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La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013 Mémoire Raphaëlle Prince Maîtrise en études internationales Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Raphaëlle Prince, 2015

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La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013

Mémoire

Raphaëlle Prince

Maîtrise en études internationales

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Raphaëlle Prince, 2015

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Résumé

Ce mémoire a pour objectif d’étudier la démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1991 à

2013. Il vise à éclaircir les défis singuliers d’un gouvernement en exil dans ses efforts de

démocratisation. En reliant les travaux sur la démocratisation de Dahl et sur les gouvernement en

exil de Shain au contexte très particulier de la communauté tibétaine exilée, nous avons tenté

d’éclaircir le paradoxe apparent entre un gouvernement par essence transitoire, le gouvernement en

exil, et une transition démocratique, permettant une meilleure stabilité institutionnelle. Une attention

particulière a été portée au contexte socioculturel tibétain, car le processus de démocratisation ne

saurait être compris sans un souci du milieu qui l’accueille et l’a fait naître. En ce sens, nous avons

tenté de mettre comprendre la structure politique avant l’exil, le gouvernement central de Lhassa,

ainsi que les obstacles et les moteurs contextuels de la démocratisation du gouvernement tibétain en

exil. Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, la participation politique tibétaine confrontée

à l’imposante figure du dalaï-lama, le bouddhisme et finalement les institutions politiques de l’exil

nous ont semblé autant d’obstacles aux élans démocratiques du gouvernement en exil. Malgré ces

freins, d’autres facteurs encouragent au contraire la démocratisation du gouvernement, dont les

organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil, qui s’engagent dans le

débat politique, la toile virtuelle offrant une plateforme d’échange et de débats accessible à

l’ensemble de la diaspora tibétaine, les initiatives du gouvernement tibétains en exil en faveur de sa

démocratisation institutionnelle remarquable et finalement la diaspora tibétaine, lentement actrice

engagée dans la politique de son gouvernement en exil. En nous appuyant sur les indicateurs de

démocratisation de Robert Allan Dhal nous avons pu remarquer que la démocratisation du

gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013 s’est développée sensiblement. Ainsi, les deux

indicateurs de démocratisation, la libéralisation et l’inclusion politique, ont été plus importants durant

cette période, quoique les défis semblent encore bien présents en 2013. Afin d’approfondir les liens

qu’entretiennent le gouvernement tibétain en exil et la communauté internationale durant notre

période d’analyse, une étude de cas relative à l’appui de la communauté européenne envers le

gouvernement tibétain en exil conclu notre recherche.

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Table des matières

Résumé ................................................................................................................................................... iii

Table des matières .................................................................................................................................. v

Liste des tableaux .................................................................................................................................... vii

Liste des figures et des illustrations .......................................................................................................... ix

Dédicace ................................................................................................................................................... xi

Remerciements ...................................................................................................................................... xiii

Introduction ............................................................................................................................................... 1

Chapitre 1 : Problématique de recherche ................................................................................................ 3

1.1 La structure politique avant l'exil: le Ganden Phodrang, gouvernement central de Lhassa ........... 3

1.2 La démocratisation du gouvernement tibétain nouvellement exilé en Inde .................................... 5

1.3 Les obstacles à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil ............................... 9

1.3.1 Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, un héritage du Ganden Phodrang confronté aux nouvelles générations issues de l’exil. ........................................................... 9

1.3.2 Les défis de la participation politique tibétaine .................................................................... 11

1.3.2.1 Le problème du dalaï-lama ..................................................................................... 11

1.3.2.2 Le bouddhisme, allié ou ennemi de la démocratie? ............................................... 12

1.3.2.3 L’organisation politique de l’exil : entre sectarisme et régionalisme ....................... 16

1.4 Les efforts de démocratisation ..................................................................................................... 17

1.4.1 Des forces sociale et politique au cœur de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil ................................................................................................................................. 17

1.4.1.1 Les organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil au cœur du débat ....................................................................................................... 17

1.4.1.2 La toile virtuelle, un ensemble de plates-formes informatives et ouvertes aux débats politiques ................................................................................................... 18

1.4.1.3 Les initiatives du gouvernement tibétain en exil en faveur de sa démocratisation institutionnelle........................................................................................................ 18

1.4.1.4 La diaspora tibétaine, un acteur qui s'engage progressivement dans la démocratie de l'exil ................................................................................................ 19

1.4.2 La communauté internationale, un acteur essentiel à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil ............................................................................................ 20

1.5 La démocratie au service de la "cause tibétaine": un appel tibétain à la communauté internationale ............................................................................................................................. 21

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Chapitre 2 : Méthodologie ....................................................................................................................... 25

2.1 Question de recherche ................................................................................................................. 25

2.2 Hypothèse et cadre théorique ...................................................................................................... 25

2.3 Cadre opératoire et structure de la preuve................................................................................... 31

2.4 Stratégie de recherche ................................................................................................................. 32

Chapitre 3 : La démocratisation du gouvernement tibétain en exil de 1990 à 2013 ................................ 35

3.1 Libéralisation ................................................................................................................................ 35

3.1.1 La liberté de former et de joindre une organisation .............................................................. 35

3.1.2 Liberté d’expression ............................................................................................................. 41

3.1.3 Le système électoral libre et juste ........................................................................................ 48

3.1.4 Le système de partis ............................................................................................................ 52

3.1.5 La distribution du pouvoir ..................................................................................................... 55

3.2 Inclusion ....................................................................................................................................... 59

3.2.1 Droit de vote ....................................................................................................................... 59

3.2.2 La dépendance des institutions de politique publique par rapport au vote et à d’autre expressions de la préférence de la population ................................................................... 63

3.2.2.1 Le pouvoir législatif ................................................................................................. 63

3.2.2.2 Le statut constitutionnel du régime ......................................................................... 65

3.2.2.3 L’inclusion des propositions venant de l’extérieur du gouvernement. ..................... 66

3.3 Une question de légitimité : appui des communautés tibétaine et internationale au processus démocratique du gouvernement tibétain en exil ......................................................................... 69

3.3.1 Une étude de cas : l'appui de la communauté européenne envers le gouvernement tibétain en exil entre 1990-2013 ......................................................................................... 73

3.3.1.1 1990-1998 : une décennie marquée par le soutien envers le dalaï-lama ............... 74

3.3.1.2 1998-2008 : rapprochement avec la Chine : la Commission européenne prend ses distances par rapport à la cause tibétaine ....................................................... 76

3.3.1.3 2008-2013 : un soutien ambigu envers le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil, une défense claire des droits de l’Homme en Chine ................................. 78

3.4 Conclusion ................................................................................................................................... 81

Chapitre 4 : Conclusion générale ............................................................................................................ 83

Bibliographie ........................................................................................................................................... 85

Glossaire ................................................................................................................................................. 93

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Liste des tableaux

Tableau 1 : La liberté de former et de joindre une organisation .............................................................. 40

Tableau 2 : La liberté d'expression ou la censure ................................................................................... 47

Tableau 3 : La liberté et la justice du système électoral tibétain ............................................................. 51

Tableau 4 : Le système de parti du « Congrès national tibétain » .......................................................... 54

Tableau 5 : Le système de parti du « Congrès national tibétain » et la distribution du pouvoir ............... 58

Tableau 6 : Le droit de vote selon différentes modalités de représentativité de la population ................ 62

Tableau 7 : Le pouvoir législatif et l'exercice du droit de vote par le peuple ........................................... 64

Tableau 8 : L'inclusion des propositions venant de l'extérieur du gouvernement.................................... 68

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Liste des figures et illustrations

Figure 1 : La structure du gouvernement tibétain au début du 20e siècle, selon Goldstein ...................... 5

Figure 2 : Représentation du processus de démocratisation du système politique tibétain .................... 30

Illustration 1 : La démocratisation selon le haut initié ou le dalaï-lama ................................................... 14

Illustration 2 : Le régionalisme politique de l’exil confronté à l’unité identitaire du Tibet .......................... 17

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Dédicace

À mes enfants, Nyma et Dawa

Pour l’amour du savoir et de leur moitié d’héritage culturel

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Remerciements

Le chemin qui m’a mené au dépôt de ce mémoire fut ponctué de problèmes, parfois inhérents au

contenu de ce travail, parfois propres au contexte qui fut le mien. Je ne saurais être suffisamment

reconnaissante envers mon directeur, François Gélineau et ma codirectrice, Isabelle Henrion-Dourcy.

Ils ont su me soutenir là où l’horizon n’était plus visible, me présenter le chemin qui, même s’il était

sous mes pieds, m’apparaissait si éloigné parfois.

Ma famille est le second pilier qui m’a encouragée et soutenue concrètement dans mes

responsabilités personnelles. Mes enfants, par leur rire, leur joie et leur regard toujours si neuf aux

petites choses qui font trop souvent du quotidien une suite machinale de tâches et de devoirs m’ont

permis de retrouver la motivation là où elle manquait. Mon mari, qui a toujours été là lorsque j’en

avais besoin. Mes parents, par leur bienveillance et leurs encouragements.

Un remerciement spécial va à mes deux lectrices et correctrices de la forme : Mireille Caron et ma

chère mère, France Gravel.

Finalement, ma reconnaissance va à tous ceux et celles qui ont défriché les chemins du savoir

intellectuel, et en particulier celui de la tibétologie.

