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  • Extrait de la publication

  • ESSAIS CRITIQUES

    I

    Extrait de la publication

  • BIBLIOTHÈQUE DU NOUVEAU MONDE

    directeur

    Jean-Louis Major

    comité éditorial

    Roméo Arbour, Yvan G. Lepage, Laurent Mailhot

    La Bibliothèque du Nouveau Monde regroupe des éditions critiques detextes fondamentaux de la littérature québécoise. Elle est issue d'unvaste projet de recherche subventionné par le Conseil de recherches ensciences humaines du Canada: le CORPUS D'ÉDITIONS CRITIQUES.

    Extrait de la publication

  • B I B L I O T H È Q U ED U N O U V E A U M O N D E

    Louis Dantin

    ESSAIS CRITIQUES

    I

    Édition critiquepar

    YVETTE FRANCOLICollège de Sherbrooke

    2002Les Presses de l'Université de Montréal

  • Cet ouvrage a bénéficié d'une subvention du Programme d'aide àl'édition savante de la Fédération canadienne des sciences humaines etsociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches ensciences humaines du Canada.

    Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère duPatrimoine canadien du soutien qui leur est accordé dans le cadre duProgramme d'aide au développement de l'industrie de l'édition. LesPresses de l'Université de Montréal remercient également le Conseildes Arts du Canada et la Société de développement des entreprises cul-turelles du Québec (SODEC).

    Données de catalogage avant publication (Canada)

    Dan tin, Louis (pseud. de Eugène Seers, 1865-1945)

    Essais critiques

    (Bibliothèque du Nouveau Monde)Éd. critique

    Comprend des réf. bibliogr. et un index

    ISBN 2-7606-1 805-6 (v. 1)ISBN 2-7606-1846-3 (v. 2)

    1. Littérature canadienne-française - Histoire et critique. I. Gonzalo-Francoli, Yvette. II. Titre. III. Collection.

    PS8073.D37 2002 C840.9 C2002-940731-1PS9073.D37 2002PQ3903.D37 2002

    Typographie et montage: Marie-Andrée Donovan

    Tous droits de traduction et d'adaptation, en totalité ou en partie, réservés pourtous les pays. La reproduction d'un extrait quelconque de ce livre, par quelqueprocédé que ce soit, tant électronique que mécanique, en particulier par photo-copie et par microfilm, est interdite sans l'autorisation écrite de l'éditeur.

    ISBN 2-7606-1805-6Dépôt légal, 3e trimestre 2002

    Bibliothèque nationale du CanadaBibliothèque nationale du Québec

    © Les Presses de l'Université de Montréal, 2002

    Extrait de la publication

  • Introduction

    Et pour moi, bohème-né, j'ai erré dans des avatarsinnombrables en poursuivant des idéals cruels quidélivrent et tyrannisent à la fois. Le résultat melaisse naufragé et à demi mon mais, par Dieu,l'œil encore ouvert, cherchant à distinguer ce quiest vrai et ce qui est beau — décidé à périr lesmains tendues vers le progrès.

    Louis Dantin

    LtE DÉVOUEMENT d'Eugène Seers (mieux connu sous son nomde plume de Louis Dantin) à la cause des lettres canadiennes-françaises est sans précédent. Peu d'écrivains furent aussiprofondément pénétrés d'une mission à remplir. Les jeunespoètes qui le consultaient lui en surent gré, ainsi qu'entémoignent leur correspondance et les hommages qu'ils luirendirent au lendemain de sa mort. Mais l'écho de leurs voixenthousiastes ne parviendra pas à franchir les murs de l'indif-férence — ou de l'ignorance — du grand public. Louis Dantin estencore aujourd'hui «celui-qui-a-fait-connaître-Nelligan». Onignore généralement qu'il fut un grand poète, un savoureuxconteur et le premier, sinon le plus brillant, de nos critiques

    littéraires. Déjà, au début des années cinquante, AlfredDesRochers déplorait que le temps eût effacé si vite le souvenir«du plus patient et du plus contemporain de nos critiques», celuiqu'il appelait «le véritable père spirituel des Individualistes de1925 », et il espérait que «quelque archéologue» le redécouvriraitun jour (Carnets viatoriens, octobre 1952)*.

    * Les références, abrégées ici et dans les notes (p. 851-962), figurent au long dansla bibliographie (p. 963-995).

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    Pour commencer à comprendre cet homme complexe etmystérieux, condamné à vivre en exil, qui se dédoublait à souhait,c'est à son œuvre qu'il faut revenir, notamment à son lexique, dontcertains mots forment un réseau d'images symboliques. Les motsde la lettre du 22 avril 1927 de Dantin à Louvigny de Montigny citéeen épigraphe — «bohème», «errance», «avatars», «naufrages»,«idéals», «le vrai», «le beau», «le progrès» — nous mettent déjà surla voie. Derrière ces éléments lexicaux (les mêmes qui lui ont servià évoquer «l'intéressante figure» d'Emile Nelligan) se profile unhomme pris dans les filets du destin, qui se débat et résiste au nomd'idéals qu'il sait inaccessibles et dont l'œuvre tire sa forceémotionnelle de son propre conflit intérieur.

