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Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 1 Faculté de Droit de Grenoble L1 - Enseignement A Distance Université Pierre Mendès France GRANDS PROBLEMES ECONOMIQUES Par Yann ECHINARD U.F.R. d’économie, stratégies, entreprise

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Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 1

Faculté de Droit de Grenoble L1 - Enseignement A Distance

Université Pierre Mendès France

GRANDS PROBLEMES ECONOMIQUES

Par Yann ECHINARD U.F.R. d’économie, stratégies, entreprise

Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 2

SOMMAIRE

PRESENTATION GENERALE DU COURS

INTRODUCTION GENERALE

PARTIE 1 – LES GRANDES TRANSFORMATIONS CHAPITRE 1 - EVOLUTION DES FINANCES PUBLIQUES ET DU ROLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

I - Les finances publiques en longue période II - Les finances publiques dans une perspective plus récente

CHAPITRE 2 - INTEGRATION ECONOMIQUE EUROPEENNE I - L'Europe de l'après-guerre et des pères fondateurs II - L'Europe du marché commun au Grand marché

CHAPITRE 3 – LES ENJEUX ECONOMIQUES DU CINQUIEME ELARGISSEMENT I – Période de pré-adhésion : tansition, insertion et destruction

II – Les enjeux futurs

CHAPITRE 4 - LA MONDIALISATION DES ECONOMIES I – La mondialisation en question

II - Quelques limites au discours “ dominant ”

PARTIE 2 – LES EFFETS DES GRANDES TRANSFORMATIONS SUR LA CONDUITE DES

POLITIQUES ECONOMIQUES CHAPITRE 5 - OUVERTURE ET POLITIQUES ECONOMIQUES

I - L’économie française face à la contrainte externe II - Ouverture croissante des économies et efficacité des politiques conjoncturelles

CHAPITRE 6 – DESINFLATION ET MARCHE VERS LA MONNAIE UNIQUE I - L’incontournable politique de désinflation

II – Les limites de la coopération monétaire européenne

CHAPITRE 7 – LA POLITIQUE MONETAIRE I - La politique monétaire en général

II - L’union monétaire européenne en particulier

CHAPITRE 8 – LA FRANCE ET L’EURO : VERS UN MONDE NOUVEAU… I - Les transformations

II - Les conditions de réussite

CHAPITRE 9 – LES POLITIQUES BUDGETAIRES EN UEM I – Les contraintes d’équilibre

II - Coordination ou coopération

CHAPITRE 9 – LE FONDS EUROPEEN D’AJUSTEMENT A LA MONDIALISATION I – Les origines du fonds II – Le dispositif du fonds

III – La dimension sociale du fonds IV – Quelques interrogations sur les modalités d’intervention

TABLE DES MATIERES

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PRESENTATION GENERALE DU COURS Présentation personnelle

Je me présente, je suis Yann ECHINARD, votre chargé de cours. Je suis maître de conférences à la faculté de sciences économiques. Je travaille en tant que chercheur au Centre de Recherche Economique sur les Politiques Publiques dans une Economie de Marché.

Mes travaux de recherche portent sur l’intégration économique européenne et plus

particulièrement sur les implications budgétaires de l’union monétaire européenne ainsi que sur le mouvement de régionalisation européenne vis-à-vis de la mondialisation.

Vous pouvez me contacter par mail à l’adresse suivante : [email protected]

Economie et sciences sociales

Si l’économie peut paraître exotique pour des étudiants de droit, je suis certain que vous accepterez l’idée suivante : la possession de connaissances économiques est indispensable à la compréhension du monde dans lequel on vit. L’économie fait donc partie du bagage de l’honnête Homme du XXIe siècle. Tout citoyen que vous êtes se doit d’avoir un minimum de connaissances économiques pour décrypter, analyser une grande partie du discours politique et des informations diffusées par les médias, ne serait-ce qu’au traditionnel journal télévisé de 20h00.

L’économie est si présente que certains n’hésitent pas à parler d’économisme, jugeant que le

monde actuel est tyrannisé par des impératifs économiques. A ce titre, j’imagine que vous êtes sensibles aux différents débats suivants :

• la gouvernance mondiale ; • la réforme des organisations internationales ; • les mouvements “ anti-mondialisation ” ; • la nécessité ou non de taxer les mouvements financiers ; • le commerce équitable ; • Porto Allegre versus Davos ; • les délocalisations industrielles…

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J’imagine enfin que la “ chose ” européenne vous interpelle, vous attire voire vous captive. Derrière cette nouvelle monnaie, l’euro, que vous utilisez chaque jour, se cache une longue histoire d’intégration européenne mais aussi de fantastiques enjeux qui modifieront le monde dans lequel nous vivrons…

J’espère que ce cours vous permettra d’acquérir les connaissances suffisantes afin de mieux

comprendre votre environnement, arrivera à vous convaincre que l’économie n’est pas qu’un objet fait de lois ou de dogmes, que c’est une matière vivante dépendante de changements technologiques, politiques et juridiques. Elle est insérée dans les sciences sociales.

Ressources documentaires Avant de passer à l’introduction générale, je souhaite vous donner quelques références

bibliographiques. Le “ fonds de commerce ” de tout étudiant est sa capacité à lire, à s’approprier la connaissance et le savoir. Ceci est valable dans ce cours comme pour tout autre cours. Soyez acteurs de votre formation. Vous êtes à l’université c’est-à-dire en formation professionnelle.

Les sources de documentations ne manquent pas en économie puisque, comme vous l’avez compris, l’économie est partout ! Pensez aussi aux différents sites internet. La documentation ne s’arrête donc plus aux portes des bibliothèques universitaires ou municipales. La toile est aussi une fantastique bibliothèque.

� Commençons par la presse. La lecture régulière d’un quotidien apporte nombre de connaissances factuelles. Pas de

prosélytismes ! De l’Humanité (http://www.humanite.presse.fr/journal/) au Figaro (http://www.lefigaro.fr) en passant par Libération (http://www.liberation.fr/), les Echos (http://www.lesechos.fr) et Le Monde. Si vous me demandez ce que je lis, c’est Le Monde (http://www.lemonde.fr). Si vous ne devez lire qu’une fois par semaine, dans ce cas, lisez Le Monde du mardi, il y a un supplément économique. Vous pouvez aussi lire des publications mensuelles : Le Monde diplomatique par exemple (http://www.monde-diplomatique.fr/ ).

� Continuons par les revues économiques. Alternatives Economiques est une très bonne référence (http://www.alternatives-

economiques.fr/). Mais si vous avez la possibilité de lire l’Expansion, lisez l’Expansion. C’est un magazine économique de très bonne tenue (http://www.lexpansion.com/ ). Il existe aussi Problèmes économiques. C’est une revue publiant une sélection d’articles sur un thème précis, articles qui sont préalablement publiés dans des revues spécialisées (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues/pe/ ). Il existe enfin des Lettres (du CEPII, http://www.cepii.fr, de l’OFCE http://www.ofce.sciences-po.fr …) publiées régulièrement par de grands instituts de recherche qui portent sur des questions d’actualité.

� Terminons par les ouvrages. Cahiers français (2003) Comprendre l’économie. Problèmes et débats contemporains, La

documentation Française, N°317, Novembre-décembre. Cahiers français (2002) Vingt ans de transformations de l’économie française, La

documentation Française, N°311, Novembre-décembre. Généreux J. (1999) Introduction à la politique économique, Paris, Seuil. Vous pouvez également consulter d’autres sites :

� Union Européenne

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- Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne : http://www.europa.eu.int/comm/dgs/economy_finance/index_en.htm

- Direction générale des affaires commerciales de la Commission européenne : http://www.europa.eu.int/comm/trade - Eurostat : http://www.europa.eu.int/comm/eurostat - Banque Centrale Européenne :http://www.ecb.int - Parlement européen : http://www.europarl.eu.int - InfEuro : http://europa.eu.int/euro/

� Organisations internationales - BRI : http://www.bis.org - BERD : http://www.ebrd.com - FMI : http://www.imf.org - OCDE : http://www.oecd.org - Nations Unies : http://www.un.org - Banque mondiale : http://www.worldbank.org - OMC : http://www.wto.org

� Universités, Centres de recherche français et Autres institutions - Banque de France : http://www.banque-france.fr - Caisse des dépôts et consignations : http://www.cdc-marches.fr - Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales : http://www.cepii.fr - Centre Universitaire de Recherche Européenne Internationale : http://www.upmf-grenoble.fr/curei - Commissariat Général du Plan : http://www.plan.gouv.fr/ - Conjoncture BNP Paribas : http://www.bnpparibas.com - IFRI: http://www.ifri.org/ - INSEE : http://www.insee.fr - Observatoire Français des Conjonctures Economiques : http://www.ofce.sciences-po.fr

Organisation et méthode de travail

Vous le savez déjà, travailler à distance est une vraie aventure. C’est un travail personnel qui exige une grande motivation, motivation qu’il faut tout au long de l’année activer, réactiver… Vous n’avez aucune réelle contrainte, très peu de cours présentiels. Vos seuls camarades sont la solitude et l’isolement. Afin de vous aider à créer un cadre de travail, un rythme de travail, nous vous conseillons de traiter un chapitre par semaine. La lecture et la compréhension du chapitre exigent environ deux heures de travail. Prenez l’habitude faire un résumé de chaque chapitre, cela vous aidera lors de vos révisions. Ayez également une compréhension suffisamment claire des mots-clés, cela vous aidera lors des examens.

Si vous souhaitez aller plus loin, nous avons pris soin d’indiquer une bibliographie à chaque fin de chapitre. La bibliographie est classée selon trois niveaux, du plus important au plus moins important. Les niveaux ne correspondent donc pas forcément à un degré de difficulté. Selon le champ étudié, une référence citée peut venir en premier, deuxième ou troisième plan.

Ces informations générales données, passons à l’introduction de ce cours.

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INTRODUCTION GENERALE

Nous traitons la question des grands problèmes économiques principalement sous l’angle de l’analyse des politiques économiques. Durant les cinquante dernières années, ces dernières ont été au cœur de l’analyse économique, des changements de l’environnement économique et des relations internationales.

LA politique économique est communément définie comme étant, l’ensemble des décisions prises par les pouvoirs publics ayant pour objectif d’orienter l’activité économique d’un pays donné, par exemple de modifier la production, la consommation et la répartition des biens…

Dès les premiers pas, une notion de nature juridique et politique apparaît, les pouvoirs publics. La politique économique ne peut donc exister sans eux. Ces pouvoirs publics doivent prendre des décisions pour définir, conduire une politique économique, et qui dit prise de décision dit arbitrage. Politique économique et économie politique sont donc intimement liés et ceci depuis l’origine de la réflexion économique. En effet, l’on peut dater la “ naissance ” de l’économiste vers la fin du XVIe siècle et dès cette période leur fonction principale était de conseiller le Prince. Ils avaient pour but de chercher les moyens permettant au souverain de s’enrichir et, à travers lui, la nation (Jean Bodin, Thomas Gresham ou encore Antoine de Montchrestien)…

Un article de Denis Clerc (1995) expose avec clarté le développement de la réflexion économique sur la période longue. L’ouvrage de Michel Vigezzi (1996) s’inscrit dans la même démarche analytique situant la pensée économique au cœur des faits économiques et sociaux, des civilisations et des cultures. Longtemps confinée à une politique de maintien de la concurrence pure et parfaite (le monde

classique ou libérale ne légitimait l’interventionnisme public que par l’exercice des pouvoirs régaliens : monnaie, justice, défense), la politique économique a reçu ses lettres de noblesse avec la révolution keynésienne. Cette révolution a en effet montré que l’économie de marché ne tendait pas de manière spontanée vers des équilibres satisfaisants. Avec John Maynard Keynes et sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) la politique de stabilisation conjoncturelle est née et le budget public joue désormais un rôle central dans la recherche de l’équilibre macroéconomique.

Mais si Keynes et son groupe de Cambridge sont à l’origine d’une telle révolution, il ne faudrait pas oublier l’environnement économique et social propice à de tels changements :

• l’Allemagne de Bismarck et le développement important de l’interventionnisme social dès 1883 ;

• le Royaume-Uni de l’entre-deux-guerres et l’influence de Lord Beveridge par la création du “ Welfare State ” ;

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• les Etats-Unis du Président Franklin D. Roosevelt et la mise en place du célèbre “ new deal ” à l’issue de la crise de 1929.

Comme l’écrivent Michel Beaud et Gilles Dostaler (1996, p. 17) : “ Là où l’on voit habituellement une victoire du keynésianisme, c’est principalement l’interventionnisme qui triomphe. ” La période de l’après seconde guerre mondiale sera en effet marquée par l’extraordinaire développement de l’interventionnisme public : nationalisation de l’appareil productif, dirigisme industriel, financement administré de l’économie, salaires minimums, système de retraite par répartition etc…

Les travaux de Pierre Rosanvallon (1992) et de Daniel Cohen (1994) présentent l’émergence, les réalités mais aussi les difficultés de l’Etat providence moderne. LA politique économique est bien sûr pluridimensionnelle tant au niveau de ses fonctions que

des objectifs à atteindre. Les fonctions La célèbre classification de Musgrave qui définit le rôle des finances publiques (somme des

moyens au service des autorités publiques) permet de mieux saisir cette multiplicité : • la fonction de régulation ou de stabilisation, dimension conjoncturelle donc de

court terme de la politique économique. Cette fonction renvoie à la gestion de la croissance, du contrôle de la demande par les autorités publiques, elle évoque aussi “ l’âge d’or ” ou des “ golden sixties ” de l’histoire économique contemporaine marquée par les économistes postkeynésiens ;

• la fonction de redistribution de la politique économique, dimension sociale, reproduite dans le temps et/ou modifiée selon les orientations politiques et/ou plus ou moins présentes selon les influences socio-philosophiques. La comparaison des modèles capitalistes rhénan et anglo-saxon illustre le rôle différencié que peut jouer la fonction de redistribution au sein des sociétés. Les travaux de Michel Albert (1991) exposent avec force le caractère pluriel “ du ” capitalisme et de son expression en termes de politique économique ;

• la fonction d’allocation ou politique d’investissement public, dimension structurelle et stratégique de la politique économique. Les nouvelles théories de la croissance endogène qui se sont développées durant les années quatre-vingt justifient ce type d’interventions publiques. Elles sont au cœur de tout processus de croissance et de développement. Les travaux de Dominique Guellec et de Pierre Ralle (1997) présentent ces nouvelles théories.

Il ne faudrait cependant pas oublier les lois et réglementations (législation relative à la

concurrence, à la durée et conditions de travail, le salaire minimum, l’environnement…) qui jouent un rôle crucial dans le fonctionnement de l’économie marchande (fixation de règles du jeu et correction des déficiences). Cette forme d’intervention devrait constituer la quatrième fonction de l’action de la puissance publique.

Vous aurez donc compris que les grandes fonctions des pouvoirs publics reposent sur les

finances publiques. Vous aurez également compris que l’activité économique est le résultat de quatre principaux déterminants : croissance/création d’emplois, répartition/solidarité,

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concurrence/réglementation et recherche/innovation/infrastructure. Selon l’économie étudiée, la taille de chacun de ces déterminants varie.

Les objectifs Il est souvent fait référence au carré magique de Kaldor : croissance, stabilité des prix, plein

emploi et équilibre extérieur. Carré magique car l’histoire des faits économiques montre qu’il est fort difficile d’atteindre ces quatre objectifs de manière simultanée.

Si l’interventionnisme public émerge à la fin du XIXe siècle, s’intellectualise durant l’entre-

deux-guerres, il ne se généralise et ne se développe qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. Si l’interventionnisme public est une réalité aujourd’hui, et tout particulièrement en Europe Occidentale, c’est un “ être ” encore très jeune. Il n’est donc pas surprenant de le voir se transformer au fil des changements affectant le fonctionnement de nos sociétés.

Le changement le plus marquant qui s’est réalisé durant les cinquante dernières années est

sans aucun doute l’internationalisation croissante des économies nationales. Cela concerne l’ensemble des pays développés et tout particulièrement l’économie française. La France a en effet connu un double mouvement : la décolonisation (pertes de marchés captifs) et son insertion dans l’économie européenne et mondiale durant les années cinquante et soixante.

Cette ouverture plonge les économies nationales dans un environnement davantage incertain, davantage concurrentiel, les oblige à maîtriser de nouvelles contraintes (la fameuse contrainte externe), les confronte à de nouvelles perturbations (monétaire, financière et industrielle). Cette complexification s’est donc traduite par des changements importants dans la définition et la conduite des politiques économiques. Une politique économique conduite au sein d’une économie nationale fermée est très différente d’une politique réalisée au sein d’une économie ouverte.

L’ouvrage d’André Grjebine (1991) rappelle ce changement de donne. D’autre part, les économies développées ont connu à partir de la décennie soixante-dix un

environnement économique fort changeant et ont dû s’y adapter d’une manière incrémentale (par apprentissage, par tâtonnement). La décennie soixante-dix est donc LA décennie de changements structurels considérables (décennie “ rupture ”) :

• la remise en cause de l’ordre monétaire international avec la fin des changes fixes et le passage au flottement des monnaies (du 15 août 1971 aux accords de Jamaïque en 1976), remise en cause se traduisant par une plus grande instabilité sur les marchés des changes ;

• les différents chocs pétroliers de 1973 et 1979 avec l’inflation importée et la modification de la formation des prix ;

• l’arrivée sur la scène internationale de nouveaux pays industrialisés se traduisant par l’exacerbation de la concurrence internationale et des restructurations industrielles au sein des pays anciennement développés ;

• l’inflation structurelle combinée à une augmentation continue du chômage et à un ralentissement de la croissance rendant inopérantes les politiques économiques “ traditionnelles ” (stagflation, rupture complète avec la courbe de Philips)…

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Ces différents changements ont rendu plus complexe la conduite de politiques économiques sur le plan national. Le monde de W. Heller, président du Comité des conseillers économiques des présidents J.F. Kennedy et L.B. Johnson, a été fortement remis en cause.

W. Heller écrivait en 1968 (p. 35) : “ Nous avons fini par accepter en pratique ce que nous avions admis en théorie vingt ans auparavant (…), à savoir que la responsabilité suprême en matière de stabilité et de croissance économique incombait au gouvernement fédéral ; et nous sommes enfin décidés à adopter une politique fiscale et monétaire efficace en vue d’atteindre ces objectifs. Ce sont là des changements profonds. Ils ont entraîné non pas la création d’une nouvelle science, mais l’achèvement de la révolution keynésienne. ”

En effet, les politiques de relance isolées ou de “ keynésianisme pratique ”, qui ont connu leur apogée durant les années soixante, ont buté sur la contrainte externe sans réussir à stabiliser les prix. L’échec de ces politiques ont incité les autorités gouvernementales à mener des politiques macroéconomiques cherchant prioritairement à lutter contre l’inflation (politiques désinflationnistes) et des politiques structurelles ayant pour objectif l’équilibre extérieur par l’amélioration de la compétitivité des entreprises et de l’économie en général.

Le dernier changement que l’on doit noter est bien sûr l’union monétaire européenne. C’est

le résultat de quarante années d’intégration économique réalisée à l’échelle européenne, à l’échelle d’un continent. L’union monétaire réalisée depuis le 1er janvier 1999 regroupe désormais 12 pays. C’est le fruit d’une intégration économique poussée, d’une coopération monétaire qui a débuté dès la fin des années soixante-dix avec la mise en place du système monétaire européen et de son mécanisme de taux de changes fixes. C’est aussi le complément naturel du grand marché, d’une intégration marchande poussée (le traité de Rome de 1957 et de son marché commun, l’Acte unique de 1986 et son marché unique). L’intégration européenne a donc eu une influence forte dans la définition et la conduite des politiques économiques nationales (la politique monétaire bien sûr) mais aussi dans la création de politiques communes : politique de concurrence, politique commerciale, politique agricole, politique régionale, les fonds structurels etc…

L’ouvrage de Marie-Annick Barthe présente avec clarté les aspects économiques de la construction européenne.

Transformation ne veut cependant pas dire rupture. Il serait erroné de considérer que la tendance de fond soit une remise en cause des politiques

économiques. Sur le plan macroéconomique il y a un déplacement des préoccupations : les objectifs de

croissance et de plein emploi qui ont structuré les politiques de l’après seconde guerre mondiale ont cédé la place aux objectifs de stabilité des prix et d’équilibre extérieur au fil de la décennie soixante-dix.

Sur le plan structurel, les politiques économiques se sont développées sans cesse depuis plus d’un siècle et ont, à chaque période de crise économique, franchi de nouveaux seuils. Les États et les administrations publiques contrôlent des flux budgétaires de plus en plus importants : le poids des dépenses publiques ramené au produit intérieur brut a quadruplé en un siècle en France, situation quasi identique dans l'ensemble des pays européens. Cette affirmation de l'économie publique a été intellectualisée, évidemment, par J.M. Keynes en 1936, puis relayée et approfondie au lendemain de la seconde guerre mondiale par les travaux de P.A. Samuelson et de R.A. Musgrave.

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L’interventionnisme public n’a donc pas été remis en cause, il s’est transformé et avec lui la définition et la conduite des politiques économiques.

Pour en savoir plus… NIVEAU I

CLERC D. (1995) “ Vous avez dit économie ? ”, in L’économie dévoilée, LATOUCHE S. (sous la dir.), Paris, Editions Autrement, p. 41-51.

NIVEAU II COHEN D. (1994) Les infortunes de la prospérité, Paris, Julliard. ROSANVALLON P. (1992) La crise de l’Etat-providence, Paris, Seuil.

NIVEAU III BARTHE M.A. (2006) Economie de l’Union européenne, Paris, Economica. BEAUD M. & DOSTALER G. (1996) La pensée économique depuis Keynes, Paris, Seuil. GRJEBINE A. (1991) La politique économique ou la maîtrise des contraintes, Paris, Seuil. GUELLEC D. & RALLE P. (1997) Les nouvelles théories de la croissance, Paris, La Découverte. HELLER W. (1968) Nouvelles perspectives de la politique économique, Paris, Calmann-Levy. KEYNES J.M. (1936) Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Paris, Payot (traduction française par Jean de Largentaye en 1969). MUSGRAVE R.A. (1959) The theory of public finance, New York, McGraw-Hill. SAMUELSON P.A. (1954) “ The pure theory of public expenditure ”, Review of economics and statistics, vol.36, p. 387-389. VIGEZZI M. (1996) Analyse économique : les faits et les pensées, Grenoble, PUG.

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PARTIE 1

LES GRANDES TRANSFORMATIONS

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CHAPITRE 1 ÉVOLUTION DES FINANCES PUBLIQUES ET DU ROLE DE LA

PUISSANCE PUBLIQUE Mots clés : Etat providence, Prélèvements obligatoires, Fonctions musgraviennes, Contraintes structurelles

Longtemps confinée à une politique de maintien de la concurrence pure et parfaite, la politique économique a reçu ses lettres de noblesse avec la révolution keynésienne, selon laquelle l’économie de marché ne tendait pas de manière spontanée vers des équilibres satisfaisants. Avec John Maynard Keynes, la politique de stabilisation conjoncturelle est née.

Si Keynes et son groupe de Cambridge sont à l’origine d’une révolution, il ne faudrait pas oublier l’Allemagne de Bismarck de 1883, le Royaume-Uni de Beveridge de l’entre-deux-guerres ou encore les Etats-Unis de Franklin Roosevelt.

Si l’interventionnisme public émerge à la fin du XIXe siècle, il ne se généralise et ne se développe qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Afin d’étudier l’interventionnisme public depuis l’après seconde guerre mondiale, nous mettrons en évidence l’évolution des finances publiques nationales en longue (I) et en courte période (II).

I - LES FINANCES PUBLIQUES EN LONGUE PERIODE

L’interventionnisme public s’est développé depuis l’après seconde guerre mondiale. Les données quantitatives le montrent (§1.1) ainsi que l’évolution qualitative du rôle de la puissance publique. (§1.2.)

1.1. – Poids sans cesse croissant des dépenses publiques

Le fait marquant de l'histoire économique du siècle passé est le rôle croissant de l'Etat dans le domaine de l'allocation des ressources économiques : le poids des dépenses publiques ramené au produit intérieur brut a plus que triplé en un siècle en France. Cette tendance se retrouve dans les quatre grands pays européens, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni comme le montre le tableau ci-dessous.

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TABLEAU : Pourcentage des dépenses publiques par rapport aux divers indicateurs de production nationale

Allemagne 1881 12% produit national net

1998 47,5% P.I.B. France 1872 11% production intérieure brute

1998 54,1% PI.B. Royaume-Uni 1900 10,3% produit national net

1998 41,3% P.I.B. Italie 1921 7,1% produit national brut

1998 49,9% P.I.B. Source : A partir de : André C. & Delorme R. (1983) ” Matériaux pour une comparaison internationale des dépenses publiques en longue période. Le cas de six pays industrialisés ”, Statistiques et études financières, n°390 et Commission européenne (1999) Rapport économique annuel 1999, Bruxelles, 20 Janvier.

L'accroissement quantitatif de la puissance publique s'est accompagné d'une mutation profonde de son rôle. Grossièrement, dans chaque période de paix, le poids de l'action sociale s'est renforcé. Selon les enseignements des études de Christine André & André Delorme, la première guerre mondiale marque une rupture dans l'évolution des dépenses publiques en Allemagne, en France et au Royaume-Uni ; la seconde guerre mondiale crée un effet de seuil uniquement en France.

L'analyse par grand domaine d'application du financement dans chaque pays montre certaines spécificités nationales. Tentons de mettre en évidence rapidement les caractéristiques propres des trois pays cités précédemment, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

• L'exemple français De la Révolution française à la première guerre mondiale, deux postes absorbent 50% du

budget, la guerre et le service de la dette, le budget finance aussi les autres tâches régaliennes -ordre public, justice et administration-.

L'entre deux guerres est une période de transition, les dépenses augmentent du fait de la reconstruction et de la crise économique de 1930 sous l'effet des différents plans de grands travaux, des soutiens spécifiques ainsi que des aides à l'agriculture. Les dépenses de l'enseignement progressent avec notamment l'établissement de la gratuité de l'enseignement secondaire. Cette période constitue une phase de transition vers une nouvelle forme d'Etat.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la puissance étatique s'insère dans l'économie et la société française. L'institutionnalisation du salaire indirect en 1945 par l'intermédiaire de la sécurité sociale tient une place essentielle dans la dynamique des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires et dans le soutien de la croissance économique en France.

TABLEAU : Structure des dépenses françaises par domaines du gouvernement central (1872, 1920 et 1938) et de l'ensemble des administrations (1957 et 1977)

1872 1920 1938 1957 1977

Politique 46,5 56,8 56,7 36,3 16,5 Economique 7,3 12,3 8,2 17,4 10,3

Social 4,7 7,8 16,9 43,3 70,5 Dette 41,5 23,1 18,2 3,0 2,8

Source : André C., Delorme R. (1983) “ Matériaux pour une comparaison internationale des dépenses publiques en longue période. Le cas de six pays industrialisés ”, Statistiques et études financières, n°390.

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TABLEAU : 120 ans de dépenses publiques des administrations françaises (en % du PIB)

1872 1947 1992 Etat 8,2 29 21,3

Collectivités locales 2,8 3,7 10,0 Sécurité sociale 0 8,1 23,6

Total 11,0 40,8 54,9 Sources : A partir de André C. & Delorme R. (1993) “ Les dépenses publiques en longue période ”, Cahiers français, n°261, p. 19-22 et Méraud J. (1994) “ La dépense publique en France : évolution sur trente ans et comparaison internationale ”, Avis et rapports du Conseil économique et social, n°26, Décembre.

• L'exemple allemand La première guerre mondiale marque une rupture dans l'évolution des dépenses publiques en

Allemagne : si la croissance des dépenses était relativement faible jusqu'en 1914, elle s'accélère fortement jusqu'en 1932.

Les dépenses publiques allemandes depuis la fin du XIXème siècle sont marquées par la hausse des dépenses sociales et surtout après la première guerre mondiale, tendance que l'on ne constate pas si tôt en France. Il faut tout de même noter que de 1870 à 1900 plus de 50 % des dépenses publiques sont consacrées à la défense afin de consolider l'unification allemande mais aussi préparer la première guerre mondiale.

Par contre la seconde guerre mondiale ne modifie pas l'évolution, les gouvernements allemands ont préféré la stabilité et ont renforcé au fil du temps la protection sociale (voir tableau ci-dessous).

TABLEAU : Pourcentage des dépenses de l'ensemble des administrations allemandes par domaines par rapport au PNN (1881 à 1958) et au PIB (1977)

1881 1925 1958 1977 Politique 6,1 7,4 7,8 8,2 Economique 1,4 2,5 5,1 4,9 Social 0,7 20,4 29,7 32,0 Dette 0,4 0,1 7,4 1,6 Total 8,6 30,4 50,0 46,7 Source : André C. & Delorme R. (1983) “ Matériaux pour une comparaison internationale des dépenses publiques en longue période. Le cas de six pays industrialisés ”, Statistiques et études financières, n°390.

• L'exemple britannique La progression des dépenses est lente jusqu'en 1914 et augmente après la première guerre

mondiale sans que la seconde guerre mondiale ne crée un effet de palier. Les dépenses sociales connaissent une progression soutenue sur l'ensemble de la période et ce

domaine se développe plus tôt que dans la plupart des pays étudiés. Cette spécificité est principalement liée au fait que la révolution industrielle s'était produite en avance sur les autres pays et avait donc permis à la société britannique de s'adapter plus tôt mais aussi au développement progressif de l'enseignement.

La crise économique frappant l'économie britannique au lendemain de la première guerre mondiale et les agitations sociales qui l'accompagnent seront à l'origine de nouvelles avancées sociales et l'Etat interviendra activement pour améliorer les infrastructures économiques, protéger le secteur agricole et la réorganisation d'un certain nombre d'industries. La seconde guerre mondiale voit tout naturellement se renforcer les interventions de l'Etat. Les rapports Beveridge

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de 1942 et 1944 ne feront que consolider cette tendance et préparer l'arrivée des travaillistes au pouvoir en 1945 : nationalisation des services médicaux, des industries énergétiques, des transports ainsi que de la Banque d'Angleterre. Par la suite la protection sociale s'élargit progressivement et les dépenses sociales occupent une part croissante des dépenses publiques.

TABLEAU : Pourcentage des dépenses des administrations britanniques par domaines par rapport au PNB (1890-1950) et au PIB (1975)

1890 1920 1938 1950 1975

Politique 3,8 9,7 9,9 9,7 9,0 Economique 1,2 3,5 3,5 5,1 5,8

Social 1,7 6,3 10,3 16,0 27,6 Dette 1,5 0,5 0,4 0,4 4,0 Total 8,2 20,0 24,1 31,2 46,4

Source : André C. & Delorme R. (1983) “ Matériaux pour une comparaison internationale des dépenses publiques en longue période. Le cas de six pays industrialisés ”, Statistiques et études financières, n°390.

1.2. - De l'Etat “ minimal ” à l'Etat-providence

Cette nouvelle forme d'Etat au lendemain de la seconde guerre mondiale, communément qualifiée d'Etat-providence ou Welfare State, trouve ses origines dans le rapport rendu public par Beveridge en 1942. Beveridge expose les principes qui doivent fonder les obligations d'un Etat vis-à-vis de la société afin de lutter contre les cinq fléaux de l'humanité que sont : la maladie, l'ignorance, la dépendance, la déchéance et le taudis. Pour Beveridge, l'Etat-providence n'est pas un vecteur de générosité entre riches et pauvres mais le moyen de protéger la société dans son ensemble contre elle-même. L'Etat providence va en fait occuper l'espace laissé vide par les rentiers du début du siècle. Convaincu par Keynes qu'une société ne peut s'appauvrir qu'en ne dépensant pas assez, Beveridge se sent fondé à réclamer que cette dépense minimale soit garantie par l'Etat.

Toutefois, il a été montré dans l'analyse de l'évolution des dépenses allemandes que le projet fondateur de l'Etat-providence devait être attribué à Bismarck. Effectivement, dès le début des années 1870 un contrôle médical strict du travail est exercé ; en 1883, le gouvernement de Bismarck vote les premières lois sociales à destination des ouvriers en instituant l'assurance-maladie obligatoire, assurance-maladie alimentée pour les deux-tiers par une retenue sur les salaires et pour un tiers par l'employeur ; en 1884, cette même assurance est étendue aux accidentés du travail ; en 1889 un système de retraite est instauré pour les ouvriers de plus de soixante-dix ans à faible salaire et les représentants patronaux et ouvriers participent à la gestion des caisses d'assurance-maladie. Durant cette même période, la législation sur le travail se développe largement.

Le rapide rappel de l'évolution des finances publiques dans les trois grands pays européens de la fin du XIXème siècle aux années soixante montre une continuité dans les dépenses publiques, et non une rupture. Les dépenses sociales se substituent aux dépenses militaires. La hausse des dépenses publiques est portée par la recherche de “ nouvelles frontières ” internes (programme du Président John F. Kennedy). L'Etat-providence se serait presque imposé tout seul, via la revendication des droits à l'éducation, la santé, les retraites par la société. La hausse des dépenses sociales a correspondu à un besoin, même si le keynésianisme a intellectualisé cette recherche.

La deuxième innovation majeure de cette période réside dans la conception d'une coordination entre gestion monétaire et politique économique d'ensemble sous l'égide des autorités publiques.

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Ces deux nouvelles formes d'intervention sont les marques d'une véritable responsabilisation économique et sociale de l'Etat, de son insertion dans les champs économique et social. Le ralentissement de la croissance économique à partir de 1974 fera franchir rapidement un nouveau seuil aux dépenses publiques.

Concernant les pays européens, une troisième innovation est l'apparition d'une nouvelle entité publique supranationale dotée d'un budget, la Communauté Européenne. Si le budget communautaire ne représente qu'une faible part du produit intérieur brut européen à ce jour, il risque de connaître une évolution importante dans les prochaines décennies.

Cette croissance des dépenses publiques n'est pas propre aux pays développés, elle se vérifie

pour les pays en voie de développement au point qu'elle acquiert un statut de “ loi ”. La loi de Wagner pose en effet que la part des dépenses publiques dans le produit national croîtrait avec le revenu par tête.

L'analyse de la structure des dépenses et des recettes publiques manifeste l'existence de modes différenciés d'organisation politique et sociale, et de philosophies sociales. La puissance publique emprunte des formes institutionnelles qui dépassent le seul cadre de l'Etat. Celui-ci est accompagné voire concurrencé par d'autres acteurs, principalement les administrations sociales et les collectivités locales.

L'Etat apparaît comme l'institution centrale de nos économies en matière d'allocation des

ressources. Muni de ces attributs budgétaires et fiscaux, l'Etat assure, conformément à la célèbre classification de Musgrave, trois fonctions :

- celle d'allocation qui recouvre la fourniture par l'Etat de biens et de services à la collectivité ; - celle de redistribution qui consiste à organiser des transferts entre agents afin d'atteindre des

objectifs de “ justice sociale ” ; - celle de régulation qui est le corollaire macroéconomique des deux précédentes fonctions. En

affectant les variables agrégées, la politique budgétaire et fiscale régule l'activité économique.

II - LES FINANCES PUBLIQUES DANS UNE PERSPECTIVE PLUS RECENTE

Durant les trente dernières années, l’interventionnisme public n’a pas été remis en cause (2.1.) même si son rôle s’est transformé (2.2.).

2.1. – De lourdes contraintes structurelles

Durant les trente dernières années de croissance économique plus lente, le discours des hommes politiques concernant les finances publiques a eu pour principal thème la réduction des prélèvements obligatoires et du poids de la puissance publique, des déficits publics et corollairement du niveau de l'endettement public.

A titre anecdotique, depuis 1974, tous les Présidents de la République française se sont prononcés en faveur de la stabilisation des prélèvements obligatoires, Valéry Giscard d'Estaing estimant que le franchissement d'un seuil de 40% de prélèvements obligatoires ferait passer la France dans le socialisme…

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Si l'on peut facilement constater que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont des niveaux d'endettement public plus faibles relativement aux autres pays de la zone O.C.D.E., et ne sont globalement pas plus intervenus -en termes de taux de prélèvement obligatoire par rapport au PIB-, il faudrait tout de même noter que le Royaume-Uni a connu une variation positive de ses dépenses publiques par rapport au P.I.B. de 8 points entre 1970-1998. Pour un pays ayant mené une politique sous le signe du libéralisme et de désengagement de l'Etat, l'on ne peut constater qu'un accroissement du poids de la puissance publique dans les affaires économiques : “ Ni le Président Reagan aux USA, ni Mrs Thatcher en Grande-Bretagne, tous deux hérault du libéralisme, n'ont pas réussi à faire régresser nettement le pourcentage des dépenses publiques ” (Bauchet 1995, p. 122).

Concernant, l'Allemagne, et surtout la France, l'interventionnisme public s'est accentué durant les trois dernières décennies. Dans ces deux pays, on retrouve un profil similaire, marqué par l'importance accrue des cotisations sociales. Le prélèvement sur le produit intérieur brut des cotisations sociales s'est accru de 53% en France et de 39% en Allemagne.

Au total, les systèmes nationaux se différencient surtout par l'ampleur de l'effort social consenti au cours de cette période caractérisée par trois phénomènes majeurs par leurs implications sociales :

- la persistance d'une croissance économique lente qui accroît les dépenses publiques par le simple jeu des stabilisateurs automatiques ;

- le vieillissement démographique qui se répercute sur les régimes de retraite ; - la recherche de la sécurité médicale qui pèse sur les régimes de santé. Cette tendance est donc révélatrice, d'une part, du poids des évolutions liées à ce que

l'historien Fernand Braudel nomme la civilisation matérielle, ici la démographie, le rythme de la croissance, le progrès médical et, d'autre part, de la réaction de chaque nation face à ces évolutions, choix d'une plus ou moins grande socialisation des risques.

Cette “ explosion ” des finances publiques dans la plupart des pays européens a développé un double effet d'inertie :

- les dépenses publiques deviennent difficilement compressibles ; - les prélèvements obligatoires ne peuvent être réduits, et le recours au financement par

l'emprunt entraîne une augmentation continue de l'endettement public global en Europe. A ce titre, il est intéressant de noter qu’entre 1970 et 1997 la dispersion relative (écart-

type/moyenne) en Europe passe de 21% à 14% pour les prélèvements obligatoires et de 62% à 18% pour l'endettement public. Cette forte réduction des dispersions montre le degré élevé de convergence des pratiques et des situations en Europe.

Cette double inertie se traduit, de facto et paradoxalement, par la réduction de marges de manœuvre budgétaires.

