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Jean MARGUIN Fondation pour la R echerche S tratégique e-mail : [email protected] LA PRIVATISATION DES FORCES ARMÉES : UNE ÉVOLUTION INÉLUCTABLE ? Jean MARGUIN Chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique 1 Résumé Des forces armées privées sont impliquées dans la plupart des conflits actuels. Il s'agit d'une forme nouvelle de mercenariat qui n'a plus rien à voir avec les "affreux" de jadis. Plutôt que de la condamner sans appel, comme le fait l'ONU, il semble plus judicieux d'en exploiter les avantages et d'en organiser le contrôle international afin de garantir la fiabilité des engagements et le respect des droits de l'homme. Pour ce faire, trois axes de réflexion sont nécessaires, sur les missions régaliennes de l'Etat, le rôle régulateur des institutions internationales et la stratégie des industriels français et européens dans ce domaine. Summary Private armies are involved in most conflicts today. These new mercenaries have nothing in common with those of the past. Rather than condemning private armies out of hand, as the UN does, it would seem more appropriate to exploit their advantages and to organize international control in order to guarantee their accountability and the respect of human rights. To do so, it is necessary to consider three aspects : missions that are the domain of the national sovereignty, the role of international institutions and the strategy of French and European industries. Octobre 2007… L'Organisation Mondiale de Prévention des Crises (OMPC) constate son échec. Cet organisme, créé en 2003 par l'ONU pour mettre en œuvre la panoplie des moyens préventifs mis à la disposition de la communauté internationale par les technologies de l'information, est resté impuissant. La République Démocratique du Congo vient d'envahir le Rwanda et une partie de l'Ouganda. Le Kénya et le Soudan menacent d'intervenir. Depuis l'échec en 2002 des négociations de la Nile Basin Initiative qui visait à mieux gérer les ressources en eau du bassin du Nil, une vive tension régnait à nouveau dans la région des Grands Lacs. Le conflit éclate sur fond de rivalités 1 [email protected] , site de la FRS : http://www.frstrategie.org

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  • Jean MARGUINFondat ion pour la Recherche S t ra tg ique e-mail : [email protected]

    LA PRIVATISATION DES FORCES ARMES :UNE VOLUTION INLUCTABLE ?

    Jean MARGUIN

    Charg de recherche la Fondation pour la Recherche Stratgique 1

    Rsum

    Des forces armes prives sont impliques dans la plupart des conflits actuels. Il s'agit

    d'une forme nouvelle de mercenariat qui n'a plus rien voir avec les "affreux" de

    jadis. Plutt que de la condamner sans appel, comme le fait l'ONU, il semble plus

    judicieux d'en exploiter les avantages et d'en organiser le contrle international afin

    de garantir la fiabilit des engagements et le respect des droits de l'homme. Pour ce

    faire, trois axes de rflexion sont ncessaires, sur les missions rgaliennes de l'Etat, le

    rle rgulateur des institutions internationales et la stratgie des industriels franais

    et europens dans ce domaine.

    Summary

    Private armies are involved in most conflicts today. These new mercenaries have

    nothing in common with those of the past. Rather than condemning private armies out

    of hand, as the UN does, it would seem more appropriate to exploit their advantages

    and to organize international control in order to guarantee their accountability and

    the respect of human rights. To do so, it is necessary to consider three aspects :

    missions that are the domain of the national sovereignty, the role of international

    institutions and the strategy of French and European industries.

    Octobre 2007

    L'Organisation Mondiale de Prvention des Crises (OMPC) constate son chec. Cet

    organisme, cr en 2003 par l'ONU pour mettre en uvre la panoplie des moyens

    prventifs mis la disposition de la communaut internationale par les technologies de

    l'information, est rest impuissant. La Rpublique Dmocratique du Congo vient

    d'envahir le Rwanda et une partie de l'Ouganda. Le Knya et le Soudan menacent

    d'intervenir. Depuis l'chec en 2002 des ngociations de la Nile Basin Initiative qui

    visait mieux grer les ressources en eau du bassin du Nil, une vive tension rgnait

    nouveau dans la rgion des Grands Lacs. Le conflit clate sur fond de rivalits

    1 [email protected], site de la FRS : http://www.frstrategie.org

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    ethniques latentes, de pnurie hydrique chronique et de proslytisme religieux.

