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1 FORUM SUR LA REFORME DES LOIS, REGLEMENTATIONS, INFRASTRUCTURES ET PROCEDURES ADMINISTRATIVES RELATIVES AUX ELECTIONS : LES STRATEGIES A ADOPTER POUR EMPECHER LES CRISES ELECTORALES (AVANT, PENDANT ET APRES) EN AFRIQUE Thème : Crises des campagnes électorales, irrégularités et fraudes électorales Par HOUNAKE Kossivi Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit de l’Université de Lomé (Togo) 13 15 Octobre 2014 Tanger (Maroc) Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le Développement (CAFRAD) Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF)

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FORUM SUR LA REFORME DES LOIS, REGLEMENTATIONS,

INFRASTRUCTURES ET PROCEDURES ADMINISTRATIVES

RELATIVES AUX ELECTIONS :

LES STRATEGIES A ADOPTER POUR EMPECHER LES CRISES

ELECTORALES (AVANT, PENDANT ET APRES) EN AFRIQUE

Thème : Crises des campagnes électorales, irrégularités et fraudes électorales

Par HOUNAKE Kossivi Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit

de l’Université de Lomé (Togo)

13 – 15 Octobre 2014 Tanger (Maroc)

Centre Africain de Formation et de Recherche

Administratives pour le Développement (CAFRAD)

Fondation pour le Renforcement des Capacités

en Afrique (ACBF)

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Thème : Crises des campagnes électorales, irrégularités et fraudes électorales

Par HOUNAKE Kossivi Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit

de l’Université de Lomé (Togo)

« L’élection en Afrique est juste pour le gagnant et inique pour le perdant ». Cette

réflexion explique pourquoi l’élection, un des critères de la bonne santé

démocratique d’un pays, demeure en Afrique une des sources actuelles des

conflits internes.

L’élection est au cœur de la théorie démocratique. Elle est un mode efficace de

régulation de l’altérité.Parfois elle est utilisée comme un moyen de prévenir crises

et conflits politiques de toute nature, c’est-à-dire un instrument de sortie de crise.

En revanche, lorsqu’elle est mal préparée ou jugée tel par les perdants, l’élection

devient source sérieuse de conflits. On a pu dire qu’à chaque élection politique,

un pays africain a rendez-vous avec une crise électorale.

Par crise électorale on entend toute situation de désordre, de perturbation de

dérangement, de dysfonctionnement qui, s’introduisant dans le système politique,

a ou aurait de graves incidences sur le déroulement du jeu électoral pluraliste.

Elles ne naissent pas ex nihilo. Elles proviennent souvent d’une accumulation ou

sédimentation de frustrations engendrées par un ou plusieurs

dysfonctionnements observées parfois à une étape jugée capitale ou à toutes les

étapes de la chaîne électorale.Il peut s’agir de l’établissement de la liste électorale

et de la distribution fantaisiste des cartes d’électeurs, du déroulement défectueux

de la campagne électorale avec à la clé une gestion médiatique orientée, de la

défaillance du dispositif de garde-fous contre la fraude, de la création de bureaux

de vote, et de l’acheminent peu orthodoxe des urnes. Il peut s’agir aussi de la

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défaillance des institutions en charge des élections. Celles qui interviennent

directement, mais, chacune suivant son domaine de compétence dans le processus

électoral. Rentrent dans cette dernière catégorie, les juridictions constitutionnelles

et les autorités administratives indépendantes en charge des élections. Tandis que

les premières sont chargées de régler le contentieux électoral, les secondes

n’interviennent pas dans le contentieux électoral stricto sensu. De la mauvaise

application des règles tout comme du mauvais fonctionnement des institutions

peuvent naître des crises électorales.

Pour remédier à ces difficultés, des efforts ont été faits aussi bien dans l’ordre

interne des Etats qu’au double plan régional et sous-régional. Au plan interne les

cadres normatif tout comme institutionnel ont subi plusieurs mutations aux fins

de les rendre moins crisogènes. Sur les autres plans on peut se référer à la Charte

africaine sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance adoptée le 30

janvier 2007 à AddisAbéba, à la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000 et

au protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Tout ce

déploiement normatif vise à terme à faire des élections des périodes paisibles au

cours desquelles les citoyens pourront choisir en toute quiétude leurs

représentants ou gouvernants. Malheureusement, les fruits n’ont pas portés la

promesse des fleurs.

