extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du...

22
Extrait de la publication

Upload: others

Post on 23-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

Extrait de la publication

Page 3: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

La collection « en question » est dirigéepar Jean Yves Collette

Page 4: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

DANS LA MÊME COLLECTION

René FagnanLa Formule 1 en question

Marcel LabineLe Roman américain en question

Robert LégerLa Chanson québécoise en question

Ginette PellandFreud en question

Serge ProulxLa Révolution internet en question

Jean-René MilotL’Islam, des réponses aux questions actuelles

Extrait de la publication

Page 5: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

CHE GUEVARA, UN HÉROSEN QUESTION

« Une mort héroïque, comme celle d’un martyr,n’est pas une défaite mais un triomphe...

Ils le tuent, mais il meurt invaincu. »EDITH HAMILTON

Extrait de la publication

Page 6: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

DE LA MÊME AUTEURE

LaSalle Then and Now, en collaboration avec Denis Gravel,LaSalle, Cavelier-de-LaSalle Historical Society, 1999.

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

VIVIANE BOUCHARD

CHE GUEVARA, UN HÉROSEN QUESTION

Q U É B E C A M É R I Q U E

Extrait de la publication

Page 8: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

CHE GUEVARA, UN HÉROS EN QUESTION

Quarante ans après sa mort, la vie d’Ernesto Che Guevarafascine toujours. Il est vrai que notre monde ne se diffé-rencie pas tellement de celui qui était le sien : les progrèsde la technologie accélèrent le rythme de la vie quotidienne ;les avancées de la mondialisation élargissent le fossé entreriches et pauvres ; les conflits régionaux perdurent ; le ter-rorisme – et son pendant naturel, la chasse aux terroristes– continuent d’ignorer les droits humains et les lois inter-nationales... Faut-il s’étonner alors de voir réapparaître lafigure du Che Guevara des années 1960 ?

Révolutionnaire argentin devenu héros des temps modernes,Che Guevara fut l’un des rares hommes du XXe siècle àmourir pour ses idées. Selon le politologue Gordon McCor-mick, l’influence de Guevara dépasse largement le contextecubain ou latino-américain, parce que son cheminementpersonnel ressemble en tous points à celui du héros my-thologique. Ernesto, jeune étudiant en médecine à BuenosAires, est devenu le Che, un guerrier révolutionnaire interna-tional exécuté dans la jungle bolivienne en 1967. Son imageest alors devenue l’incarnation d’une révolution.

Le héros Ernesto Che Guevara a plusieurs visages quicontribuent tous à garder son mythe vivant. Pour les Cu-bains, il représente ce que la Révolution aurait pu devenirs’il avait pu continuer d’être la conscience de Fidel Castro.Pour l’Amérique latine, il symbolise l’esprit de la libérationnationale, comme Simón Bolívar l’avait symbolisé avantlui. Pour l’Occident, où on le compare d’ailleurs bien plus

Che

Ce Che, qui est devenuun surnom pour Guevara,est une « interjection qui

sert a interpeller unepersonne que l’on tutoie ».

Ce serait une manietypique des Argentins

que de héler quiconquepar ce mot, au point

que leurs voisins latino-américains les surnomment

familièrement les « Che ».

Simón Bolívar(1783-1830)

Général et homme d’Étatsud-américain, il affranchit

une partie de l’Amériquedu Sud (Venezuela,Colombie, Panama,

Équateur, Pérou,et Bolivie) de la

domination espagnole.

Extrait de la publication

Page 10: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

facilement à un John Lennon qu’à un Lénine, il incarne leromantisme de la rébellion personnelle et la puissance del’expression individuelle. Pour les opprimés, les démuniset les désespérés de la planète, Che Guevara est la figure deproue de l’idéal internationaliste. C’est l’homme de toutesles qualités : il est austère, ferme, droit, stoïque et, surtout,il promet la réussite révolutionnaire peu importe l’endroitet quelle que soit la nationalité des belligérants. Le Guevaracréateur de révolutions n’a pas de patrie : sa terre est lemonde. Guevara demeure l’emblème du changement et del’espoir.