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Introduction

Le Tibet fascine l’Occident depuis plus de 100 ans. On y imagine une terre de paix, de bonheur et de

spiritualité où tous les habitants vivent heureux et sans souffrance (Lopez, 2003). Depuis l’invasion

du Tibet par l’Armée Populaire de Chine, en 1959, les Tibétains de l’exil se sont emparés de cet

imaginaire afin de défendre et valoriser leur cause auprès de l’Occident. Cette valorisation est

apparue essentielle à la survie de la diaspora tibétaine en Inde et dans le monde, mais aussi au

gouvernement tibétain en exil, dans ses efforts de dialogue avec le gouvernement de la République

populaire de Chine, afin de résoudre le conflit qui a pris de l'ampleur dès le début des années 50'.

La communauté tibétaine réfugiée en Inde s’est développée malgré l'adversité et a réussi à préserver

au mieux de ses capacités son héritage politique et culturel, entre autres par la création d’un

gouvernement en exil chapeauté par le dalaï-lama. Ce gouvernement a entrepris la démocratisation

de ses institutions peu après sa création dans les années 60, selon la volonté explicite du dalaï-lama.

Grâce, entre autres, à cette initiative politique, la diaspora tibétaine a réussi son intégration sociale

au sein de sa société d'accueil de façon exemplaire. Il peut paraître surprenant pour un

gouvernement en exil, dont le statut est par essence provisoire, de vouloir se démocratiser, puisque

cette démarche politique a pour effet de stabiliser l'assise de son pouvoir. Afin de comprendre cette

problématique aporétique, la démarche de ce mémoire implique d'éclaircir son contexte et ses

enjeux.

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Chapitre 1 : Problématique de recherche

1.1 La structure politique avant l'exil: le Ganden Phodrang, gouvernement central de Lhassa

Afin de mieux comprendre le processus de démocratisation mis en place par le dalaï-lama au début

des années 60, il nous faut comprendre le système politique qui était à transformer, soit celui qui

régnait au Tibet depuis 1642 jusqu’à l’invasion de l’armée populaire de Chine au début des années

50. Complexe et unique en son genre, le régime politico-religieux tibétain (chos srid gnyis’brel1)

appelé Ganden Phodrang concentrait son pouvoir spirituel et temporel dans les mains d’un seul

homme, le dalaï-lama. C’est le « grand cinquième », le dalaï-lama Lobsang Ngawang Gyatso (1617-

1682), qui unifia ces deux pouvoirs en soumettant la gouvernance à la loi du Dharma (enseignement

bouddhiste) dont il est le meilleur interprète. Aidé par les bonnes relations entretenues entre les

dalaï-lama antérieurs et les chefs de clan mongol, le « grand cinquième » s’est vu offrir par le chef de

la tribu mongole Qoshot, Gushri Khan, le Tibet nouvellement conquis en échange de sa protection

spirituelle. Avant ce coup de force, le Tibet était divisé en plusieurs principautés, dont certaines

étaient réfractaires au pouvoir des dalaï-lama. Par cette alliance, le dalaï-lama fonde ce qui restera

jusqu’en 1959, suite à son exil en Inde, le gouvernement central de Lhassa. Dès son institution en

tant que chef temporel du Tibet, le "grand cinquième" nomme un régent pour le seconder. Sonam

Rabten (de 1653 à 1658) occupe d'abord ce poste et ensuite Sangye Gyatso (de 1653 à 1705) prend

la relève. Trois ans plus tard, commençait la construction du Potala, sur le site même de l’ancienne

demeure du 33e de la dynastie royale de Yarlung, Songtsen Gampo, à Lhasa. L’emplacement et

l’imposante structure architecturale témoignent symboliquement du retour à un pouvoir fort et

centralisé au Tibet (Blondeau, 2013). Suite à l’institution de cette nouvelle forme de gouvernance, les

réincarnations du dalaï-lama se sont succédé à la tête de l’État tibétain, en alternance avec des

périodes de régence plus ou moins tumultueuses, dans lesquelles les hauts dignitaires menaient

parfois une lutte acharnée pour le pouvoir.

L’organisation du Ganden Phodrang de ses débuts jusqu’en 1959 a connu quelques réformes qui

s’inscrivent dans une volonté continue de spécialisation, de centralisation et d’expansion de

l’administration du gouvernement tibétain (Travers, 2011). Afin de rendre compte de ces

1 Voir le glossaire pour les mots en tibétain.

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transformations, la recherche documentaire du mémoire permet de dresser un portrait du Ganden

Phodrang, tel qu'il était structuré au début du 20e siècle afin d’en mieux comprendre sa structure

administrative. Celui-ci se caractérise par trois facteurs essentiels, comme le mentionne Stéphanie

Roemer : « la séparation entre moines désignés et fonctionnaires laïcs la plupart du temps issus de

l’aristocratie; une hiérarchie rigide; la position politique dominante du dalaï-lama ou du régent en

exercice » (Roemer, 2008: p. 4).

Le gouvernement tibétain comprenait six entités, outre l’institution du dalaï-lama. Juste au-dessous

du dalaï-lama on retrouvait le lönchen, poste créé par le 13e dalaï-lama au début du 20e siècle, se

rapprochant de ce qu’on appelle un premier ministre. Il est à noter que cette figure est assez récente

et n’est pas en ce sens emblématique du Ganden Phodrang. Venait ensuite le Kashag, c’est-à-dire le

Cabinet du gouvernement tibétain, comprenant quatre ministres. Ces ministres, un moine bouddhiste

et trois laïcs étaient nommés à vie par le dalaï-lama, cependant, un roulement des effectifs était

constatable. Aucun dossier n’arrivait entre les mains du dalaï-lama sans avoir au préalable été

examiné par le Cabinet, qui avait le rôle de trier les informations et de ne retenir que celles qu’il

jugeait pertinentes pour l’État et le dalaï-lama. Durant la régence, l’importance du Kashag augmentait

considérablement. Le pouvoir du Kashag se limitait aux affaires séculières de l’État. C’est le Yigtsang

qui avait la charge des affaires religieuses. Il était constitué de quatre moines. Par ailleurs, on

retrouvait aussi le Tsikhang, une entité administrative qui était responsable de la gestion des impôts.

Outre ces deux instances, le gouvernement tibétain avait aussi une assemblée nationale, le

Tshongdu Gyentsom composé de fonctionnaires laïcs et ecclésiastiques et de figures religieuses

importantes entourant la capitale, Lhassa. Les décisions prises par cette assemblée devaient être

entérinées par le gouvernement et les trois grands monastères en banlieue de Lhasa : Drepung,

Ganden et Sera. Toutes les décisions étaient sujettes à l’approbation ou au rejet du chef suprême, le

dalaï-lama. Le recrutement des membres du gouvernement se faisait parmi l’élite religieuse et

l’aristocratie de Lhassa, ce qui permet de conclure que le cœur du pouvoir au sein du gouvernement

tibétain traditionnel était constitué de ces deux groupes sociaux privilégiés, parfois indistinctes

puisque de nombreux hauts placés religieux étaient issus des familles aristocratiques de Lhassa.

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Figure 1 : La structure du gouvernement tibétain au début du 20e siècle, selon Goldstein

1.2 La démocratisation du gouvernement tibétain nouvellement exilé en Inde

En exil, l’union des deux piliers traditionnels du gouvernement tibétain s’effrite et de nombreux points

de rupture sont à remarquer, points qui s’enlignent tous vers un même objectif : la démocratisation

du système politique tibétain, comme le souligne le dalaï-lama lors d’une allocution en 2002 :

Ever since the founding of the Gaden Phodrang Government in Tibet some 360 years ago, we Tibetans have maintained our culture of non-violence and compassion. In view of the international situation and our own requirements, we in exile have grafted the values of democracy and modernity onto our traditional system. This is, of course, a matter of pride and joy for us. We now need to make efforts to achieve democratic self-rule in Tibet.

Progressivement, ces deux piliers traditionnels sont déstabilisés par les mesures incitées par le

dalaï-lama en exil. En accord avec cette volonté de démocratisation, un troisième pilier émerge tant

bien que mal : le peuple.

Sous l’impulsion du 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, les institutions politiques du gouvernement

tibétain subissent des transformations dès leur création en Inde. En 1959, le gouvernement tibétain

en exil est créé sous le nom d’Administration centrale tibétaine. D’abord installé à Mussoorie en Inde

du Nord, il fut transféré à Dharamsala en 1960 où il demeure encore à ce jour. Accompagné de la

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plupart des membres du gouvernement tibétain lors de son exil, le dalaï-lama donne comme mission

à l’administration centrale tibétaine la prise en charge des réfugiés tibétains et la restauration de

l’indépendance du Tibet. Cette mission fut réorientée par la suite, ce qui sera traité plus loin dans le

texte. En 1959, six départements sont créés au sein du gouvernement tibétain en exil, soit celui de

l’Intérieur, de la Religion et de la culture, de l’Éducation, des Finances, de la Sécurité, des Affaires

étrangères et quelques années plus tard de l’Information et des relations internationales.

En 1963, le dalaï-lama rédige, avec l’aide de juristes indiens, un projet de constitution démocratique

pour le Tibet, composé de 77 articles, dans lequel on retrouve un effort apparent de consolidation

démocratique tout en préservant une relative stabilité des piliers traditionnels du gouvernement

tibétain. La grande innovation démocratique est la création de l’assemblée des députés du peuple

tibétain dans laquelle les Tibétains peuvent élire leurs représentants régionaux et religieux.