Cette situation autorise que l’on s’interroge sur les sources des crises électorales

en Afrique et les voies et moyens par lesquels il serait possible de les prévenir

mieux de les éviter. Bref les crises électorales sont-elles une fatalité en Afrique ?

Les causes du mal sont connues. Elles proviennent pour la plupart du manque de

consensus sur le cadre électoral et du peu de sincérité qui entourent les élections

dans certains pays africains. Il est possible alors d’explorer les voies de son

éradication. Nous verrons successivement les syndromes du mal et les remèdes

possibles du mal.

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I- Les syndromes du mal

Les syndromes du mal tiennent à un cadre normatif controversé et un contrôle

contrasté de la sincérité des élections.Il existe rarement un consensus autour des

règles devant gouverné le processus électoral en Afrique. Le cadre normatif sert

moins à permettre un déroulement harmonieux du processus électoral qu’à

mettre hors course les adversaires jugés gênants au parti au pouvoir. Ceci

s’effectue par l’institution d’une obligation de résidence et l’exigence du critère de

nationalité.

L’institution d’une obligation de résidence continue est un obstacle dressé sur le

chemin des candidats aux élections politiques nationales. La stratégie mise en

place par les partis au pouvoir consiste à faire peser sur les adversaires politiques

redoutables, une insécurité qui pourrait les empêcher de résider sur le territoire

en permanence. De fait il leur sera alors impossible de remplir, au moment venu,

la condition de résidence de 12 mois.

Au Togo, la condition de résidence continue a été introduite dans la Constitution

pour éliminer de la compétition électorale un candidat redouté, M.

GilchristOlympio de l’UFC. Pour l’empêcher de briguer la magistrature suprême,

le parti au pouvoir décida de l’écarter de la course présidentielle. Il entreprit

d’abord de modifier l’article 159 du code électoral. Dans sa nouvelle formulation,

cet article dispose : « Peut faire acte de candidature à l’élection du Président de la

République, tout citoyen remplissant les conditions fixées à l’article 62 de la Constitution et

qui réside sur le territoire national depuis douze mois au moins». Redoutant peut-être

une sanction de cette loi, le parti au pouvoir décida de constitutionnaliser la

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condition de la résidence continue. Il s’est pressé de rendre la Constitution

conforme au code électoral. Cette condition de résidence continue a permis par

deux fois à la CENI de rejeter la candidature de postulants à la magistrature

suprême. Ce qui a obligé la Cour constitutionnelle à intervenir sur saisine des

intéressés. Mais, à chaque fois, les requérants ont été déboutés de leur demande.

Au Bénin, la question de la durée de la résidence des candidats à l’élection

présidentielle a divisé en 2005 la classe politique. En effet, à l’approche de

l’élection présidentielle de 2006, l’Assemblée nationale vote une loi qui oblige les

futurs candidats à cette élection à résider sur le territoire national « au moment

des élections », c’est-à-dire « de la période allant de l’installation de la Commission

électorale nationale autonome à la proclamation des résultats définitifs du scrutin ». La

constitutionnalité de cette loi fut contestée devant la Cour constitutionnelle. La

Cour constitutionnelle censure ce rajout. Elle précise à cette occasion :

« considérant que la seule condition exigée par la Constitution en son article 44-5e tiret

est »« de résider sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections » ;

« qu’en procédant comme il l’a fait, le législateur crée une condition supplémentaire relative

à la durée de résidence ; qu’en conséquence, le dernier alinéa de l’article 5 de la Loi

n°2005-26 sous examen doit être déclaré contraire à la Constitution ».En 2011, à

l’occasion du contrôle de la loi organique portant conditions de recours au

référendum, laquelle s’est bornée à rappeler en son article 6, les dispositions

insusceptibles de révision et préciser par la Constitution elle-même, la Cour avait

considéré que « l’examen de la loi fait ressortir que l’article 6 est contraire à la