L’image de redresseur de torts et de colporteur de révolu-tions de Guevara ne correspond pourtant pas vraiment àla réalité. Son seul succès est la Révolution cubaine et, en-core, il n’en était qu’un rouage. Nommé ministre, puisambassadeur, il vole d’échec en échec parce que sa per-sonnalité ne supporte pas le jeu politique. Ensuite, sesexpéditions révolutionnaires au Congo, en 1965, et en Bo-livie, en 1967, tournent mal. Malgré tout, comment Guevarapeut-il être un symbole d’espoir ?

Ses échecs, en effet, ne diminuent en rien son image decombattant. Il semble que ce soit l’homme qui est admiréet non ses gestes. Par ailleurs, Guevara écrit beaucoup ; ilanalyse ses actions ; ses échecs sont rapidement mis en con-texte et expliqués ; ainsi, il préserve son image de combattantqui tente le tout pour le tout.

Le mythe Guevara s’est formé au cours d’une périodequi valorisait la contestation et le changement. Pendant lesannées 1960, être un révolutionnaire donnait droit à uneplace au panthéon des figures rebelles comme Angela Davis,

Activiste et militantedes droits des Noirsaméricains, née àBirmingham, en Alabama,en 1944. Ici, vers 1974.

Extrait de la publication

Page 11: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

les Black Panthers et Martin Luther King aux États-Unis,Jawaharlal Nehru, président de l’Inde et leader des pays nonalignés, Ahmed Ben Bella, président de l’Algérie, PatriceLumumba, premier ministre du Congo, tué en 1961, ImreNagy, président de la Hongrie au moment du soulèvementantistalinien de 1956, Alexander Dubcek, premier secrétairedu Parti communiste de Tchécoslovaquie et responsable duPrintemps de Prague, en 1968.

Les actions et les écrits de Guevara s’insèrent naturelle-ment dans le climat des années 1950 à 1970, qui voientl’émergence de nombreux mouvements libérateurs et éman-cipateurs. Plusieurs peuples tentent alors de prendre leurdestinée en main tout en s’éloignant des modèles figés ducommunisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955, a eu lieu le premier Congrèsdes peuples d’Afrique et d’Asie, à Bandoeng (ville d’Indo-nésie, sur l’île de Java). Des représentants de vingt-neuf payss’y sont rencontrés pour entendre, entre autres, l’IndienNehru, le Chinois Zhou Enlai et l’Indonésien Sukarno.L’indépendance de l’Algérie (1963), la décolonisation del’Afrique et la lutte des Noirs américains sont aussi dansl’air du temps. Dans ce tourbillon de changements politi-ques, la Révolution cubaine propose une troisième voie qui,au début, navigue entre la gauche communiste et la droitecapitaliste. La petite île donne espoir aux tenants des autresmouvements de libération nationale.

Dans un contexte où tout semble possible, Guevara a,en Occident, un public contestataire gagné d’avance : tousles jeunes, universitaires ou non, qui veulent reconstruire lemonde de leurs parents d’après de grands idéaux universels.Mais le Che n’inspire pas seulement les révolutionnaires endevenir ; il donne du courage à un vieux guerrier commeAhmed Ben Bella :

Patrice Lumumba,(1925-1961)

Fondateur du Mouvementnational congolais, héros

de l’indépendance etpremier ministre

du Congo.

Portrait : DR.

Ahmed Ben Bella

Né en 1916, il fut l’undes fondateurs du Front delibération nationale (FLN) et

l’un des dirigeants del’insurrection de 1954, quimènera à l’indépendance

de l’Algérie, en 1962.Premier président de laRépublique algérienne

(1963-1965), il est renversépar Boumédiène. En 2003,

il est élu président d’uneCampagne internationale

contre l’agression en Irak.

