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Frères N° 27 Bien Aimés 17 juin 2005 _________________________________________________________________________ Thème de la réunion: « L'Amour Fou » En guise de préliminaire : " Est fou celui qui est pur de tout pouvoir. – Quoi, il ne connaît aucune excitation de pouvoir, l'amoureux ? L'assujettissement est pourtant mon affaire : assujetti, voulant assujettir, j'éprouve à ma manière l'envie de pouvoir, la libido dominandi : est-ce que je ne dispose pas, à l'égal des systèmes politiques, d'un discours bien fait, c'est-à-dire fort, délié, articulé ? Cependant, c'est là ma singularité, ma libido est absolument enfermée : je n'habite aucun autre espace que le duel amoureux : pas un atome de dehors, donc pas un atome de grégarité : je suis fou: non que je sois original (ruse grossière de la conformité), mais parce que je suis coupé de toute socialité. Si les autres hommes sont toujours, à des degrés divers, les militants de quelque chose, je ne suis, moi, soldat de rien, pas même de ma propre folie : je ne socialise pas (comme on dit de tel autre qu'il ne symbolise pas). (Peut-être reconnaître ici la coupure très singulière qui disjoint, dans l'Amoureux, la volonté de puissance – dont est marquée la qualité de sa force – de la volonté de pouvoir – dont elle est exempte ?) " Roland BARTHES (Fragments d'un discours amoureux)

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ne suis, moi, soldat de rien, pas même de ma propre folie : je ne socialise pas (comme on dit de tel autre qu'il ne symbolise pas). absolument enfermée : je n'habite aucun autre espace que le duel amoureux : pas un atome de dehors, donc pas un atome de grégarité : Thème de la réunion: « L'Amour Fou » l'envie de pouvoir, la libido dominandi : est-ce que je ne dispose pas, à je suis fou: non que je sois original (ruse grossière de la conformité), En guise de préliminaire :

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Frères N° 27

Bien Aimés

17 juin 2005 _________________________________________________________________________

Thème de la réunion: « L'Amour Fou » En guise de préliminaire :

" Est fou celui qui est pur de tout pouvoir. – Quoi, il ne connaît aucune excitation de pouvoir, l'amoureux ? L'assujettissement est pourtant mon affaire : assujetti, voulant assujettir, j'éprouve à ma manière l'envie de pouvoir, la libido dominandi : est-ce que je ne dispose pas, à l'égal des systèmes politiques, d'un discours bien fait, c'est-à-dire fort, délié, articulé ? Cependant, c'est là ma singularité, ma libido est absolument enfermée : je n'habite aucun autre espace que le duel amoureux : pas un atome de dehors, donc pas un atome de grégarité : je suis fou: non que je sois original (ruse grossière de la conformité), mais parce que je suis coupé de toute socialité. Si les autres hommes sont toujours, à des degrés divers, les militants de quelque chose, je ne suis, moi, soldat de rien, pas même de ma propre folie : je ne socialise pas (comme on dit de tel autre qu'il ne symbolise pas). (Peut-être reconnaître ici la coupure très singulière qui disjoint, dans l'Amoureux, la volonté de puissance – dont est marquée la qualité de sa force – de la volonté de pouvoir – dont elle est exempte ?) "

Roland BARTHES (Fragments d'un discours amoureux)

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L’Amour Fou. Nous sommes tous pétris d’un amour fou. Fol que tu es d’aimer le genre humain qui n’est que guerre et possession. Mais nous sommes des Francs-maçons et nous aimons d’un amour fou, parce qu’utopique, nos FF.’. êtres humains. Nous sommes le breuvage d’un hypothétique amour universel. Chacun de nous peut dire : je sors de l’eau primordiale, vers toi qui me crée. Je sors source ruisselante, pure et fraîche de la Terre. Vers toi je coule, autre source, nos eaux se mélangent pour former rivières et fleuves. Nous courons vers l’Océan des connaissances, vaste étendue des mers du savoir. Mais que savons-nous ? Que nous existons, qu’en nous est un feu sacré, qui brûle tel un feu grégeois éclairant la mer pour un instant, tel une torche qui traverse le temps non formé, nous sommes l’instant, le passé, le présent et le futur. Espoir de l’amour des hommes, Lune et Soleil assemblés qui daignent nous éclairer sur l’anxiété qui nous possède ; doute de nous-mêmes et doutes des autres. Il ne faut pourtant pas ignorer ou rejeter, en fait de vertus des hommes, ce qui est étranger à sa propre nature. Nous sommes et demeurons, nous avançons pour nous améliorer, pour nous perfectionner, pour nous élever. C’est cet amour fou que nous portons sur l’homme qui donne le feu qui va éclairer les pierres vides formant la construction de notre Temple intérieur. C’est la