TABLEAU : Évolution des finances publiques des pays membres de l'Union européenne entre 1970 et 1998

Dépenses totales

des administrations publiques (en % du PIB)

Pression fiscale (en % du PIB)

Endettement public

(en % du PIB)

1970 1998 Var (2) 1970 1998 Var (2) 1970 1998 Var (2) B 41,7 51,0 +9,3 35,7 48,3 +12,6 63,3 117,2 +53,9

DK 42,0 57,6 +15,6 40,4 51,3 (1) +10,9 12,7 58,8 +46,1 D 38,5 47,5 +9,0 32,9 42,2 +9,3 18,6 61,3 +42,7

GR 23,0 41,5 +18,5 25,3 41,4 (1) +16,1 17,6 108,7 +97,4

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E 21,4 42,9 +21,5 16,9 36,9 +20,0 15,6 67,7 +52,1 F 38,1 54,1 +16,0 35,1 47,6 +12,5 20,5 58,3 +37,8

IRL 36,2 31,6 -4,6 29,9 32,3 +2,4 49,8 53,3 +3,5 I 32,1 49,9 +17,8 26,1 42,9 +16,8 38,0 118,8 +80,8 L 30,5 44,5 +14,0 28,0 42,5 +14,5 25,4 7,1 -18,3

PB 42,4 48,3 +5,9 37,0 44,5 +7,5 41,6 68,6 +27,0 A 39,2 51,5 +12,3 34,9 46,5 +11,6 19,4 64,0 +44,6 P 23,2 42,8 +19,6 20,1 36,5 +16,4 15,4 57,4 +42,0

FIN 30,5 52,2 +21,7 32,5 46,5 +14,0 15,6 52,9 +37,3 S 43,7 61,8 +18,1 39,8 49,7 (1) +9,9 30,1 74,0 +43,9

UK 33,3 41,3 +8,0 37,0 35,3 (1) -1,7 80,3 51,5 -28,8 Eur 34,9 47,7 +12,8 31,2 42,8 +11,6 29,6 65,6 +36,0 Sources : Commission européenne (1999) Rapport économique annuel 1999, Bruxelles, 20 Janvier ; Économie Européenne (1995) Rapport économique annuel, Commission de la Communauté Européenne ; Institut Monétaire Européenne (1998) Rapport sur la convergence, mars ; OCDE (1997) Statistiques des recettes publiques 1965-1996, Paris (1) Données pour l'année 1995. (2) Variations du pourcentage sur la période considérée, points de P.I.B.. Les moyennes calculées pour l'Europe des Quinze ne sont pas pondérées.

L'accroissement quantitatif des finances publiques s'accompagne d'une intensification et d'une complexification de l'action publique au niveau national, notamment avec le gonflement des dépenses sociales sous l'effet de la montée du chômage, des problèmes de financement des retraites et de la santé, mais aussi à un niveau infra-national avec la tendance à la régionalisation se développant dans un certain nombre de pays européens (France, Belgique, Espagne).

2.2. - Les finances publiques et le policy-mix des années quatre-vingt et quatre vingt–dix

Les orientations des politiques subissent une double influence : les choix des gouvernants liées aux contraintes imposées par l'environnement économique et les idéologies dominantes.

Sans minimiser l'importance des spécificités nationales et partisanes, chacune des décennies récentes peut ainsi être schématiquement caractérisée par la conjonction d'un faisceau de contraintes et d'une “ pensée économique ” qui déterminent les traits communs des orientations budgétaires des grands pays de l'OCDE :

- la décennie soixante au cours de laquelle la croissance soutenue se conjuguait à des convictions interventionnistes et redistributives largement partagées pour encourager une croissance en moyenne équilibrée des budgets publics ;

- la décennie soixante-dix fut celle du ralentissement de l'activité et de l'accélération de l'inflation, en même temps que de la montée des dépenses sociales et de l'activisme budgétaire ;

- et les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix marquées par la faible croissance économique, la désinflation et le niveau élevé de l'endettement public et des taux d'intérêt réels. Ces différents éléments se sont combinés pour produire une stabilisation et une tentative de consolidation des masses budgétaires, en même temps qu'une altération sensible des structures des recettes et des dépenses publiques.

Bien que les deux dernières décennies aient été sous le signe du courant libéral, de l'économie

de l'offre, du monétarisme, d'une tentative de stabilisation des prélèvements obligatoires par

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rapport au P.I.B., du souhait des dirigeants de maîtriser les déficits publics, le résultat de ces objectifs déclarés est assez peu probant.

Les évolutions observées depuis le début de la décennie quatre-vingt-dix le remettent en cause : les déséquilibres sont toujours la marque des budgets publics. Après avoir laissé libre cours au ” stabilisateurs automatiques ” durant la récession, les autorités ont annoncé un nouvel alourdissement des prélèvements obligatoires destiné à combler des déficits budgétaires et sociaux.

Conclusion

Bien sûr, l’interventionnisme public dans sa dimension de stabilisation a été fortement contraint par l’ouverture croissante des économies. Nous analyserons ces conséquences dans le chapitre consacré à cette question.

Pour en savoir plus… NIVEAU I

CAHIERS FRANÇAIS (1993) Le budget de l’Etat, n°261, Paris, La documentation Française. CAHIERS FRANÇAIS (1995) Les frontières de l’Etat, n°271, Paris, La documentation Française. COHEN D. (1994) Les infortunes de la prospérité, Paris, Julliard. ROSANVALLON P. (1992) La crise de l’Etat-providence, Paris, Seuil.

NIVEAU II ALBERT M. (1991) Capitalisme contre capitalisme, Paris, Seuil. DOCKES P. (2002) « Quel retour de l’Etat ? », in Où va l’économie mondiale ?, Chevalier J.-M. & Pastré O. (Sous la dir.), Paris, Editions Odile Jacob, p. 81-91. FAUROUX R. & SPITZ B. (2000) Notre Etat, Paris, Editions Robert Laffont. WEBER L. (1997) L’Etat, acteur économique, Paris, Economica.

NIVEAU III BARR N. (1992) “ Economic theory and welfare state : a survey and interpretation ”, Journal of Economic Literature, vol.XXX, n°2, June, p. 741-803. BAUCHER P. (1995) “ Libéralisme et remise en cause de la macroéconomie ”, in Nouvelles perspectives de la macroéconomie, Mélanges en l'honneur du Doyen Alain Barrère, Paris, Publications de la Sorbonne, p. 109-127. GREFFE X. (1994) Economie des politiques publiques, Paris, Dalloz. GUILLAUME P. (2000) “ Naissance de l’Etat providence ”, Revue économique, vol.51, n°2, mars, p. 371-384.

Encadré : Les cinq strates de l’Etat

Cinq strates vont constituer les fonctions de l’Etat depuis sa réémergence à partir du XIVe siècle jusqu’à nos jours. La première strate correspond à la défense de l’ordre public, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur, un ordre administratif, militaire, autoritaire et paternaliste. S’il implique l’administration de la justice, une réglementation sociale et économique, c’est en vue de l’ordre public. (…) La deuxième strate, depuis le milieu du XVIIe siècle en Angleterre, correspond à l’établissement de l’ordre contractuel, à la défense de la propriété et des contrats, à la mise en place des institutions politiques et marchandes adaptées. (…) Désormais l’ordre public s’impose pour défendre les pactes. (…) Sur ces bases, Locke, Montesquieu et les Lumières fondent l’ordre libéral. Au-delà de l’établissement d’un système de propriété privée aussi vaste que possible et de la garantie des contrats, l’Etat se doit de mettre en place les institutions qui permettent l’efficacité des marchés concurrentiels, d’offrir une monnaie et de garantir sa stabilité. Notons qu’alors, au risque de l’Etat prédateur

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s’ajoute celui de l’Etat opportuniste qui, s’il garde et donne force aux contrats, peut être tenté de se ranger d’un côté. D’où l’esquisse s’une solution par Locke et Montesquieu (la division des pouvoirs) et la critique de Marx : l’Etat complice du capital. La troisième strate étatique suppose l’intervention sur l’ordre économique dans des situations exceptionnelles. Il s’agit d’abord de pallier les échecs de la coordination, les failles du marché. Léon Walras qui parachève l’analyse du deuxième niveau est aussi le premier à théoriser ce recours à l’Etat chaque fois que la libre concurrence indéfinie n’est pas possible ou inefficiente. L’analyse néoclassique, celle de Barone, Sidgwick, Marshall, Pigou, Samuelson, Buchanan et Allais, a livré la rationalité de ce type d’intervention. Lorsque l’on est en présence d’un bien collectif pur (dont tout un chacun peut jouir sans nuire à la consommation des autres, disons un phare ou un rempart), lorsque existent des rendements croissants ou des barrières à l’entrée, que des effets de réseau constituent un monopole naturel (un réseau de voies ferrées), lorsque l’on est en présence d’externalités (…) alors le recours à l’Etat peut s’imposer pour rétablir des conditions concurrentielles, pour produire et distribuer (services publics), pour contrôler les monopoles, pour réglementer ou réguler. L’intervention de l’Etat s’impose encore lorsqu’il y a une crise, crise financière, choc exogène dont les conséquences risquent d’être systémiques, faillites d’entreprises importantes mettant en péril l’emploi d’une région ou l’équilibre du “ tissu industriel ”. On reste dans le cadre de l’Etat infirmier : la norme, c’est le fonctionnement par le libre initiative des individus, mais dans la mesure ou ça ne marche pas, alors l’Etat est là, en recours. (…) La quatrième strate est celle de l’organisation par l’Etat d’un ordre économique et social estimé supérieur en termes d’équité ou d’efficacité statique ou dynamique. On passe de l’idée d’une intervention d’exception à la mise en œuvre d’un ordre nouveau, durable, estimé supérieur. On entre dans le vaste domaine de “ l’ingénierie ” économique et sociale qui va du réformisme social-démocrate au planisme, de l’organisation de type fasciste aux solutions de type communiste. (…) Avec le “ dirigisme ” ou l’“ économie mixte ”, on est en présence d’une volonté de modifier la distribution des patrimoines ou la répartition des revenus, de mettre en œuvre une politique industrielle, de la recherche publique, d’orientation de l’investissement privé et de l’investissement public, d’organisation de la croissance par la planification ou par des politiques de régulation économique. A la myopie des agents privés, à l’imperfection des marchés et à la fragilité de la rationalité privée s’opposent la croyance en la rationalité étatique, l’organisation de l’économie sous la houlette de l’Etat. (…) L’intervention de l’Etat n’est plus exceptionnelle mais fondamentale, et le rôle des marchés est résiduel. Apparaît une cinquième strate avec le délitement de la quatrième strate. La rationalité de l’Etat organisateur de la vie économique et sociale est aujourd’hui largement considérée comme inférieure à la rationalité individuelle coordonnée par le marché. Dans ce nouveau paradigme, l’Etat n’a plus à produire lorsque l’initiative privée est efficiente. Les privatisations se sont généralisées, le système public anglais a été abattu, le système réglementaire américain s’est effondré sous les coups de la déréglementation reaganienne, la régulation keynésienne a laissé la place à des politiques monétaristes, partout l’idéal redistributeur du type welfariste a reculé etc… Le thème récurrent de la baisse des impôts illustre avec clarté cette dynamique. Au capitalisme organisé a succédé le temps du néocapitalisme, transnationalisé, libéral et marchand, appuyé sur de nouvelles technologies et une nouvelle organisation de l’entreprise de type global. Ce nouveau système est de fait instable puisqu’il n’existe pas de modalités régulatrices à l’échelle globale. Si l’interventionnisme public n’a pas disparu, son mode opératoire s’est transformé. Dans sa dimension allocative, l’Etat a pris une certaine distance avec l’administration directe : les régulateurs prennent de nouvelles formes, les processus de certification, les agences de notation, les banques centrales indépendantes. En cas de choc exogène, l’Etat intervient afin d’éviter le risque de crise systèmique. Le meilleur exemple est sans aucun doute celui des crises financières ou lors de situations particulières tel que l’exemple des attentats du 11 septembre 2001. Extrait de : Dockès P. (2002) « Quel retour de l’Etat ? », in Où va l’économie mondiale ?, Chevalier J.-M. & Pastré O. (Sous la dir.), Paris, Editions Odile Jacob, p. 82-84.

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CHAPITRE 2 INTEGRATION ECONOMIQUE EUROPEENNE

Mots clés : Politique commerciale, Politique de concurrence, Politique agricole

Sans vouloir paraphraser Jacques Delors, l’Europe est bel et bien un objet politique non

identifié (OPNI). Les fondements politiques de l’Europe ne doivent cependant pas être oubliés ni minimisés.

Au contraire car la construction européenne est avant tout une construction politique. Cette assertion peut paraître surprenante de la part d’un économiste et à l’heure de la

mondialisation où, comme chacun sait (!), le pouvoir est entre les mains des firmes multinationales et des marchés financiers…

Pourquoi donc s’aventurer à affirmer que la construction européenne est avant tout politique ? Tout simplement parce que la construction européenne cherche à établir, à consolider,

notamment par des voies économiques, des frontières vis-à-vis du reste du monde : frontières commerciales et douanières, frontières agricoles, frontières juridiques, frontières industrielles et technologiques, frontières monétaires, frontières politiques et culturelles…

L’Europe en tant qu’économie potentiellement intégrée participe donc à la construction d’un ensemble visant à se différencier, à s’autonomiser vis-à-vis des autres économies nationales et regroupements régionaux, et cherche finalement à s’immuniser de perturbations externes. La construction européenne pourrait donc être analysée comme une réponse aux effets destabilisants de la mondialisation et de la globalisation, une sorte de “ poste avancé ” du nouvel ordre économique mondial fondé sur des blocs régionaux (Echinard 1997).

In fine, cette expérience d’intégration régionale, souvent qualifiée de régionalisme fermé, devrait permettre à l’Europe de s’affirmer sur la scène internationale (oserions-nous parler d’une Europe en quête de puissance ?).

Mais il va de soi que pour créer des frontières externes il faut démanteler un certain nombre de barrières internes, décloisonner des économies de petites et moyennes tailles : l’union douanière, la politique de concurrence, l’Acte unique… sont autant d’instruments ayant permis le démantèlement des barrières intérieures pour aguerrir les entreprises européennes à la compétition internationale mais aussi pour favoriser la convergence des politiques nationales. Ce

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démantèlement est d’autant plus difficile et complexe à mener qu’il se fait à partir de 15 économies nationales dotées de pouvoirs souverains. C’est sans doute cette dimension-là de l’intégration qui est la plus problématique : comment faire émerger en période de paix un projet commun d’intégration débouchant sur la constitution d’un(de) pouvoir(s) supranational(aux) à partir d’un ensemble de pays souverains ? Nous laisserons cette interrogation à nos collègues politistes qui savent mieux que quiconque analyser le phénomène communautaire (est-il de nature néofonctionaliste, intergouvernementaliste, fédéraliste ? quels sont les acteurs prépondérants de ce jeu ?… David 2000, Constantinesco 2000).

Les économistes cherchent plus modestement à justifier la disparition des barrières internes en

s’appuyant sur les effets d’entraînement de l’intégration, en mettant en évidence l’augmentation des interdépendances économiques, les effets externes concomitants et à préconiser des voies de sortie plus ou moins pragmatiques permettant notamment de dépasser les contraintes de l’intégration et de retrouver des marges de manœuvre en termes de politique économique…

Si nous devions résumer notre propos introductif et sans vouloir abuser du célèbre aphorisme

schumpétérien, nous dirions que la construction européenne est un véritable processus de destruction créatrice : les effets de l’intégration destructurent les économies nationales par le démantèlement des barrières internes et des politiques nationales dans le but de créer un espace économique européen le plus homogène et cohérent possible par la constitution de frontières externes, par le mise en place de politiques communes et de politiques davantages coopératives. Autrement dit, la construction européenne cherche à transformer un ensemble de petites et moyennes économies relativement ouvertes en une économie de grande taille relativement fermée.

Deux manuels d’économie européenne sont conseillés :

- Barthe M.A. (2000) Economie de l’Union européenne, Paris, Economica. - Faugère J.P. (1999) Economie européenne, Paris, Presses de Sciences Po/ Dalloz. Et un ouvrage davantage historique : - Gerbet P. (1994) La construction de l'Europe, Paris, Imprimerie nationale. L’historique de l'intégration économique européenne cherche à mettre en évidence la

dynamique de ce processus, de l’Europe de l’après-guerre et des pères fondateurs (I) à l’Europe du marché et de la monnaie unique (11).

I - L'EUROPE DE L'APRES-GUERRE ET DES PERES FONDATEURS

1.1. – L’Europe de l’immédiate après-guerre

Il faut sans aucun doute situer l'Europe de 1945-1946 par rapport à l'Europe de l'entre-deux-guerres, cette Europe “ bancale ” du traité de Versailles, cette Europe touchée par la crise de 1929-1931 qui développa le repli sur soi, le protectionnisme commerciale, les dévaluations compétitives, l'ensemble favorisant la montée des nationalismes et rendant difficile toute coopération économique.

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1.1.1. - Mise en place d'un véritable ordre international économique Dès lors, il ne faut pas s'étonner de voir naître après la seconde guerre mondiale un ensemble

d'organisations internationales non-gouvernementales à vocation économique et à caractère mondial établissant des règles par le biais de la négociation, de la coopération et de la coordination des actions, l'ensemble mettant en place un véritable ordre international économique.

Ces Organisations Internationales ont été créées lors de la Conférence de Breton Woods en 1944, elles s'agrègent autour des Nations Unies :

- le centre étant composé l'Assemblée générale, du Conseil économique et social et de leurs organes subsidiaires ;

- deux autres institutions ont été créées, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, ou Banque Mondiale, qui est une institution bancaire ayant pour mission d'assurer l'insertion des économies en voie de développement dans le système économique libéral, et le Fonds Monétaire International qui est une institution monétaire devant permettre d'assurer l'équilibre macroéconomique international, notamment par la bonne conduite du système de taux de change fixes sur le plan mondial. 1.1.2. - Emergence de l'idée d'unité européenne

L'idée de l'unité européenne est lancée par Churchill lors de son discours prononcé à Zurich le 19 septembre 1946. L'expression 'lancé à nouveau' serait préférable car l'idée d'union européenne avait été déjà émise durant l'entre deux guerre par le Comte Coudenhove-Kalergi, reprise en France notamment par Aristide Briand. C'est la fameuse idée des Etats-Unis d'Europe afin d'assurer prospérité, gloire et bonheur… mais un grand écart existait entre l'idée et la réalisation concrète de cette idée puisque Churchill se déclarait favorable à une unité européenne continentale sans l'Angleterre !

Mais cet appel a été important car il a eu une action sur l'opinion puisqu'à partir de cette époque de nombreux mouvements européens se sont créés. Rapidement, les élites européennes et ces mouvements se sont regroupés autours de tendances politiques et économiques différentes, et surtout autours de deux conceptions de l'unité européenne : fédération ou simple association. 1.1.3. - La guerre froide élément fédérateur externe

Avec l'apparition de la guerre froide, les Etats-Unis ont incité les européens de l'Ouest à s'unir devant le danger communiste. En effet pour les américains l'unité européenne apparaissait comme la seule possibilité de résister à la poussée de l'Union soviétique.

La question de la reconstruction des pays européens est à ce titre symptomatique puisque le plan Marshall de 1947-48 a entraîné la création de l'Organisation Européenne de Coopération Economique et de l'Union Européenne des Paiements, la solution aux problèmes passe par la coopération intergouvernementale, par le regroupement des différentes parties et non plus par des relations bilatérales entre chaque pays européen et les Etats-Unis.

Certes, ce plan Marshall répondait clairement à une situation économique européenne dégradée, l'hiver 1946-1947 fut très dur, les productions agricoles et industrielles étaient insuffisantes, il fallait importer sans capacité exportatrice, d'où l'aide de grande ampleur américaine, mais cette situation de marasme économique, après cinq années de guerre risquait d'affaiblir l'Europe et de favoriser les progrès du communisme et de l'Union soviétique.

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1.2. - L'Europe de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier 1.2.1. - La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier

C'est dans ce contexte qu'il faut situer, le 9 mai 1950, l'appel de Robert Schuman proposant la

création d'une Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (C.E.C.A.). En effet, le premier enjeu économique de l'intégration européenne s'est concentré sur le charbon et l'acier, nerf de l'économie de l'époque : arme économique stratégique de la reconstruction et donc de la modernisation des économies européennes, mais aussi nerf de la guerre. Au centre de cet enjeu, le règlement de la question de la Rurh et de la Sarre.

La réponse est 'simple', constituer une Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, tout mettre en commun afin de prospérer dans la paix, selon le viel adage, 'l'union faisant la force'.

Cette approche sectorielle de l'intégration a naturellement une justification économique, mais aussi politique : imaginez un instant la réalité de ce projet en 1951, unir la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg autour des deux secteurs-clés de l'économie de l'époque. Le rappel de l'obsession de Clémenceau au lendemain de la première guerre mondiale peut nous éclairer sur l'importance du projet C.E.C.A. à peine cinq ans après la fin de la guerre, en effet, Clémenceau n'avait qu'une seule idée, détruire, par le biais du traité de Versailles, “cette vaste fabrique de charbon et d'acier” qu'était l'Allemagne.

Et comme il était impossible de construire l'Europe unie par la 'haut' comme le préconisaient les “institutionnalistes” en commençant à élaborer une constitution fédérale, la construction européenne a débuté par le 'bas' en développant la coopération dans certains secteurs limités, dans certains secteurs économiques stratégiques : réaliser une fusion d'intérêts, une solidarité de fait dans quelques secteurs économiques qui pourrait être élargie progressivement à d'autres secteurs et à l'ensemble de l'économie, c'est l'approche des fonctionnalistes, à sa tête se trouve Jean Monnet (ancien premier Commissaire général du Plan). “Il n'y aura de paix en Europe si les Etats se reconstituent sur une base de souveraineté nationale…Si les pays d'Europe se protègent à nouveau les uns contre les autres, la constitution de vastes armées sera à nouveau nécessaire.” (Monnet p. 319, 1976)

La justification économique ne doit pas être négligée. Le problème de l'acier devenait

important car de 1945 à 1950 les pays européens n'avaient pas coordonné leurs investissements et avaient développé leur potentiel au maximum dans un état d'esprit plutôt autarcique. Et faut-il rappeler que le charbon était le “pain de l'industrie” dixit Jean Monnet, puisque principale source d'énergie.

Cette logique de l'intégration économique et politique dès le début de l'histoire communautaire

est donc fortement imprégnée par l'idée du maintien de la paix en mettant en place des structures coopératives et supranationales.

Cette dynamique interne de l'intégration ne doit pas masquer un enjeu externe, celui de l'indépendance. Cette Communauté, la C.E.C.A., était le moyen de contester la suprématie de la capitale mondiale de l'acier qu'était devenue, pendant les hostilités, Pittsburg aux Etats-Unis. En effet, la C.E.C.A. avait pour but de mettre en place une sidérurgie compétitive assurant une production à grande échelle visant à réduire les coûts de production. La dimension nationale trop étroite devait donc faire place à une dimension européenne.

“Cette réalité économique et technologique passa, alors, assez inaperçue en raison de l'aspect politique. Dans le traité de Paris créant la C.E.C.A., signé en 1951, il y a une volonté indiscutable

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de supranationalité qui s'exprime dans les pouvoirs, y compris fiscaux et financiers, qui sont accordés à la Haute Autorité.” (Reboud, 1993) 1.2.2. - Bilan de la CECA

L'intensification des échanges a été réalisée grâce à la suppression des droits de douane et des contingents, à la disparition des discriminations dans les tarifs des transports et à l'instauration de tarifs internationaux directs. Les livraisons de charbon et surtout d'acier entre les partenaires de la Communauté ont progressé, ce qui a contribué à atténuer la pénurie du charbon, à stabiliser l'approvisionnement en minerai de fer et ferraille et, au total, à régulariser la croissance industrielle des six.

Les initiateurs du traité de Paris vont tenter de poursuivre cette logique sectorielle de

l'intégration, comme l'affirmait Jean Monnet en 1952, “ l'Europe ne saurait se limiter au charbon et à l'acier, l'institution de la Communauté, qui est l'ébauche d'un Etat fédéral, n'a d'ailleurs de sens que si elle débouche sur une véritable autorité politique ”. Des projets concernaient les transports, les marchés agricoles, la santé publique et la constitution d'une armée européenne. L’administration américaine souhaitait le réarmement de l'Allemagne et les Etats-Unis étaient engagés dans la guerre de Corée. Sous l'impulsion de la France, il fut proposé d'instituer une Communauté Européenne de la Défense en 1951 (C.E.D.). Mais cette Communauté impliquait une véritable union politique, un tel saut qualitatif dans le processus d'intégration européenne était trop sensible sur le plan politique pour les européens, et tout particulièrement pour les partis politiques français. La difficile reprise du pouvoir souverain ne pouvait accepter, seulement 9 ans après la fin de la guerre, la “ perte ” du pouvoir militaire, haut symbole de la souveraineté nationale. Lors d'une conférence de presse en juin 1952, le général de Gaulle avait déclaré : “ Pêle-mêle, avec l'Allemagne et l'Italie vaincues, la France doit verser ses hommes, ses armes, son argent, dans un mélange apatride. Cet abaissement lui est infligé au nom de l'égalité des droits, pour que l'Allemagne soit réputée n'avoir pas d'armée, en refaisant ses forces militaires. Bien entendu, la France, entre toutes les grandes nations qui ont aujourd'hui une armée, est la seule qui perde la sienne. ”

Mais il ne faudrait pas oublier les enjeux économiques de la C.E.D., une telle Communauté signifiait la concurrence des industries européenne d'armement. Un certain nombre d'entreprises nationales ne voulait pas entendre parler de la C.E.D. du fait de leur manque de compétitivité.

L'Europe imaginée par Jean Monnet sera rapidement dépassée par sa trop grande ambition.

Cet “ échec ” peut être considéré comme une rupture (la première) dans la dynamique fonctionnaliste de l'intégration, le politique précédait l'économique. A partir de la relance de Messine (Italie) en 1955, l'économique sera l'élément moteur de l'intégration, l'union politique suivra.

Il ne faudrait cependant pas ignorer la conjoncture politique de l'époque qui montre à deux reprises l'impuissance européenne : la crise du canal de Suez avec l'intervention des Etats-Unis et de l'O.N.U. contre la France et la Grande-Bretagne, et l'écrasement de l'insurrection hongroise par les troupes soviétiques. Ces deux évènements de l'année 1956 rappellent aux européens l'importance que revêt l'approfondissement de leur intégration.

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II - L'EUROPE DU MARCHE COMMUN AU GRAND MARCHE

2.1. – L’Europe du traité de Rome 2.1.1. - Le traité de Rome : la Communauté Economique Européenne

Le traité de Rome ne développe pas une logique intégratrice sur le plan sectoriel, il concerne tous les secteurs de l'économie, on parle d'union générale, puisque, par la mise en place d'une union douanière, les Etats contractants souhaitent libéraliser leurs échanges. Cette logique de l'intégration s'inspire des théories néoclassiques, développement du bien-être par les échanges, époque de la grande dimension, les économies d'échelle, l'Europe n'est pas à la dimension du monde. Cette dynamique de l'intégration par les échanges s'inscrit bien-sûr dans une recherche toujours plus poussée de la stabilité politique en Europe, il est évident que si les intérêts entre les pays européens s'intensifient, le risque de conflits se réduit. Mais s'unir sur le plan politique et constituer une Europe fédérale n'est plus un objectif en soi, l'Europe des Etats, l'Europe intergouvernementale est reconnue.

Mais, cette explication européo-européenne n'est qu'une facette de la réalité. Il ne faudrait pas oublier que l’administration américaine n'a accepté de mettre en place le plan Marshall qu'à la condition que les pays bénéficiaires s'ouvrent progressivement au commerce mondial, les Etats-Unis ayant une place dominante au lendemain de la guerre, ils ne pouvaient qu'être favorables, et donc favoriser, le développement des échanges, cette aide n'était donc pas sans intérêt. Rappelons au passage l'existence du GATT, troisième OI qui devait naître en 1944, qui resta rattaché au Secrétariat Général des Nations Unies, qui a pour objectif de développer à l'échelle de la planète le commerce. Le premier round a eu lieu en 1947.

Quoiqu'il en soit le traité de Rome fait passer les économies européennes d'une logique national à une logique internationale, d'une intégration sectorielle à une intégration multisectorielle avec tout ce que cela comporte de contraintes et d'incertitudes dans le sens où les acteurs économiques nationaux vont devoir composer avec la concurrence, les secteurs les moins compétitifs ayant peu de chance de survivre, cela implique une adaptation aux nouvelles conditions.

Le traité de Rome ne met pas en place des politiques sectorielles au sens de la CECA puisqu'il

ne concerne que la libéralisation des échanges via l'établissement de l'union douanière. Cette relance de l'intégration marque un recul manifeste de la supranationalité qui ressort bien des pouvoirs plus limités accordés à la Commission de la Communauté économique européenne (CEE) que ceux dont avait bénéficié la Haute Autorité.

Il ne faudrait cependant pas oublier la “ conditionalité ” imposée par la France lors de la préparation du traité. En effet, la France acceptait de participer à l'ouverture des frontières à condition que la Communauté mette en place à terme une politique agricole commune (PAC) ayant pour but de promouvoir le secteur agricole (soutenue bien-sûr par l'Italie). Pourquoi ?

Tout simplement parce que : - la Communauté dans son ensemble avait une balance agricole déficitaire, il était dans son

intérêt de promouvoir ce secteur (recherche d'indépendance et de sécurité des approvisionnements),

- l'ensemble des gouvernements souhaitaient que le prix des produits agricoles soit le plus bas possible. A l'époque, la part des produits alimentaires dans le budget des ménages était très importante, donnée majeure de la politique économique,

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- la France était le pays le plus rural de la Communauté, la mise en place d'une telle politique répondait aux attentes d'une grande partie de sa population, la terre, l'agriculture, la paysannerie sont anncrées dans la société française (phénomène social sans comparaison sur le plan international) ; en 1958 25% de la population active française et italienne est employé dans l'agriculture.

- c'était aussi une contrepartie de l'ouverture de ses frontières, son marché devenait celui de l'Allemagne, traditionnellement plus industrielle que la France.

Les deux traités de Rome signés en 1957, créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA) peuvent être qualifiés de compromis entre les tenants d'une simple “ internationalisation ” des marchés et ceux prônant une “ intégration ” volontariste par des politiques économiques au moins coordonnées sinon communes puisqu'ils mentionnent “ la réalisation d'un marché commun et le rapprochement progressif des politiques économiques des Etats-membres ”, ainsi qu'en adoptant le principe d'une politique agricole commune.

La politique commerciale européenne Le traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne, se situe au cœur du

développement de la première liberté, celle de la libre-circulation des marchandises (il y en a trois autres, celle de la libre circulation des services, des personnes et des capitaux) puisqu'il met en place :

- Une union douanière, qui crée progressivement un marché commun (entre 1959 et 1968), une période transitoire de 12 ans avait été prévue pour supprimer tous les droits de douane et les contingents entre les pays signataires. Dès 1962, tous les contingents furent abolis, et la suppression des droits de douane fut réalisée le 1er juillet 1968, 18 mois avant la date prévue.

- Un tarif douanier commun vis-à-vis des pays tiers (appelé aussi TEC) a été mis en place, sur la base d'une moyenne arithmétique des tarifs douaniers nationaux existant précédemment (différence entre une zone de libre échange et une union douanière).

- Les contingents communautaires, les plus connus étant ceux sur l'importation de voitures japonaises.

Cette accélération du désarmement douanier s'explique aussi par la volonté d'accroître la concurrence entre les économies des pays membres afin de freiner les tensions inflationnistes mais aussi par le contexte international dans le cadre du GATT (1967 marque l'aboutissement du Kennedy round).

Cette union douanière forme l'élément principal de la politique commerciale européenne. Notons également que le traité de Rome la Communauté tend à constituer une entité qui

négocie, sur la base de mandat arrêté par le Conseil, sur le plan international (ceci est à nuancer puisque c'est sur mandat du Conseil).

La Communauté négocie dans le cadre du GATT des accords multilatéraux, négociait dans le cadre de l'AELE des accords bilatéraux puisque de l'AELE nous sommes passés à l'EEE et la plupart des pays de l'EEE sont désormais membres à part entière de l'Union européenne. La Communauté négocie toujours des conventions avec les pays d'Afrique Caraîbe Pacifique (ou Fonds Européens de Développement, actuellement le 5ème), la fameuse Convention A.C.P..

La politique communautaire de concurrence La création d'un tel marché commun implique la mise en place en parallèle d'une politique

communautaire de concurrence visant à assurer le fonctionnement correct et efficace des marchés de biens et de services en empêchant certains acteurs dominants de fausser le jeu de la

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concurrence sur les marchés (article 85 du traité CEE). Cette politique trouve ses bases dans la théorie de l'allocation optimale des ressources. Deux principes régulateurs peuvent être énoncés :

- la neutralité de l'action publique, les interventions de l'Etat ne doivent pas fausser la concurrence entre les entreprises sur un marché déterminé

- le comportement des entreprises est surveillé car leur stratégie ne doit pas entraver le fonctionnement correct du marché.

La Politique Agricole Commune La Politique Agricole Commune a été mise en place progressivement entre 1958 et 1965.

Mais dès la signature du traité de Rome, et son célèbre article 39, les objectifs fondamentaux de la politique étaient écrits :

- améliorer la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique ; - assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, notamment par le relèvement du revenu

individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture ; - assurer la stabilisation des marchés et la sécurité des approvisionnements ; - viser des prix raisonnables pour les consommateurs. Ces quatre éléments constituent les quatre axes d'intervention de la P.A.C. : - la politique de marché : elle offre une garantie des prix agricoles par la fixation annuelle au

niveau communautaire de prix indicatifs de base, d'où sont déduits des prix d'intervention ; - la politique commerciale qui affirme le principe de préférence communautaire avec des

prélèvements agricoles sur les produits en provenance de pays tiers et des restitutions à l'exportation lorsque les prix européens sont supérieurs aux prix mondiaux ;

- la politique de structure qui a pour objectif de moderniser les exploitations agricoles ; - la politique sociale qui se préoccupe des conditions de santé et de retraite des agriculteurs. Pour financer cette politique il fut créé le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole

(FEOGA), qui sous la poussée des excédents monopolisera près de 70% du budget communautaire.

Durant cette même période, les six mirent en place : - une politique économique à moyen terme (1967) - une politique d'association de plusieurs pays méditerranéens et surtout des dix-huit Etats

africains et malgaches (EAMA) avec lesquels fut signée la convention de Yaoundé (1963) - le traité de fusion des exécutifs (1967) créant un Conseil unique et une Commission unique

pour la CEE, la CECA et la CEEA. Les premières dissensions apparurent avec le refus de la France d'un projet de révision du

financement de la PAC et du début de supranationalité qu'il contenait (1965). Le projet rendait la Commission souveraine en matière budgétaire (logique fédérale impulsée par Hallstein) et au sujet des demandes d'adhésion de la Grande-Bretagne qui souhaitait que certains aspects du traité fussent adaptés à sa situation propre, concernant notamment ses relations avec le Commonwealth et l'agriculture, ceci étant contre le principe de l'acquis communautaire (1961 et 1967). Le paroxysme de la crise fut atteint avec la fameuse période de la “ chaise vide ”. La crise éclata dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1965, face au non-réglement des questions financières de la PAC qui devait avoir lieu avant le 30 juin, le ministre français des Affaires Etrangères qui présidait le Conseil leva la séance. La crise de la Chaise vide commençait, elle fut réglée le 29 janvier 1966 à Luxembourg dans le cadre du célèbre “ compromis de Bruxelles ” qui régla le

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problème financier de la PAC mais qui mit en place le fameux principe de l'unanimité dans le cas d'intérêts importants, ceci à la demande de la France.

Il serait intéressant de revenir sur le cas britannique. Au lendemain de la guerre, la Grande-

Bretagne considérait avec scepticisme les projets d'organisation économique du continent, elle n'avait pas accepté d'adhérer à la CECA, elle s'était rapidement retirée des travaux préparant le marché commun. “ L'on raconte que Churchill avait un jour dessiné trois cercles auxquels appartenait la Grande-Bretagne : le premier englobant les Etats-Unis, le Royaume-Uni n'ayant pas renoncé au rôle de porte-parole de l'Europe outre-Atlantique ; le second avec le Commonwealth, matérialisé par les préférences impériales, le troisième intégrant le continent européen, que la Grande-Bretagne ne voulait pas voir s'affranchir de son influence. ” (Pratte, p. 66, 1991) Il faut ausi accepter le fait qu'à cette époque, seulement 15 % de ses exportations étaient destinés au continent européen contre 50% au Commonwealth.

Mais face à l'émergence d'un bloc commercial, la Grande-Bretagne prit la décision de constituer un bloc commercial concurrent avec les pays scandinaves, l'Autriche, la Suisse, le Portugal, plus tard avec le Danemark et l'Espagne. C'était avec la signature du traité en janvier 1960, la naissance de l'Association Européenne de Libre Echange (AELE).

Sur le plan marchand l'on passe d'un ensemble morcellé, composé d'Etats indépendants tant

sur le plan politique qu'économique (faut-il rappeler la situation française ? La France jusqu'à la fin des années 50 commerçait principalement avec son empire colonial) à une Europe mosaïque. Le terme mosaïque est utilisé car les pays membres de la C.E.E. n'envisageait pas les questions monétaires, or tant que la partie monétaire de la politique économique reste entre les mains des Etats nations, l'économie reste encore à la dimension de la nation. En effet, les prix relatifs peuvent être modifiés par l'utilisation de la politique monétaire.

Mais dès la fin des années 60 l'on prend conscience de la réalité des blocs régionaux et de cette logique d'internationalisation des économies. Mais les tendances s'opposent toujours entre intégration et simple zone de libre-échange.

Ces diverses dissensions ont été à l'origine de la relance de La Haye en décembre 1969. Le Sommet de La Haye de décembre 1969 décide : - l'ouverture des négociations pour le premier élargissement de la Communauté ces

négociations concernent l'entrée de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l'Irlande et de la Norvège,

- d'envisager pour la première fois de réaliser l'Union économique et monétaire sur la base d'un rapport réalisé par Raymond Barre, et propose d'étendre la réflexion en confiant au premier ministre luxembourgeois M. Werner le soin de rédiger un second rapport à rendre avant la fin de 1970,

- la mise en chantier d'une coopération politique ainsi que le renforcement des institutions communautaires notamment par la création de “ressources propres” pour le financement du budget communautaire.

Ces différents points justifient la qualification de ce Sommet de “grand tournant” dans la construction européenne. Le dynamisme sera de courte durée face à la crise économique des années 70. L'UEM sera balayée par l'effondrement du système de Bretton-Woods et le marché commun sera menacé par la remontée des protectionnismes.

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2.2. - L'Europe des premiers élargissements, des dissensions et de la “ première ” Union économique et monétaire

Le repli sur soi La réalité européenne et communautaire est parfois ambiguë, la transparence des phénomènes

n'est pas toujours son propre. Effectivement, cette période se caractérise par “ le retour au national ” :

- face à la crise économique et aux chocs pétroliers, de nouveaux obstacles au commerce ont émergé, ce sont les fameux obstacles non tarifaires (ONT), les dévaluations compétitives, les aides à l'exportation (la France dans les années 70 s'était fait une spécialité de ces affaires à haute teneur politique : l'on fournissait à des régimes plus que douteux des aéroports clés en main, des centrales électriques...et quelques chars, radars et avions de chasse), cette remontée du protectionnisme a eu un effet négatif sur l'efficience du marché unique sans réellement contrer la progression du chômage. Le rapport Cecchini, qui a été effectué pour la préparation de l'Acte unique européen, s'est efforcé d'apprécier le coût de cette non-Europe l'estimant de 4 à 6% du P.I.B. communautaire ;

- le devenir industriel passait par la création de champions nationaux alors que l'ensembles des économies s'internationalisaient sous l'action notamment des firmes multinationales américaines ;

- l'écroulement du système de Bretton-Woods a mis en place un système de taux de change flottant ;

- la montée du chômage dans la plupart des pays industrialisés ; - la concurrence des nouveaux pays industrialisés crée des problèmes régionaux importants, je

fais référence aux restructurations des industries lourdes, construction navale en particulier, mais aussi aux restructurations des industries de biens de consommation, industrie automobile… ;

- la plus grande intégration commerciale communautaire (résultat de l'union douanière) est synonyme d'une contrainte externe plus forte, affaiblissant d'autant la capacité des Etats membres à mener des politiques monétaires et budgétaires indépendantes et efficaces, surtout lorsque l'on considère que la stabilité des changes est nécessaire à la cohésion interne.