L’assemblée était structurée de façon complexe; on comptait 10 sièges pour chacune des trois

régions tibétaines traditionnelles : le Kham, l’Ü-Tsang et l’Amdo et deux sièges pour chaque lignée

religieuse (5 lignées). Trois députés représentaient la diaspora transnationale : deux sièges étaient

attribués aux représentants des Tibétains de l’Europe et un à celui de l’Amérique du Nord. Ainsi, tout

Tibétain en exil qui souhaitait voter pour son représentant le faisait en fonction de son appartenance

régionale au Tibet natal et de son appartenance religieuse. De plus, soixante-dix pourcent des

Tibétains en exil proviennent de la province de l’Ü-Tsang (Robin, 2009: 169-179), ce qui permet de

voir que le système électoral introduit une distorsion dans la représentativité des élus. La raison de

cette distorsion est de permettre une représentativité égale des régions ethniques tibétaines

traditionnelles. Le Parlement tibétain en exil juge qu’il est préférable de maintenir cette

représentativité, plutôt que d'opter exclusivement sur la provenance géographique réelle des

Tibétains de la diaspora. Cependant, conformément à la Charte, rien n’interdit pas la création d’un

système de partis au sein du Parlement.

Les années 90 marquent un second élan de démocratisation du gouvernement tibétain en exil

(Roemer, 2008). En mai 1990 le dalaï-lama dissout l’assemblée parlementaire et annonce de

nouvelles élections afin que les Tibétains élisent un plus grand nombre de députés. Ainsi le

Parlement tibétain passe de 12 députés à 46. L’avancement le plus important concerne le processus

de nomination des ministres du Kashag : c’est maintenant l’assemblée tibétaine qui a le pouvoir de

nommer les membres du cabinet des ministres et non plus le dalaï-lama. En 1991, celui-ci a aussi

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ajouté une clause à la constitution concernant sa propre destitution, si les deux tiers du Parlement en

manifestaient la volonté et que les instances judiciaires en exil en accordaient l’aval. Cette clause

causa une onde de choc auprès de la communauté tibétaine en exil et auprès des députés de

l’Assemblée législative.

En 1991, le pouvoir législatif a été transféré des mains du dalaï-lama à celles du parlement en exil.

Le dalaï-lama crée aussi la Cour suprême tibétaine à cette époque, Cour qui ne peut juger des

affaires criminelles, mais qui se donne le droit de juger des affaires civiles impliquant deux parties

tibétaines. À partir de ce moment, le rôle du dalaï-lama devient symbolique au sein du gouvernement

tibétain en exil : il y dispose d’un siège d’observateur et d’interlocuteur dans la plupart des instances,

mais reste peu ou pas impliqué dans la politique quotidienne du gouvernement tibétain en exil.

Cependant, l’importance du dalaï-lama auprès de la population tibétaine reste grande, ce qui fait

obstacle à ses démarches de désengagement politique. Les positions du dalaï-lama sur différents

sujets sociaux et politiques influencent encore grandement l’agenda du gouvernement tibétain en

exil.

Une autre étape vers une plus grande démocratisation a été franchie en 2001 lorsque les Tibétains

en exil âgés de plus de 18 ans ont obtenu le droit d’élire directement le premier ministre. L’ensemble

de la diaspora tibétaine établie dans plus de 25 pays a pu voter pour un des deux candidats en lice :

l’un, issu de l’aristocratie tibétaine et l’autre, célèbre moine bouddhiste. On peut constater une

certaine continuité du chos srid gnyis’brel dans le fait qu’un des candidats représente les piliers

traditionnels du pouvoir tibétain. C’est le moine Samdhong Rinpoche qui emporta l’élection. Les

élections de 2006 ont reconduit le premier ministre en poste.

Les plus récentes élections qui ont eu lieu en 2011 sont très intéressantes sur le plan de

l’avancement démocratique du gouvernement tibétain en exil. Parmi les 16 candidats à l’élection

pour la première fois primaire, aucun n’était moine, ce qui laisse entrevoir une certaine sécularisation

de la politique tibétaine de l’exil. Six candidats ont été retenus pour les élections au second tour du

Kalon Tripa2, premier ministre tibétain, dont un s’est désisté. Le 27 novembre 2011, Lobsang Sangay

est élu à 55 % des voix comme nouveau premier ministre du gouvernement tibétain en exil. Ce

2 Voir glossaire.

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nouveau premier ministre diffère des représentants politiques habituels. Il est issu d’un milieu

modeste proche de Darjeeling et exerçait avant son élection des fonctions de chercheur au sein du

département de droit de Harvard, la prestigieuse université américaine. La plus grande nouvelle

reliée à ces élections est l’annonce par le dalaï-lama, à quelques jours du passage aux urnes en

mars 2011, de son retrait officiel de la politique en tant que chef du gouvernement tibétain en exil, par

un amendement à l’article 31 de la Charte. La constitution tibétaine de 1963 ainsi que le Guide pour

une nouvelle politique du Tibet (1992) sont devenus par le fait même périmés. La dénomination du

Parlement (Ganden Phodrang) comme étant dirigé par le dalaï-lama a dû aussi être modifiée. Par

cette annonce, le dalaï-lama confirme ainsi concrètement sa volonté de définir les instances

politiques tibétaines en exil comme séculières et démocratiques (Barnet, 2011). Cependant, le dalaï-

lama ne se retire pas complètement de la vie publique pour autant. Il reste le chef spirituel des

Tibétains et il demeure impliqué dans la résolution du conflit sino-tibétain. Les émissaires tibétains

envoyés pour dialoguer avec le gouvernement chinois sont encore nommés comme des

représentants du dalaï-lama et non de l’Administration centrale tibétaine (Sangay, 2011). Il poursuit

ses voyages à travers le monde et continue de rencontrer des politiciens de différents pays. Depuis

cette élection, le pouvoir du premier ministre est important et tous les regards sont orientés vers lui,

au détriment du Parlement. De plus, le retrait du dalaï-lama marque un changement historique dans

l’organisation politique du gouvernement tibétain puisqu’il symbolise la fin du chos srid gnyis’brel.

D’ailleurs, suite à une session spéciale du Parlement tibétain en 2011, le nom de l’autorité tibétaine

en exil a été amendé dans la « Charte des Tibétains en exil » de 1991, ceci afin de mieux refléter le

nouveau statut du dalaï-lama. Ainsi, de « Gouvernement tibétain Ganden Phodrang victorieux dans

toutes les directions » (Bod gzhung dga' ldan pho brang phyogs las rnam rgyal), communément

appelé « Gouvernement en exil », le nom a été remplacé par « Organisation du peuple tibétain »

(bod mi dmangs sgrig `dzugs), selon la traduction littérale du terme employé en tibétain. Pour

certains, ce changement de nom diminue la légitimité historique du gouvernement tibétain et

amoindrit son pouvoir d’union entre les Tibétains de la diaspora et ceux de la terre natale (Buffetrille,

2012). On pourrait donc se demander s’il ne traduit pas une certaine désillusion quant à un retour

effectif du gouvernement tibétain en exil à Lhassa. Aussi, l’appellation du chef de l’Organisation du

peuple tibétain, le Kalon Tripa, a été remplacée par Sikyong3 en 2012, terme qui signifie

3 Le 20 septembre 2012, le Parlement tibétain a adopté à l’unanimité ce changement et l’amendement de l’Article 19

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littéralement, « dirigeant politique », soulignant ainsi l'opposition au concept de dirigeant spirituel. Le

terme avait été utilisé au Tibet par les régents qui gouvernèrent la nation durant la minorité du dalaï-

lama.

1.3 Les obstacles à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil

1.3.1 Le conservatisme du gouvernement tibétain en exil, un héritage du Ganden Phodrang confronté aux nouvelles générations issues de l’exil.

Même si la démocratisation du système politique tibétain en exil est en marche grâce aux efforts du

dalaï-lama, certains obstacles semblent être tenaces. Les structures institutionnelles du chos srid

gnyis’brel, transférées en grande partie en exil, représentent un des défis notables. Les piliers du

pouvoir traditionnel, l’aristocratie et le clergé (en particulier géloug), ont longtemps été dominants

dans les sphères du pouvoir. En effet, concernant l’aristocratie, Alice Travers souligne que

traditionnellement « la noblesse tibétaine était une élite administrative héréditaire : ses membres se

transmettaient des domaines dont la possession était liée à l’obligation, pour au moins un membre de

la famille par génération, de servir le gouvernement. » (Travers, 2011, p. 2). Dès les années 60, les

couches populaires tibétaines s’impliquent davantage dans la vie politique et sociale de l’exil (Robin,

2009). Peu à peu, l’ancienne génération née au Tibet a laissé sa place aux jeunes nés en exil, qui

ont grandi dans des pays démocratiques. On note en effet que les associations s’opposant à la voie

privilégiée par le dalaï-lama et valorisant une plus grande démocratisation du gouvernement tibétain

en exil, tels le Congrès de la jeunesse tibétaine et l’Association des femmes tibétaines, sont en

grande majorité composées de membres exécutifs issus de l’exil (Robin, 2009). Ainsi, on peut penser

que cette résistance démocratique est le fait d’une élite traditionnelle tibétaine dont l’héritage n’est

plus aussi manifeste au sein des générations nées en exil.

De plus, l’importance décroissante du clergé au sein du pouvoir politique en exil témoigne sans

conteste d’une sécularisation politique dans le but de poursuivre la transition démocratique. Le fait le

plus notable de cette tendance est l’éloignement du dalaï-lama de la politique du gouvernement

tibétain en exil, qui fut d’abord le chef politique du gouvernement en exil pour s’en retirer en 2011,

de la Charte des Tibétains en exil.

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afin d’exercer ses fonctions de chef spirituel exclusivement4. Le premier ministre, en 2001 et en

2006, quoiqu’élu par suffrage universel, fut un moine conservateur de la même tradition religieuse

que le dalaï-lama (Gélougpa), Samdhong Rinpoche. En 2011, tous les candidats aux élections furent

des laïcs. Le premier ministre actuel, Dr. Lobsang Sangay, né en exil, ne représente pas l’aile

conservatrice du pouvoir. Le ministre des Affaires religieuses et culturelles, Tsering Phuntsok, fut en

2006 un religieux et depuis 2011 un laïc, Kalon Pema Chhinjor. (Robin, 2009).