    Toute la vie d'Eugène Seers se joue à l'adolescence, lors d'unvoyage en Europe. Un mois après son arrivée, il abandonnebrusquement le monde pour un cloître belge et l'âpre disciplinedes reclus. Décision qui allait avoir de dramatiques répercussionssur sa vie, son caractère et son œuvre. Très vite, il se reconnaîtsensuel d'imagination et de sang et se heurte à tous les murs de sacage: «Vieillard à vingt ans, a-t-il dit, sevré de tout plaisir, j'aicondamné ma chair aux rigueurs du cilice. » La soutane est devenue«une camisole de force», «une tunique de Nessus»! À l'âge devingt-sept ans, un amour humain vient remplacer l'amour de Dieu

    et lui insuffle le courage de s'affranchir du joug qui l'opprime. Etcet être timide et effacé, qui a horreur de tout éclat, montre soudainque le scandale, mot qui revient si souvent sous sa plume, ne luifait pas peur quand il s'agit d'affirmer sa volonté.

    Cette première tentative d'évasion se soldera par un échec.Sitôt entrouvert, le piège se refermera sur lui et le retiendrapendant dix autres années. Puis ce sera l'exil, où il mènera de frontle métier de typographe et celui de critique littéraire, et d'où il nereviendra jamais plus. D'autres liaisons, différemment exaltantesou cruelles, se termineront aussi par des «naufrages», et diversesadmirations littéraires le confirmeront peu à peu dans sa

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    psychologie des extrêmes: avec Coppée, Rodenbach et Jammes,il écoute, recueilli, les cloches de l'Angélus; avec Baudelaire etVerlaine, il respire l'arôme des «fleurs maladives». Sa vie est une«immense dissonance» qu'il accepte avec une résignation et unehumilité déconcertantes. Mais dans cette soumission agenouil-lée, il y a toujours chez lui une forme d'orgueil et de provocation.

    Dès son retour d'Europe, Dantin avait mené à Montréal unevie double: moine et artiste. Aux yeux du monde, il était le pas-teur qui guide les âmes, celui dont l'esprit est tendu vers lesrégions célestes, mais dans la clandestinité, il menait une vied'artiste bohème en marge d'un groupe déjeunes peintres et dejeunes poètes dont il partageait les idées et souhaitait devenir lementor. Cultivé, érudit même, féru de latin et de grec, il touchetout de son génie: musique, peinture, littérature, mais sans s'yposer davantage, se contentant de montrer la voie d'un gestelarge. Son influence a marqué deux époques, deux générationsaussi: les poètes de l'École littéraire de Montréal et ceuxqu'Alfred DesRochers a appelés «les Individualistes de 1925».Mais au rôle de chef d'école, il préférait celui de «lanceur demérites incompris», d'«éveilleur de conscience», à l'abri de nom-breux masques.

    Les pseudonymes : une multitude humaine

    Les essais critiques de Dantin ne s'éclairent vraiment qu'à lalecture de ses textes de création et de sa volumineuse corres-pondance. Seule une analyse fouillée de ces documents permetde cerner l'ampleur du rôle qu'il a pu jouer, publiquement et sousle masque, d'abord au tournant du siècle, à Montréal, puis dufond de son exil, aux États-Unis. On y verrait notamment sedessiner certaines constantes qui, par un curieux phénomène demimétisme, se prolongent dans l'œuvre de poètes bien connus,Emile Nelligan, Arthur de Bussières, et de quelques autres restéscachés sous des pseudonymes non encore élucidés: Sylvio, le

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    chroniqueur du Passe-temps, et Silvio, le poète du Samedi, ce«Rimbaud du Canada français» qu'André Renaud1 avait soup-çonné avant nous être nul autre que Dantin. Voilà pourquoi sansdoute le pseudonyme Louis Dantin devait donner naissance auxjumeaux anagrammatiques Donat Sylvain et Donat Silvin. Labranche française de la famille italienne Sylvio-Silvio ! Par samère, Dantin descendait des Perrin, originaires du Languedoc,et des Del Vecchio du duché de Milan. Une lecture parallèle destextes de Silvio, de Dantin et de Nelligan ne laisse aucun doutequant aux liens de parenté qui les unit. Il suffit par exemple decomparer le poème en prose de Silvio, «Les loups» (Le Samedi,11 février 1899), avec «Paysage» de Nelligan (Le Monde illustré,21 août 1897; «Paysage fauve», dans l'édition princeps) et«L'adorateur des glaces» du père Seers (PMSS, mars et avril 1902,p. 93-96 et 123-128; non signé), pour voir surgir tout un réseaude similitudes thématiques, métaphoriques et lexicales.