Lorsque l'environnement extérieur est violent, agressif, sans règle, le repli sur soi devient

naturel, et semble être la seule réponse possible aux problèmes économiques des années 70. Surtout lorsque la Communauté européenne n'a pas les moyens de mener des politiques d'envergure, son budget qui ne représentait que 1% du PIB européen était à plus de 70% consacré aux dépenses agricoles, cela ne permettait pas d'agir d'une manière significative sur le plan social, industriel ou régional.

Bien qu'aucun traité n'ait été signé durant cette période, bien que l'idée européenne s'estompe

au profit de l'idée nationale, bien que l'élargissement soit préféré à l'approfondissement, deux notions souvent contradictoires (entrée du Royaume-Uni, du Danemark et de l'Irlande en 1972, la Norvège s'étant prononcée négativement par référendum, de la Grèce en 1981), il faut reconnaître que cette période met en place tous les éléments qui seront les moteurs de la relance de la construction européenne engagée en 1985 avec l'Acte unique, prolongée bien-sûr en 1992 avec la signature du traité sur l'Union européenne.

Un certain nombre d'avancées

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Sur le plan monétaire, le Sommet de La Haye en 1969 et les plans et rapports qui ont suivi le Sommet prévoient l'union économique et monétaire pour 1980. Concrètement, une première tentative d'organisation monétaire a été réalisée avec le serpent monétaire européen en 1972. Cette organisation a été très rapidement remise en cause par l'effondrement du système de taux de change fixes de Bretoon Woods et les mouvements de spéculation. La deuxième tentative a été faite avec le système monétaire européen en 1978 décidé au sommet de Brème sous l'impulsion de Chancelier Helmud Schmidt et du président Valéry Giscard d'Estaing.

La différence est simple entre ces deux organisations, la première était ancrée sur le dollar, elle était un simple rétrécissement des marges de fluctuation à l'intérieur de celles mises en place par Bretton Woods, c'est la fameuse image du tunnel dans le serpent, la seconde est totalement indépendante, la fixité des changes n'existe qu'entre les monnaies européennes puisque le flottement est généralisé pour les autres monnaies mondiales (à l'exception de certaines zones, la zone Franc, la zone rouble…). La stabilité des changes fait partie de la culture monétaro-économique européenne, les échanges ne peuvent se développer que dans la stabilité, s'il y a instabilité monétaire, certains pays peuvent être soupçonnés de “dumping” monétaire, dès lors il y a un risque de perte de cohésion interne et cela fragilise d'autant le processus d'intégration. Depuis l'effondrement du système de Bretton Woods les pays européens ont toujours tenté de mettre en place des règles afin d'éviter ce genre de déséquilibres.

Sur le plan industriel, l'Europe de l'aviation civile avec la création du groupement d'intérêt économique AIRBUS en 1970 (composé de 4 avionneurs : Aérospatiale pour la France, Messerschmidtt pour l'Allemagne, British Aerospace pour la Grande-Bretagne et PK pour l'Espagne), l'Europe de l'espace voit le jour en 1972 avec la création de l'agence spatiale européenne (ESA).

Sur le plan régional, l'élargissement de la Communauté, avec notamment l'entrée du Royaume uni et de l'Irlande, met en évidence les enjeux régionaux du marché commun, ces deux pays, ayant déjà d'énormes problèmes régionaux hérités de leur position d'ancienne puissance industrielle du XIXe siècle, ont peur de voir s'accentuer les disparités régionales sous l'effet de l'ouverture des frontières.

Sur le plan des politiques macroéconomiques, les interdépendances croissantes des économies européennes mettent en évidence les limites des politiques macroéconomiques menées isolément. L'on passe des implications microéconomiques aux implications macroéconomiques du marché commun, de l'intégration des facteurs (au sens de la mobilité de ceux-ci dans une recherche d’allocation optimale des ressources) à la mise en place de politiques macroéconomiques communes via une plus grande coopération/coordination des politiques nationales.

Cette étape peut être qualifiée de période de gestation, sans dire non plus qu'elle fût une

période de stabilité. Si cette période est riche en projets et en avancées, il ne faut pas oublier que la Communauté est frappée par la crise, la montée du chômage et un certain retour au nationalisme économique...

2.3. – L’Europe du grand marché

Cette étape très souvent qualifiée de période de relance a été marquée par le passage à la tête de la Commission européenne de Jacques Delors qui a indéniablement su donner à la

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Communauté une nouvelle dimension. Sous l'impulsion de cet homme, la Communauté européenne a su “concilier l'inconciliable” c'est-à-dire faire évoluer différents éléments de la construction européenne trop souvent contradictoires dans un même sens, celui d'une plus grande intégration économique.

L'Acte Unique européen : le marché unique L'objectif du Grand marché a été impulsé par la publication le 14 juin 1985 du Livre blanc de

la Commission sur l'“Achèvement du marché intérieur” et par la signature le 17 février 1986 à Luxembourg de l'Acte Unique européen.

L'objectif 1992 n'est en réalité qu'une remise à jour du traité de Rome, 30 ans après sa ratification. Il a été atteint par la mise en place d'un programme de quelque 300 mesures d'harmonisation jugées nécessaires pour faire tomber les barrières physiques, techniques et fiscales qui s'opposaient à la libre-circulation certes des marchandises et des services mais aussi des hommes et des capitaux.

Pour appliquer ces 300 mesures d'harmonisation, les Etats membres ont accepté de voter à la majorité qualifiée la plupart des décisions et de mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuel, “ ce qui est bon chez vous est bon pour nous ”, cette approche est plus rapide que la réglementation.

Bien que l'Acte unique ait été assimilé à un 'traité de Rome bis', il a apporté autre chose qu'un

Grand marché puisqu'il a fixé six autres objectifs à la Communauté : - faire l'Europe technologique par la mise en place de grands programmes communautaires,

tels que Esprit, Brice, Race… ; - développer une plus grande cohésion économique et sociale en réformant le budget

communautaire, paquet Delors I et II ; - l'Europe sociale ; - développer une politique commune en matière d'environnement ; - réaliser l'Union économique et monétaire ; - réaliser l'Union politique. Mais c'est aussi la libre-circulation des capitaux, pour des raisons micro-économiques, de plus

en plus se développent des déplacements de capitaux et non pas de marchandises, ce sont les fameux investissements directs à l'étrangers : la concurrence internationale a pris de nouvelles formes. Les contrôles aux frontières réduisent la liberté des acteurs économiques. Ceci sur le plan interne, mais avec la mondialisation des économies, il y a une forte demande de la part des investisseurs non-résidents, place des FMN.

Sur le plan macroéconomique, cela permet aux Etats de trouver de nouvelles sources de financement, d'assurer une meilleure allocation de l'épargne, en effet les besoins ne sont pas les mêmes que l'on se trouve en Espagne ou en France.

Cette forte exigence économique d'ouverture des marchés des capitaux peut être facteur

d'instabilité lorsque les politiques monétaires demeurent autonomes (absence d'union monétaire) et lorsque ces politiques monétaires doivent maintenir des taux de change fixes. C'est le fameux triangle d'incompatibilité. Cette incompatibilité nous entraîne directement à la monnaie unique.

C'est pour cette raison trop rapidement développée qu'il faut définir l'Acte unique comme un engagement décisif de la part des Etats membres puisque l'Europe communautaire, en libérant

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l'ensemble de ses facteurs de productions modifie complètement la nature de la construction européenne : l'union monétaire est par nature autre chose que l'ouverture des frontières de marchandises car elle est une véritable révolution culturelle.

L'Acte unique est à mon sens beaucoup plus important que le traité de Maastricht parce que c'est l'Acte unique qui a entraîné des modifications importantes dans les grands équilibres macroéconomiques, le traité de Maastricht a été un traité contraint, l'on ne pouvait pas ne pas aller plus au risque sinon de régresser.

L'élargissement de la Communauté L'élargissement de la Communauté avec l'arrivée des pays du Sud, l'Espagne et le Portugal en

1986, faisant passer la Communauté de 10 pays membres à 12. Ces deux pays en retard de développement ont fortement bénéficié de leur entrée dans la Communauté car sur le plan international c'est une reconnaissance, la Communauté fonctionne comme un club, il vous apporte une notoriété. De 1987 à 1991, l'Espagne a été le pays attirant le plus d'investissements directs.

Mais ces pays ont une importance politique importante car ils sont un pont tant vers les pays du Maghreb que vers les pays d'Amérique latine. Si l'on parle peu des pays d'Amérique latine du fait de la distance physique qui nous sépare, l'Europe, principalement sous la pression française, se doit de développer un partenariat riche et divers avec les pays d'Afrique du Nord, les raisons sont évidentes : économico-politique, lorsque le peuple mange la démocratie peut-être développé et peut éviter la montée des intégrismes.

La marche vers la monnaie unique L'approfondissement de l'intégration avec la mise en place d'un Comité chargé de préparer la

mise en place d'une monnaie européenne (Comité Delors), - 14-15 décembre 1990 : accord du Conseil européen de Rome pour la mise en place de deux

conférences intergouvernementales chargées de faire des propositions sur l'Union économique et monétaire ainsi que sur l'Union politique,

- les 12-13 décembre 1991, accord du Conseil européen lors du 46ème sommet intergouvernemental sur le contenu d'un nouveau traité qui sera signé à Maastricht le 7 février 1992.

Les raisons d'une telle Union économique et monétaire : la poursuite du processus

d'intégration. Le traité de Maastricht s'inscrit bien-sûr dans le cadre de l'approfondissement de l'intégration européenne, que l'on oppose souvent au processus d'élargissement, comme l'exprime clairement l'article A, dans les dispositions communes :

“le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe (...) L'Union est fondée sur les Communautés européennes complétées par les politiques et formes de coopération instaurées par le présent traité”.

Notons cependant que dans cette logique d'approfondissement la notion de fédéralisme ou de supranationalité n'apparaît pas, et que le traité est une nouvelle étape mais pas la dernière (logique de processus).

Rapidement, rappelons les raisons fondamentales d'une telle union : - d'ordre économique : une monnaie unique signifie une réduction de coûts de transaction, de

coûts d'information, et de coûts liés à l'incitation à la discrimination par les prix (surtout dans les

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zones transfrontalières), rapport Cecchini sur le coût de la non-Europe. Aux fameux avantages microéconomiques, il faut ajouter les avantages macroéconomiques liés aux incohérences du triangle d'incompatibilité et à l'intensification des échanges intra-européens, la monnaie est “le complément naturel du Grand Marché”.

- d'ordre économico-politique : l'Europe n'a pas vocation à s'unir pour régler uniquement des problèmes intra-européens, l'approfondissement de son intégration a pour but aussi de rendre l'Europe plus indépendante vis-vis de l'extérieur, c'est à dire avoir un poids sur les décisions de ses 'partenaires' extérieurs. En situation d'union monétaire, économique et politique, le G7 passerait à un G3 + 1 (composé de 12 pays). Cette nouvelle répartition des forces aurait sans aucun doute un impact sur la recherche d'un nouvel ordre monétaire international.

- d'ordre historico-politique : l'intégration européenne trouve ses origines dans la recherche d'une paix durable en Europe. Il ne faudrait pas oublier cette motivation qui scelle les relations franco-allemandes depuis plus de quarante ans. Une plus grande intégration est couramment synonyme d'une plus grande stabilité, cet argument prend une nouvelle dimension avec l'ouverture des pays de l'Est, et ne l'oublions pas la réunification allemande.

Conclusion - L'Europe fédérale ou l'Europe politique en gestation

La dynamique actuelle de la construction européenne se concentre sur des aspects de nature essentiellement politique. L'analyse de la construction européenne montre clairement un jeu de va et vient entre avancées économiques et avancées politiques. Selon la période examinée, le moteur de l'intégration est soit économique, soit politique.

Depuis la relance de 1984, impulsée par Jacques Delors, le moteur était essentiellement économique. Avec le passage à la monnaie unique, l'intégration économique prend de fait une dimension politique : la monnaie n'est pas uniquement un instrument facilitant les échanges, c'est aussi un instrument au service d'une politique économique, instrument doté d'une double dimension, interne et externe. L'unification monétaire européenne apporte à l'Union européenne un pouvoir supplémentaire de souveraineté. S'il y a pouvoir de souveraineté, il y a une institution dotée de ce pouvoir : d'un côté la Banque Centrale Européenne pour la définition et la conduite de la politique monétaire interne, de l'autre le conseil Ecofin pour la définition et la conduite de la politique de change de l'Union vis à vis du reste du monde.

La monnaie en tant qu'instrument de politique macroéconomique pose également le problème

de sa co-gestion avec le budget afin de déterminer le policy mix. Il est donc impensable que l'unification monétaire européenne ne puisse pas déboucher sur la mise en place d'un gouvernement européen. Cette implication de la monnaie unique n'a pas encore été réglée. Mais c'est une question incontournable qui sera tranchée dans un avenir proche.

L'unification monétaire nous entraîne donc irrémédiablement vers une construction fédérale. Evidemment, cette fédération ne ressemblera pas à celles Etats-Unis, ni à celle de l'Allemagne. Elle aura sa propre vie, se développera selon les propres besoins de l'Union.

Un deuxième élément doit être pris en compte, le cinquième élargissement de l'Union

européenne aux Pays d'Europe Centrale et Orientale. Passer de 15 pays à 25 oblige les pays européens à réformer les institutions. Il faut rappeler que les institutions créées en 1957 l'ont été pour six pays. Gérer 6 pays n'est pas la même chose que gérer 25 pays.

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Pour en savoir plus NIVEAU I

BARTHE M.A. (2000) Economie de l’Union européenne, Paris, Economica. CAHIERS FRANÇAIS (2000) L’Europe en perspective, Septembre/Octobre, n°298, La documentation Française. CONSTANTINESCO V. (2000) “ Europe fédérale, Confédération européenne, fédération d’Etats-nations ? ”, in L’Europe en perspective, Cahiers français, n°298, p. 80-89. DAVID D. (2000) “ Europe espace ou Europe puissance ? ”, in L’Europe en perspective, Cahiers français, n°298, p. 74-79.

NIVEAU II FARVAQUE E. & LAGADEC G. (sous la dir.) (2002) Intégration économique européenne, Bruxelles, de Boeck. FAUGERE J.P. (1999) Economie européenne, Paris, Presses de Sciences Po/ Dalloz. FITOUSSI J.P. (1998) Rapport sur l'état de l'Union européenne 1999, Fayard/Sciences Po.

NIVEAU III ECHINARD Y; (1997) “ L’union européenne : régionalisation ou mondialisation ”, Revue du Marché commun et de l’Union europénne, n°406, Mars, p.192-202. GERBET P. (1994) La construction de l'Europe, Paris, Imprimerie nationale.

MONNET J. (1976) Mémoires, Paris, Fayard. MUET P.A. (1996) “ Scénarios européens rétrospective et prospective “, Revue de l'OFCE, n°58,

juillet. PRATTE A. (1991) Quelle Europe, Paris, Julliard. REBOUD L. (1996) Economie européenne. 1. Les limites de l'internationalisation des marchés. 2. Les conditions de l'intégration, Grenoble, PUG.

Encadré 1 : Informations générales sur la construction européenne Glossaire : http://www.europa.eu.int/scadplus/leg/fr/cig/g4000.htm L’union européenne en bref : http://www.europa.eu.int/abc-fr.htm L’hymne européen : http://www.europa.eu.int/abc/symbols/anthem/index_fr.htm Dix leçons sur l’Europe : http://www.europa.eu.int/comm/publications/booklets/eu_glance/12/txt_fr.htm La CECA : http://www.europa.eu.int/ecsc/index_fr.htm La politique de concurrence : http://www.europa.eu.int/comm/competition/index_fr.html La politique commerciale : http://trade-info.cec.eu.int/europa/index_fr.php La politique agricole commune : http://www.europa.eu.int/comm/agriculture/index_fr.htm La politique monétaire : http://www.ecb.int

Encadré 2 : l’idée d’unité européenne Le comte Richard de Coudenhove-Kalergi a été le pionnier du mouvement en faveur d’une Europe unie. Il publia en 1923 un livre : Pan-Europe. Il montrait que l’union de l’Europe était nécessaire pour éviter la conquête par le

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bolchevisme russe ou la domination économique américaine et pour conserver à l’Europe son rôle de leader dans le monde. Aristide Briand, ministre des affaires étrangères français depuis 1925 et Président du Conseil en 1929, a été le premier homme d’Etat à proposer de façon officielle la création d’une sorte de groupement européen. Son projet fut rendu public le 5 septembre 1929 à Genève lors de la réunion d’automne de la Société des Nations. « Je pense qu’entre les peuples qui sont géographiquement groupés, comme ceux de l’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral. Ces peuples doivent avoir la possibilité, à tout moment, d’entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves si elles venaient à naître. C’est ce lien que je voudrais m’efforcer d’établir. Évidemment, l’association agira surtout dans le domaine économique, qui est la question la plus pressante, mais je suis sûr aussi qu’au point de vue politique, au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté commune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfaisant. » Source : Source : Gerbet P. (1999) La construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, p. 35-36. Extrait du discours retentissant de Churchill le 19 septembre 1946 qui lança la campagne d’opinion en faveur de l’unité européenne

« Si les pays européens parvenaient à s’unir, leurs 300 à 400 millions d’habitants connaîtraient, par le fruit d’un commun héritage, une prospérité, une gloire, un bonheur qu’aucune borne, qu’aucune frontière ne limiterait. Il faut que la famille européenne, ou tout au moins la plus grande partie possible de la famille européenne, se réforme et renoue ses liens, de telle manière qu’elle puisse se développer dans la paix, dans la sécurité et dans la liberté. Il nous faut ériger quelque chose comme les Etats-Unis d’Europe. Le premier pas à accomplir est la constitution d’un Conseil européen. Pour mener à bien cette tâche urgente, la France et l’Allemagne devront se réconcilier, la Grande-Bretagne, la famille des peuples britanniques, la puissante Amérique et, je l’espère sincèrement, l’Union soviétique –car, alors, tout serait résolu- devront se poser en amis et protecteurs de la nouvelle Europe, devront défendre son droit à la vie et à la prospérité. » Source : Gerbet P. (1999) La construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, p. 51-52.

Encadré 3 : l’intégration européenne, un processus original et inédit Les cinquante dernières années ont été marquées par un rapprochement sans cesse croissant des économies

européennes. Ce rapprochement s’est réalisé dans le cadre d’accords politiques (signature et ratification de nombreux traités), par le jeu des acteurs privés et des corps intermédiaires (associations, lobbies, syndicats) et bien sûr par le fonctionnement des institutions européennes (Commission, Conseil, Parlement, Cour de justice etc…). La réalisation du marché intérieur a favorisé le rapprochement des économies nationales.

Cette expérience d’intégration régionale est la plus aboutie dans l’histoire contemporaine des relations internationales. Elle constitue une expérience originale et inédite. La mise en place de l’union monétaire en 1999 illustre avec force ce mouvement : mettre en commun un pouvoir souverain, transférer volontairement ce pouvoir à une institution européenne ne doit pas être banalisé.

Il faut également noter que l’expérience européenne participe au renouveau des regroupements régionaux à l’échelle mondiale, renouveau que l’on peut dater depuis la fin des années quatre-vingt. Sur tous les continents, des intégrations régionales se développent : en Asie, en Amérique, en Afrique. Cette recomposition des relations internationales n’est pas neutre. Certains observateurs considèrent que l’ordre économique mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale est en voie de réorganisation sous l’effet de l’émergence de pôles régionaux. 1 L’espace régional est de plus en plus pertinent. Il devient un producteur de biens publics. Dès lors, ces nouveaux espaces doivent s’appuyer sur des institutions régionales, condition sine qua non de leur viabilité. 2 En conséquence, le cas européen est regardé avec attention car, jamais dans l’histoire, des pays souverains n’ont mis en commun autant de compétences de manière volontaire, pacifique et démocratique, jamais tant de biens publics n’ont

1 Problèmes économiques (2004), L’intégration régionale au service de la mondialisation ?, 7 juillet, n°2855. 2 La crise financière et monétaire des pays du Mercosur a montré qu’en l’absence d’institutions communes, le

projet d’intégration régionale était vulnérable.

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été produits à l’échelle régionale, jamais des institutions régionales n’ont eu une durée de vie si longue. 3 L’expérience européenne est donc considérée comme un laboratoire de l’intégration régionale.

La « préhistoire » de la construction européenne, avec le traité de Paris (Communauté Européenne du Charbon et

de l’Acier), posa les bases politiques, et s’appuya sur la réconciliation franco-allemande. L’Europe des pères fondateurs fut d’abord et avant tout politique. Il apparaît nécessaire de le rappeler car c’est l’échec du traité C.E.D. (Communauté Européenne de Défense) qui marqua la première rupture dans le processus de l’intégration européenne. 4

L’ouverture croissante des économies européennes (G.A.T.T. et ordre économique mis en place à Bretton Woods en 1944) et notamment le processus de décolonisation (réorientation des flux commerciaux français) participèrent à la transformation de la nature originelle du projet européen. Les motivations économiques prirent indéniablement le pas sur les motivations politiques. L’objectif des traités de Rome en 1957 fut de développer un régionalisme « éducatif et défensif » permettant aux entreprises européennes d’acquérir une taille critique (recherche d’économies d’échelle) afin de mieux affronter la concurrence internationale mais aussi de mener deux politiques sectorielles, l’une agricole, l’autre nucléaire.

La transformation des relations économiques et monétaires internationales de la décennie soixante-dix influença également la trajectoire du processus d’intégration. La « disparition » du Système monétaire international incita les pays européens à mettre en place un système monétaire régional en décembre 1978 au sommet de Brème. Une fois encore cette expérience est unique dans l’histoire monétaire contemporaine.

L’Acte unique européen participa à parachever l’intégration marchande en favorisant non plus seulement la libre circulation des marchandises mais aussi celle des capitaux, des services et des personnes (achèvement du marché intérieur). L’acte unique participa aussi à faire basculer l’Europe de la coopération monétaire à l’Europe de l’intégration monétaire.

Enfin, l’effondrement du bloc de l’Est à la fin des années quatre-vingt marqua le début d’une nouvelle ère, celle de la recomposition du continent européen. A ce titre se pose à nouveau la question des frontières de l’Europe. Si le rideau de fer était une réponse car il constituait une frontière, sa disparition pose à nouveau la question des frontières de l’Europe.

Le processus européen ne s’est pas réduit à la seule dynamique de l’intégration économique : du marché commun

à la monnaie unique en passant par le marché unique, des politiques économiques nationales aux politiques communes, la politique agricole, la politique commerciale, la politique monétaire, la politique de concurrence, les fonds structurels…

Il s’est accompagné d’une logique d’élargissement spatial (des six pays fondateurs au vingt-cinq actuels). Ces différents élargissements ne sont pas neutres puisqu’ils se traduisent par l’augmentation du nombre de pays mais aussi pas l’hétérogénéité croissante des pays participants. Plus le nombre est élevé, plus il est difficile de déboucher sur des accords. Plus le groupe est hétérogène, plus il est difficile de produire des préférences collectives homogènes. Examinons les différents élargissements pour tirer des enseignements.

Pour certains analystes, l’entrée de la Grande-Bretagne a constitué une rupture dans le processus de l’intégration européenne. La Grande-Bretagne a toujours eu une vision différente des relations internationales de celle de la « françallemagne ». Le modèle européen britannique est davantage fondé sur la participation à des accords d’association plutôt que de participer à la construction d’une Europe fédérale. Le thatchérisme a ensuite contribué à favoriser le libéralisme plutôt que l’interventionnisme. Enfin Margaret Thatcher a marqué son passage en Europe en exigent « I want my money back ». L’arrivée de la Grande-Bretagne n’a donc pas favorisé le développement d’une Europe solidaire.

Cette vision de l’impact de l’entrée de la Grande-Bretagne doit être relativisée. Jacques Delors (Président de la Commission européenne dès 1985) a réussi à lier l’entrée de l’Espagne et du Portugal à la réforme des finances publiques communautaires. En mettant en évidence le coût social potentiel de l’arrivée de ces pays dans la Communauté, il a réussi à réformer la politique agricole commune et à créer les fonds structurels. Cette réforme a permis le développement d’une Europe plus solidaire entre les pays riches et les pays en rattrapage économique.

3 Paix, préservation du patrimoine culturel, environnement durable, cadre juridique ouvert et prévisible pour les

échanges, respect et surveillance de la concurrence, stabilité monétaire et financière, respect de la démocratie, de la justice, des droits sociaux etc…

4 Jean Monnet rappelle dans ses Mémoires les raisons et les conséquences de cet échec. Monnet J. (1976), Mémoires, Paris Fayard.

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Quant à l’arrivée des pays nordiques, en 1995, pays de forte tradition sociale-démocrate, elle favorisa une démarche intergouvernementale visant à préserver les politiques nationales.

Le dernier élargissement (2004) constitue bien sûr un défi. Le nombre important de nouveaux membres (10), l’accroissement de l’hétérogénéité économique entre les pays, la fragilité liée à une transition non achevée, la conversion au libéralisme économique pour certains, font de cet élargissement une expérience encore une fois unique dans l’histoire contemporaine. C’est la première fois qu’à une telle échelle des pays accusant un tel retard économique intègrent un accord régional constitué de pays en avance sur le plan économique.

Ne dramatisons pas, l’histoire récente montre que les pays européens ont su produire plus de traités durant les 15 dernières années qu’ils n’en avaient produits durant les 35 premières.

La construction européenne n’a donc jamais été figée, elle n’a cessé de se transformer au fil du temps et surtout

n’a cessé d’ajuster des chocs exogènes. D’une manière plus générale, la construction européenne relève d’un processus gradualiste. Les effets de

l’intégration demandent davantage d’intégration. L’image du cycliste est souvent donnée à nos étudiants : pour avancer, le cycliste doit pédaler, sinon il tombe.

La construction européenne s’apparente donc au cycliste. La création du grand marché (disparition des obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges) impliquait la mise en place de la monnaie unique car l’instabilité des changes devenait une source de perturbation forte entre les économies européennes et entre les différents acteurs économiques européens. A ce titre, et en période de débat sur la nature libérale ou non libérale de la construction européenne, je me permets de rappeler que le passage à la monnaie unique a été un acte a-libéral trop souvent passé sous silence. La fusion des n monnaies au 1er janvier 1999 a signifié la confiscation par une décision politique de n monnaie – 1, autant d’instruments de spéculation mis hors marché. Cela n’est pas une anecdote, il suffit pour s’en convaincre de rappeler les fortes perturbations de changes qui ont frappé les monnaies européennes de septembre 1992 à août 1993.

De même, la monnaie unique (transparence des prix) impliquera à terme une certaine coordination des politiques fiscales et sociales européennes. Toute différence fiscale peut désormais se traduire comme un avantage compétitif pour les pays menant une politique de concurrence fiscale voire de dumping fiscal. Les travaux de la Commission européenne à partir de 1996 ont ouvert la voie de la coordination fiscale. Ce qui hier apparaissait comme une chasse gardée nationale (la souveraineté fiscale) devient aujourd’hui une question d’intérêt commun même si l’unanimité est toujours requise in traité constitutionnel en matière fiscale. Les économistes parlent d’effets d’engrenage, d’effets externes à internaliser. Cela ne veut pas dire harmonisation. Pour s’en convaincre il suffit de prendre pour exemple le système fiscal américain.

L’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale pose théoriquement la question de la coordination des politiques sociales.

Ceci dit, ne sombrons pas une fois encore dans la facilité c’est-à-dire la dramatisation. Le dernier élargissement s’est réalisé de manière officielle le 1er mai 2004. Mais cet élargissement est le fruit d’un long processus qui a débuté dans les faits dès 1991. Si le spectre des délocalisations et de la concurrence déloyale sont très souvent mis en avant, je me permets de rappeler que durant les 15 dernières années, la balance commerciale de l’Union européenne avec les pays d’ Europe centrale et orientale est largement en faveur de l’Union, c’est-à-dire structurellement excédentaire. Autrement dit, nous vendons plus de biens et de services aux PECO qu’ils n’en vendent à l’Union européenne. En termes crus, ils ont jusqu’à ce jour participé à alimenter notre croissance économique et donc à notre enrichissement.

Si l’on prend l’exemple de l’économie française, entre 1993 et 2003, le commerce avec les PECO a quadruplé. Cette hausse annuelle de 16% (contre seulement 6% de nos échanges totaux) s’est traduite par un excédent de notre balance des paiements passant de 600 millions d’euros en 1993 à un excédent de 2 milliards d’euros en 2003. La part des échanges avec les PECO demeure cependant modeste puisqu’elle ne représente que 3,5% de nos exportations et 3% de nos importations. Sur le plan qualitatif, la spécialisation française est conforme à ses avantages comparatifs, avantages localisés dans les produits de haute et moyenne technologie et les produits haute gamme. Quant à la spécialisation des nouveaux arrivants, elle repose principalement sur les secteurs traditionnels intensifs en main d’œuvre et les matières premières. A terme, et selon les leçons des modèles de gravité, les échanges commerciaux entre la France et les PECO devraient doubler. Selon les travaux de la Direction des Relations Economiques

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Extérieures, cette dynamique commerciale n’a pas été destructurante pour l’économie française, elle n’a fait que confirmer sa spécialisation. 5

Bien sûr, les relations économiques internationales contemporaines ne se réduisent plus aux échanges de marchandises. Il faut tenir compte des investissements directs étrangers. Les entreprises françaises ont donc profité de l’ouverture et de l’insertion des PECO à l’économie européenne depuis le début des années quatre-vingt-dix et surtout des perspectives d’investissements durables offertes par les privatisations massives réalisées au sein des PECO. Le stock d’Investissements Directs Etrangers français s’élevait à 13 milliards d’euros en 2001, soit 2% du stock total (20% du stock français dans les pays en développement, deuxième zone après l’Amérique latine). Trois pays concentrent 86% des investissements : la Pologne (60%), la République Tchèque (15%) et la Hongrie (11%). La France est le deuxième investisseur derrière l’Allemagne. 75% des IDE français sont réalisés dans les secteurs des services marchands. Cela montre la volonté d’être présent dans les pays de la zone et non y transférer des activités. Un tel constat nuance fortement les craintes de délocalisation. Les investissements ont été notables dans les secteurs du traitement et de la distribution d’eau, la banque, la grande distribution et les télécommunications.

La concurrence de la Chine ou de l’Inde me semble potentiellement plus importante que celle des pays d’Europe centrale et orientale et poser potentiellement plus de problèmes en termes de délocalisation. Il ne faudrait donc point trop stigmatiser les PECO et surestimer leur capacité de destructuration des économies « ouest-européennes ». Il est nécessaire de rappeler que les efforts de ces pays ont été énormes durant ces 15 dernières années, notamment en termes d’intégration de l’acquis communautaire. Sur le plan économique, la reprise de l’acquis (normes techniques, sanitaires, phytosanitaires, environnementales etc.) signifie pour ces pays un surcoût important venant réduire leur compétitivité.

D’une manière plus générale, se pose la question que personne ne pose, aurions-nous dû ne pas accueillir les PECO ? Avions-nous un autre champ des possibles ? Cette interrogation est également valable pour la réunification allemande. Chacun sait que cette réunification a constitué un choc asymétrique très fort au début des années quatre-vingt-dix, choc que les pays européens ont eu beaucoup de difficultés à ajuster. Mais, les autorités allemandes avaient-elles d’autres choix ?

En résumé, nous pouvons dire que la construction européenne participe inévitablement, inexorablement à la formation d’un espace économique unifié et donc à la création d’une économie (nationale) européenne comme nos économies nationales se sont unifiées au XIXeme siècle. L’histoire montre que les Royaumes, puis les Etats, se sont bâtis autour de marchés nationaux. 6

Mais cette dynamique économique ne peut se passer d’institutions communes, transparentes, efficaces et démocratiques : la Commission européenne, le Parlement européen, la Cour de justice, le Conseil européen, la Banque centrale européenne etc...

Les débats actuels qui portent sur le traité constitutionnel, sur le renforcement de la gouvernance économique, sur le rôle croissant du Parlement européen… illustrent pleinement cette dynamique.

Au fil du temps, un gouvernement à plusieurs niveaux se met en place, de l’échelon infra-national à l’échelon européen en passant par l’échelon national. Le projet européen participe à la recomposition des pouvoirs. Il n’est donc pas surprenant que l’Europe soit au cœur des débats.

Mais, bien que la construction européenne se soit appuyée sur des politiques communes et partagées, nombre de politiques sont encore pleinement conduites à l’échelle nationale. L'Europe, cette chose abstraite, ne fait donc pas tout. Jacques Delors le rappelle chaque fois qu’il prend la parole. 7

5 Direction des Relations Economiques Extérieures (2004), L’impact de l’élargissement de l’UE sur le commerce

extérieur et les investissements de la France, Mission Elargissement. 6 Les travaux de Fernand Braudel sont à ce titre riches d’enseignements. Braudel F. (1985), La dynamique du

capitalisme, Paris, Arthaud. 7 Pour une vision récente de la construction européenne, lire : Delors J. (2004), Mémoires, Paris, Plon.

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CHAPITRE 3 LES ENJEUX ECONOMIQUES DE L’ELARGISSEMENT « Nous devons construire l’Europe non seulement dans l’intérêt des pays libres, mais

aussi pour pouvoir intégrer les pays d’Europe orientale, dès qu’après la libération de leur contrainte, ils nous demanderont de les accepter dans la Communauté. »

Robert Schuman,1953. A la fin de la décennie quatre-vingt, l’Europe est sortie de l’ère de Yalta, de l’époque de la

guerre froide. Avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’Europe est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. L’effondrement du bloc soviétique, l’unification allemande, la disparition du Pacte de Varsovie… sont autant d’éléments qui ont participé à cette recomposition que certains ont qualifié de révolution (Guilhaudis 1993) ou de prodigieuse mutation (Delors 2003).

Cette profonde mutation s’est réalisée, il faut le souligner, de manière essentiellement pacifique. Nous n’ignorons pas la crise dans les Balkans, ni les tensions dans un certain nombre de pays. Mais globalement, nous pouvons retenir que la plupart des pays Est européens ont connu une révolution de velours (Rupnik 2003).

Cette recomposition du continent s’est accompagnée de deux grandes évolutions : - la poursuite de l’approfondissement du processus d’intégration économique de l’Europe de

l’Ouest qui s’est notamment traduite par l’union monétaire de douze pays membres de l’Union européenne ;

- l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale qui s’est appuyé sur un processus long qui a débuté en juin 1993 et achevé le 1er mai 2004.

Sur le plan politique, le cinquième élargissement a indéniablement une dimension symbolique

forte. « Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, ces pays ont le sentiment de pouvoir réconcilier leur géographie et leur histoire, leur culture et leur appartenance politique. » (De la Serre et al. 1994, p. 112) Cet élargissement est celui de l’Europe retrouvée. En ce sens, le 1er mai 2004 restera une date clé de l’Histoire de l’Europe.

Sur le plan économique et institutionnel, c’est davantage discutable. En effet, il serait

dommageable d’analyser le cinquième élargissement seulement à partir du 1er mai 2004. Une

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telle démarche signifierait que l’aventure européenne des nouveaux membres ne débuterait qu’à cette date. Or, jamais dans l’histoire communautaire, la période de pré-adhésion n’a été si longue. De nombreuses transformations structurelles se sont produites durant la décennie quatre-vingt-dix.

Le 1er mai 2004 n’aura donc pas été le « grand soir ». Il n’y a pas un avant et un après 1er mai 2004. Cette date ne crée pas une situation radicalement nouvelle. Cette considération rétrospective est également vérifiable sur le plan prospectif car la période de transition (au sens large du terme) n’est pas terminée tant sur la question du passage d’une économie planifiée à une économie de marché que sur la question de l’acquis communautaire. Les pays d’Europe centrale et orientale bénéficient encore de périodes dérogatoires (Andreff 2003).

C’est pour cette raison qu’il nous semble pertinent de mettre en évidence dans un premier

temps les effets de l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale durant leur phase de pré-adhésion, effets qui dessinent déjà les enjeux économiques futurs à l’échelle des 25. Ce sera l’objet de notre deuxième partie.

I. PERIODE DE PRE-ADHESION : TRANSITION, INSERTION ET DESTRUCTION

A partir du moment où l’on abandonne le cadre d’une économie planifiée, il faut organiser la transition à une économie de marché quelle que soit la stratégie adoptée, gradualisme ou thérapie de choc. Trois points rappelleront ce processus transformationnel. Le mérite de la perspective d’adhésion est d’avoir fourni un cadre (1.1). Sur le plan économique, ce cadre a favorisé l’insertion des pays est-européen à l’économie européenne (1.2). Mais la transition a aussi produit des effets destructeurs sur le plan interne. (1.3.)

1.1. Transition des pays d’Europe centrale et orientale au sein du processus

de pré-adhésion Le processus de pré-adhésion s’est appuyé sur trois principaux piliers : • des accords d’association créant une zone de libre-échange entre les pays d’Europe

centrale et orientale et l’Union européenne ont été signés à partir de 1992 ; • un cadre de négociation, les 31 chapitres de l’acquis communautaire s’appuyant sur trois

grands critères (énoncés au Conseil européen de Copenhague de juin 1993) : i) avoir des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ; ii) être une économie de marché, capable de résister à la concurrence du marché unique ; iii) avoir transposé en droit interne toutes les règles de l’Union (l’acquis communautaire) et les appliquer (Commission européenne 2002) ;

• un processus de soutien financier mettant en place les programmes communautaires et un soutien institutionnel favorisant le renforcement des capacités administratives. Les pays d’Europe centrale et orientale ont en effet bénéficié de programmes d’assistance communautaire. Outre leur contribution aux transformations systémiques, les aides communautaires sont destinées à préparer les futurs Etats membres à l’utilisation des fonds structurels et du Fonds de cohésion. Le plus ancien et le plus important de ces

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programmes est PHARE. Créé en 1990, il a été réorienté depuis le Conseil européen de Luxembourg (1997) vers deux axes majeurs : le financement de projets visant au renforcement de la capacité institutionnelle et administrative ; le financement d’infrastructures destinées à faciliter la mise en œuvre de l’acquis communautaire et des projets destinés à renforcer la cohésion économique et sociale. PHARE préfigure les actions menées dans le cadre du FEDER et du FSE. En 1999, deux programmes supplémentaires ont été créés : ISPA (Instrument structurel de pré-adhésion), pendant du Fonds de cohésion, a contribué à l’amélioration des infrastructures dans les domaines de l’environnement et des transports ; SAPARD (Special Assistance Programme for Agriculture and Rural Development) qui a financé des projets visant au développement agricole et rural et qui préfigure les actions du FEOGA.

Tableau : Dépenses budgétaires de l’UE durant la période de pré-adhésion (millions d’euros aux prix 2000)

1990-1999 2000-2003

PHARE (renforcement des institutions démocratiques et de l’administration publique)

6767,16 6240,00

ISPA (infrastructures environnementales et de transport) - 4160,00 SAPARD (agriculture et développement en zone rurale) - 2800,00 TOTAL 6767,16 13200,00 Moyenne annuelle 676,72 3300,00 Total en % du PNB de l’UE en 1999 0,08 0,16

Source : Commission européenne

Une démarche de conditionnalité a donc été adoptée et acceptée par les candidats.