À la lumière des situations documentées, le retrait politique du dalaï-lama paraît être la résolution

d’un des obstacles majeurs à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. En effet, l’éveil du

dalaï-lama est pour la population tibétaine un gage qu’il est le plus éclairé pour prendre les

meilleures décisions dans l’intérêt de tous. Cette verticalité spirituelle et métaphysique plaçant les

maîtres religieux au-dessus des laïcs dans leur capacité à saisir ce qui est bien se transposait sur le

plan politique au sein du Ganden Phodrang. L’omniscience du dalaï-lama rendait, de par la foi des

Tibétains envers cette croyance, impossible toute implication politique de leur part. Dans le même

sens, la structure légale du Ganden Phodrang imposait la suprématie du dalaï-lama, puisque cette

institution politique était soumise à la loi du Dharma (enseignement bouddhique) et que le chef le

plus compétent quant à l’interprétation et l’application de cette loi était, depuis la fondation du

Ganden Phodrang, le dalaï-lama. Cette même verticalité est donc contraire au fondement égalitaire

de la démocratie et dépasse même les limites possibles d’une monarchie constitutionnelle dans la

mesure où le dalaï-lama, qui ferait ici figure de monarque, ne pourrait pas manifester une opinion

politique sans qu’il y ait une grande difficulté à la contester, du fait de son éveil aux yeux des

bouddhistes tibétains. La sécularisation du gouvernement tibétain est donc un enjeu décisif afin de

permettre une transition démocratique de ses institutions.

La démission du dalaï-lama de l’arène politique marque donc une rupture importante avec le système

politique traditionnel. En effet, depuis 1963, la constitution du gouvernement tibétain en exil s’inspire

de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La loi du Dharma n’étant plus essentielle au

gouvernement tibétain en exil, l’importance du dalaï-lama s’en trouve par le fait même diminuée. De

plus, la modification du nom du gouvernement tibétain en exil, de Ganden Phodrang à

4 Le DL souligne qu’il ne se désengage pas pour autant de la cause tibétaine, ce qui témoigne de l’ambigüité de son retrait politique.

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« organisation du peuple tibétain », quelques semaines après le retrait du dalaï-lama de la sphère

politique, accentue cette coupure entre le spirituel et le politique, mais aussi entre le Ganden

Phodrang et la nouvelle institution en exil (Buffetrille, 2012).

1.3.2 Les défis de la participation politique tibétaine

1.3.2.1 Le problème du dalaï-lama

Malgré cette lente sécularisation du gouvernement tibétain en exil, les Tibétains de l’exil restent

attachés à l’idée qu’on ne peut contester le dalaï-lama. La conséquence sociale est une relative

autocensure des Tibétains. En témoigne l’absence de parti politique ayant un programme politique

clair et allant à l’encontre des vues politiques du dalaï-lama. Le seul parti politique existant a été créé

à la demande du dalaï-lama et ne peut pas siéger au Parlement puisque son fonctionnement est

sans parti politique. On peut observer cette autocensure lors la rencontre de 2010 (Tibetan General

Meeting), organisée par le gouvernement tibétain en exil afin d’explorer, avec environ 300 délégués

tibétains de tous horizons, les réformes possibles des politiques du gouvernement tibétain en exil

(Tsering, 2010). La rencontre s’est conclue par l’appui unanime de l’approche de la voie du milieu5,

défendue par le dalaï-lama (His Holiness The 14th Dalai Lama of Tibet, 2010). Une deuxième

rencontre s’est déroulée en 2012 (2nd Tibetan Special General Meetings) portant sur les solutions

possibles à la crise sociale au Tibet, notamment suite aux immolations de Tibétains. Les résolutions

ont réitéré le soutien de la communauté tibétaine en exil envers les politiques initiées par le dalaï-

lama ainsi que le besoin pressant d’un appui de la communauté internationale afin d’encourager le

dialogue sino-tibétain.

Une conséquence de la présence du dalaï-lama dans la sphère politique est sans doute le manque

d’intérêt de la population tibétaine pour la politique du gouvernement tibétain en exil. En effet, malgré

5 L'approche de la voie du milieu a été avancée par Sa Sainteté en 1988, lors d'une conférence au Parlement européen à Strasbourg, elle fait suite à un discours prononcé un an avant au Congrès américain, dans lequel il présente son « Plan de paix en cinq points », une réponse au « Plan en cinq points » de Hu Yaobang de 1981 et à l’annonce deux ans plus tôt de Den Xiaoping, que le gouvernement chinois serait prêt à négocier avec le dalaï-lama par rapport à toutes les propositions sauf celle de l’indépendance du Tibet. Ce plan de paix en cinq points se veut être un compromis entre les volontés chinoise et tibétaine. En effet, au lieu de revendiquer l’indépendance du Tibet, position qui était jusqu’alors celle du dalaï-lama et du gouvernement tibétain en exil, ce plan demande plutôt l’autonomie du Tibet et le respect des droits de l’homme en son sein. L'approche de la voie du milieu s'inspire de ce "Plan de paix en cinq points" et y ajoute l'établissement de la démocratie au Tibet. Ainsi, la nouvelle position du dalaï-lama par rapport à la question du Tibet est l'établissement d'un gouvernement tibétain démocratique et souverain en ce qui a trait aux affaires intérieures et aux affaires extérieures non-politiques.

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l’appel du dalaï-lama à la participation politique, la population ne répond que très faiblement.

Comment un simple laïc pourrait-il avoir une meilleure opinion que celle du dalaï-lama, émanation du

bouddha de la compassion, Tchenrezig? (Roemer, 2008).

Il semble que le peuple tibétain en Inde ne tire pas tous les enseignements possibles de la structure

démocratique de son hôte et qu’il n’a peut-être pas l’éducation politique adéquate afin de favoriser

son engagement auprès de l’institution qui n’a d’autre vocation que de le représenter légitimement

(Norbu, 2009). Ainsi, la démocratie imposée par le haut souffre d’un manque d’éducation au devoir et

au droit du citoyen au sein de la communauté tibétaine. Cette lacune est cependant reconnue et des

efforts ont été entrepris pour corriger la situation par le Centre tibétain pour les droits l’homme et la

démocratie. Le mandat de cet organisme est précisément d’éduquer la communauté tibétaine de

l’exil, en organisant des ateliers, des conférences, des discussions publiques et des campagnes

d’information sur les principes des droits de l’homme et les concepts démocratiques (Bentz, 2011).

Cette situation ressemble à ce que Tocqueville a décrit dans son ouvrage célèbre, De la démocratie

en Amérique, en parlant du manque d’éducation civique des Américains, lors de son instauration :

« La révolution démocratique s’est opérée dans le matériel de la société, sans qu’il se fut, dans les

lois, les idées, les habitudes et les mœurs, le changement qui eût été nécessaire pour rendre cette

révolution utile.» (Toqueville, 1981, p. 62).

La révolution démocratique tibétaine s’est opérée aussi dans le matériel de la société, à travers une

certaine égalité des conditions qui n’a que très faiblement occasionné une transformation des

habitudes et des mœurs des Tibétains de l’exil parce que la population n’a pas été préparée

adéquatement à la démocratie.

1.3.2.2 Le bouddhisme, allié ou ennemi de la démocratie?

De plus, l’importance du bouddhisme au sein de la gouvernance tibétaine, dans ses efforts de

démocratisation, est ambigüe. Le dalaï-lama ne cesse de répéter que la convergence de valeurs

entre la démocratie et le bouddhisme est un avantage à la démocratisation du gouvernement tibétain

en exil. Ainsi la Charte tibétaine de 1991 ne mentionne pas la sécularisation politique du

gouvernement, mais plutôt la "fusion des lois politiques et spirituelles" au sein d'une gouvernance

démocratique (Brox, 2009: 88). Au premier chef, l’égalité de tous les êtres humains, valeur

fondamentale de la démocratie. À cela s'ajoute, l’importance accordée dans la pratique geloug à la

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réflexion rationnelle au sein du processus décisionnel de tout individu. Cette réflexion se retrouve

aussi au cœur de la possibilité d’une gouvernance démocratique, dans la mesure où une telle

possibilité permet à l’homme de saisir la vérité ou le bien commun, qui sont aussi rationnels. La

compassion envers tous les êtres vivants se rapproche aussi de la fraternité essentielle à la

démocratie, puisque tout citoyen doit se dégager de ses préférences personnelles pour penser au

bien des autres, plus précisément au bien de tous. De plus, l’approche de la voie du milieu avancée

par le dalaï-lama, tout en reposant sur des fondements bouddhistes, respecte les principes

démocratiques en ayant été adoptée démocratiquement (Dalaï-lama, His Holiness's Middle Way

Approach For Resolving the Issue of Tibet). La vision bouddhiste de la voie du milieu s'est

développée d’une part à travers l’enseignement sur la vie de Siddhârta Gautama, le Bouddha actuel,

dans lequel il représente un juste milieu entre une vie ascétique et une vie de plaisir, et d’autre part,

à travers l’enseignement sur la vacuité, développé à partir des écrits du pandit indien Nagarjuna au

8e siècle à partir d’enseignements dit « retrouvé » du Bouddha. La vacuité ontologique de tout

phénomène se veut être un juste milieu entre leur inexistence, position nihiliste, et leur existence en

soi, position éternaliste. L’approche avancée par le dalaï-lama depuis son discours de Strasbourg en

1988 illustre l'application d'un point de vue basé sur une vision politique du juste milieu, entre

l’indépendance et l’annexion pure et simple du Tibet à la Chine. Ainsi l’approche de la voie du milieu,

valorisée par le gouvernement tibétain en exil depuis son adoption en 1988 jusqu’à aujourd’hui par le

nouveau premier ministre, repose sur un concept bouddhiste ancestral. En considérant la verticalité

sociale en matière spirituelle, malgré l’adoption démocratique de cette approche, il est difficile de voir

comment une assemblée délibérante aurait pu s’opposer à une telle mesure.

