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L'ANGLISTROSE

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Du MEME AUfEUR

Les idees estbetiques de Saint-Denys Garneau, these de maitriseinedite, Universite McGill, 1972.

L'Hiuer dans les os. Roman, Editions Naaman, 1983.

«Latourterelle triste», nouvelle parue dans Les cahiers bleus n- 36-37,1986.

«Une part de reve», extrait d'un roman inedit, Liaison n- 50, 1989.

«Vendeur de soutanes», nouvelle parue dans Ecruure franco­ontarlenne d'aujourd'bui, Editions du Vermilion, 1989.

Le Registre, roman, Editions Guerin Litterature, 1991.

Deux cent cinquante exemplaires de cet ouvrageont ete numerotes et signes par l'auteur.

Extrait de la publication

ROGER LEVAC

L'ANGLISTROSE

ESSAI

PRISE DE PAROLE

SUDBURY

1994

Extrait de la publication

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Levac, Roger L'anglistroseISBN 2-89423-044-3 1. Canadiens français -Attitudes. 2. Canada-Relations entre anglophones et francophones. 3. Biculturalisme -Canada. 1. Titre. FC144.L49 1994 971 '.004114 C94-930745-9 F1027.L49 1994

Diffusion au Canada : Dimédia

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programme Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2www.prisedeparole.ca

ISBN 2-89423-044-3 (Papier)ISBN 978-2-89423-6 (PDF)

ISBN 978-2-89423-467-9 (PDF)ISBN 978-2-89423-527-0 (ePub)

Conception de la couverture: Le Groupe SignatureŒuvre en page couverture: Pablo Picasso, Chat saisissant un oiseau, huile sur toile, 1939 © Pablo Picasso 1994/Vis* Art Droit d'auteur inc. © Photo R.M.N.

AULECTEUR

Ici done, preconisant la fidelite aux origines, j'entendrai lacause du francais en Ontario. Libre a vous d'y substituerquichua, mongol ou anglais. II n'est pas deraisonnable decroire - pourquoi pas? - que meme ce dernier sera auxprises un jour avec I'extinction. Aussi, je vous prie de ne pascrier au sectaire quand je ne fais que prendre position enfaveur des miens chaque fois que les vois dans la gene,abaisses ou honteux a cause de leur langue. Je serai neutre.Comment pourrait-on mettre en doute I'objectivite du regard,celui de l'assassine jetant une derniere fois, avant de lesfermer pour de bon, ses yeux sur son assassin?

Si l'on m'objecte que je ne suis nullement representatif duCanadien francais moyen, je ne nierai pas. Oui, je suis un casd'espece - on Ie verra - et oui, je n'ai aucun mandat pourparler au nom de I'homme de la rue. On est en plein justifiede voir dans cette legende personnelle une monographie del'echec, Ie mien. Seulement voila, je serais tente d'ajouter queje ne suis pas seul ame reconnaitre dans cette glace brisee:tout au contraire, une infinite de cas pareils au mien viennents'y reflechir dans une identique quete de soi. Tant qu'ilexistera, chaque Canadien francais sera un specialiste de laquestion identitaire. II y repond, meme celui qui tourne Iedos a la Cause. Vraie ou fausse, cette idee me tient debout.

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On me pardonnera Ie decousu, la surenchere, les fauxpas. Voyez-vous, je me suis precipite ales ecrire ces pagesde crainte qu'il n'y ait personne a pouvoir les lire demain.Qui sait si dans un avenir meme rapproche l'on entendraencore du francais dans les cabinets de lecture de la tresputassiere province? Ces pages, meme ecrites a la va-vite, nesont pas une quelconque priere d'inserer mais bien l'editionne varietur de la petite histoire d'un peuple en perdition.Va done pour les illogismes, l'incompletude et l'heterogeneitedes faits retenus. Qu'on se console toutefois, ces notationssans queue ni tete ont fait mon malheur avant de faire Ie votre,aimable lecteur. Et si parfois j'ai frappe plus fort que juste, jevous prie de conclure a un non-lieu pour demence precoce,

De methode? Point. Pour instruire ce dossier, je n'aidepoussiere ni document savant ni journal jauni. Enregistreaucune entrevue, lu aucune these, compulse aucune statis­tique. Tout a ete tire de mon observation quotidienne, per­sonnelle. Meme les mensonges. Mon point de vue seraimmanent, celui de la memoire a l'oeuvre devant ses propresfatalites, Ce sont mes passions qui me guident, mes blocagesqui m'obscurcissent la vue dans cet interminable question­nement et, sans doute, une certaine complaisance devant ceportrait-verite. Qu'on ne vienne pas me reprocher les oeil­leres que je porte, je les porte en desespoir de cause.