Constitution en ce qu’il ne cite pas toutes les options fondamentales de la

Conférence nationale… et qui sont reprises par les articles 42, 44 et 54 de la

Constitution ; qu’il s’agit du nombre de mandats présidentiels, de la limitation

d’âge pour les candidats à l’élection présidentielle et de la nature présidentielle du

régime politique »

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Par cette décision, le juge constitutionnel béninois s’impose encore comme le

dernier rempart contre les dérives d’un législateur, dont l’acte, la loi, a fini d’être

l’expression de la volonté générale. Pour éviter cette censure probable du juge

constitutionnel, le gouvernement gabonais a dû faire appel au pouvoir constituant

dérivé. En effet, avec la révision constitutionnelle de décembre 2009, les candidats

probables à l’élection présidentielle doivent désormais justifier de leur résidence

continue de 12 moins sur le territoire national gabonais avant toute acceptation

de leur candidature. Mais, ici comme ailleurs, cette acception est également

soumise à d’autres conditions constitutionnelles notamment celle de la

nationalité.

S’il existe un critère commun à tous les pays en matière de validité de candidature

aux élections politiques dans presque tous les Etats modernes, c’est bien celui de

la nationalité.Seulement, les modalités de sa mise en œuvre diffèrent d’un pays à

un autre. Au Gabon, les conditions de nationalité à satisfaire par les candidats à

l’élection présidentielle figurent à l’article 10 de la Constitution du 26 mars 1991.

Celui-ci dispose que « sont éligibles à la Présidence de la République, tous les Gabonais

des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques, âgés de quarante ans au moins et

résidant au Gabon depuis 12 mois au moins ». A ces conditions déjà très restrictives,

la révision constitutionnelle du 28 décembre 2009 vient ajouter une condition

supplémentaire. Désormais, ne peut prétendre à briguer la magistrature suprême,

« Tout gabonais bénéficiant d’une autre nationalité au titre de laquelle il a exercé des

responsabilités politiques ou dans un autre pays…».

Le constituant béninois à l’image de ses homologues africains francophones, a

soumis l’accès à la magistrature suprême au respect notamment de la condition de

nationalité. L’article 44 de la Constitution du 11 décembre 1991, dispose à ce

propos que « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République

s’il…n’est de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix

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ans »Pourtant, en prélude à l’élection présidentielle de 1996, l’Assemblée

nationale introduit dans le code électoral une disposition qui interdit à tout

candidat à ladite élection d’avoir une double nationalité. Le siège de cette

disposition se trouve être l’article 5 de ladite loi. Celui-ci disposait que : « Au cas

où un citoyen se trouve au bénéfice de plusieurs nationalités, il est tenu lors du dépôt de sa

candidature pour la fonction du président de la République, de renoncer officiellement à

toute nationalité autre que celle du Bénin et d’en fournir la preuve en versant au dossier de

candidature tous documents officiels pouvant en faire foi ». Visiblement, cette loi était

destinée à écarter les candidats virtuels Adrien Houngbédji et Nicéphore Soglo

qui possèdent la double nationalité béninoise et française. Saisie sur cette affaire,

la Cour constitutionnelle juge la disposition en cause inconstitutionnelle, motif

pris de ce qu’« en procédant comme il l’a fait, l’article 5 de la loi n°95-015 du 11

décembre 1995, crée une condition supplémentaire en matière de nationalité

pour l’élection du Président de la République, alors que la seule condition exigée

à ce titre par la Constitution en son article 44 est d’être « de nationalité béninoise de

naissance ou acquise depuis au moins dix ans ». De même en Côte d’Ivoire,

l’entreprise n’est pas pour le moins aisée. Pour être candidat à l’élection

présidentielle, il faut être ivoirien de père et de mère eux-mêmes ivoiriens

d’origine. A ces maux déjà s’ajoute un autre phénomène celui du contrôle

contrasté de la sincérité des élections

Le contentieux électoral révèle un paradoxe étant entendu qu’à la fréquence des irrégularités, répond de façon surprenante la rareté des sanctions.

