faire l'unification de l'europe ou la subir dans le figaro (17 octobre 1951)

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"Faire l'unification de l'Europe ou la subir" dans Le Figaro (17 octobre 1951) Légende: Le 17 octobre 1951, le quotidien français Le Figaro souligne l'importance historique du plan Schuman et insiste sur les aspects révolutionnaires des changements qui accompagneront la mise en place d'une Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) pour les économies nationales des Six. L'auteur note cependant que les opinions publiques ne sont pas conscientes des bouleversements importants qui se produiront. Source: Le Figaro. 17.10.1951. Paris. Copyright: (c) Le Figaro URL: http://www.cvce.eu/obj/"faire_l_unification_de_l_europe_ou_la_subir"_dans_le_figaro_17_octobre_1951-fr- b76d52ac-9d72-440a-bab3-bd62d5a83313.html Date de dernière mise à jour: 20/09/2012 1 / 2 20/09/2012

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Faire l'Unification de l'Europe Ou La Subir Dans Le Figaro (17 Octobre 1951)

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  • "Faire l'unification de l'Europe ou la subir" dans Le Figaro (17 octobre 1951)

    Lgende: Le 17 octobre 1951, le quotidien franais Le Figaro souligne l'importance historique du plan Schuman etinsiste sur les aspects rvolutionnaires des changements qui accompagneront la mise en place d'une Communauteuropenne du charbon et de l'acier (CECA) pour les conomies nationales des Six. L'auteur note cependant que lesopinions publiques ne sont pas conscientes des bouleversements importants qui se produiront.Source: Le Figaro. 17.10.1951. Paris.Copyright: (c) Le FigaroURL: http://www.cvce.eu/obj/"faire_l_unification_de_l_europe_ou_la_subir"_dans_le_figaro_17_octobre_1951-fr-b76d52ac-9d72-440a-bab3-bd62d5a83313.htmlDate de dernire mise jour: 20/09/2012

    1 / 2 20/09/2012

  • Faire lunification de lEurope ou la subir

    par Jean SCHLUMBERGER

    On a dit du plan Schuman qu'il n'tait pas une rforme mais une rvolution. Le terme est exact, dans la mesure o le plan porte atteinte au principe, jusqu' prsent incontest, des souverainets nationales principe quasi mystique, que chaque peuple s'est habitu considrer comme la charte de sa libert et comme la citadelle de son honneur. Chercher poser les premires assises d'une organisation europenne en s'attaquant cette forme suranne du droit divin, crer autour du charbon et de l'acier la premire cellule d'une conomie supranationale, c'est proprement franchir une ligne de partage des eaux ; c'est quitter le bassin historique dans lequel les Etats ont vcu depuis des sicles, et c'est s'avancer vers une autre zone, vers un autre rseau fluvial, qui tend vers d'autres mers : vnement irrversible, car s'engager sur la nouvelle pente, c'est prendre une dcision qui ne permettra pas de regards en arrire.

    Or l'opinion ne semble consciente ni du danger que prsenterait toute hsitation devant ce pas dcisif ni de l'espoir qu'il apporte en ouvrant une brche dans l'impasse o pitine l'Occident. Une des raisons de cette indiffrence tient au mot mme de plan , qui a peut-tre une vertu stimulante pour des esprits de pure formation marxiste, mais qui n'voque, pour des oreilles franaises, que des diagrammes de statisticiens, sans rien qui parle l'imagination, sans rien de soulevant. On ne saurait tenir en trop d'estime l'aversion de M. Robert Schuman pour tout recours au battage dmagogique, mais c'est humilier une grande ide que de la prsenter trop modestement. Il peut, hlas ! tre ncessaire de la minimiser devant un Parlement qui n'y cherchera que des arguties pour ou contre tel ministre ; il peut tre sage de la glisser sans bruit parmi les affaires courantes ; mais ce n'est pas le moyen de lui conqurir le prestige qui permettra son essor et ce n'est pas la placer au niveau qui lgitimera les sacrifices invitables.

    Car il est vident que l'ajustement l'une l'autre de deux conomies nationales ne peut s'effectuer sans lser maints intrts particuliers. Mais l'tat de l'Europe n'est plus de ceux qu'on soigne comme un rhume, par des tisanes et des grogs ; il est assez grave pour ncessiter une opration chirurgicale qui n'ira pas sans souffrances ni secousses. Il y aura, des deux cots, des sacrifis et des bnficiaires ; et, comme il arrive toujours en pareil cas, les sacrifis pousseront des cris, remueront ciel et terre, protesteront qu'on trahit la patrie, tandis que les bnficiaires se frotteront les mains sans dire mot, aussi ravis de l'aubaine que soucieux de ne pas s'en vanter. On comprend l'inquitude de certaines industries franaises l'ide des prolongements vraisemblables du plan ; on comprend celle des viticulteurs allemands, des fabricants de parfums et de mainte autre corporation menace. Toute une moiti de la France, celle qui vit de l'agriculture, se trouverait immensment favorise par la cration de dbouchs au-del du Rhin ; mais la paysannerie, incapable d'une action coordonne, n'lvera que faiblement la voix pour faire valoir ce que le bilan de l'opration comportera de positif. Si l'unification de l'Europe devait attendre l'acquiescement de tous les intrts particuliers, elle ne se ferait jamais. Aussi la torpille-t-on si, d'emble, on ne la place pas sur le seul terrain de l'intrt gnral, qui, lui, ne peut attendre.

    Que le plan Schuman implique un acte de foi, la chose est vidente. Ses dtracteurs dclarent que c'est l sa faiblesse, mais ne serait-il pas plus juste de penser que c'est une de ses forces ? Les petites scurits, cherches dans des ngociations de clocher clocher, n'intressent plus personne tant elles sont manifestement drisoires en regard des dangers qui menacent. Les efforts ncessaires ne seront accepts que sous la pousse d'un espoir. Aussi est-ce montrer un judicieux sens politique et faire proprement uvre de raison que de proposer une perspective de salut dont l'apparence aventureuse fait appel un peu de foi. Puisque l'unification de l'Europe occidentale va se faire d'une manire ou d'une autre, le temps des petits Etats tant rvolu, nous n'avons d'autre choix que de nous laisser unifier par le fameux rouleau compresseur ou d'oprer nous-mmes notre jonction dans la libert.

    2 / 2 20/09/2012