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Le CFO n'échappe guère à l'ination de standards internationaux et d’obligations nationales qui complexient son travail. Eclairage et conseils pour y faire face. Compliance Dossier > EN PRATIQUE SOMMAIRE N°53 - FÉVRIER 2012

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Le CFO n'échappe guère à l'infl ation de standards internationaux et d’obligations nationales qui complexifi ent son travail. Eclairage et conseils pour y faire face.

Compliance Dossier >EN PRATIQUE

SOMMAIREN°53 - FÉVRIER 2012

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

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La gouvernance n’est pas une fin en soi, mais un moyen de parvenir à une fin

L es codes de gouvernance d’entreprise ont réussi à

s’imposer ces dernières années, l’arrêté royal du 6

juin 2010 est ainsi venu donner un statut de code

de référence au « Code belge de gouvernance

d’entreprise 2009 » pour les sociétés cotées. Le principe de com-

ply or explain a également été reconnu légalement, obligeant

les entreprises cotées à se justifi er en cas de non respect de l’une

ou l’autre règle. Ce principe ne fait cependant pas encore l’una-

nimité, certains jugeant la signifi cation et l’application concrète

du volet « explain » peu précis.

Ce code prévoit notamment la méthodologie de travail et la

composition du conseil d’administration, ainsi que les rela-

tions entre le management et les actionnaires, l’organisa-

tion de comités d’audit et de rémunération. Pour Lutgart Van

den Berghe, Executive Director de Guberna et Professeur à la

Vlerick Business School, ces obligations dictées par la gou-

vernance ont parfois tendance à monopoliser les débats lors

des conseils, surtout pour les sociétés cotées en bourse, qui

voient leurs obligations en matière de reporting exploser.

QUELLE DÉFINITION?A quoi renvoie le terme de « gouvernance »? Sorte de code de

bonnes pratiques, la gouvernance est une notion peu palpable.

Depuis plusieurs années, la tendance dans les conseils d’administration des sociétés du BEL 20 est d'exiger une implication accrue des administrateurs. Plus au fait de l’actualité des sociétés qu’ils encadrent, ces professionnels doivent en outre s’immerger dans la gouvernance d’entreprise et la conformité aux normes tant nationales qu'internationales propres à leur secteur d’activité.

"Chaque entreprise doit mener sa réfl exion afi n de trouver le modèle de gouvernance qui conviendra à ses besoins."

DOSSIER

TEXTE : FLORENCE THIBAUT

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

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Nommée Associate Partner chez NautaDutilh à Bruxelles en

janvier 2012, Anne Tilleux a fait de la gouvernance d’entreprise

une de ses spécialités. Avant son arrivée en 2003 dans ce ca-

binet d’avocats d’affaires indépendant, elle est associée chez

Oppenheimer Wolff & Donnelly. « Les principales clés d’une

gouvernance durable sont la transparence, l’information et la

communication, explique-t-elle. Ces trois notions reviennent

fréquemment dans les codes belges, mais aussi dans les codes

adoptés à l’étranger. La gouvernance n’est pas une fi n en soi,

mais plutôt être un moyen pour arriver à une fi n qui est la créa-

tion de valeur à long terme. C’est une démarche transversale. »

PAS DE RECETTE MIRACLEUne vision partagée par Lutgart Van den Berghe. « La gouvernance

ne doit pas être un but à poursuivre, mais bien une vision d’ensemble

à adopter. Il faudrait, selon moi, pouvoir différencier les codes selon les

typologies d’entreprise et ne pas avoir les mêmes prescriptions pour

toutes les sociétés cotées, appuie-t-elle. Les sociétés du BEL 20 ou du

BEL Small, ne vivent pas forcément les mêmes réalités, leur actionna-

riat et leur capitalisation sont souvent très différents. Les obligations

ne sont souvent pas à la portée des sociétés du BEL Small ou du BEL 8,

surtout si on ajoute les recommandations britanniques. »

Pas toujours bien utilisé, le concept de gouvernance d’entreprise

renvoie ainsi dans un premier temps au fonctionnement et à la

composition du conseil d’administration. Chaque secteur d’acti-

vité peut ainsi défendre sa propre version. De manière plus large,

il évoque les relations entre les actionnaires, les administrateurs

et le Management d’une entreprise. La terminologie tend à se

modifi er pour adopter une ampleur plus holistique et moins

axée sur le capital. Dans la sphère socio-économique, sous l’in-

fl uence de la responsabilité sociétale, la gouvernance s’étend à

toutes les parties prenantes de la société.

« La gouvernance permet une réfl exion sur la stratégie du

Management, le fonctionnement de la société, la répartition

des compétences, poursuit Anne Tilleux. Son objectif fi nal

reste, bien sûr, de parvenir à la croissance. Sa récente prise en

compte dans le droit belge est, selon moi, un aspect très posi-

tif qui pousse de plus en plus de sociétés, cotées ou non, à

Lutgart Van den Berghe: « Une des diffi cul-tés majeures est d’apprendre ce qu’est une bonne gouvernance, on oublie souvent que c’est un moyen d’améliorer sa gestion, et pas seulement un kit d’obligations. »

« Les principales clés d’une gouvernance durable sont la transparence, l’information et la communication. »

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s’y intéresser, même s’il n’existe pas de modèle qui convienne

à tout le monde. Chaque entreprise doit mener sa propre ré-

fl exion afi n de trouver le modèle de gouvernance qui convien-

dra à ses besoins spécifi ques. »

SOUS PRESSIONCertains principes prévus par le Code de gouvernance d’entre-

prise ne sont pas contraignants, d’autres, comme l’obligation

pour les sociétés cotées d’organiser un comité d’audit au

sein de leur conseil d’administration et de choisir des admi-

nistrateurs non exécutifs, dont au moins un administrateur

indépendant pour le composer, sont obligatoires et inscrits

dans le Code des sociétés. « Du soft law, on est parfois passé

au hard law », ajoute-t-elle. « Plusieurs types d’adoption sont

envisageables, continue Lutgart Van den Berghe, les sociétés

peuvent jouer sur la fl exibilité offerte par leur code en moti-

vant toute déviation, s’il y en a. Les régulateurs, politiques ou

encore législateurs devraient aussi arrêter de voir les sociétés

qui n’appliquent pas à 100% tous les préceptes recommandés,

comme des mauvais élèves. »

La motivation à se conforter aux principes phares de la bonne

gouvernance, varie donc selon la taille d’une société, la nature

de son actionnariat ou son type d’activité. Pour la présidente

de Guberna, un clivage important existe encore entre les so-

ciétés qui ont fait le pari d’aller en bourse et les structures

indépendantes ayant parfois un actionnariat plus familial.

