figure du lector dans les romans latins

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  • 7/24/2019 Figure Du Lector Dans Les Romans Latins

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    Graldine PUCCINI-DELBEY, Prsence-Absence de la figure du Lector dans les romans latins de l'poque impriale ,Cahiers de Narratologie, N11,mis en ligne le 01 janvier 2004URL : http://revel.unice.fr/cnarra/index.html?id=15

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    Prsence-Absence de la figure du Lectordans les romans

    latins de lpoque impriale

    Graldine Puccini-Delbey

    UniversitMichel de Montaigne Bordeaux 3

    Antiquitromaine

    Diffrents thoriciens de la lecture ont dmontrquun texte de fiction poursuit toujours un

    but "illocutoire", cest--dire cherche agir, de manire plus ou moins directive, sur son

    destinataire1. Si ces recherches se fondent sur un corpus duvres postrieures lAntiquit, il

    nous est apparu que les uvres de fiction antiques et en particulier les deux romans latins

    qui sont parvenus jusqunous, de manire complte pour lesMtamorphosesdApule et de

    manire trs lacunaire pour le Satiriconde Ptrone elles aussi inscrivent en elles la lecture

    ou les lectures que nous pouvons en faire. Etant donnque les destinataires rels que ces

    uvres cherchaient viser lors de leur premire diffusion dans la socitromaine du premier

    et du second sicle de notre re font lobjet, encore lheure actuelle, dun nombre important

    dhypothses diverses et contradictoires, nous nous attacherons uniquement ltude du"narrataire" extradigtique, tel quil est dfini par Grard Genette2, et celle des stratgies

    textuelles qui induisent un certain nombre de ractions chez le lecteur. Etude limite et

    partielle donc qui ne prtend pas rendre compte de tous les phnomnes de lecture dune

    uvre antique.

    Le "lecteur modle"3, figure abstraite et anonyme du destinataire postulpar le texte, sous sa

    forme matrialise de "narrataire invoqu", cest--dire apostrophpar le narrateur au cours

    du rcit, napparat quune seule fois dans les fragments conservs du Satiricon, alors quil est

    apostrophseize reprises par le narrateur Lucius desMtamorphoses. Nous souhaitons donc

    tudier comment les premires uvres de fiction romanesque crites en prose latine ont tabli,

    de manire lvidence oppose, limage du lecteur anonyme quelles postulent et, plusprcisment, comment lune, par leffacement de cette image, laisse au lecteur rel une grande

    libertdans sa dmarche hermneutique, et comment lautre, au contraire, guide et oriente de

    manire contraignante cette dmarche.

    1) Le Satiriconde Ptrone

    La vise illocutoire du Satiriconne peut tre totalement supprime. En refusant daider le

    lecteur dans son dchiffrement, en jouant mme sur lambigutdu sens qui ne cesse de se

    drober sous les pieds du lecteur, le roman de Ptrone semble pousser ce dernier se perdre et

    le contraindre remettre sans cesse en cause sa capacit de dchiffrement. Entre autres

    exemples, le traitement du motif du chien au cours du festin de Trimalchion, le seul pisodequi semble nous tre parvenu de manire complte, nous permettra de montrer que le

    brouillage des pistes est tel que le lecteur est amen principalement sinterroger sur sa

    manire de concevoir le sens mme de luvre.

    Lorsque le narrateur Encolpe entre dans la maison de Trimalchion, il manque tomber la

    renverse et se briser une jambe, tant leffraie"non loin de la loge du portier, un norme chien, enchan".

    1Voir par exemple U. Eco,Lector in Fabula, trad. franaise, Paris, Grasset, coll. Points, 1965; les diffrents

    travaux de V. Jouve,L'effet-personnage dans le roman, PUF, 1992;La lecture, Hachette suprieur, 1993.2G. Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 265.3Expression emprunte U. Eco,Lector in fabula.

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    A la suite dEncolpe, le lecteur ne peut considrer ce chien que comme rel : sa prsence aux

    cts du portier, comme gardien des lieux, est tout fait logique et vraisemblable. Mais

    lillusion cesse ds quil lit la fin de la phrase :"il tait reprsentsur le mur et au-dessus, tait crit en lettres capitales : attention

    au chien !"4

    paene resupinatus crura mea fregi. Ad sinistram enim intrantibus non longe abostiarii cella canis ingens, catena uinctus, in pariete erat pictus superque quadrata

    littera scriptum CAVE CANEM. Et collegae quidem mei riserunt.

    Les compagnons dEncolpe se moquent de lui et de sa frayeur ridicule, tandis que le lecteur

    samuse davoir tlui aussi pigun instant : le chien ntait quune fresque ! Cette illusion

    est, elle aussi, de courte dure, puisquil dcouvre au chapitre LXIV que Trimalchion possde"un norme chien, enchan" quil appelle lui-mme "gardien de la maison et de ses

    occupants"5.

