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Extrait de la publication

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ALBERT VULLIET

VALLOURDroman

ruf

GALLIMARD

5, rue Sébastien-Bottin, Paris Vil-

Quatrième édition

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Il a été tiré de cet ouvrage, -vingt-cinq exemplairessur vélin pur fil Lafuma-Navarre, dont vingt numé-rotés de i à 20, et cinq, hors commerce, marqués

de A à E.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les payscompris la Russie.

© 1956, by Librairie Gallimard.

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Je tenais alors l'emploi de secrétaire demairie dans le village qui m'a vu naître.

Sur les registres de l'état civil, l'encre de

mon acte de naissance avait pâli et pour-

tant j'étais jeune, très jeune et le savais

je portais ma jeunesse comme une décora-tion.

En ce samedi soir d'août, où l'été lais-

sait prévoir son apaisement, il y avait en

moi une joie sereine, un grand calme aug-

menté de tout le calme qui l'avait précédé

et de celui qui devait le suivre.

J'étais dans un univers bien établi querien ne devait venir troubler, si loin que

se portât mon imagination. Je remplissais

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une aimable sinécure qui me laissait bien

des loisirs et me permettait de longues

méditations, comme celle qui m'occupaitmaintenant dans la mairie déserte, autour

de laquelle se développerait ma vie et quiaboutirait, après de nombreuses années, à

une retraite à peine plus paresseuse. Tout,

de mon âme et de ce qui gravitait autourde moi, contribuait à me faire une humeur

sereine et égale autant que si je m'étais

appuyé sur l'amitié de trois rois.

Ce samedi soir était le dernier jour de latranquillité qui emplissait toutes mes pen-sées et dans laquelle s'épanouissait ma joie,

béatement. Mais. je ne le savais pas.

A la veille d'un jour heureux, d'une fête,

j'aimais faire l'inventaire de ma vie, un

inventaire complaisant et, à savourer ces

beautés unies qu'on croit avoir épuisées,je recevais toujours le même plaisir.

Mon univers était vite défini, le décor

vite posé. Vallourd, la veille de la fête etla mairie, contenaient toute ma vie dans

un vase simple.

La mairie, c'était tout un bâtiment, avec

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les dépendances, le hangar des pompes,mais c'était surtout la salle commune où

s'abritaient les délibérations du conseil

municipal, où l'on célébrait les mariages,où se géraient toutes les affaires de la

petite patrie. Un buste de Marianne, hautperché, lui servait fd'insigne officiel, sur unfond de draperie dont les trois couleurs

avaient depuis longtemps fraternisé.Elle était grande, cette salle, et bien

éclairée par d'immenses croisées qui don-

naient sur la place et sur un verger et jel'aimais bien c'était là que j'accomplissais

mon œuvre de gratte-papier.Car j'étais le scribe anonyme dont on

compulserait plus tard les dossiers. Dansmon écriture appliquée, les hommes encoreà naître verraient révélée la gestion de leur

pays, le soin que nous aurions apportéà d'insignifiantes questions, avec les pointssur les « i », les « t » bien barrés. Mais il

n'est rien d'insignifiant quand il s'agit dedéfendre une seule motte de terre, de bien

administrer le lopin qui nous a été confié.

Ils y apprendraient, ceux qui viendraient

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de temps en temps animer les feuillets jau-nis, qu'avant eux on avait pris soin dupatrimoine qui leur serait échu et qu'ilsl'auraient reçu tel à travers la longue pa-

tience des générations passées commemoi, en me référant aux archives dont le

parfum était de poussière endormie, je mereposais sur le travail des anciens.

La longue table, les sièges aux dossiers

luisants, le parquet aux nœuds saillants, laglace de la cheminée ternie sur les bords,les grands rideaux d'un blanc assoupi, lesphotos des enfants de Vallourd morts pourla France, d'une teinte fanée et brunie

comme des feuilles sèches, tout, dans la

mairie, attestait un long usage, montraitune nette usure.

Alors que le village s'enfiévrait dans les

préparatifs de sa fête, la mairie avaitrecueilli tout silence. Et cet effacement des

choses que nous ne dérangeons pas m'invi-

tait à prolonger, à approfondir ma médi-tation.