Etre coté implique toute une série d’obligations nouvelles.

« Passer d’une société fermée à une société publique implique

de travailler sur son ouverture en communiquant des informa-

tions pertinentes sur son entreprise. L’investissement n’est pas

seulement fi nancier, explique-t-elle. C’est toute une nouvelle

culture à mettre en place, qui comporte, comme bien souvent,

des avantages et des contraintes. Dans la plupart des cas, le

but est de fi nancer sa croissance, mais aussi d’avoir une réfé-

rence externe en matière de valeur et une reconnaissance de

Anne Tilleux: « Les professionnels de la fi nance doivent

concilier une connaissance précise des normes en vigueur

et une connaissance du fonctionnement interne de leur

entreprise et des décisions qui y sont prises. »

« Sociétés cotées et non cotées ont des choses à apprendre en matière de gouvernance. »

DOSSIER

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ses activités. Avant de se lancer, le conseil d’administration doit

veiller à avoir une gouvernance solide, ce passage implique à la

fois plus de reporting et de contrôle extérieur. »Au sein de ces

sociétés, des disparités demeurent entre les petites sociétés

à actionnariat concentré, qui vont devoir en priorité s’assu-

rer de la défense des actionnaires minoritaires, et les plus

grandes structures qui disposent d’un actionnariat plus dis-

persé et vont mettre en place des mécanismes de reporting

élaborés pour rendre des comptes à tous les actionnaires. « Il

ne faut surtout pas que les petites sociétés copient ce qui se fait

dans les grandes entreprises, il faut adapter les mesures pré-

vues au contexte de l’entreprise », complète-t-elle.

DIVERSITÉ DES REGARDSLa codifi cation de la gouvernance d’entreprise et la multiplica-

tion des normes à respecter, a eu pour effet de modifi er quelque

peu la répartition des compétences et les profi ls des adminis-

trateurs au sein des conseils d’administration, rendant parfois

plus complexes leurs réunions de travail. « Sous l’infl uence euro-

péenne, explique encore Anne Tilleux, il y a eu un accroissement

des devoirs et obligations des actionnaires (loi du 20 décembre

2010), en parallèle à un transfert de compétences dans l’objectif

d’impliquer davantage les actionnaires dans la vie quotidienne de

l’entreprise. La loi du 6 avril 2010 leur a conféré ainsi un droit de

regard en matière de rémunération des cadres supérieurs exécu-

tifs. L’idée est aussi d’encourager le dialogue et la complémentarité

entre le management, le conseil d’administration et les action-

naires. » « Au sujet de l’implication demandée aux actionnaires,

une fois encore, il y a beaucoup d’hétérogénéité selon les entre-

prises, ajoute Lutgart Van den Berghe, il n’existe pas de modèle

de référence. L’essentiel pour les actionnaires est de tenir compte

de l’intérêt de la société, qui peut parfois être en porte-à-faux

avec celui du management à un certain moment. Le conseil n’a

pas seulement pour mission de contrôler la conformité de l’entre-

prise, mais bien de stimuler sa croissance et l’entrepreneuriat, d’où

l’importance de rassembler une diversité d’expériences et de par-

cours. Chaque administrateur doit avoir un minimum de connais-

sance en matière de réglementations, surtout dans celles suscep-

tibles de toucher son secteur, que ce soit Solvency ou Bâle III pour

le secteur bancaire ou MiFID pour le secteur du retail. Bien sûr,

chaque membre ne peut pas les maîtriser toutes. Un bon conseil

est construit sur mesure et mélange compétences sectorielles,

techniques et connaissances de l’entreprise. L’idée centrale est de

pouvoir représenter tous les intérêts. »Une des lois qui risque de

modifi er la composition des conseils d’administration à l’avenir

est sans doute celle sur les quotas (loi du 28 juillet 2011). Les

entreprises sont priées d’atteindre un tiers de femmes au sein

de leurs administrateurs d’ici 2017. Elles devront justifi er les

actions entreprises à cette fi n dans leurs rapports annuels.

OBSTACLES À ÉVITER Le reporting imposé aux départements fi nanciers est également

de plus en plus exigeant, ce qui représente une charge de travail

plus que conséquente pour le CFO et son équipe.

« Un des pièges à éviter en matière de gouvernance d’entreprise,

précise Anne Tilleux, est d’imposer trop de contraintes aux

conseils d’administration. On exige souvent trop de quantité

au détriment de la qualité. Une bonne gouvernance réclame

pourtant une vision à long terme dans une perspective de crois-

sance et des informations utiles sur l’entreprise et ses secteurs

d’activité. Trop de réglementation n’est pas constructif, résister à

cette pression est devenu très diffi cile. On demande davantage

de compétences aux CFO qui doivent ensuite se faire aider en

interne ou en externe pour assumer ces responsabilités supplé-

mentaires. Il est certain que le profi l type d’un directeur fi nancier

aujourd’hui n’est plus celui qu’il était il y a 10 ans. Les entreprises

doivent s’en rendre compte pour attirer et garder leurs talents. Le

même constat existe pour les conseils d’administration, on de-

mande aux administrateurs plus d’engagement, s’ils cumulent

plusieurs mandats, cela peut devenir compliqué à gérer. Leur but

premier doit rester d’améliorer la croissance de l’entreprise, c’est

la raison pour laquelle ils ont été engagés. »

« La complexité est telle que les conseils doivent pouvoir comp-

ter sur des spécialistes pointus qui connaissent le secteur de

l’intérieur, le marché et ses mécanismes », continue Lutgart

Van den Berghe.

Face à la complexifi cation des normes et des standards, un

autre danger à éviter est une compartimentation trop grande

des activités et un manque de responsabilité globale. « D’où

l’importance de la transparence et du dialogue, toute les déci-

sions opérationnelles ont des conséquences fi nancières. Les

professionnels de la fi nance doivent donc concilier une connais-

sance précise des normes en vigueur et une connaissance du

fonctionnement interne de leur entreprise et des décisions qui

y sont prises. Ils doivent donc effectuer un double contrôle in-

terne », ajoute Anne Tilleux.