Après quelques années d’expérience démocratique, beaucoup d’observateurs

voient aujourd’hui dans les consultations électorales, de véritables « impostures »

se réduisant à de « simples formalités administratives » dominées par des acteurs

politiques se livrant « à un banditisme électoral plutôt qu'à une compétition loyale ». Le

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constat n’est pas inexact. Il est rare qu’un gouvernement organise les élections

pour les perdre. La fraude et l’opacité de l’organisation en sont les principes et la

transparence l’exception.

Concernant les candidats, le constat est que le candidat du parti au pouvoir est

toujours privilégié par rapport aux autres. Cette inégalité est beaucoup plus

frappante pendant la campagne électorale. Le parti au pouvoir bénéficie d’un

accès favorable et d’un traitement préférentiel aux médias publics. Les moyens

humains, matériels et financiers de l’Etat sont réquisitionnés pendant la

campagne électorale. Parmi tous ces paramètres, les plus choquants se trouvent

être le poids de l’argent dans les élections en Afrique et l’enrôlement systématique

et obligatoire des directeurs et responsables de service dans la campagne électorale

au profit du parti au pouvoir. Certes, l’irruption de l’argent dans la vie politique

et, particulièrement, dans le processus électoral ne date certainement pas d’hier.

Mais, l’influence qu’il y exerçait, il y a quelques années, était devenue

véritablement choquante. Cette circulation importante de l’argent pendant la

campagne électorale ne risque-t-elle pas d’influencer les organes en charge du

processus électoral ? Sont-ils à l’abri des sollicitations peu glorieuses du candidat

du parti au pouvoir ?

Au Togo tout comme au Gabon, le maintien au pouvoir de l’ancien parti unique

tient en partie au fait que « le choix des gouvernants s’effectue bien souvent selon, non

pas la crédibilité et la qualité du projet de société des candidats en lice, mais plutôt l’état de

leur fortune et leur générosité à l’égard des électeurs ». Au Gabon, par exemple, lors de

l’élection présidentielle de décembre 1993, le candidat Omar Bongo avait loué lui

seul un avion de la compagnie Air-Gabon et deux hélicoptères de nationalité

suisse. Il faut reconnaître en réalité que cette pratique s’étend à l’ensemble de la

classe politique gabonaise. La campagne électorale est l’occasion pour « chaque

entrepreneur politique [d’étaler] son talent d’orateur, sa capacité à persuader, à convaincre

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l’électorat mais également sa puissance financière et surtout de distribution des dons ».

Cette pratique a été contestée à la veille des élections parlementaires de décembre

2006 par le Chef de l’Etat, Omar Bongo, alors qu’il l’a lui-même mise en œuvre

quelques jours plus tôt. Bref, pour espérer gagner une élection à Libreville, il

faudrait dépenser entre 60 et 100 millions de francs CFA en dons.

Au Togo, les moyens mis par le parti au pouvoir dans la campagne électorale de

l’élection présidentielle de mars 2010 dépassent largement les cinquante millions

fixés par le code électoral. Il s’agit d’une campagne outrancièrement dispendieuse

dont les dépenses pouvaient se chiffrer à des dizaines de milliards de franc CFA.

Dans une interview accordée au quotidien Forum de la Semaine au lendemain

des élections, Mme Brigitte KafuiAdjamagbo-Johnson, candidate malheureuse à

ladite élection déclarait : « l’argent a joué un rôle important dans cette élection. On a

trop utilisé l’argent à tel point que, c’était manifeste qu’il y avait une volonté manifeste de

gagner coûte que coûte en achetant le vote. On a assisté à toute sorte de distribution de

libéralité en direction des populations. Que ce soit en vivres, matériel ou argent ». Ces

pratiques violent manifestement le code électoral.Mais, elles n’ont jamais été

sanctionnées.

Le Bénin n’est nullement épargné par le phénomène de la corruption électorale,

plus le candidat est fortuné, plus il a la chance à se faire élire. Le Président M.