Maintenant, soignons notre memoire, ami qui n'avez pasencore quitte votre fauteuil de lecture. Nous sommes ici Ie lieude la memoire blessee, Quittant toute reserve, je presumeque nous eprouvons l'urgent besoin de nous dire. De nousrejoindre dans l'imaginaire si tant est qu'il est encore intact. Unvoeu ou une priere devant la chronique de la mort annoncee.

Je temoignerai, je temoignerai au tribunal de I'Histoire pourrapporter ce que j'ai vu, fidelement, comme Pline decrivantI'eruption du Vesuve au debut de notre ere dans un latinbaroque que je n'arrive pas aoublier: Ie pin de cendre quiallumait Ie ciel de la latinite declinante,

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Verite premiere, les notres sont genants, n'est-ce pas,dans leur persistance a mourir. Eh bien, je les denombreraitoutes: mort de sel, mort d'envie, mort de jeu, mort de laMort. Ce combat contre Ie destin que tout etre entreprenddes son premier souffle, nous les Canadiens francais, nousl'assumons deux fois plutot qu'une: mort du corps puiscelIe de notre arne collective - l'ordre n'etant pas neces­sairement celui-la.

A ce travail de deuil s'ajoute Ie profond desir de resoudreles contradictions que je vis tres mal depuis Ie jour ou j'aipris conscience qu'en ce pays, pour etre bien vu, il faut etreanglais. Dans Ie but d'eclaircir une situation fausse, je tente­rai des explications, je me mettrai a nu, ce qui m'attirera desbosses et des quolibets. Quel pari fou que celui de l'auto­flagellation! Mais je ne decolererai pas.

o frere ennemi! j'assouvis ici rna rancune contre tous cesvendus qui pronent la solution finale. ]'abjure, au nommeme de l'amour, toute indulgence a leur egard, Sachezneanmoins que la haine n'etait pas premiere. Parti d'unsentiment d'impuissance chronique qui s'est tourne contremoi en un tres vif gout de mort, il m'a suffi d'une prise deconscience pour remettre les choses en ordre: c'est-a-direamour pour soi et haine pour autrui. Qu'on distille goutte agoutte Ie puissant poison de l'anglistrose!

Un jour elle frappe, l'anglistrose, sans qu'on s'y attendeeRien ne l'annoncait, pense-t-on. Erreur! II faudrait voir quelterrain l'a longuement preparee, quelle lente exposition,quelle maturation souterraine a pu detraquer la machineet la disposer au dereglement general! Guerir? Mais, il nefaut meme pas y songer, mon cher. Une fois la maladiediagnostiquee, il est deja trop tard: il ne reste qu'a allerstoiquement au bout de la desintegration du soi. Les re­rnedes sont inoperants, et la medecine d'aucun secours.

Posologie a l'usage des lecteurs fideles: un cachet parjour. Davantage serait dangereux pour la sante de l'esprit.

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Moi, je me permets une analyse - autre illusion de cesiecle freudien dont je ne suis pas revenu, Sur Ie divan, jepourrai violer les tabous, crever l'abces, briser les censuresqui ont fait de moi une loque. ]e ne resiste pas a l'envie deme laisser aller a des diatribes vengeresses. Ades condamna­tions a l'emporte-piece. Ce sera bon, un emportement total.Quelle immense jubilation j'entrevois deja! La liberation detout ce qui a ete refoule pendant des annees, l'assouvissementenfin venu, la cicatrisation de l'ame.