    Trimalchio Scylacem iussit adduci praesidium domus familiaeque. Nec mora,

    ingentis formae adductus est canis catena uinctus.

    Lcho avec le chapitre XXIX ne peut tre fortuit, car les termes utiliss sont exactement les

    mmes. Le danger quavait peru Encolpe en entrant dans la maison et qui avait paru un

    instant imaginaire et ridicule est cette fois-ci bien rel, puisque le chien introduit dans la salle

    manger sur lordre de Trimalchion met mal une des tables dont le candlabre renvers

    arrose dhuile brlante quelques convives. A la fin du premier banquet6, Encolpe et ses amis,

    cherchant senfuir par la porte dentre, sont bel et bien arrts par le "chien enchan" dont

    les aboiements effraient tant Ascylte quil en tombe dans le bassin.

    A partir de ce premier exemple, nous pouvons mettre lhypothse que la totalit des

    fragments conservs induit une lecture de type "opaque". En dfinitive, la ralitnest jamais

    loon la croit : Encolpe, au dbut de lpisode, sattend trouver un vritable chien de

    garde loil ny a quune fresque, et la fin, trouve ce chien loil ne lattendait pas.

    Les personnages, dautre part, voluent dans un univers qui leur est tranger, pour ne pas dire

    hostile, la plupart du temps dans le brouillard ou dans lobscurit, et cette errance semble treune "mise en abyme" de celle du lecteur.

    Par exemple, Encolpe aperoit au coin dune ruelle son petit mignon Giton quasi per

    caliginem, "comme travers un brouillard"7. Et cest bien travers un brouillard semblable,

    volontairement dploypar le texte, que le lecteur tente den saisir la signification. Comme

    Encolpe et ses amis qui, une fois entrs dans la demeure de Trimalchion qui fonctionne la

    fois comme un pige et une prison, ne peuvent en ressortir par la mme porte par laquelle ils

    sont entrs, le lecteur, lorsquil apprhende un premier niveau de signification, sen voit

    rapidement dtourn pour un autre, sans quil puisse vritablement trancher entre les

    diffrentes possibilits de sens qui soffrent lui dans un tourbillon vertigineux. Les paroles

    que le portier adresse Encolpe sont, sur ce point, loquentes :Erras, inquit, si putas te exire hac posse, qua uenisti. Nemo unquam conuiuarum per

    eandem ianuam emissus est; alia intrant, alia exeunt.

    "Tu te trompes, si tu crois pouvoir sortir par o tu es venu. Jamais aucun des

    convives nest sorti par la mme porte; on entre dun ct, on sort de lautre."

    La maison de Trimalchion semble alors fonctionner comme la mtaphore de luvre entire :

    "un labyrinthe dun nouveau genre"8ole lecteur, enfermde concert avec le narrateur, peine

    trouver une sortie.

    4Sat., XXIX, 1. / Les traductions des citations latines nous sont toutes personnelles.5Sat., LXIV, 7.6

    Sat., LXXII, 7.7Sat., IX, 1.8Sat., LXXIII, 1 : noui generis labyrintho inclusi.

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    Les personnages voluent dans un univers de brume ou dobscurit quils ne connaissent

    absolument pas et leur cheminement est celui dun ttonnement dans lobscuritqui les rend

    la merci de nimporte quel traquenard, comme lindique clairement la difficult quils

    prouvent aller de la maison de Trimalchion leur htel9:Neque fax ulla in praesidio erat, quae iter aperiret errantibus, nec silentium noctis

    iam mediae promittebat occurrentium lumen. Accedebat huc ebrietas et imprudentialocorum etiam interdiu obscura.

    "Nous navions sous la main aucune torche pour nous protger et ouvrir le chemin

    nos pas errants, et le silence de la nuit djbien avance nous garantissait que nous

    ne rencontrerions aucun passant porteur dune lumire. A cela sajoutaient notre

    ivresse et notre mconnaissance des lieux qui, mme en plein jour, est source de

    tnbres."

    A limage du narrateur et de ses amis qui ne savent plus retrouver le chemin de leur htel dans

    la nuit et qui, pour comble dironie, le trouvent fermaprs avoir errde manire pitoyable, le

    lecteur se trouve ballottdobscurits en ambiguts, tente une construction du sens pour la

    dconstruire aussitt aprs. La libert sans guidage autoritaire devient errance. Sil est

    impossible lheure actuelle de savoir si le dbut de luvre constituait un pritexte ayant

    pour fonction dorienter le lecteur, les fragments du texte qui nous restent montrent que

    lchec interprtatif y est programm.