En renforçant les liens qui unissent le bouddhisme et le gouvernement démocratique tibétain en exil,

le dalaï-lama et l’autorité spirituelle en général se placent ainsi en quelque sorte comme pierre de

touche de toute transformation politique du gouvernement tibétain en exil, étant à la tête du

bouddhisme tibétain. On peut donc penser que cette position contribue à la résilience du religieux et

au conservatisme politique. Sous un autre angle, cette affinité conceptuelle entre le bouddhisme et la

démocratie avait sans doute comme but de convaincre une population très croyante envers le dalaï-

lama et le bouddhisme à s’engager dans un processus démocratique. Cette difficulté est bien

représentée par la caricature ci-dessous (citer source):

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Illustration 1 : La démocratisation selon le haut initié ou le dalaï-lama

De plus, la présence des oracles d’État, qui chaque année ont pour rôle de répondre aux questions

posées par le dalaï-lama, dans tous les domaines, paraît mal s’insérer dans l’agenda politique d’une

démocratie où le processus décisionnel doit passer par une délibération et non par une divination. Le

dalaï-lama s’en est servi à plusieurs reprises pour prendre d’importantes décisions politiques.

Symbole de cette résilience du conservatisme et du religieux, les oracles d’État sont d’ailleurs la

seule institution héritée du Ganden Phodrang à avoir survécu à l’exil sans changement majeur.6 Le

nouveau Kalon Tripa conserve cet héritage et consulte lui aussi les oracles d’État : « I am a modern

educated Tibetan but on the other hand, I am a Tibetan and follow Buddhist traditions,” […] “So, I will

be also consulting the state oracle, but that doesn’t mean I will follow what the state-oracle says.»

(Phayul, 23 mars 2012, http://www.phayul.com/news/tools/print.aspx?id=31126&t=1).

Ainsi, par la présence de ces oracles, certaines décisions politiques sont influencées par un

processus divinatoire. Le dalaï-lama et le premier ministre ne rejetant pas la présence de ces

oracles, cela légitime des comportements posant une entrave à la démocratisation. Pourtant, le

dalaï-lama tente depuis plusieurs années d’amener les Tibétains à se fier davantage à la science et à

laisser de côté les superstitions religieuses (Mosbergen, 2012).

6 Les oracles d’État, Nechung et Gadong, ont dévoilé les détails de la fuite du DL en Inde (le jour, le moyen de transport, etc.) et ceux-ci ont été suivis à la lettre (Powers, 1997 p ?).

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Malgré cet attachement aux oracles d’État Nechung, Gadong et Tseringma, un autre oracle et

protecteur, du nom de Dorje Shugden, a été au coeur d’importantes polémiques qui ont débordé la

sphère religieuse depuis que le dalaï-lama a demandé à ceux et celles qui veulent rester sous sa

protection d’abandonner ce culte dans les années 907. Selon Jane Ardley :

Le dalaï-lama, en tant que dirigeant politique des Tibétains, a eu tort d'interdire à ses fonctionnaires de participer à un culte religieux particulier, quelque indésirable qu'il soit. Par contre, étant donné que les deux concepts (religieux et politique) demeurent entrelacés dans la perception actuelle du Tibet, une controverse religieuse était vue comme une menace à l'unité politique... Le dalaï-lama a utilisé son autorité politique pour traiter ce qui était et qui aurait dû rester une question purement religieuse. (Ardley, 2002: p. 175-176)

Le dalaï-lama a invoqué pour justifier cet interdit que Shugden représentait un obstacle à l’institution

des dalaï-lamas et à la cause tibétaine8. Comme le dalaï-lama est l’élément fédérateur des Tibétains,

socle de l’espoir de résolution du conflit sino-tibétain, une telle menace ne pouvait être tolérée.

Quelques adeptes de ce protecteur, refusant de se soumettre à une telle décision, ont été persécutés

par la communauté tibétaine, voyant dans leur résistance une opposition au dalaï-lama et à la cause

tibétaine. Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que l’ancien premier ministre Samdhong

Rinpoche considère ces adeptes comme des terroristes. Clivages social, politique et religieux, les

conséquences de cette mesure restent encore aujourd’hui difficiles, tant pour le dalaï-lama que pour

la cause tibétaine, alors que l’intention était contraire. La Chine profite de cette controverse, arguant

que la clique du dalaï-lama accuse la Chine de persécution religieuse alors qu’elle fait de même en

Inde (Chinese in Vancouver, 2008). Cette polémique a même valu au dalaï-lama d’être assigné en

justice pour violation de la constitution indienne et violation des droits de l’homme9. Cependant, un

aspect important doit être souligné afin de mieux saisir la vision du dalaï-lama et la portée à moyen et

à long terme de cet interdit. Shugden était reconnu pour être le protecteur de la pureté de la lignée

bouddhiste Gelougpa, contribuant ainsi au fractionnisme religieux et blessant l’unité sociale et

politique de la communauté tibétaine, pourtant essentielle à sa survie en exil et à ses efforts de

négociation avec le gouvernement chinois. Rompre avec cette attitude sectaire, dont Shugden est le

symbole, permet de renforcer l’unité des Tibétains derrière une nation dont le dalaï-lama reste la

7 Le DL commença à dénoncer ce culte dans les années 70 8 Le Kashag a pris une résolution en ce sens en 1996, (http://www.dalailama.com/messages/dolgyal-shugden/kashags-

statement) 9 Le juge Muralidhar a rejeté la plainte le 9 décembre 2010.

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figure emblématique. Que l’on cautionne ou non la décision prise par le dalaï-lama, il est possible de

remarquer que la mise en œuvre de cette politique contredit les fondements démocratiques. En effet,

comme le souligne le député Tsultrim Tenzin (Al Jazeera 1er octobre 2008,

https://www.youtube.com/watch?v=KqON2lxArek), aucune discussion n’a été engagée au sein du

Parlement tibétain relativement à l’interdiction de la pratique de Shugden. Il s’agit selon lui d’une

mesure politico-religieuse qui a été imposée par le haut à l’ensemble de la population tibétaine. Ainsi,

malgré les affinités entre les valeurs bouddhistes et démocratiques, certains aspects du bouddhisme

représentent un obstacle à la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil.

1.3.2.3 L’organisation politique de l’exil : entre sectarisme et régionalisme

Le Parlement tibétain est divisé en fonction des régions d'origine et des lignées religieuses

d'appartenance et non à la lumière d'objectifs politiques. Le sectarisme et le régionalisme politique

sont un vecteur identitaire important qui entrave le processus de démocratisation du gouvernement

tibétain en exil. En effet, l’appartenance régionale et religieuse crée des solidarités politiques qui

limitent la portée délibérative des enjeux. Ainsi, un Tibétain de l’Amdo votera pour le représentant de

sa région natale à l’intérieur de l’Amdo, sans approuver ou rejeter ses positions politiques. Aussi,

cette division est disproportionnelle, puisqu'on retrouve en exil beaucoup plus de Tibétains originaires

de la région de l'U-Tsang que de l'Amdo et du Kham, ainsi que de Tibétains adeptes de la lignée

bouddhiste Gélougpa que des autres lignées (Brox, 2012). Cette fracture sociale se retrouve aussi

présente à travers les associations régionales des Tibétains de l'exil, provenant du Kham, de l'Amdo

ou de l'U-Tsang. De plus, ce contexte de division sociale met en danger l’unité tibétaine, jugée

essentielle pour la prospérité de la communauté en exil et la résolution du conflit sino-tibétain. On

remarque cependant que ces divisions religieuse et régionale s'accompagnent d'une unité politique,

quasi-imposée par le haut, dans laquelle tous les Tibétains de l'exil se rangent derrière la politique du

gouvernement tibétain en exil et du dalaï-lama. L’élément fédérateur du peuple tibétain, qui réussit à

transcender ces particularismes régionaux et religieux, est le dalaï-lama. Il unifie tous les Tibétains

derrière son pouvoir spirituel et politique. Le récent retrait du dalaï-lama comme chef du

gouvernement tibétain pourrait ainsi porter atteinte à cette unité politique et accroître les tensions

sociales par l’absence sur le plan politique d’une figure fédératrice. Cependant, cette destitution offre

un cadre politique ouvert à la contestation publique puisque l’imposante idéologie politique du dalaï-

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lama sera mise en retrait. Ce cadre libéral est essentiel à la démocratisation, si la division sociale

s'incarne non pas sur une base religieuse et régionale, mais politique.

Une caricature issue du Tibetan Review 27, no. 9 (1992) compare l'identification des Tibétains, au

Tibet et en exil.

1.4 Les efforts de démocratisation

1.4.1 Des forces sociale et politique au cœur de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil

1.4.1.1 Les organisations non gouvernementales indépendantistes tibétaines en exil au cœur du débat

Illustration 2 : Le régionalisme politique de l’exil confronté à l’unité identitaire du Tibet.

Malgré ces obstacles, certaines forces sociales et politiques encouragent la démocratisation du

gouvernement en exil. En effet, parmi celles-ci on retrouve les principales organisations sans but

lucratif tibétaines de l'exil, soit le Congrès de la Jeunesse tibétaine, l'Association des femmes

tibétaines et Guchusum. Les membres de ces organisations sont en majorité issus de la jeune

génération de l'exil, souvent née en Inde (à l’exception de Guchusum, puisqu’il s’agit d’une

association de prisonniers politiques) et sensibilisée à l'engagement démocratique sous l'influence de

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l'Inde et des pays occidentaux. Ces organisations ont aussi un point de vue différent sur la solution à

privilégier afin de résoudre le conflit sino-tibétain par rapport à celui du gouvernement tibétain en exil.