    Pourtant, depuis plusieurs mois, l'OMPC avait dpch sur le terrain les spcialistes de

    la International Private Negociation & Diplomacy Inc. qui avaient tent de rtablir le

    dialogue entre les parties. Devant l'extension de la crise et le dsastre humanitaire

    prvisible, la communaut internationale dcide d'intervenir sous l'gide de l'ONU.

    Cependant les opinions publiques sont partages : pourquoi risquer la vie de citoyens

    pour des pays lointains qui, de surcrot, n'ont jamais fait la preuve du dsir sincre de

    rgler pacifiquement leurs problmes internes et externes ? Qui plus est, certaines

    nations, qui conservent des intrts dans la rgion, hsitent prendre parti pour l'un ou

    pour l'autre. Les nations confient donc la Military Rescue & Humanitarian Inc. le

    soin de mener une opration militaro-humanitaire pour rtablir la paix et venir en aide

    aux populations. Cette firme multinationale dont le sige est Monaco fait partie des

    fournisseurs habituels de l'ONU. Elle travaille galement la demande expresse de

    certaines nations. Son contrat, d'une dure de deux mois, stipule les rsultats obtenir

    sur le terrain. A elle de grer, avec ses sous-traitants, les moyens pour y parvenir. Des

    clauses de pnalit sont prvues en cas de dpassement de dlai et de non respect des

    lois de la guerre et de violation des droits de l'homme : pnalits financires et

    poursuite devant les instances juridiques internationales. Aprs avoir soigneusement

    tudi le contexte oprationnel et les forces en prsence, la firme envoie

    immdiatement sur le terrain deux modules oprationnels de cinq mille hommes, un

    Module Oprationnel Militaire (Military Capability Package, MCP) et un Module

    Oprationnel Humanitaire, dont la coordination est assure par une cellule de

    commandement. La paix est rtablie en trois semaines, les populations regagnent leurs

    village et les quipes de la Civilian Rehabilitation & Reconstruction Ltd. peuvent

    commencer restaurer le fonctionnement d'une vie civile normale.

    Nombre d'volutions actuelles semblent montrer qu'un scnario de ce type, loin d'tre

    seulement vraisemblable, a toutes les chances de se raliser. Il serait donc judicieux de

    s'y prparer ds prsent, qu'on le dplore ou non.

    L'autre plus ancien mtier du monde se met au got du jour

    Le mercenaire n'a pas toujours souffert de l'image dplorable qu'il a maintenant. Sans

    remonter la lointaine antiquit, on se souvient des armes de l'Ancien Rgime qui

    n'hsitaient pas employer des rgiments trangers de pays allis, Suisses, Ecossais et

    Irlandais. Il est vrai qu' l'poque plus ancienne de la guerre de Cent Ans, les Grandes

    Compagnies avaient ravags nos campagnes en oeuvrant pour leur propre compte.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    L'Italie des condottieri (condotta signifie contrat), l'Allemagne du seizime sicle ont

    galement connu ce phnomne avec tous ses excs.

    Avant l'apparition, avec Valmy, du sacrifice pour l'idal national, on se battait pour

    l'honneur, pour Dieu ou pour une rtribution en espces sonnantes et trbuchantes

    ou en nature. Loin de paratre anormal, c'tait la rgle. Depuis, l'image du mercenaire

    s'est fortement dtriore. Encore rcemment, le rle jou en Inde, en Afrique et en

    Amrique Latine par des milices prives et quelques personnages en qute d'aventure y

    a largement contribu. Leurs agissements moralement contestables, ont associ l'image

    du mercenaire aux activits clandestines et dlictueuses et aux trafics en tout genre2.

    Avec les rcents conflits africains et balkaniques est apparue une nouvelle forme de

    mercenariat, le mercenariat entrepreneurial qui marque l'entre du mercenariat dans

    l're industrielle3, avec des socits de services nationales ou multinationales

    spcialises dans les services arms de scurit et de dfense. Rien qu'en Afrique, on

    dnombre prs de 90 socits de ce type, dont certaines, comme Executive Outcomes

    (Afrique du Sud), Sandline International (UK) et MPRI (USA) sont intervenues en

    Angola, en Sierra-Leone mais aussi en Asie du Sud Est et en Bosnie.