    Et ce, dautant plus que lidentification au narrateur est impossible. Qui, en effet, accepterait

    dadopter le point de vue dEncolpe tourn systmatiquement en drision dans toutes ses

    entreprises? G. B. Conte10 a montr, de manire tout fait convaincante, quEncolpe

    reprsente tous les travers du scholasticus, celui qui passe le plus clair de son temps dans les

    coles et les lieux de dclamation au point de tomber victime de ses propres expriences

    littraires et qui, navement, sexalte en sidentifiant aux modles hroques sublimes, fournis

    par lpope et la tragdie. La stratgie ironique adopte par "lauteur cach"11est de tourner

    en drision cette culture dclamatoire qui pervertit les genres nobles en les transformant en

    "mlodrame" et qui fait de la littrature une simple "rhtorique de lexcs"12. Le lecteur estinvitprendre ses distances vis--vis dun tel narrateur, si peu digne de confiance, et rire

    du dcalage entre la ralittriviale de son parcours et ses tentatives ridicules de sublimation.

    Les illusions hroques dEncolpe et sa prtention au sublime littraire sont rcurrentes : ainsi,

    lorsque Giton le trahit dans les bras dAscylte et provoque une rupture irrmdiable entre les

    deux amis, "au milieu de cette folle querelle digne de misrables, lenfant, au comble du

    dsespoir, touchait en pleurant nos genoux tous deux et nous suppliait de ne pas offrir le

    spectacle dune nouvelle Thbadedans cette humble auberge, et de ne pas souiller dun sang

    mutuellement rpandu les liens sacrs dune amitisi illustre"13. Puis, Giton ayant finalement

    choisi de suivre Ascylte, Encolpe se livre dincessantes plaintes, jouant le rle dAchille

    qui Agamemnon a enlevBrisis, mais il nen est quune ple caricature !Comme le montre G. B. Conte14, le "lecteur idal" prend forme dans le texte comme un

    ensemble de valeurs qui soppose celles que reprsente Encolpe et il est pouss

    sidentifier, non pas avec le narrateur, mais avec "lauteur cach". Cette distinction claire

    entre auteur et narrateur, par le recours systmatique lironie, conduit ainsi la complicit

    de lauteur et du lecteur au dtriment du narrateur naf, ridiculis par sa manire

    9Sat., LXXIX, 1.10G. B. Conte, The Hidden Author. An Interpretation of Petronius's Satyricon , University of California Press,

    Berkeley-Los Angeles-London, 1996.11G. B. Conte appelle "auteur cach" l'image implicite de l'auteur que Ptrone cre dans son texte.12

    Ibid., p. 6.13Sat., LXXX, 3.14G. B. Conte, op. cit., p. 22-24.

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    "mlodramatique" dapprhender les vnements. Encolpe nincarne aucune valeur quun

    auteur peut raisonnablement esprer voir partager par ses lecteurs : il est tout sauf un hros.

    Le "lecteur modle" et "lauteur cach" se rejoignent dans le regard distanciquils portent

    sur les msaventures et les dsillusions dEncolpe pour en tirer un sentiment de supriorit

    certainement fort. Mais lironie du texte suppose un lector doctus, doude perspicacit, de

    finesse, dintelligence mme et dune solide ducation littraire : elle est litiste15.Elle suppose aussi un lecteur critique qui prend ses distances vis--vis de lpoque nronienne

    si lon admet cette poque pour la gense de luvre vis--vis dune culture ole sens

    se perd dans un excs de thtralit qui est lennemi du sublime. Aussi, la dclaration

    mtalittraire, dinterprtation si controverse encore lheure actuelle, que nous trouvons au

    chapitre CXXXII, 15, semble-t-elle provenir du narrateur Encolpe plutt que de lauteur

    Ptrone. En effet, elle dbute par une interpellation des lecteurs qui, en nouveaux Catons

    dfenseurs dune morale svre et rigide et choqus par le ralisme cru de ses aventures

    sexuelles, condamneraient son opus:Quid me constricta spectatis fronte Catones,

    damnatisque nouae simplicitatis opus?

    "Pourquoi me regarder le sourcil fronc, Catons,

    et condamner une uvre dune candeur encore jamais vue?

    Ce lecteur-Caton ne peut tre quune projection du narrateur. Son got prononc pour la

    thtralisation se retrouve dans le dtail du sourcil fronc; sa culture scolastique superficielle

    se retrouve dans la mtaphore : Encolpe a appris lcole de la rhtorique que Caton est le

    parangon par excellence de la uirtusromaine traditionnelle. Le "lecteur modle" postulpar la

    stratgie ironique du texte ne peut absolument pas se reconnatre dans cette figure

    emblmatique.