Mais chaque fois que je me laisse ainsi griser, je mereprends avec regret. Comme si ce que je ressentais avectellement de conviction envers la Cause ne valait pas cettedepense d'energie atrabilaire.]e me dis alors qu'il y a valeuret valeur, l'une ne permettant pas d'ecraser l'autre, et queles interets de la race ne doivent pas eclipser ceux del'ethique. Cela, meme si l'on y voit la fin d'une ethique? Qui,me dis-je avec la plus mauvaise foi du monde - parce qu'ilne faut pas se Ie cacher - au train oil vont les choses, Ie jourviendra oil cette race, a force de ceder et de plier devant desvaleurs humanitaires, cette race, la mienne, s'abolira d'elle­meme. Car on ne peut toujours etre en perte de vitesse: cejour-la sera Ie dernier pour les Francais d'Amerique. C'estnoir ce que je dis la, c'est amer et defaitiste, je sais. ]'ai dumoins la lucidite de ne pas compter sur des miracles.

A present que j'ai emis les reserves d'usage, j'hesite a melivrer pieds et poings lies. Car il est dans une large mesureinutile de se meier des affaires de la cite - aurais-je millefois raison. Non que je denigre les redresseurs de tort,prophetes de malheur et messies a la petite semaine, maisest-ee necessaire a l'heure qu'il est, vraiment? D'une part,ceux qui s'assimilent ne lisent plus Ie francais et de l'autre,comme je n'avance ici rien qui ne soit monnaie courante,ceux qui survivent peuvent en faire autant.

Alors, ce livre, je l'aurai ecrit pour moi seul?

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L'ANGLISTROSE

Saga familiale

Le beau projet que nos ancetres ont eu de batir ici une nou­velle France! Mais ils avaient compte sans Eux. Quand j'ypense! ils auraient pu s'installer aPondichery, aMadagascarou en Louisiane. Meme sort fait aux minoritaires mais unclimat plus doux.

A l'origine, quelque illustre aieul a traverse la frontiere,son cheptel de vaches laitieres faisant Ie trajet apied commelui et sa famille. Partis de nuit, ils ont pousse Ie pauvre betailjusqu'au versant du jour. Margo et Annabelle tiraient Iechariot ou s'entassaient casseroles, meubles, pioches, imagespieuses et enfants. Aurore pleurait; Dolores, raisonnablepresque pour son age, s'occupait du petit dernier, la mereetant rendue ala veille de son terme. lIs ont marche sous Iesoleil impenitent de juin, suivis par les mouches qui ne lesont pas laches. A la fourche d'un chemin, ils ont pris unmauvais tournant et se sont trouves avec leur troupeau, rueprincipale d'un petit village loyaliste. Des voix les invec­tivaient: Crazy Frenchmen! lIs n'en firent pas de cas, neconnaissant pas l'anglais, pas encore. Quand les hommes se

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sont arretes pour se consulter, d'epuisement, les vaches sesont couchees en pleine rue. On les a fait relever a coups depied dans les cotes. Aurore pleurait de plus belle. Shut her upfor Christ's sake! Debut d'une epopee oil ils ont laisse der­riere eux leur arne francaise, Bnee, en demenageant avec sonpere Anchise, a quand meme ete a l'origine de Rome. Mais ca,c'est une autre paire de manches!

Je me souviens - est-ee si loin deja? - d'avoir entendugrand-perc Zenon, l'ancetre en question, distinguer les racesdu pays: d'une part les Canadiens et de l'autre les Anglais.Vision qui n'est quand meme pas etrangere a la realite qu'ona confondue a force de galvauder les mots. Le Canada etait unpays francais, ca, on l'oublie trop vite. Quand il a ete pris, onaurait du changer de nom pour raison de clarte. Je suggere auhasard... Ie Koweit ou la Palestine.

Elisabeth, grand-mere de C., vient d'une famille de Francosetablie depuis belle lurette aux Etats; elle avait perdu sonfrancais quand elle a consenti a suivre son mari dans IeNouvel-Ontario. Elle l'a reappris pour elever sa ribambelled'enfants dans Ie quartier du «Moulin a Fleur». Ce qui n'a pasempeche la paroisse Sainte-Anne de devenir Sudbury. Unsursis, ce n'etait qu'un sursis.

Cette chere grand-mere - je parle de I'autre, de la branchematemelle, celle qui va sur son centenaire - comme la vie lui aete injuste! Sur ses vieux jours, on l'a mise a l'hospice «Bestview»,elle qui ne parlait pas un traitre mot d'anglais. n y a bien descirconstances attenuantes a la decharge de ses douze enfants:nne crise cardiaque qui l'avait paralysee, son gatisme, son agedeja tres avance et surtout l'absence de choix d'institutions

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dans cette ville anglaise. N'empeche qu'elle a du tomber dehaut quand elle s'est rendu compte. Un reveil au Goodmorning, Mrs Seguin. C'est la faute a grand-perc aussi d'avoirquitte Ie Quebec. Si encore il n'etalt pas mort Ie premier!