    Silvio et Louis Dantin ne furent pas les seuls masques du pèreSeers. Il en a eu bien d'autres. En fait, il n'a jamais rien signé deson vrai nom. Il a commencé par utiliser les initiales de sonpatronyme, «E. S.», puis Eugène Voyant, pour les textes qu'il afait paraître à Paris dans la revue de sa communauté, Le Messagerdu Saint-Sacrement. «Voyant» est de toute évidence la traductionfrançaise de son nom de famille d'origine britannique, Seers2,tout comme Sylvain-Silvin et Sylvio-Silvio sont vraisembla-

    blement censés lui rappeler ses origines latines. Il a dit que «troisraces, avec leurs caractères contrariés, se trouvaient compriméesen lui», au point qu'il lui arrivait parfois de sentir «trois individusse chamailler dans son crâne et le tirer à tour de force chacun deleur côté » :

    Dans quelle mesure ont-elles, en rompant l'équilibre de mon être etmêlant la trame de ma destinée, concouru à me faire ce que je suis?De l'Italie, amante de la Beauté, je tiens peut-être mes goûts d'artiste ;tandis que de la France me viennent mon esprit raisonneur et montempérament émotif, et de l'Angleterre, un certain flegme qui me

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    fait rester calme dans la tempête et accepter en fataliste les surprisesde la vie (Projet d'autobiographie, cité dans Louis Dantin, p. 54).

    Dès son retour à Montréal, Eugène Voyant, le «clair-voyant», signera «Lucius» (le «porteur de lumière») quelquesarticles et récits dans Le Tout Petit, journal des activités culturellesdu bazar organisé par les Pères du Saint-Sacrement. Puis Luciusengendre à son tour Lucyan, nom du poète occasionnel quipublie dans Le Petit Messager du Saint-Sacrement — revue qu'ilvient de fonder sur le modèle parisien — une longue pièce enalexandrins sur la fin tragique d'un héros de la Révolution

    française: «Une messe sur l'échafaud». Et, ultime forme de lamétamorphose «lumineuse» («Lumen di lumine»), ce sera LucienDanet qui enverra en 1909, à La Revue moderne, la très « scabreuse »pièce intitulée «Pour des cheveux». Car «à quoi bon scandaliser"les braves gens" quand on peut simplement les mystifier unpeu?», écrira celui que tout le monde appelle désormais Louis

    Dantin (lettre du 19 avril 1929 à Alfred DesRochers).

    Il a également signé «Marjiotta» (de Domenico Margiotta,un ex-franc-maçon italien) un article paru dans La Presse le30 mars 1897, «Héroïsme chevaleresque», dans lequel il mettaiten garde Jules Tardivel, le directeur de La Vérité, contre le risquede se ridiculiser en se rendant «À Paris, le 29 avril» (comme ill'avait annoncé dans La Vérité du 27 mars) pour assister aux«révélations» de l'ex-palladiste américaine Diana Vaughan3. Cejour-là, la plus grande supercherie du siècle allait en effet éclaterau grand jour quand, devant un auditoire nombreux et fébriled'impatience, Léo Taxil4 avait finalement avoué s'être moqué detout le monde pendant douze ans en se faisant passer pour Diana

    Vaughan. Pour Tardivel, qui n'avait cessé de lutter contre lescepticisme croissant que les déclarations de la jeune femmesoulevaient de la part des jésuites et de certains journauxeuropéens5, grande avait été sa déconvenue, ainsi qu'en témoi-gne le télégramme qu'il adressait à son journal pour annoncer

    Extrait de la publication

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    son retour immédiat au pays : « Ignoble fumisterie arrêtée froide-ment par Léo Taxil devant auditoire6.» La Revue canadienned'avril 1897 devait consacrer un long article («Mémoire deM. l'abbé de Bessonies en faveur de Miss Diana») aux dessous decette curieuse affaire, mais il semble que Seers-Marjiotta ait euune longueur d'avance sur tout le monde. «Puissiez-vous,surtout, ironisait-il, ne point tomber, emporté par le souffleimpétueux d'Aquilon, dans la gueule épouvantable du grandserpent de mer qui vous empêcherait à jamais d'avaler maintecouleuvre éclose dans l'antre de Taxillus, l'enchanteur!» Voilàdonc un mystificateur mêlé à la plus étrange affaire de mystifi-cation du siècle !

    Pour corser le tout, c'est à Louis Perron, le rédacteur duSamedi, un autre mystérieux personnage soupçonné d'avoir étéà la fois Silvio-Sylvio et Louis Dantin, que l'on doit, en 1896, lapublication en feuilleton de l'ouvrage de Taxil, Le Diable au19e siècle. Au moment des «révélations» de Taxil, Perron a laisséentendre, à propos de «cette colossale mystification», que«depuis longtemps ceux qui [étaient] au courant des dessous dela littérature savaient, à n'en pas douter, que le peu recomman-dable maître Jogand, dit Taxil, était l'unique auteur du Diable» etque les œuvres attribuées à Diana Vaughan «étaient toutessorties de la même usine, celle de son cerveau facétieux». EtPerron de se moquer lui aussi de Tardivel qui « avait inutilementtraversé l'Océan, sans pouvoir l'admirer » (Le Samedi, 22 mai 1897,

    P- 7).