    De manire tout fait novatrice, Ptrone revisite donc le pass, cest--dire emprunte tous

    les genres littraires prexistants, mais il le fait avec ironie. Il joue "dconstruire" par la

    parodie les systmes de valeurs que ces diffrents genres proposent, mais ne semble guidencela par aucune idologie propre : les fragments du texte ne proposent aucune valeur

    laquelle adhrer la place des valeurs mises mal. Le hros Encolpe nincarne aucune valeur

    positive qui pourrait permettre un certain type de lecteur de se reconnatre.Cest une des

    raisons fondamentales qui nous paraissent entraner le fait que la figure du lecteur dans ce

    type duvre ne peut tre quabsente et que la rception ne peut y tre non plus inscrite, car

    luvre interdit le rassemblement de lecteurs autour de valeurs communes.

    2) LesMtamorphosesdApule

    Comme nous possdons la totalitdu roman dApule, notre analyse sera beaucoup plus sre

    que celle que nous venons de proposer pour le Satiricon. Lhorizon dattente du lecteur syinscrit demble, ds le prologue ole narrateur sadresse son lecteur et simpose comme

    figure dirigiste. Les premiers mots de luvre, ego tibi, mettent immdiatement en place une

    coopration textuelle entre un narrateur et un narrataire. La coopration textuelle y est une

    activitpromue par le texte 16lui-mme.

    La mise en scne de la lecture et de linterprtation hermneutique y est inscrite par le

    personnage mme du narrateur et par son parcours quil raconte : figure de laventurier

    autodidacte et expatri, le narrateur quitte sa patrie grecque oil a commencapprendre la

    langue latine pour aller Rome y parfaire cette connaissance et obtenir ainsi, en quelque

    sorte, son brevet dcrivain en latin. Cette premire initiation aux lettres latines prcde celle

    15G. B. Conte, op. cit., p. 35.16U. Eco, op. cit., p. 71.

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    qui se produira la fin du roman, son initiation aux mystres dIsis et dOsiris. Rome se

    prsente comme le point de dpart et le point daboutissement dun long parcours circulaire

    qui permet Lucius daccder la fois au statut de prtre dIsis et celui dcrivain qui se

    donne comme hros principal de son uvre. Le prologue nonce la premire preuve

    essentielle ncessaire, celle du dchiffrement de lalphabet latin, avant celui du monde et des

    mystres de lau-del.Le lecteur, de son ct, doit "examiner attentivement un papyrus gyptien crit avec

    la finesse dun roseau du Nil"17:

    modo si papyrum Aegyptiam argutia Nilotici calami inscriptam non spreueris

    inspicere.

    Nous ne reprenons pas notre compte la traduction du verbe inspicerepar "jeter les yeux"

    que donne Paul Vallette dans son dition des Belles Lettres. Si lon se fie au relev du

    "vocabulaire latin de la lecture" qua fait Emmanuelle Valette-Cagnac 18, il apparat que ce

    verbe est tout fait particulier, dun emploi rare, et il semble dommageable de ne pas donner

    au prverbe -in sa pleine signification, comme dans le verbe introspicere quemploie

    Quintilien19pour lopposer transcurrere: celui-ci oppose ainsi deux types de lecture, une

    lecture rapide et lgre qui se contente deffleurer le texte (transcurrere) et une lecture quisattache aux dtails et pntre au coeur des mots (introspicere). Introspicere, inspicere

    supposent une lecture qui soit un effort de dchiffrement ainsi quun lecteur lesprit fin,

    subtil, dont la finesse rpondra celle du roseau utilispour crire20.

    Le narrateur apulen manifeste un souci constant dtablir un contact avec le narrataire. La

    stratgie de captatio beneuolentiaeest vidente dans le prologue ola complicitdu lectorest

    requise avec force. Le recours au mode impratif et au futur de lindicatif montre que le

    dialogue que veut instaurer le narrateur avec son narrataire se fonde essentiellement sur un

    rapport de domination. La question qui est attribue au narrataire pour permettre de prsenter

    Lucius entrane une rponse limpratif :

    Quis ille? "Qui est celui-l?"Paucis accipe, "apprends-le en peu de mots."

    Avant que la narration ne commence vritablement, le narrataire reoit un dernier conseil :

    Lector intende : laetaberis, "lecteur, sois attentif : tu te rjouiras." Le dsir de maintenir le

    narrataire sous la coupe du narrateur qui exprime diverses reprises son statut de toute-

    puissance est constant tout au long du roman. Le narrataire est invit par des impratifs

    couter et connatre les diffrents rcits secondaires qui maillent la narration principale. Par

    exemple, en XI, 23, 5 : igitur audi, sed crede quae uera sunt, "coute donc et crois ce qui est

    vrai."21 Lucius exprime sa volont de faire connatre ce quil a appris au cours de ses

    prgrinations, comme en IX, 4, 422:cognoscimus lepidam de adulterio cuiusdam pauperis fabulam, quam uos etiam

    cognoscatis uolo."Nous entendmes raconter un joli rcit propos dun pauvre homme fait cocu, que

    je veux faire connatre vous aussi."

    La prsence dun prambule est ncessaire toute uvre. Quintilien23 rappelle que cest

    Homre qui a tabli le premier la "loi des exordes" et que lon doit prendre modle sur lui.