Curieux cet homme qui se faisait repeter l'epellation d'unnom sans pouvoir en dechiffrer Ie sense Pas si curieux que cadu moment ou, devinant qu'il ne savait pas son alphabetfrancais, on s'avisa de Ie lire dans sa langue de culture, c'est­a-dire l'anglais. ]'imagine qu'il a connu, comme tant de cesvieux, les soubresauts du Reglement 17qui interdisait Ie fran­cais dans la province. Mon perc est illettre mais en francaisseulement; il a quitte tout jeune un de ces petits Quebec,Saint-Isidore-de-Prescott, pour Saint-Andrews West, paroisseecossaise ou des religieuses lui ont montre l'anglais. De telleschoses ne sont pas sans avoir laisse de trace.

Une image se decoupe dans mon esprit avec une precisionhallucinante: auto en stationnement en bordure de la rue,pere causant a un patron et moi qui suivais ca, emerveille, Enfait, je ne savais pas qu'on pouvait parler autrement qu'enfrancais, mais quand je l'ai su, des lors mon pere m'a paru unhomme accompli, tellement noble de par cette langue quisuscitait du respect que je n'en suis pas revenue

Par la suite, avec rna mere, chaque fois qu'il ne voulait passe faire comprendre des enfants, derriere les portes closes, ilconversait en anglais. Et avec mes oncles, ses freres, traitantentre hommes des affaires d'hommes, en hommes qui cher­chent as'eblouir mutuellement, il reprenait la langue de sonmilieu de travail. II n'en fallait pas plus pour que, dans monimagination d'enfant, l'anglais fut hisse au rang des mysteres,

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Papa les respectait tellement ses «boss» que j'en suis venua penser comme lui: ils sont d'une race superieure.Aujourd'hui, quand j'y repense, je crois plutot qu'il devaitavoir honte de sa trop nombreuse «tralee»d'enfants jacassanten francais dans Ie fond de l'auto. Faut-il se surprendre sicertains ont convole en anglais? Est-ce lui qui a affuble rnasoeur puinee d'un nom anglais? Aujourd'hui, obeissant a jene sais trop quel imperatif paternel, elle eleve ses enfantsdans l'autre langue. Le contraire eut ete surprenant.

Dear Sister,On the occasion 0/your manage...

Et puis non, je ne peux pas. T'ecrire en anglais, ce seraittrahir toute notre enfance... Qui, je comprends - c'est bienla Ie drame -, tu l'aimes.

Des Ie berceau, on les attrape. Avant d'etre portee sur lesfonts baptismaux, rna fille s'est fait appeler Bright Eyes parles infirmieres de la pouponniere de l'hopital oil elle estnee. Deja elle etait marquee.

Le bebe de }., laureate de composition francaise, seraconfie aune nurse dans la plus pure tradition britannique,C'est que son marl est anglais.

Jacques, mon ami Jacques, je ne parviendrai jamais a tepardonner d'avoir appele ton fils Jake. Mais j'y pense, tun'as jamais ete tres fute et il parait que ce Jake l'est encoremoins. Tant mieux! Un imbecile de plus de leur cote.

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J. est devenue temoin de Jehovah et sa langue, en mernetemps que sa religion, a foutu Ie camp. Parmi les notres, on necompte pas les victimes qu'ont faites les religions paralleles.

Semaine tranquille. Rien asignaler hormis Ie fait que monfrere benjamin a eu une fille qui ne pourra jamais parler alamienne. Let's go to memere's.

Lorsqu'ils se marient entre eux, ils s'anglicisent toutautant, puisque l'un des deux est forcement plus atteint.C'est faire I'economie d'un Anglais.

Reunion du clan. De partout en Amerique, l'on s'arnenera,Retrouvailles monstres ou l'on pourra compter ceux quiparlent encore francais parmi les descendants de ce soldatde Bapaume en Artois. Visiter les parents, les cousins cousinesde la fesse gauche, pour voir ou la fami11e en est rendue dansson insertion culturelle. Mais je ne m'attends a aucunesurprise; je sais depuis longtemps qu'on est cuits. je n'iraipas.