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chaleur de la flamme qui va entrer dans le Temple froid et vide, et le remplir de la spiritualité qui va l’animer. C’est pour cela que nous ne devons considérer de nous que ce qui peut être utile au bien commun et rejeter au loin ce qui amoindrit notre esprit. Je sais que ce n’est pas facile, en ces temps égoïstes, où il est trop commun de n’apprécier que ses propres qualités ou leurs reflets dans des êtres semblables à soi même ou pire encore dans l’égoïsme, l’hypocrisie ou la vanité. Elle est trop constante, et d’une attristante monotonie, l’actuelle habitude de s’exclure du reste des hommes et de se voir au-dessus d’eux. Une élite qui regarde de son haut promontoire le peuple d’en bas ‘’ la plèbe ‘’… Le poète a dit ‘’ Si c’est ça la racaille hé bien j’en suis ! ‘’. Car nous le savons, tout cela est vain, et n’a, qui plus est, aucune vérité dans sa recherche ; nous ne sommes qu’un éclair dans les millénaires de la Terre. Une partie de la vérité est peut-être la : faible tison, réchauffons et éclairons du mieux que nous le pouvons la parcelle d’humanité que nous traversons. Chacun est ce qu’il est et il a toujours quelque talent pour, en quelques points, m’être supérieur. Mon F.’. de la colonne d’en face, ta connaissance m’apporte lumière et savoir. Et pourtant toi seul mon F.’. peux me reconnaître "comme tel". Ici dans nos Temples maçonniques, placés hors du temps et de l’espace, le temps révolu est accueilli dignement, avec respect et amour lors de la Chaîne d’Union, rappelée sur nos murs par la Corde à nœuds et ses Lacs d’amour. J’aime que nous les appelions ainsi ces entrelacs de corde, car pour aimer que ce soient les êtres humains, les animaux ou simplement la nature, il faut être deux : l’émetteur de sensation et le récepteur de sentiment, ce qui chez les êtres vivants peut être réciproque. Ho ! J’oubliais, il y a les égoïstes et les narcissiques qui n’aiment qu’eux ; et j’ai peur qu’il y en ait de plus en plus. Car à l’extérieur, dans la vie profane, de nombreux insensés écrasent jour après jour leurs FF.’. puisque seuls eux et leur présent existent. Ils ne voient pas que nous sommes tissés entièrement du passé, lointain ou proche. Pour l’archer, l’action ultime est la flèche décochée, il s’identifie à elle. Mais l’arc, le bras, l’adresse lentement formée, toute la puissance de la corde patiemment torsadée, c’est le passé précieux sans lequel jamais la flèche ne fuira fendre l’étendue de l’espace.

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Nous sommes comme la flèche, tendus vers la cible. Faits de l’accumulation d’amour qu’ont mis en nous nos anciens M.’., ces M.’. passés évoqués dans la Chaîne d’Union. Ce sont eux qui nous ont transmis cet espoir insensé de parvenir, à travers cette immensité de rejets des hommes vis à vis d’autres, vers l’Amour fou, utopie suprême, d’une humanité aimante, exaltée de Liberté et d’Egalité, noyée de Fraternité et pouvant s’abreuver à la source de la Solidarité Universelle sourdant de la Nature dont nous ne sommes qu’un brin d’herbe tout juste plus sophistiqué. Je sors de l’eau primaire vers toi qui me crée. J’ai dit J.F.L

L'amour fou C'est quoi?