Ce long processus d’adhésion a favorisé la création d’irréversibilités dans le processus de réformes économiques et institutionnelles : les efforts entrepris en vue du respect des critères de Copenhague encadrent les trajectoires de transition des pays d’Europe centrale et orientale, en donnant un cadre et en impulsant une dynamique aux réformes micro-économiques et aux changements institutionnels. Il en va de même sur le plan politique : le processus d’adhésion implique une surveillance mutuelle entre Etats membres, crée entre eux une solidarité de fait, à un degré bien plus important que n’importe quel accord d’association.

1.2. Insertion dans les réseaux d’échanges ouest-européens Outre le rôle de balisage du processus de transition (économie de marché, privatisation et

démocratie), la période de pré-adhésion s’est traduite sur le plan économique par une forte ouverture commerciale faisant passer ces économies d’un système d’échanges administrés à un système beaucoup plus souple. A l’exception de la Pologne, les taux d’ouverture et de dépendance sont désormais très élevés. Ils ont doublé en une décennie. Pour certains pays, l’augmentation a décuplé.

De plus, la polarisation européenne est désormais très forte puisque deux tiers des échanges des pays d’Europe centrale et orientale sont à destination ou en provenance de l’Union européenne. L’Europe constitue donc le principal partenaire commercial de ces pays. Quant aux relations commerciales avec l’ex-URSS, elles sont devenues marginales. La décennie quatre-vingt-dix a donc été marquée par une totale réorientation des flux commerciaux.

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Cette forte externalisation des pays candidats s’explique par l’impact des accords d’association passés entre eux et l’Union européenne depuis 1991 se traduisant par la baisse importante des droits de douane et par l’ouverture des marchés ouest-européens (à l’exception des marchés agricoles), par les effets de proximité géographique, conformément aux leçons des modèles de gravité. Elle correspond aussi à la trajectoire habituelle de petites économies comme, par exemple, le Bénélux (75%), l’Irlande (64,5%) ou les Pays-Bas (45,7%).

Cette forte ouverture commerciale combinée à une restructuration industrielle importante et à une croissance de la demande interne depuis le milieu de la décennie quatre-vingt-dix a généré des déséquilibres externes importants pour l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale, à l’exception de la Slovénie (Nivat et al. 2004).

Il serait intéressant de comparer cette trajectoire avec celle de la Grèce et du Portugal afin de tracer les orientations futures. Il serait tout aussi intéressant d’analyser les relations commerciales entre les pays d’Europe centrale et orientale. Si les premières années d’ouverture se sont traduites par un effondrement des relations commerciales bilatérales, elles ont fortement augmenté depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Les travaux de Aussilloux et Pajot (2003) mettent en évidence, à partir d’une étude gravitationnelle, que le commerce des pays d’Europe centrale et orientale pourrait être doublé si les échanges de ces pays se conformaient à leur potentiel. Les déséquilibres externes d’aujourd’hui pourraient donc être résorbés demain.

Tableau : Ouverture et dépendance des Pays adhérents en 2001

Exportation en% du PIB (%intra-europe)

Importations en % du PIB (%intra-europe)

(Exp.+Imp./2) en % du PIB en 1990

Pologne 28,1 (61,2) 31,8 (61,4) 24 République Tchèque 71,3 (68,9) 75,8 (61,8) 22,5 Hongrie 74,3 (74,3) 75,8 (57,8) 25 République Slovaque 75,9 (59,8) 84,6 (49,7) 40 Slovénie 57.8 (62,2) 58,2 (67,6) 25,5 Lituanie 50,9 (50,2) 56,4 (44,4) 4,5 Chypre 46,8 (52,3) 51,5 (50,8) - Lettonie 44,4 (61,2) 55,6 (52,6) 4,5 Estonie 89,4 (69,5) 93,1 (56,5) 29 Malte 87,4 (44,6) 92,2 (63,0) -

Source : Commission européenne Cette réorientation des flux commerciaux s’est traduite par des changements structurels

importants et rapides. De nouvelles spécialisations se sont développées de type intra-branche pour un certain nombre de pays. Les différenciations avec les économies de l’ouest se jouent dans le positionnement sur l’échelle de la qualité. Il est dès à présent intéressant de noter que l’ouverture n’a pas produit une spécialisation inter-branche ou sectorielle. Le cas hongrois est très souvent cité, le cas tchèque également.

Les secteurs les plus performants des pays d’Europe centrale et orientale sont désormais : vêtements de confection, automobiles, meubles, électronique grand public, fer et acier, vêtements de bonneterie, navires.

Bien sûr des différences importantes demeurent entre les pays mais il est important d’insister sur le fait que l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale à l’économie européenne est davantage en phase avec les approches contemporaines du commerce international (différenciation des produits, existence de rendements d’échelle croissants etc…) qu’avec les analyses classiques (spécialisation sectorielle). Les travaux récents illustrent cette

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donne (Landesmann 2003) et conséquemment infirment l’hypothèse krugmanienne. Il est également intéressant de noter que les cycles conjoncturels des Pays d’Europe centrale et orientale ont convergé avec celui de l’Union européenne. La période d’étude n’est pas suffisamment longue pour tirer des enseignements définitifs. Les premiers travaux indiquent simplement que le processus de convergence réelle est en cours (Fidrmuc 2001, Korhonen 2003).

Les flux d’investissements internationaux ont pleinement participé à cette nouvelle donne et à

ces restructurations industrielles. Une fois encore, la proximité de l’Europe de l’ouest et de ses entreprises ont joué un rôle moteur. D’importants mouvements d’investissement à destination des pays d’Europe centrale et orientale se sont développés dès le début de la décennie quatre-vingt-dix avec comme effets qualitatifs des transferts de savoir-faire et la diffusion des normes communautaires.

Ces stratégies n’ont pas été dictées par le seul motif de bas salaires, la demande supplémentaire que constituent ces nouveaux marchés a été primordiale ainsi que l’anticipation d’un rattrapage économique rapide. Il est donc possible de définir cette dynamique autour d’une combinaison vertueuse offre-demande. Les stratégies des constructeurs automobiles et de la grande distribution ouest-européens peuvent illustrer cette dynamique. Plus généralement, l’attractivité de la zone n’a cessé d’augmenter au fil du processus d’adhésion quoique les trajectoires d’attractivité soient différentes selon les pays.

Les déterminants couramment présentés sont : l’effet demande lié à la taille du marché, l’effet capital humain et son coût, l’effet qualité des institutions et l’effet de proximité géographique.

La période de pré-adhésion a également été marquée par un rattrapage économique important

après les premières années de crise économique due à la restructuration de l’appareil productif des pays candidats et par d’importants progrès en termes de convergence nominale (Faure 2004a, Faure 2004b).

Mais cette période de transition/insertion a aussi été marquée par une dynamique de

destruction sur le plan intérieur. 1.3. Destructions internes Des pôles de croissance sont apparus avec une faible diffusion de création d’emplois sur le

plan territorial. L’espace économique des pays d’Europe centrale et orientale s’est donc fragmenté, si les capitales connaissent un taux de chômage relativement faible ainsi que les zones frontalières de régions ouest-européennes riches, les régions frontalières avec l’ex-URSS (effet d’exposition est/ouest), les régions rurales et les régions anciennement spécialisées en industries lourdes connaissent des taux de chômage très élevés.

Les travaux de Jean Joseph Boillot (2003) mettent en évidence trois lignes de forces : des régions bénéficiant de dynamiques cumulatives vertueuses ; les régions ayant des risques de cercles vicieux dépressifs ; et des régions encore instables.

Cette fragmentation de l’espace et ces pôles non plus de croissance mais de chômage posent inévitablement des problèmes de cohésion sociale, de constitution d’une société duale (augmentation considérable des inégalités en termes de salaires et d’accès à l’emploi), de poches de pauvreté. Le changement de système économique s’est traduit par une chute dramatique des niveaux d’emplois due principalement à la pression concurrentielle, aux effectifs pléthoriques de l’ancien système et à un environnement macroéconomique désastreux jusqu’en 1995. Le

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rattrapage économique à partir de 1995 s’est accompagné de gains de productivité peu favorables à court terme à la création d’emplois.

Bien sûr, les situations sont relativement différentes selon les pays. De plus, les taux de chômage officiels ne mettent pas en évidence les retraits importants du marché du travail. Il faut donc prendre en compte le faible taux d’activité pour avoir une meilleure vision de la situation et rappeler qu’il existe du chômage déguisé par des secteurs encore subventionnés (chantiers navals à Gdansk, région des mines de charbon et industries sidérurgiques dans le Nord de la République Tchèque par exemple).

Tableau : Evolution du taux de chômage entre 1990 et 2000 Taux de chômage en 1990 Taux de chômage 2000

Pologne 6,5 15,1 République Tchèque 0,7 8,8 Hongrie 1,8 6,4 République Slovaque 1,2 17,9 Slovénie 7,3 12 Lituanie 0,3 15,4 Chypre - - Lettonie 0,5 13,2 Estonie 0,6 13,8 Malte - -

Source : Berd Dernier élément, le déclin des indicateurs de santé publique produit par une offre de soins à

deux vitesses, la détérioration des services et des équipements publics, l’incapacité administrative à bénéficier des fonds communautaires (taux de décaissement inférieur à 30%), la difficile collecte effective de l’impôt, la remise en cause des systèmes de protection sociale, les problèmes de financement de retraites renforcent cet aspect sombre de la transition.

En termes de politiques publiques, la situation est préoccupante surtout si l’on prend en compte les défis que devront relever des sociétés devenant de plus en plus duales. Cette donne est indéniablement nouvelle au sein de la construction européenne.

II. LES ENJEUX FUTURS Les enjeux de l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale sont de nature

budgétaire (2.1). Les fonds communautaires devraient favoriser le rattrapage économique de ces pays. La capacité de ces pays à pouvoir utiliser ces fonds est donc cruciale. Cela renvoie bien sûr à la poursuite de leurs réformes institutionnelles et donc à l’achèvement de leur transition (2.2.). Le dernier enjeu se focalisera sur leur capacité à concilier rattrapage économie (convergence réelle) et processus d’adhésion à l’union monétaire européenne (convergence nominale). Ce sera l’objet de notre dernier point.

2.1. La dimension budgétaire

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Dans ses conclusions, le Conseil Européen de Copenhague (décembre 2002) prévoyait d’affecter 40,74 milliards d’euros à l’élargissement entre 2004 et 2006, un quart de cette somme étant dévolue à la PAC, la moitié aux actions structurelles.

En définitive, entre la mise en œuvre des premiers accords d’association et la fin des actuelles perspectives financières, le coût reste modéré pour l’Union européenne. D’une part, même si les pays d’Europe centrale et orientale bénéficieront pleinement des aides structurelles en faveur du développement rural, les nouveaux Etats membres n’émargeront que progressivement au régime des aides directes aux agriculteurs, sur la période 2004-2013. C’est ainsi que 25% des sommes normalement dues seront versées en 2004, puis 30% en 2005 et 35% en 2006. Au cours de l’étape ultérieure, le régime des paiements directs évoluerait de façon à ce que les nouveaux Etats membres en bénéficient totalement en 2013, aux conditions qui prévaudront à cette date.

D’autre part, PHARE est doté de 11 milliards d’euros sur la période 2000-2006 et, entre 1990 et 1998, ce programme a représenté des crédits d’engagement d’environ 1 milliard d’euros par an. Cependant, la charge réelle n’a été que de 620 millions d’euros, en moyenne annuelle. Quant aux instruments de pré-adhésion, leur dotation respective se monte à 1,04 milliard d’euros (ISPA) et 520 millions d’euros (SAPARD) par an sur la période 2000-2006. Mais leur utilisation effective reste très limitée : seuls 7% des crédits disponibles ont été utilisés en 2001. Les dépenses requises pour financer l’élargissement entre 2004 et 2006 impliquent une augmentation significative du budget communautaire (mais toutefois inférieure à 10%) et, rapportées au PIB des Quinze, elles n’en représentent annuellement qu’environ 0,15% en moyenne. Il ne faudrait cependant pas tenir ces dépenses pour quantité négligeable du point de vue des pays candidats.

En effet, pour les seules dépenses structurelles, elles représenteraient, en 2006, environ 2,5% du PIB des Dix (aux prix de 1999), même si cela équivaut, en termes de dépense par habitant, à une somme environ deux fois inférieure à celle réalisée dans les quatre pays actuellement éligibles au Fonds de Cohésion. Quant aux aides directes de la politique agricole commune, elles pourraient utilement contribuer à la modernisation des structures agricoles dans les pays d’Europe centrale et orientale.

D’un strict point de vue comptable, il apparaît que l’élargissement n’est pas la catastrophe financière annoncée, au moins à court terme. Il n’en ira vraisemblablement pas toujours ainsi et les Dix seront potentiellement d’importants bénéficiaires nets du Budget communautaire.

En effet, les véritables problèmes se poseront après 2006, lorsque la capacité d’absorption des nouveaux Etats membres se sera accrue et avec l’extension progressive du régime d’aides directes agricoles. Dans l’Union européenne élargie aux Dix, le revenu moyen par habitant baissera mécaniquement de 13%, voire de 18% en cas d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. La quasi-totalité des régions des pays d’Europe centrale et orientale seront éligibles à l’objectif 1 et l’ensemble des nouveaux Etats membres aura un revenu par tête inférieur à 90% de la moyenne communautaire, pouvant ainsi prétendre aux subsides du Fonds de Cohésion, en compagnie de la Grèce et du Portugal.

La traduction budgétaire de ces évolutions serait alors la suivante : - les aides communautaires étant plafonnées à 4% du PIB des bénéficiaires, les

transferts vers les pays d’Europe centrale et orientale se monteraient à environ 40 milliards d’euros en 2013 ; les seules aides structurelles aux Dix pourraient atteindre 22 milliards d’euros par an, en moyenne, sur la période 2007-2013, en incluant 4 milliards pour la Bulgarie et la Roumanie, censées rejoindre l’Union européenne en 2007 (à comparer aux 35 milliards d’euros que représentent à l’heure actuelle les actions structurelles dans l’Union européenne à 15) ;

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- les régions des Quinze qui perdraient le bénéfice de l’objectif 1 (la couverture de la population des Quinze éligible à l’objectif 1 serait réduite de plus de moitié) se verraient offrir une période transitoire au cours de laquelle elles auraient droit à 60% des sommes précédemment reçues, soit une économie de 5 milliards d’euros par an.

- l’Espagne, exclue du Fonds de Cohésion, serait le grand perdant de l’élargissement, le manque à gagner représentant l’équivalent de 1% du PIB espagnol.

Au total, les dépenses au titre de l’objectif 1, comme celles du Fonds de Cohésion augmenteraient de près de 50%.

Dans la situation économique actuelle, le débat autour de l’avenir des politiques communes, dont les perspectives financières 2007-2013 seront la traduction, risque de se focaliser sur les seuls aspects budgétaires. Les actuels Etats membres, et en particulier les contributeurs nets, devraient s’employer à réduire le plafond des ressources propres de l’Union européenne qui s’élève aujourd’hui à 1,27% du PIB communautaire. Dans le meilleur des cas, la limitation des dépenses de la politique agricole commune jusqu’en 2013 pourrait servir d’exemple pour l’ensemble des autres politiques, et en particulier l’action structurelle.

La situation budgétaire interne devrait inciter l’Allemagne et la France à peu de générosité. On peut prévoir des conflits de répartition avec l’Espagne, principale victime budgétaire de l’élargissement et avec la Grande-Bretagne, que l’on voit mal abandonner le rabais dont elle bénéficie sans, au minimum, une réforme en profondeur de la PAC, au risque de heurter les intérêts français.

Dans ce contexte, les politiques communes sont menacées et ce sont les nouveaux Etats membres qui auraient le plus à pâtir d’un recul dans ce domaine. Bien entendu, il n’y aura jamais assez de fonds disponibles pour financer la transition post-socialiste, mais l’important est plutôt d’atteindre une masse critique susceptible de soutenir le processus de réformes. Dans ces conditions, la politique régionale communautaire ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur l’adéquation de ses outils à la situation des pays d’Europe centrale et orientale et sa poursuite n’aura de sens qu’à la condition de maintenir au moins le niveau de dépenses actuel, soit 0,45% du PIB communautaire. Dans le cas contraire, elle ne fera qu’accompagner l’inévitable creusement des disparités régionales.

2.2. - Les insuffisances Si l’intégration commerciale est l’une des clefs de l’élargissement, elle n’est pas pour autant

condamnée à réussir. Pour s’y préparer, les pays d’Europe centrale et orientale ont dû restructurer, dans la douleur, des pans entiers de leur économie et en bouleverser le cadre institutionnel. Il est difficile d’apprécier leur degré réel de préparation et la tâche reste encore probablement immense.

D’un côté, le prochain élargissement concerne, à l’exception de la Pologne, des pays de petite taille. Il revient à intégrer un grand pays, équivalent, en termes de PIB, à deux Espagne, et donc peu susceptible de modifier les équilibres géo-économiques de l’Union européenne. Les pays candidats sont de surcroît engagés dans un processus d’intégration préalable, et donc a priori mieux préparés que les pays du Sud de l’Europe ayant adhéré dans les années 80.

Pourtant, d’un autre côté, il est un motif d’inquiétude que l’expérience du passé ne parvient pas totalement à dissiper. Les économies grecque, espagnole et portugaise étaient des économies dirigées, à tendance autarcique et peu compétitives, mais elles n’avaient cependant jamais complètement coupé le lien avec les relations marchandes. Ce n’est pas le cas des pays d’Europe centrale et orientale qui ont fait, cinquante ans durant, l’expérience de la planification impérative.

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La reprise de l’acquis communautaire a fourni un « mode d’emploi » de la transition, dont on avait par ailleurs aucune expérience. Plus de dix années de réforme ont remodelé les structures des ex-économies planifiées. Le doute subsiste néanmoins quant à la compatibilité complète de ces économies avec le cadre du Marché Unique. Bien sûr, l’évolution des indicateurs de la transition publiés par la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement démontrent l’étendue des mutations structurelles dans les pays d’Europe centrale et orientale, depuis plus de dix ans ; bien sûr, les rapports de la Commission européenne ont jugé que les transformations étaient suffisamment avancées et convaincantes pour que l’on puisse envisager une adhésion des pays d’Europe centrale et orientale dès 2004. Mais le jugement de la Commission relève en quelque sorte de l’approche comptable : on recense le nombre de textes législatifs adoptés ou d’institutions créées sans qu’il soit possible d’arrêter une opinion définitive sur l’effectivité des nouvelles normes ou des nouveaux organismes. Quoi qu’il en soit, on est saisi par le contraste entre la tonalité optimiste des Documents de Stratégie et le pointage, pays par pays, dans les Rapports Réguliers, des insuffisances et carences dans le processus de réforme et l’application de l’acquis.

Si l’on raisonne en statique, les carences de la transition post-socialiste augurent d’un risque d’éclatement du marché intérieur. Mais a-t-on le droit d’extrapoler à partir des conditions initiales ? Il faudrait supposer que la dynamique de la transformation des économies d’Europe centrale et orientale est linéaire. Or il est vraisemblable que l’adhésion marquera une rupture, permettant aux pays d’Europe centrale et orientale de pleinement engranger les bénéfices des transformations structurelles de leurs économies.

L’acquis communautaire est à la fois une contrainte et une chance. Une contrainte, car son étendue engendre des coûts importants. Une chance, car ses ramifications assurent la cohérence du marché intérieur et font de ce dernier bien plus qu’une zone de libre-échange. Au-delà des normes qui régissent le grand marché, l’acquis communautaire englobe également les politiques communes : la politique de la concurrence veille à l’égalité des chances sur le marché commun, les aides structurelles permettent aux territoires et populations défavorisés de se donner les moyens d’affronter la concurrence, les aides agricoles accompagnent la libre-circulation des produits, etc. Le grand marché et les politiques communes forment donc un tout indissociable, expression la plus tangible de l’intégration européenne. Pour la préserver et permettre « l’assimilation » des pays d’Europe centrale et orientale, ceux-ci doivent certes poursuivre leur effort, mais, d’un autre côté, la solidarité financière des membres les plus prospères de l’Union européenne doit leur être acquise. A trop vouloir rogner les politiques communes, ces derniers risquent de saper les bases du Marché Unique. Une édulcoration des politiques communes n’affecterait pas seulement la volonté des pays d’Europe centrale et orientale. Leur capacité à répondre aux exigences du Marché Unique pourrait être également altérée.

2.3. – Un élargissement peut en cacher un autre Si les pays d’Europe centrale et orientale ont mis en œuvre des réformes importantes afin de

passer d’une économie planifiée à une économie de marché, leur transition n’est pas pour autant terminée. Leur pleine participation à l’Union européenne se traduira par la poursuite du processus de transition et donc de réformes. Ils seront en effet confrontés au défi de l’ouverture croissante de leurs marchés, de la restructuration de leur secteur agricole, de la poursuite de la restructuration de leur appareil industriel, de la gestion des disparités économiques, sociales et régionales…

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Les autorités gouvernementales de ces pays ont déjà inscrit à leur agenda la préparation au passage à l’euro, ayant pour but de favoriser la convergence macroéconomique de leur économie. Or, si le volet marché unique est identifié, sa composante monétaire demeure plus floue.

La participation des pays d’Europe centrale et orientale à l’union monétaire européenne doit être envisagée à moyen et long terme. Faut-il rappeler que l’unification monétaire européenne a débuté en 1978 avec la création du système monétaire européen et n’a abouti que le 1er janvier 1999 ? Vingt années de convergence des politiques monétaires et économiques auront donc été nécessaires pour réaliser l’union entre les onze pays fondateurs, douze depuis l’entrée de la Grèce le 1er janvier 2001.

En effet, la participation à une union monétaire ne se décrète pas, elle se construit sur le moyen et long terme. Il ne faudrait point surestimer les avantages de court terme produits par l’adhésion : réduction des coûts de transaction, disparition du risque de change, gains en crédibilité, nouvelles sources de financement de marché, ni parier sur les effets endogènes (Frankel, Rose)… La participation à l’union monétaire couronnera un processus de convergence.

Se pose dès lors une question stratégique pour les pays d’Europe centrale et orientale : quel arbitrage doivent-ils faire entre convergence nominale et convergence réelle ?

Le strict respect des critères de convergence à courte échéance pourrait être dommageable pour des économies devant faire face à des ajustements importants (principalement le critère de 3% du déficit public, le critère d’inflation ne devant pas excéder 1,5% la moyenne des trois pays les moins inflationniste, le maintien d’une parité stable vis-à-vis de l’euro pendant deux ans).

Dans la hiérarchie des objectifs à atteindre, il apparaît nécessaire de favoriser la convergence réelle de l’économie des pays d’Europe centrale et orientale (rattrapage du P.I.B. par rapport à la moyenne communautaire, synchronisation des cycles conjoncturels) avant d’avoir comme objectif prioritaire la convergence nominale. Il ne faudrait pas tomber dans le piège de la primauté de la convergence nominale. Nous considérons que la convergence nominale doit marquer le couronnement de la convergence réelle (Jacquelain 2004). Une fois encore, l’expérience passée a montré le coût macroéconomique de tels ajustements. L’inflation, structurellement plus forte liée à l’effet Balassa-Samuelson, est largement connue lorsque des économies sont dans un processus de rattrapage économique (Coudert 2004). De même une économie émergente est une économie ayant des besoins d’investissement (privés et publics) importants. Une telle dynamique peut favoriser le creusement de déficits jumeaux (budgétaire et compte courant). C’est actuellement le cas pour la plupart des pays d’Europe centrale et orientale. Dès lors, ces pays, pour des raisons structurelles, ne remplissent pas le critère de déficit public. Et du fait du déficit du compte courant, il est préférable qu’une certaine flexibilité de leur taux de change soit préservée. Ce qui pose le problème du critère « stabilité des changes ».

Les spécificités des pays d’Europe centrale et orientale doivent inciter les observateurs à s’approprier davantage les critères mis en évidence par les théories des zones monétaires optimales plutôt que de prendre seulement en compte les cinq critères de Maastricht. A ce titre, il est intéressant de constater qu’une littérature abondante traitant de l’accession des pays d’Europe centrale et orientale s’appuie sur ces critères (Backé et al. 2004, European Economic Advisory Group 2004).

CONCLUSION

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Quoique sans véritable alternative sur le plan politique, l’élargissement n’en demeure pas moins un pari risqué sur le plan économique. La perspective de l’intégration a eu le mérite de fournir un cadre au processus de réformes structurelles et donc d’ancrer les anticipations des acteurs économiques à l’est comme à l’ouest. Cela a vraisemblablement rendu moins chaotique un processus qui ne pouvait être que douloureux. La force intégratrice du Grand marché, notamment sous l’impulsion des investissements directs ouest européens, a rendu possible l’élargissement. Au-delà de l’intégration purement marchande, les grandes disparités qui subsistent encore entre l’est et l’ouest feront longtemps peser une menace sur la cohésion de l’ensemble communautaire. Le chemin de la convergence réelle est encore long, surtout si les Eats membres de l’Europe de l’ouest mesurent trop chichement leur solidarité vis-à-vis des nouveaux partenaires. De façon symptomatique, c’est surmonter ce premier défi qui permettra aux pays d’Europe centrale et orientale de parachever leur intégration à l’union monétaire.

Pour en savoir plus

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BOILLOT J.J. (2003), L’Union européenne élargie. Un défi économique pour tous, Paris, La documentation Française.

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COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN (1999), L’élargissement de l’Union européenne à l’Est de l’Europe : des gains à escompter à l’Est et à l’Ouest, Paris, La documentation Française.

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CHAPITRE 4 LA MONDIALISATION DES ECONOMIES

Mots clés : Internationalisation, Mondialisation, Globalisation

La mondialisation est au coeur du débat économique et politique, tant en Europe que dans le reste du monde, depuis le début des années quatre-vingt-dix. Une production littéraire prolifique illustre ce mouvement. Pour une revue récente de la littérature voir notamment Aubin & Norel (2000).

Les diverses secousses financières, qui ont ébranlé les marchés mondiaux depuis 1987

(Cahiers français 1999), n’expliquent pas à elles-seules cette montée en puissance de l’analyse de la mondialisation, de ses effets bénéfiques et/ou pervers.

Il faut sans aucun doute dépasser le cadre des situations crisiques pour arriver à saisir les raisons plus fondamentales poussant nombre d’observateurs à se polariser durablement sur un tel thème (Kébabdjian 1994).

Loin d’être un effet de mode, la mondialisation des économies, ou plus précisément

l’internationalisation croissante des économies, met en évidence par le biais des interdépendances et des externalités le “ dépassement ” de la notion séculaire d’économie nationale et, concomitamment, “ l’appauvrissement ” des pouvoirs de régulation nationaux. La prégnance de l’international est de plus en plus forte car les secteurs “ protégés ” sont de plus en plus rares. Transnationale par essence, la mondialisation s’oppose à la logique territoriale qui anime les Etats et réduit de facto la capacité de chacun à mener des politiques pleinement autonomes. L’internationalisation correspond donc à un mouvement structurel et historique qui transforme le fonctionnement et l’organisation des économies nationales.

Cette dynamique historique a bien sûr pris une dimension supplémentaire avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989 et la conversion progressive à l’économie de marché de la plupart des pays socialistes.

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Il serait incomplet de ne pas relier la mondialisation des économies à la révolution de l’informatique. L’internationalisation croissante des économies est portée par une révolution technologique qui réduit fortement les distances entre les acteurs économiques.

Mais, si l’internationalisation des économies se développe et s’intensifie, si les acteurs de ce

mouvement sont privés, firmes multinationales et globales, et publics, les Etats, elle ne débouche cependant pas spontanément sur la constitution d’une nouvelle économie “ nationale ” dotée d’institutions de régulation, de redistribution et d’allocation à l’échelle planétaire. Les réflexions portant sur la gouvernance mondiale et les mouvements “ antimondialisation ” sont au coeur de cette problématique.

Dès lors, l’internationalisation croissante des économies alimente des débats intemporels : le libéralisme “ versus ” l’interventionnisme, la finance “ versus ” l’entrepreneur, le national “ versus ” l’international, l’indépendance “ versus ” la dépendance, le libéralisme économique “ versus ” la démocratie…

Autrement dit, si la mondialisation est économique, elle a d’importantes implications politiques, sociales et juridiques (voir annexe). Cette dimension pluridisciplinaire explique sans doute aussi l’intérêt durable suscité par un tel sujet.

Evidemment, la mondialisation a permis d’apporter des réponses simples et rapides à des

situations complexes : la mondialisation des économies expliquant notamment le ralentissement de la croissance, l’augmentation du chômage et de la pauvreté en Europe. En effet, nombre d’observateurs ont considéré que le ralentissement économique européen des années quatre-vingt-dix était produit par la mondialisation et la globalisation financière, certains n’hésitant pas à rappeler la déflation des années trente et la victoire des rentiers…

Cette approche mono-explicative a par ailleurs prédit la fin de la construction européenne : ce projet régional devenait anachronique.

La mondialisation a donc été une sorte de bouc-émissaire, un concept très “ pop ” (Krugman 1998) rendant parfois difficile la bonne compréhension des mécanismes de l’économie contemporaine.

Mais qu’est-ce que la mondialisation ?! Mot valise ou réalité ? Les principaux points qui

suivent vont essayer d’apporter quelques éclaircissements…

I – LA MONDIALISATION EN QUESTION

Il est trop souvent fait référence à l'internationalisation des économies, à la mondialisation des économies et à la globalisation sans distinguer ces trois termes.

Or, si l'internationalisation des économies est un terme connu, celui de mondialisation et de globalisation le sont moins, et surtout n'ont pas la même signification, car ils ne renvoient pas aux mêmes cadres de réflexion.

1.1. – Clarification des termes employés et phénomène explicatifs 1.1.1. - Clarification des termes

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1 - L'internationalisation des économies ou “ l’import-export ” Ce phénomène résume les tendances à l'ouverture des économies aux échanges extérieurs.

Cette tendance se manifeste par un ratio exportation/production nationale élevé. 2 - La mondialistion des économies ou l’émergence de firmes transnationales La poussée des investissements directs étrangers durant les années quatre-vingt est l'une des

caractéristiques de la mondialisation. En effet, l'investissement implique une mise en contact plus directe des économies que ne peut le faire le commerce, surtout lorsque ces investissements se traduisent par une augmentation des fusions-acquisitions. A ce mouvement d'invstissements directs croissants, il faut ajouter celui de déréglementation dans divers secteurs et le rythme soutenu de l'innovation.

3 - La globalisation ou la mise en place de stratégies productives globales C'est le prolongement du processus de mondialisation mais centré sur les stratégies

développées par les firmes multinationales. “ L'organisation des firmes multinationales évolue avec leur stratégie d'internationalisation. Celles-ci s'élaborent lors de l'implantation d'une activité à l'étranger, puis se prolongent dans la structuration internationale de l'appareil de production de la firme multinationale, avec son lot de délocalisation et de recentrages. Technologie et recherche-développement ont un rôle crucial dans ces stratégies industrielles par lesquelles des firmes atteignent une intégration mondiale de leurs processus de production dans le cadre de stratégies dites globales. ” (Andreff 1996, p. 45)

Evidemment, ces trois mouvements ne doivent, ne peuvent pas être séparés, et ne peuvent pas être décrétés, c'est un processus.

Notre définition de la mondialisation se fonde donc sur une approche générale des relations

économiques internationales en intégrant les stratégies des acteurs, principalement celles des firmes multinationales.

Certains auteurs analysent la mondialisation exclusivement à partir de la finance. L'ouvrage dirigé par François Chesnais (1996) est une bonne illustration de cette démarche. Il met en évidence les trois étapes de l'émergence de la finance mondialisée :

- 1960-1979 : l'internationalisation financière “ indirecte ” de systèmes nationaux cloisonnés, avec comme exemple l'évolution des Etats-Unis vers la finance de marché ;

- 1980-1985 : le passage simultané à la finance de marché et à l'interconnexion des systèmes nationaux par la libéralisation financière ;

- 1986-1995 : l'accentuation de l'interconnexion, l'extension de l'arbitrage et l'incorporation des “ marchés émergents ” du tiers-monde.

Si cette démarche est enrichissante, elle demeure à nos yeux insuffisante car elle ne prend en compte qu'un aspect du phénomène, la finance internationale, sans le rattacher aux autres aspects de la mondialisation.

La mondialisation est complexe, multiple, une analyse purement financière risque de simplifier, caricaturer voire déformer l'appréhension du phénomène dans son intégralité. Pour une analyse prenant en compte à la fois les aspects commerciaux et financiers voir Aubin & Norel (2000).

1.1.2. – Phénomènes explicatifs Cette croissance de la propension à l’échange (au sens large) est largement due à la réduction

de la distance économique entre les pays. Cette réduction de la distance économique est le résultat du jeu de quatre principaux éléments :

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1 - De nombreuses innovations et perfectionnement des moyens de communication (transport

et services de télécommunication, internet…), ainsi que l’abaissement des coûts de transactions favorisent la mondialisation.

Certains auteurs parlent de médialisation, mot construit à partir de la révolution du multimédia et de l'ouverture des économies. La mondialisation serait donc le produit de la troisième révolution industrielle, celle de l’informatique.

2 - L’abaissement des droits de douane découlant des Négociations Commerciales Multilatérales (ou Rounds) du GATT et des intégrations régionales participent à la plus grande ouverture des économies nationales.

3 - Le mouvement de déréglementation dans la finance, le transport aérien et les télécommunications offre aux acteurs privés de nouveaux espaces de liberté et élargit leur espace économique.

4 - Les stratégies d'acteurs concernent les investissements des entreprises et des particuliers. Ces stratégies sont le moteur des trois premiers facteurs, mais elles sont aussi facilitées par eux.

Plus importantes sont les ressources technologiques, financières et d'éducation plus grande est

la vitesse de mondialisation. Autrement dit, la vitesse de mondialisation est d'autant plus rapide que les flux sont moins

matériels : par ordre croissant, les échanges humains, les biens et services, les flux de capitaux, l'information. L'immatériel serait le moteur du couple mondialisation-globalisation, d'où le terme de “ médialisation ”.

Dès lors, le mouvement d'internationalisaton est le résultat d'une complémentarité entre des acteurs privés et publics, ce qui signifie bien-sûr que des interactions apparaissent entre eux et que la séparation entre les “ affaires ” nationales et internationales est de moins en moins évidente.

1.2. - - Vers une remise en cause de la souveraineté nationale ? Sous l'effet de l'internationalisation croissante des économies et de ce basculement vers la

mondialisation, la dimension de la souveraineté nationale de l'après guerre s'est fondamentalement modifiée pour les pays de taille petite et moyenne. Cela concerne tout particulièrement les pays européens qui ont un degré élevé d'extraversion et ceci à un double titre, du fait d'une part de leur intégration européenne et d'autre part de leur insertion dans l'économie mondiale. Lorsque les interdépendances économiques sont importantes sans qu'il y ait une forte coordination des politiques économiques nationales, le “ coût ” peut être élevé : absence ou neutralisation des marges de manœuvre nationales via l'interdépendance croissante des conjonctures et des politiques économiques. L'on trouve ici une nouvelle définition du processus de mondialisation, processus d'extension à la planète de l'interdépendance.

La grande différence entre l'internationalisation classique des économies et la globalisation est que dans la première l'Etat-nation est l'acteur principal tandis que dans la deuxième les activités concernées forment un tout dépassant le cadre des frontières nationales et impliquant de fait une gestion d'ensemble.

Evidemment, la mondialisation n'affecte pas d'une manière uniforme et linéaire les économies de petite-moyenne taille et les économies de grande taille. Il existe une hiérarchisation des effets

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de la mondialisation sur la perte de marge de manœuvre dans la conduite et la définition des politiques économiques nationales. Le débat et la réalité des effets de la mondialisation en termes de politique économique ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis et aux Pays-Bas.

II - QUELQUES LIMITES AU DISCOURS “DOMINANT”

1.1. – Les paradoxes de la mondialisation

Il est nécesaire de noter une différence entre la notion d'internationalisation des économies, de celle de mondialisation ou/et de globalisation. Si l'ensemble des zones de la planète sont touchées par l'internationalisation, au sens de l'ouverture des économies, il est assez osé d'utiliser des termes tels que mondialisation ou/et globalisation (au sens du globe terrestre) car l'utilisation de tels termes déforment de facto la réalité des échanges internationaux. Faut-il rappeler dans cette même logique l'expression de “ village planétaire ” de McLuhan ? Quelle est la signification réelle d'une telle expression ? Au-delà des mots, il est important de repérer les acteurs qui participent à ce mouvement mais aussi ceux qui en sont exclus.

En effet, les mouvements de mondialisation et de globalisation définis précédemment mettent en action principalement les acteurs de la triade. Or, jusqu'à ce jour la triade ne définit pas encore le globe terrestre ! Dixit l'ONU, la “ globalisation s'est accompagnée d'un développement inégal de l'économie mondiale et d'une incertitude accrue ”. “ Par conséquent si la notion de globalisation se borne à définir un stade avancé d'internationalisation du capital et une nouvelle phase de développement des multinationales, elle paraît légitime. Si l'on veut y voir un monde sans frontières, de firmes sans nationalité, cette notion est discutable. ” (Andreff 1996, p. 3).

Cette réflexion sur la réalité de la mondialisation ne doit pas uniquement porter sur la

géoéconomie, elle doit également s'inscrire dans l'analyse de l'évolution de chaque société. La mondialisation peut développer, directement ou indirectement, des phénomènes d'exclusion à l'intérieur de groupes participant collectivement à ce mouvement mondialiste. Ce type d'implications, longtemps sous-estimées voire ignorées, monopolisent le débat des années quatre-vingt-dix tant en Europe qu'aux Etats-Unis réduisant le couple mondialisation-cohésion sociale au couple délocalisation-chômage.

Le thème mondialisation-chômage-exclusion-pauvreté doit cependant faire l'objet d'une étude critique approfondie. La montée du chômage, de la pauvreté et de l'exclusion dans les pays développés ont des causes multiples. La mondialisation et l'ouverture des économies européennes à la concurrence, notamment à celle des nouveaux pays industrialisés, ne sont pas les seules causes. Pour un certain nombre d'auteurs et d'observateurs, la mondialisation serait plus un révélateur des transformations générées par la troisième révolution industrielle qu'une cause principale. Les débats contradictoires qu'entretiennent les partis politiques, les syndicats et les acteurs économiques, notamment en France, illustrent les difficultés d'appréciation de l'impact de la mondialisation sur nos sociétés. Le commerce et les délocalisations n'expliqueraient qu'une part dérisoire de l'accroissement des inégalités. La mondialisation ne serait donc qu'un bouc-émissaire.

Il est à ce titre assez intéressant de noter que l'analyse de la mondialisation n'est que très rarement reliée aux problèmes monétaires internationaux. Il est très souvent fait référence à la concurrence déloyale des pays à bas salaires sur tel secteur sans prendre en compte la politique

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monétaire externe des ces mêmes pays. Il semblerait donc important de rattacher les conditions réelles et monétaires des relations commerciales internationales afin que l'analyse économique devienne pertinente. Une fois encore, la mondialisation ne serait qu'un révélateur des dysfonctionnements des relations économiques internationales : elle mettrait en évidence les effets de l'absence de règles dans les relations monétaires internationales ou plutôt les effets du non-système monétaire international des changes flottants.

1.2. - Le mythe de la mondialisation Au-delà de cette mise en garde concernant la réalité et les implications du couple

mondialisation-globalisation, nous ne devons pas occulter le débat théorique sous-jacent. Un certain nombre d'auteurs estiment que la littérature consacrée à la mondialisation exagère la réalité de ce processus. Ces mêmes auteurs développent l'idée selon laquelle le système national reste la caractéristique principale de nos sociétés contemporaine.