    17Apule,Met., I, 1.18E. Valette-Cagnac,La lecture Rome, Belin, 1997, p. 19-28.19 Quintilien, Inst. Orat., X, 5, 8 : Non enim scripta lectione secura transcurrimus, sed tractamus singula et

    necessario introspicimus.20Notons que le substantif argutias'emploie au sens figur, sauf dans cette occurrence.21Un ordre similaire est exprimen IX, 30; X, 2, 4.22

    La mme volontest exprime en IX, 14; X, 18.23Quintilien,Inst. Orat., X, 1, 48 :Nam et beniuolum auditorem inuocatione dearum, quas praesidere uatibus

    creditum est, et intentum proposita rerum magnitudine et docilem summa celeriter comprensa facit.

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    Homre a donn une triple fonction au prambule : il doit rendre lauditeur "bienveillant"

    (beniuolus) "en invoquant les desses", "attentif" (intentus) "en indiquant par avance

    limportance du sujet" et "dispos sinstruire" (docilis) "en donnant un rsumrapide de

    lintrigue". Apule confre bien au prologue ses trois fonctions, il indique quil va raconter

    une srie dhistoires varies qui ont pour sujet la mtamorphose, mais il se refuse donner un

    bref rsum de lintrigue. Le suspense devient un lment dcisif dans la captatiobeneuolentiae, cest lattente de linattendu, du merveilleux qui devient lhorizon dattente du

    lecteur.

    Aprs le prologue, Lucius sadresse douze fois directement au narrataire par le biais de

    pronoms et de formes verbales de la deuxime personne24: il utilise sept fois un vous

    collectif et cinq fois un tu qui individualise le destinataire. Enfin, quatre apostrophes

    nomment ce dernier lector25. Ces seize interventions se situent trois places stratgiques dans

    lconomie de luvre : au dbut (deux au livre I), au milieu, (deux au livre IV au moment de

    la description de la caverne habite par les brigands), la fin (trois au livre IX, cinq au livre X

    et quatre au livre XI). Cest le dernier quart de luvre qui est surtout concern par une

    volontde construire une certaine image du lecteur, de construire un rle et dinscrire dans lanarration la prsence stimulante de celui qui ne peut tre quabsent. Cest un moyen pour le

    narrateur, parmi dautres, de nourrir le rcit, de motiver lcriture et de lui donner une

    dynamique particulire. Ce lecteur imaginaire quil apostrophe est ce que Jean-Louis Dufays

    dfinit comme "une figure-relais destine prendre part de manire active la cration"26.

    Cette instance "dsirante" appelle la raction du lecteur rel qui saura lui donner vie. Celui-ci

    se trouve donc impliqu, de faon trs moderne, dans le travail mme de la cration littraire.

    Dans ce rapport dautorit, le narrateur se construit sur mesure un "lecteur modle" exigeant

    et svre avec lequel il engage une sorte de joute desprit ochacun rivalise dintelligence.

    Mais le jeu est ingal, car le narrateur est seul en manipuler les ficelles, comme les deux

    exemples suivants le montrent.En IV, 6, 2, Lucius dcide de dcrire la caverne quhabitent les brigands, ses premiers

    matres, et il introduit cette ekphrasisde manire humoristique :nam et meum simul periclitabor ingenium, et faxo uos quoque an mente etiam

    sensuque fuerim asinus sedulo sentiatis.

    je ferai lessai de mon talent en mme temps que je ferai en sorte que vous aussi

    vous jugiez de votre mieux si jtais ne aussi par lesprit et lintelligence .

    A la fin de la description, malgrlemploi du subjonctif daffirmation attnue qui adoucit sa

    volontde domination, Lucius considre sa tentative comme russie et il impose au narrataire

    ce jugement esthtique :ea tu bono certe meo periculo latronum dixeris atria.

    toi, tu pourrais dire que ctait bien llatrium de brigands grce ma tentative qui

    sest rvle assurment russie .27En IX, 30, Lucius interrompt son rcit de ladultre de lpouse du meunier pour prter son narrataire une

    objection ventuelle, ce qui est un moyen pour lui de justifier la vracitde son rcit :

    Sed forsitan lector scrupulosus reprehendens narratum meum sic argumentaberis :

    "Vnde autem tu, astutule asine, intra terminos pistrini contentus, quid secreto, ut

    adfirmas, mulieres gesserint scire potuisti?"

    24Le pronom uosapparat en IV, 6; IX, 4; X, 2; X, 7; X, 18; XI, 3. L'adjectif possessif uesterapparat en IX, 14.

    Le pronom tu est utilisen I, 1; IV, 6, 6; X, 2; XI, 23, 6; XI, 23, 7.25

    Met., I, 1; IX, 30; X, 2; XI, 23.26Jean-Louis Dufays,La lecture littraire, Klincksieck, 1998.27Met., IV, 6, 6.