    Une dfinition lgale qui n'est plus adapte

    Les Conventions de Genve dans le protocole additionnel (Protocole I du 8 juin 1977) du 12 aot 1949

    relatif la protection des victimes des conflits arms internationaux donnent du mercenaire la

    dfinition suivante (article 47) :

    Le terme mercenaire s'entend de toute personne :

    a) qui est spcialement recrute dans le pays ou l'tranger pour combattre dans un conflit arm ;

    b) qui en fait prend une part directe aux hostilits ;

    c) qui prend part aux hostilits essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et laquelle

    est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rmunration matrielle

    nettement suprieure celle qui est promise ou paye des combattants ayant un rang et une fonction

    analogues dans les forces armes de cette Partie ;

    d) qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit, ni rsident du territoire contrl par une Partie

    au conflit ;

    2 Philippe Chapleau, Franois Missier, Mercenaires S.A., Descle de Brouwer, Paris, 19983 David Isenberg, Soldiers of Fortune Ltd. : A Profile of Today's Private Sector Corporate Mercenary

    Firms, Center for Defense Information Monograph, Nov. 1997, www.cdi.org.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    e) qui n'est pas membre des forces armes d'une Partie au conflit ; et

    f) qui n'a pas t envoye par un Etat autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que

    membre des forces armes dudit Etat.

    Cette dfinition n'est plus adapte au contexte actuel car elle pourrait s'appliquer certaines units

    rgulires (notre Lgion Etrangre ?) alors qu'elle exclut, pour la plupart, les nouvelles formes de

    mercenariat. Il en rsulte que les rsolutions votes par l'ONU pour mieux contrler les activits des

    mercenaires restent lettre morte, les Etats clients, qui souvent les ont signes, continuant faire appel

    leurs services.

    Les formes actuelles du mercenariat

    Sur les thtres d'opration actuels et notamment en Afrique, on rencontre deux

    grandes formes de mercenariat, parfois sur le mme thtre :

    un mercenariat classique, avec :

    - le mercenariat traditionnel qui est le fait d'individus ou de petits groupesd'aventuriers prts se mettre au service des causes les plus douteuses pourvu que

    les compensations en vaille la peine, dans la pure tradition des "affreux",

    - le mercenariat idologique ou religieux de partisans ou de fanatiques religieux,- le mercenariat technique qui accompagne les fournitures d'armements,

    un mercenariat entrepreneurial de socits de services arms, dont la croissanceest importante surtout dans les zones d'influence anglo-saxonne.

    MERCENARIAT CLASSIQUEType de mercenariat Mission Clients Exemples

    Mercenariat "traditionnel" :

    Individus isols ou petitsgroupes

    Protection de personnes,participation auxoprations, conseils

    Gouvernements ougroupes factieux, conflitsintratatiques

    Bob Denard, JeanSchramme, les "affreux"

    Mercenariat idologique oureligieux :

    Individus isols ou petitesunits combattantes

    Participation directe auxactions, formation,endoctrinement

    Mouvementsinsurrectionnels outerroristes trangers,

    Les partisans, les "fous dedieu", les "afghans",certains terroristes

    Mercenariat "technique" :

    Personnels techniques desfournisseurs d'armement

    Pilotage d'aronefs, miseen oeuvre d'armements,maintenance

    Etats acheteursd'armements

    Constructeurs de matrielsd'armement

  • Jean MARGUINFondat ion pour la Recherche S t ra tg ique e-mail : [email protected]

    MERCENARIAT ENTREPRENEURIALTypes d'activits Exemples de firmes

    Soutien aux oprations militaires

    Combat : soutien ou participation des oprationsmilitaires lances par un gouvernement

    SandlineExecutive Outcomes (EO)

    Conseil militaire

    Assistance et entranement : entranement des forcesgouvernementales y compris les forces spciales et lescorps d'lite (armements, tactiques et organisation desforces)

    Acquisition d'armements : achat direct et conseils

    Analyse stratgique : valuation des menaces

    Military Professional Resoures Inc. (MPRI),Saladin Security, Vinnel Corporation, BDMInternational, Sandline, EO, Defence Systems Ltd.(DSL), Strategic Applications International (SAIC)