Kérékou n’a-t-il pas déclaré au sujet des campagnes présidentielles qu’il faut

disposer d’un minimum d’un milliard de francs CFA ? Participe de la persistance

de cette situation, la disponibilité même des populations à échanger leur vote

contre les différentes promesses des prétendants à la magistrature suprême. En

effet, « beaucoup d’électeurs désormais sans illusion, sont persuadés que l’exercice du

pouvoir enrichit les hommes politiques, aussi s’organisent-ils pour faire payer leur soutien

aux divers candidats : se considérant comme les ouvriers et artisans de la victoire des

gouvernants, ils attendent en contrepartie de leur soutien et de leurs efforts, une

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rémunération juste et préalable. Dans ces conditions, ceux qui disposent de ressources

importantes ont beaucoup plus de chance d’être élus ».Courtisé par les candidats qui

rivalisent de promesses et de libéralités de toute sorte, l’électeur se résout à

accorder sa voix au candidat le plus généreux. Et très souvent, le plus généreux

demeure le candidat sortant. L’inégalité entre les électeurs s’observe à plusieurs

niveaux du processus électoral. Les irrégularités sont d’abord décelables au niveau

de l’inscription sur les listes électorales. A ce niveau, pour l’ensemble des pays

étudiés, le constat est que la population électorale dépasse toujours de loin la

population en âge de voter.

Dans d’autres cas, les résultats provisoires sont proclamés alors même que le

dépouillement n’est pas terminé. Ce furent le cas des élections présidentielles de

juin 1998 au Togo et de 1993 au Gabon. Dans ces deux pays, les Ministres de

l’Intérieur (Togo) et celui de l’Administration territoriale (Gabon) avaient

procédé, au lieu et place de la Commission électorale, à la proclamation des

résultats provisoires alors même que les dépouillements n’étaient pas terminés

dans les zones favorables aux adversaires du candidat sortant : Commune de

Lomé qui regroupe plus du tiers de la population électorale au Togo et Libreville

le fief du candidat MbaAbessolé.

Face à cette machine de fraude mise en route dès les premières phases du scrutin

et qui fonctionne à plein régime tout au long du processus, il est difficile aux

électeurs de comprendre que les recours en annulation soient souvent rejetés par

le juge.

Deux outils permettent au juge constitutionnel de rejeter les recours en

annulation formulés par les perdants aux élections, quelles qu’elles soient. Il s’agit

de l’absence de preuve et de l’usage détourné de la technique de l’influence non

déterminante.

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La production de la preuve, entendue comme l’établissement de la réalité d’un

fait ou de l’existence d’un acte juridique, est un véritable problème en

contentieux électoral. Son absence est très souvent la cause de rejet de plusieurs

requêtes d’annulation adressées au juge constitutionnel. A cette occasion, le juge

constitutionnel, juge électoral, déclarait « Considérant que ces allégations ne sont

assorties d’aucune preuve permettant d’en apprécier le bien-fondé ; que par suite, elles ne

peuvent être retenues ». Même, lorsque les requérants désignent nommément des

personnes impliquées dans la fraude, le juge se plaisait à dire « Considérant que s’il

est vrai que les faits allégués constituent des violations graves des principes cardinaux qui

régissent les opérations de vote, il n’en demeure pas moins vrai qu’aucun élément du dossier

ne vient conforter les affirmations d’ordre général du requérant ». Il est vrai que le juge

constitutionnel, ne peut pas annuler une élection à la simple évocation d’une

fraude. Il en est ainsi par exemple lorsque le requérant produit à l’appui de sa

demande « un support D.V.D. avec la mention « Vote Mineur à Kandi et dans le

Septentrion ». Mais cet instrument ne peut pas à lui seul être considéré comme un

élément de preuves. Cependant, dans certains cas extrêmes, où d’énormes cas de

fraudes ont été avancés par le requérant, le juge constitutionnel doit se

transporter sur les lieux et faire ses propres investigations. Il doit dépasser le seul

fait que les cas d’irrégularités avancés n’ont pas été inscrits sur le procès-verbal. Ce

transport devient nécessaire, puisque dans certains cas, les procès-verbaux

n’échappent pas au trafic.