Extrait de la publication

Page 12: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

« Le Che a donné une dimension nouvelle à larévolution. Un souffle plus fort, plus frais. Il y avaitquelque chose d’autre chez lui, d’une simplicitétotale. Il irradiait avec une conscience et une foidans l’homme admirables. C’est l’être humain leplus accompli que j’aie approché. Tout au long demon temps en prison [quinze ans, de 1965 à 1980],une petite photo du Che mort, nu, maigre, percéde balles, le visage illuminé par sa lumière inté-rieure, photo que j’avais découpée dans unmagazine, m’a donné de l’espoir quand dans mavie il faisait froid. »

Le personnage de Che Guevara se crée en même tempsque celui de Fidel Castro. La vision de ces deux hommesest semblable. Ils sont marqués par les mêmes idées, ils ontles mêmes héros, ils sont issus d’une même culture. Quelleest donc cette société si particulière dont ils sont le pro-duit ?

Les rêves que Fidel Castro et Che Guevara partagent ne trou-vent certes pas leurs racines dans le marxisme-léninisme,mais plutôt dans l’histoire latino-américaine. Les grandslibérateurs comme Miguel Hidalgo y Costilla (Mexique),Augusto Sandino (Nicaragua), Simón Bolívar (Venezuela etColombie), José de San Martín (Chili et Pérou) et José Martí(Cuba) les ont inspirés et influencés. Ces libérateurs-hérosromantiques incarnaient un patriotisme qui attirait la bour-geoisie naissante du continent qui tentait de se défaire desa relation de dépendance envers les États-Unis. Comme lesouligne justement François Maspéro, dans sa préface auJournal de Bolivie, de Che Guevara, il s’agit d’un patriotismequi s’est incarné, chez Fidel Castro, dans le héros de

Fidel Castro Ruz

Fils d’un propriétaireterrien, il est né le 13 août1926. Il entre à la Facultéde droit de l’Université deLa Havane, où il sera leprésident de l’Associationdes étudiants. En 1949, ilobtient trois baccalauréatsen droit, ouvre un cabinetà La Havane et seconsacre à la défensedes pauvres. Il se portecandidat aux électionsde 1952 pour le Partiortodoxo, mais le coupd’État de Batista annuletout. Castro choisit la luttearmée et, le 26 juillet1953, organise l’attaquede Moncada (casernemilitaire dont il espéraitvoler les armes). Arrêté,il assure lui-mêmesa défense et livre unplaidoyer de cinq heuresdont la plus célèbrephrase est : « L’histoirem’absoudra ». Le textedu « plaidoyer deMoncada » sera transmisillicitement dans toutle pays. Amnistié en 1955,Castro rejoint les autresCubains qui l’attendentau Mexique.

Photo : DR.

Page 13: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

l’indépendance cubaine, José Martí, patriotisme qui s’op-pose à l’impérialisme yankee (à la doctrine Monroe) jusqu’àcréer l’opposition totale d’une culture envers une autre,d’une vision du monde contre une autre, de mythes fon-dateurs contre d’autres mythes fondateurs, de la nuestraAmerica contre l’American way of life.

La Révolution cubaine (1956-1959) n’a rien à voir avecune révolution communiste où le prolétariat exploité veutse débarrasser de la classe dirigeante et prendre en chargeles outils de production. Ainsi, le prolétariat construit unmonde meilleur selon les grands principes communistes.Moins idéologiques, Castro et Guevara, habités par une trèsforte identité latino-américaine, veulent redonner l’Amé-

rique latine aux Latino-Américains et renvoyerl’Oncle Sam chez lui. Ceprojet puise donc son ins-piration chez des hérosnationalistes et non chezdes héros prolétaires oucommunistes. Si les actionset les lectures de Castro etde Guevara tirent vers lagauche, c’est qu’il n’y a,croient-ils, qu’une autre

voie opposée au mode de développement favorisé par lesÉtats-Unis.

Castro et Guevara souhaitent recréer les grands combatslibérateurs du XIXe siècle qui chassèrent les Espagnols ducontinent. Leur vision est un heureux (ou malheureux)mélange de romantisme et de patriotisme qui les encourageà se sacrifier pour libérer Cuba et, qui sait?, le continent.Ils partagent aussi des idées internationalistes. Non

Doctrine Monroe

Doctrine énoncée,en 1823, par le président

républicain des États-Unis,James Monroe, quis’opposait à toute

intervention européennedans les affaires

du continent américaincar, pour les Américains,

l’Amérique latinedevait demeurer

leur chasse-gardée.