« Une des diffi cultés majeures est d’apprendre ce qu’est une

bonne gouvernance, on oublie souvent que c’est un moyen

d’améliorer sa gestion, et pas seulement un kit d’obligations,

conclut Lutgart Van den Berghe. Trop de discussions tournent

autour de la compliance dans les conseils, parfois au détriment

de la stratégie ou de la croissance. Dans les sociétés non cotées,

on constate souvent le problème inverse, car il n’y a pas cette

demande d’ouverture des investisseurs. La démarche doit venir

de l’intérieur. Sociétés cotées en bourse et non cotées ont des

choses à apprendre en matière de gouvernance! »

« Le profi l type d’un directeur fi nancier aujourd'hui n’est plus celui qu'il était il y a 10 ans. »

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Une réforme fiscale opportuniste!

Avocat associé chez Claeys & Engels, Olivier Debray insiste

d’emblée: cet accord reste, dans bien des cas, à l’état de

déclaration de principe. Il faut encore déterminer quand et

comment certaines mesures vont être appliquées. Parmi la

vingtaine de pages destinée à modifi er le marché du travail

afi n d’améliorer le taux d’emploi, on peut classer les mesures

en trois grands pôles: un volet socio-juridique, des mesures

fi scales et un volet dédié aux pensions. « L’accord s’apparente

à un saupoudrage de mesures qui rendent certains avantages

moins intéressants, observe-t-il. Il s’agit plus de rééquilibrer et

de corriger que de transformer fondamentalement notre fi sca-

lité. On sent qu’il est issu d’un compromis entre plusieurs partis

opposés, surtout qu’il prévoit toute une série d’exceptions. »

« Cette réforme fiscale, attendue de longue date, a clairement

une vocation purement budgétaire, elle ne transforme pas

fondamentalement le système fiscal belge, mais donne lieu

à des impositions complémentaires ciblées, appuie Xavier

Gérard, avocat fiscaliste pour le cabinet Nibelle & Avocats.

C’est une réforme fiscale opportuniste. Une partie de l’accord

devait absolument sortir en décembre pour être effectif au

1er janvier, notamment pour ce qui concerne le précompte

mobilier. La loi du 28 décembre 2011 a donc été précipitée

et manque cruellement de rigueur légistique. Contrairement

à la réforme de 2001 lancée par Didier Reynders, il n’y a pas

de vraie progression, ni de réflexion en profondeur visant à

réformer intelligemment le régime fiscal belge. » Les autres

recettes fiscales prévues dans l’accord gouvernemental sont

actuellement en préparation et seront vraisemblablement

complétées par de nouvelles mesures qui devront être prises

lorsque le Bureau du Plan aura communiqué vers la mi-fé-

vrier ses nouvelles perspectives économiques pour la Bel-

gique en 2012.

PREMIÈRE SALVE L’idée centrale est bien de combler une partie du défi cit

budgétaire par de nouvelles mesures fi scales, à la fois par

la hausse de certains impôts et la création de taxes supplé-

mentaires. Ainsi, en matière d’impôts sur les personnes phy-

siques, le précompte mobilier, la cotisation supplémentaire

sur certains revenus mobiliers, les avantages en nature sur

Attendu depuis de longs mois, l’accord gouvernemental – dit « papillon » car conclu sous la houlette d’Elio Di Rupo –, comporte de nombreuses mesures qui vont impacter les entreprises et leurs travailleurs. Epais de 180 pages, le document prévoit notamment des changements dans l’impôt des sociétés, des personnes physiques et morales. Un vaste chantier de mise en conformité s’est donc ouvert pour les directeurs administratifs et fi nanciers.

FISCALITÉ DOSSIER

TEXTE : FLORENCE THIBAUT

« Il n’y a pas de vraie progression, ni de réfl exion visant à réformer intelligemment le régime fi scal belge. »

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les voitures de société, les options sur actions, divers crédits

d’impôt et déductions fi scales (notamment sur les titres-ser-

vices) verront leur régime de taxation modifi é à la hausse ou

leur avantage diminué.

Au niveau de l’impôt des sociétés, les deux grands change-

ments se situent sur les intérêts notionnels et les plus-va-

lues sur actions, moins intéressants qu’avant. Sur les 11,3

milliards d’économies prévues, 42% de l’effort viendra d’éco-

nomies sur les dépenses, 34% de nouvelles recettes et 24%

de mesures dites « autres », dont une taxe sur les opérations

boursières et sur la conversion des titres au porteur. Cer-

tains points de l’accord sont d’ores et déjà sujets à révision

et des chapitres sur la lutte contre la fraude fiscale doivent

être complétés.

AVANTAGE MIS EN CAUSE« Ce programme est réparti autour de nouvelles recettes et

d’économies budgétaires. Il prévoit un effort record depuis la

deuxième guerre mondiale, souligne Rony Baert, conseiller

général chez Partena HR. Cela dit, on sait déjà que cet accord

ne sera pas suffi sant pour sortir de l’impasse. Il comprend de

nombreuses déclarations d’intentions qui devront sans doute

être adaptées, étant donné le climat social actuel. De plus, les

paramètres suivant lesquels le budget a été dessiné misaient

sur une croissance de 0,8% en 2012. Or, la FEB a annoncé qu’elle

estimait ce pourcentage à 0,2%. Chaque dixième de pourcent

de défi cit supplémentaire représente pas moins de 200 millions

d’euros… » Une évaluation de l’accord devrait intervenir peu

après le bouclage de cette édition, avec de nouvelles mesures

à la clé.. Des arrêtés royaux d’exécution devront également

être publiés dans les semaines à venir afi n de préciser cer-

tains points du premier accord, aucun délai n’a encore été

annoncé à ce sujet.

En matière de fi scalité des personnes physiques, un gros mor-

ceau se situe dans les avantages en nature, notamment dans

les voitures de société. Le nouveau gouvernement espère

bien récolter 200 millions de recettes supplémentaires, grâce

à ces dernières. Pan important de l’économie belge, elles sont

estimées au nombre de 550.000 et seront à présent taxées

suivant leur taux d’émission CO2 et leur valeur catalogue. Le

kilométrage forfaitaire sera ainsi remplacé par le kilométrage

réellement parcouru. Le ratio se calcule comme suit: coeffi -

cient de CO2 x 6/7 x valeur catalogue. Cette défi nition vaut

tant pour les véhicules neufs, que d’occasion et en leasing.