Le principe de l’influence déterminante, veut que « le vice de forme, pour entraîner

l’annulation, doit avoir une influence, au moins probable, sur les résultats du scrutin, il

faut qu’il puisse tout au moins faire soupçonner l’existence d’un vice de fond ». Le

principe de l’influence déterminante entre dans un ensemble de démarche

entreprise par le juge constitutionnel. Dans un premier temps, le juge examine les

faits afin de déterminer le caractère exact des cas de fraude invoqués par le

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requérant. Dans un second temps, il qualifie les faits et cherche à découvrir

l’influence qu’ils ont pu avoir sur la sincérité du scrutin. Enfin, il annule le

scrutin s’il estime que les irrégularités commises ont été déterminantes, en ce

qu’elles ont exercé sur les électeurs une influence suffisante pour en modifier le

résultat. Dans les faits, le recours à cet outil par le juge est combiné avec celui de

l’écart des voix. Plus l’écart des voix entre les candidats arrivés en tête est grand,

moins le requérant à la chance de voir le scrutin annulé.

Au Togo, lors des élections législatives anticipées de 2002, en réponse à la requête

par laquelle l’auteur dénonce diverses irrégularités notamment : votes multiples,

distribution anarchique et fantaisiste de procurations et de cartes, composition

anormale des bureaux de vote, la Cour considère que le requérant «…ne rapporte

pas suffisamment la preuve des faits allégués ; que, même à supposer établies les

irrégularités relevées au niveau desdits bureaux, et donc nulles les voix séparant les deux

candidats ; ne sauraient en rien modifier les résultats d’ensemble de la circonscription

électorale concernée ».

Cette situation se présente également au Gabon où depuis le renouveau

démocratique, le PDG, parti au pouvoir n’a jamais perdu la majorité

parlementaire ni présidentielle. En 1994, à la suite de la proclamation illégale des

résultats de l’élection présidentielle, par le Ministre de l’Administration

territoriale qui donne gagnant le Président Bongo, M. Paul MbaAbessolé s’est

autoproclamé Président de la République. Parallèlement à cette action, il saisit la

Cour constitutionnelle et demanda l’annulation du scrutin. La Cour rendit une

décision juridiquement intenable. En effet, tout en reconnaissant que le processus

électoral a connu des dérapages, la Cour s’est abstenue de les sanctionner. Elle

considère que « Le juge considère à cette occasion qu’« au lendemain de l’annonce

par le ministre de l’Administration du territoire des résultats du scrutin du 5 décembre

1993, le sieur Paul MbaAbessolé s’est autoproclamé Président de la République gabonaise ;

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que le même jour il a nommé un premier ministre…lequel a immédiatement formé son

gouvernement ; qu’il a été créé une institution appelée Haut Conseil de la République dont

font partie les requérants ; que de ce fait, ceux-ci se sont mis délibérément dans l’illégalité,

faisant ainsi fi de l’existence de la constitution et par conséquent, des institutions

régulièrement mises en place ».

Cette décision est très surprenante et discutable au regard des exigences de l’Etat

de droit. En effet, dans un Etat de droit, le droit au recours contre toute forme de

décision est un droit fondamental. Il est ouvert à tous ceux qui remplissent les

conditions légales, même aux pires délinquants, même aux ennemis du régime.

Toutes ces jurisprudences éclairent sur les heurts et malheurs du droit électoral et

de la démocratie en Afrique. Le plus souvent, le seul constat d’irrégularités, même

graves, n’est pas suffisant pour entraîner l’annulation de l’élection contestée.