J'embrassais toute ma vie, même dans

son avenir. Je voyais l'océan de tranquillité

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dans lequel je vivais sans efforts, sans autres

efforts que ceux que je m'imposais,s'étendre.

Je croyais embrasser l'avenir avec la

logique artificielle du segment de droite

prolongeant le segment de droite la quié-

tude des jours présents était garante decelle des jours à venir. Il n'était guère témé-

raire de voir ma plate vie se continuer jus-

qu'à ce qu'elle échouât dans la retraiteprévue et méritée.

Le dessin était net ma médiocrité dure-

rait tant que je m'y enliserais car cet

emploi, même s'il n'était qu'une sinécure,un jour me pèserait. Je m'installerais alorsdans une foule de manies habiles à tuer le

temps, insensiblement ces manies qui ne

demanderaient qu'à devenir mes esclaves,

pourvu que je devinsse le leur.

Oh, j'étais bien renseigné par le spec-tacle de vieux fonctionnaires que leur office

avait confinés dans le village comme

eux, je deviendrais amateur de belote, pas-

sionné de tarots comme eux, je tiendrais,

avec des compagnons vieillis dans le même

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temps que moi, au café du Centre, à unetable habituelle, de ces longues et vainesparlotes où les mots. tournent en rondcomme des écureuils sur leur roue. Ma

place, dans le village, serait influente. Unmariage aisé, comme il s'en offre aux gens

de mon espèce qui ne se salissent pas lesmains avantage apprécié à la campagne 1

clorait un chapitre qu'il aurait étébien tentant de voir se développer, secompliquer, devenir aventure.

Et je deviendrais, moyennant ma jeu-

nesse et les années qu'on dit les plus belles,

un monument historique de Vallourd,

semblable à certains vieillards que je pou-vais voir de ma fenêtre, emmaillotés desoleil sur un banc.

Il y avait, dans cette vue des années à

venir, une unité de ton, un doux asservisse-

ment, qui arrivaient à flatter en moi je ne

sais quel goût pour un bel échec venu de

loin, bien préparé, bien poursuivi.Deux ans plus tôt, j'étais encore sur les

bancs d'un collège. Je préparais mainte-nant d'autres examens qui m'ouvriraient

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peut-être les portes d'une destinée plusbrillante mais je faisais ces études avec

mollesse la poursuite me satisfaisait telsces chasseurs, souvent rencontrés en

automne, qui sont contents d'avoir marchédans la rosée, leur fusil en bandoulière

ils ont pris de l'exercice, leur chien a donnéde lavoix cela suffit

Bien sûr, je m'insurgeais contre mes

imaginations et contre moi-même qui les

acceptais presque en m'y arrêtant si com-plaisamment. Le temps, comme les rivières,

ne remonte jamais vers sa source; il ne faut

pas gâcher ce qui passe. Cependant, la vie

que je me prédisais ne m'apparaissait pas

très grisâtre. Et si elle s'était imposée, jel'aurais soufferte sans grande révolte, àcause des beautés qui, chaque jour, larehausseraient.

Les parlotes, les manies? Il y a là-dedansdes amis, et une amitié est un trésor au

fond de nos campagnes autant que pourNisus et Euryale au milieu des combats.

Tant de beautés relèvent la vie la plusterne Mon pays est beau le sentiment

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de sa beauté n'était pas fugitif aperçu,mais ancienne affirmation que chacun de

mes regards appuyait.Cette beauté qui longerait mes jours

m'empêchait de voir la faillite vers laquellem'entraînait ma rêverie. A cause de l'éclat

du jour, de la compagnie d'une amitié, dela douceur de vivre, j'aurais vu sans frayeur

se réaliser le banal destin et peut-être de

tous espoirs ne me resterait-il comme pa-

lais que ce destin. Je m'en contenterais, s'il

le fallait, aussi simplement que je le disais.

Mais dans mon cœur, je n'allais pasau-devant de cela car, pour moi, les hori-

zons, déjà majestueux, de Vallourd ne bor-

naient notre pays que pour l'agrandir.

A peine effleurais-je l'amour dans mes

pensées, tant son absence m'était légère.J'avais aimé j'avais connu de ces liens

dont le nœud, mal fait, se relâche et se

défait tout seul, et qu'on appelle amou-

rettes, ces semblants qui approchent del'amour, le cœur en moins j'avais cru

aimer avec passion j'avais mordu à ces

appâts.