« Ce nouveau régime cherche à pénaliser le bénéfi ciaire du

véhicule de société, alors qu’il s’agit initialement d’une mesure

permettant à l’employeur de réduire ses coûts salariaux. La

nouvelle formule, qui repose sur la valeur catalogue, ressemble

davantage à une forme d’imposition déguisée de signes exté-

rieurs de richesse », explique Xavier Gérard. Déjà prévu par la

note Di Rupo de cet été, le coût de cette valorisation devrait

être divisé entre l’employeur (1/7ème) et le bénéfi ciaire (6/7ème).

Le montant de cet avantage en nature ne pourra jamais être

inférieur à 1.200 euros par an. Présente dans la plupart des

packages salariaux, la voiture de société sera peut être

Olivier Debray: « L’accord s’apparente à un saupoudrage de mesures qui rendent certains avantages moins inté-ressants. Il s’agit plus de rééquilibrer et de corriger que de transformer fondamentalement notre fi scalité. »

« Chaque dixième de pourcent de défi cit

supplémentaire représente pas moins de 200 millions

d’euros… »

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ainsi délaissée au profi t d’augmentations en cash, comme le

craignent beaucoup d’entreprises.

POLLUEUR = PAYEUR ?« Les voitures qui souffriront le plus sont les modèles chers et

polluants, pointe Nicolas de Limbourg, Partner chez PwC. Pour

les modèles à faible valeur catalogue produisant peu d’émis-

sions, les nouvelles mesures peuvent s’avérer positives. Dans un

premier temps, il sera diffi cile pour les entreprises de compen-

ser ces montants pour la première catégorie qui peuvent être

très importants. Il y aura une période de transition, surtout

suite à la tendance à l’allongement des contrats de leasing de

ces dernières années, même si les entreprises qui ont toujours

mené une politique de fl otte responsable ne devraient pas

trop souffrir. » Dans d’autres cas de fi gure, comme pour les

véhicules d’occasion ou les véhicules en renting, la loi du 28

décembre 2011 laisse planer certaines incertitudes quant à

la détermination du prix catalogue. L’avant-projet de loi-pro-

gramme modifi era à nouveau ce régime.

« Voici une démonstration de négligences dues à la précipita-

tion. L’avant-projet de loi-programme prévoit que, pour les vé-

hicules neufs, il sera tenu compte de la valeur facturée et, pour

les autres véhicules (occasion, leasing ou renting), de la valeur

catalogue. Dans les deux cas, ces valeurs seront diminuées de

6% par an avec un maximum de 30%, continue Xavier Gérard.

Alors que le régime de la loi du 28 décembre 2011 créait une

discrimination entre un véhicule identique acheté neuf ou d’oc-

casion, le nouveau projet supprime une discrimination pour

en créer une autre. Dans la pratique, nombre de distributeurs

commercialisent des véhicules neufs à une valeur sensible-

ment inférieure à la valeur catalogue, sans que cette différence

constitue une réduction qui doit être additionnée au prix fac-

turé pour les besoins du calcul de l’avantage en nature. Encore

une fois, un véhicule identique impliquera une imposition dif-

férente selon qu’il est acquis neuf ou autrement. De plus, ce

régime a gommé le caractère écologique de l’ancien système

; les nouveaux véhicules électriques ont une valeur catalogue

importante et l’avantage en nature dépend de cette valeur. »

GARDER AU TRAVAIL Si l’âge offi ciel du départ à la retraite est maintenu à 65 ans,

l’accord prévoit aussi un recul progressif de l’âge d’accès à la

prépension, un recul progressif de l’âge d’accès à la pension

anticipée et une limitation des possibilités de pauses-car-

rières, tout cela en vue de garder les travailleurs plus long-

temps au travail. La taxation des capitaux de pension a éga-

lement été revue en profondeur. Deuxième pilier des fonds

de pensions au côté de la pension légale et des assurances

vie personnelles, la déductibilité fi scale des assurances de

groupe est à présent plafonnée aux sommes maximales au-

torisées dans le secteur public, soit environ 72.000 euros par

an, ce qui n’était pas le cas avant. La volonté est bien d’unifor-

miser secteurs privé et public.

FISCALITÉ DOSSIER

« Le texte de l’avant-projet de loi-programme est

techniquement critiquable et comprend déjà des

discriminations. »

Nicolas de Limbourg: « Il faudra trouver de nouveaux équi-libres. Ce qu’on conseille à nos clients, c’est d’optimiser les enveloppes salariales en équilibrant salaire et avantages en nature, et ne pas introduire trop d’exceptions. »

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

« Les contributions à un plan de pension, souvent réparties

entre l’entreprise et son collaborateur, donnaient lieu à une

réduction d’impôts située entre 30 et 40% pour l’employé, ce

pourcentage est aujourd’hui plafonné à 30%, indique Nicolas

de Limbourg. Il y a donc un plafond maximal pour les entre-

prises et moins de réductions pour les employés. Ce qui rendra

d’autant plus intéressant, si on reste dans les rentes maximales,

que seuls les employeurs cotisent. »

Une autre mesure viendra appuyer la volonté de conserver les

gens au travail plus longtemps en taxant le capital constitué

de manière dégressive, de 20% à 60 ans jusqu’à 10% à 65 ans.

« Il faudra travailler jusqu’à 62 ans pour avoir les mêmes condi-

tions qu’aujourd’hui », évalue Olivier Debray. La règle des 80%

stipule aussi que les montants cumulés perçus ne pourront

pas dépasser 80% du dernier traitement.

« Les coûts du travail étant très élevés en Belgique, les entre-

prises ont souvent fait bénéfi cier leurs travailleurs d’avantages

comme les chèques repas, voitures de société ou plans de pen-

sion, note Nicolas de Limbourg. C’est aujourd’hui moins ren-

table pour les entreprises qui se retrouvent dans une position

diffi cile. Elles ne veulent pas non plus ajouter de la pression sur

leurs employés. Il faudra trouver un nouvel équilibre. Ce qu’on

conseille à nos clients, c’est d’optimiser les enveloppes salariales

en équilibrant salaire et avantages en nature, et ne pas intro-

duire trop d’exceptions. »

Le taux d’occupation des travailleurs âgés de 50 à 65 ans se

situant seulement entre 30 et 35%, la Belgique est considé-

rée par l’Union Européenne comme un mauvais élève et est

donc priée d’atteindre les 50% dans les années à venir. Pour

encourager ces travailleurs expérimentés à rester au travail,

le gouvernement a décidé de maintenir le « bonus pension »

déjà octroyé depuis quelques années aux employés qui ne

s’arrêtent pas à 62 ans. Leur pension légale sera ainsi majo-

rée d’une somme « bonus ». Cette décision, temporaire, devra

encore être confi rmée pour l’avenir.