En effet, elles contestent l'approche de la voie du milieu avancée par le dalaï-lama en 1988 et

défendent l'indépendance du Tibet. Ces organismes souhaitent être plus écoutés par le

gouvernement tibétain en exil et encouragent la démocratisation de leurs institutions politiques.

1.4.1.2 La toile virtuelle, un ensemble de plates-formes informatives et ouvertes aux

débats politiques

La contestation sociale s'affirme aussi grâce à Internet. En effet, une quantité significative de sites et

de blogues portant sur l'actualité politique tibétaine de l'exil permet aux Tibétains de s'exprimer sur

les enjeux de l'heure. Ces plates-formes ont l’avantage de rejoindre la diaspora malgré les distances

géographiques qui en séparent les membres. Par exemple, la démocratie tibétaine a investi cet

espace virtuel lors des élections de 2011. En effet, les trois principaux candidats en lice aux élections

de 2011 avaient un site web et étaient très présents sur Internet. Alors que les débats sont sclérosés

au Parlement, les nouveaux médias offrent une plateforme plus accessible et ouverte à la

contestation et à la discussion politique, à condition de ne pas critiquer le dalaï-lama.

1.4.1.3 Les initiatives du gouvernement tibétain en exil en faveur de sa démocratisation

institutionnelle

Malgré la lenteur du gouvernement tibétain en exil à engager des débats francs sur les enjeux

politiques auxquels il est confronté, il ne faut pas négliger son importance, particulièrement celle du

dalaï-lama, dans le processus de démocratisation. Plusieurs réformes initiées par Sa Sainteté

ponctuent l’histoire de la politique tibétaine en exil. La Constitution tibétaine a été écrite une première

fois en 1961, puis modifiée en 1963 et en 1991. Le système électoral fonctionne au suffrage

universel depuis 2001. On constate depuis 1991 une séparation des pouvoirs plus stricte, mais le

dalaï-lama conservait un droit de regard absolu dans les trois sphères du pouvoir jusqu'à son retrait

officiel de l’arène politique en 2011. Ce retrait, ainsi que l’élection en 2011 d’un premier ministre laïc,

Lobsang Sangay, marque une nouvelle étape décisive dans la démocratisation du gouvernement

tibétain en exil. Le fait que Samdhong Rinpoche appartienne au clergé ne contredit-il pas la

séparation Église/État si chère à la démocratie? Ainsi, comme le mentionne Magnusson (1997: 5), le

dalaï-lama est le moteur de la démocratisation du gouvernement en exil :

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The combination of the Dalai Lama's status, and his new role as promotor of democracy, creates an unusual political force that makes many exiles participate in democratic activities primarily because the Dalai Lama has asked them to do so, and not because they want more influence over government or to alter the policy (one does not exclude the other, of course).

1.4.1.4 La diaspora tibétaine, un acteur qui s'engage progressivement dans la démocratie

de l'exil

La population tibétaine non issue des piliers traditionnels du pouvoir est un autre acteur crucial pour

la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. En ce sens, on note une augmentation de

l'engagement des jeunes tibétains de l'exil depuis 1990 (Robin, 2009), que ce soit à travers les

débats publics, l'engagement au sein d'organisations sans but lucratif tibétaines ou encore à travers

la participation électorale. Par exemple, lors des élections du Kalon Tripa de 2006, 30 % de la

population en exil a voté (Roemer, 2008), alors que les élections de 2011 ont vu le nombre de votes

augmenter et passer à 38 % de la population. Cette augmentation relative du taux de participation

témoigne d’une certaine amélioration de la participation populaire. Comparé à d’autres pays qui

permettent le vote de la diaspora, le gouvernement tibétain en exil ne se situe pas en mauvaise

position. En effet, par exemple, lors des élections de 2012 en Tunisie, 40% de la diaspora tunisienne

avaient participé aux élections, alors que le taux de participation se situait généralement autour de

10%. Il faut noter cependant que le cas de la diaspora tibétaine est différent des 115 pays autorisant

le vote de leurs ressortissants à l’extérieur du pays. En effet, les élections du premier ministre d’un

gouvernement en exil se font principalement, voir exclusivement, par la diaspora. Un taux de

participation de 10% serait catastrophique quant à la légitimité de ce même gouvernement alors qu’il

ne le serait pas pour un gouvernement étatique, puisqu’une partie importante de la légitimité du

gouvernement tibétain en exil repose sur l’appui de la communauté tibétaine, dont la participation au

vote est un indicateur important. Par contre, un taux de participation à l’intérieur d’un État aussi faible

lors d’une élection serait tout aussi catastrophique. Ainsi il faut s’ajuster à cette perspective singulière

d’une élection démocratique au sein d’un gouvernement sans État. Les enjeux de la participation

populaire aux élections du gouvernement tibétain en exil touchent directement la légitimité de ce

même gouvernement, qui dépend de l’appui effectif de la communauté tibétaine en exil qu’il prétend

gouverner.

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1.4.2 La communauté internationale, un acteur essentiel à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil

La communauté internationale est très favorable à la démocratisation du gouvernement tibétain et en

soutient les efforts, de par son expertise et ses ressources financières. En effet, 90 % des ressources

financières viennent de fonds étrangers, que ce soit des dons de personnes, d’organisations non

gouvernementales ou de gouvernements étrangers. (Phuntso, 2004, Roemer, 2008). De plus, sans

le support d’experts internationaux en matière politique, diplomatique et législative, la réussite de ce

gouvernement tibétain et de sa démocratisation n’aurait pas été aussi importante. Selon Ardley

(2003: p. 357), la démocratisation du gouvernement tibétain en exil avait pour but de plaire à la

communauté internationale en en faisant un gouvernement contemporain. C'est aussi dans ce même

esprit que l'approche de la voie du milieu a été développée.

Cet appui de la communauté internationale envers le gouvernement tibétain en exil repose en grande

partie sur le dalaï-lama. Ce facteur n’a pas empêché le dalaï-lama de se retirer de la politique en

2011 et dans ce contexte cette démission pose de nombreuses inquiétudes. Le nouveau Kalon Tripa

Lobsang Sangay aura sans doute plus de difficulté à être invité par les gouvernements du monde du

fait qu’il est le représentant d’un gouvernement non reconnu sur la scène internationale et non un

chef spirituel charismatique ayant obtenu le prix Nobel de la paix. Notons que ce retrait marque une

avancée démocratique importante pour le gouvernement tibétain en exil. En ce sens, tant la

communauté internationale que le gouvernement chinois peuvent aussi y voir une raison de

rapprochement. En effet, comment un pays démocratique pourrait-il soutenir un régime politique non

démocratique? Comme un des objectifs importants des Nations Unies est la démocratisation des

pays, la démocratisation du gouvernement tibétain en exil peut être une bonne décision dans la

mesure où elle permet d’accroître la légitimité de ce gouvernement, ce qui risque de plaire à la

communauté internationale. Par rapport à la Chine, la démocratisation du gouvernement tibétain en

exil peut être vue positivement, car il va dans le sens d’une diminution du « féodalisme » dominant

au sein de l’organisation sociale et politique tibétaine selon les autorités chinoises. De plus, le retrait

du dalaï-lama de la démocratie tibétaine est une bonne nouvelle pour la Chine, qui n'a jamais

reconnu le gouvernement tibétain en exil et qui a toujours souhaité négocier avec les représentants

de Sa Sainteté, plutôt qu'avec ceux du gouvernement.

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1.5 La démocratie au service de la "cause tibétaine": un appel tibétain à la communauté internationale

L'appui de la communauté internationale envers le gouvernement tibétain en exil a non seulement un

impact positif sur la démocratisation de ce gouvernement, mais aussi sur ce qu'on appelle la "cause

tibétaine", on pourrait même dire que c'est afin d'encourager l'appui envers la "cause tibétaine" que le

gouvernement tibétain en exil a entrepris une démocratisation institutionnelle. En effet, si le

gouvernement tibétain en exil a pour objectif fondamental de retourner au Tibet et qu'il a besoin de

l'appui de la communauté internationale, la démocratisation peut être comprise comme un outil

servant à encourager l'appui de cette communauté afin de favoriser le retour au Tibet. Ainsi, comme

le souligne Trine Brox : « democracy has been made a central pillar of discourse in the Dalai Lama's

and the Government-in-Exile's struggle for self-determination in Tibet. [...] democracy can be flagged

to attract sponsors and supporters to the exiles' freedom movement » (2009: 66).

Tout d'abord, il faut préciser ce qu'on entend par "cause tibétaine". Ce concept est apparu en

réponse à l’invasion du Tibet par l’Armée populaire de libération, dirigée par Mao Zedong de 1950 à

1959, qui avait pour but officiel de « libérer » les serfs tibétains du joug de leurs seigneurs.