De plus, les pratiques protectionnistes n’ont pas disparu. Depuis le milieu des années 70, on a constaté la réapparition de pressions protectionnistes, sous forme de restrictions quantitatives, mais le plus souvent sous la forme de barrières non tarifaires, pratiques dites néo-protectionnistes. Les deux mesures les plus utilisées sont les droits compensateurs et les mesures anti-dumping : elles sont destinées à protéger le pays qui les applique contre les assauts déloyaux de ses concurrents.

Parmi les règles néo-protectionnistes, on notera aussi la règle du contenu local qui consiste à exiger qu'un produit final incorpore une proportion minimale de pièces fabriquées localement, règle qui a pour but d'éviter que certaines entreprises étrangères ne parviennent à contourner les procédures antidumping en établissant à l'étranger de simples chaînes d'assemblage, mais aussi la diversité des réglementations nationales en matière de sécurité, d'hygiène, de normes techniques et de distribution

Depuis une dizaine d'années est apparue la notion d'échanges dirigés ou administrés. La mesure la plus courante de gestion des échanges est celle fixant une limite quantitative aux exportations d'un pays vers un autre selon une logique bilatérale.

De tout temps, les interventions gouvernementales visant à favoriser certains secteurs et traditionnellement définies comme instruments de politique industrielle, ont constitué des obstacles à l'exercice de la libre concurrence entre producteurs de différents pays. Sous l'effet de ces politiques de soutien, certaines industries nationales se trouvent bénéficier d'avantages comparatifs, créés artificiellement par rapport à leurs concurrents étrangers, ainsi les flux commerciaux se trouvent affectés par ces mesures.

L'émergence d'importants déséquilibres de paiements courants a incité certains gouvernements à se préoccuper de la compétitivité de certains secteurs, de même l'importance croissante de la haute technologie dans la formation de la compétitivité industrielle les incite à intervenir, importance quasi-stratégique de ces technologies du fait de leurs nombreux effets d'entraînement. Les formes d'intervention sont : les subventions à la recherche et à l'investissement, les restrictions à l'entrée sur le marché national pour certains produits, obstacles aux investissements directs, les politiques d'innovation, technologiques voire aides sectorielles directes.

Il faut noter cependant que les industries à haute technologie sont plus favorables à ce que l'on pourrait appeler une politique commerciale stratégique qu'à des mesures protectionnistes : ce qu'elles attendent des pouvoirs publics c'est qu'ils viennent contrecarrer les politiques protectionnistes des autres pays.

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Pour en savoir plus NIVEAU I

CAHIERS FRANÇAIS (2000) Le commerce mondial, Paris, La documentation Française, n°299. CORDELLIER S. (spus la dir.) La mondialisation au-delà des mythes, Paris, La Découverte. CAHIERS FRANÇAIS (1999) Crise mondiale et marchés financiers, n°289, Paris, La documentation Française. NIVEAU II AUBIN C. & NOREL Ph. (2000) Economie internationale. Faits, théories et politiques, Paris, Seuil. ANDREFF W. (1996) Les multinationales globales, Paris, La Découverte, Collection Repères, n°187. NIVEAU III CHESNAIS F. (1996) La mondialisation financière, Paris, Syros. KEBABDJIAN G. (1994) L’économie mondiale. Enjeux nouveaux, nouvelles théories, Paris, Seuil. KRUGMAN P.R. (1998) La mondialisation n’est pas coupable, Paris, La Découverte.

Encadré : Les concepts de la mondialisation Ce tableau dresse la liste des concepts et des processus actuels sur lesquels s'appuie la mondialisation. Le Groupe de Lisbonne se réfère aux travaux de McGrew et al.8 en rappelant leur définition de la mondialisation : La mondialisation est le fait des multiples liens et interconnexions qui unissent les Etats et les sociétés et contribuent à former le présent système mondial. Elle décrit le processus selon lequel des évènements, des décisions et des activités ayant cours en un point de la planète finissent par avoir d'importantes répercussions sur des individus et des collectivités vivant très loin de là. La mondialisation se manifeste par deux phénomènes distincts : par sa portée et par son intensité. D'une part, elle s'étend d'un ensemble de processus qui englobent presque la terre entière ou se déroulent à l'échelle mondiale ; le concept prend alors une connotation d'ordre spatial. D'autre part, elle suppose une intensification des degrés d'interaction, d'interconnexion ou d'interdépendance qui se jouent entre les Etats et les sociétés et qui constituent la communauté mondiale. L'extension des processus va donc de pair avec leur approfondissement (…). Loin d'être une notion abstraite, la mondialisation est à la base de l'une des caractéristiques de l'existence moderne qui nous est de plus en familière (…). Bien sûr, la mondialisation ne veut pas dire qu notre monde soit en train de devenir plus uni politiquement, plus interdépendant économiquement et plus homogène culturellement. La mondialisation demeure un phénomène très inégal dans son extension et très différencié dans ses conséquences.

Catégories Principaux éléments ou processus

1 - Mondialisation de la finance et du capital 1 - Déréglementation des marchés financiers, mobilité

internationale du capital, hausse du nombre de fusions acquisitions. La mondialisation des portefeuilles d'actions en est à ses débuts.

2 - Mondialisation des marchés et des stratégies 2 - Intégration des activités des entreprises à l'échelle mondiale, établissement à l'étranger d'opérations intégrées (dont la R-D et le financement), recherche de composantes d'alliances stratégiques aux quatre coins du globe.

3 - Mondialisation de la technologie, de la R-D et des connaissances correspondantes

3 - La technologie est l'enzyme première : l'émergence de la technologie informatique et des télécommunications permet d'établir des réseaux mondiaux au sein d'une même entreprise et entre plusieurs sociétés. La mondialisation sert de processus d'universalisation du “ toyotisme ” et de la production verticale

4 - Mondialisation des modes de vie et des 4 - Transfert et transplantation de modes de vie prédominants.

8 McGrew A.G., Lewis P. et al (1992) “Globalisation and the Nation State”, Cambridge, Polity press, p.22.

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modèles de consommation ; mondialisation de la culture

Egalisation des modèles de consommation et rôle joué par les médias. Transformation de la culture en”aliment culturel” et en “produits culturels”. Le GATT impose ses règles aux échanges culturels.

5 - Mondialisation des compétences en matière de réglementation et d'autorité

5 - Rôle amoindri des gouvernements et parlements nationaux. Tentatives de conceptionde nouvelles règles et institutions en vue d'un gouvernement mondial.

6 - Mondialisation à titre d'instruments d'unification politique planétaire

6 - Analyse menée par les Etats, de l'intégration des sociétés dans un système politique et économique mondial dirigé par un pouvoir central.

7 - Mondialisation des perceptions, conscience planétaire

7 - Processus socioculturels axés sur “une seule planète”. Le mouvement “mondialiste” Citoyens de la Terre.

Source : Groupe de Lisbonne (1995) “Limites à la compétitivité, Pour un nouveau contrat mondial”, La Découverte/Essais, p. 59. Tableau revu et augmenté, d'après Ruigrok W., van Tulder R. (1993) “The ideology of interdependence”, Université d'Amsterdam.

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PARTIE 2 LES EFFETS DES GRANDES TRANSFORMATIONS SUR LA

CONDUITE DES POLITIQUES ECONOMIQUES

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CHAPITRE 5 OUVERTURE ET POLITIQUES ECONOMIQUES

Mots clés : Internationalisation des économies, Société internationale économique, Contrainte externe, Politique de relance, Changement de cap

Les économies nationales se sont fortement internationalisées durant les cinquante dernières années.

Il est cependant intéressant de rappeler que le degré d’internationalisation des économies était déjà élevé à la veille de la première guerre mondiale. La période de l’entre-deux-guerres a donc constitué une période a-typique durant laquelle les taux d’ouverture des économies se sont réduits. Cette période représente une sorte d’” accident ” de l’histoire commerciale. Les raisons sont multiples. La plus connue est bien sûr la crise des années trente et la montée généralisée du protectionnisme qui provoquèrent un effondrement du commerce international.

Les données ci-dessous illustrent le mouvement d’internationalisation des économies durant le XXe siècle.

TABLEAU : Croissance en volume du PIB et du commerce de marchandises au niveau mondial, 1870-2002

1870-1900 1900-1913 1913-1950 1950-1973 1973-1993 1990-2000* PIB 2,9 2,5 2,0 5,0 2,6 2,5 Commerce de marchandises 3,8 4,3 0,6 8,2 3,8 7,0 Source : O.M.C. (1995) Le régionalisme et le système commercial mondial, Genève p . 44. * Données extraites de WTO (2001) International Trade Statistics, Geneva, p. 19. L’indicateur de production pour la période 1990-2000 est le taux de croissance annuel de production de marchandises, excluant notamment les services.

TABLEAU : Evolution du commerce mondial de marchandises depuis 1913 (exportations/PNB en %)

1913 1950 1973 1992 2002 France 13,9 10,6 14,4 17,5 22,8 Allemagne 17,5 8,5 19,7 24,0 30,3 Japon 12,3 4,7 8,9 9,2 - Royaume-Uni 20,9 14,4 16,4 18,2 18,7 Etats-Unis 6,1 3,6 3,6 7,1 -

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PVD - 16,5 17,8 19,8 - Source : Cohen E. (1996) La tentation hexagonale, la souveraineté à l'épreuve de la mondialisation, Paris, Fayard, p. 23 ; Economie européenne (2002) L’économie de l’union : bilan de 2001, n°73.

Comparaison n’est pas toujours raison. Si la mise en perspective historique enrichit l’analyse, si elle permet de relativiser le débat contemporain sur le phénomène d’internationalisation des économies, il importe de noter les différences entre la période ante 1914 et la période post seconde guerre mondiale.

L’internationalisation des économies avant 1914 n’était le fait que de quelques pays, ce n’est plus la configuration actuelle. La globalisation financière ainsi que les nouveaux moyens de transmission de l’information permet de réduire l’espace et le temps. L’explosion de la finance internationale à la fin du XXe siècle rend difficile toute comparaison avec la situation prévalant avant 1914. De plus, les services représentent une part de plus en plus importante dans les échanges internationaux.

L'ouverture des économies depuis la fin des années quarante trouve ses origines dans la

reconstruction des pays dévastés par la guerre mais aussi par le désir de la puissance hégémonique de l'époque, les Etats-Unis, de rompre avec le protectionnisme économique de l'entre-deux-guerres et de développer à l'échelle mondiale le libre-échange. Outre l'intérêt de cette ouverture pour l'économie américaine, l'interdépendance économique produite par la création d'un grand marché européen ouvert sur le monde devait favoriser une paix durable, la fin du “ nationalisme économique ”, ferment de la seconde guerre mondiale.

Le souhait des représentants politiques des grandes puissances à l'aube de la seconde guerre

mondiale de faire émerger une “ société internationale économique ” est sans doute la raison première d'une telle intensification des échanges. Cette “ société internationale économique ” se compose :

- d'Etats, capitalistes, socialistes et de pays en développement. L'existence d'une telle fragmentation politique a permis le développement des échanges par le biais notamment d'aides économiques renforçant de facto les liens commerciaux. Les aides américaines, destinées aux pays d'Europe occidentale, d'Asie du Sud-Est et autres avaient pour but d'isoler le bloc socialiste ;

- d'organisations internationales intergouvernementales, celles à vocation et à caractère mondial, organisations qui s'agrègent autour des Nations Unies, auxquelles leur charte confère la mission de développer la coopération internationale économique. Dans l'esprit des fondateurs de l'ordre international qui devait naître après la seconde guerre mondiale, le centre devait être composé : de l'Assemblée générale, du Conseil économique et sociale et de leurs organes subsidiaires. Trois organes devaient graviter autours : le F.M.I., la B.I.R.D. et l'O.I.C., et celles à vocation économique et à caractère régional, l'AELE, la CEE... Quant aux pays socialistes, ils mirent en place un organe politique le Kominform et un organe économique le Comecon ;

- d'organisations non-gouvernementales à vocation économique qui peuvent être définies comme un groupement créé à l'initiative de personnes privées réunissant des membres de différentes nationalités, constitué en vue de l'exercice d'une activité internationale à caractère désintéressé, et doté de la personnalité juridique de droit interne. On peut citer les associations internationales à caractère professionnel, les groupements internationaux de producteurs et de consommateurs, les fédérations internationales d'employeurs ou de travailleurs…

- et d'entreprises ou firmes multinationales qui sont les principaux opérateurs du système des relations économiques internationales. Ces firmes peuvent être définies de la façon suivante : ce

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sont des sociétés dont le siège social est dans un pays déterminé et qui exercent leurs activités dans un ou plusieurs pays par l'intermédiaire de succursales ou de filiales qu'elles coordonnent.

Si l’internationalisation des économies n’est pas un fait nouveau, elle a pris une dimension

particulière depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Un ordre économique international a été mis en place favorisant la mondialisation des économies et la conduite de stratégies globales de la part des firmes multinationales. S’il n’y a pas rupture dans la dynamique historique, il y a un changement de nature.

Sous l’effet de l’internationalisation croissante, les économies nationales ont dû maîtriser de

nouvelles contraintes, notamment la contrainte externe (I). Cette complexification s’est traduite par des changements importants dans la définition et la conduite des politiques économiques (II). Pour illustrer notre démonstration, nous prendrons comme exemple l’économie française.

I - L’ECONOMIE FRANÇAISE FACE A LA CONTRAINTE EXTERNE

Le cas de l’économie française est intéressant car la France s’est fortement externalisée depuis la fin des années cinquante (1.1.) et a conséquemment dû faire face à l’apparition de nouvelles contraintes (1.2.).

1.1. – L’internationalisation de l’économie française Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, la France a connu des mutations, parfois

voisines de révolutions. Il faut en effet rappeler qu'avant la seconde guerre mondiale, l'essentiel des échanges extérieurs de la France se faisaient avec ses “ marchés d'outre-mer ”, aussi bien pour son approvisionnement en produits de base que pour l'écoulement de ses produits manufacturés. Elle bénéficiait en quelque sorte de “ marchés captifs ” sur lesquels les échanges se payaient en monnaie nationale puisqu'ils se situaient pour la plupart à l'intérieur de la zone franc.

Or, dès le début des années cinquante, cette situation se trouve profondément transformée. Avec la décolonisation, mais aussi les besoins de la reconstruction et du développement économique, le Plan Marshall et le rôle des États-Unis, les courants d'échanges se sont fondamentalement modifiés. La France s'est mise à échanger de moins en moins (en termes relatifs) avec ses anciennes colonies et de plus en plus avec les pays développés.

Si l’on prend comme référence l’année 1938 (apogée de l’Europe colonisatrice), 29% des exportations totales de la France étaient destinés à ses colonies et 26,4% du total de ses importations provenaient de ces mêmes colonies. En 1997, seulement 6,4% des exportations totales allaient à ses ex-colonies et seulement 3,3% du total de ses importations provenaient de ses ex-colonies (Etemad 2000). Cette situation est identique pour les anciennes puissances coloniales européenne (Royaume-Uni et Italie notamment).

Ce qui revient à dire que les échanges commerciaux de la France se sont effectués avec des économies de moins en moins complémentaires et de plus en plus concurrentes.

Les données ci-dessous illustrent l’extraversion croissante de l’économie française. En quarante ans, la France a importé et exporté 2,5 fois plus de biens. Outre cet aspect

purement quantitatif, il est à noter que cette extraversion s’est d’abord réalisée en Europe

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(commerce intra-Europe). Le commerce intra-européen a en effet été multiplié par 4 alors que le commerce extra-européen a seulement été multiplié par 1,5. La construction européenne et la proximité géographique des marchés ont donc produit un effet polarisant de ses flux d’échanges.

TABLEAU : Ouverture-dépendance de la France en 1960, 1981 et 2001 1960 1981 2001

Dépendance intra-Europe (1) 3,6 10,4 15,6

Dépendance extra-Europe 6,7 10,1 9,6 Dépendance totale 10,3 20,5 25,2

Ouverture intra-Europe (2) 4,3 9,4 15,3

Ouverture extra-Europe 6,9 7,9 9,1 Ouverture totale 11,2 17,3 24,4 (X+M/2)/PIB intra-Europe 3,95 9,9 15,45 (X+M/2)/PIB extra-Europe 6,8 9,0 9,35 (X+M/2)/PIBtotal 10,75 18,9 24,8 Source : Economie Européenne (2001) Rapport économique annuel 2000, n°71, Commission Européenne. (1) Dépendance : Importations de biens aux prix courants (M) en % du PIB aux prix de marché. (2) Ouverture : Exportations de biens aux prix courants (X) en % du PIB aux prix de marché.

1.2. – Ouverture croissante et contrainte externe Avec la réorientation et l’augmentation de ses courants d'échanges, l'économie française s'est

évidemment trouvée confrontée à la contrainte extérieure : l'équilibre de la balance des paiements courants est devenu un impératif, dans la mesure où la contrepartie monétaire des échanges a dû se faire en monnaie internationale, c'est-à-dire en dollars dans la majorité des cas. Certes, l'aide Marshall d'abord, les crédits internationaux ensuite, ont permis à certaines périodes de desserrer cette contrainte, notamment pour des raisons militaires, mais cela n'a pas empêché de rendre inéluctable et central le problème de la valeur du franc vis-à-vis des monnaies étrangères. La contrainte externe s'est donc accompagnée d'une contrainte monétaire.

Avec la contrainte monétaire, un autre changement dans les conceptions et habitudes françaises a dû s'opérer. Le franc, ainsi que la lire italienne, sont restés pendant longtemps les “ monnaies malades ” des pays européens, alors que les autres, du franc belge au deutsche mark en passant par le florin étaient redevenues, dès le début des années cinquante, des monnaies “ fortes ”. La France, qui voyait dans l'inflation un moyen commode de financer la reconstruction, la modernisation de l'économie et la croissance rapide, a mis longtemps pour comprendre que les dévaluations successives de sa monnaie étaient incompatibles avec son rôle dans la construction communautaire, mais aussi dans un monde de plus en plus ouvert aux flux de capitaux étrangers.

Certes, avec le plan Rueff et l'adhésion au traité de Rome, la période 1958-1968 a été une décennie marquant le retour à la stabilité monétaire. Mais, avec la crise du pétrole et l'éclatement du système monétaire international, l'économie française a retrouvé les “ vieux démons ” de l'inflation et il a fallu attendre le début des années quatre-vingt pour que la stabilité monétaire soit reconnue par tous les gouvernements successifs comme une exigence incontournable pour une économie de taille moyenne, ouverte, avec les implications connues sur le plan budgétaire et financier.

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D’autre part, les économies développées ont connu à partir de la décennie soixante-dix un

environnement économique fort changeant et ont dû s’y adapter d’une manière incrémentale (par apprentissage, tâtonnement). L’éclatement de l’ordre économique international mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale (principalement sur le plan monétaire, passage de la fixité des changes à la flexibilité), les différents chocs pétroliers (pressions inflationnistes et modification de la formation des prix), l’arrivée sur la scène internationale de nouveaux pays industrialisés (concurrence internationale exacerbée et son corollaire les restructurations industrielles), une forte inflation combinée à une augmentation du chômage (stagflation, rupture avec la courbe de Philips)… ont constitué autant d’éléments rendant plus complexe la conduite de politiques économiques sur le plan national.

TABLEAU : La détérioration du “ carré magique ” au sein de l'Europe des Quinze

durant la décennie soixante-dix et quatre-vingt

1964-73 1974-83 1984-90 Croissance (variation annuelle en % du PIB) +4,71 +1,90 +3,00 Inflation (indice implicite des prix variation en %) +4,97 +11,40 +4,90 Chômage (en % de la population active) +2,59 +5,72 +9,20 Soldes des opérations courantes (% du PIB) +0,37 -0,43 0,198 Source : Commission européenne et Eurostat.

Les politiques de relance isolées ou de “ keynésianisme pratique ”, qui ont connu leur apogée durant les années soixante, ont buté sur la contrainte externe sans réussir à stabiliser les prix. L’échec de ces politiques ont conduit les autorités gouvernementales à mener des politiques macroéconomiques cherchant prioritairement à lutter contre l’inflation (politiques désinflationnistes).

II – OUVERTURE ECONOMIQUE ET EFFICACITE DES POLITIQUES CONJONCTURELLES

Dans le cadre d’une économie ouverte, toute politique de relance bute sur la contrainte externe (2.1.). Dès lors les autorités gouvernementales sont obligées de changer le cap de leur politique économique (2.2).

2.1. - Echec des politiques de relance isolée Durant les années soixante-dix, les gouvernements européens ont réagi isolément aux

différents chocs externes par la conduite de politiques de relance. Ce fut le cas au Royaume-Uni en 1973, en France en 1974-76, en Italie en 1975, en Allemagne

en 1978 et en France en 1981-82. A chaque fois, ces politiques nationales : - réussirent à impulser un surplus de croissance, +1,5 points pour le Royaume-Uni par rapport

à la moyenne des pays des l'O.C.D.E., +1,8 points pour l'Allemagne ; - mais butèrent sur la contrainte externe et mirent en évidence la spirale inflation-dévaluation,

la modification du taux de change nominal n'ayant pas d'effet durable sur le taux de change réel ;

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- en outre, elles ne réussirent pas à contrer la montée du chômage -à l'exception de l'Allemagne- et chaque retour à l'austérité se traduisit par une perte nette de croissance ;

- néanmoins, le niveau élevé de l'inflation et les taux d'intérêt réels négatifs permirent durant les années soixante-dix et début quatre-vingt le financement des déficits publics sans augmentation du niveau d'endettement.

En France, la relance de 1981-82 produisit les mêmes effets. La France avait déjà connu les limites d'une relance budgétaire autonome en 1975. Elle avait dû, face aux déséquilibres macro-économiques induits, se résoudre à mener une politique de rigueur et d'ancrage monétaire externe visant à stabiliser les prix dans le cadre du Système monétaire européen créé en décembre 1978 lors du sommet européen de Brème. Malgré ce précédent, le gouvernement Mauroy mena une politique de relance rompant avec la politique du franc fort conduite par Raymond Barre de 1978 à 1981.

Par le relèvement des bas salaires, l'augmentation des prestations sociales etc., la politique de relance avait pour but, d'une part, de respecter les engagements pris par les socialistes durant la campagne présidentielle et, d'autre part, de rompre avec la montée du chômage en France. En 1981, le taux de chômage s'élevait à 7,3% contre 2,8% en 1974 alors que le taux d'inflation se maintenait autour de 10%. La priorité du gouvernement de l'époque n'était donc plus de lutter contre l'inflation, il importait de favoriser les conditions de la demande pour que l'économie française crée à nouveau des emplois.

La réaction de l'économie française à cette politique ne s'est pas fait attendre. Le surplus de croissance de la France par rapport à l'Allemagne a été de 1,1 point en 1981 et de 3,4 points en 1982. Mais, le taux de chômage ne baissa pas, pas plus que l'inflation, et le solde des opérations courantes passa de -0,8% du produit intérieur brut en 1981 à -2,1% en 1982. Avec l'ouverture croissante de l'économie française aux échanges européens, tout effet de relance par la demande ne profitait plus uniquement aux producteurs nationaux, mais aussi aux producteurs étrangers -contrainte externe commerciale-.

La contrainte externe était d'autant plus forte que l'ensemble des pays européens menait des politiques restrictives depuis 1978. Ce déphasage conjoncturel amplifia le déficit extérieur français -contrainte externe conjoncturelle-.

2.2. – Changement de cap en politique économique La principale leçon tirée de ces relances isolées fut la mise en évidence des contraintes liées à

la forte interdépendance des économies européennes et des conséquences en termes d'effet de relance : plus la propension à importer est élevée plus le coefficient multiplicateur de relance diminue ; plus l'environnement extérieur est restrictif plus la politique de relance isolée est coûteuse pour le pays meneur.

Une “ prise de conscience ” s'effectue à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt en Europe suite aux différents échecs des politiques de relance isolées. La détérioration continue du “ carré magique ” a incité les gouvernements européens à modifier leurs orientations. La réaction face au second choc pétrolier illustre ce changement de cap (OCDE 1988). A l'exception de l'expérience française, la politique budgétaire n'est plus au service d'un objectif de croissance interne. L'objectif prioritaire est la lutte contre l'inflation afin d'assurer une stabilité des changes intra-européens et de rompre la spirale inflation-dévaluation.

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Conclusion Transformation ne veut pas dire rupture. Il serait erroné de considérer que la tendance de fond

soit une remise en cause des politiques économiques. Sur le plan macroéconomique il y a un déplacement des préoccupations : les objectifs de croissance et de plein emploi qui ont structuré les politiques de l’après seconde guerre mondiale ont cédé la place aux objectifs de stabilité des prix et d’équilibre extérieur au fil de la décennie soixante-dix.

Quant aux politiques structurelles, elles se sont développées sans cesse depuis plus d’un siècle et ont franchi à chaque période de crise économique de nouveaux seuils.

L’interventionnisme public n’a donc pas été remis en cause, il s’est transformé et avec lui la définition et la conduite des politiques économiques.

Pour en savoir plus… NIVEAU I

FERNANDEZ A. (2001) L’économie française depuis 1945, Paris, Hachette. FONTENEAU A. (1990) “ La politique économique française depuis le second choc pétrolier ”, in Les politiques économiques, Cahiers Français, n°245 Paris, La documentation Française, p. 43-50.

NIVEAU II GRJEBINE A. (1991) La politique économique ou la maîtrise des contraintes, Paris, Seuil. MARIS B. & COURET A. (1991) Les politiques économiques conjoncturelles, Paris, PUF, Collection Que sais-je ?, n°2569. SHOR A.-D. (1993) La politique économique et sociale de la Ve République, Paris, PUF, Collection Que sais-je ?, n°2798.

NIVEAU III CAHIERS FRANÇAIS (2000) Le commerce mondial, Paris, La documentation Française, n°299. ECONOMIE EUROPEENNE (2002) L’économie de l’union : bilan de 2001, n°73. ETEMAD B. (2000) “ L’Europe et le monde colonial. De l’apogée des empires à l’après-décolonisation ”, Revue économique, vol.51, n°2, mars, p. 257-268. FITOUSSI J.-P. & LE CACHEUX J. (1988) “ Ruptures et continuités dans l’orientation des politiques macroéconomiques des pays de l’OCDE ”, Revue de l’OFCE, n°22, Janvier, p. 131-164. O.C.D.E. (1988) Changement de cap en politique économique, Paris. SEMPE H. (1984) “ Les politiques de régulation budgétaire des conjonctures de stagflation et d’inflation dans la récession, après la crise économique de 1973 ”, in Etudes de finances publiques, Paris, Economica, p. 313-334.

Encadré : La conférence de Bretton Woods La Conférence de Bretton Woods a eu lieu en 1944. Elle a donné naissance à un certain nombre d’institutions en réaction à l’ordre économique international de l’entre-deux-guerres, tenu pour responsable de la dépression puis de la seconde guerre mondiale. La conduite de politiques commerciales protectionnistes (illustration via tableau ci-dessous) et de politiques monétaires de dévaluations compétitives durant l’entre-deux-guerres, fondées sur des pratiques du « chacun pour soi », expliquent la création d’institutions internationales ayant pour but de favoriser la coopération entre les pays. Ces principales institutions sont : - le Fonds Monétaire International (http://www.imf.org). Ce fonds a permis la mise en place d’un nouveau

système monétaire international dont le but était de diminuer les possibilités de dévaluations compétitives. Le Fonds a été créé en 1944, il est basé à Washington et la première assemblée annuelle a eu lieu en 1946.

- le General Agreement on Tariffs and Trade qui est devenu à l’issue des accord de Marakech de 1993 l’Organisation Mondiale du Commerce (http://www.wto.org). Le GATT a favorisé la création d’un nouveau

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système d’échanges internationaux fondé sur la réduction des restrictions commerciales, tarifaires (droits de douanes) ou quantitatives (quotas). Le premier accord général sur les tarifs douaniers et commerce a été signé en 1947. L’Organisation Mondiale du Commerce siège à Genève.

- la Banque Mondiale (http://www.worldbank.org) . La Banque mondiale a été créée en 1946, siège à Washington et sa première assemblée générale s’est tenue à Savannah en 1946.

Vous pouvez consulter deux numéros spéciaux consacrés aux cinquante ans de Bretton Woods :

Economie internationale (1994) Cinquante ans après Bretton Woods, n°59. Walrafen T. (sous la dir.) (1994) Bretton Woods : mélanges pour un cinquantenaire, Paris, Revue d'économie financière.

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CHAPITRE 6 DESINFLATION ET MARCHE VERS LA MONNAIE UNIQUE

Mots clés : Désinflation, Contrainte monétaire, Triangle d’incompatibilité

La France a entretenu avec sa monnaie et sa politique monétaire une relation intime et conflictuelle depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale. Jamais il n’y eut de véritable consensus sur le rôle de cet instrument macro-économique en France :

- les uns rappelant les effets déflationnistes du franc Poincaré (1926-1936), - les autres regrettant la prise en otage du franc au lendemain des accords de

Grenelle (1968), ou bien encore les “ visiteurs du soir ” essayant d’influencer l’Élysée en 1983 puis Matignon en 1993 pour faire sortir le franc du mécanisme de change du système monétaire européen (S.M.E.).

Rien de surprenant lorsque l’on sait que la monnaie et les décisions modifiant la valeur de celle-ci, au même titre que l’échange international d’ailleurs, exercent une influence sur l’économie et, évidemment, sur la répartition des revenus entre les groupes sociaux d’un pays et entre les pays. La “ France monétaire ” a donc “ navigué ” entre dirigisme et libéralisme, entre priorité à la croissance interne et au rôle international du franc et de son économie. Cette particularité hexagonale ne facilite pas l’analyse économique puisqu’à chaque changement de politique un débat intense naît sur l’opportunité du choix effectué.

Nous tenterons néanmoins de mettre en évidence les raisons qui ont poussé la France à entrer

“ définitivement dans le rang ” en 1983 (I), en rappelant que ce retour à l’orthodoxie monétaire a été accompagné d’un engagement fort sur les questions européennes (II).

I - L’INCONTOURNABLE POLITIQUE DE DESINFLATION

Avant de présenter ce qu’a été la politique de désinflation en France à partir de 1983 (§1.2.), nous rappellerons les principales raisons ayant poussé le gouvernement français à adopter une telle politique (§1.1.).

1.1. – L’économie française face à la contrainte externe ou les limites de

toute relance “ keynésienne ”

Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 70

Bien que la France ait connu les limites d’une relance budgétaire autonome en 1975 et qu’elle

ait dû, face aux déséquilibres macro-économiques de celle-ci, se résoudre à mener une politique de rigueur et d’ancrage monétaire externe visant à stabiliser les prix dans le cadre du S.M.E. créé en décembre 1978 lors du sommet européen de Brème, le gouvernement Mauroy mena une politique de relance rompant avec la politique du franc fort conduite par Raymond Barre de 1978 à 1981.

Par le relèvement des bas salaires, l’augmentation des prestations sociales etc… la politique de relance avait pour but de respecter les engagements pris par les socialistes durant la campagne présidentielle et d’essayer de rompre avec la montée du chômage en France. En 1981, le taux de chômage s’élevait à 7,3% contre 2,8% en 1974 alors que le taux d’inflation se maintenait autours de 10%. La priorité du gouvernement de l’époque n’était donc plus de lutter contre l’inflation, il importait de favoriser les conditions de la demande pour que l’économie française crée à nouveau des emplois.

La réactivité de l’économie française à cette politique ne s’est pas faite attendre. Le surplus de

croissance de la France par rapport à l’France a été de 1,1 point en 1981 et de 3,4 points en 1982. Mais le taux de chômage ne baissa pas, l’inflation non plus, et le solde des opérations courantes passa de –0,8% du produit intérieur brut en 1981 à –2,1% en 1982. Avec l’ouverture croissante de l’économie française aux échanges européens, tout effet de relance par la demande ne “ profitait ” plus uniquement aux producteurs nationaux, mais aussi aux producteurs étrangers. La contrainte externe était d’autant plus forte que l’ensemble des pays européens menait des politiques restrictives depuis 1978. Ce déphasage conjoncturel amplifia le déficit extérieur français.

Cette “ fuite vers l’étranger ” de l’effort de relance a été de surcroît plus difficile à contrôler de

manière autonome que la France participait au S.M.E.. Dans le cadre de cet accord, elle devait assurer la stabilité du cours de sa monnaie vis-à-vis des autres monnaies européennes. Or, face au déficit extérieur, la France ne pouvait que dévaluer sa monnaie pour rendre plus compétitifs ses produits et augmenter ses exportations, accroître le prix des produits étrangers et réduire ses importations.

Sinon, la France devait quitter le mécanisme de change européen (M.C.E.), ce qui signifiait le flottement du franc par rapport aux autres monnaies et un risque important de remise en cause du processus d’intégration européenne (“ la solution albanaise ”). Cette stratégie du “ chacun pour soi ” aurait fait de la France un pays à risque pour les acteurs économiques et politiques européens. Face à cette situation, la dévaluation du franc fut acceptée par les pays européens, mais en contrepartie la France s’engagea à assurer durablement la stabilité externe de sa monnaie.

Enfin, l’économie française ne pouvait supporter durablement un important différentiel d’inflation vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux, dont l’Allemagne. L’appartenance à un mécanisme de changes fixes implique aux pays membres une certaine convergence de leur performance inflationniste.

1.2. – “ La France entre dans le rang ” ou les débuts de la politique de

désinflation

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Face à cet ensemble de contraintes, le gouvernement Mauroy a décidé d’entrer dans le “ rang européen ”. La pesanteur de l’international aura été plus forte que toute velléité de reprise en main par une politique de relance isolée. L’année 1983 marque clairement le retour de la stabilité monétaire et de l’ancrage externe du franc dans les priorités de la politique macro-économique française.

Ce changement de cap français, qui n’est que la reprise de l’orientation macro-économique du gouvernement Barre et de l’application des recommandations du sommet du G5 à Tokyo en 1979, va mettre au cœur des priorités économiques la recherche d’une plus grande compétitivité de l’économie française avec comme objectif central la réduction de son différentiel d’inflation par rapport à ses principaux partenaires européens, et surtout par rapport au “ pays modèle ”, l’Allemagne.

La conduite d’une politique monétaire restrictive sera accompagnée d’une politique de revenus rigoureuse afin d’entraîner une désinflation susceptible d’augmenter la profitabilité des entreprises par rapport à ses concurrentes étrangères. Sources de croissance, ces gains retrouvés de compétitivité devaient, à terme, favoriser la création d’emplois, et bien-sûr, la lutte contre le chômage.

Au-delà de la conduite de politiques monétaires restrictives et de politiques salariales modérées, la France s’engagea dans la réduction du niveau des prélèvements fiscaux pesant sur les entreprises et sur l’épargne, réforma le système de financement de son économie afin de mettre en relation plus directe les capacités d’épargne avec les besoins d’investissements (passage d’une économie d’endettement à une économie de marchés) et lança des programmes de privatisation et de déréglementation.

La signature de l’Acte unique européen en février 1986 a contribué certes à effacer les barrières néo-protectionnistes érigées par les pays européens durant les années soixante-dix, mais elle a surtout été la reconnaissance par ces mêmes pays de l’abandon de leur politique monétaire en tant qu’instrument de régulation nationale. Conformément aux enseignements des travaux de Mundell, en acceptant la libéralisation des mouvements de capitaux et en maintenant comme objectif commun la stabilisation des taux de change intra-communautaires, les pays européens renonçaient de facto à l’autonomie de leur politique monétaire (triangle d’incompatibilité). Dès lors, l’unification monétaire devenait inéluctable.

Nul ne peut contester que de la “ vulgate keynésienne ” des années 1981-1982, les gouvernements français sont passés à l’application des grands principes de “ l’économie de l’offre ”. Et quels que soient les changements de majorité depuis 1983, le cap de la désinflation a été maintenu, à tel point que la France est devenue le modèle de la politique de désinflation dite “ compétitive ” entraînant dans son sillage l’Italie.

Le tableau ci-dessus illustre fort bien cette dynamique : à partir de 1990 le différentiel de taux d’inflation entre la France et l’Allemagne devient négatif.

TABLEAU : Différentiels d’inflation entre la France et l’Allemagne de 1981 à 1997

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

7,2

7,3

6,5

5,4

3,7

2,0

1,1

1,3

0,6

-0,1

-0,6

-3,4

-1,4

-0,7

-0,5

0,1

0,0

Source : Economie Européenne (1997) Rapport économique annuel 1997, n°63, Commission Européenne. L’indicateur mesurant l’inflation est l’indice implicite des prix du PIB aux prix du marché.

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II – LES LIMITES DE LA COOPERATION MONETAIRE EUROPEENNE

2.1. – Les coûts de la politique de désinflation compétitive…

Quinze ans après le tournant de 1983, l’économie française a réussi à combattre l’inflation, elle est passée de 9,7% en 1983 à 1,4% en 1997, son solde des opérations courantes (rapporté au produit intérieur brut) est devenu excédentaire depuis 1992 passant de –0,8% en 1983 à +2,5% en 1997, son taux de croissance a été en moyenne de +2,4% entre 1981-1990, mais son taux de chômage est passé de 8,2% en 1983 à 12,4% en 1997 et son taux de croissance annuel moyen entre 1991 et 1997 n’a été que de 1,26%, contre 2,05% en France.

Bien que les objectifs de lutte contre l’inflation et de compétitivité aient été atteints, la

stratégie de désinflation compétitive a buté sur sa propre logique (compression de la demande intérieure), et la coopération monétaire européenne a rencontré ses propres limites (défaut de coordination dans le cadre de l’unification monétaire allemande).

Le maintien de la stratégie de désinflation compétitive développa des effets particulièrement

préjudiciables qui apparurent au début des années quatre-vingt-dix. Dans le cadre de la conduite de politiques monétaires restrictives au niveau européen, il y eut certes un accord sur les objectifs à atteindre, lutte contre l’inflation, mais il y eut également un manque de coopération des politiques économiques nationales aboutissant à mener cette fameuse “ désinflation compétitive ” qui ne fut rien d’autre qu’une action isolée de relance au détriment cette fois-ci de ses partenaires. En effet, le but était de dégager un différentiel d’inflation négatif par rapport aux autres économies européennes, c’est-à-dire réaliser des gains de compétitivité par rapport à ses partenaires : lorsque ce type de politique est conduit d’une manière décentralisée par chaque économie participant à un ensemble fortement interdépendant, c’est finalement au détriment de chacun.

2.2. …renforcés par la réunification allemande

Cette approche non-coopérative a été confirmée et amplifiée dans ses effets récessifs par le choc de l’unification monétaire allemande. Les effets asymétriques du M.C.E. ont permis à la France durant les années quatre-vingt de modifier les anticipations inflationnistes par l’ancrage externe du franc sur le deutsche mark (gains de réputation et de crédibilité). L’engagement extérieur a servi de paravent à des fins internes. Mais la politique monétaire restrictive conduite par la Bundesbank à la suite de l’unification monétaire allemande a contraint les pays membres du mécanisme de change à suivre cette politique de hausse de taux courts afin de maintenir la stabilité des taux de change intra-européens. Or, le cycle conjoncturel de ces pays n’était plus synchrone avec celui de l’Allemagne. Leur politique monétaire est devenue procylique. Le niveau historiquement élevé des taux d’intérêt réels à court terme sur la période le confirme.