Deux mots qui de prime abord semblent antinomiques, mais qui finalement ne vont pas si mal ensemble: Amour et fou…. Est-ce l'amour qui est fou? Ou bien dois-je comprendre qu'il faut être fou pour aimer??? Faut-il être fou pour pouvoir aimer d'amour fou? Et d'abord de quel amour parle t–on? De l'amour entre parents et enfants, le premier que l'on découvre? Ou de l'amour entre deux amants? Et qu'est-ce que l'amour? D'ordinaire: l'amour est considéré comme une affection réciproque entre deux personnes incluant aussi bien la tendresse que l'attirance physique. Ce qui pourrait être défini comme une tendance à s'unir avec l'autre, c'est-à-dire soit à le posséder continuellement, soit à former un tout avec lui. Les poètes ont souvent chanté cet amour: Avec beaucoup de justesse comme Ronsard qui en l'associant à la fuite du temps en fait un remède éphémère contre l'inéluctable fin de la vie.

"Mignonne allons voir si la rose qui ce matin avait déclose sa robe de pourpre au soleil…."

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Ou bien avec une féroce ironie comme Serge Gainsbourg, lorsqu'il donne "La Recette de l'Amour fou"

" Dans un boudoir introduisez un cœur bien tendre Sur canapé laissez s'asseoir et se détendre Versez une larme de porto….. etc.

Ou bien encore de manière allégorique comme Musset:

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage…

Nous connaissons tous la suite…. Mais l'amour n'est pas que cela; l'amour est par excellence le moteur de la philosophie, définie à l'origine comme "amour de la sagesse". C'est chez Platon aspiration au beau et au bien, c'est-à-dire à l'absolu. En affirmant que l'amour est le véritable ressort de la philosophie (Le banquet), Platon découvre la place centrale de ce concept.

Encore convient-il de distinguer soigneusement l'amour égoïste et possessif qui poursuit l'autre comme un objet à dévorer …"l'amant aime l'amant comme le loup aime l'agneau" et l'amour authentique qui délivre de la souffrance du désir et conduit l'âme jusqu'au banquet divin. Car l'amour véritable – très vite rassasié par les nourritures sensibles – ne peut être comblé que par la contemplation, par-delà le beau, du vrai et du bien.

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La quête du Graal peut être considérée comme la quête de l'amour fou, mais cet amour, romanesque, fondé sur la non-réalisation du désir, sur la séparation plutôt que sur l'union, me semble trop être source de frustration pour permettre d'accéder à l'amour fou. Ainsi Lancelot personnage étonnamment humain, en aimant Guenièvre charnellement et non seulement en esprit, trahit l'idéal de chevalerie et perd l'accès au Graal, nous dit la légende. Mais est-ce certain? Et si simplement il empruntait un autre chemin?... Pour moi, l'amour fou est fort semblable à l'Agape de Platon. Il est au-delà de la passion, parce qu'il est lucide et actif. L'amour fou, c'est ce qui permet de voir la beauté du vrai, du bien, au-delà des apparences, au-delà du réel. L'amour fou ne voit pas avec les yeux, non pas parce qu'il est aveugle, mais parce qu'il regarde, au-delà des contingences du monde physique. L'amour fou est un élan conjoint de la tête et du cœur qui va d'âme à âme en une communication totale. Le Serpent Vert du conte fantastique écrit par Goethe me semble être la réalisation de cet amour fou. Goethe, philosophe, alchimiste et Franc-Maçon n'a pas choisi comme héros un serpent par hasard. Le Serpent Vert animal froid, humide, est le Cherchant, il digère l'or et devient lumineux, ce qui lui permet de reconnaître les Rois de la Crypte où il précède le Vieux à la Lampe dont la Sagesse projette une clarté sans ombre. Le Serpent vert peut devenir ainsi un pont qui relie les 2 rives du fleuve: passé, présent. Il symbolise alors celui qui transmet, c'est-à-dire celui qui relie le passé et le présent par amour pour l'Humanité. Le Serpent Vert symbolise la voie Humide, plus longue que la voie sèche.

