui organise les espaces longs et ho-rizontaux. Cet élément se retrouve dans chaque « Prairie House »18. Wright fait en sorte que la cheminée soit le sym-bole de la famille, l’endroit où l’on se retrouve, où l’on se repose et également le lieu de la divinité. C’est une exté-riorisation, une étendue de la maison vers le ciel. On peut ici parler de rapport, d’aller-retour, une trajection différente de celle expliquée par A. Berque car ici l’aller/retour est symbolique, religieux. La Robie House se déploie de toutes parts, verticalement vers les cieux et horizontalement sur le sol. Un sol intérieur qui est rehaussé, où les seuls ac-croches au site originel sont les murs massifs qui partent de la terre et portent les toitures, le sous-sol est pensé comme un socle qui surélève les pièces de vie de manière qu’elles offrent une emprise visuelle généreuse sur la na-ture. Wright dessine une coupe de son projet avec pour la première fois une représentation de l’homme et des vues qu’il peut avoir sur l’environnement proche, l’homme est au niveau du feuillage, regarde par la fenêtre, comme déta-ché de la réalité des choses. «S’élever du sol afin d’avoir une meilleure vu»19. Mais pas seulement, car les larges ouvertures verticales qui rythment cet intérieur son aussi là pour faire entre un maximum de nature dans la maison «La qualité intérieure d’un espace dépend de la quantité d’espace extérieur qui entre par le truchement de la lumière et de la transparence.»20,« une fenêtre verticale est direc-tement liée à la présence de l’homme, elle est dessinée pour lui, debout qui regarde vers l’extérieur.»21. Comment comprendre le fait que l’architecte crée une relation si forte

10

17. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.27

18. MCCARTER Robert, Frank Lloyd

Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002. Cha-

pitre 3 p43.

19. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.23

20. WRIGHT Frank Lloyd. The Natural

House. New York: Horizon Press, 1954.

p.47

21. Ibid. p.28.

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Figure 3.Frank Lloyd Wright, «Interior of the Robie House», 1910, Chicago, photo par Sandra Cohen-Rose and Colin Rose

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Figure 4.Photographie par Joel Meyerson, 2013.

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à la nature environnante, une présence marquée dans son plan, mais ne se permet pas d’apporter cette végétation à l’intérieur même du bâti ? Il semblerait que ce postula soit due au fait que l’homme ne doit pas « abîmer » la na-ture, il s’y invite mais ne la contrôle pas, tout comme le sol se détache de la terre pour ne pas l’offenser. Cette pensé est environnementale, une réconciliation de l’homme sur la nature. C’est à la frontière de cet espace intérieur et des milieux extérieurs qu’il devient intéressant de voir comment l’architecte se positionne. Certaines fenêtres s’ouvrent sur des terrasses qui occupent les creux du bâtiment où se ren-contre, la nature, l’architecture et l’homme. Ces terrasses sont contenues par les porte-à-faux, l’architecte soulève une ambiguïté dans ses plans, car on ne sait plus si cet espace est intérieur ou extérieur.

C’est le reflet d’un parcours où l’habitant est contraint par l’architecture à disposer de prises sur la nature qui sont contrôlés. Ces porte-à-faux expriment également une di-mension qui n’a pas encore été soulevée dans cette étude, celle du climat. Dans le livre de TREIBER Daniel, « Frank Lloyd Wright». L’auteur dédie un chapitre entier aux condi-tions climatiques d’existence des projets de Wright et prend comme exemple la Robie House (P.29). Il nous explique de quelle façon l’architecte dispose les usages, gère les volumétries et organise les dispositifs architecturaux de manière à engendrer des protections climatiques « Tous les murs proprement dits situés sur l’avant de la maison sont en retrait par rapport au garde-corps des terrasses, de façon à être protégés des rayons du soleil estival. La protection du toit de l’étage est relativement modeste, mais exactement suffisante quand le soleil est au zénith, en revanche à l’est et à l’ouest, les porte-à-faux spectacu-laires protègent du soleil comme de la pluie.»22 Wright nous montre que malgré une décontextualisations des produc-tions iconographiques, il se questionne sur la disposition géographique et les enjeux climatiques. De cette manière on ne peut plus penser que le bâtiment est conçu ex-nihilo, cette nouvelle information ancre définitivement le proces-sus de conception à une relation « sitologique »23 multis-calaire. Le bâtiment devient réellement « bioclimatique »24. Il va par la suite, utiliser ce climat pour générer des am-biances dans son projet. La lumière dans ses bâtiments

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22. TREIBER Daniel, Frank Lloyd

Wright, Ed. Hazan, Paris, 2008. p.29

23. Définition Encyclopédie Universalis :

Etude des sites, de leur préservation et

de leurs conditions d’existence.