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    Mais peut-tre, lecteur vtilleux, me feras-tu lobjection suivante pour critiquer

    mon rcit : "doas-tu pu savoir, toi, malin baudet, enfermque tu tais entre les

    murs dun moulin, ce que les femmes firent en secret?" 28

    Ladjectif scrupulosusqui qualifie le lectorpermet de dfinir en partie le profil du destinataire

    idal que le narrateur se donne : un lecteur attentif, soucieux du respect de la vraisemblance et

    pouvant donc rsister au pacte de foi quexige de lui le narrateur

    29

    . Mais qui croyait se moquerdun astutulus asinuset le prendre en flagrant dlit de mensonge est immdiatement tournen

    drision par la magistrale leon que ne manque pas de lui donner Lucius en racontant la fin de

    lhistoire et surtout comment il a pu la connatre. Le lectorest par trop scrupuleux !

    Ces effets dironie montrent toute la distance qui spare le narrateur de son narrataire. Mais

    trop maltraiter son narrataire serait dangereux, car cela pourrait mettre en pril la volontdu

    lecteur rel qui sidentifie ce narrataire de continuer sa lecture. Lironie est donc subtilement

    tempre par des apostrophes flatteuses qui rpondent au dessein explicitement noncpar le

    narrateur dans son prologue de "charmer oreilles" (permulceam). Par exemple, pour

    conserver ses bonnes grces, le lectorest qualifidoptime, d excellent en X, 2, 4 :Iam ergo, lector optime, scito te tragoediam, non fabulam legere et a socco ad

    coturunum ascendere."sache donc, lecteur excellent, que ce que tu lis est une tragdie, non une fable, et

    que tlves du socque au cothurne."

    En mme temps, laide hermneutique quapporte le narrateur est inutile, car quiconque lit le

    rcit de lamour dune belle-mre pour son beau-fils ne peut pas ne pas penser au mythe de

    Phdre racontauparavant par Euripide, puis par Snque. Le narrateur enfonce lune porte

    ouverte et il sesquive lorsque linterprtation du texte devient problmatique.

    La dernire question attribue au narrataire de la part de Lucius permet de cerner le genre de

    curiosit qui est cens animer le lector en XI, 23, 5 : peut-tre, lecteur studieux, te

    demandes-tu avec assez danxit ce qui ensuite fut dit, fut fait . Cest une manire

    dimpliquer le narrataire dans la cration de luvre et de rvler sommairement ses attentes.

    Mais Lucius ne peut rvler ce quil a vcu au cours de son initiation aux mystres dIsis. Le

    lectordoit viter une temeraria curiositas, une curiositsacrilge tout en tant peut-tre

    tenu en suspens par un pieux dsir 30. Lucius refuse alors de par une longue

    angoisse et accepte de rvler seulement ce quil est permis de raconter aux profanes. Si le

    topos romanesque de la curiositas du narrataire est exploit par Lucius, comme dans les

    romans grecs31, nous constatons que celui-ci impose des limites cette curiositqui, jusquau

    livre X desMtamorphoses, se repaissait de tout type de rcit (rcits fantastiques, mythiques

    ou milsiens) : le lector, suppos profane, ne peut partager la connaissance des mystres

    isiaques que Lucius possde en tant que prtre dIsis. Il se voit soumis la perspective

    impose par le narrateur. Cette intervention constitue une sorte de captatioinverse : en effet,

    quel est le lecteur qui accepterait de se reconnatre dans la figure dun lecteur sacrilge? Lelecteur perspicace que postule le texte doit comprendre que cette adresse du narrateur ne lui

    est pas destine. Du coup, le narrataire invoqudevient "le support du clin doeil ironique au

    narrataire effac"32avec lequel sidentifiera le lecteur rel.A dautres reprises, le narrateur intervient dans sa narration pour imposer une certaine forme de coopration. En

    X, 7, 3-4, il interrompt le rcit dun procs pour justifier sa vracit:

    28Met., IX, 30.29Voir l'analyse dtaille de J. J. Winkler,Auctor and Actor, A Narratological Reading of Apuleius's The Golden

    Ass, University of California Press, California, 1985, p. 57-98.30Met., XI, 23, 5 : nec te tamen desiderio forsitan religioso suspensum angore diutino cruciabo.31

    Voir notre analyse dans "Figures du narrateur et du narrataire dans les uvres d'Achille Tatius, Charitond'Aphrodisias et Apule", Collection de la Maison de l'Orient, 29, srie littraire et philosophique 7, 2001.32V. Jouve,La lecture, Hachette suprieur, 1993.

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    Haec ad istum modum gesta compluribus mutuo sermocinantibus cognoui. Quibus

    autem uerbis accusator urserit, quibus rebus diluerit reus ac prorsus orationes

    altercationesque neque ipse absens apud praesepium scire neque ad uos, quae

    ignoraui, possum enuntiare, sed quae plane comperi, ad istas litteras proferam.