Lorsqu’il est saisi, le juge s’interroge sur le point de savoir, non pas s’il y a lieu

d’annuler l’élection litigieuse en raison de la gravité des irrégularités, mais s’il est

opportun, en raison de leur incidence sur les résultats, de procéder à une

nouvelle élection. S’il a la conviction que, abstraction faite de ces irrégularités, les

résultats auraient été identiques, il estime qu’un nouveau recours aux électeurs ne

s’impose pas et, en conséquence, refusera d’annuler l’élection contestée. Ce n’est

que dans la mesure où il a la conviction que des comportements irréguliers ont

faussé le choix des électeurs, qu’une nouvelle élection peut lui paraître nécessaire

pour faire apparaître leur volonté réelle. Et, dans ce cas seulement, il prononcera

l’annulation de l’élection contestée. Ce faisant, il quitte le terrain d’une

vérification de la régularité juridique de l’élection contestée, pour se constituer en

juge de sa sincérité. L’annulation ne sanctionne plus le fait que l’élection du

candidat proclamé élu ait été acquise grâce à des comportements irréguliers, mais

le fait que de tels comportements, dans les circonstances de l’espèce, ne

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permettent pas d’avoir la certitude qu’elle correspond à la volonté réelle des

électeurs.

II- La thérapie du mal

Les remèdes peuvent être de plusieurs ordres. Ils peuvent emprunter les voies

normatives, politiques tout comme institutionnelles. Mais la voie royale nous

emble celle sociologique. Les crises proviennent pour la plupart du comportement

des politiques et des populations. C’est donc là qu’il faut agir.

Ceci passe par l’éducation à la culture démocratique. La démocratie est

inséparable de l’idée d’éducation dispensée au peuple. Comme l’a souligné

Proudhon « la démocratie, c’est la démopédie ». Mais, cette prise en compte de

l’éducation démocratique comme facteur d’ancrage des règles démocratiques dans

la conscience profonde des peuples fait défaut dans la plupart des pays en

apprentissage de démocratie. Il en est ainsi des pays africains francophones. Elle

est l’un des facteurs qui limitent la progression de la démocratie en Afrique. C’est

la conséquence de l’erreur commise par les élites politiques africaines des années

1990 qui a consisté à réduire la démocratie à une question d’institutions. Or, la

démocratie dépend largement de la mise en œuvre d’une culture civique

démocratique. En ce sens, la culture fait référence aux comportements pratiques

et aux normes qui déterminent l’aptitude d’un peuple à se gouverner lui-même.

« La culture démocratique ne naît pas spontanément au sein du peuple. Un effort doit être

fait par des hommes et les femmes attachés à la démocratie pour créer et entretenir cette

nécessaire culture démocratique ».

Il est clair que cette réalité a été ignorée par la renaissance démocratique africaine

des années 1990. Celle-ci a été plutôt marquée par la recherche d’un système de

gouvernement qui ignore la culture alors même qu’elle devrait servir de point

d’appui à la consolidation de la démocratie. Nous verrons que la faiblesse de la

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culture démocratique dans le cadre des pays étudiés est une véritable gangrène

dont il importe de relever la cause.

La faiblesse de la culture démocratique constatée dans les pays africains tient à

deux facteurs qui constituent en réalité les deux faces d’une même médaille : il

s’agit de l’analphabétisme et du manque de culture civique. L’éducation est un

élément vital de toute société mais tout particulièrement d’une société en quête

de démocratie. Comme l’a écrit Thomas Jefferson : « Si une nation souhaite être libre

et ignorante dans un Etat civilisé, elle demande…l’impossible ». Abondant dans le même

sens, le professeur Chester Finn, Jr., faisait observer que : « D’aucuns peuvent

manifester un besoin inné de liberté individuelle, mais nul ne naît armé de la connaissance

de ce que les institutions sociales et politiques peuvent faire pour rendre la liberté possible,

de façon durable, pour lui et pour ses enfants…Ces choses doivent s’acquérir. Elles doivent

s’apprendre».

De ce point de vue, il ne sert à rien de proclamer dans les constitutions que « La

République…est un Etat de droit, laïc, démocratique et social », ni de créer des

institutions de promotion et de protection de la démocratie, si les populations

sont en grande partie analphabètes. C’est la première cause de la faible

appropriation des institutions, règles et exigences démocratiques par les

populations des pays étudiés. Il s’agit en fait de l’absence de coïncidence entre

constitution et culture constitutionnelle.