24. Reyner Banham, The Architecture of

the well tempered environment, Univer-

sity of Chicago, Press, 1969.

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devient une priorité, les photographies de l’extérieur et de l’intérieur nous expriment la maîtrise de ces éléments. La façade est rythmée par des clairs/obscur très présents qui donnent du relief et perturbent les limites perceptibles des volumes. Les espaces intérieurs offrent des séquences de-puis l’entrée sombre jusqu’aux pièces de vies principales très lumineuses « refléter la lumière pour accompagner des espaces dans l’obscurité »25. L’intérieur s’articule de la même manière que l’extérieur, l’architecte développe un ensemble autonome, isolé, qui se contient dans un pay-sage proche où les perceptions peuvent être contrôlé.

Une architecture de détailsS’il est un point primordial chez Wright qui n’a pas encore été abordé, c’est la place de l’ambiance par la matériali-té, le détail et le mobilier. Ces éléments sont-ils également conçus en relation environnement/intériorité ? Une des premières choses qui interpelle quand on arrive devant la Robie house, c’est la brique, caractéristique des « Prairies Houses », « un mur de brique reflète les efforts verticaux, la puissance du sol. Pour Wright, les ouvertures doivent être maîtrisés et les proportions entre les masses doivent res-pecter une harmonie naturelle. »26. Il défend également le fait que le matériau n’a pas besoin d’être transformé, il doit être brut, sa meilleure utilisation reste sa relation proche à sa condition naturelle. « La brique est idéale, elle propose une multitude de couleurs qui rend la façade vivante »27. Ces jeux dynamiques de murs sont ponctués de fenêtres arborant des motifs tels des vitraux. Dans les photos in-térieures (figure 3&4), on voit la précision et le détail mis en œuvre pour le dessin de ces fenêtres. « Une dissolu-tion du matériau de construction dans une grille – du vitrail – comme le sol, se dissous et se perd dans les branches des arbres »28. Ces motifs prismatiques retiennent et dif-fusent la lumière. C’est la manière qu’a Wright d’apporter la nature, jusqu’ici absente, dans le bâtiment. Il symbolise sa complexité et joue de ses variations lumineuses pour faire entrer la végétation dans son projet. La maison est finalement transparente, la trajection matérielle de l’homme sur la nature est totale. La porosité, c’est aussi la manière de faire entrer la lumière. L’architecte décide d’ajouter des luminaires fixés en plafond sur les boiseries. Ceux-ci sont

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25. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.25

26. Guiheux Alain, L’ordre de la brique,

Editions Mardaga, 1985, p. 124.

27. Interview par : Mike Wallace inter-

view, September, 1957 (https://www.

youtube.com/watch?v=DeKzIZAKG3E)

28. Schindler Rudolph, cité par Esther

McCoy, Vienna to Los Angeles : Two

Journeys, Santa Monica, 1979. p.131.

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circulaires et renvoient inévitablement à la symbolique du soleil qui éclaire les recoins les plus sombres. Cette proxi-mité avec le plafond amplifie la sensation d’horizontalité et de légèreté. Wright gère ainsi son besoin de modernité et utilise cette nouvelle technologie à des fins plastiques. Tous ces éléments sont mis en valeur par les couleurs sombres des boiseries qui, lorsqu’on regarde à nouveau les photo-graphies de l’entrée ou des pièces de nuits à l’étage, di-rigent inévitablement le regard vers l’extérieur, un extérieur mobile contrasté par les ombres du feuillage. Le bois est « son matériau préféré »29, « pour l’homme, le bois est univer-sellement beau, on aime s’associer a lui et il s’associe à la nature. Il est agréable à l’œil et au toucher. »30. Le mobilier de la maison est intégralement réalisé en bois que l’archi-tecte, comme dans nombre de ces projets, conçoit spéci-fiquement. Dans la Robie House, les photos d’archives du site officiel31 (le mobilier d’origine a disparu) montrent que chaque élément est disposé de manière à tirer profit de l’es-pace et de l’extérieur, la table à manger est mise à proxi-mité des ouvertures dans la salle de réception, les fauteuils sont groupés près de la cheminée dans le salon principal, les chaises reprennent l’identité des boiseries du projet,... As-t-on trouvé, grâce au mobilier, la façon pour l’architecte de réaliser ce qu’il appelle « une architecture plus humaine »32 ? Certainement si l’on considère une architecture « plus humaine » comme le résultat d’une pensée recentré sur les conditions de subsistance d’une être (commanditaire) dans un projet donné, et non comme le résultat d’une pensée systémique et transversale entre objet et sujet.