    Qu'Eugène Seers ait eu une aïeule paternelle qui s'appelaitUrsule Perron7, et que sa mère se nommât Héloïse Perrin, celamérite certainement d'être souligné. Surtout quand on sait quesa grand-mère maternelle s'appelait Gabrielle Hamelin8 et qu'ils'était donné pour double littéraire Georges Hamel. Mêmesinitiales et presque même patronyme !

    Extrait de la publication

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    Et la liste des pseudonymes de s'allonger... Pour ses nom-breux textes poétiques parus dans Le Petit Messager du Saint-Sacrement, de novembre 1898 à décembre 1899, Eugène Seersutilisera l'anagramme de son nom, «Serge Usène9», dont ilexisterait, selon le Dictionnaire des pseudonymes, une variante,Serge Usine, que nous n'avons retrouvée nulle part. Puis, aumoment où Serge Usène disparaît des pages du Petit Messager,arrive Marie Aymong10 qui assume la rubrique des «Fleurseucharistiques de Nouvelle-France». La publication de cettechronique cessera subitement après le départ précipité du pèreSeers, en mars 1903. Qu'il faille ajouter à son répertoire lachronique de Marie Aymong11 ne saurait surprendre puisque, del'aveu même de ses confrères, le père Seers rédigeait tout lui-même dans cette petite revue.

    Le prénom de Serge Usène se retrouvera chez Serge d'Antanqui, le 24 juin 1901, fait paraître dans le Journal de Montréal, à

    l'occasion des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste, la légende«Évocation», pièce qui se voulait l'illustration du dessin dufrontispice représentant «tous les héros, les vainqueurs, lesvaincus, les martyrs, les grands cœurs, marins, femmes, soldatsou prêtres12...» qui ont contribué à la fondation du pays.Participaient à ce numéro spécial Françoise, Colombine, Gaétanede Montreuil, Madeleine, Gustave Comte, Rémi Tremblay,Gonzalve Desaulniers, Mme Dandurand, Nérée Beauchemin etmême Marie Aymong avec «une page de l'Histoire du Pays» qui

    met en scène Champlain assistant à une messe célébrée en plein

    air, le jour de la fête nationale. Un an plus tard, dans un articleparu dans Les Débats (23 juillet 1902) et intitulé «Le cléricalisme,voilà l'ennemi», Serge d'Antan deviendra Pierre Vieuxtemps —en souvenir sans doute du prénom Pierre qu'Eugène Seers s'étaitjadis donné en religion.

    Dantin a montré qu'il ne manquait pas d'ingéniosité quandil s'agissait de se fabriquer un nouveau pseudonyme. Selon les

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    nécessités et les circonstances du moment, il trafiquait tantôt sonnom de famille, tantôt son prénom, tantôt ses initiales, commece fut le cas, semble-t-il, d'Emile Escande, poète qui signe de cepseudonyme des pièces dans les journaux et revues de Montréal,de 1898 à 1903. Une «note» dans Pseudonymes québécois (p. 85)laisse entendre que Luc Lacourcièfe avait songé à attribuer cepseudonyme à Emile Nelligan, mais que cela lui paraissait«douteux». Pour la simple raison sans doute que l'apparition dece poète sur la scène littéraire montréalaise coïncide avecl'internement de Nelligan.

    Lors de son exil à Boston, Eugène Seers, alias Eugène Voyantà Paris, deviendra Eugène Cyr. C'est ainsi qu'il signe sespremières lettres à Germain Beaulieu et qu'il figure sur la listedes abonnés du Terroir. Puis, pour ses traductions du françaisà l'anglais et à l'italien (et vice versa) parues dans la revuebostonienne The Universal Bureau, il adoptera Eugène Dantin13.

    Gabriel Nadeau devait découvrir dans les papiers personnelsd'Eugène Seers une liste manuscrite des doubles anagramma-tiques de Louis Dantin. D'une écriture tremblante et maladroite,Dantin, alors quasi aveugle, avait écrit: «Tildon Aunis, DanilTousin, Donat Silvin, Donat Sylvain et Saint-Linoud». Si on neretrouve aucune trace des trois premiers, on connaît bien DonatSylvain, le porte-parole de l'auteur avec l'instituteur noirMonsieur Lewis (un clin d'oeil à Louis... Dantin ?) dans son romanautobiographique Les Enfances de Fanny. Quant à Saint-Linoud, ilest le présumé auteur de la «chanson nature», intitulée UnManuscrit retrouvé à Kor-El-Fantin14, morceau de bravoureerotique qui, de l'avis même de Dantin, était «une gageure pureet simple » dans le genre de celles de Verlaine que son ami Dion-Lévesque lui avait fait lire (lettre à Rosaire Dion-Lévesque,12 février 1938). Dans la même veine, il a signé «Aristide»l'audacieuse pièce intitulée «Pour des cheveux», dont il existeune dactylographie dans le fonds Alfred DesRochers. Mais

    Extrait de la publication

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    Aristide (de toute évidence inspiré du poète grec Aristide deMilet, auteur des Contes milésiens erotiques) sera abandonné enfaveur de Louis Danet lors de la publication de cette pièce dansLa Revue moderne, en 1928.