CHANTIERS EN ATTENTE Certains sujets sensibles n’ont pas encore été couverts par

l’accord. Un grand chantier devrait être consacré à l’harmo-

nisation des statuts entre employés et ouvriers, notamment

dans le but d’équilibrer la durée des périodes de préavis. Une

première tentative avait déjà eu lieu avec un accord inter-

professionnel avorté qui entendait modifi er les conditions

des préavis. Le gouvernement a toutefois exécuté l’accord de

principe conclu entre les partenaires sociaux, mais désavoué

par les bases syndicales socialistes et libérales. Une première

étape du rapprochement entre les délais de préavis appli-

cables aux ouvriers et aux employés est donc d’application

depuis le 1er janvier 2012. « Nous sommes le seul pays euro-

péen à maintenir une telle différence, rappelle Olivier Debray.

Un arrêt de la Cour Constitutionnelle nous donne deux ans

pour harmoniser ces statuts: nous n’avons plus le choix. Quand

les ouvriers disposent de quelques semaines d’indemnités lors

d’un licenciement, un employé a droit à plusieurs mois, voire

plusieurs années. L’équilibre devra se faire au bénéfi ce des

ouvriers et donc au détriment des employés. Nous défendons

l’optique d’un préavis d’un mois par année travaillée, quel que

soit le statut, avec un plafond de 12 mois. »

Dans le cadre de l’accord budgétaire, on ne prévoit pas encore

d’indications de modalités, ni de timing effectif. Les règles

régissant les vacances annuelles devront aussi encore être

redéfi nies et la remise en question de l’indexation automa-

tique des salaires n’a pas été négociée. Une fois encore, la

Belgique demeure le seul pays au monde à encore pratiquer

cette dernière. « C’est un accord défensif, une série de pro-

Xavier Gérard: « Cette réforme fi scale, attendue de longue date, a clairement une vocation purement bud-gétaire, elle ne transforme pas fondamentalement le système fi scal belge, mais donne lieu à des impositions complémentaires ciblées. »

« C’est un accord défensif, une série de problèmes n’ont pas été traités. »

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

blèmes comme l’emploi des jeunes, la gouvernance publique, la

lutte contre la discrimination ou les différences de statuts entre

ouvriers et employés n’ont pas été traités. Il y a peu de mesures

visant à encourager l’emploi », soutient Rony Baert.

Malgré ces zones d’ombres, les entreprises n’auront pas

d’autres choix que de s’atteler aux adaptations et ce, dès

maintenant. « Dans les jours à venir, les questions sur les avan-

tages en nature liés à l’acquisition en société de la maison

d’habitation, les plus-values sur actions à l’impôt des sociétés

et les provisions internes pour les sociétés de management,

devront être clarifi ées, tout comme les modalités concrètes de

lutte contre la fraude fi scale, conclut Xavier Gérard. Il ne s’agit

pas ici d’une modifi cation sensée et durable de notre fi scalité.

Le gouvernement a clamé un renforcement de la lutte contre la

grande fraude fi scale pour annoncer ensuite un renforcement

des contrôles auprès des employés qui optent pour les frais réels.

Le texte de l’avant-projet de loi-programme est techniquement

critiquable et comprend déjà des discriminations. Une réforme

fi scale de grande ampleur nécessite un travail consciencieux ;

une lutte effi cace contre la grande fraude fi scale et le rétablis-

sement d’une certaine justice fi scale semblerait supposer une

bonne dose de courage politique qui fait défaut. Cette poli-

tique fi scale a pour seule conséquence l’adoption de mesures

décousues qui permettront probablement de combler le défi cit

budgétaire à court terme, à défaut de soutenir l’esprit d’entre-

prendre et de renforcer la compétitivité des entreprises belges

créatrices d’emploi. »

« Cette réforme fi scale, attendue de longue date, a clairement une vocation purement budgétaire. »

Rony Baert: « On sait déjà que cet accord ne sera pas suf-fi sant pour sortir de l’impasse. Il comprend de nombreuses déclarations d’intentions qui devront sans doute être adap-tées, étant donné le climat social actuel. »

FISCALITÉ DOSSIER

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

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Le CFO doit jouer un rôle de bétonneur de l’entreprise

P lus impliqué dans la stratégie et la découverte de

nouvelles opportunités de croissance, le directeur

fi nancier cumule les lourdes tâches d’assurer la

gestion des risques, de planifi er les budgets, de

produire un reporting précis, de prévoir les résultats fi nanciers

futurs, de mettre en place une gouvernance durable… Com-

pliance, reporting et gouvernance se partagent désormais une

bonne partie de son agenda. Si sa société est cotée, elle doit aus-

si organiser un comité d’audit en soutien au conseil d’adminis-

tration et choisir des administrateurs indépendants pour siéger

dans ce dernier, multipliant encore les obligations légales.

En 2000, Pierre Lambert rejoint Zetes en tant que CFO. No-

tamment spécialisée dans la création de cartes d’identité

électroniques, la société a choisi d’aller en bourse en 2005.

De son côté, Jean-Marc Kesteman, est arrivé chez Nuon en

2005 en tant que Credit & Collection Manager. Après avoir

été Compliance manager, il occupe à présent la fonction de

CFO depuis un peu plus d’un an. Créé en 2002, le fournis-

seur d’énergie vient d’être racheté par ENI, un grand groupe

international. Si leurs secteurs d’activité sont très différents,

ces deux CFO partagent certains points de vue sur leur mé-

tier et ses défis.

DE SOCIÉTÉ PRIVÉE À PUBLIQUEAvec un profi l d’économiste et plusieurs expériences en

banque, Pierre Lambert est engagé chez Zetes en 2000 suite

à une volonté d’expansion européenne et de renforcement

des équipes fi nancières de l’entreprise. De 300 employés du-

rant cette période, les équipes de Zetes sont passées à 1.100

collaborateurs aujourd’hui. « En 12 ans, le visage de la société

a bien changé, explique-t-il. Mes tâches ont également beau-

coup évolué. La réglementation a sans doute eu une infl uence,

mais ce n’est pas le seul élément. La taille de l’entreprise et sa

dynamique d’expansion y sont aussi pour beaucoup. Présents

auparavant dans 4 ou 5 pays en Europe, nous travaillons désor-

mais avec une quinzaine de pays dans le monde ».