Che Guevaraet Fidel Castro, en 1959.

Castro et Guevara luttentcôte à côte pour créer une

nouvelle société. Castrole réaliste, le pragmatique,

le politicien et, surtout,l’homme de parole est un

enjôleur qui a réussià se rallier une nation en

lui racontant un beau rêve.Guevara l’idéaliste,

le rêveur, le batailleur(ou, comme il se décrit lui-même, le « disséqueur de

doctrines »), est surtoutl’homme d’action, dont

les coups d’éclat suscitentencore l’admiration.

L’un navigue au gré destempêtes et des accalmies,créant des alliances et des

amitiés selon le besoin ;l’autre, toujours trop

pressé, maintient le capmême si le navire risque

le naufrage et que deshommes tombent à la mer.

Photo : www.che-lives.com

Extrait de la publication

Page 14: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

seulement sont-ils de grands rêveurs, mais ils savent qu’ilest primordial d’essaimer les idéaux de la révolution pourassurer la survie de Cuba, la lutte contre-révolutionnairene pouvant se dérouler partout à la fois.

La légende de Guevara s’est élaborée pendant la Révolu-tion cubaine, mais elle n’aurait pas vu le jour sans lacomplicité de Fidel Castro. Comment Castro utilisa-t-ilGuevara pendant la révolution ?

En février 1957, Guevara rencontre des correspondants de lapresse étrangère, dont Herbert L. Matthews, du New YorkTimes. Les journalistes l’identifient comme l’intellectuel dugroupe des guérilleros. Naturellement, la CIA l’a à l’œil ;elle se demande ce qu’un médecin argentin fait à Cuba. Lasimple présence de Guevara donne une saveur internatio-nale à ce qui se déroule et inquiète les Américains ; cesderniers lancent la rumeur qu’un communiste argentininfluent tente de s’approprier le mouvement anti-Batista –qui doit appartenir à tous les Cubains – pour en faire unerévolution communiste. Dès lors, pour les Américains, Gue-vara devient l’ennemi communiste, alors que Castro estconsidéré comme un réformateur modéré.

Mais Castro savait, lui qui est un génie de la stratégie,que la transformation du Che en symbole de la Révolutioncubaine demeurerait. Quand les barbudos furent au pou-voir, Castro utilisa donc Guevara pour montrer que lesrévolutionnaires se mettaient au travail et qu’ils faisaientce qu’ils prêchaient. Les photographies de Che Guevara vuen train de marteler, de récolter, de couper, de planter...furent largement diffusées. Elles cassaient l’idée reçue du gué-rillero qui, ayant pris le pouvoir, s’enferme dans un palais et

Fulgencio Batista(1901-1973)

Homme politique,président de laRépublique cubaineen 1959 au momentde son renversementpar Fidel Castro.

Barbudos

Barbudos, qui signifie« barbus », est un termepéjoratif que les autoritéscubaines d’avantla Révolution utilisaientpour décrire les groupesarmés qui sévissaientdans les campagnes.

Extrait de la publication

Page 15: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

Ernesto Che Guevara,le révolutionnaire et

l’intellectuel, incarnantl’« homme nouveau »,tour à tour débardeur,maçon et agriculteur...

Photos : www.che-lives.com

Extrait de la publication

Page 16: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

exploite la population. Guevara incarnait l’intellectuel idéal,celui qui sait aussi travailler de ses mains.

Ernesto ne fait pas que travailler. Depuis toujours, il penseet analyse tout. Il prend des notes qu’il complète, ajusteou rectifie au gré de ses expériences et de ses lectures.Comment les écrits du Che ont-ils contribué à sa légende ?