« La lumière humaine est au dessus de l’instinct. Par cette lumière humaine, l’imagination de l’homme naît, conçoit, crée, meurt. Il n’y a rien de plus élevé que la conscience humaine, que les rayons de cette lumière intérieure que nous appelons beauté. Cette lumière intérieure est l’assu-rance que l’architecture, l’art et la religion de l’homme ne font qu’un, ses emblèmes symboliques. »

WRIGHT Frank Lloyd, A Testement, Ed. Horizon Press, 1957. 256p.

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29. GOSSEL Peter, Franck Lloyd Wright,

Ed. Taschen, Paris, 1991, p.27

30. WRIGHT Frank Lloyd. The Natural

House. New York: Horizon Press, 1954.

p.19

31. http://www.flwright.org/robiehouse

32. WRIGHT Frank Lloyd, A Testement,

Ed. Horizon Press, 1957

Page 15: Frank Lloyd Wright, une architecture écouménale

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La Robie house, architecture représentative des « Prairie House » de Frank Lloyd Wright, explicite les volontés de l’architecte. Nous sommes ici en présence d’un projet qui mêle réalités physiques et symboliques, qui s’extériorise et se déploie au-delà de ses limites géométriques pour prendre « prises »33 sur l’environnement extérieur. Mais ce bâtiment ne crée cette relation trajective qu’avec son envi-ronnement proche, contrôlé par l’architecte.Wright réalise ainsi une « sphère de vie », une unité re-lationnelle qui se dérobe totalement au contexte construit environnant et à l’enjeu historique du lieu. L’homme, le bâtiment et le paysage du projet, sont néan-moins liés, liés comme l’exprime la citation ci-dessus, par certaines valeurs symboliques et religieuses qui n’ont pas la même prédominance dans les pensées contemporaines. On trouve toutefois, par le biais de ce projet, des interro-gations actuelles sur les relations à l’environnement, les conditions climatiques et les valeurs ajoutées des inter-ventions architecturales qui agissent qualitativement entre l’homme et son milieu. Cependant, le microcosme autonome ainsi crée par Wright, qui fait la critique de la société expansive et destructrice des conditions de vie du bonheur des habitants, ne peut pas s’apparenter aux principes d’écoumène énoncés par Augustin Berque qui, de surcroît, doit créer une trajection totale de l’objet sur son milieu et ce en faisant abstraction de la qualité du contexte d’intervention. Cette trajection doit avoir pour bénéfice d’agrémenter l’architecture et égale-ment de requalifier qualitativement les éléments proches, environnants, de toutes nature qu’ils soient.

33. BERQUE Augustin, Ecoumène:

introduction à l’étude des milieux, Paris,

Ed. Belin, 2000. Chapitre 6, p 239.

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Bibliographie

- BERQUE Augustin, Ecoumène: introduction à l’étude des milieux, Paris, Ed. Belin, 2000, 268p.

- BERQUE Augustin, La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire, Paris, Ed. Essai et conférences, 2014. 64p.

- GIBSON James J., Approche écologique de la perception visuelle, Ed Dehors, traduction de l’américain, paru pour la première fois en 1979, Paris, 2014, 492p.

- GOSSEL Peter, Frank Lloyd Wright, Ed. Taschen, Paris, 1991, 175p.

- GUIHEUX Alain, L’ordre de la brique, Editions Mardaga, 1985, 259p.

- MCCARTER Robert, Frank Lloyd Wright, Ed. Phaidon, Paris, 2002, 365p.

- MORIN Edgar, Le paradigme perdu : la nature humaine, Points Essais (seuil), Paris,1979, 242p.

- PRADINES Maurice, La philosophie de la sensation, Ed OLMS, Paris, 2003, 204p.

- REYNER Banham, The Architecture of the well tempered environment, University of Chicago, Press, 1969.

- SCHINDLER Rudolph, cité par Esther McCoy, Vienna to Los Angeles : Two Journeys, Santa Monica, 1979.

- TREIBER Daniel, Frank Lloyd Wright, Ed. Hazan, Paris, 2008, 191p.

- WRIGHT Frank Lloyd, the futur of architecture, 1953, Ed. Plume, 352p. Version anglaise.

- WRIGHT Frank Lloyd, A Testement, Ed. New York, N.Y, Version anglaise.

- WRIGHT Frank Lloyd. The Natural House. New York: Horizon Press, 1954.

- ZEVI Bruno, Frank Lloyd Wright, Ed Die Deutsche Bibliothek, Berlin, 1998, 281p. Traduction de l’allemand en français par H. R. Von der Mûhll.

- Simon TEXIER, « ROBIE HOUSE, Chicago (F. L. Wright) », Encyclopæ-dia Universalis [en ligne]. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/robie-house/

- (Vidéo) Mike Wallace interview, Septembre, 1957 : https://www.youtube.com/watch?v=DeKzIZAKG3E

- http://www.flwright.org (consulté le 08/10/15)

- http://www.biography.com/people/frank-lloyd-wright-9537511#early-life

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