    "La faon dont tout cela se passa, je lai sue par de nombreuses conversations que

    jai entendues. Quant aux termes mmes du rquisitoire de laccusation, aux

    arguments de laccuspour tenter de se dfendre et, de faon gnrale, aux discourset aux changes de rpliques survenus en mon absence, il me fut impossible de les

    connatre, ma mangeoire, et je ne puis vous dire ce que jignore, je vais seulement

    exposer ici ce que jai appris de faon certaine." (traduction de P. Grimal)

    Ce type dexplication va parfois jusqu la "surjustification"33, comme en XI, 3, 3 o le

    narrateur joue au "faux modeste" pour introduire la description de la desse Isis qui lui est

    apparue en songe :eius mirandam speciem ad uos etiam referre conitar, si tamen mihi disserendi

    tribuerit facultatem paupertas oris humani uel ipsum numen eius dapsilem copiam

    elocutilis facundiae subministrauerit.

    je mefforcerai de vous rapporter vous aussi sa merveilleuse apparition, si

    toutefois la pauvretdu langage humain maccorde la facultde lexposer en dtail

    ou si la divinitelle-mme fournit mon loquence une abondance magnifique de

    propos 34.

    Les interventions que nous venons danalyser sont toutes essentielles dans la constitution du

    "pacte" que veut passer le narrateur avec son destinataire et dans le souci quil manifeste de

    prendre en compte "lhorizon dattente" de celui-ci et de ne pas le dcevoir. Stratgie de

    sduction qui passe par des appels ritrs lcoute, la croyance, par des protestations de

    sincrit, par des explications, justifications et surjustifications. Ces nombreux signaux en

    direction du narrataire servent le manipuler, lentraner lole narrateur le dsire, tout en

    cherchant se concilier sa bienveillance. Ils veulent prvenir toute objection, convaincre de

    croire linvraisemblable, bref exercer une toute puissance sur le narrataire. Cest une

    stratgie qui semble totalement trangre au narrateur du Satiricon.La rflexion mtalinguistique va mme encore plus loin dans lesMtamorphoses, car Lucius

    le narrateur est en mme temps le personnage principal qui, tour tour, apprend, coute,

    mmorise les faits divers qui viendront nourrir le livre quun Chalden nommDiophanes lui

    a prdit quil crirait un jour : la fois conteur et public, il place son uvre au carrefour de

    "rencontres dune exprience de lcriture et dune thorie de la lecture"35. La reprsentation

    de Lucius en auditeur permet au lecteur rel de sidentifier en partie lui et de dfinir une

    forme de lecture souhaite.

    En fait, ce nest pas la mise en abyme de la lecture qui opre dans le roman latin, mais celle

    de lcoute dune parole. Les personnages qui jouent le rle de narrataire ne sont pas des

    lecteurs, mais les auditeurs dun conte, dune histoire, ou bien les spectateurs dune mise en

    scne. Le caractre oral de la lecture est vident dans le prologue des Mtamorphoses. Le

    narrateur se prsente comme un conteur, le lector, lui, doit faire deux oprations distinctes :

    dune part, parcourir des yeux la surface crite du papyrus, dautre part, prononcer pour lui-

    mme les mots qui y sont crits, par un "murmure" (susurrus) qui reprend celui du narrateur-

    conteur. Le texte parle par la mdiation du lecteur.

    Cette mise en abyme de la lecture-audition est particulirement vidente ds linsertion du

    premier rcit mtadigtique dans la trame narrative principale. Le premier narrateur

    secondaire qui apparat, Aristomne, introduit son rcit en insistant, comme le narrateur

    principal, sur sa vracitet en exigeant dtre cout: Mais auparavant, je vais jurer par ce

    33

    Nous empruntons ce terme G. Prince, "Introduction l'tude du narrataire", Potique, 14, 1973, p. 185.34Met., XI, 3, 3.35J. Aubert,Introduction au portrait de l'artiste en jeune homme, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1992, p. 21.

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    divin soleil qui voit tout que je ne rapporte que des faits vridiques et assurs et vous nen

    douterez plus quand vous parviendrez la ville la plus proche de Thessalie 36, affirme-t-il

    Lucius et au personnage anonyme qui laccompagne; audite, leur enjoint-il ensuite. Le rapport

    entre narrateur secondaire et personnages auditeurs permet de rflchir le rapport que le

    narrateur principal souhaite tablir avec le lecteur et lattitude que le premier attend du

    second. Lucius, lorsquil laisse la parole un narrateur secondaire comme Aristomne etprend le rle de lauditeur indique de manire on ne peut plus explicite comment doit se

    comporter le lectorlgard de son propre rcit : Moi seul, toi je te croirai , ego tibi solus

    haec () credam, reprenant la juxtaposition des pronoms personnels de la premire et de la

    seconde personne que nous avons trouve au dbut de luvre.