    Il semblerait qu'en 1909, au moment d'apporter sa collabo-ration au Terroir, que venait de fonder son ami Beaulieu, Dantinait envisagé d'autres masques possibles: Jules Paty, LucienLefranc, John Smith (lettre à Germain Beaulieu, 29 mars 1909),sans compter les pseudonymes qu'on a voulu un peu hâtivementattribuer à Emile Nelligan : Eugène Fayolle15, Emile Kovar, EmileEscande. Mais, comme l'a fait remarquer Jacques Michon, «plusd'un exégète, et non des moindres, se sont fourvoyés enattribuant à Nelligan des poèmes qui n'étaient pas de lui» (EmileNelligan, Poèmes et textes d'asile, p. 25). N'est-il pas déjà suspectque ce soit Dantin lui-même qui ait fait connaître le mystérieuxKovar en reproduisant dans Les Débats, en 1900, un de ses sonnetssous le nom de Nelligan: «Silvio pleure», pièce qui s'intitulaitinitialement «Silvio Corelli pleure». Encore un autre «Silvio»! Ilen va de même du sonnet «Nuit d'été» (paru pour la premièrefois dans l'édition princeps) qui est, la même année, la versionversifiée d'un poème en prose, de même titre, signé Silvio. Biend'autres éléments prouvent que Nelligan ne pouvait être l'auteurdes sept poèmes parus sous le nom d'Emile Kovar16, à l'été 1896,dans Le Samedi de Montréal. Et cela suffit pour redéfinir le rôle

    que Dantin a pu jouer dans l'œuvre nelliganienne et au sein dupetit cercle littéraire de cette époque.

    Fayolle, Kovar et Kadio (un autre collaborateur du Samedi)sont tous trois des pseudonymes inspirés de héros littéraires dela Révolution française qui se sont illustrés lors de la guerrevendéenne. Fayolle, sorte de double de La Fayette, tire son nomde celui du héros d'un roman de Gérard de Nerval, Le Marquisde Fayolle; Emile Kovar, de Paul Kauvar, prototype, selon lesspécialistes de l'œuvre nelliganienne, de Camille Desmoulins

    Extrait de la publication

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    dans l'œuvre dramatique de l'Américain Steele Mackaye, PaulKauvar or Anarchy, et Kadio, du nom d'un héros de la Terreurdans le roman et l'œuvre théâtrale de George Sand, Cadio.Comme par hasard, c'est Kadio qui fut chargé de présenter auxlecteurs du Samedi le «sonnettiste Silvio» dans un récit qui nousle montre en compagnie de sa muse (tout comme EdmondDyonnet, quelques années plus tard, fera le portrait du poèteLouis Dantin pour les lecteurs des Débats). Or, quand ces poètesmasqués se produisent dans Le Samedi, Nelligan est un collégiend'une quinzaine d'années à peine, que personne ne connaîtencore.

    De la même famille que Silvio, Fayolle, Kovar et Kadio estcertainement le poète qui, toujours à la même époque et dans lemême journal, signe des compositions verlainiennes dupseudonyme de Costal, par référence sans doute à Costal l'Indien,ce champion de la révolution mexicaine dans le roman historiquede Gabriel Ferry, roman dont certains épisodes ont inspiré àArthur Rimbaud «Le bateau ivre». Que ces quatre poètes aientété des «révolutionnaires» comme Dantin souhaitait que lefussent, «avec génie», les artistes de son temps, cela est une coïn-cidence qui ne peut être ignorée : « II y en a même à qui le Canadadonnera surtout le désir d'en sortir et qui auront assez de bonnesraisons intellectuelles et artistiques; qu'ils soient s'ils peuventl'être avec génie des anarchistes et des rebelles. L'art canadien lesbénira» (lettre à Alfred DesRochers, 11 août 1931).

    La question est de savoir qui, à l'époque où se produisent cespoètes masqués (1895-1896), aurait pu souhaiter « révolutionner »la poésie canadienne, enlisée dans les séquelles du romantisme.Qui au pays aurait pu entretenir cet ambitieux projet en offranten exemple des créations inspirées des poètes maudits ? Probable-ment pas un adolescent de quinze ans qui n'avait jamais montréde dispositions particulières pour la lecture, ainsi qu'on l'a dit etrépété depuis la préface de Louis Dantin. Il suffit de lire les textes

    Extrait de la publication

  • I N T R O D U C T I O N 1 7

    de Fayolle et de Kovar en parallèle avec ceux de Dantin pour voirsurgir entre eux de troublants liens de parenté thématique,linguistique, idéologique.