Pour bien appréhender les limites de la coopération internationale dans le cadre européen, il

faut sans aucun doute ajouter les contraintes budgétaires imposées par le processus de convergence pour le passage à la monnaie unique. Bien que dans l’absolu la réduction des

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déficits publics s’imposât du fait de la montée de l’endettement public structurel, la combinaison du caractère procyclique de la politique monétaire, de l’effort d’assainissement des finances publiques et de la poursuite de politiques salariales modérées n’a pas facilité la conduite d’un policy-mix adéquat. On définit habituellement le policy-mix comme la combinaison optimale des politiques macro-économiques, et tout particulièrement de la politique monétaire et de la politique budgétaire.

Conclusion

La contrainte externe, qui réduit l’efficacité de toute politique conjoncturelle menée isolément,

le caractère asymétrique du système monétaire européen, et les défauts de coordination entre pays fortement interdépendants, justifient la nécessité de passer à un stade supérieur d’intégration, et à d’autres formes d’ajustements. L’unification monétaire de la zone permet justement de dépasser les limites de la coopération intergouvernementale, de répondre aux enjeux micro-économiques de l’intégration, et de “ mieux verrouiller ” l’environnement macro-économique européen.

Nous analyserons l’union monétaire européenne dans le chapitre suivant.

Pour en savoir plus… NIVEAU I

CAPUL J.-Y. (1997) “ Inflation-Désinflation ”, in Découverte de l’économie : Concepts et mécanismes, Cahiers français, n°279, Paris, La documentation Française, p. 73-75. FONTENEAU A. (1990) “ La politique économique française depuis le second choc pétrolier ”, in Les politiques économiques, Cahiers Français, n°245 Paris, La documentation Française, p. 43-50.

NIVEAU II BEZBAKH P. (1996) Inflation et désinflation, Paris, La Découverte, Repères, n°43. TRICHET J.-C. (1992) “ Dix ans de désinflation compétitive en France ”, Les notes bleues de Bercy, 16/31 Octobre, p.1-12.

NIVEAU III FITOUSSI J.-P. (1996) “ Anatomie de la croissance molle ”, Revue de l’OFCE, Octobre, n°59, p. 213-244. GROUPE INTERNATIONAL DE POLITIQUE ECONOMIQUE (1992) La désinflation compétitive, le mark et les politiques budgétaires en Europe, Paris, OFCE, P.F.N.S.P.. GUILLAUMONT JEANNENEY S. (1991) “ L’alternance entre dirigisme et libéralisme monétaires (1950-1990) ”, in Entre l’Etat et le marché, l’économie française des années 1880 à nos jours, Levy-Leboyer M. & Casanova J.C. (sous la dir.), Paris, Gallimard, p. 507-544. MAAREK G. (1997) Economie de l’enlisement, Paris, Economica. O.C.D.E. (1988) Changement de cap en politique économique, Paris.

Encadré : La politique de désinflation A partir de 1983, les Etats européens ont adhéré successivement au processus de convergence des rythmes d’inflation conduisant à la stabilité des prix nominaux, ce que l’on a appelé par la suite les politiques dites de désinflation compétitive : en acceptant la rigueur monétaire imposée par les règles du Système Monétaire Européen, chaque Etat a renoncé à utiliser l’instrument du taux de change –dévaluation compétitive- pour compenser les défaillances de la régulation économique et monétaire interne, et a préféré modifier le comportement des agents nationaux –entre autres par la fin de l’indexation des salaires sur les prix- pour accroître la compétitivité globale. L’engagement extérieur a donc servi de paravent à des fins internes.

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Si l’on prend comme exemple le cas français, l’instrument des taux d’intérêt est utilisé dans le seul but de maintenir le cours effectif du franc dans la marge de 2,25% par rapport au cours pivot du deutschemark au sein du Mécanisme de Change Européen. Cela signifie donc que les taux d’intérêt sont déterminés en fonction d’un objectif purement externe et non plus interne. Néanmoins, nous connaissons les effets indirects au niveau interne d’une telle politique : la stabilité externe de la monnaie a pour but de contraindre les agents intérieurs à maîtriser l’évolution des coûts fixes et variables afin de créer une stabilité interne de la monnaie. Cette dynamique d’ensemble doit aboutir à améliorer la compétitivité de l’économie et donc être à terme source de croissance et d’emplois. Dans cette démarche, les sources de croissance supplémentaire ne peuvent provenir que de l’extérieur. Nous pouvons analyser ce processus en deux temps : - le niveau élevé des taux d’intérêt comprime la demande intérieure, ce qui a pour but de maîtriser l’évolution des coûts et éliminer les “ canards boiteux ” (période de désinflation) ; cette première étape se traduit par la surévaluation de la monnaie nationale par rapport à l’ancre. Cet ensemble de facteurs a un effet déflationniste, voire récessif, en fonction du degré d’ajustement de l’économie concernée. Dans le cas européen et durant la période étudiée, cette contrainte imposée par la fixité du taux de change a pu aussi se réaliser grâce à un certain contrôle des mouvements de capitaux ; - la deuxième phase se caractérise par une certaine maîtrise de l’inflation qui entraîne de fait une baisse progressive du niveau des taux d’intérêt –l’écart avec la monnaie ancre diminue-, et parfois par une dernière dévaluation de la monnaie, le tout renforçant la compétitivité de l’économie sur les marchés extérieurs –d’où l’expression de désinflation compétitive-. Cette deuxième période correspond à la prise de conscience que la stabilité des changes ne peut se réaliser durablement que s’il y a d’une manière concomitante la stabilité monétaire interne. La forte réduction des écart-types du taux d’inflation en Europe entre 1978 et 1997 illustre la réussite de la politique de désinflation.

TABLEAU : Ecart-type du taux d’inflation annuel en Europe de 1978 à 1997 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1997 4,62 6,07 4,8 4,25 3,18 2,64 2,86 2,21 1,27 1,43 0,87 Source : Ecart-types calculés à partir des indices implicites des prix du PIB aux prix du marché et du produit intérieur brut aux prix courants, données disponibles dans Economie Européenne (1997) Rapport économique annuel 1997, n°63 ; Institut Monétaire Européen (1998) Rapport sur la convergence, mars.

TABLEAU : Taux annuel moyen et cumulé d'inflation de 1981-1997 en Europe

B DK D GR E F IRL I L NL A P FIN S UK EU 1981-1990

4,6

5,8

2,6

18,3

9,3

6,2

7,1

10,0

5,5

2,3

3,6

17,1

6,4

8,0

6,0

6,5

1981-1990

49,8

66,1

26,0

353

122

71,8

85,3

135

61,9

22,7

37,4

314

74,8

99,9

68,9

76,2

1990

- 1997

2,4

2,0

2,8

11,7

4,7

2,0

2,2

4,8

2,5

2,3

2,7

6,3

2,9

4,2

3,6

3,6

1990

- 1997

23,9

19,3

28,6

171

51,3

19,8

21,6

52,5

25,2

22,6

27,3

72,8

29,8

44,9

38,1

37,0

Source : Données calculées à partir de Economie Européenne (1997) Rapport économique annuel 1997, n°63 ; Commission Européenne (1998) Euro 1999, Rapport sur l'Etat de la convergence, 25 mars.

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CHAPITRE 7

LA POLITIQUE MONETAIRE Mots clés : Stabilité des prix, Taux d’intérêt directeur, Système de taux de change fixes, Système de taux de changes flottants

Ce chapitre est consacré à la politique monétaire. Une première partie analysera la politique monétaire au sens général du terme et une seconde

partie présentera l’union monétaire européenne en particulier.

I - LA POLITIQUE MONETAIRE EN GENERAL

La politique monétaire a deux dimensions : une dimension interne et une dimension externe.

1.1. - La politique monétaire dans sa dimension interne

La question de l’impact de la politique monétaire sur le fonctionnement de l’économie est une question ancienne. Depuis le XIVe siècle, un débat récurrent oppose ceux considérant que la politique monétaire doit être au service de l’essor économique et ceux considérant que la politique monétaire doit garantir la stabilité et uniquement la stabilité des prix. Ce débat marquera aussi les relations entre l’Etat et la Banque centrale tout au long du XXe siècle.

La politique monétaire est conduite par la Banque centrale. Pourquoi la politique monétaire est centralisé ? La justification théorique de la centralisation du pouvoir monétaire se fonde sur l'existence

d'une forte externalité : la monnaie est un bien collectif dont la qualité intéresse tous les agents économiques de manière indivisible. Une organisation décentralisée produirait des effets de débordement nuisibles au bon fonctionnement de l'union. En l'absence de coopération, les effets de politiques monétaires opposées se neutraliseraient : les unes injectant des liquidités, les autres réduisant des liquidités au sein de sous espaces monétaires communiquants. Les autorités monétaires décentralisées seraient obligées d'exagérer leur politique sans pour autant atteindre leurs objectifs. L'union monétaire se traduirait par une concurrence des monnaies exacerbée par des arbitrages internationaux rendant in fine difficile voire impraticable la gestion du taux de change de la zone monétaire concernée.

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Pire chaque autorité pourrait être incitée à accroître la création monétaire pour bénéficier de revenus de seigneuriage ou pour favoriser l'activité des agents économiques (entreprises et ménages) dépendant de sa juridiction. " Chacun rejetterait sur les autres le coût en inflation de sa politique, et on aboutirait rapidement à une situation chaotique ".(Bismut & Pisani-Ferry 1994, p. 128).

La coopération des banques centrales est donc nécessaire et l'unicité de la Banque centrale s'impose. La mise en œuvre de la coopération est facilitée par l'homogénéité des préférences et des cultures des banques centrales nationales, celle de la stabilité monétaire acquise au sein du Système monétaire européen peut être prise en exemple dans le cadre de l’union monétaire européenne. 1.1.1. - Les objectifs

Elle doit veiller à ce que l’approvisionnement en monnaie de l’économie soit suffisant sans être excessif, c’est-à-dire générateur d’inflation. Cet objectif n’est donc pas forcément simple à atteindre surtout lorsque l’inflation et/ou la crise économique sont d’origines structurelles (inflation en France durant la décennie soixante-dix, crise économique actuelle au Japon).

La banque centrale va donc surveiller la quantité de monnaie en circulation c’est-à-dire la masse monétaire afin que son évolution corresponde au mieux au besoin de l’économie. Les banques centrales se fixent chaque année un objectif de croissance monétaire et s’efforcent de le respecter en utilisant un certain nombre d’instruments.

Le contrôle de l’approvisionnement en monnaie se fait de manière indirecte puisque ce sont les banques de second rang qui créent de la monnaie en accordant des crédits et des prêts aux ménages et aux entreprises.

Depuis la décennie soixante-dix, période de forte inflation mais aussi de libéralisation des mouvements de capitaux, la politique monétaire et les banques centrales ont vu leur importance grandir : primauté de la politique monétaire car l’objectif de lutte contre l’inflation est devenue prioritaire combinée à une stabilité des changes entre les pays européens, le tout visant à renforcer la compétitivité des économies.

La justification de la stabilité des prix se fonde sur les coûts de l'inflation, coûts jugés supérieurs à ceux du chômage ; les causes des fluctuations de l'emploi proviennent de l'incapacité des agents économiques à anticiper correctement l'inflation. Il n'est dès lors pas possible d'arbitrer entre inflation et chômage ; la baisse du chômage ne peut découler que de la stabilité des prix (Bienaymé 1992).

La primauté du monétaire a entraîné certaines modifications institutionnelles dont l’indépendance de l’institut d’émission. De nombreux enseignements théoriques contemporains montrent que la politique monétaire doit être conduite par une institution indépendante. Une telle indépendance protège la banque centrale de toute pression externe permettant d'assurer une cohérence temporelle à la politique monétaire. C'est la logique de la séparation des pouvoirs : de même que la démocratie politique implique que l'Etat respecte le principe d'une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, la " liberté des marchés " est d'autant mieux respectée que l'exercice du pouvoir monétaire reste distinct de celui du pouvoir légiférant et des pouvoirs fiscaux et budgétaires de l'Etat. Ces recommandations théoriques s'inscrivent dans un monde de plus en plus " ouvert aux forces du marché ". En effet, " l'évolution économique des deux dernières décennies invite à prendre ces arguments en considération. Le développement et le décloisonnement des marchés financiers tendent à renforcer le poids des effets de réputation dans la conduite de la politique monétaire : les marchés interprètent les signaux émis par les autorités et supputent leurs intentions autant qu'ils réagissent à la valeur de tel ou tel instrument. La

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politique est ainsi de moins en moins un art d'ingénieur, dans lequel l'important est de disposer d'une panoplie aussi large que possible. Elle est de plus en plus un jeu opposant décideurs publics et agents privés, dans lequel la clarté des objectifs et la liberté d'action sont des atouts forts aux mains de la banque centrale. " (Pisani-Ferry 1993, p. 186-187)

Dans un monde où les capitaux circulent librement, où les marchés financiers sont à l'affût des messages délivrés par les autorités, dans un monde où tous les acteurs, y compris les salariés, déterminent leurs choix en fonction de leurs anticipations, la crédibilité est un atout considérable. En éliminant la possibilité de mauvaises surprises pour les acteurs économiques et les marchés financiers, les règles monétaires réduisent le taux d'inflation d'équilibre . Or la crédibilité d'une politique anti-inflationniste ne peut s'acquérir que dans la durée, grâce à la clarté des messages et à la continuité des décisions. Une banque centrale indépendante est naturellement plus apte qu'un gouvernement à maintenir clarté et continuité. Les décideurs politiques doivent afficher des règles plutôt que de recourir à des actions discrétionnaires afin de rendre crédible leur politique économique.

Cette indépendance permet d'obtenir une stabilité des prix plus importante sans affecter le rythme de croissance. Les études empiriques contemporaines ont en effet mis en évidence une corrélation positive entre le degré d'indépendance de la Banque centrale et le niveau de stabilité des prix.

L'indépendance de la Banque centrale européenne s'inscrit pleinement dans cet environnement théorique.

Nous avons déjà vu qu’au fil des décennies, une hiérarchie des objectifs à atteindre s’est faite.

1.1.2. - Les instruments Les banques de second rang ont besoin de se refinancer auprès des banques centrales. Pour

contrôler au mieux l’approvisionnement en monnaies, les banques centrales vont jouer sur le coût de refinancement, c’est-à-dire sur le niveau des taux d’intérêt. Leur principal instrument est donc le taux d’intérêt directeur.

Durant la période allant de la fin des années soixante-dix au 1er janvier 1999, l’engagement

externe a prédominé dans la conduite de la politique monétaire en tant qu’objectif mais aussi en tant qu’instrument.

1.2 - La politique monétaire dans sa dimension externe La politique monétaire dans sa dimension externe renvoie à la gestion du taux de change.

Cette gestion peut ne pas être obligatoire dans le sens où une économie peu ouverte s’en moque. En effet, si une économie est peu ouverte, elle n’a pas à se soucier de l’évolution de son taux de change, elle échange peu avec les reste du monde. Elle aura intérêt dans ce cas à laisser flotter son taux de change. Par contre, si une économie est très ouverte vis-à-vis du reste du monde, elle aura intérêt à participer à un système de taux de change fixes. (Voir encadré).

II - L’UNION MONETAIRE EUROPEENNE EN PARTICULIER

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La décennie quatre-vingt-dix a été une décennie particulièrement riche en Europe. En effet, les Quinze ont connu des changements structurels de grande ampleur : l’unification allemande, le grand marché et l’union monétaire.

Ces changements ne doivent pas minimiser l’importance de la création de l’euro. Le passage à l’union monétaire constitue un moment-clé dans l’histoire de l’intégration européenne et dans l’Histoire économique puisque jamais une telle construction n’a été réalisée.

Outre son caractère inédit, nous insistons sur le caractère original et a-typique de cette union puisque jamais une union monétaire ne s’est réalisée sans union politique préalable.

Si l’union monétaire européenne est nécessaire voire incontournable (2.1), est-elle pour autant suffisante (2.2) ? Son a-typicité pourrait être source de faiblesse.

2.1 - L’union monétaire est nécessaire et incontournable

Nécessaire parce qu’elle permet de constituer une économie de taille suffisante à l’échelle mondiale pour retrouver une certaine capacité de régulation.

Incontournable parce que les pays européens de petites et moyennes tailles étaient piégés par les effets dynamiques de leur intégration. Les travaux de Mundell, le si célèbre triangle d’incompatibilité, mettent clairement en évidence le caractère insoutenable d’un système de taux de change fixes.

La monnaie unique est donc un moment mais aussi un facteur de l’intégration.

2.1.1. - L’union monétaire est un moment de l’intégration Faut-il rappeler le slogan de la Commission européenne : La monnaie unique, complément

naturel du marché unique. Elle s’inscrit bien sûr dans une logique gradualiste de projet d’intégration européenne qui a

débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale. Rapide historique de la construction européenne (voir chapitre consacré à cette question). N’oublions pas que ce moment a permis mécaniquement trois phénomènes : - la réduction des taux d’intérêt directeurs et des taux courts dépendants ; - la réduction dans une certaine proportion des taux d’intérêt longs (disparition de la prime de

risque “ taux de change ”) ; - et de la fixité irrévocable des taux de change. Les monnaies ont été soustraites aux forces du

marché.

2.1.2. - L’union monétaire est un facteur de l’intégration Si la complémentarité est évidente entre le marché unique et la monnaie unique, éviter toute

concurrence monétaire dommageable pouvant remettre en cause l’acquis de l’intégration marchande, la dimension de l’intégration économique n’est pas la même puisque l’on passe de la microéconomie à la macroéconomie.

La période de transition a favorisé la convergence des politiques monétaires nationales fondée sur la lutte contre l’inflation afin d’assurer la stabilité des changes intra-européens ainsi qu’une volonté commune de réduire l’endettement public croissant.

Nous pouvons nous arrêter cependant sur la réelle difficulté qu’ont eu les chefs d’Etat et de gouvernement à coordonner d’une manière optimale leur politique économique face au choc de la réunification allemande. Perpétuation de la désinflation compétitive ou incapacité de prendre les bonnes décisions au bon moment ?

Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 79

Mais, quoiqu’on dise, outre ce choc conjoncturel fortement perturbateur, la convergence et la coopération des politiques économiques depuis la création du système monétaire européen (1978) ont permis au marché commun de fonctionner sans remise en cause et de favoriser la convergence des cycles conjoncturels nationaux.

Le contre-exemple est bien-sûr le Royaume-Uni.

2.1.3. – La conduite de la politique monétaire européenne Quant à la stratégie de la politique monétaire de l'Eurosystème, annoncée le 13 octobre 1998

par le Conseil des gouverneurs, elle est bien sûr axée sur la stabilité des prix conformément au traité sur l'Union européenne.

Elle comporte trois éléments essentiels : - la publication d'une définition quantifiée de l'objectif principal de la politique monétaire

de stabilité des prix afin de fournir une orientation claire aux anticipations des marchés et de donner un élément de mesure pour évaluer le succès de la politique monétaire.

La stabilité des prix est définie par " une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé inférieure à 2% dans la zone euro ". La Banque centrale européenne rappelle que " l'emploi du terme " progression " indique sans ambiguïté que la déflation ne serait pas jugée compatible avec la stabilité des prix " (BCE 1999, p. 52) et que la stabilité doit être maintenue à moyen terme car une instabilité à court terme des prix peut être le produit de chocs non monétaires. " L'évaluation des résultats de la politique monétaire sur le moyen terme donne tout son sens à la notion de responsabilité de l'Eurosystème " ;

- un rôle essentiel pour la monnaie est souligné par l'annonce d'une valeur de référence quantifiée pour la croissance d'un agrégat monétaire large. L'agrégat retenu est M3. Il recouvre la monnaie en circulation, les dépôts bancaires à court terme, les titres d'OPVCM monétaires et les titres de créance à court terme émis par les institutions financières monétaires. Le 1er décembre 1998, le Conseil des gouverneurs a annoncé la valeur de référence retenue pour M3, elle est de 41/2 %. Cette norme de croissance se fonde sur la relation qui existe entre la monnaie, d'une part, et les prix, le produit intérieur brut réel et la vitesse de circulation de la monnaie, d'autre part. Les hypothèses à moyen terme sont les suivantes : une progression des prix inférieure à 2% sur un an, une croissance du PIB réel de 2-21/2 % et une vitesse de circulation de M3 comprise entre 1/2 % et 1 % par an.

- les données monétaires ne suffisent pas à connaître pleinement les ressorts de la stabilité des prix. Il est nécessaire d'avoir une large gamme d'indicateurs économiques tels que les salaires, le taux de change, le cours des obligations, la courbe des rendements, diverses mesures de l'activité réelle, des indicateurs budgétaires, des indices de prix et de coûts, des enquêtes auprès d'entreprises et de consommateurs…

2.2 - L’union monétaire n’est pas suffisante

L’union monétaire n’est qu’une étape d’une construction inachevée. Inévitablement, les effets dynamiques de l’intégration produiront à terme (long terme) des

effets d’engrenage, favorisant l’émergence d’un Etat européen de type fédéral. 2.2.1. - Insuffisante mais viable

Ce n’est pas une surprise, aucune zone monétaire n’est optimale.

Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 80

Il est préférable de s’interroger sur son degré de viabilité ou de soutenabilité. Les 50 années d’intégration économique ont permis de rendre viable et soutenable l’union

monétaire. Des imperfections demeurent. Une certaine diversité des économies membres subsistent alors que les taux d’intérêt et le taux

de change sont identiques pour toutes. Le seul instrument d’ajustement dont dispose une économie est la politique budgétaire. Or

celle-ci exerce des effets de débordements sur les autres pays qui rendent nécessaire leur coopération. la monnaie unique crée donc des intérêts communs qui doivent être gérés de manière collective.

Si les facteurs de production étaient parfaitement mobiles (théories de zones monétaires optimales), les ajustements entre les économies seraient automatiques. Comme ce n’est pas le cas, il faut des mécanismes institutionnels de coopération, qui, aujourd’hui, font défaut.

2.2.2. - Renforcement de la coordination des politiques

Analysons rapidement les spécificités économiques pouvant être le moteur d’une intégration plus poussée.

Un certain nombre de pays sont susceptibles d’être affectés par des chocs asymétriques. Une fois ces pays mis en évidence, des procédures de coopération renforcées peuvent être

établies. Mise en place de fonds de stabilisation conjoncturelle.

Pour en savoir plus… NIVEAU I

CAHIERS FRANÇAIS (1994) Monnaie et politique monétaire, Paris, La documentation Française, n°267. CAHIERS FRANÇAIS (1997) La monnaie unique, Paris, La documentation Française, n°282. CAHIERS FRANÇAIS (2000) Monnaie et politique monétaire en Europe, Paris, La documentation Française, n°297. ECHINARD Y. (sous la dir.) (1999) La zone euro et les enjeux de la politique budgétaire, Grenoble, PUG, Collection Débats. BESSON J.L. & ECHINARD Y. (1999) “ Optimalité et soutenabilité de l'union monétaire européenne ”, Revue du Marché Commun et de l'Union Européenne, n°428, Mai, Paris, p. 310-318.

NIVEAU II BESSON J.-L. (2000) Monnaie et finance en Europe, Grenoble, PUG. TROTIGNON J. & YVARS B. (2002) Economie monétaire européenne, Paris, Hachette.

NIVEAU III BANQUE CENTRALE EUROPEENNE (1999) Rapport annuel 1998, Francfort. BIENAYME A. (1992) Le capitalisme adulte, Paris, P.U.F.. BISMUT C. & PISANI-FERRY J. (1994) « L'union économique et monétaire. Principes et implications », Revue économique, vol.46, n° Hors série, p. 121-142. PISANI-FERRY J. (1993) « Atelier " Economie internationale " sur l'Union économique et monétaire », in L'économie française en perspective, CHARPIN J.M. (sous la dir.), CGP/La Découverte, p. 167-238.

Encadré 1 : Le Système monétaire européen Face aux perturbations que les mouvements erratiques des changes entraînaient dans les échanges commerciaux internationaux, aggravant la crise économique, il était devenu indispensable de rétablir dans la Communauté une "zone de stabilité " couvrant la moitié des échanges extérieurs des pays membres que constituent les échanges intra-

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communautaires. Simple accord inter-gouvernemental au départ, le S.M.E. était plus l'expression d'un engagement politique que la première pierre de l'unification monétaire de l'espace européen. Réaction à la défaillance du système monétaire international (S.M.I.), il fut accueilli avec des sentiments mitigés de circonspection, d'espoirs et de doutes, jusqu'à ce qu'il s'affirme durant les années quatre-vingts, sous son double aspect externe et interne : - externe, vis-à-vis des pays-tiers et de leurs monnaies, notamment le dollar, qui sont restées régies par un système - ne vaudrait-il pas mieux dire un non-système - de taux de change flexibles ; - interne, en ce qui concerne les monnaies participant au mécanisme de change du S.M.E., contraintes à une "discipline" monétaire qui n'a pas été sans conséquences économiques, rassemblées sous le terme assez vague et parfois trompeur de "convergence". Le S.M.E. est un dispositif monétaire visant à lier plus étroitement les diverses monnaies des Etats membres en vue de progresser vers une monnaie commune. Le chemin choisi est celui des taux de change fixes. Le fonctionnement du marché repose donc sur une interaction permanente entre l'action spontanée des opérateurs et l'action des pouvoirs publics. Chaque pays a l'obligation de limiter les fluctuations de sa monnaie à l'intérieur de certaines marges. Mais au lieu de fixer ces marges par rapport à l'or ou au dollar (comme dans le système de Bretton-Woods), le S.M.E. les fixe par rapport à un étalon de mesure commun aux Etats membres : l'écu. La référence numéraire n'est pas externe mais interne au système. Quatre éléments composent ce système. 1 - L'écu, unité de référence centrale, clé de voûte du système L'European Currency Unit est une unité de compte de type panier qui a été créée avec le S.M.E., sa valeur est la somme de quantités fixes des différentes monnaies communautaires. Etant l'élément de référence, unité de mesure commune, l'écu se voit assigner les fonctions de numéraire dans le mécanisme de change qui se matérialise de deux manières : la valeur de référence de chaque monnaie nationale est exprimée en écu par une décision politique du Conseil, c'est le cours pivot, et le cours effectif de chaque monnaie exprimée en écu qui peut diverger par rapport au cours pivot en fonction des forces du marché. Il constitue la base de calcul pour l'indicateur de divergence, et sert d'unité de compte pour les opérations de soutien, de crédit et pour les règlements entre banques centrales. 2 - Le mécanisme de change et d'intervention L'objectif est de limiter les fluctuations de change entre deux devises nationales membres du S.M.E. à l'intérieur d'une limite de + ou - 2,25%. Mais les fluctuations doivent être fixées en termes de cours croisés plutôt que par rapport à l'écu puisque ce dernier n'est pas encore fort répandu sur le marché des changes, les interventions des banques s'effectuent entre leur monnaie et une autre devise. Ce sont donc les cours pivots bilatéraux qui constituent la base opérationnelle du système. Les interventions sont effectuées par les banques centrales de chaque Etat dans le but de maintenir les cours croisés de leur devise à l'intérieur des marges autorisées ; les seuils de divergence, correspondant aux trois quarts des marges de fluctuation, sont prévus pour alarmer les autorités monétaires afin qu'ils anticipent la tendance amorcée. L'originalité du S.M.E. est qu'il est possible de réviser les cours pivots des monnaies lorsque des tensions trop excessives subsistent à l'intérieur du système. Mais toute modification unilatérale de cours pivots est interdite, en effet le processus de décision du S.M.E. est de type collégial dans lequel l'unanimité est la règle. 3 - Les mécanismes de soutien et de crédit Le fonctionnement du mécanisme d'intervention se traduit par la formation de soldes créditeurs ou débiteurs dans chaque banque centrale sur ses partenaires. Le premier mécanisme de soutien provient directement des banques centrales qui se font mutuellement crédit à fin de mois. Le deuxième soutien est qualifié de soutien à court terme jusqu'à neuf mois et le troisième à moyen terme s'étend de deux à cinq ans. Mais dans les deux derniers cas le soutien communautaire est assorti d'engagements d'assainissement pour la politique économique des pays bénéficiaires. 4 - Le Fonds européen de coopération monétaire (F.E.C.O.M.) Le F.E.C.O.M. est un organe embryonnaire chargé de deux missions : il assure la compensation mutuelle entre banques centrales sur leurs crédits réciproques d'intervention et de soutien, et il reçoit depuis 1979 une part des réserves monétaires des Etats-membres (20% de leurs avoirs en or et devises) en échange d'écus. Il y a donc substitution au sein des réserves traditionnelles en faveur d'une monnaie internationale nouvelle. En résumé, un pays en difficulté désirant défendre la parité de sa monnaie peut s'endetter en écu, qualifié d'officiel ou public, auprès du F.E.C.O.M.. 5 - Les modifications institutionnelles Les accords de Nyborg en septembre 1987 ont renforcé le processus de coopération en augmentant les moyens disponibles pour des interventions des autorités, et en acceptant d'une manière tacite que les ajustements seraient de moins en moins fréquents et ne dépasseraient pas la largeur du tunnel. L'article 109G du traité sur l'Union Européenne déclare que la composition en monnaies du panier de l'écu reste inchangée, cela signifie le gel des composantes monétaires de l'écu fixées pour la dernière fois le 21 septembre 1989 avec l'intégration de la peseta et de l'escudo dans le mécanisme de change. Mais l'écu parité n'est pas gelé puisque

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des réalignements peuvent se produire : la composition du panier en pourcentage est encore susceptible de bouger puisque la pondération d'une devise s'obtient en rapportant le montant de cette devise au cours de l'écu dans cette devise. Depuis le 2 août 1993, le compromis de Bruxelles a décidé de faire passer les limites de fluctuations de +/-2,25% à +/- 15%, afin d'anihiler les attaques spéculatives. Cet élargissement des marges est une réponse temporaire à la fameuse incompatibilité entre fixité des changes, politiques monétaires décentralisées et parfaite liberté de circulation des capitaux. 6 - Le nouveau mécanisme de change : MCE II Conformément à la résolution adoptée par le Conseil européen d'Amsterdam en juin 1997, un nouveau Mécanisme de change européen (MCE II) a été créé afin de lier à l'euro les monnaies des Etats membres ne participant pas à la zone euro (Danemark, Royaume-Uni et Suède). Les modalités de fonctionnement de ce nouveau mécanisme sont fixées dans un accord signé le 1er septembre 1998 entre le Président de la Banque centrale européenne et les gouverneurs des quatre banques centrales nationales. Le nouveau mécanisme fonctionne depuis le 1er janvier 1999. La participation au nouveau mécanisme se fait sur la base du volontariat. Le nouveau mécanisme se fonde sur des cours pivots par rapport à l'euro, avec des marges de fluctuation standard de 15%. Les interventions de change intramarginales et le financement de celles-ci se font de manière automatique et illimitée, un financement de très court terme étant disponible. Ce nouveau mécanisme n'inclut cependant pas ni le soutien monétaire à court terme ni les opérations de swap comme le prévoyait l'ancien mécanisme. Depuis le 1er janvier 1999, la couronne danoise participe au MCE II avec des marges de 2,25% et un cours pivot par rapport à l'euro de DKK 7,46038, le cours plafond par rapport à l'euro est de DKK 7,62824, le cours plancher de DKK 7,29252.

Encadré 2 : Les trois étapes de l’unification monétaire Le traité sur l'Union européenne a organisé l'unification monétaire de la zone en trois étapes. La première étape, du 1er juillet 1990 au 31 décembre 1993, a été une période faisant le lien entre la dynamique de l'Acte unique, l'achèvement du grand marché, et les prémices de l'union monétaire, avec notamment le programme de convergence des politiques économiques fondé sur l'adoption des grandes orientations des politiques économiques et devant respecter les critères de convergence. La deuxième étape a débuté le 1er janvier 1994. Dès le début de cette période, le financement monétaire des déficits budgétaires était exclus, ainsi que toute responsabilité de l'Union ou des Etats vis-à-vis des dettes d'un autre Etat membre. L'Institut monétaire européen a été instauré en remplacement du Comité des gouverneurs des Banques centrales. Cet institut a été l'embryon de la future Banque centrale européenne, il a préparé les conditions techniques de l'union monétaire, amélioré la coordination des politiques monétaires nationales, surveillé le fonctionnement du Système monétaire européen et veillé au renforcement de l'écu. Conformément à la décision prise au Conseil européen de Madrid en décembre 1995, le passage à la monnaie unique a été repoussé du 1er janvier 1997 au 1er janvier 1999, et la monnaie unique a été officiellement baptisée euro. Au début de l'année 1998, la Commission européenne et l'Institut monétaire européen ont adressé un rapport au Conseil concernant la situation des Etats membres sur la base d'un certain nombre de critères. Ces critères ont pour objectif de déterminer si les pays concernés peuvent participer ou non à l'union monétaire européenne. Lors du Conseil européen extraordinaire de Bruxelles, les 2 et 3 mai 1998, onze pays sur quinze ont été retenus pour passer à la monnaie unique. Ces onze pays sont : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal. La Suède et la Grèce ne respectaient pas certains critères de convergence. Quant au Royaume-Uni et au Danemark, ils bénéficiaient d'une clause d'exemption puisqu'ils ne désiraient pas entrer dans l'union monétaire. Les taux de conversion des monnaies participant à l'union ont également été arrêtés lors de ce même Conseil afin d'éviter toute attaque spéculative durant la période précédant le passage à la monnaie unique. Les taux pivots ont été retenus.

La troisième étape a débuté le 1er janvier 1999. La Banque centrale européenne définit et conduit la politique monétaire de la zone euro, avec pour principal objectif la stabilité des prix. Le 31 décembre 1998, le Conseil Ecofin a arrêté les taux de conversion auquel l'euro a remplacé les monnaies participantes. Depuis cette date, l'euro est une monnaie à part entière.

Encadré 3 : Principales caractéristiques de la zone euro

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Zone euro Etats-Unis Japon Population 302 272 127 Pib % Pib mondial 16,2 21,9 7,6 Pib en euros (milliards) 6245 8666 4081 Pib par tête 20667 31916 32205 Exportations biens et services % du Pib 16,9 10,3 10,7 Importations biens et services % du Pib 15,9 13,2 9,1 Exportations % expor mondiales 18,9 15,2 9,1 Source : Banque Centrale Européenne (2001) Bulletin mensuel, Janvier.

Encadré 4 : L'Euroland : une zone monétaire optimale ? De nombreux économistes, notamment américains, considèrent que l’union monétaire européenne ne pourra pas durer et réussir parce que cette zone monétaire n’est pas “optimale”. Que faut-il en penser ? Cet encadré fait le point sur les principaux arguments théoriques à l’encontre de l’union monétaire européenne. S'interroger sur le fait de savoir si les pays membres de la future union monétaire européenne, ou l'Euroland, constituent une zone monétaire optimale peut paraître anachronique. En effet, depuis le sommet extraordinaire de Bruxelles des 2 et 3 mai 1998, onze pays sur quinze ont été qualifiés pour faire partie du "club Euroland" après avoir été "jugés" par les services de la Commission Européenne, ceux de l'Institut Monétaire Européen, et bien sûr, en dernier ressort, par l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement européens. Le débat sur la zone euro serait donc clos. Or, nombre d'observateurs mettent en évidence que le passage à la monnaie unique n'est pas une fin en soi. Il devrait entraîner un ensemble de transformations importantes tant au niveau de l'environnement macro-économique qu'au niveau de la définition, de la conduite des politiques économiques européennes et du fonctionnement des institutions nationales et européennes afin que la zone euro soit durablement "viable". A ce titre, l'examen de la théorie sur les zones monétaires optimales et du fonctionnement des unions monétaires existantes apportent un certain nombre d'indications sur les insuffisances internes de la zone monétaire européenne. En conséquence, chercher à savoir si l'Euroland est une zone monétaire optimale relève d'une démarche constructive permettant de mettre en évidence une grille d'analyse sur la pertinence de l'union monétaire européenne prévue par le traité sur l'Union Européenne, d'apporter un éclairage sur son degré de faisabilité, et d'envisager, si nécessaire, les transformations futures à effectuer. Cette démarche permet aussi de comprendre les raisons pour lesquelles certains pays ne font pas partie de l'union monétaire européenne, le Royaume-Uni par exemple, et de constituer un cadre dans lequel pourraient s'inscrire de futurs candidats, notamment les pays d'Europe Centrale et Orientale. Contrairement aux nombreux écrits récents, il ne s'agit pas, ici, d'enterrer le projet d'unification monétaire européenne, il s'agit simplement de rappeler les termes du débat portant sur l'optimalité ou non de le zone euro. L'origine de cette réflexion remonte aux travaux de Robert Mundell de 1961, et se fonde sur l'analyse de la zone monétaire américaine. En effet, depuis le début des années soixante, un courant de pensée s'interroge sur un plan théorique de l'optimalité de la zone monétaire américaine, et cherche à savoir corrélativement si certaines régions américaines n'auraient pas intérêt à retrouver leur autonomie monétaire. D'une manière plus large, ce type de recherche tente de constituer un "arsenal" analytique ayant pour but de préciser si une zone a plutôt intérêt à être en changes fixes ou en changes flottants, à appartenir à une union ou à préserver son autonomie monétaire. Il n'est donc pas surprenant de voir resurgir, à l'occasion du passage à la monnaie unique européenne, les leçons des ces travaux, et de lire, sur ce thème, une littérature prolifique. Cet "arsenal" analytique se concentre principalement autour de quatre grandes idées : le coût macro-économique lié à l'abandon de l'instrument de taux de change nominal, l'occurrence de chocs asymétriques affectant les régions participant à une union, la synchronisation des cycles entre ces mêmes régions et le rôle des transferts budgétaires dans le processus d'ajustement macro-économique. L'ajustement macro-économique sans le taux de change nominal L'élément central de la réflexion est l'implication de la perte du taux de change nominal dans le processus d'ajustement macro-économique. Cette perte peut être "momentanée" lorsqu'un pays participe à un système de taux de change fixes et ajustables, ou "définitive" lorsqu'un pays décide de faire partie d'une union monétaire.