    Levdan, Sandline, EO

    Sandline, MPRI, Rapport Research and Analysis,Saladin, EO

    Soutien logistique

    Logistique : transport de matriels, protectionhumanitaire, opration de maintien de la paix de l'ONU

    Activits post-conflit : restauration des infrastructurespubliques, dminage

    DSL, Brown and Root, Pacific Architects andEngineers (PAE), Dyncorp

    DSN, Saracen, Saladin

    Scurit civile

    Protection de sites et d'entreprises : gardiennage,protection des personnels

    Analyse des risques scuritaires : valuation des risquesscuritaires et des investissements ncessaires

    DSL, Rapport Research and Analysis, ControlRisks Group (CRG), Group 4, Saladin, AirScanLine, Kroll

    CRG, DSL, Sandline, Rapport, Kroll

    Prvention de la criminalit

    Enqutes et recueil de renseignement : criminalit contreles entreprises et les organisations (fraude, racket, etc.),renseignement sur les partenaires potentiels, valuationdes interfrences politiques dans les activitscommerciales

    Prise d'otages : ngociation et conseil.

    Kroll, Saladin, CRG, Network SecurityManagement, Argen, Carratu International, Asmara

    CRG, Saladin, Brinks, EO, Kroll, Neil YoungAssociates

    D'aprs David Shearer, Private Armies and Military Intervention , Adelphi Paper 316, IISS, feb. 1998.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    Comme le note trs justement Grgoire de Saint Quentin4 le mercenariat

    entrepreneurial s'alimente au "terreau des conflits intratatiques", dans lesquels les

    grandes nations rpugnent intervenir. Dans ces conflits internes, des minorits

    armes s'opposent, pour la conqute du pouvoir, des gouvernements affaiblis dnus

    de toute reprsentativit. Les armes locales, mal payes, mal entranes et sous

    quipes sont inefficaces. Des deux cts, on fait donc appel aux socits de services

    arms qui fournissent encadrement et formation et recrutent localement sans aucune

    difficult.

    Contrairement une opinion rpandue, ces socits, par leur professionnalisme, n'ont

    pas a leur actif que des checs. En dix mois, les troupes d'Executive Outcomes ont

    permis de restaurer la paix en Sierra Leone, l o les units de maintien de la paix de

    l'ONU et de l'OUA avaient chou. Ce calme temporaire permit d'organiser en mars

    1996 les premires lections prsidentielles depuis 23 ans. De plus, une collaboration

    troite de cette socit avec les organisations humanitaires et le gouvernement ont

    permis l'amlioration du sort des rfugis et le retour la vie civile de nombreux

    enfants soldats. Les contrats n'ayant pas t renouvels, on sait depuis ce qu'il est

    advenu.

    Outre qu'ils remplissent un besoin vident, les services privs peuvent tre

    minemment "rentables". L'intervention efficace de EO pour le rtablissement de la

    paix en Angola a cot 60 millions de dollars au gouvernement, comparer au million

    de dollars par jour dpens par l'ONU pour mettre en place un gouvernement unitaire

    et aux 678 millions de dollars qu'a cot le maintien de forces armes nationales de

    1994 1995.

    Au plan de l'thique, certaines socits ont un code interne de bonne conduite pour le

    respect des lois de la guerre, d'autres adhrent aux conventions de Genve ou ne

    traitent qu'avec les gouvernements lgaux. Les Nations Unies, de leur ct, ne

    continuent pas moins les assimiler aux mercenaires "traditionnels" de la pire espce,

    en affirmant qu'elles mettent en pril la souverainet des Etats, privent les peuples de

    leur droit l'autodtermination et contribuent aux violations les droits de l'homme5.

    Certes des progrs importants restent faire au plan du respect des droits de l'homme,

    mais les armes gouvernementales ne sont pas non plus, tant s'en faut, exemptes de

    tout reproche. La position de l'ONU, reprsentative des opinions officielles des Etats-

    nations, s'loigne de plus en plus de la ralit des faits. Au reste, il arrive l'ONU elle-

    4 Grgoire de Saint-Quentin, Mercenariat et Mutations Stratgiques, Revue Dfense Nationale, avril 1997.5 Enrique Bernales Ballesteros, Rapport E/CN.4/1998/31, Commission des Droits de l'Homme, ONU, 1998.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    mme de faire protger ses bureaux par des mercenaires, comme Kinshasa en

    1997

    La contagion gagne nos pays

    Plusieurs facteurs jouent en faveur d'une extension rapide des services arms privs.