Au jour de l'an, j'ai eu mal a rna famille parce qu'on acesse de parler francais a la table. Ma mere passe d'unelangue a l'autre comme d'une assiette a l'autre sa tourtiere.

Je reviens a cet air de famille qui nous caracterise: touscousins issus de germains. Ca ne peut etre autrement. Etsi peu nombreux qu'il semble qu'on connaisse tout lemonde. Mes matantes et mes mononcles, je les reconnaisau type. L'homogeneite a fait cela que nous sommes apeu

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pres tous les memes de Chicoutimi a Perce, de Saint-Bonifacea Caraquet. C'est un bien petit monde quand on est necanadien-francais,

Btopste d'une jeunesse

J'ai connu une sorte de revelation a l'instar de Jean­Jacques sur Ie chemin de Vincennes. C'etait en revenantd'Ottawa avec M. que j'ai ete saisi du problerne du post­colonialisme: Ie premier etat du malheur est d'etreminoritaire; Ie deuxieme, d'etre fier de sa difference; et Ietroisieme, d'etre seul a l'etre. Origine des inegalites,

J'ai ecoute ce soir une chanson anglaise dont je merappelais encore toutes les paroles, trente ans apres, II estindeniable qu'une part de mon heritage est anglais. Et si j'aichoisi le francais, apres avoir hesite sur mon appartenancecomme tout bon Franco, c'est du au frere B. II m'a expliquela chose en ces mots: «Ecoute mon blond, - il m'appelaitblond bien que je fusse roux - on ne peut etre les deux. IIfaut choisir.» Mon choix n'a pas ete celui de la majorite,voila tout. Parfois une petite musique me joue des tours.Des que je suis las, je me mets a penser en anglais. ChassezIe naturel, il revient au galop.

C'est comme quand je lis en anglais. Je ne sens pas quec'est une langue etrangere: je suis aussi pres du texte ques'il etait francais, Je suppose que je suis parfait bilingue.

Un des supplices de mon enfance a ete de me faireappeler Rodge. Celui qui se laisse appeler Moe ou Gene ne

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se gene pas pour baptiser a tour de bras tous les Bob, Ricket Gerry. Je m'y opposerai toujours comme a une formed'abaissement theologique. Theologique en ceci que nom­mer est un attribut divine

Le premier contact que j'ai eu avec nos amis les Anglais aete par l'entremise d'une bande de chapardeurs qui mar­chaient sur nos brisees, Dans Ie petit bois ou nous entaillionsdes erables, ils nous chipaient nos seaux de seve. Le premierprintemps des humilies ne s'oublie pas.

Enfants, nous jouiions, mes soeurs et moi, adecouper desfigurines de carton que nous nous amusions par la suite avetir de toilettes en papier. Nous appelions ce jeu «corate-,mot qui n'est en fait, comme il me fut donne de l'apprendreplus tard, que la forme francisee de cut-out: des decou­pures. Combien de fois, par la suite, ai-je eprouve un senti­ment de trahison a l'egard des choses les plus sacrees,choses que je croyais avoir apprrvoisees dans rna languepour les voir soudainement perdre leur prestige. Commepour ces poupees de papier, mon appropriation du mondes'avera calquee sur Ie modele americain. En definitive ces«corates» revelent bien ce que nous sommes sur l'echiquierculturel: des cartons colones made in USA.

Une jeunesse passee aupres de religieuses et de religieuxquebecois qui m'ont communique tant et si bien la passiondes mots que j'en suis devenu dependant comme d'unemusique ou d'une drogue. Une fois ces cheres ames dispa­rues, l'ecriture a pris la releve. Je ne fais que continuer undialogue - en solitaire fervent des mysteres de l'au-dela.Voila comment tout a commence.

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Idee bizarre qui me vient par intervalles: cette cultureuniverselle, si loin de mes humbles origines, je la tiens dureniement du particulier. Quelle faille, quelle imposture,quelle honte a fait de moi I'apatride linguistique que je suis?Qui ai-je renie dans cette fuite vers I'avant que constitue laculture francaise? Qui fuis-je?