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La voie sèche plus rapide, est celle du feu, elle n'a pas été choisie, car trop dangereuse. Dans le conte de Goethe, les feux follets qui l'ont choisie, dévorés par l'ambition, ne sont en fait que des clowns brillants et vides, il ne réaliseront rien car ils sont trop préoccupés par la contemplation et la satisfaction primaire de leur ego. La Voie Humide est celle du cœur. L'humidité c'est l'âme qui pleure de compassion. Mais cette voie permet, quand on la suit, avec comme compagnons la compassion et l'empathie, de découvrir l'Amour Fou. Si l'on sait réaliser que le temps n'existe pas, si l'on sait comprendre la nature et ses lois, alors on peut comprendre qu'il n'y a qu'un seul amour, et que cet amour est plus fort que la mort. J'ai dit V∴M∴ E.S.R Annexes: La Recette de l'Amour fou (Serge Gainsbourg) Dans un boudoir introduisez un cœur bien tendre Sur canapé laissez s'asseoir et se détendre Versez une larme de porto Et puis mettez-vous au piano Jouez Chopin Avec dédain Égrenez vos accords Et s'il s'endort Alors là, jetez-le dehors Le second soir faites revenir ce cœur bien tendre Faites mijoter trois bons quarts d'heure à vous attendre Et s'il n'est pas encore parti Soyez-en sûr c'est qu'il est cuit Sans vous trahir Laissez frémir Faites attendre encore Et s'il s'endort Alors là, jetez-le dehors Le lendemain il ne tient qu'à vous d'être tendre Tamisez toutes les lumières et sans attendre Jouez la farce du grand amour Dites " jamais " dites " toujours " Et consommez Sur canapé Mais après les transports Ah ! s'il s'endort Alors là, foutez-le dehors

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LA MUSE (Musset) Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure Que les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur; Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s'abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lent une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte; En vain il a des mers fouillé la profondeur; L'océan était vide et la plage déserte; Pour toute nourriture il apporte son cœur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre, Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur; Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort se recommande à Dieu. Poète, c'est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps; Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées, De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur, Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ; Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant; Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

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" L’unité réunit tous les enfants de la lumière en un seul faisceau, en un seul courant d’amour et de joie, en une seule affirmation d’identité suprême…" " Initié…te voici fort, car relié à la puissance du courant d’amour vivant universel, qui embrase les êtres et les choses." Ces phrases, extraites du rituel du 87ème degré (Régime de Naples) ne sont pas de banales phrases pour celui qui les entend pour la première fois. Le cheminement qu'il a parcouru durant sa vie maçonnique lui a appris à différencier ce qui relève de la démarche initiatique, de l'étude des mystères de l'univers et de l'homme, et de ce qui relève plus prosaïquement des objectifs d'autres institutions à but humanitaire. Il a aussi appris, dans la mesure où il se sent investi d'une mission de gardien de la Tradition, qu'il est nécessaire mais insuffisant de se contenter de la retransmettre telle quelle, tant les voies successives en lesquelles elle se diversifia ne peuvent susciter que palabres, mises en appositions, voire en oppositions, lesquelles ne peuvent mener qu'à une diffraction de la lumière où franges d'amour et de haine se côtoient sans espoir de fusion. Il a appris enfin, au terme d'une longue quête initiatique, à devenir Hiram, c'est-à-dire " à se relever vivant ", à construire en lui-même un corps immatériel de "résurrection ", un " corps de gloire " comme l'appelait Cagliostro. Il s'est préparé à recevoir le secret de l'immortalité.