    Ils sont d'ordre conomique, militaire et socital.

    La rduction drastique des budgets milite en faveur de la mise en commun des

    moyens. Or il s'agit non seulement des moyens de production, ce que les

    concentrations industrielles rcentes contribuent raliser, mais aussi des quipements

    utiliss par les armes nationales. Pourquoi, ds lors, conserver la proprit nationale

    de la totalit de ces moyens ? S'il s'agit de les partager entre partenaires, les solutions

    prives sont certainement les plus souples et les moins coteuses mettre en uvre.

    De plus, avec l'augmentation du cot des armements, certains "petits" pays n'auront

    plus les moyens d'entretenir une arme moderne. Les capacits militaires de leur arme

    risquent de passer sous le seuil minimal ncessaire. Ils auront donc intrt louer les

    services de prestataires privs pour continuer tenir leur rle international.

    La rduction des budgets s'accompagne d'une rduction encore plus svre du

    format des forces. Entre 1987 et 1997, les effectifs cumuls de la France, la Grande-

    Bretagne, les Etats-Unis et la Russie sont passs de 5,23 1,24 millions d'hommes6.

    Un nombre considrable d'anciens militaires sont donc passs dans les secteurs civils

    qui, de ce fait, ont acquis une expertise nouvelle qui ne demande qu' s'exprimer. Par

    ailleurs la professionnalisation des armes tend rapprocher les spcialistes des

    mtiers des armes, qu'ils soient publics ou privs.

    Par ailleurs les armes prives sont peut-tre un moyen de rsoudre le dilemme

    socital constitu par l'extrme sensibilit de nos opinions publiques aux malheurs

    des peuples et leur profonde rticence exposer la vie de nos soldats. Comme le dit

    trs justement le fondateur de Sandline : "Si les personnels de nos compagnies

    militaires prives sont tus, cela n'a pas le mme impact motif que si ce sont des

    soldats des forces nationales".

    6 IISS, The Military Balance, 1987-1997.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    Enfin, au plan de l'efficacit militaire, ce n'est pas faire injure nos armes nationales

    que de penser que des forces internationales prives constamment sur le terrain,

    mobilises sans dlai et affranchies de toutes les lourdeurs administratives habituelles

    auraient une efficacit au moins comparable, sinon suprieure.

    Plus d'une fois l'ONU a fait la preuve de son inefficacit, au Ruanda, en Sierra Leone,

    au Libria, en Angola, en Bosnie. L'aveu de Kofi Annan, secrtaire gnral de l'ONU,

    aprs le gnocide du Ruanda est loquent 7 : "Si j'avais dispos d'une brigade avec sa

    puissance de feu et ses hommes, bien quips et bien entrans, j'aurais pu sauver des

    centaines de milliers de vies humaines".

    Plusieurs facteurs complmentaires, de nature diffrente et peut-tre moins avouable,

    jouent en faveur du dveloppement des armes prives. Le premier, d'ordre politique,

    est li la libert d'action que le recours aux organismes privs donne aux

    gouvernements des grandes puissances, dans leur stratgie d'influence. Les

    interventions de MPRI ont plus d'une fois permis l'excutif amricain d'intervenir

    dans un conflit en vitant les foudres du Congrs. L'autre facteur est li la

    comptition commerciale acharne d'aucuns parlent de guerre commerciale que

    se livrent les grandes puissances entre elles. La prsence sur le terrain de services

    arms privs est certainement la faon la plus efficace de marquer sa prsence dans un

    pays, de bien connatre ses besoins et de prparer les futurs marchs de reconstruction

    et de dveloppement civils. Ce n'est pas par hasard que Executive Outcomes fait partie

    d'une nbuleuse de socits exerant dans les domaines de l'nergie et des mines d'or

    et de diamant.

    Le secteur tatique, une citadelle assige

    Ce n'est pas cder la mode d'un libralisme effrn que de demander l'Etat de se

    concentrer sur ses fonctions rgaliennes afin d'tre plus efficace. Parmi ces fonctions,

    assurer la scurit des citoyens n'est pas la moindre. C'est le rle principal de l'outil de

    dfense.