Un deuxième changement pour Zetes a été son passage d’une

société privée à une société publique en 2005. L’entreprise a

ainsi choisi d’être cotée à Euronext pour grandir et fi nancer

de nouveaux projets. « Nous étions victime d’un paradoxe,

FISCALITÉ DOSSIER

TEXTE : FLORENCE THIBAUT

Chargé de s’assurer du respect des normes et de la gestion des activités fi nancières de son entreprise, le CFO à affaire à une infl ation de standards internationaux et d’obligations nationales qui complexifi ent son travail. Equilibriste, il doit s’entourer d’experts pour pouvoir faire face à ces défi s, tout en continuant à soutenir le business. Deux CFO témoignent du changement de leur métier et de l’évolution du travail des conseils d’administration.

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

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nous avions des ambitions fortes, mais une structure de bilan

assez faible qui limitait notre développement, rappelle Pierre

Lambert. Ça s’est avéré une bonne décision car, depuis lors,

sans plus faire appel au marché, nous conservons une dyna-

mique de croissance. Cela a bien sûr eu des conséquences en

matière de gouvernance d’entreprise et d’obligations légales.

L’effort est assez conséquent, mais il apporte des effets collaté-

raux positifs, notamment au niveau du recrutement et de notre

renommée. Dans notre métier de People ID, c’est également un

atout et un aspect qui rassure nos clients sur la pérennité de

notre entreprise. Cependant, je ne suis pas sûr qu’une société

de notre taille ferait encore ce choix aujourd’hui, car les régle-

mentations et les contraintes ont beaucoup augmenté et que

le saut du privé au public est encore plus grand qu’en 2005. »

COMPLÉMENTARITÉ DES PROFILSCes évolutions en matière de régulation, ainsi que dans la

structure de Zetes se sont aussi refl étées dans la composi-

tion de son conseil d’administration. « Il y a dix ans, un conseil

était généralement composé de représentants d’actionnaires

qui étaient surtout là pour veiller sur leur investissement, pour-

suit-il. Aujourd’hui, on recherche davantage des administrateurs

ayant des compétences pointues et diversifi ées, par exemple, en

matière de fusions et acquisitions, qu’ils soient représentants

d’actionnaires ou pas. On attend d’eux qu’ils nous aident à

prendre les bonnes décisions stratégiques et qu’ils soutiennent

les initiatives du business en ayant un regard critique. »

Leur rôle va bien au-delà de la simple observation des règles.

« Comme ils ont souvent d’autres mandats, on sait aussi qu’ils

ont les compétences en matière de régulation. Nous avons éga-

lement l’obligation légale de solliciter la présence d’actionnaires

indépendants, qui ne détiennent pas une participation signifi -

cative, mais sont garants des intérêts de tous les actionnaires.

Je ne pense pas pour autant que les membres non exécutifs du

conseil doivent être plus impliqués qu’avant, mais on vise une

plus grande complémentarité des profi ls et des expériences. »

Le Conseil de Zetes se compose ainsi de dix administrateurs,

dont trois exécutifs qui sont impliqués dans la gestion quoti-

dienne de la société, le CEO, le CFO et le Président du conseil qui

maîtrise les affaires légales; trois administrateurs indépendants

choisis pour leur expérience sur proposition du conseil lors de

l’Assemblée Générale et quatre représentants des actionnaires.

PAS UN SUPER HÉROS « Le CFO est le gardien de l’orthodoxie, mais se doit aussi de

soutenir les opportunités pour son entreprise. Etre uniquement

un dinosaure qui contrôle parfaitement les règles ne peut plus

fonctionner, continue Pierre Lambert. Il doit bien s’organiser et

bétonner les risques, tout en soutenant le business. Bien sûr, le

CFO ne peut pas pour autant jour le rôle de superman et tout

faire. Il s’agit de trouver un équilibre en s’entourant de bons

collaborateurs. De mon côté, je n’assure pas le travail d’inves-

tigation en matière de compliance. Je m’appuie notamment

sur le Contrôleur Groupe, qui réalise le suivi des normes, IFRS

ou autres, et les traduit dans l’organisation. Nous présentons

ensemble un résumé au Comité d’Audit qui vérifi e ensuite si les

règles sélectionnées sont bien pertinentes pour nos activités. »

Pour éviter d’être submergé, le CFO doit ainsi connaître ses

limites et défi nir ses priorités, tout en s’entourant de pro-

fi ls spécialisés. « Je pense que le plus fructueux pour un CFO,

ajoute-t-il encore, est de créer la bonne équipe et le bon

contexte de travail en veillant à la clarté du message interne.

Tout contrôler est une cause perdue d’avance. La responsabilité

du CFO est surtout une question d’équipes. Collaborer dans la

vigilance est, selon moi, le modèle à suivre. »

Les auditeurs externes vérifi ent également si les obligations

légales sont bien respectées, permettant ainsi à l’entreprise

un mécanisme de double contrôle. « Nos auditeurs savent que

nous sommes IFRS-compliant, ils en tiennent compte lors de

leur travail », complète le CFO de Zetes.

AGILITÉ ET ADAPTABILITÉCette multiplication des réglementations nationales et in-

ternationales est souvent perçue comme un poids pour les

petites et moyennes structures. « J’ai pu remarquer un chan-

gement depuis ces sept dernières années. Le volet compliance

requière beaucoup de ressources, ce qui est parfois diffi cile pour

une société de notre taille, appuie Pierre Lambert. Nous fai-

sons en gros un chiffre d’affaire de 200 millions et pour nous,

les obligations de gouvernance d’entreprise représentent des

investissements proportionnellement plus lourds que pour

Pierre Lambert: « Le plus fructueux pour un CFO est de créer la bonne équipe et le bon contexte de travail en veillant à la clarté du message interne. Tout contrôler est une cause perdue d’avance. »

FISCALITÉ DOSSIER

FINANCE MANAGEMENT - N°53 - FÉVRIER 2012

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une grosse entreprise. Cela dit, la conformité aux normes

répand des valeurs d’équité et de bon fonctionnement dans

l’entreprise. Subir les normes comme des contraintes est peu

constructif, renverser la vision en essayant que le business soit

fait dans les règles, peut s’avérer positif, même si cela nécessite

des efforts constants. » Pour y faire face, adaptabilité, vigilance

et agilité sont les maîtres mots. L’équilibre doit donc se faire

entre respect des règles fi nancières et soutien du business.