Malheureusement, cette volonté inspirée des principes marxistes n’a pas été transmise

complètement aux soldats de cette armée, qui ont conservé un certain « chauvinisme Han » hérité

de l’époque du Guomindang (Goldstein et al., 2004). Inspirés par cette vision hautaine, des

massacres de populations entières, le pillage des richesses tibétaines et le mépris de ces soldats ont

encouragé le soulèvement tibétain antichinois et anticommuniste qui éclata le 10 mars 1959 à Lhasa,

la capitale du Tibet, ce qui poussa le chef spirituel et politique du Tibet, le dalaï-lama et son

gouvernement, à l’exil en Inde. De cet évènement découlent deux visions contraires sur la

souveraineté du Tibet et donc de la légitimité de l’invasion chinoise. D’une part la vision protibétaine

qui défend son point de vue comme un appel à la défense de la "cause tibétaine", qui soutient que le

Tibet était avant l’invasion maoïste un pays indépendant. Cette position soutient que le droit à

l’autodétermination de son peuple a été bafoué. Considérant l’invasion chinoise comme illégitime, les

représentants du gouvernement nouvellement exilé en Inde décident, sous l’impulsion du dalaï-lama,

de reconstituer le gouvernement tibétain en exil, dont la mission serait à la fois de prendre en charge

les réfugiés tibétains en Inde et de restaurer la liberté au Tibet. Dans ce but, le gouvernement tibétain

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en exil revendique d’être le seul gouvernement légitime du peuple tibétain et le dalaï-lama d’être le

seul chef politique du Tibet10. D’autre part, la vision prochinoise, qui soutient au contraire que le

Tibet a fait partie de la Chine depuis le 12e siècle (Pommaret, 2003: 62; Wei, 1989) et que par

conséquent la question tibétaine est une question interne à la Chine, qui est souveraine au Tibet. Le

gouvernement tibétain en exil et le dalaï-lama sont donc perçus par les autorités chinoises comme

des séparatistes, voire même des terroristes (Toy, 2008). Cette polarisation du statut du Tibet met la

communauté internationale dans une position très délicate. Les raisons sont multiples pour soutenir

l’une ou l’autre des positions, et certaines s’appuient sur des clichés contredits par les faits11,

renforçant par le fait même la confusion entourant la question tibétaine.

Ainsi, la "cause tibétaine" renvoie à celle de la légitimité de l’invasion maoïste et donc à la

souveraineté du Tibet et au statut du gouvernement tibétain en exil dont le dalaï-lama est le plus

grand représentant. Suite à l’échec sur la scène internationale de la tentative par le gouvernement

tibétain en exil de faire reconnaître le Tibet comme État souverain12, ce gouvernement a réorienté sa

stratégie politique afin de maintenir et d’accroître l’appui de la communauté internationale envers ses

instances et le peuple tibétain. Le but était double : assurer sa survie en exil, grâce au financement

de ses institutions par la communauté internationale, et permettre son retour au Tibet, grâce aux

pressions de la communauté internationale envers la Chine, en ce qui a trait à la reprise et à la

poursuite des négociations avec le gouvernement tibétain en exil. La stratégie du gouvernement

tibétain en exil était donc d’obtenir le soutien de la communauté internationale par l’orientation de ses

communications politiques non plus sur l’illégitimité du gouvernement chinois au Tibet, mais plutôt

sur les violations des droits de l’homme au Tibet et sur ses efforts de démocratisation de ses

institutions politiques en exil (Blondeau, 2002: 89)13.

Selon le politologue Yossi Shain (1991), un gouvernement en exil doit avoir l’appui de la

communauté internationale pour atteindre son objectif général, soit le retour au pays d’origine. En

10 Depuis 2011, même si le dalaï-lama s’est retiré de la sphère politique de l’exil, il reste concerné par la « cause tibétaine », c’est-à-dire à la résolution du conflit sino-tibétain.

11 Ainsi dans l’article cité plus haut de Donald Lopez on mentionne l’utilisation de la non-violence du peuple tibétain comme raison d’un soutien à ce peuple et du barbarisme et de la violence de ce même peuple comme raison d’un soutien à la politique chinoise.

12 Aucun pays n’a reconnu le Tibet comme souverain à ce jour, malgré le Traité de Simla conclu entre le Royaume-Uni, la Chine et le Tibet en 1914, reconnaissant l’indépendance du Tibet de facto.

13 En témoigne le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie, financé par le gouvernement tibétain en exil et les nombreux discours du Dalaï-lama à travers le monde sur ce sujet.

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effet, c’est grâce à cet appui qu’un gouvernement en exil peut revendiquer une quelconque légitimité.

C’est par rapport à cette nécessité que le jeu diplomatique du gouvernement tibétain en exil envers la

communauté internationale se complexifie. Nous avons d’une part un gouvernement qui souhaite

être légitimé et d’autre part une communauté internationale sympathique au dalaï-lama, à la

démocratisation et à la protection des droits de l’Homme, qui ne souhaite toutefois pas accorder cette

légitimité au gouvernement tibétain en exil, de peur de froisser ses relations avec la Chine,

essentielles sur le plan économique. Selon Fiona McConnell (2009), le rapprochement entre les

chefs d’État et le dalaï-lama et les représentants du gouvernement tibétain en exil, et l’établissement

de « Maison du Tibet », sortes de délégations générales du gouvernement en exil, établies dans plus

de 10 pays, permettent à ce gouvernement d'acquérir une légitimité de facto, essentielle à son

maintien en exil et à l’atteinte de son objectif général, le retour au Tibet. On peut donc constater que

la démocratisation du gouvernement en exil s'inscrit dans la volonté de plaire à la communauté

internationale, ceci afin d'accroître ses chances d'un retour au Tibet ou, à tout le moins, d'un maintien

de la légitimité de ce gouvernement en exil.

Ce mémoire tente d’éclaircir la démocratisation des institutions politiques du gouvernement tibétain

dans la perspective complexe de l’exil, où l’appui de la communauté tibétaine et de la communauté

internationale sont essentiels.

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Chapitre 2 : Méthodologie

2.1 Question de recherche

Les transformations politiques qui ont lieu au sein de la communauté tibétaine de l'exil depuis 1990

nous amènent à en questionner l'articulation, car il s'agit d'un cas unique : un gouvernement par

essence provisoire initie une démarche de stabilisation institutionnelle à travers un processus de

démocratisation. Ce croisement de deux concepts traditionnellement éloignés, soit d'une part la

démocratisation et d'autre part le gouvernement en exil, est particulièrement intéressant. De plus, le

cas tibétain est en soi fascinant et tout aussi riche en relations inhabituelles, notamment par rapport à

l'image occidentale de la communauté tibétaine et de sa "cause" par rapport à la réalité de la

diaspora tibétaine. Ces deux réalités complexes s'imbriquant l'une dans l'autre ont semblé un objet

d'étude passionnant, pour l'auteure de la recherche.

La problématique qui s'est dessinée au fil des recherches a trouvé sa formulation finale à travers

cette question :

Dans un premier temps : Dans quelle mesure le gouvernement tibétain en exil se démocratise-t-il,

selon les critères de démocratisation de Robert A. Dahl ? Ce qui nous a amené à nous poser la

question suivante : Comment la démocratisation du gouvernement tibétain en exil s'insère-t-elle dans

la défense de la cause tibétaine auprès de la communauté internationale?

2.2 Hypothèse et cadre théorique

Ce projet de recherche tentera d’éclaircir le processus de démocratisation du gouvernement tibétain

en exil depuis 1990 jusqu'à ce jour. Très peu d’études se penchent sur les modalités de la

démocratisation d’un gouvernement en exil. La raison principale est sans doute qu'on ne retrouve

qu'un seul cas de ce type dans l'histoire, soit le gouvernement tibétain en exil. Ainsi l'étude entreprise

est, de par son originalité, très pertinente. La démocratisation effective sera étudiée entre 1990 et

2013 en mettant en lumière les différents acteurs et enjeux auxquels le gouvernement tibétain en exil

est confronté.

Afin de bien mesurer l'état de la démocratie tibétaine dans le temps, il faut d'abord définir ce qu’est la

démocratie. Il faut préciser ce qu'entend en général la littérature occidentale contemporaine par

democracy, ce que les Chinois entendent par minzhu et les Tibétains par mangtso, car le sens de

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ces termes diffère de façon significative. Sans oublier le sens donné au terme par les Grecs lorsqu'ils

parlaient originellement d'un gouvernement dirigé par le demos (peuple) (Fréchette, 2007). Le défi

est alors de s'assurer que la définition que nous allons adopter dans le cadre de ce travail soit

adéquate pour évaluer l'état de la démocratie tibétaine, qui a des spécificités dont il faut tenir compte.

La perception de ce qu’est une démocratie pour les Tibétains doit être saisie pour comprendre ce

vers quoi tendent les politiques de démocratisation du gouvernement tibétain en exil. Dans cette

optique, nous allons tenter de rester sensibles au contexte particulier qui est le nôtre tout en nous

appuyant sur une définition de la démocratie à l’occidentale. C’est en effet sous cet angle que se

sont développés les critères d’évaluation de la démocratisation des pays dans le monde. Notre

perspective restera en ce sens conforme à l’usage courant dans ce domaine. « La démocratie est

seule aujourd’hui à détenir une légitimité politique » (Dupuis-Déris, p. 84). Seule depuis

l’effondrement du Bloc de l’Est, la démocratie sous sa forme libérale annoncerait même la fin de

l’Histoire14.