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C'était le vingt et un août, vers septheures du soir premier soir d'amour et

qui s'ignorait.Vallourd s'était doublé d'un village ba-

riolé, pêle-mêle roulottes, manèges et bara-

ques, animé de bohémiennes souples quifurent belles, mais quand ? on ne les

voit jamais que souples et laides. Nomadesqui apportaient un peu d'insolite dansnotre vie, tel le petit cirque qui revenaitchaque année, qui accostait un soir et nelaissait le lendemain que le relent fauve

de ses bêtes sur l'herbe foulée du pré de

foire. La vie toujours diverse de ces gens,

plantée sur toutes les places, qui n'a le

temps de s'ennuyer et de s'attacher nulle

part, qui écoute la chanson de toutes lesfontaines, je ne manquais jamais de la

comparer ànotre vie qui n'est pas faited'extraordinaire mais de l'effort répétéet banal, nous, dont la vie use toujours les

mêmes pierres. Mais ils sont gens passa-

gers et vite nous laissaient à notre calmeretrouvé.

Leurs chiens pactisaient avec les chiens

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du village et tous grognaient autour dumême os.

Le long des manèges, des estivants dés-œuvrés passaient ils semblaient tenir enlaisse un ennui léger et continu.

Je voyais le garde-champêtre arroser lesfleurs du monument aux morts figé entre

les quatre pompons de ses acacias.Chichou, le ferblantier, célèbre autant

que le loup blanc et rond comme un bou-let, vint me demander la clé du hangardes pompes pour préparer le canon. Aux

festivités, le canon tonne à Vallourd Je

ne me rappelais pas avoir jamais entendula fameuse pièce sinon la veille des fêtes,

car le grand jour, l'artilleur avait coutume

d'être saoul comme un régiment de grives

qui auraient servi sous feu sa majesté le roi

de Pologne. Demain, il en serait probable-ment de même.

La vogue se place au moment de la plusparfaite maturité de la belle saison, au

plus brillant de l'année, comme une fusée

qui éclaterait au plus haut de sa trajectoire.Elle marque la fin des gros travaux de la

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terre, elle est la grande pause et elle estornée de toutes les joies. Les jours sont

alors habillés de poudre d'or, comme onvoit les fruits vierges. Personne ne demeu-

rait insensible à l'atmosphère qui se pré-

parait presque tout de moi appartenait àla vogue.

Comment aurais-je pu redouter un avenirque magnifiaient le ciel bleu et la fête dulendemain ?

Le soleil déclinant illuminait les grands

rideaux, comme des voiles prêtes au dé-

part. Alors, mes rêves m'emportaient.J'étais jeune, plein d'imagination et d'ar-

deur, quels rêves se seraient refusés à moi ?

Et même, ils me venaient si beaux qu'ils

ne m'engageaient pas à les revêtir de réa-lité.

Ce samedi soir d'août et ma jeunesseétaient bien tous deux la veille de fêtes

splendides ils introduiraient de si beauxdimanches 1

Je sortis mon village se présentaitVallourd, ses toits gris tourterelle et de

vieille pourpre, bas, étroitement unis à

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l'azur, était à son aise, très aéré rueslarges, espaces tout imbibés de ciel Val-lourd osant confronter ses couleurs pati-

nées à l'azur avec lequel il s'accordaitet le soleil complice avait mûri Vallourd

comme un fruit choisi sur un espalier.Je parlai avec l'un, échangeai une plai-

santerie avec un autre nous nous quit-tions sans un « au revoir », comme nous

nous étions abordés avec, pour tout salut,un joyeux « il fait beau ». Longue inti-

mité entre habitants d'un même pays, quise voient journellement et restent tou-

jours tournés les uns vers les autres.Monsieur le Maire m'avait demandé de

veiller à la bonne ordonnance du feu d'ar-

tifice qui devait être tiré le soir même, enprélude lumineux de la vogue. J'allai doncau pré de foire, l'esprit éparpillé sur lessignes qui présageaient une journée inha-bituelle.

Je me rappelle avoir, ce soir-là, regardémon pays plus que jamais, l'avoir tout

rassemblé en moi, paysage par paysage,comme j'avais auparavant réuni toute ma

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