UN MARCHÉ EN CONSTRUCTIONNuon Belgium, fournisseur belge de gaz et d’électricité, a ré-

cemment fait l’actualité en étant racheté par le groupe italien

Eni, un géant pétrolier et gazier présent dans près de 80 pays

et employant 80.000 personnes, et déjà présent dans le sec-

teur à travers Distrigas en Belgique. La transaction a abouti

en janvier dernier, Nuon sera progressivement intégré dans

l’entreprise Eni, lui ouvrant, ainsi qu’à ses clients, de nouvelles

perspectives. La société rassemble 150 employés sur le pay-

roll et 300 emplois indirects.

« Le secteur de l’énergie est en perpétuel mouvement et particu-

lièrement normé, explique Jean-Marc Kesteman, CFO de Nuon

Belgique. La diffi culté, en Belgique, est d’avoir quatre régu-

lateurs : l’Etat fédéral et les trois régions, ce qui demande une

certaine fl exibilité et une souplesse pour parvenir à coordonner

toutes les directives. Nous devons également suivre la politique

européenne en matière d’énergie, ce qui en fait un domaine pas-

sionnant, mais où on ne peut jamais se reposer sur ses acquis. Il

ne faut pas oublier que la libéralisation de l’énergie a à peu près

dix ans, le marché est encore en train de se construire. Chaque

pays doit s’adapter à ce que fait ses voisins. »

Jean-Marc Kesteman rejoint Pierre Lambert en soulignant le

besoin d’organisation du CFO. « Nos obligations en matière de

compliance nous demandent beaucoup de ressources. Rien que

pour les questions de régulation, deux juristes, sont employés à

temps plein, ce qui est beaucoup pour une entreprise de 150 per-

sonnes. J’ai toujours travaillé dans un milieu de multinationales.

Je constate que les réglementations internationales comme IFRS

ou SOX sont des exercices plutôt contraignants pour les petites

structures. Ils introduisent des changements dans la manière de

conduire son business », précise le CFO de Nuon.

MOINS DOGMATIQUE Si ces réglementations sont de plus en plus nombreuses, la

façon d’y répondre a également évolué. « Je remarque surtout

une évolution dans la manière de traiter ces régulations

fi nancières. Il y a dix ans, les entreprises étaient plutôt dans

une application dogmatique et une implémentation stricte, ce

qui représentait un coût énorme, ajoute Jean-Marc Kesteman.

On va aujourd’hui vers une approche plus pragmatique et une

plus grande adaptation à son métier. Gérée par le département

fi nancier, la compliance impacte néanmoins toute l’entreprise.

L’IT, par exemple, possède un important rôle à jouer, la techno-

logie devant traduire les obligations réglementaires dans les

processus, ce qui nécessite un contrôle technique et fi nancier

très précis. Ce reporting est devenu tellement important qu’il

représente en moyenne 10% des nos investissements. Avec mon

équipe, je me charge de la conformité fi nancière, mais aussi de

consolider les aspects compliance des départements juridiques

et techniques. Outre la coordination, mon rôle est également

d’être un point de contact pour nos actionnaires. »

Pour résumer, le CFO doit donc constamment jouer l’équi-

libriste en assurant les tâches fi nancières historiques de

comptabilité et de fi scalité, tout en étant un stratège et en

prévoyant à long terme les résultats de son entreprise, la

direction à suivre et les investissements nécessaires pour

répondre aux besoins croissants en terme de compliance. « Il

doit occuper un rôle de gardien et de bétonneur de la société.

Il ne peut jamais être en pilote automatique, mais doit être

attentif en permanence. Il lui faut aussi conscientiser chaque

personne de la société à son niveau, en fait, il doit constam-

ment alterner plusieurs niveaux de vision: plongée et recul »,

termine Pierre Lambert.

« La compliance impacte toute la société. L’IT, par

exemple, possède un important rôle à jouer. »

Jean-Marc Kesteman: « Les réglementations internationales comme IFRS ou SOX sont des exercices plutôt contraignants pour les petites structures. Ils introduisent des changements dans la manière de conduire son business. »

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Vers un système de cotations boursières plus réel

E t si les marchés fi nanciers allaient droit dans le

mur? Admettre qu’ils ont tort, c’est reconnaître

leur manque d’effi cacité à long terme. La crise

de la dette a ainsi permis de mettre en lumière

les failles du système fi nancier international. Certains évoquent

même une « défi nanciarisation » de nos économies nécessaire

pour retrouver des économies moins volatiles et plus respon-

sables. Dans son livre L’empire de la valeur, André Orléan, direc-

teur de recherche au CNRS en France, insiste sur cette impor-

tance disproportionnée accordée à la fi nance dans nos sociétés.

Selon lui, les prix sur lesquels reposent les marchés sont des

valeurs tronquées qui ne refl ètent pas la demande réelle.

Un marché physique réel se construit sur base de l’offre et de

la demande d’un bien pour en déterminer son prix. Plus ce

bien est rare, plus son prix doit être élevé. La fi nance moderne

a étendu ce constat lié aux biens physiques aux actifs fi nan-

ciers, qui ne suivent pourtant pas tout à fait la même logique,

étant donné que sur ces marchés, les prix évoluent en fonc-

tion de l’anticipation des revenus futurs, encourageant ainsi

la spéculation. Ceci expliquant pour André Orléan la volatilité

des marchés et la création de bulles fi nancières qui déstabi-

lisent l’économie réelle.

TENIR COMPTE DES VOLUMESLors de ses conférences « Comprendre & Investir », Christian

Pire insiste sur le fait que la crise actuelle a davantage de ra-

cines comptables que fi nancières. « Le marché fonctionne en

circuit fermé. Il y a trois ans, c’était trop tôt pour dénoncer son

fonctionnement, c’est à présent le bon moment, explique-t-il.

Nous sommes aujourd’hui plus face à une crise comptable, qu’à

une réelle crise boursière qui verrait déferler les ordres de vente.

Certaines normes fi nancières sont complètement délirantes sur

le plan de la comptabilité. Je pense que la prise de conscience

doit venir du consommateur lambda qui consomme des SICAV

ou des fonds communs sans forcément maîtriser les rouages

fi nanciers, ni la manière dont l’information fi nancière se

construit. Il y a un vrai travail de sensibilisation à effectuer. »

Le gestionnaire défend l’idée d’une information socialement

responsable qui tiendrait compte des volumes échangés sur

le marché, ce que ne fait pas le système de cotation actuel. Les

Lassés de la volatilité des marchés et des variations extrêmes des cours des actions, certains acteurs de la fi nance défendent un système de cotation des valeurs boursières plus réel. C’est le cas de Christian Pire, gérant de portefeuilles, créateur de l’indice ISR – un indicateur des variations boursières relevant de l’information socialement responsable – et du site SOCIOECOPOFI.