Guevara, avec la permission de Castro, publie un journalet signe plusieurs articles. Ce seul fait annule le stéréotypedu révolutionnaire illettré et sanguinaire qui ne sait quepresser sur la détente. Pour lui, la presse est au service de lapopulation et non au service du pouvoir et des compagnies,c’est pourquoi il s’empresse toujours de créer un journal,où qu’il soit, pour répandre le message révolutionnaire etinciter la paysannerie à se joindre aux rebelles. Il disaitd’ailleurs être journaliste ; à cette époque son nom de plumeétait francotirador (franc-tireur). Pendant la Révolution cu-baine, ses lecteurs lisaient les difficultés rencontrées dansla sierra Maestra, les sacrifices, les exploits... et approuvaienttoutes ses actions. Les thèmes forts de ses articles sont lajustice et l’égalité. Il prêche un internationalisme révolu-tionnaire qui va bien au-delà des frontières cubaines.

En 1959, pour Fidel Castro, la lutte révolutionnaireest terminée. La première tâche du nouveau gouvernementcubain est de survivre à la proximité d’un voisin améri-cain toujours trop curieux et contrôlant. Pour Guevara, lalutte ne fait que commencer. Le Che est ambitieux ! Parl’écrit, il compte exporter les germes de la révolution anti-impérialiste. Il analyse les stratégies et les techniquesapprises pendant la bataille et veut les enseigner afin delibérer d’autres peuples opprimés. Certains de ses écrits sont

Journal

En novembre 1957,dans la sierra Maestra,Guevara publie le journalEl Cubano Libre, nom quifut aussi celui du journaldes rebelles cubainspendant la guerred'indépendance contrel’Espagne, au XIXe siècle.

Extrait de la publication

Page 17: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

des modes d’emploi pour réussir une bonne lutte armée.D’autres textes sont des critiques virulentes de l’impé-rialisme américain comme soviétique. Le style qu’il utiliseest clair et ses lecteurs comprennent bien ce qu’il combat.Ses solutions semblent tellement simples qu’elles donnentparfois l’impression aux guérilleros en herbe qu’il suffit devouloir pour pouvoir faire une révolution.

Même si, vivant, Guevara est déjà une légende, rien ne dé-bute vraiment avant sa mort, en 1967. Comment la culturepopulaire a-t-elle récupéré la mort du Che pour en faire uneimage de martyr de la révolution ?

Pour raffermir un mythe, rien de tel qu’une mort suspecte auxmains de soldats boliviens aidés par l’omniprésente CIA ;

Carte de presseémise au nom

d’Ernesto Guevara Sernapar le bureau mexicain

de l’Agence Latina,valable pour

l’année 1955.

Photo : www.che-lives.com

Extrait de la publication

Page 18: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

rien de tel que des « derniers mots » marquants qui pour-ront s’inscrire, dans les dictionnaires de citations, à l’article« Mot de la fin » : « Allez, tire. Tu ne tues qu’un homme ! »,aurait-il dit à son bourreau qui tremblait devant lui ; riende tel qu’une photographie où plusieurs verront une res-semblance avec des représentations du Christ... Il n’en fallaitpas plus pour que naisse « San Ernesto de la Higuera », pro-tecteur des pauvres et des opprimés et premier saint laïquede l’histoire. Il est mis de pair avec d’autres héros des an-nées 1960, les James Dean, Marilyn Monroe et, pourquoipas, John Kennedy, dont la mort continue d’alimenter larumeur. Dans les chambres d’étudiants, il avait droit à sonaffiche entre celles de Jimmi Hendrix et de Janis Joplin.

Comment Che Guevara, symbole avéré des années 1960,peut-il être encore si vivant dans la mémoire populaire ?

Pour commémorer le trentième anniversaire de la mort duhéros national, en 1997, les Cubains ont voulu retrouver la

Le 9 octobre 1967, des soldats boliviensexécutent le révolutionnaire cubain ErnestoChe Guevara, puis enfouissent son corps« n’importe où », à flanc de montagne, prèsde Vallegrande. On ne trouvera ses restesque trente ans plus tard, comme ceux desix de ses compagnons. Ils seront tousrapatriés à Cuba en 1997.