    Ds prsent, certains pays ont engag leur dfense dans un processus

    d'externalisation qui commence par les services les plus "priphriques" : logistique,

    instruction et formation, entretien d'infrastructures, parcs immobiliers, intendance. La

    Grande-Bretagne avec la Private Finance Initiative (Public/Private Partnership, pour

    7 Thomas K. Adams, The New Mercenaries and the Privatization of Conflict, Parameters, Summer 1999.

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    le Ministre de la Dfense), est pionnire dans ce domaine pour l'ensemble du secteur

    public. Sur le seul secteur de la dfense, 26 contrats sont achevs pour un milliard de

    livres, et prs de 90 sont en prparation pour prs de 4 milliards. Une conomie

    annuelle de plusieurs centaines de millions de livres est escompte. L'externalisation

    s'tend maintenant des tches plus proches du mtier militaire comme la location de

    matriels de transport et on parle de l'tendre aux vhicules blinds et aux hlicoptres.

    La procdure n'est pas sans poser quelques problmes contractuels et l'exprience

    montre qu'elle n'est pas toujours rentable. Une opration de ce type ne peut tre lance

    que si elle respecte des critres prcis. Les Etats-Unis se sont engags sur la mme

    voie, une chelle moindre, toutefois. En France, la professionnalisation des armes

    va acclrer le dmarrage du processus.

    Les cerclesrgaliens

    Etre acteur ou rester spectateur ?

    Devant la monte du processus de privatisation, que nous tenons pour inluctable, trois

    axes de rflexion nous paraissent ncessaires.

    Le premier, d'ordre thique et juridique, vise assainir et rhabiliter la notion de

    mercenariat, sous sa forme moderne entrepreneuriale. Il faut trouver des rponses aux

    problmes moraux qu'elle soulve : fiabilit des engagements, respect des lois de la

    Dcisiond'usage de

    la forceUnits de combat

    Soutien logistique

    Sec

    teu

    r p

    riv

    Secteur privSecteur priv

    Sec

    teu

    r p

    riv

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    ur pri

    vSecteur priv

    Secte

    ur pri

    v

    Formation/Entranement

    Infrastructures et Services

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    Fondat ion pour la Recherche S t ra tg ique

    guerre, garantie pour les droits de l'homme. De nouvelles formules contractuelles,

    assorties de clauses suspensives et de pnalits adaptes, pourront offrir ces garanties,

    mais il faut galement que les juridictions internationales laborent des rgles

    dontologiques propres cette nouvelle profession et mettent en place les procdures

    de contrle ncessaires8. La rglementation internationale actuelle des ventes d'armes

    (U.N. Register of Conventional Arms), qui impose des dclarations simultanes des

    importateurs et des exportateurs, pourra servir de point de dpart.

    Le deuxime axe, d'ordre politico-militaire, est une rflexion de fond sur le rle de

    l'Etat et la notion de souverainet. Autour d'un "noyau dur" de missions qu'il ne

    saurait dlguer, s'enroulent des cercles rgaliens concentriques de tches qui

    pourront, sous certaines conditions, tre progressivement confies des intrts privs.

    La construction d'une dfense europenne, en dnationalisant certaines tches,

    pourrait tre une premire tape du processus de privatisation des forces.

    Le troisime axe, enfin, concerne les industries franaises et europennes. Les

    grands industriels de l'armement et des services sauront-ils, en association avec les

    banques d'affaires, proposer aux Etats des solutions cls en main fiables et moralement

    acceptables pour les dcharger de lourds investissements et de tches "priphriques" ?

    Seront-ils assez ractifs pour ne pas tre distancs par leurs concurrents anglo-saxons

    qui, pour certains d'entre eux, sont dj en place.

    Si nous ne participons pas ces volutions, il est craindre qu'elles se fassent sans

    nous. Quel sera alors notre rle dans le scnario militaro-humanitaire voqu plus haut

    pour octobre 2007 ? Au moment o la majeure partie des pays du monde confieront

    leurs missions de scurit collective et la protection des oprations humanitaires des

    multinationales prives, quoi servira notre arme et quelle sera notre contribution la

    stabilit mondiale ?

    ---

    8 Herbert Howe, Global Order and Security Privatization, Strategic Forum Nr 140, National Defense

    University, May 1998.