FISCALITÉ DOSSIER

TEXTE : FLORENCE THIBAUT

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marchés boursiers n’ont jamais eu pour objectif de détermi-

ner la valeur de tous les titres. Ce sont les marchés des valeurs

(lieu où l’on peut s’échanger un volume de titres contre un

prix) et non de la valeur de tous les titres. Ce n’est pas parce

que 50.000 Belges ont gagnés (ou perdu) au Lotto que l’on dit

à tous les Belges qu’ils ont gagné (ou perdu) la même chose.

Les prix fi xés par les marchés ne sont ni faux, ni ineffi cients,

puisqu’ils sont la résultante d’un échange à prix donné pour

un volume donné. La « fausseté » et « l’ineffi cience » des mar-

chés viennent de l’extrapolation à tous les titres que la comp-

tabilité fait jouer à un cours de bourse réalisé à une heure

précise pour un volume précis.

DISSYMÉTRIE DE L’INFORMATION « Les cours de bourse ne peuvent pas être pris à eux seuls

comme informations de référence de la valeur des titres et des

portefeuilles. Il suffi t de quelques titres échangés à la clôture

pour que l’on affecte mécaniquement la hausse ou la baisse

à des millions voire des milliards de titres. Quoi de plus fou?

La dissymétrie de l’information fi nancière, soit sa perception

variable selon les connaissances du lecteur ou de l’auditeur,

peut devenir de la désinformation », complète Christian Pire.

Pour retourner à une communication fi nancière plus saine,

il recommande ainsi, l’obligation pour la presse fi nancière

d’ajouter à la variation spéculative du jour (variation offi cielle

actuelle fournie par Euronext), une variation socialement res-

ponsable tenant compte des volumes échangés.

Il prône également que les gérants des SICAV et FCP stipu-

lent leur indice de liquidité 3L. Cet indice, en comparant les

volumes de titres détenus par le gérant de la SICAV ou du FCP

au volume traité en bourse, donne une idée de la crédibilité

des performances annoncées. Si le volume détenu par le gé-

rant est dix fois plus élevé que ce qui est échangé en bourse,

qu’elle est la crédibilité des performances annoncées par

le gérant? Trop souvent, il est vendu des performances fan-

tasques. C’est bien la liquidité des lignes qui détermine la fi a-

bilité des performances annoncées. Il revendique ainsi l’ins-

tauration d’un tableau de bord « information socialement

responsable » dans un but de transparence des opérations et

sur l’utilisation des fonds dans l’économie réelle ou virtuelle.

Ce manque d’informations fi nancières solides pourrait être

imputé à la création des indices, comme le BEL 20 fondé en

1990, devenus de vrais outils commerciaux.

« Quand on analyse les variations des valeurs boursières, les

cours à la clôture imposent des réponses fi nancières instan-

tanées qui ne correspondent pas à ce qui s’est vendu, mais à

ce qui pourrait se vendre, résume Christian Pire. En d‘autres

termes les valeurs sont extrapolées et on crée des richesses ou

des pertes uniformément et de manière artifi cielle sans appui

de volumes échangés, ce qui peut créer une forme d’hystérie ou

de panique. La logique ne voudrait-elle pas que l’on fasse res-

sortir dans le cours le faible pourcentage du volume échangé?

Toute l’économie se fonde pourtant sur ce marché virtuel. »

Le site www.agencedecotationisr.com, notamment alimenté

par le gestionnaire, propose une lecture différente de la varia-

tion des cours boursiers afi n d’offrir une vision alternative. Il

retraite ainsi systématiquement les cours du jour des actions

sur le CAC 40 (indice Français), BEL 20, FTSE MIB (Indice Italien)

et le SMI (Indice Suisse) en fonction des volumes échangés. A

cette occasion, il calcule l’impact du système comptable sur la

variation des cours via l’indice de destruction comptable (ou

l’indice de création comptable en cas de hausse) qui calcule

le pourcentage de la baisse (ou de la hausse) du cours du uni-

quement à la méthode de valorisation comptable qui ne prend

pas en compte les volumes échangés (liquidité). Il repose sur le

constat que la fi nance se fonde sur une conception continue

des variations économiques et sur le fantasme qu’on peut tout

contrôler et tout prévoir, risques comme plus-values, amenant

à une spéculation dangereuse. Pour un indice, la variation ISR

se calcule en multipliant la variation offi cielle multipliée par

la somme des volumes échangés pour chaque constituant de

l’indice et pour une valeur, c’est la variation offi cielle corrigée

du volume échangé/nombre de titres en circulation.

SYSTÈME ARTIFICIEL« Il ne faut pas oublier que le cours de bourse n’a d’importance

que pour les ‘petits’ porteurs qui ne suivent pas la masse pour pas-

ser leurs ordres boursiers, ainsi que pour les investisseurs qui ont

effectivement acheté ou vendu leurs titres. Avec mes collabora-

teurs, nous défendons un label de ‘performance’ réalisable, pour-

suit-il, qui viendrait classer et défi nir les cours boursiers en une

réalité fi nancière réalisable ou réalisée. Le principe étant, non pas

de donner un cours applicable à tous les porteurs de parts, mais

un potentiel de réalisation de l’information donnée sur les cours. »

Enfi n, pour en fi nir avec un système fi nancier artifi ciel, le sec-

teur devra être régulé, sans être réprimé, pour lui redonner sa

place au service de la croissance, du fi nancement de l’activi-

té et des investissements, en combattant ex-post la création

de bulles fi nancières. « Notre système actuel a clairement

montré ses limites, nous avons été trop loin. Le moment est

venu de nous doter de nouveaux outils. Je prône, par exemple,

l’établissement d’un prélèvement sur les gains réalisés sur les

marchés dérivé et virtuels, qui servirait à octroyer, par les

organismes prélevés, des prêts à taux très faibles à des pro-

jets favorisant l’Environnement, le Social et la Gouvernance.

Il n’est pas trop tard pour agir, le marché est demandeur de

changements », conclut Christian Pire.

« Certaines normes fi nancières sont complètement délirantes sur le plan de la comptabilité. »