Au Bénin, en 2010 sur un effectif de 100 individus le pourcentage d’analphabètes

était de 46,5% pour les hommes et 71,9% pour les femmes. Ces statistiques

alarmantes peuvent être rapprochées de celles enregistrées au Sénégal. En 2009 et

2010, le pourcentage d’analphabètes était de 47,7% pour les hommes et 67%

pour les femmes. En revanche, elles sont sans commune mesure avec celles du

Niger en 2009 et 2010, 84,9 % des femmes nigériennes sont analphabètes contre

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57,1% chez les hommes. Ces statistiques sont très élevées si on les compare à

celles des pays de l’Europe orientale- 0,4% pour les hommes et 0,8% pour les

femmes- qui ont connu eux aussi la transition démocratique et qui visiblement ne

se trouvent pas au même niveau que leurs homologues africains. C’est dire donc

que l’éducation ou le niveau d’alphabétisation d’une société participe de

beaucoup à son développement en matière de démocratie. On peut même

affirmer que l’éducation est la condition sine qua non de la consolidation de la

démocratie matérielle. La démocratie n’est pas une machine qui fonctionne toute

seule une fois qu’elle a été programmée en fonction des principes et des

procédures appropriés. Elle exige de la part de tous les citoyens, une culture

démocratique. Le degré de maturité d’une démocratie est proportionnel au degré

de culture civique démocratique de la plus grande partie des citoyens la

composant. La démocratie est florissante si les citoyens la cultivent avec soin et

s’ils mettent à profit une liberté durement gagnée pour participer à la vie de la

société. Elle suppose également que les citoyens fassent entendre leur voix au

cours des débats publics, en élisant des représentants qui seront considérés

comme responsables de leurs actes et en acceptant la tolérance et le compromis de

la vie publique. La démocratie formelle, est l’œuvre des textes, mais la démocratie

matérielle relève de la culture, c’est une vie. Elle suppose que les citoyens se

reconnaissent dans les institutions notamment la Constitution. Mais, là réside la

seconde difficulté qui constitue le second pilier de la faiblesse de la culture

démocratique dans les pays étudiés. Comment le citoyen peut-il évoquer un droit

constitutionnellement garanti, ou défendre la Constitution lorsqu’elle est violée,

s’il ne sait même pas ce qu’est la Constitution, mieux s’il ne se reconnait pas dans

cette Constitution?

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D’une manière générale, on affirmera que tout le malheur du constitutionnalisme

africain, vient de ce que les citoyens ne se reconnaissent ni dans les constitutions

ni dans les institutions. Ce constitutionnalisme souffrirait d’une «…faiblesse ou

même [d’une] absence d’intériorisation par les acteurs, qu’ils soient politiques, élites ou

populations ». La crise de succession qui a eu lieu au Togo en 2005, prouve à

suffisance l’ignorance des règles constitutionnelles par une couche importante de

la population togolaise. D’abord, sur un plan juridique, l’article 65 de la

Constitution togolaise énonce que « en cas de vacance de la Présidence de la

République par décès, démission ou empêchement définitif, la fonction présidentielle est

exercée provisoirement par le Président de l’Assemblée nationale ». Mais, à l’annonce du

décès du Président Eyadéma Gnassingbé, un groupe d’officiers supérieurs

décident de confier le pouvoir au fils du de cujus, alors ministre de l’Equipement.

Placé devant le fait accompli, le Parlement monocolore se lance dans un processus

de régularisation juridique du coup d’Etat en faisant subir à la Constitution et au

Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, des modifications contre nature.

Sur un plan sociologique, on peut regretter la faible réaction des populations face

à ce coup de force et à la violation flagrante de la Constitution. Et si le Chef de

l’Etat intronisé par l’armée s’est finalement retiré, c’est beaucoup plus grâce aux

pressions de la C.E.D.E.A.O., de l’Union Africaine, de l’Union Européenne et de

l’O.I.F. Ainsi, « faute d’un soubassement culturel qui donne tout son sens et sa portée au

droit, les règles et procédures sont sans vertus démocratiques, elles peuvent même être de ce

point de vue contreproductives ». Ainsi, démocratie sans culture démocratique n’est

que ruine de la démocratie