XXX

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Il y a une cinquantaine d'années, un poète disparaissait qui nous avait laissé entrevoir un monde surréel, au-delà de la banale réalité matérielle, décrivant une vie dont nous aurions perdu même le souvenir:

" L'homme, regardez-le bien, va vers le singe, il n'y a pas à s'en étonner. Cette baudruche risible dérive de l'androgyne, une espèce d'oiseau-roi qui a mangé sa couronne, un génie qui a mis ses ailes au secret. Il a perdu le souvenir des temps heureux où le ciel ouvrait, fermait dans son cœur ses paupières de nuit. Il ignore que dans une autre vie qu'il a eue, la lumière ne le séparait pas de celui qu'il était; et ne venait à lui que pour donner tout le poids et toute l'étendue du bonheur à ce qui dans son moi était le plus opaque, le plus profond, et comme l'être de son être. Tout ce qui se pressait vers lui de plus éclatant lui ramassait son être en route, lui donnant un univers à connaître dans la simple idée qu'il était vivant. Maintenant ce n'est plus qu'un jeu, le plus vain de tous, d'imaginer un individu commençant dansl'illimité; mais qui aurait sa forme au-dedans de lui – comme une main ouverte, comme une main fermée sur la totalité de ce qu'il pourrait concevoir et qui ne serait jamais l'immensité que de son amour."

Joë Bousquet

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C'est l'histoire d'un Être, avant la création du monde, portant en lui le devenir de l'univers infini, " materia prima " éternelle que la lumière transmue au cours du temps en Rebis, et qui régresse peu à peu, passant au stade de l'homme puis inevitablement à celui de l'animal, oubliant qu'il fut un jour parcelle de celui qui créa ce monde. Que nous apporte notre initiation, sinon de nous aider à prendre conscience que nous portons au plus profond de nous-mêmes, comme cet " individu commençant dans l'illimité " dont parle le poète, notre forme réelle, non pas cette forme de baudruche que nous voyons chaque matin dans le miroir, simulacre d'ange ayant perdu ses ailes, mais projection de la forme originelle qui vivait en son néant opaque. C'est l'espace bleu qui met une distance entre nous et la réalité des choses. C'est le temps d'un battement de cœur qui nous fait attendre le suivant et nous laisse croire que le temps s'égrène comme sable en sablier, avec un commencement et une fin, alors que nous portons en nous une infinité de potentiels mais que nous ne sommes plus capables de concevoir notre infinitude. C'est un autre poète, qui écrit :

« En tout homme rés dent deux êtres : l'un éve é dans lesténèbres, l'autre assoupi dans la lumière. »

i ill

Khalil Gibran Et Francis Ponge écrit :

"Il ne faut cesser de s'enfoncer dans sa nuit: c'est alors que brusquement la lumière se fait."

Nous croyons vivre dans la lumière du jour, l'inéluctable lumière qui succède à l'obscurité de la nuit, nous laissant croire qu'elle est le reflet de la vie puisqu'elle appelle tous les êtres à s'éveiller et à reprendre leur chemin sur la route du temps. En réalité, il ne s'agit là que d'une lumière matérielle, une lumière dotée de substance, celle pour laquelle l'Ecriture hébraïque emploie le mot " yetsirah " (ou formation), tandis qu'elle se sert du terme " beriah " (ou création), au sujet des ténèbres qui n'ont pas de substance.

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Pour rester dans l'Ecriture hébraïque, c'est le mot " Or ", qui rend compte de la lumière du jour, celle que nous percevons dans l'embrasement du soleil levant ou le feu du soleil couchant. En guématrie, " Or " correspond à " ayn sof ", l'infini sans fin, la lumière primordiale, celle qui précède les mondes créés, dont une parcelle parvient à l'homme. Mais il est une autre lumière, claire, splendide, que l'on nomme "Or bahir ". C'est la lumière qui cache l'Unité absolue, plus concrètement, parce qu'elle contient aussi la notion d'élévation, celle que l'on ressent lorsque l'on parvient au sommet d'une montagne, ou au sommet de sa propre conscience. On rejoint alors le mysticisme d'Albert Einstein :

" L'émotion la plus belle que nous pouvons expérimenter estla mystique. Celui pour qui cette émotion est étrangère est aussi bien mort. Savoir que ce qui nous est impénétrable existe réellement, se manifestant soi même comme la plus haute sagesse et la beauté la plus rayonnante , que nos facultés obscurcies ne peuvent comprendre que dans leurs formes les plus primitives. Cette connaissance, ce sentiment, est au centre de la vraie religiosité. Dans ce sens, et dans ce sens seulement, j'appartiens aux rangs des êtres humains profondément religieux."