Page 19: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

dépouille de Guevara. Ils obtiennent de l’État bolivien unpermis de fouilles dans la région du village de Vallegrande.Après de nombreux obstacles, dont un ordre de cesser lesfouilles émis par la mairie du village, une équipe de scien-tifiques argentins et cubains reprend les recherches en mai1997. Ils découvrent les ossements du Che et ceux de six deses compagnons. Pour le trentième anniversaire de sa mort,Ernesto Che Guevara est rapatrié à Cuba et trouve à SantaClara, « dans un mausolée devenu lieu de pèlerinage mon-dial », son dernier repos.

Après le départ des restes de Guevara vers Cuba, la ré-gion de Vallegrande perd son attrait touristique. C’estd’ailleurs la raison pour laquelle la mairie avait fait retirer lepermis de fouilles, puis ordonné l’arrêt de toute activité aprèsune dizaine de mois de recherches infructueuses. Le maireaffirmait aussi que « si les restes du Che étaient effective-ment exhumés, ils devraient rester à Vallegrande ». « Nouslui construirons un mausolée », promettait-il, avant de ré-véler qu’il existait un projet touristique du genre « sur lestraces de Che Guevara », parrainé par une organisation nongouvernementale italienne. De plus, le financement duprojet allait permettre une amélioration des infrastructures.Finalement, le mausolée et l’attraction touristique se dépla-ceront de Vallegrande (Bolivie) à Santa Clara (Cuba).

Après la mort de son compagnon de combat, commentFidel Castro a-t-il utilisé l’image du Che pour soutenir lesréalisations cubaines ?

Fidel Castro a toujours eu besoin d’Ernesto Guevara pourinternationaliser la Révolution cubaine. Il savait très bienque l’ascendant naturel et les arguments de son ami étaient

L’une des nombreusesaffiches représentantGuevara incorporant

ici des élémentsdu drapeau cubain.

Photo : www.che-lives.com

Page 20: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

ce qu’il fallait pour mener à bien ce projet. Tout naturelle-ment, les rôles se sont précisés : Castro devient politicien etGuevara, le pur et dur, poursuit aux quatre coins de la pla-nète sa lutte contre l’impérialisme.

Immédiatement après la mort du Che, Castro fait sa-voir que la révolution continue et que les plus jeunesdoivent prendre le flambeau. Il les incite à le faire en glori-fiant les exploits de son ami et en mettant de l’avant toutesles qualités relevées par de nombreux camarades et obser-vateurs qui racontent comment le Che était un modèled’intégrité, d’honnêteté, de sincérité, de stoïcisme, qu’ilmenait une vie de Spartiate, qu’il avait un sens de la justicequasiment maladif... Et de donner des exemples :

Après le triomphe de la Révolution, des camarades luioffrent une jolie Oldsmobile pour remplacer sa vieille ba-gnole dégingandée ; le Che refuse et demande qu’on luidonne une vieille Chevrolet. « L’ouvrier qui travaille dansune fabrique de bicyclettes n’a pas à avoir de bicyclette s’ilne la mérite pas », affirme-t-il.

Oscar Fernández Mell, ancien compagnon de Guevaratravaillant au ministère des Affaires étrangères, connaissantl’amour de Guevara pour les montres – et continuant latradition des barbudos – décide de lui en offrir une en orsachant que son cadeau pourra être refusé, car il en accep-tait peu. Deux jours plus tard, il reçut une note de Guevara :« Vous avez contribué pour quelques grammes d’or au trésorde la République de Cuba. »

Le témoignage de José Manuel Manresa rappelle l’épo-que où le Che était ministre de l’Intérieur :

« Le Che interdisait que l’on mangeât au minis-tère quoi que ce soit qui ne figurât dans le livretde rationnement. Lorsqu’il détectait dans sa nour-riture quelque chose d’un peu spécial, de la viande

Tradition

Depuis l’épopéede la sierra Maestra,les barbudos, commemarque de camaraderieet de respect, s’offrentdes montres-bracelets.Castro lui-mêmeoffre une Rolex àGuevara avant son départpour le Congo…Il l’aurait acceptée !

Page 21: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,
Page 22: Extrait de la publication...destinée en main tout en s’éloignant des modèles figés du communisme ou du capitalisme. Peu après la guerre d’In-dochine, du 18 au 24 avril 1955,

Extrait de la publication