    S'il est peu probable que Nelligan ait été à la fois EugèneFayolle et Emile Kovar, il n'était pas davantage Emile Escande.La raison en est toute simple: la plupart des textes d'Escandeparaîtront dans Les Débats soit au lendemain de la «mort» deNelligan, soit trois ans plus tard. Plus suspect encore est le faitqu'Escande n'était pas inconnu du père Seers, puisque ce dernierpubliera un de ses poèmes mystiques, «Élévation», dans les pages

    du Petit Messager du Saint-Sacrement, pièce qui sera reprise dansLes Débats au moment précis où Dantin jettera sa soutane auxorties. Et Escande et Dantin de disparaître en même temps de lascène littéraire montréalaise! Les textes d'Escande et de Dantinprésentent des similitudes si nombreuses et si parlantes qu'ils nesauraient provenir que d'une seule et même personne.

    Examinons à titre d'exemple une petite pièce d'Escandeparue à l'été 1902, «Les trois baisers», dont certains termes etcertaines images trouvent leur écho chez Louis Dantin par l'inter-médiaire de Nelligan. Escande évoque le souvenir d'un «baiserqui donne la fièvre...», baiser «exquis, saint, infâme», «dontfrissonnent l'âme et la chair». Or, ce baiser aux «frôlements deflamme», qui «tue» et «pâme», semble avoir eu les mêmes effetsque les «embrassements» de la Muse responsables d'avoir donnéà Nelligan «la phtisie et la fièvre» et provoqué ce «frisson fugitifqui n'effleure que l'épiderme de l'âme ». Car, insistait le préfacier,la Muse se nourrit «du sang et de l'âme» du poète. Or, Dantin

    avait dit en essence la même chose dans «Sympathie astrale»,poème paru dans Les Débats deux ans plus tôt : «Sans que le baisereût fiancé nos lèvres / Nos âmes se donnaient en d'électriquesfièvres.» Et, dans une autre composition plus tardive, «Le billetdoux du carabin», il célébrera le «baiser contagieux» de «lablonde Lucie » qui laissait « son sang» «par mille fièvres envahi17».

    Extrait de la publication

  • 1 8 E S S A I S C R I T I Q U E S

    Que ce soit sous la plume de Dantin ou celle d'Escande, la«fièvre» du baiser, synonyme des feux de la passion, est toujoursmortifère.

    Aux pseudonymes viendront s'ajouter les nombreux doubleslittéraires: Georges Hamel dit «Les Vaines-Tendresses», leComte Guido d'Ystel, le peintre-poète Donat Sylvain, leblanchisseur chinois Li-Hung Fong, l'instituteur noir Mr. Lewis,l'habitant Florent Létourneau, le philosophe Marais... Dantin ainterprété et mis en scène tous les rôles qu'il a créés : l'orphelin,le paria lépreux, l'hérétique honni voué au bûcher, le bédouinnomade, le marin naufragé, l'exilé, l'ermite, le mystique enextase devant l'ostensoir, l'anarchiste, le musicien, le «finamant», le mal-aimé, le barde inspiré, le Voyant, le Spirite, avecune préférence pour le rôle du « Canadien errant» sur les traces deses «frères d'esprit», tous les penseurs dont «l'âme libre, disait-il,osa pour le sommet ardu quitter l'ignoble sente » : saint Augustin,saint Anselme, Érasme, Spinoza, Aristote, Montaigne, Rabelais,Galilée, Jean-Jacques Rousseau, mais aussi les musiciens Gluck,Rameau, Chopin, les poètes Baudelaire, Verlaine, Rodenbach et,surtout, le conteur Pierre Loti, avec lequel il a poursuivi «lesmêmes rêves» et «les mêmes fantômes» et qui «le dépeint et ledéfinit en se racontant lui-même» (La Vie en rêve, p. 83).

    Dantin est un homme obsédé par ce besoin terriblementromantique du déguisement. N'a-t-il pas avoué abriter en lui«tant de différentes personnes! Et si différentes!» qu'il ne savaitjamais «laquelle viendrait à la surface» (lettre à Rosaire Dion-Lévesque, 12 février 193 8)? Dans ses notes inédites, il a été jusqu'àdire : «II m'est passé au fil de ma vie des fantaisies ébouriffantes,restées d'ailleurs presque toujours à l'état de rêves. J'ai vouluparcourir tout le cycle des expériences humaines, reculer leslimites de ma personnalité, m'inoculer des sèves étranges quim'eussent transformé pour un temps en une multitude d'autresêtres...» Dans ce jeu éblouissant et illusoire, si minutieusement

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    monté et soutenu sans défaillance jusqu'à la fin, qui discerneral'instant où le mensonge usurpe la place de la vérité? Il estprobable que Dantin lui-même ne le savait plus.