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La théorie économique standard montre que la disparition d'un tel instrument d'ajustement ne signifie pas la disparition de l'ajustement en tant que tel. En changes fixes, et a fortiori en union monétaire, ce sont les changes réels, c'est-à-dire les salaires et les prix, qui effectuent le travail d'ajustement. Mais, pour que l'ajustement réalisé par les changes réels soit effectif, il est nécessaire que les prix et les salaires soient suffisamment flexibles, puissent s'adapter aux conditions changeantes de l'activité économique. "Paradoxalement", derrière la recherche de la fixité des changes nominaux entre un ensemble de pays se cache la nécessité d'un certain flottement des changes réels pour que, macro-économiquement, la participation à un système de taux de change fixes ou la création d'une union monétaire ne soit pas durablement coûteuse pour certains de ses membres. Dans la même logique, le facteur travail doit être suffisamment mobile afin de compenser un baisse de l'activité dans une région ou au sein d'une industrie ; la mobilité du travail étant considérée comme un substitut à la variation du taux de change nominal. Les études tendent à montrer que la flexibilité des salaires, des prix et la mobilité des travailleurs sont moins développés entre les pays européens qu'entre les régions américaines. Cet état de fait indique que l'intégration des marchés des biens et du travail en Europe n'est qu'insuffisamment réalisée, rendant plus difficile l'ajustement par les taux de change réels et donc plus coûteuse la perte du taux de change nominal pour les pays participants. L'occurrence de chocs asymétriques Outre la flexibilité des changes réels et la mobilité du facteur travail, il importe que les régions membres d'une union monétaire ne soit pas "victimes" de chocs asymétriques trop importants. Si une région est affectée par un tel choc, tant récessif qu'expansionniste, la politique monétaire commune ne répondra pas spécifiquement aux besoins de cette même région. La perte de l'instrument de taux de change nominal serait donc une nouvelle fois coûteuse. L'occurrence de tels chocs dépendra principalement de la forte spécialisation sectorielle d'une économie ou, symétriquement, de la ressemblance de ses structures économiques avec celles des autres économies membres de la zone. Dans le premier cas, l'occurrence risque d'être importante et l'économie aurait intérêt à préserver son autonomie monétaire pour compenser un choc d'offre ou de demande l'affectant ; dans le second cas, le risque qu'un choc asymétrique touchant l'économie envisagée étant de facto faible, la perte de l'instrument de change nominal ne serait donc pas dommageable. Nous pouvons ajouter à cette analyse des causes de l'occurrence de chocs asymétriques le degré d'extravertion tant commerciale que financière de la zone étudiée. Plus la zone est ouverte vis-à-vis de ses partenaires économiques, et à condition que cette ouverture ne se traduise pas par un phénomène de spécialisation internationale de type HOS, plus le risque de choc asymétrique diminue et plus l'autonomie monétaire se réduit. Les études empiriques cherchent donc à mettre en évidence la corrélation ou non des chocs d'offre et demande entre les pays européens afin de déterminer s'ils constituent ou non une zone monétaire optimale. Il faut sans doute privilégier l'analyse en terme de choc d'offre qui seule permet de montrer s'il existe des différences structurelles importantes entre les pays, notamment d'origine technologique. Les chocs de demande apportent plutôt un éclairage sur le niveau de coordination des politiques conjoncturelles. Bien que, sur la période des trente dernières années, la plupart des études montrent une augmentation de la corrélation des chocs d'offre entre les pays européens, deux groupes apparaissent, un premier où la corrélation est relativement élevée, l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche, et un second groupe où la corrélation est plus faible, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, l'Irlande et la Finlande. Il ne faudrait sans doute pas oublier trois pays ayant une structure productive relativement spécialisée. Nous faisons bien-sûr référence à la Finlande (industrie du bois), au Portugal (agriculture) et à l'Irlande (informatique). Cette spécialisation sectorielle rend plus fragile une économie dans son processus d'ajustement si le secteur est affecté par un choc et si cette même économie appartient à une union monétaire. La synchronisation des cycles Le troisième indicateur permettant de définir si une zone monétaire est optimale est la synchronisation des cycles économiques des régions participant à un processus d'unification monétaire. Les termes du débat sont identiques aux deux critères déjà étudiés. Si les cycles économiques sont synchrones, la définition et la conduite de la politique monétaire commune répondra d'une manière homogène aux besoins des économies. Si les cycles ne sont pas synchrones, l'abandon de l'instrument de taux de change nominal sera coûteuse en terme d'ajustement macro-économique. Le résultat des études menées sur ce thème semblent converger. Il existerait un noyau dur parmi les onze pays ayant une certaine synchronisation de leur cycle économique, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche, le Luxembourg et la France. Les autres pays ne seraient pas parfaitement synchrones et donc n'auraient pas intérêt à

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appartenir à l'union monétaire européenne. Cet argument est utilisé par les responsables britanniques pour justifier la non participation du Royaume-Uni à l'union monétaire européenne. Le rôle des transferts budgétaires Le dernier élément qui semble assurer aux union monétaires existantes une cohésion et une cohérence suffisante tant sur le plan micro-économique que macro-économique sont les transferts budgétaires inter-territoriaux. Ces transferts jouent un rôle d'ajustement macro-économique, au même titre que la mobilité du travail et de la flexibilité des taux de change réels, lorsqu'une région est affecté par un choc asymétrique. Autrement dit, une zone monétaire serait dite optimale même si certaines de ses régions sont susceptibles de subir des chocs asymétriques à condition qu'il existe un système budgétaire fédéral facilitant le processus d'ajustement macro-économique. Le coût social de l'abandon de l'autonomie monétaire serait compensé par une plus grande solidarité financière inter-régionale. Cet aspect a été clairement montré par l'étude des fédérations existantes et de leurs importants transferts budgétaires, mais aussi par l'examen des conséquences budgétaires de l'unification monétaire allemande. Cette solidarité inter-territoriale est bien-sûr absente du mouvement d'intégration monétaire européenne. De plus les critères contraignant de Maastricht réduisent les marges de manoeuvre au niveau national. Conclusion Les leçons tirées de la théorie standard semblent indiquer que l'Euroland ne constitue pas une zone monétaire optimale et, qu'en conséquence, la perte de l'instrument du taux de change nominal serait coûteuse en terme d'ajustement macro-économique pour un certain nombre de pays. Une insuffisante fléxibilité des taux de change réels combinée à une trop faible mobilité de la main d'œuvre et à une tendance à la spécialisation sectorielle favorisant l'occurrence de chocs asymétriques risquent, en l'absence de transferts budgétaires inter-territoriaux, de se traduire par une perte de production et d'emplois ; l'ajustement macro-économique ne se ferait donc que par les quantités. Outre les conséquences sociales et humaines qu'une telle situation entraîne, les populations des régions concernées pourraient développer un sentiment anti-européen préjudiciable pour la stabilité d'ensemble de l'Union Européenne. Seul le "groupe des six", l'Allemagne, la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Autriche, pourrait s'unir sur le plan monétaire sans subir de coûts importants en terme de bien-être. A la lecture de cet encadré, l'observateur peut légitimement se demander si les leçons de la théorie sur les zones monétaires optimales sont justes ou bien si elles ne se fondent pas sur une hypothèse de départ discutable. Bien qu'il ne faille jamais oublier que rien n'est plus utile qu'une théorie, il faudrait cependant ne pas succomber à la croyance, et continuer à douter ! La démonstration de base de la théorie sur les zones monétaires optimales est la suivante : sous certaines conditions, une économie a intérêt à garder son autonomie monétaire, l'instrument du taux de change nominal, pour s'ajuster macro-économiquement. Implicitement, la théorie standard considère que l'instrument du taux de change nominal est efficace. Or, s'il est démontré que cette affirmation n'est pas forcément vraie, l'ensemble des leçons présentées ci-dessus perdent une grande partie de leur force justifiant ou non la création d'une union monétaire. Les récents écrits de Robert Mundell nous incitent à explorer une telle voie : "If the critics of monetary union are right in asserting that a monetary union cannot insulate a region from shocks to demand, they are wrong in thinking that exchange rates can do better. There is no exchange rate policy that can insulate an economy from the changes in real income arising from real shocks." (Mundell R. (1998) "The case for the Euro", The Wall Street Journal, tuesday march 24)

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CHAPITRE 8 LA FRANCE ET L’EURO : VERS UN MONDE NOUVEAU…

Mots clés : Politique contra cyclique, Politique de “ benign neglect ”

Malgré les défauts de coordination des politiques macro-économiques européennes durant la période de transition, la France n'a pas remis en cause sa marche vers la monnaie unique. Les contraintes commerciales et monétaires européennes se sont amplifiées par la place de plus en plus importante des mouvements de capitaux entre les pays européens. L'espace économique, monétaire et financier français ne se confond plus avec ses frontières administratives. A partir de cet environnement fort contraignant pour une économie de taille moyenne et ouverte, il serait erroné d'accuser le passage à la monnaie unique européenne d'enlever à la France la souveraineté de sa monnaie.

Par contre, engager une réflexion sur ce que sera l'avenir de la France dans l'Europe monétaire semble plus prometteur. Sur ce thème, deux attitudes émergent.

La première prend en compte l'euro d'une manière statique, sans envisager de changements fondamentaux dans l'environnement économique, social et politique européen. En s'appuyant sur une analyse “ coûts-bénéfices ”, il est assez “ facile ” de montrer que les différents coûts, tant micro-économiques que macro-économiques, dépassent les bénéfices attendus puisque les premiers sont susceptibles d'être chiffrés et datés pour un avenir relativement proche, tandis que les seconds devraient apparaître dans un délai plus long, et donc par nature plus aléatoires et plus difficilement quantifiables. Face à une situation si incertaine, l'instinct de préservation génère une répulsion plutôt qu'une adhésion à la monnaie unique. Les nombreux sondages d'opinion durant la phase de transition l’ont prouvé, ainsi que la multitude d'ouvrages d'intellectuels français qui ont mis en cause l’adhésion de la France à l’union monétaire.

La deuxième attitude considère que le passage à la monnaie unique transforme l'ensemble du système. L'unification monétaire de la zone Europe ne facilite pas uniquement les échanges intra-européens, elle contribue à nous faire basculer dans un “nouveau monde”.

Dans cette perspective, les transformations d'un tel mouvement doivent être mises en évidence (I) avant d'aborder les conditions de réussite (II).

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I. - LES TRANSFORMATIONS

Elles sont nombreuses et de natures différentes. Outre les aspects micro-économiques, de la réduction des coûts de transactions à la disparition de l'incertitude des taux de change en passant par l'allégement des charges financières pesant sur les entreprises françaises, la monnaie unique transforme l'environnement macro-économique français.

1.1. – Le renouveau de la dimension interne de la politique monétaire

La politique monétaire, conduite à l'échelle européenne, apporte un gain en bien-être

puisqu'elle est définie à partir de l'analyse économique de la zone euro, et non pas, comme c'était le cas dans le cadre du M.C.E., à partir de l'ancrage sur la politique monétaire la plus rigoureuse, c'est-à-dire à partir des seules conditions économiques de l'Allemagne. Cela revient à dire que, toute chose égale par ailleurs, le niveau moyen des taux d'intérêt directeurs de la Banque centrale européenne est tendanciellement inférieur à celui pratiqué par les banques centrales nationales dans le cadre d'un système de taux de changes fixes asymétrique.

Il faut donc insister sur le fait que la politique monétaire commune n’est pas la réplique de la politique monétaire allemande. Elle est définie par rapport à un taux d'inflation moyen européen, aux autres fondamentaux de l'économie européenne, et non plus par rapport aux indicateurs macro-économiques de l'Allemagne.

Sur le plan institutionnel, chaque économie nationale participant à la zone euro est représentée par son banquier central au sein du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne, et chaque membre du conseil des gouverneurs dispose d'une voix. Pour l'économie française, certains observateurs n'hésitent pas à affirmer qu'appartenir à la zone euro se traduit par un “gain en terme de souveraineté monétaire ” puisque dans le cadre du système européen de banques centrales la France partage son pouvoir monétaire, alors qu'au sein du S.M.E. sa politique monétaire était subordonnée à celle de la Bundesbank.

Le passage à la monnaie unique signifie aussi le desserrement définitif de la contrainte

“ externe ” de chaque pays membre puisque l'euro se substitue totalement aux monnaies tierces dans les échanges intra-communautaires. Dès lors, l'équilibre de la balance des paiements courants ne doit plus être réalisé entre les pays appartenant à la zone euro. La disparition de cette contrainte “ de tous les instants ” élimine de facto un certain nombre de perturbations affectant les marchés des changes et les marchés financiers. Seul l'équilibre avec le reste du monde doit être assuré.

Quant à l'équilibre externe de la zone, l'euro devrait le rendre moins contraignant puisque, à terme, l'euro devrait pouvoir concurrencer le dollar. La profondeur et la liquidité du marché financier européen, ainsi que le poids de l'économie européenne sur le plan mondial, devraient faciliter l'accession de l'euro au statut de monnaie de réserve.

La disparition de ces contraintes de court terme pesant sur la définition et la conduite des politiques économiques devrait favoriser la mise en place de politiques axées sur le long terme, créer un cadre plus stable pour les entreprises et l'ensemble des acteurs économiques. Ce supplément de stabilité ne doit pas être sous-estimé.

L'effort d'assainissement des finances publiques doit se poursuivre puisque sans inflation,

l'État doit équilibrer ses comptes. Mais, cet assainissement devrait se faire dans des conditions

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macro-économiques plus satisfaisantes puisque la politique monétaire devrait être moins procyclique. Effectivement, la politique monétaire de la zone euro devrait être plus contracyclique puisque la Banque Centrale Européenne, ainsi que le Conseil Ecofin, devraient être moins sensibles aux taux de change avec le dollar.

1.2. – Une politique de “ benign neglect ”

La moindre exposition aux échanges extérieurs libère la politique monétaire d'un objectif de

stabilité des taux de change externes, et donc lui permet de jouer un rôle contracyclique plus actif. Une économie de grande taille peut, et dans certaines circonstances doit, mener une politique de “ benign neglect ”. Cela signifie que l'action de stabilisation de l'activité économique réalisée par la politique monétaire européenne est de meilleure qualité, et donc allége d'autant la contrainte de stabilisation pesant sur la seule politique budgétaire. La gestion du “policy-mix” américain de ces dix dernières années nous montre sans aucun doute une partie du chemin. L’évolution du taux de change de l’euro vis-à-vis du dollar depuis quatre ans illustre parfaitement cette logique de “ benign neglect ”.

Avec un taux d'inflation parmi les plus bas d'Europe depuis le début des années quatre-vingt dix, une économie ouverte à la concurrence extérieure, la désindexation des salaires sur les prix, une relative indépendance énergétique… les risques de pressions inflationnistes en France sont faibles. Dans une telle configuration, la participation française à l’union monétaire ne se traduit pas par une perte de compétitivité à court et moyen terme, et donc ne constitue pas un coût pour l'économie française.

Il est souvent fait référence à l'importance du rôle du couple franco-allemand dans la construction européenne. A partir de l'analyse des leçons des erreurs de coordination des politiques macro-économiques des années quatre-vingt-dix et des conséquences de l'unification allemande sur son économie, il est possible d'envisager l'émergence d'intérêts communs entre ces deux pays, débouchant sur le rapprochement de leurs politiques économiques, et plus particulièrement sur la création d'un pôle de croissance. La convergence des fondamentaux des économies française et allemande, la synchronisation croissante de leur conjoncture mais aussi le ralentissement économique auquel ces deux économies sont confrontées attestent de la véracité d'une telle appréciation.

La réussite de l’union monétaire européenne dépendra de la voie choisie par les pays européens dans la poursuite de leur intégration.

II - LES CONDITIONS DE REUSSITE Bien que la monnaie ne soit pas un bien quelconque, bien que la monnaie unique crée un

environnement économique plus stable, elle ne peut, à elle seule, renverser les tendances de la croissance, lutter contre le chômage de masse en Europe, modifier les anticipations des acteurs économiques etc… Il importe de mettre en évidence d'une part que les politiques économiques ne doivent pas seulement avoir comme objectif la stabilité des prix, mais aussi la croissance et l'emploi, et d'autre part que l'euro implique inévitablement une réforme institutionnelle.

2.1. – Pour une politique favorable à la croissance

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Sans remettre en cause la stabilité des prix, il semble nécessaire que les pays appartenant à la zone euro s'engagent dans la création d'un pôle de croissance favorable à l'emploi. Là, est sans doute le vrai débat qui doit conditionner la pérennité du projet européen. Bien que de nombreuses études mettent en évidence les causes structurelles du chômage européen, nous ne pouvons exclure de l'analyse l'impact conjoncturel sur l'emploi dû au ralentissement de la croissance en Europe depuis le début des années quatre-vingt-dix. Le cas de l'économie française et italienne est à ce titre riche d'enseignements. Faut-il rappeler que le taux de croissance annuel moyen du produit intérieur brut entre 1991 et 1997 n'a été que de 1,25% en France (9,18% en cumulé sur 7 ans), 1,10% en Italie (8,01%) contre 2,05% en Allemagne (15,32%) et de 2,30% aux États-Unis (17,29%) ?

Souvent, le politique est montré du doigt en tant que responsable de la mauvaise gestion de la monnaie. L'histoire nous a montré que le “ fait du prince ” pouvait constituer une menace inflationniste. Il ne faudrait cependant pas tomber dans l'excès. La technocratisation monétaire de l'économie risquerait de se retourner contre le projet européen. Les mécontentements sociaux pourraient se cristalliser contre la Banque centrale européenne, unique véritable institution supranationale, et nuire, in fine à la qualité de la politique monétaire européenne, à l'euro et à la construction européenne dans son ensemble. Face aux enjeux économiques et sociaux de ce début de siècle, il semble indispensable qu'un équilibre s'instaure entre le volet monétaire et le volet politico-économique de l'Union économique et monétaire.

2.2. – Europe, intégration et réformes institutionnelles

Le haut degré d'intégration économique exige aussi que les gouvernements nationaux ne s'arc-

boutent pas sur leurs prérogatives nationales, sur leur “ sacro-sainte ” souveraineté. Ceci ne signifie pas que les effets dynamiques de l'union monétaire impliquent le transfert de toutes les compétences économiques nationales à un niveau supérieur. Mais, l'intégration monétaire, et l'intégration économique en général, produisent des externalités qui impliquent une “ sortie par le haut ”, soit par une coordination très étroite des politiques économiques nationales, soit par la mise en place d'actions communes.

Si ces conséquences inéluctables de l'intégration ne sont pas reconnues, l'Europe et l'euro risquent d'entraîner les pays membres de l'union à conduire des stratégies non-coopératives, à exacerber la concurrence des politiques économiques nationales et à mettre finalement l'Union Européenne en danger d'implosion. L'absence de coordination sur la question de la fiscalité a déjà produit ses effets, un ajustement sur le moins-disant, posant le problème de la souveraineté réelle d'un pays à lever l'impôt, et de l'équité devant l'impôt. Les difficultés apparues dans la mise en place de l'initiative européenne de croissance d'Edinburgh (1992) montrent, une fois encore, la fragilité de l'édifice européen dans sa capacité à impulser des actions communes. Il est à craindre que de nouvelles concurrences apparaissent en l'absence d'une coordination suffisante. La disparition du dumping monétaire due à l'établissement de la monnaie unique peut être, notamment, remplacée par un dumping social.

Enfin, même si théoriquement l'unification monétaire européenne devrait faciliter la conduite d'un policy-mix plus équilibré en cas de choc symétrique affectant la zone, le respect des critères financiers dans le cadre du pacte de stabilité peut réduire l'effet de stabilisation des politiques budgétaires nationales, et donc diminuer leur action contracyclique en cas de choc asymétrique affectant un pays.

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La monnaie unique porte évidemment en-elle une rupture dans le mouvement d'intégration économique européenne, elle marque la fin du processus d'intégration marchande et la première étape de l'intégration des politiques économiques conduisant à une intégration politique plus poussée. C'est à ce titre qu'il est fait référence à l'idée d'un “ monde nouveau ”, de l'euro catalyseur de changements ou d'une Europe face à son avenir, mais une telle “ métamorphose ” implique des transformations institutionnelles importantes tant au niveau national que communautaire.

Chaque pays a donc un rôle important à jouer dans la construction d'une Europe plus équilibrée et plus structurée. Leur engagement dans le mouvement d'unification monétaire européen depuis vingt ans doit être poursuivi par un engagement pour une intégration politique et économique plus poussée. Un consensus de plus en plus large entre les chefs d'État et de gouvernement se développe autour de la nécessaire constitution d'un pouvoir politique et économique en complément de la Banque centrale européenne. L'accord sur la coordination renforcée au sommet de Luxembourg des 12 et 13 décembre 1997 créant le “Conseil de l'euro”, et l'accord des quinze lors du Conseil Ecofin de Bruxelles du 1er décembre 1997 sur le “code de conduite” concernant la fiscalité, semblent montrer que les responsables politiques européens ont pris la mesure des enjeux de l'après euro. Le sommet extraordinaire sur l'emploi à Luxembourg les 20 et 21 novembre 1997 semble confirmer une telle appréciation.

L'idée de constituer à terme un gouvernement économique européen, de rompre avec la concurrence fiscale sur le moins disant, et d'instaurer des critères concernant l'emploi indiquent que la plupart des pays européens estiment dangereux de ne donner à l'euro qu'une dimension technique, qu'il faut lui apporter une dimension politique indispensable à sa bonne gestion, un “ supplément d'âme ”.

Il ne faudrait cependant pas imaginer que ce “ nouveau monde ” n'arrivera que de l'extérieur. Des changements doivent aussi s'opérer au niveau infra-national. Pour retrouver des marges d'interventions publiques, il importe à la puissance publique, certes de mieux gérer ses finances, mais aussi de limiter son intervention dans des domaines qui pourraient être assumés par les acteurs privés, et d'accepter que certaines interventions sont plus efficaces si elles sont réalisées à un niveau décentralisé. Il faut sans doute insister sur le fait que l'Europe ne se fait pas uniquement en “haut” mais aussi en “bas”. Les nombreux accords réalisés entre différentes régions européennes attestent d'un tel mouvement.

Conclusion

L'approche choisie pour analyser la France et l'euro se veut avant tout pragmatique. La France

et son économie se sont engagées depuis plus de quarante ans dans un mouvement d'intégration économique et politique quasi-irréversible pour un pays de taille moyenne. L'euro n'est qu'une étape vers un “ monde nouveau ” qu'il nous faut inventer.

En s'appuyant sur les leçons du passé, sur le fonctionnement d'économies de grande taille, et sur les valeurs communes des pays européens, il n'y a aucune raison fondamentale pour que l'ensemble des acteurs ne fassent de l'euro et de l'Europe un projet d'avenir.

Le chemin est encore long et sinueux, mais n'oublions pas trop rapidement la capacité de l'Europe à absorber les changements. Espérons que l'euro devienne un levier de l'intégration et non pas un simple instrument facilitant les échanges, une puissance économique et politique et non pas une simple zone de libre-échange.

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Pour en savoir plus NIVEAU I

SCHOR A.D. (1996) La monnaie unique, Paris, P.U.F., Collection Que sais-je ?, n°2959. TROTIGNON J. & YVARS B. (2002) Economie monétaire européenne, Paris, Hachette.

NIVEAU II CAHIERS FRANÇAIS (1998) Les politiques économiques, n°284, Paris, La Documentation Française. FITOUSSI J.P. (1995) Le débat interdit, Monnaie, Europe, Pauvreté, Paris, Arléa.

NIVEAU III BOISSONNAT J. (1997) La révolution de 1999, Paris, Editions France Loisirs. CROISAT M., QUERMONNE J.L. (1996) L'Europe et le fédéralisme, Paris, Monchrestien, Collection Clefs politique. ECHINARD Y. (1996) “ Stabilisation conjoncturelle et union monétaire européenne ”, Revue Française de Finances Publiques, n°55, pp.131-144, Paris, L.G.D.J.. ECHINARD Y. (1997) “ L'Union Européenne : régionalisation ou mondialisation ? ”, Revue du Marché Commun et de l'Union Européenne, n°406, mars, pp.192-202, Paris, Les Editions Techniques.

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CHAPITRE 9

LES POLITIQUES BUDGETAIRES EN UEM

Mots clés : Coordination, Coopération, Pacte de stabilité et de croissance Les politiques budgétaires seront-elles efficaces en union monétaire ? Quel rapport existe-t-il

et doit-il exister entre les actions nationales et l’action centrale ? La réalisation de l’union monétaire donne à ces questions une importance croissante.

Indépendamment des désirs des uns et des autres, on doit bien constater que l’union monétaire

s’est faite sans dispositif “fédéral”, même minimal, et qu’il est irréaliste, à court et moyen terme, de compter sur un tel dispositif pour faire face aux difficultés à venir.

Une telle absence peut sembler paradoxale si l’on se souvient que, dans les années 70, envisageant les conditions à réunir avant d’entreprendre l’Union économique et monétaire, le groupe d’experts réunis sous la présidence de MacDougall demandait un développement significatif des finances publiques communautaires afin, notamment, d’assurer des fonctions de stabilisation et de redistribution conjoncturelles. Ce n’est pas cette voie qui a été suivie : la mise en route de l’union monétaire, à partir du rapport Delors, a fait le silence sur ce thème et, aujourd’hui, le budget communautaire est plafonné et, pis encore, exposé aux revendications de “juste retour” qui sont la négation de l’idée d’intérêts communs. En outre, l’authentique ressource propre que constituent les taxes douanières se réduit au fur et à mesure de la libéralisation du commerce international. De ce fait, le budget communautaire est menacé de renationalisation.

Cela ne constitue-t-il pas une menace pour la viabilité de l’union monétaire ? En effet, la centralisation des instruments monétaires limite la capacité d’ajustement de chaque

économie nationale. Bien sûr, il lui reste l’instrument budgétaire mais, d’une part, celui-ci est bridé par les contraintes d’équilibre de moyen terme, d’autre part, les effets de débordement limitent l’autonomie et l’efficacité des politiques budgétaires nationales.

On peut, bien sûr, considérer que l’activisme budgétaire est à proscrire parce qu'inefficace ou contre-productif. Si l’on choisit cette option, l’orientation consiste à neutraliser la politique budgétaire, à compter sur les mécanismes d’ajustement des marchés réels et financiers, et à promouvoir des réformes structurelles pour améliorer la flexibilité des prix et des salaires qui constitue alors un moyen d’ajustement suffisant.

Ce n’est pas dans cette direction que se sont engagés les participants à la journée d’étude. A un degré ou un autre, ils partageaient l’idée qu’il reste une place pour la politique budgétaire et que, à court terme, face à des asymétries conjoncturelles ou à des chocs, l’action des finances publiques est nécessaire, de manière passive (stabilisateurs automatiques) ou active (politique discrétionnaire).

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Dans un premier point nous nous demanderons si cette action est encore possible et nous interrogerons ensuite sur les formes qu’elle peut prendre.

I - LES CONTRAINTES D’EQUILIBRE

En termes de subsidiarité, l’autonomie des politiques budgétaires signifie que les finances publiques ne sont pas jugées plus efficaces au niveau communautaire qu’au niveau national. Sans discuter les fonctions d’allocation et de redistribution, cela implique que l’action stabilisatrice est du ressort des États, qu’il s’agisse de compenser une inadéquation de la politique monétaire ou de contrecarrer une évolution conjoncturelle défavorable.

Mais cette autonomie de principe n’est pas synonyme de liberté puisque le pacte de stabilité a fixé à 3% la limite du déficit public toléré. Au delà de cette valeur, l'État concerné peut se voir déclaré en “ déficit excessif ” et s’expose à différentes sanctions. Ainsi, pour avoir une marge de manoeuvre en période de dépression, les États doivent avoir, précédemment réduit leur déficit ou accumulé des excédents. Il est clair que ce n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui réduit à peu de choses la marge de manoeuvre face à une aggravation de la crise internationale en 1999, par exemple.

Cette situation conduit à une série d’interrogations : l’union monétaire est-elle à la merci des aléas de la conjoncture internationale ? sa soutenabilité est-elle conditionnée par la valeur du taux de croissance ? ce taux de croissance est-il exogène ou peut-il être influencé par la politique économique ? si l’on pense que la politique budgétaire a un rôle à jouer, le Pacte le lui permet-il ?

On ne peut pas savoir à l’avance comment fonctionnera ce pacte. Deux analyses opposées peuvent être faites :

- ou bien, le Pacte de stabilité vise principalement à éviter les déficits excessifs abusifs provoqués par le laxisme des finances publiques dans tel ou tel État. Dans ce cas, des déficits sont justifiés s’ils résultent d’effets conjoncturels ou d’une action conjoncturelle nécessaire. Rappelons, dans ce sens, que le Pacte de stabilité admet des déficits supérieurs à 3% en présence d’une récession grave ; dans une situation intermédiaire, la décision fait l’objet d’un examen et d’un vote. Il ne s’agit donc pas d’un mécanisme automatique mais d’une procédure de décision politique : le Conseil économique et financier peut autoriser un État à dépasser le déficit toléré.

- ou bien le Pacte de stabilité est une pièce maîtresse de la conception de l’union monétaire. Il devient alors un carcan puisque, si le Conseil ECOFIN fait preuve de souplesse à l’égard d’un État, de plusieurs ou de tous (puisque les États peuvent collectivement s’autoriser à dépasser la limite), il faut craindre la réaction de la Banque centrale européenne. En effet, pour cette analyse, le Pacte constitue un élément important de la stabilisation des anticipations, pour la Banque centrale comme pour les opérateurs. Si l’on pense que la baisse des taux directeurs de décembre 1998 était une “récompense” pour la sagesse dont ont fini par faire preuve les ministres des finances, leurs incartades futures seraient sanctionnées et compensées par un relèvement des taux directeurs qui provoquerait un conflit entre la politique monétaire et les politiques budgétaires. Un tel conflit engendrerait des incertitudes qui conduiraient les opérateurs à augmenter les primes de risque et affecteraient la crédibilité de l’union monétaire. Il s’ensuit la possibilité d’un scénario de “poule mouillée” où les gouvernements, terrorisés par la réaction redoutée de la banque centrale, refusent les déficits nécessaires et exercent ainsi une action procyclique.

Deux arguments conduisent à penser que la première possibilité est plus vraisemblable que la seconde :

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- le premier est que la banque centrale doit se soucier, non seulement de sa crédibilité mais de la crédibilité de sa crédibilité : l’union monétaire sera aussi jugée sur sa capacité à s’auto-organiser et à s’auto-gérer face à des difficultés ;

- le second tient aux missions de la banque centrale : l’exigence d’assurer la stabilité des prix n’est pas incompatible avec une attitude compréhensive, à partir du moment où l’objectif premier n’est pas menacé.

En fin de compte, si l’existence d’une règle compte plus que son contenu, les imperfections mêmes de l’indicateur comptable sont utiles : en ignorant que les déficits ont une composante conjoncturelle et une composante structurelle et que, à travers la charge de la dette, les déficits présents portent le poids des déficits passés, le critère retenu appelle ou permet une démarche interprétative, ce qui a l’avantage d’éviter de faire pression sur la règle. A défaut, on se trouverait devant la fâcheuse nécessité d’amender le Pacte ou de l’ignorer.

Admettons donc que le Pacte de stabilité n’interdise pas les réponses budgétaires. Reste le problème de leur coordination.

II - COORDINATION OU COOPERATION ? Les effets de débordement sont proportionnels au degré d’intégration. Un soutien budgétaire

de la demande profite aux produits domestiques comme aux produits importés. Plus la part des seconds est grande, plus les fuites de multiplicateur sont importantes. En l’absence de coopération, on démontre sans peine que le résultat est une sous-réaction (chaque gouvernement compte sur l’action des autres) ou une sur-réaction (chaque gouvernement, conjecturant la passivité des autres, durcit son action). La solution “ optimale ” est évidemment la coopération mais celle-ci n’a pas été véritablement organisée et elle est d’autant plus difficile à mettre en oeuvre de façon décentralisée que le nombre d'États est plus grand et que leurs modes d’action sont plus diversifiés.

On peut espérer néanmoins que, compte tenu de l’importance des intérêts communs, les États devront bien se "débrouiller" pour coopérer, d’une manière ou d’une autre. En effet, le premier de ces intérêts communs est la sauvegarde de l’union monétaire. Si, rationnellement, la sortie de l’union monétaire est coûteuse, un gouvernement dont l’économie nationale serait sinistrée se verrait exposé à la pression des intérêts organisés, voire à une crise politique et sociale qui l’obligerait, au mépris de toute rationalité économique, à reprendre son autonomie monétaire. Devant ce danger, les partenaires seraient poussés à apporter un soutien à ce pays et à aller plus loin dans la coopération qu’ils n’aimeraient le faire.

Mais, dans l’hypothèse d’une perturbation symétrique, même avec la meilleure volonté, compte tenu du nombre d'États et de l’incertitude des effets de la politique budgétaire, l’efficacité de la coopération n’est pas assurée. Dans ce cas, une action centrale serait préférable. Logiquement, la solution de finances publiques communautaires s’impose puisqu’elles assurent alors une action indépendante des États. Mais, à court terme, on l’a déjà noté, cette solution est exclue. Cette difficulté appelle deux types de réponses qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. La première consiste à renforcer “ le centre ” ; la seconde à simplifier le problème de coopération :

- augmenter quelque peu la marge de manoeuvre communautaire, soit en dotant la communauté d‘un peu plus de ressources propres, soit en l’autorisant à emprunter pour financer des actions communes ou pour reprêter aux États qui en auraient besoin. Dans ce cas, la

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Communauté jouerait à la fois un rôle de financement et d’impulsion puisque, incarnant les intérêts communs, elle devrait veiller à les faire prévaloir ;

- en pratique, le problème de la coopération est plus simple qu’en théorie : compte tenu des différences de taille entre les économies membres et donc de l’inégalité des effets de débordement, il suffit qu’un petit nombre d’économies importantes se mettent d’accord (même informellement) pour agir dans le même sens, et la question est à peu près résolue. Ce petit nombre peut aller de deux (France, Allemagne) à quatre (en ajoutant l’Italie et l’Espagne).

Conclusion

Finalement, l’avenir apparaît très ouvert, trop ouvert pour ceux qui souhaiteraient un jardin à la française dans lequel tout serait organisé, réparti et fixé. Que l’union monétaire n’ait pas été pourvue de tout l’équipement idéalement nécessaire, suscite deux questions :

- pouvait-on le faire alors qu’on ne sait pas à l’avance quel est “ l’équipement ” requis ? - ne faut-il pas distinguer court terme et long terme et tenir compte de la dynamique de

l’intégration qui rendra à la fois nécessaire et possible un certain degré de centralisation de l’action budgétaire ?

Pour en savoir plus NIVEAU I

ECHINARD Y. (1999) La zone euro et les enjeux de la politique budgétaire, Grenoble, PUG, Collection Débats.

NIVEAU II ECHINARD Y. (sous la dir.) L’union monétaire européenne est-elle viable sans fédéralisme budgétaire ?, Grenoble, Cahier du CUREI, n°13 (téléchargeable gratuite à partir du site : http://www.upmf-grenoble.fr/curei)

NIVEAU III EUROPEAN ECONOMY (1993) The economics of community public finance, Reports and studies, n°5.

Encadré : Le Pacte de stabilité et de croissance et le Conseil de l’euro Depuis la ratification du traité sur l'Union européenne, deux innovations institutionnelles ont été adoptées afin de

renforcer la coordination des politiques économiques en union monétaire : le Pacte de stabilité et de croissance et le Conseil de l'euro. Le Pacte de stabilité et de croissance a été adopté au Conseil européen de Dublin en décembre 1996. Ce pacte est un nouvel instrument de convergence et de coordination des politiques économiques nationales ayant pour but d'encadrer la politique budgétaire des participants à l'union avec comme principaux objectifs : équilibrer à moyen terme les finances publiques et contraindre à court terme les pays à avoir des déficits inférieurs à 3% du PIB. S'ils dépassent ce seuil, ils devront payer une amende, sauf si des circonstances exceptionnelles et provisoires justifient une telle situation : - si une récession sévère de plus de 2% sur un an affecte la pays concerné ; - si la récession est inférieure à 2%, la Commission fait un rapport au Conseil. Le Conseil décide s'il doit y avoir sanction ou pas. Une discusion a lieu entre 0,75% et 2% de récession ; - si la récession est inférieure à 0,75%, une sanction sera appliquée. En plus de cet aspect sanction en cas de dérapage budgétaire, le Pacte de stabilité et de croissance renforce la procédure de surveillance multilatérale puisque les pays doivent soumettre un programme pluriannuel de stabilité -et non plus de convergence- à la Commission.

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C'est au Conseil Européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre 1997 qu'a été adoptée la résolution sur la coordination renforcée des politiques économiques créant le " Conseil de l'euro " . Ce Conseil est un organe informel et non-décisionnel, seules les règles internes de fonctionnement du Conseil Ecofin s'adaptent dans le cadre de l'Europe monétaire à géométrie variable, puisque onze pays sur quinze participent à l'union. Le " Conseil de l'euro " a pour principal objectif de renforcer et de promouvoir la coordination des politiques économiques au sein de l'union monétaire. Le traité sur l'Union européenne et les récentes avancées institutionnelles maintiennent les politiques budgétaires décentralisées mais sous surveillance.

Nous résumons ce qu'est la coordination renforcée : Les objectifs sont : - favoriser l'échange d'informations sur l'évolution économique et les intentions politiques susceptibles d'avoir

des incidences au-delà des frontières nationales ; - surveiller étroitement l'évolution macroéconomique dans les Etats membres et de l'évolution du taux de change

de l'euro ; - surveiller la situation budgétaire des Etats membres ; - surveiller les politiques structurelles menées par les Etats membres sur les marchés du travail, des produits et

des services, les tendances en matière de coûts et de prix ; - encourager les réformes fiscales de nature à améliorer l'efficacité et à dissuader toute concurrence fiscale

préjudiciable. Les instruments sont : - le pacte de stabilité et de croissance ; - les grandes orientations des politiques économiques ;

- et l'ensemble des dispositions du traité sur la coordination des politiques économiques.

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CHAPITRE 10 LE FONDS EUROPEEN D’AJUSTEMENT A LA

MONDIALISATION : PRESENTATION ET ANALYSE

La mondialisation se traduit par une augmentation sans cesse croissante des flux commerciaux et des flux financiers par rapport à celle des productions intérieures nationales. Cette ouverture des économies n’est pas le seul fait des pays développés. Une des caractéristiques de cette deuxième

vague de mondialisation (après celle de la fin du XIXeme siècle) est l’insertion des pays émergents dans les relations économiques internationales. Les pays du Sud concurrencent les pays du Nord

et poussent ces derniers à se restructurer, le plus souvent par à un processus de désindustrialisation. Cette spécialisation pose inévitablement des problèmes en termes de

partage de richesse à l’échelle mondiale mais aussi au sein de chaque pays. De manière triviale, il existe des gagnants et des perdants. Il apparaît dès lors important de mettre en place des

mécanismes permettant de corriger cette inégalité de traitement. Cet article présente le Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation visant à faire face aux effets négatifs de la

mondialisation et en analyse les modalités d’intervention.

'intégration des marchés de biens, de services, mais également l'augmentation des mouvements de personnes - autrement dit ce que l'on qualifie de mondialisation ou globalisation - a provoqué une onde de choc qui soumet un certain nombre de pays

industrialisés à forte pression. Le caractère étonnant de la phase contemporaine de la mondialisation provient probablement de ce que les pays industrialisés fournissent les bases à partir desquelles les firmes de ces pays profitent (autant d'ailleurs qu'elles impulsent) de la mondialisation, ce qui contraste fortement avec les pressions de certaines parties de la société (producteurs, consommateurs, mouvements associatifs…) pour refuser ou limiter ladite mondialisation (9).

(9) D. RODRIK : Has Globalisation Gone Too Far?, Institute for International Economics, 1997.