Et mes meilleurs souvenirs politiques? De Gaulle lancantson «Vive Ie Quebec libre!» J'en sens encore la chair depoule un quart de siecle plus tard.

- Mais de quoi allait-il se meler?

L'inexprimable joie de I'automne 1976: Rene Levesqueelu premier ministre d'un gouvernement separatistel Et puis,en sourdine, cette petite voix interieure qui pernicieuse­ment me soufflait que c'etait Ie debut de la fin. Comme si lajoie ne pouvait pas exister a l'etat pur, je sentais, moi quietais Ie seul au college a avoir lu l'Optton Quebec dans lesannees soixante, que Ie reve ne survivrait pas ala realite. Cefond de scepticisme a eu raison: Ie Temps est Ie pire ennemides ideologies. Marx en sait quelque chose par les temps quicourent.

Dans quel repertoire d'emotions humaines classifier ce cock­tail de poisons dissolvants? Quelle digue elever pour controlerde telles larmes? D'id je ne vois pas les rives du lac - etpourtant, it doit y avoir une fin a ce malaise... nne reponsequelque part qui attend. Helas, j'ai pour toute reponse uneenfance malheureuse et des reves brises de conquerant, Est-eetout? Peut-etre pas. II y a aussi I'amour de cette langueconquise de haute lutte: I'identification aune chose si presde moi que je ne puis penser sans y avoir recours. Nom deDieu! cela doit compter dans la balance.

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Les travaux et les fours

On aura fonde un pays, des provinces, des villes pour seles voir enlever les uns apres les autres. Finie la grandeaventure depuis qu'il n'y a plus d'arbres aabattre, de terre afaire. Les lieux deblayes, les autres sont venus comme desmauvaises herbes.

Quand on sort, si d'aventure on s'y risque, les rues ontchange de nom: elles s'appellent dorenavant Grey Nun etHoly Cross. Traductions appauvrissantes et betes de noscommunautes religieuses francaises, Moi, je me souviensquand la bonne soeur Sainte-Anne Dore nous faisait prierpour I'etablissement de l'academie Sainte-Croix en pleinebrousse. Une ecole francaise, croyait la sainte femme, pourcontrer l'assimilation des jeunes filles et oil il fallait payer,l'education francaise n'etant pas subventionnee par l'Etat.Nos prieres ont ete exaucees, la foret abattue et l'ecoleedifice - a I'usage des Anglais. Comment expliquer que lascene a tourne court? Est-ee I'oeuvre du Saint-Esprit?

II fut un temps oil la rnunicipalitede C. etait separee parla rue Marlborough, francophones et anglophones s'etalantde chaque cote dans une segregation ideale, Depuis Ie jouroil I'on a cru aux bienfaits du bilinguisme, les transfuges nese comptent plus. Qui suis-je pour regretter Ie ghetto?

«Marlborough s'en va-t-en guerre»«Mironton mironton mirontaine»

Cette facon d'entourer l'eglise ou l'edifice du gouver­nement ne nous a guere servis. Aujourd'hui, on demolitpour faire de grands espaces, des parkings, des H.L.M.

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tandis que les vieux vont croupir dans Saint fosepb's Villaet qu'on s'en prend anos cites. Orleans perd son accent, larue Jogues n'est plus qu'un souvenir. Puis on nous demandede participer au festival multiculturel. L'incroyable c'estqu'on y va.

On a toujours joue de malchance. Des qu'un de nos petitsvillages connait un boom, c'est anglais qu'il devient. Quelleapplication tirer de cette lecon, sinon viser la mediocrite?

c., cette petite ville divisee contre elle-meme qui n'aspirequ'a fusionner ses masses, heureuse a l'idee de voir dispa­raitre, confondu dans ses origines loyalistes, Ie plus vii, Ieplus beau sang francais.

Strategie minorisatrice. Dans les pares murucipaux, ons'occupe de vosenfants l'ete: jeux, comptines, aquarelle,tout y est. En anglais naturellement. Mais vous serez malavise de vous plaindre, votre facture de taxe monterait.

Ne parlez pas fort quand vous parlerez francais en public;autrement on vous designera la porte.

Nos leaders nous somment de prendre notre place dansl'arene municipale: plus de visibilite, clament ces imbeciles.Savent-ils que tout, mais tout se passera en anglais?