    C'est à juste titre que son biographe Gabriel Nadeau, quiavait entrepris de le «démasquer» avec l'aide d'Yves Garon, l'aqualifié, dans ses «notes inédites», de «cachottier littéraire», carDantin aurait mené une double vie en Europe, à Montréal et auxÉtats-Unis, collaborant à des journaux et à des revues sous despseudonymes qui nous échappent encore et occultant à desseinla vraie nature de sa participation à l'œuvre de Nelligan. Nadeause promettait d'écumer les journaux montréalais pour en avoirle cœur net. Mais autant chercher une aiguille dans une botte defoin : les pseudonymes pullulaient à cette époque .

    Si Dantin est resté infiniment difficile à connaître et à juger,cela est dû en grande partie à ce goût du mystère et du clandes-tin qui le possédait, mais aussi aux contradictions et à la com-plexité de sa nature. Il fut, de son propre avis,

    [...] un esprit d'une audace sans bornes avec une volonté timide, uncaractère farouchement individuel avec des instincts sociaux, unmystique sensualiste, un chrétien sans messie, un passionné à froid,un rêveur logicien, un rebelle épris d'ordre, un résigné aux vœuxardents, un libertaire asservi aux routines, un individualiste avide des'épancher, un révolté contre les maux des autres.

    Et pour comble d'infortune, il était affligé d'«un besoin d'aimersans mesure avec l'incapacité de s'asservir» (notes inédites). Mais,plus que de la complexité de sa nature, Dantin a souffert del'abandon des siens, de son exil forcé et, d'une certaine façon, dumanteau de mensonges toujours plus pesant qui s'attachait à sapersonne. À son ami Alfred DesRochers, il avait décrit lesrépercussions de ce drame dans ses relations avec autrui :

    Je suis l'homme le plus insignifiant d'apparence et de conversationque l'on puisse imaginer. [...] Cela vient en partie, je crois, de ce quetoute ma vie, dans mes rapports avec mes semblables (toujours, aucontraire, trop dissemblables), j'ai été forcé de taire et de refouler

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  • 2 O E S S A I S C R I T I Q U E S

    mon être réel. Mes instincts, mes idées, mes goûts, ont toujours étéà Tencontre de ceux de la foule, du moins des foules qui m'en-touraient, et m'ont créé un isolement intérieur où seule ma vraienature se réfugie... J'ai pris le parti, au dehors, d'être banal commele monde, et c'est le seul moyen que je trouve de vivre en paix avecle genre humain, seulement, avec le temps, le masque s'attache à lafigure et ne s'en décolle plus (lettre du 8 décembre 1929).

    Dantin fut certainement un grand illusionniste de la pensée.De toute évidence, il prenait plaisir à mystifier ses contempo-rains, ainsi qu'en témoigne par exemple sa nouvelle «L'invitée»,mettant en scène une héroïne prénommée Silvia (double fémininde Silvio/Sylvio?), qui est de son propre aveu un «chef-d'œuvrede mystification». Mais cette pièce, aussi troublante soit-elle dansses analogies avec la tragédie d'Emile Nelligan et, par contre-coup, avec celle de Dantin, n'est pas la seule à mériter cetteétiquette : à peu près tout ce qu'il a écrit est à double langage.

    À travers l'évolution de sa pensée esthétique, grâce à laprédominance des grands thèmes auxquels il est toujours restéfidèle, peut-être pourra-t-on entrevoir, sinon le secret, du moinsquelques symptômes de son génie multiforme. «Chaque foisqu'on me lira, moi, je veux qu'on me parle et je répondrai par unmurmure intérieur», a-t-il dit à son biographe en lui léguant, peuavant sa mort, tous ses papiers, ses «bouteilles à la mer», commeil les appelait, ou encore son «livre de bord» (Louis Dantin, p. 243).

    Louis Dantin: la «vraie nature» d'Eugène Seers

    Derrière tout nom de plume se cachent des motifs signifi-catifs: raison de plus en ce qui concerne «ce nom imaginaired'une personnalité qui veut rester mystérieuse18».

    Louis, c'était le prénom à la fois de son grand-père LouisMisach, de son père Louis-Alexandre et de son frère Louis JosephEugène, mort à l'âge de neuf mois, et dont il avait déjà hérité duprénom Eugène. Le prénom évoque évidemment saint Louis,

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  • I N T R O D U C T I O N 2 1

    qui devint le patron des maçons et des charpentiers pour avoirfait construire la Sainte-Chapelle. Pour celui qui était né et avaitpassé son enfance sur les rives du lac Saint-Louis et qui devaitrenoncer à sa part d'héritage pour permettre l'édification dela chapelle des Pères du Saint-Sacrement, sise dans le quar-tier Saint-Louis, l'identification à saint Louis n'était-elle pastentante19? Il faut dire qu'à cette époque le Québec vouait à saintLouis de France une véritable vénération. Le saint roi devaitdonner son nom à un quartier de Montréal, à une rue, à uneéglise, l'église Saint-Louis-de-France, dont l'inauguration offi-cielle avait été célébrée le 23 mai 1897. C'est d'ailleurs au 71 dela rue Saint-Louis que se trouvaient les bureaux des Débats oùLouis Dantin allait se faire connaître.