L Mis en forme : Police :TimesNew Roman, 10 pt

Mis en forme : Normal,Justifié

Mis en forme : Police :10 pt

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La situation actuelle de la mondialisation dans les pays industrialisés, et notamment en Europe, est donc bifide, pour ne pas dire qu'elle révèle un caractère schizophrène : d'un côté des gagnants qui sourient à la mondialisation, de l'autre côté les perdants, ou ceux qui se sentent menacés par ce mouvement. Plusieurs sondages récents indiquent qu’en France et en Allemagne le sentiment de méfiance à l’égard de la mondialisation est relativement important (10). Cette situation est à la fois compréhensible et bien connue des économistes. En effet, que la mondialisation soit perçue comme un phénomène menaçant et dont les effets sont à craindre n’est pas précisément une nouveauté (11). Sans prétendre à l’exhaustivité, citons quelques travaux qui examinent des questions clés telles le lien entre l’ouverture commerciale et l’évolution des revenus et de la croissance ou la spirale des délocalisations. Dès 1941, Stolper et Samuelson démontraient que, sous certaines hypothèses, le commerce international influe sur la répartition des revenus : le libre-échange réduit le revenu relatif du travail (qualifié ou non qualifié) qui est relativement le plus rare dans un pays (12). Plus récemment encore, et dans un registre plus nuancé, les travaux menés sur la croissance des inégalités au sein des pays industrialisés depuis les années 1990 tendent à montrer que, si le commerce international seul ne permet pas de comprendre la montée des inégalités, une explication combinant ses effets, dans certaines industries, avec ceux des évolutions technologiques fournit des estimations beaucoup plus satisfaisantes (13). Le commerce international n’est pas forcément la clé du développement. Rodrigues et Rodrik (1999) examinent quelques unes des études empiriques les plus marquantes qui démontrent les effets positifs sur la croissance qu’exerce la politique d’ouverture commerciale (14). Les auteurs mettent en exergue les écueils méthodologiques et mettent en doute l’existence d’une relation directe entre ces deux phénomènes. La nature de cette relation dépendrait plutôt de toute une série de facteurs propres à chaque pays ainsi que de l’environnement international. Rodrik et Rodrigues contestent donc l’idée selon laquelle l’intégration à l’économie mondiale puisse tenir lieu à elle seule de stratégie de développement. Samuelson (2004), dans le cadre d’un schéma ricardien, démontre que les Etats-Unis pourraient subir des pertes durables de revenu sous l’effet des délocalisations (15). Il suffit pour cela que la productivité du travail s’accroisse dans les pays à bas coût sous l’effet de l’appropriation et de l’amélioration des techniques de production existantes. Cette concurrence pourrait non seulement tirer les salaires des classes américaines à bas et moyens revenus vers le bas, mais aussi entraîner les Etats-Unis dans un déclin relatif. Enfin, il est clair que, dans des économies déjà largement ouvertes sur l'extérieur, toute ouverture supplémentaire risque de concerner des industries dont le niveau de protection est encore relativement élevé. Dès lors, ces industries auront toutes les caractéristiques d'un groupe de

(10) E. FABRY (sous la dir.) : Les Européens face à la mondialisation, Paris, Fondation pour l’innovation politique, 2007 ; GERMAN MARSHALL FUND : “ Perspectives on Trade and Poverty Reduction”, Key Findings Report, 2006.

(11) G. DAUDIN, J.-L. GAFFARD, F. SARACENO : « Orde et désordre dans l’échange international. Une revue de literature », Revue de l’OFCE, n°100, 2007, pp. 143-174.

(12) P.A. SAMUELSON, W.F. STOLPER : “ Protection and Real Wages ”, Review of Economic Studies, November 1941, pp. 58-73.

(13) N. CHUSSEAU, M. DUMONT, J. HELLIER : “ Explaining Rising Inequality: Skill Biased Technical Change and North-South Trade ”, Journal of Economic Surveys, 2008, à paraître. (14) F. RODRIGUES, D. RODRIK D. : “ Trade Policy and Economic Growth : A Skeptic’s Guide to the Cross-National Evidence “, NBER Working Paper, N°7081, 1999.

(15) P.A. SAMUELSON : “ Where Ricardo and Mill Reboot and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization ” Journal of Economic Perspectives, vol.18, 3, Summer 2004, pp.135-146.

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pression (16) et leur opposition à l'ouverture sera farouche, même si le gain à l'ouverture pourra être localement important. (17) Pour tenter de réconcilier le gain de richesse lié à l'ouverture et les pertes causées aux perdants de l'ouverture, des propositions de compensation des pertes ont très tôt été avancées dans la littérature économique (18). Cependant, les difficultés liées aux besoins exigeants en matière d'information individuelle que requiert l'identification des perdants, sans compter les soupçons d'aléa moral induits par une procédure de compensation, ont réduit le développement concret de tels programmes. Ainsi, selon Kapstein (1998), la véritable raison du développement d'un mécanisme d'ajustement à la mondialisation aux États-Unis est à situer sur le terrain politique plus qu'économique : lorsqu'un gouvernement démocratique prend une décision affectant négativement un certain nombre de citoyens, il doit prendre les mesures compensatrices, sauf si les mécanismes de marché peuvent agir à sa place (19). Dès lors, s’il est possible de montrer que des travailleurs perdant leur emploi du fait de l'ouverture aux échanges (ou, aujourd'hui, de l'accroissement de la mondialisation) ont moins de chances de retrouver un emploi, un mécanisme de compensation spécifique peut être légitime. Un tel dispositif existe aux États-unis depuis 1962, quand l'Europe vient seulement de s'en doter. Notre article présente le Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation (F.E.A.M.) mis en place par le Conseil européen en décembre 2006. Dans un premier point, nous rappellerons sa genèse. Ce fonds arrive à un moment très particulier de l’histoire de l’intégration européenne, celui de l’élargissement à l’Est, de l’échec du traité constitutionnel, et du développement de la globalisation avec l’épanouissement rapide de nouveaux acteurs majeurs (la Chine, l’Inde). Ces pays émergents concurrencent de manière croissante nombre de secteurs économiques européens. Le débat sur les délocalisations et leurs effets en termes de chômage n’est évidemment pas étranger à la mise en place du fonds (20). Nous présenterons dans un deuxième point le dispositif permettant au fonds de fonctionner et dans un troisième point nous analyserons son inscription dans le champ social communautaire. La création de ce fonds ne laisse pas l’observateur indifférent. De nombreuses préoccupations et autres interrogations apparaissent. Ce sera l’objet de notre dernier point.

I - LES ORIGINES DU FONDS EUROPEEN Sans remettre en cause les bénéfices à long terme de l’intégration au commerce mondial, la Commission s’inquiète depuis quelques années de ses conséquences à court terme : « si

(16) M. OLSON : The Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1966 ; J.N. BHAGWATI : “ Directly

Unproductive, Profit-seeking (DUP) Activities ”, Journal of Political Economy, 90, 5, 1982, pp. 988-1002. (17) Les estimations de Hufbauer et Elliott (1994) sur le coût de la protection dans le secteur de l'habillement

montrent par exemple que le consommateur assume un coût de 139 000 $ par emploi sauvegardé, dans un secteur où le salaire moyen est inférieur à 15 000 $. G.C. HUFBAUER, K.A. ELLIOTT : Measuring the Costs of Protection in the United States, Institute for International Economics, 1994.

(18) D. IRWIN : Against the Tide: An Intellectual History of Free Trade, Princeton University Press, 1996. (19) E. KAPSTEIN : “ Trade Liberalization and the Politics of Trade Adjustment Assistance ”, International

Labour Review, vol. 137, n° 4, 1998, pp. 501-516. (20) L. FONTAGNE, J.-H. LORENZI : Désindustrialisation, Délocalisations, Conseil d’Analyse Economique,

Paris, 2005.

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l’ouverture est globalement porteuse de bénéfices pour la croissance et l’emploi, elle est dans le même temps synonyme de transformations coûteuses pour les entreprises et les salariés concernés (…). L’ouverture entraîne une forme de redistribution sociale qui doit être corrigée. » (21) Même si la Commission, dans cette communication, considérait que « la plupart des réponses concrètes se situent au niveau infra-européen», (22) elle préconisait des mesures communautaires d’anticipation et d’accompagnement du changement. Mais ces dispositions ne répondent qu’à une partie du problème : elles n’ont pas d’effet rapidement mesurable car elles s’inscrivent sur le long terme et visent surtout les principes qui façonnent les politiques communautaires (politique de l’emploi, politique industrielle ou de concurrence), le cadre réglementaire (par exemple, rédaction d’un Livre Vert sur l’évolution du droit du travail) ou la mise en place d’instruments de concertation et de pilotage (notamment le renforcement du dialogue social). Consciente de la nécessité de relégitimer la construction sociale de l’Europe, la Commission proposait également la création d’un Fonds d’ajustement à la croissance (23). Cette idée avait alors rencontré peu d’écho : en plein débat sur les perspectives financières 2007-2013, une nouvelle dépense apparaissait peu opportune (24). Quelques délocalisations spectaculaires, puis la campagne référendaire qui, en France en 2005, a fait une large place aux effets pervers de l’ouverture ont relancé l’intérêt pour un mécanisme de solidarité. S’appuyant sur la communication de la Commission de l’automne 2005 (25), le Président Barroso a proposé au nom de la Commission européenne le 1er mars 2006 la création du Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation (F.E.A.M.) (26). Le Conseil et le Parlement européen ont finalement adopté le 20 décembre 2006 le règlement portant création du F.E.A.M. (27), en complément des Fonds structurels, en particulier du Fonds Social Européen, afin de « fournir une réponse rapide, centrée sur les citoyens, aux problèmes urgents provoqués par la mondialisation ». Le F.E.A.M. concrétise la prise de conscience des défis sociaux que l’Union européenne avait jusqu’alors ignorés : la mondialisation a ses victimes et diffuse dans les sociétés la crainte de la précarisation des individus. Même si le F.E.A.M. maintient l’Union dans une posture défensive, il a le mérite d’apparaître comme un instrument directement opérationnel : il permet d’exprimer la solidarité vis-à-vis des salariés et des territoires frappés par la recomposition des structures

(21) COMMISSION EUROPEENNE : Restructurations et emploi : anticiper et accompagner les restructurations

pour développer l’emploi : le rôle de l’Union Européenne, COM (2005) 120 final, 31 mars 2005. Dans le même document, la Commission pondère très différemment les avantages et les coûts liés à la mondialisation, les premiers excédant les seconds dans un rapport de 1 à 20 (p.5).

(22) COM (2005) 120 final, préc., p.6. (23) COM (2005) 120 final, préc., p.14. Pour faire face à des chocs non anticipés, la Commission proposait

également la constitution de réserves pour imprévus au sein des Fonds structurels à hauteur de 1% de la dotation “Convergence” et de 3% de la dotation “Compétitivité”, par an et par Etat membre (p.8).

(24) Le rapport Sapir proposait la création d’un fond de restructuration pour les travailleurs licenciés dans l’industrie, les services mais aussi l’agriculture. A. SAPIR : An Agenda for a Growing Europe, Brussels, 2003, p. 148-150.

(25) COMMISSION EUROPEENNE : Les valeurs européennes à l’ère de la mondialisation, COM (2005) 525 final, 20 octobre 2005, p.15.

(26) COMMISSION EUROPEENNE : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil présentée par la Commission portant création du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, COM(2006), 91 final, 1er Mars 2006.

(27) Règlement (CE) n°1927/2006 du Parlement européen et du Conseil, 20 décembre 2006, JOUE, n°L 406, 30 décembre 2006.

Mis en forme : Police :Italique

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Supprimé : 2005

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productives (28). Il indemnise les perdants de la mondialisation et la rend socialement plus acceptable. Le F.E.A.M. permet également à la Commission de contredire l’opinion selon laquelle l’Union serait le cheval de Troie de la mondialisation, argument parfois bien commode pour les Etats membres.

La création du F.E.A.M. a suscité de vives controverses (29). Quelques Etats membres y ont vu l’expression de la machine bureaucratique de Bruxelles : à quoi bon mettre en place un mécanisme coûteux alors que des programmes nationaux d’assistance existent déjà ? La Commission a dû justifier sa proposition sur la base de sa compétence en matière de politique commerciale : puisqu’elle négocie les concessions commerciales, il lui revient de faire jouer la solidarité européenne, cependant limitée aux chocs sur l’emploi de dimension européenne. Sur un autre plan, il est à craindre que l’objet même du F.E.A.M. soit source de malentendus : le F.E.A.M. n’est pas un rempart contre la mondialisation (il s’adresse aux salariés et ne viendra pas en aide aux entreprises mises en difficulté par la concurrence internationale) ; aux yeux de la Commission, il ne doit pas davantage constituer un prétexte pour perdre de vue la nécessaire adaptation des structures économiques, à travers, en particulier, les objectifs ambitieux de la Stratégie de Lisbonne. Dans le même ordre d’idées, les plus libéraux se feront les avocats d’une flexibilisation accrue du marché du travail. En effet, alors qu’aux Etats-Unis, les effets néfastes de l’ouverture se traduisent par une pression à la baisse sur les salaires, en Europe continentale ils passent plutôt par des pertes d’emplois et par l’aggravation du chômage. Du point de vue des salariés, les choses sont peut-être également plus compliquées qu’il n’y paraît de prime abord. Un programme similaire lancé aux Etats-Unis (voir infra) reçoit un soutien ambigu de la part des syndicats de salariés : ceux-ci redoutent que leur adhésion n’affaiblisse leur opposition à la poursuite des concessions commerciales et ils préfèrent mettre l’accent sur la nécessité d’améliorer les normes sociales dans les pays à bas coûts (30).

II - LE DISPOSITIF DU FONDS La Commission s’est clairement inspirée d’un mécanisme similaire instauré dès 1962 aux Etats-Unis, le Trade Adjustment Assistance (T.A.A.). Encadré : description du TAA Le TAA a connu plusieurs évaluations et révisions en 1974, 1980, 1982, puis 1993, avant une importante refonte en 2002. Le montant des ressources allouées pourrait ainsi prochainement atteindre 2 milliards de dollars mais, de façon plus essentielle, le programme inclut désormais, outre les crédits formation, une assurance salariale et une couverture santé. Les critères d’éligibilité définissent comme admissibles tous les travailleurs licenciés ou dont les horaires ou

(28) Les deux premières demandes d’aide financière ont été approuvées par la Commission européenne le

lundi 25 juin 2007. Elles concernent l’industrie automobile française et plus spécifiquement les sous-traitants de Peugeot-Citroën et de Renault. Le montant de l’aide représente 3.816.280 euros. Le Parlement européen et le Conseil doivent désormais approuver la demande.

(29) E. WASMER, J. VON WEIZSACKER : “ A Better Globalisation Fund ”, Bruegel Policy Brief, Issue 2007/01, February 2007.

(30) L.G. KLETZER, H. ROSEN : “ Easing the Adjustment Burden on US Workers ”, in The United States and the World Economy, C.F. BERGSTEN (ed.), Institute for International Economics, 2005, pp. 313-341.

Mis en forme : Justifié

Commentaire [etf1] : Je propose quelque chose du type: puisqu'elle négocie les accords commerciaux, il lui revient d'en limiter les conséquences sociales.

Commentaire [etf2] : Il faut mettre une référence académique sur ce point, mais j'avoue ne pas en connaître…

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les salaires ont été réduits d’au moins 20%, là où les ventes ou la production ont baissé, et ce du fait d’une augmentation des importations. Mais les critères ont été élargis également, et désormais sont admissibles aussi les salariés des fournisseurs et des clients, qui sont indirectement affectés par l’ouverture commerciale (31). Environ 200 000 salariés seraient de ce fait concernés chaque année par le programme qui couvrira également désormais les agriculteurs. Enfin, le programme exige que les salariés éligibles entrent dans un programme de formation. A partir du moment où ils entrent en formation, les travailleurs éligibles reçoivent une allocation durant 78 semaines, en plus des 26 semaines d’assurance chômage qu’ils peuvent toucher par ailleurs. Des allocations sont également disponibles en cas de déménagement, et les salariés de plus de 50 ans bénéficient d’un soutien supplémentaire, compensant jusqu’à 50% de l’écart de salaire entre l’ancien emploi et le nouveau. Etant donné le mode de financement du système de santé américain, les salariés admis dans le programme perçoivent également un crédit d’impôt couvrant jusqu’à 65% de leurs primes d’assurance santé. Ainsi, depuis le 1er janvier 2007, le F.E.A.M. est disponible pour le financement de politiques actives d’emploi à destination de travailleurs touchés par les réorientations des flux commerciaux, conséquences de l’internationalisation croissante des économies. L’objectif est d’apporter une aide individualisée, sur une période maximale de 18 mois, afin de faciliter la réinsertion professionnelle de travailleurs ayant perdu leur emploi. Ces services personnalisés recouvrent (article 3) :

• l’aide à la recherche d’emploi, l’orientation professionnelle, la formation et le recyclage sur mesure, l’aide au reclassement externe et la valorisation de l’entrepreneuriat ou l’aide à l’emploi indépendant ;

• le versement temporaire d’allocations de recherche d’emploi, d’allocations de mobilité ou d’aides aux personnes en formation ;

• le financement de mesures visant à encourager le maintien sur le marché du travail de travailleurs âgés ou défavorisés.

Le F.E.A.M. ne finance pas de mesures de protection sociale (pensions de retraite ou allocations chômage), pas plus qu’il ne participe à la restructuration industrielle d’entreprises ou de secteurs. Le F.E.A.M. n’a pas vocation à se substituer aux actions similaires menées par les pouvoirs publics dans les Etats membres et n’exonère pas les entreprises de leurs obligations légales en termes de reclassement des salariés. L’intervention du F.E.A.M. peut être sollicitée par les Etats membres lorsqu’il apparaît sans ambiguïté que des modifications majeures de la structure du commerce mondial (hausse substantielle des importations dans l’Union, recul rapide de la part de marché de l’Union dans un secteur donné, délocalisation vers des pays tiers) se traduisent par d’importantes pertes d’emploi à l’échelle d’une entreprise, mais aussi de ses clients et fournisseurs, d’un secteur ou d’une région. Plus précisément, le F.E.A.M. est susceptible d’intervenir en cas (article 2) :

• de licenciements massifs (au moins 1 000 salariés) dans une entreprise, mais aussi dans la filière de production considérée, en amont ou en aval de cette entreprise.

(31) K. BAICKER, M. REHAVI : “ Trade Adjustment Assistance ”, Journal of Economic Perspectives, vol. 18,

n° 2, 2004, pp. 239-255.

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• de licenciements massifs (au moins 1 000 salariés) dans un secteur au sein d’une région ou de deux régions contiguës.

• de licenciements ayant une incidence grave sur l’économie locale, dans des bassins d’emploi de taille réduite, même si les critères d’intervention ne sont pas entièrement satisfaits.

Il apparaît que la solidarité européenne est limitée aux perturbations de relativement grande ampleur susceptibles d’atteindre une dimension européenne. Le dernier critère d’intervention évite cependant les effets de seuil et rend éligibles les petits Etats membres dans lesquels de telles suppressions d’emploi sont peu probables. Le F.E.A.M. est doté d’une enveloppe financière annuelle de 500 millions d’euros. Ne faisant pas partie des perspectives financières 2007-2013, il n’entraîne pas de dépenses supplémentaires. Les ressources proviennent de crédits initialement affectés à d’autres postes budgétaires et restés inemployés ou de l’utilisation des marges existantes entre les dépenses prévues et le plafond global de dépenses fixé par l’Union européenne. Concrètement, il revient à chaque Etat membre de solliciter l’appui du F.E.A.M.. L’Etat membre requérant doit démontrer à la Commission la recevabilité de sa demande, en prouvant que les conditions d’intervention du F.E.A.M. sont bien réunies. Le Conseil et le Parlement statuent en dernier ressort et décident du montant de l’aide, qui ne peut excéder 50% du coût du plan d’action présenté par l’Etat membre.

Il est à noter que le F.E.A.M. ne concerne pas les délocalisations intra-communautaires. En effet, une telle disposition aurait les deux inconvénients suivants (32) :

• l’action du F.E.A.M. contredirait la notion même de marché intérieur et notamment de marché du travail (dont la segmentation est déjà très forte) ;

• le F.E.A.M. fonctionnerait alors comme un mécanisme de rééquilibrage entre les Etats membres mais occulterait l’absence d’harmonisation fiscale et sociale en Europe.

III - LA DIMENSION SOCIALE DU FONDS Le F.E.A.M. est assez atypique. C’est le seul instrument qui se concentre sur l’urgence sociale, les interventions communautaires étant plutôt d’ordinaire de caractère structurel et de long terme. Examinons brièvement comment le F.E.A.M. s’insère dans le dispositif communautaire, en se limitant aux instruments dont le champ d’action semble recouper celui du F.E.A.M. : ainsi, les problématiques du travail et de l’emploi relèvent de la politque sociale, de la Stratégie Européenne pour l’Emploi et du Fonds Social Européen. La politique sociale communautaire se borne à traiter les questions du travail en liaison avec le fonctionnement du marché intérieur. De nombreuses directives ont favorisé l’harmonisation des législations dans des domaines très divers (la protection économique des salariés en matière de licenciements collectifs, l’implication, l’information et la consultation des travailleurs, la promotion du dialogue social européen, la protection des individus au travail contre le harcèlement ou les discriminations), notamment ceux couverts par la charte des droits sociaux des travailleurs de décembre 1989 comme la santé-sécurité au travail.

(32) ASSEMBLÉE NATIONALE : Rapport d’information sur le Fonds Européen d’Ajustement à la

Mondialisation, n°3445, 2006.

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Dans le domaine de l’emploi, l’Union européenne s’appuie sur la Stratégie Européenne pour l’Emploi. Lancée pour le Conseil Européen de Luxembourg, en 1997, elle définit des lignes directrices pour l’emploi (liées depuis 2005 aux Grandes Orientations de Politiques Economiques (G.O.P.E.) au sein d’un ensemble intégré de lignes directrices) que doivent reprendre les Etats membres dans des plans d’action nationaux. L’ensemble repose sur la coordination des politiques de l’emploi et l’exemplarité supposée des bonnes pratiques. En définitive, seuls les objectifs du Fonds Social Européen (F.S.E.), l’un des rares outils concrets au service de la Stratégie Européenne pour l’Emploi, sont explicitement reliés à la problématique des restructurations. Ainsi, dans le cadre des perspectives financières 2007-2013, les priorités du F.S.E. sont les suivantes dans l’ensemble de l’Union européenne : améliorer l’adaptabilité des travailleurs et des entreprises, améliorer l’accès à l’emploi, renforcer l’inclusion sociale, mobiliser des moyens pour réaliser des réformes dans les domaines de l’emploi et de l’inclusion ; pour les régions les plus défavorisées relevant de l’objectif Convergence : augmenter l’investissement dans le capital humain, renforcer la capacité et l’efficacité institutionnelle. Les deux instruments, F.S.E. et F.E.A.M., présentent cependant des différences notables. Le F.S.E. se concentre sur des actions de formation-qualification de la main d’œuvre, mais, ne s’adressant pas aux seuls travailleurs licenciés, il a un champ d’application beaucoup plus étendu que le F.E.A.M.. Le F.S.E. s’inscrit dans une logique de prévention alors que le F.E.A.M. a une fonction curative. Le F.S.E. ne se contente pas de simples actions ponctuelles de reclassement mais cherche à remédier aux causes profondes de l’exclusion du marché du travail. Le F.S.E. intervient dans les seules régions éligibles aux objectifs « Convergence » et « Compétitivité » tels que définis par la politique de Cohésion Economique et Sociale alors que le F.E.A.M. n’a pas de domaine géographique d’intervention défini a priori. Enfin, le F.S.E. dispose de volumes de financement beaucoup plus conséquents (plus de 10 milliards d’euros par an dans le cadre des perspectives financières 2007-2013).

IV - QUELQUES INTERROGATIONS SUR LES MODALITES D’INTERVENTION DU FONDS Une première série de préoccupations tient à la nature et à la portée de la couverture du F.E.A.M.. En premier lieu, il faut souligner la difficulté qu’il y a parfois à distinguer l’origine des licenciements (délocalisation ou concurrence des produits importés, d’une part, changements technologiques ou déplacement de la demande, d’autre part). Si la concurrence internationale n’est pas la première cause des licenciements, cela montre les limites de dispositifs de solidarité ciblés sur certaines catégories, ici les perdants de la mondialisation. C’est pourquoi le F.E.A.M. restera un instrument utile mais de portée limitée, condamné à un rôle d’auxiliaire du F.S.E. Ainsi, il existe une forte incertitude quant à l’ampleur des licenciements que l’on peut attribuer aux effets pervers de la mondialisation. De nombreux travaux ont été réalisés à ce sujet (33). L’ampleur de la fourchette proposée par les travaux de l’O.C.D.E. (2005) à partir d’études

(33) O.E.C.D. : “ Trade Adjustment Costs in OECD Labour Markets: A Moutain or a Molehill ? ”, Employment

Outlook, pp. 23-72, 2005 ; D. STORRIE : Restructuring and Employment in the EU : Concepts, Measurement and Evidence, European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, Dublin, 2006 ; P. AUER, G. BESSE, D. MEDA : Offshoring and the Internationalization of employment. A Challenge For a Fair Globalization ?, International Labor Organization, 2006.

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réalisées en Amérique du Nord et en Europe illustre cette interrogation : de 4 à 17% des licenciements et délocalisations d’emploi résulteraient des échanges et investissements internationaux. Plusieurs estimations convergent cependant vers le chiffre d’environ 10%. Ainsi, très approximativement, 47 000 à 57 000 personnes seraient potentiellement éligibles au F.E.A.M. (selon les années considérées et le périmètre de l’Union retenu). L’exemple américain montre cependant que ces chiffres doivent être maniés avec prudence. A la fin des années 90, le T.A.A. ne couvrait que 1,5% des licenciements collectifs (34). Le nombre de personnes retenues dans le dispositif est demeuré extrêmement faible : en moyenne, entre 2000 et 2004, à peine plus de 40% des candidats ont été acceptés et moins de 30% d’entre eux ont véritablement reçu une aide au revenu, en raison des pratiques restrictives du Department of Labour. Plus faible encore est le nombre de personnes bénéficiant d’une formation (un quart des personnes éligibles seulement) en raison des contraintes financières (35). Dans le même ordre d’idées, il apparaît à travers l’exemple du T.A.A. que les salariés couverts ne sont représentatifs ni de la population active, ni même des secteurs produisant des biens échangeables. Ainsi, entre 1975 et 2002, l’industrie automobile représentait 28% des salariés couverts par le programme T.A.A., alors qu’elle n’emploie que 1,3% de la population active industrielle (36). Magee (2001) nuance cette analyse et montre que les industries dont les salariés bénéficient d’une éligibilité au programme sont celles dont les taux de protection sont initialement élevés, avec des coefficients d’importations plus importants (37). Plus satisfaisante est la nature de la population prise en charge par le TAA : le programme couvre en priorité les salariés dont les difficultés de reclassement sont les plus importantes. Par exemple, entre 1990 et 2000, le niveau d’éducation des bénéficiaires, dont 64% des étaient des femmes, était inférieur à la moyenne (38). Une autre série d’interrogations tient aux caractéristiques techniques du F.E.AM.. D’un côté, il semble tout à fait positif que, ainsi que le recommandait l’étude d’impact réalisée par Stuart et alii. (2007), l’intervention du F.E.A.M. puisse avoir une plus grande efficacité en ayant lieu en amont des licenciements plutôt qu’après (39). D’un autre côté, même si le F.E.AM. est censé contribuer à la réorientation des dépenses sociales en faveur du marché du travail, certains jugent cette notion un peu trop vague (40), ouvrant la voie au lobbying des Etats membres, et, au risque de stigmatiser les chômeurs de longue durée, préconisent de limiter les subsides du F.E.A.M. à l’octroi d’allocations de mobilité et de compléments salariaux en faveur de ceux qui retrouvent un emploi. En effet, ces aides sont clairement ciblées sur les personnes prêtes à reprendre une activité, en dépit des inconvénients personnels et familiaux liés à un déménagement, des déclassements fréquents et des pertes de revenu afférentes.

(34) D. IRWIN : Free Trade Under Fire, Princeton University Press, 2002. (35) L. BRAINARD, R.E. LITAN, N. WARREN : “ Insuring America’s Workers in a New Era of Offshoring ”,

The Brookings Institution, Policy Brief, n°143, July 2005. (36) K. BAICKER, M. REHAVI : “ Trade Adjustment Assistance ”, Journal of Economic Perspectives, vol. 18,

n° 2, 2004, pp. 239-255. (37) CH. MAGEE : “ Administered Protection for Workers: An Analysis of the Trade Adjustment Program ”,

Journal of International Economics, vol. 53, 2001, pp. 105-125 (38) Outre le sexe et le niveau d’éducation, les autres facteurs caractérisant les salariés les plus exposés aux

restructurations tiennent à l’âge, à l’ancienneté dans l’emploi et à la qualification. Voir : K. BAICKER, M. REHAVI : “ Trade Adjustment Assistance ”, Journal of Economic Perspectives, vol. 18, n° 2, 2004, pp. 239-255.

(39) M. STUART, C. FORDE, R. MACKENZIE, E. WALLIS : An Impact Study on Relocation, Restructuring and the Viability of the European Globalisation Adjustment Fund, CERIC/European Parliament, 2007.

(40) E. WASMER, J. VON WEIZSACKER : “ A Better Globalisation Fund ”, Bruegel Policy Brief, Issue 2007/01, February 2007.

Commentaire [etf3] : Ce chiffre concerne-t-il la france ou l'ensemble de l'Europe, ou l'OCDE? Il faut préciser le périmètre (mais en tout état de cause, il me semble très faible (?).

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Les mêmes auteurs s’interrogent sur la pertinence du seuil de 1 000 licenciements, qui peut paraître excessif et réduit potentiellement la portée du système. A noter qu’au cours des discussions préliminaires, le Conseil a adopté une position de compromis : il n’a pas retenu la proposition britannique d’un seuil fixé à 2 000 licenciements, ce qui aurait de facto rendu le dispositif inopérant, mais il n’a pas non plus adopté les vues de la Confédération Européenne des Syndicats qui penchait pour un chiffre de 500. On peut encore discuter de la pertinence du choix des Etats membres comme porteurs des demandes de soutien auprès du F.E.A.M., alors qu’aux Etats-Unis, ce sont les entreprises qui ont l’initiative. Certes cette disposition est peut-être inscrite au cœur du partage des compétences entre l’Union et ses membres, mais on peut légitimement penser qu’un recours direct des entreprises, et donc des salariés concernés, aurait été plus efficace pour l’image et l’acceptation du processus d’intégration européenne. En outre, il n’est pas aberrant que, sur des tâches bien identifiées, l’Union européenne puisse intervenir en direct. Cela ne contreviendrait pas au principe de subsidiarité et serait plus conforme aux leçons de l’analyse économique, sans compter les coûts et les délais induits par la superposition des niveaux d’administration (41). Enfin, n’aurait-il pas fallu aller jusqu’à une prise en charge totale par le F.E.A.M. des plans d’action présentés par les Etats membres ? Cela aurait réduit le délai d’intervention du Fonds, amélioré sa capacité d’intervention et, par voie de conséquence, la portée politique de ce nouvel outil dont vient de se doter l’Union. Si ces questionnements ne trouvaient pas de réponse satisfaisante, l’objectif serait manqué, car derrière les modalités se joue l’acceptabilité politique de l’Europe et, au-delà, la légitimité politique de la mondialisation.

CONCLUSION Au-delà des débats politiques et sociaux actuels qui portent sur les bienfaits ou les méfaits de la mondialisation, l’initiative communautaire de créer le F.E.A.M. doit être saluée. Il apparaît louable que la Commission européenne puisse enfin accompagner sur le plan social les effets de l’ouverture économique. C’est en effet la Commission elle-même, par l’intermédiaire de son commissaire au commerce extérieur, qui est compétente en la matière depuis le traité instituant la Communauté économique européenne et qui, en conséquence, joue la partition de l’ouverture de l’économie européenne à l’échelle internationale. En période de commémoration des 50 ans du traité de Rome, la création du F.E.A.M. est bienvenue puisqu’elle indique qu’ouverture et solidarité peuvent aller de pair. Cette satisfaction ne doit pas masquer les interrogations laissées en suspens par ce nouvel instrument. Nous devons évaluer avec constance son fonctionnement et ses résultats. Il apparaît notamment important de poursuivre l’étude de l’impact de l’ouverture économique sur la destruction d’emploi en Europe. Ce champ de l’analyse économique n’est pas encore stabilisé. Il apparaît tout aussi important d’examiner la complémentarité des aides du F.E.A.M. avec les aides nationales. Cet enchevêtrement des compétences pourrait être source d’inefficacité ou d’effets contreproductifs. Enfin, si le F.E.A.M. fonctionne, il risque rapidement de buter sur une contrainte budgétaire. La dotation du Fonds ne représente que 5% de celle du Fonds social européen. Il faudra dès lors que solidarité rime avec générosité…

(41) J. PISANI-FERRY, J. VON HAGEN : « Pourquoi l'Europe ne ressemble-t-elle pas à ce que voudraient les

économistes ? », Revue Économique, vol. 54, n° 3, Mai 2003, pp. 477-487

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BIBLIOGRAPHIE GENERALE SELECTIVE

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TABLE DES MATIERES

Grands problemes economiques ................................................................................................1

Sommaire ....................................................................................................................................2

Présentation générale du cours..................................................................................................3

Introduction générale .................................................................................................................6 Pour en savoir plus… .......................................................................................................................... 10

Partie 1 ......................................................................................................................................11

Les grandes transformations....................................................................................................11

Chapitre 1..................................................................................................................................12

Évolution des finances publiques et du rôle de la puissance publique ..................................12

I - Les finances publiques en longue période................................................................................. 12 1.1. – Poids sans cesse croissant des dépenses publiques ............................................................................. 12 1.2. - De l'Etat “ minimal ” à l'Etat-providence............................................................................................. 15

II - Les finances publiques dans une perspective plus récente .................................................... 16 2.1. – De lourdes contraintes structurelles .................................................................................................... 16 2.2. - Les finances publiques et le policy-mix des années quatre-vingt et quatre vingt–dix.......................... 18 Conclusion .................................................................................................................................................... 19

Pour en savoir plus… .......................................................................................................................... 19 Encadré : Les cinq strates de l’Etat ............................................................................................................... 19

Chapitre 2..................................................................................................................................21

Intégration économique européenne .......................................................................................21

I - L'Europe de l'après-guerre et des pères fondateurs ................................................................ 22 1.1. – L’Europe de l’immédiate après-guerre ............................................................................................... 22 1.2. - L'Europe de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier................................................... 24

II - L'Europe du marché commun au grand marché ................................................................... 26 2.1. – L’Europe du traité de Rome................................................................................................................ 26 2.2. - L'Europe des premiers élargissements, des dissensions et de la “ première ” Union économique et

monétaire ............................................................................................................................................................ 30 2.3. – L’Europe du grand marché ................................................................................................................. 31 Conclusion - L'Europe fédérale ou l'Europe politique en gestation .............................................................. 34

Pour en savoir plus .............................................................................................................................. 35 Encadré 1 : Informations générales sur la construction européenne ............................................................. 35 Encadré 2 : l’idée d’unité européenne........................................................................................................... 35 Encadré 3 : l’intégration européenne, un processus original et inédit........................................................... 36

Chapitre 3..................................................................................................................................40

Les enjeux économiques de l’élargissement............................................................................40

I. Période de pré-adhésion : transition, insertion et destruction ................................................. 41 1.1. Transition des pays d’Europe centrale et orientale au sein du processus de pré-adhésion..................... 41 1.2. Insertion dans les réseaux d’échanges ouest-européens......................................................................... 42 1.3. Destructions internes.............................................................................................................................. 44

II. Les enjeux futurs......................................................................................................................... 45

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2.1. La dimension budgétaire........................................................................................................................ 45 2.2. - Les insuffisances.................................................................................................................................. 47 2.3. – Un élargissement peut en cacher un autre ........................................................................................... 48

Conclusion ........................................................................................................................................ 49 Pour en savoir plus .............................................................................................................................. 50

Chapitre 4..................................................................................................................................52

La mondialisation des économies ............................................................................................52

I – La mondialisation en question................................................................................................... 53 1.1. – Clarification des termes employés et phénomène explicatifs.............................................................. 53 1.2. - - Vers une remise en cause de la souveraineté nationale ? ................................................................. 55

II - Quelques limites au discours “dominant”............................................................................... 56 1.1. – Les paradoxes de la mondialisation .................................................................................................... 56 1.2. - Le mythe de la mondialisation............................................................................................................. 57

Pour en savoir plus .............................................................................................................................. 58 Encadré : Les concepts de la mondialisation ................................................................................................ 58

Partie 2 ......................................................................................................................................60

Les effets des grandes transformations sur la conduite des politiques économiques ............60

Chapitre 5..................................................................................................................................61

Ouverture et politiques économiques.......................................................................................61

I - L’économie française face à la contrainte externe ................................................................... 63 1.1. – L’internationalisation de l’économie française ................................................................................... 63 1.2. – Ouverture croissante et contrainte externe .......................................................................................... 64

II – Ouverture économique et efficacité des politiques conjoncturelles...................................... 65 2.1. - Echec des politiques de relance isolée................................................................................................. 65 2.2. – Changement de cap en politique économique..................................................................................... 66 Conclusion .................................................................................................................................................... 67

Pour en savoir plus… .......................................................................................................................... 67 Encadré : La conférence de Bretton Woods.................................................................................................. 67

Chapitre 6..................................................................................................................................69

Désinflation et marche vers la monnaie unique......................................................................69

I - L’incontournable politique de désinflation.............................................................................. 69 1.1. – L’économie française face à la contrainte externe ou les limites de toute relance “ keynésienne ”.... 69 1.2. – “ La France entre dans le rang ” ou les débuts de la politique de désinflation ................................... 70

II – Les limites de la coopération monétaire européenne............................................................. 72 2.1. – Les coûts de la politique de désinflation compétitive… ..................................................................... 72 2.2. …renforcés par la réunification allemande ............................................................................................ 72 Conclusion .................................................................................................................................................... 73

Pour en savoir plus… .......................................................................................................................... 73 Encadré : La politique de désinflation .......................................................................................................... 73

Chapitre 7..................................................................................................................................75

La politique monétaire..............................................................................................................75

I - La politique monétaire en général ............................................................................................. 75 1.1. - La politique monétaire dans sa dimension interne ........................................................................... 75 1.2 - La politique monétaire dans sa dimension externe ............................................................................... 77

Grands problèmes économiques – L1 (EAD) - Faculté de Droit - Yann ECHINARD – 2007/2008 110

II - L’union monétaire européenne en particulier ........................................................................ 77 2.1 - L’union monétaire est nécessaire et incontournable ............................................................................. 78 2.2 - L’union monétaire n’est pas suffisante................................................................................................. 79

Pour en savoir plus… .......................................................................................................................... 80 Encadré 1 : Le Système monétaire européen ................................................................................................ 80 Encadré 2 : Les trois étapes de l’unification monétaire ................................................................................ 82 Encadré 3 : Principales caractéristiques de la zone euro............................................................................... 82 Encadré 4 : L'Euroland : une zone monétaire optimale ?.............................................................................. 83

Chapitre 8..................................................................................................................................86

La France et l’euro : vers un monde nouveau… ....................................................................86

I. - Les transformations ................................................................................................................... 87 1.1. – Le renouveau de la dimension interne de la politique monétaire ........................................................ 87 1.2. – Une politique de “ benign neglect ” .................................................................................................... 88

II - Les conditions de réussite ......................................................................................................... 88 2.1. – Pour une politique favorable à la croissance....................................................................................... 88 2.2. – Europe, intégration et réformes institutionnelles ................................................................................ 89 Conclusion .................................................................................................................................................... 90

Pour en savoir plus .............................................................................................................................. 91

Chapitre 9..................................................................................................................................92

Les politiques budgétaires en UEM .........................................................................................92

I - Les contraintes d’équilibre......................................................................................................... 93

II - Coordination ou coopération ?................................................................................................. 94 Conclusion .................................................................................................................................................... 95

Pour en savoir plus .............................................................................................................................. 95 Encadré : Le Pacte de stabilité et de croissance et le Conseil de l’euro........................................................ 95

Chapitre 10................................................................................................................................97

Le fonds europeen d’ajustement à la mondialisation : presentation et analyse ....................97

I - Les origines du fonds européen.................................................................................................. 99

II - Le dispositif du fonds .............................................................................................................. 101

III - La dimension sociale du fonds .............................................................................................. 103

IV - Quelques interrogations sur les modalités d’intervention du fonds .................................. 104

Conclusion ...................................................................................................................................... 106

Bibliographie générale selective.............................................................................................107

Table des matières ..................................................................................................................108