On se rabat alors sur la maison: notre langue est unelangue pour Ie prive, Sitot qu'on sort de chez soi, on risque

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de perdre la memoire collective. Cela etait vrai autrefois;maintenant, la television et la radio confondent exterieur etinterieur.

Un Canadien francais convaincu devra eviter les demelesavec la loi: il risque d' echouer dans un milieu carceral sourdau francais, Caron y a perdu sa sante et sa langue, bien qu'ily soit devenu ecrivain. Vrai, mais tout ce beau monde,escrocs, voleurs et assassins, a-t-il souci de sa culture?

Le Franco-Ontarien s'ecrit abreviativement FRANC-CON.Cela fait qu'on lui prefere ONTAROIS. Avec raison.

II parait que dans le Nouvel-Ontario, nos compatriotesprennent du poil de la bete. Tant mieux, ici al'Est, on est apoil.

Aucune pitie pour ce professeur qui a voulu investir lesFranco-Ontariens de la mission d'interprete aupres de leursconcitoyens de langue anglaise. Non seulement est-ee mecon­naitre Ie caractere de ces farouches individualistes que noussommes mais encore quelie communaute humaine accep­terait de plein gre de servir de bouc emissaire?

Region tampon que l'Est ontarien. Les frontieres ne sontjamais aussi etanches qu'elles empechent les allers et retours.Le problerne, c'est quand on decide de ne pas les retraverser.

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Plus l'on s'eloigne de la frontiere quebecoise, plus l'onperd vite sa langue. La culture n'est pas indefiniment elas­tique: aforce de s'etirer, elle finit par se rornpre. Vrai aussipour Ie temps.

La Manche rnanquante. Ici, entre les deux races, point deManche pour aerer les haines. Le contact est brutal, de labrutalite du metal qui s'entrechoque. II est aprevoir que letunnel sous La Manche...

Le livreur de pizzas est grec, mais c'est en anglais qu'ilvient frapper a rna porte.

Mon postier l'est; et mon coiffeur; et Ie policier qui m'adonne une contravention; et la fleuriste, et la boulangere, etIe boucher le sont. Et moi, je ne Ie serais pas?

Semes ici et la sur ce continent, des I10ts de languefrancaise, Passe Ie moment folldorique a la Louis Hernon,vous saisit la tristesse de ce peuple en fragments.

Vous doutez de la presence francaise en Ontario? Allezlire les inscriptions sur Ies pierres mortuaires. Comme enLouisiane, elles attestent quel fut notre passe et ce qui restede I'avenir.

Mauvais signe que de s'interesser, cornme on fait ici, alagenealogie, Quand on lorgne du cote de la tombe, c'est queI'avenir est bloque,

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TABLE

AU LECTEUR 7L'AN"GLISTROSE 11

Saga familiale 11Biopsie d'une jeunesse 16Les trauaux et les fours 19Portrait des assimiles 23Circonstances attenuantes 26Nom d'emprunt 28Sous benefice d'inoentaire 30Sans remords 33Negatifs 35Ou il est question d'berttag« 38Bons sentiments 40Du caractere anglais 42Feerie 45Sosie 46En pottttque (presque) 48Emigrant ou l'Ailleurs absolu 50Immigres de l'interieur 52Anatomie d'une perversion 54Dialogues de sourds 57Le vers dans la pomme 59Une bistoire d'amour 61Francopbonie toute vapeur 63Face a face 65

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On parte joual 67Academie et autres 68Profession: prof de francais 71Nos lttteratures 73Canada: le mythe 76Etat des symboles et symbole de l'Etat 80Mots bidons 80Le Moloch canadien 82Bribes d'bistoire 86Soldatesque 88Anglistrose 90Sous observation clinique 92Pieces noires 95Pieces rose grtncant 98Racismes cberis 100Les medias en cause 102Du sexe considere sous le rapport ltngutstique 105De la morale 108Grenouille de benitier 111Rbetorique 114A la recherche d'un ordre 116De la litterature comme usage personnel 118Pour le lecteur 121Vers la fin 122Les Ameriques 123Cul-de-sac 127Btlingue, yes sir! 131Bxils 135Self-Portrait 138Mon peuple 140L'ceuure 143L'bomme a convictions 147Fou a lier 149Tentation du desespoir 151Ceremonte des adieux 152

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