    Voilà donc pour l'origine possible du prénom Louis, maispourquoi Dantin? Ce nom évoquait-il pour l'ecclésiastique lesouvenir d'un autre lieu saint: l'église Saint-Louis d'Antin?D'Antin est à Paris le nom d'un quartier, d'une rue, d'uneimpasse, d'une chaussée et d'un hôpital (où Verlaine devait faireplusieurs séjours). Que Louis Dantin ait visité cette église aucours de ses séjours parisiens est fort probable : elle est située au63 de la rue de Caumartin, non loin de la maison des Pères duSaint-Sacrement, rue de Friedland. Bâtie au XVIIe siècle pour lesCapucins, puis restaurée sous Napoléon, l'église prit alors le nomde Saint-Louis d'Antin, du nom du surintendant des bâtimentsroyaux de Louis XV, le duc Louis d'Antin de Pardaillon deGondrin, qui était propriétaire du terrain sur lequel se développace quartier. Ce qu'on sait moins, c'est qu'il fut le fondateur duGrand Orient de France.

    On doit à Jules Tardivel d'avoir publié, le 8 mai 1897, enpremière page de La Vérité, un article retraçant justementl'histoire de cette église : «À travers Paris — Saint-Louis d'Antin».Est-ce la lecture de ce texte qui avait incité le père Seers à adopter,par dérision ou par défi, le pseudonyme de Louis Dantin (Louis

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  • L E S O A S J S

    Le doute universel, cet insondable trou,M'attire quelquefois, ralentissant ma course;Mais de là j'aperçois mon astre la Grande-Ourse,Et souvent le soleil au rythmique frou-frou12.

    Comme tout ceci est bout-rime, novice et incorrect! On nepeut rien faire d'une «orbite», qui n'est que la route d'un astre,et il est impossible qu'elle crève; le «rêve féal» est ici chevilleéhontée; ce «retrempant» n'a pas de lien grammatical avecl'impersonnel «il danse»; ce «quelquefois» et ce «souvent» sontpur remplissage ; cet «insondable trou» n'est pas distingué ; «monastre la Grande-Ourse» l'est moins encore; et le «soleil aurythmique frou-frou» montre un dédain complet du sens élémen-taire des mots. Comment l'auteur se décide-t-il à raccrocher desvers pareils à d'autres qui sont frappés, saillants, significatifs?

    Et pourquoi, tout d'abord, s'être attaqué à cette entreprise dusonnet, une des plus ardues de Tait poétique, avec le resser-rement de son moule, la fixité de ses nombres, la complicationde ses rimes enchevêtrées? D'autres formes plus larges eussentpermis plus d'aisance, fait pardonner un peu de sans-gêne : celle-ci fait éclater la moindre erreur, la moindre platitude. Un poèten'ayant pas encore la pleine sûreté du métier ne devrait pas fairede sonnets. Ceux-ci démontrent, il est vrai, les beaux donspoétiques de M. Dion, mais ne sont pas encore l'œuvre sans tacheque nous attendons de lui. — II en est même plusieurs qu'il eûtdû oublier dans ses cartons. Il a trop voulu faire un livre, quandune simple plaquette eût contenu ses effusions meilleures etchoisies. Qu'il se persuade bien qu'ici la quantité n'est rien, nepeut rien pour asseoir une renommée lyrique. Et sans demanderqu'il renonce à ses tendances ou à ses maîtres, on peut luiconseiller de moins poursuivre pour un temps la ciselure voulue,l'éclat verbal, la prouesse rythmique, et de tendre à une poésieplus simple, où son âme s'épandrait sans ce poids d'entraves, oùle mot ne serait que la chair et le sang de la pensée.

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  • 520 E S S A I S C R I T I Q U E S

    Pour l'heure, son inspiration, sa manière, rappellent souventcelles de Nelligan: d'un Nelligan moins âpre, avec plus decerveau et pas autant de sens artiste, mais avec un courantsemblable de vision, de mélancolie. Et, cette fois, rien ne nousfait craindre qu'un naufrage tragique brise une lyre à peineaccordée. M. Dion, nous l'espérons, nous fournira une longuecarrière marquée par les degrés d'une montée constante vers lesderniers étages de l'art13.

    Que cette moisson de poésie nous vienne de Nashua, c'est àl'honneur de Nashua, peu accoutumée à ces gerbes ; mais c'estsurtout à l'honneur du poète qui a su la tirer de ce maigre sol parla magie de son vouloir et de son travail. Mais ne savons-nous pasque l'idéal, le rêve, les poursuites de l'esprit, l'instinct de labeauté, prennent racine et fleurissent partout où vivent des âmesfrançaises?

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    ESSAIS CRITIQUES IIntroduction