    Conclusion

    Le Satiriconsemble ne sadresser personne en particulier, mais le narrataire, tout invisible

    quil soit, nen existe pas moins pour autant et nest pas compltement oubli. Le lecteur de

    cette uvre est un "lecteur idal", car il na pas besoin dtre guidtravers le texte. Celui-ci

    postule une lecture libre, mais difficile et pige. Cest une lecture du silence, il faut tre initipour lui donner sens, inititout limplicite ptronien, ses clins doeil, son ironie. Cest en

    effet le recours lironie, la parodie, au brouillage du sens, qui aide construire

    lexprience hermneutique du lecteur et qui le guide dans son dchiffrage du sens de

    luvre. Pour le Satiricon, cette prise en compte semble le seul guide possible. Le plaisir de

    "brouiller les cartes", de jeter le lecteur dans la confusion est un vritable travail de sape de

    lillusion raliste et pousse le lecteur prendre ses distances vis--vis de la fiction. Du coup, il

    gagne la libertdune lecture dont il assume lentire responsabilit.

    Dans lesMtamorphoses dApule, le narrataire dsignpar le terme de lectornest certes pas

    un personnage, mais Lucius le prend si souvent partie quil assume un rle essentiel dans

    lconomie du rcit qui se donne pour enjeu la vracit, et donc la croyance du lecteur.Mais, si le narrateur Encolpe refuse dexercer un pouvoir que Lucius au contraire cherche

    imposer, les deux uvres refusent dassumer une fonction didactique et privilgient au

    contraire une fonction esthtique qui laisse au lecteur linitiative interprtative. Les fragments

    de luvre de Ptrone semblent suggrer une volontdlibre de ne pas dfinir le rle du

    lecteur et semblent accrditer le caractre inpuisable du sens qui se disperse dans la pluralit

    des niveaux de signification. Le narrateur Lucius, au contraire, fait de nombreuses

    interventions auprs du narrataire, ce qui suppose une volontde contrler jusquun certain

    point le processus de rception. Mais nous constatons qu la fin des Mtamorphoses, il

    nimpose pas une conclusion dtermine safabulaet laisse son "uvre ouverte" diverses

    interprtations qui ne sexcluent pas ncessairement.En dfinitive, les deux uvres latines sont "plurielles", mais nous pouvons toutefois

    introduire quelque nuance. Luvre de Ptrone semble du ctde la "dissmination" au sens

    olemploie Derrida : "ce nest pas seulement un renoncement la cohrence et un refus de

    conclure, mais une entreprise volontaire de dstabilisation des significations, lintroduction

    concerte dune tension, dune oscillation entre les valeurs du strotype, et partant du

    texte."37Luvre dApule, elle, se situe plutt du ctde lambivalence : "elle ne dtruit pas

    la cohrence du texte, mais la rend problmatique en affirmant lunitpar-della duplicit, le

    sens par-delle non-sens."38

    36

    Met., I, 5, 2 : nec uos ulterius dubitabitis si Thessaliae proximam ciuitatem perueneritis.37J.-L. Dufays, Strotype et lecture, Mardaga, 1994, p. 273.38Ibid., p. 273.

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    Il est dsormais admis que luvre antique de fiction crite en prose est "au confluent de tous

    les genres"39 et ne se dfinit par aucun terme prcis dans la langue latine. Elle est

    transgnrique. Par consquent, la diffrence des autres genres littraires parfaitement bien

    codifis et dont les destinataires sont identifiables, les fragments du Satiricon et les

    Mtamorphoses construisent limage dun lector anonyme, quil nest plus possible

    dindividualiser, et poursuivent ainsi la construction dun lecteur gnrique que les potesaugustens, et au premier chef Ovide, ont dj invent. Ces uvres tmoignent ainsi de

    llargissement du public lettr leur poque. Elles prnent laffranchissement du sens

    univoque du texte : la lecture devient, avec elles, apprentissage de la libert. Laventure de la

    libertque reprsente la lecture est bien indique par la mtaphore de la marche et du voyage

    qui est lune des plus utilises par les crivains antiques pour dcrire lactivitdu lecteur40.

    Elle est prsente dans lesMtamorphoses: Lucius remercie Aristomne de lui avoir racont

    une si belle histoire pendant son voyage et de lui avoir permis de parvenir la ville "portnon

    pas sur le dos de sa monture, mais par oreilles" 41: lcriture est le chemin sur lequel le

    lecteur doit sengager et progresser, la lecture est un voyage.

    39

    P. Grimal, Introduction auxRomans grecs et latins, Gallimard, NRF, Bibliothque de la Pliade, 1958.40Voir E. Valette-Cagnac, op. cit., p. 34-42.41Met., I, 20, 6.