-

Un air de musique, une mélopée que nous croyons reconnaître, nous apporte une bouffée de passé aussi légère et volatile qu'une volute de fumée. Ressenti d'émotions contenues qui nous transportent dans le temps, nous rappelant que nous portons encore en nous l'être que nous étions hier, apparemment il y a si longtemps… Un regard croisé dans la rue, une impression de déjà vu, de connu, comme deux aimants mus par les mêmes lois universelles pourraient se sentir attirés l'un vers l'autre… Mais, le temps presse, et l'autre va, passant passé se mêlant à la foule anonyme, repartant solitaire vers son destin… Qu'importe puisque me reste le ressenti d'un instant fugitif, impalpable, d'un don d'amour sans partage. " L’amour est unilatéral, absolu et ne s’inquiète nullement d’être payé de retour, comme la lumière du soleil, qui luit sur tout et sur tous, indistinctement, amis comme ennemis. C’est l’amour tel qu’il fut prêché par le Christ qui a communiqué à sa doctrine l’étonnante vitalité que l’on peut constater. La loi d’amour cultivée permet à elle seule d’atteindre les plus hauts sommets de l’évolution humaine." Loi d’Amour Rituel du 89ème degré (régime de Naples)

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L'amour….mais quel amour ? Sans aucun doute celui qui fut prêché par le Christ, que l'on considère ce dernier comme le fils de Dieu ou comme un simple mortel. C'est l'amour de celui qui dira qu'il est venu non pour les justes mais pour les pécheurs et qu'il est venu sauver ce qui était perdu. C'est l'amour de celui qui ne craint pas de se compromettre avec ces pécheurs pour en faire ses amis. C'est l'amour de celui qui donne sa vie pour ses amis. La folie, c'est de se sentir solidaire de ceux qui sont rejetés. C'est le prophète Osée qui dit :

" Je les tirai avec des liens d'humanité, avec des cordages d amour Je fus pour eux comme celui qui aurait relâché le jougprès de leur bouche, Et je leur présentai de la nourriture." ' ,

Notre folie, c'est de savoir donner ce que l'on ne possède pas. Khalil Gibran dit encore :

" Le maître qui marche parmi les disciples, à l'ombre du temple, ne donne pas de sa sagesse, mais plutôt de sa foi et de sa capacité d'amour. S'il est vraiment sage, il ne vous invite pas à entrer dans la demeure de sa sagesse. Il vous conduit jusqu'au seuil de votre esprit."

En fait, notre folie ressort partiellement de cette activité que revendiquaient au siècle dernier les surréalistes : c'est, hors de toute révélation divine, tendre vers ce " point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement ". Second manifeste surréaliste (1930) Nous pourrions ajouter que le croyant peut, lui aussi, tendre vers ce point de l'esprit, et au-delà de la religiosité, que tout être aimant puisse éprouver un amour fou pour une autre personne. Reste que cet amour fou qui ne demande rien en retour, qui peut tout autant se tourner vers l'Être que nous étions hier que vers les plus démunis d'amour d'aujourd'hui ou vers l'Un en qui nous souhaiterions nous réintégrer ensemble demain, cet amour fou semble encore plus étrange à ceux qui ne voient autour d'eux que haine et désagrégation.

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Ne peuvent effectivement ressentir d'amour fou que ceux qui pensent au plus profond d'eux-mêmes qu'il " est possible de changer, dans son propre esprit et dans l’esprit des autres, les vibrations de haine en vibrations d’amour." Loi de polarité Rituel du 89ème degré (régime de Naples) Quel défi, mais aussi quelle extase ! Comme l'écrivait un ami d'André Breton : " Un amour fou ne se remplace pas, ne s’efface pas, ne s’oublie pas. Un amour fou ne meurt jamais, un autre amour fou lui succède, c’est tout. Et nous sommes faits de tous ces amours fous, de leur coexistence, de leurs strates, on aura beau creuser en nous, on ne trouvera jamais que de l’amour fou."

Manifeste pour le surréalisme février 2003, par Dominique Dussidour

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