Quel est donc ce régime si excellent qu’aucun ne peut le dépasser et comment le définir? L’idéal de

la démocratie, tel que nous engagerait un Platon ou un Socrate (Platon, 1995) à le voir, permet-il de

définir ce qu’est la démocratie telle qu’elle est, dans les faits? La question a été soulevée à l’époque

contemporaine sans qu’il y ait consensus. En effet, certains pensent que la théorie classique de la

démocratie ne résiste pas à l’épreuve des faits15. Cette théorie, largement tributaire des penseurs de

l’époque des Lumières, s’appuie sur cet idéal : « Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la

souveraine puissance, c’est une démocratie » (Montesquieu, p. 58). Cette idée qu’il existe un corps

politique homogène (le peuple) possédant la souveraineté est réfutée par certains comme ne

correspondant pas à la réalité. On ne retrouve pas dans la démocratie occidentale de corps politique

uni, ou de volonté générale. Ceux qui contestent cette théorie défendent de façon plus pragmatique

une définition dite « procédurale » de la démocratie dans laquelle ce régime politique ne peut se

comprendre comme un idéal ou une finalité, mais comme une méthode ou une procédure sans

moralité, mettant en œuvre un ensemble de moyens permettant une gouvernance légitime. En ce

sens, selon Schumpeter (Schumpeter, 2008), la méthode démocratique n’est qu’une compétition

politique assurée par un système institutionnel dans lequel les individus ont le pouvoir d'élire par

14 Voir La fin de l’histoire et du dernier homme, Francis Fukuyama, 1992. 15 Voir notamment Capitalism, Socialism, and Democracy, de Joseph Schumpeter, 1942.

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suffrage universel, librement et en toute égalité, le candidat du parti qu’il souhaite voir au pouvoir. La

démocratie serait donc sous cet angle une compétition politique pour la direction des affaires de

l’État qui tire sa légitimité de ce moyen : l’élection au suffrage universel. Cette vision utilitariste et

réaliste de la démocratie permet de mesurer son état plus facilement qu’en s’appuyant sur une

définition de la démocratie idéale. Ainsi, il ne s’agit pas de mesurer à quel point les sociétés et les

nations concernées réalisent le « bien commun » et actualisent la « volonté générale », mais plutôt

de mesurer si des faits ; à savoir si un pays démocratique a des élections libres et un ensemble de

mécanismes structurels précis, comme un État de droit et une vie parlementaire saine. Cette même

volonté de séparer l’idéologie des faits se retrouve chez Dahl, à travers son concept de polyarchie16,

qui renvoie au fonctionnement politique des sociétés industrielles occidentales. Cependant, à la

différence de Schumpeter, Dahl ajoute à la procédure démocratique un ensemble de droits et libertés

essentiels. À cheval entre la théorie classique de la démocratie et la théorie procédurale, la

polyarchie de Dahl se retrouve en position de tension, à la fois en étant plus concrète que l’une, en

mettant l’accent sur les faits, et plus abstraite que l’autre en mettant l’accent sur les droits et libertés.

Dans ce mémoire, le cadre d’analyse de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil tiendra

compte des modèles de démocratie occidentale. Cependant, dans quelle mesure un tel cadre peut-il

s’appliquer à un gouvernement en exil, asiatique de surcroît? En effet, un tel gouvernement est très

particulier. Sans souveraineté, il n’a aucun pouvoir de commander puisqu’il n’a pas d’État. La notion

d’État renvoie à une territorialité, dans laquelle un gouvernement exerce un pouvoir souverain. Le

gouvernement tibétain ne peut imposer de lois, il n’a pas de souveraineté juridique, ni législative.

Dans quelle mesure alors un tel gouvernement peut-il démocratiser ses institutions? De plus la

démocratie tibétaine offre un cadre d'analyse unique par rapport au cadre des démocraties

asiatiques. En effet, alors que les autres démocraties de l'Asie s'appuient sur les valeurs du

confucianisme (Brox, 2009), la démocratie tibétaine se fonde sur les valeurs et l'ontologie du

bouddhisme (Brox, 2009). Il serait très intéressant de plonger dans ce cas exceptionnel de

démocratisation à la tibétaine, mais ce n'est pas le chemin qu'il a été décidé de prendre. Puisque la

question de recherche porte sur le degré de démocratisation du gouvernement tibétain en exil, il a

été choisi de prendre appui sur un des cadres de mesure les plus importants, soit celui développé

16 Voir notamment Polyarchy : Participation and Opposition, 1971.

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par Robert Allan Dahl et donc de sortir du paradigme démocratique asiatique afin d'épouser le cadre

occidental.

Le modèle de Robert Alan Dahl (1989) de la démocratie, ou plutôt comme il la dénomme polyarchie,

est une approche très intéressante pour analyser et comprendre la démocratisation d’un système

politique. Quoique Dahl ne se soit pas penché sur les particularités d’une démocratie au sein d’un

gouvernement en exil, et que son approche visait à décrire le fonctionnement politique des sociétés

industrielles occidentales, nous pensons que les caractéristiques présentées par l’auteur demeurent

très pertinentes pour comprendre le sujet à l'étude et vérifier l'hypothèse de recherche. En effet, Dahl

soutient notamment qu’il y a deux dimensions théoriques pouvant aider à situer la démocratisation

d’un système politique. La première se rapporte au degré d’opposition permise, de contestation

publique et de compétition politique, soit le degré de libéralisation. Dans ce cadre, seront analysées

les transformations que le gouvernement tibétain en exil a subies au fil du temps. La seconde

dimension mesure le degré d’inclusion politique, comme le droit de participer à la contestation

publique. Le système politique tibétain en exil sera étudié à la lumière de ces deux dimensions et

nous tenterons d’apporter un élément nouveau à la théorie de Dahl due au contexte singulier qui

nous occupe, la présence d’un gouvernement en exil. Ainsi les conditions qui peuvent amener une

plus grande libéralisation et inclusion politique seront définies en fonction des spécificités d’un

gouvernement en exil, présentées par Yossi Shain (1991). Cette relation nous permettra dans un

deuxième temps de mieux comprendre le paradoxe de la démocratisation d'un gouvernement

provisoire.

Yossi Shain présente une théorie sur les gouvernements en exil très pertinente en général, et

particulièrement pour notre sujet. Celle-ci nous permettra de mieux comprendre les différents enjeux

et acteurs auxquels le gouvernement tibétain en exil doit faire face et par conséquent pourquoi, sous

cet angle, ce gouvernement tente de se démocratiser. Selon l’auteur, les gouvernements en exil sont

des institutions politiques dont la raison d'être se centre sur leur lutte pour restaurer un

gouvernement qui a été destitué par la force et dont l'administration se trouve dans un pays étranger.

À la lumière de ce qu’avance Shain, notre questionnement initial trouve tout son sens. En effet,

l'aspect paradoxal de la stabilisation démocratique d'un gouvernement par essence instable s'en

trouve révélé. Selon l’auteur, deux facteurs permettent l’atteinte de l’objectif ultime pour un

gouvernement en exil du retour au pays natal : l’appui de la communauté tibétaine et celui de la

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communauté internationale. Le premier facteur permet au gouvernement d’avoir une certaine

légitimité politique interne. S’il veut revendiquer son autorité sur la communauté tibétaine à l’intérieur

et à l’extérieur du Tibet, cette communauté doit manifester son appui envers ses institutions de l'exil,

sans quoi il serait factice. Le second facteur avancé par Shain est l’octroi et le maintien de l’appui de

la communauté internationale, car sans cet appui, un gouvernement en exil ne pourrait avoir le poids

politique nécessaire à l’avancement des négociations avec le gouvernement du pays d’origine.

Comme nous l’avons dit précédemment, l’appui de la communauté tibétaine envers le dalaï-lama est

indéfectible, tandis que celui envers le gouvernement en exil semble être assez faible. La culture

politique traditionnelle est un obstacle non négligeable, mais aussi sans doute le manque d’inclusion

et de libéralisation politique du gouvernement (Roemer, 2008). En ce sens, une plus grande

démocratisation du gouvernement tibétain en exil permettrait d’accroître l’appui de la communauté

tibétaine en permettant à un plus grand nombre de Tibétains de se sentir représentés et écoutés par

ce gouvernement. La démocratisation aurait donc pour objectif d’accroitre l’appui envers le

gouvernement tibétain en exil. De plus, la démocratisation du gouvernement tibétain en exil

permettrait d’augmenter l’appui de la communauté tibétaine dans son ensemble et de résoudre le

dilemme entre les membres de la communauté à l’intérieur et à l’extérieur du pays natal (Shain

1989), en ce sens qu’il permettrait d’accroître l’unité et la légitimité du gouvernement en exil à travers

un projet commun : l’instauration de la démocratie au sein du gouvernement tibétain, pour le moment

en exil, où tous pourraient participer, dans le respect des fondements bouddhistes. La

démocratisation serait sous cet angle un instrument au service du nationalisme tibétain (Bentz,

2010).

De plus, la démocratisation du système politique tibétain encourage et maintient l’appui de la

communauté internationale, dont les efforts de démocratisation sont prioritaires, notamment au sein

des Nations Unies et particulièrement pour les États-Unis, dont le lien avec la cause tibétaine est

particulièrement important. La communauté internationale ne pourrait soutenir un gouvernement

autocratique avec autant de force. Comme les efforts de négociations avec la Chine sont

indispensables pour organiser le retour au pays d’origine et que ces négociations se font en grande

partie grâce à l’appui de la communauté internationale, le gouvernement tibétain en exil a tout intérêt

à entreprendre des mesures afin de démocratiser son système politique (Roemer, 2008) pour

accroître sa légitimité internationale.

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En s’appuyant sur la théorie de Yossi Shain, le paradoxe apparent entre démocratisation et

gouvernement en exil peut ainsi être résolu. En effet, la démocratisation du gouvernement tibétain en

exil favorise l’appui de la communauté internationale et tibétaine, facteurs essentiels au maintien et à

l’accroissement de la légitimité du gouvernement, légitimité essentielle pour la réussite de l’objectif

que le gouvernement tibétain en exil s’est fixé : le retour au pays d’origine. Pour cette raison, nous

pensons que le gouvernement tibétain en exil se démocratise progressivement depuis les années 60.

Le récent changement dans la Charte du terme de « gouvernement tibétain en exil » pour celui de «

Organisation du peuple tibétain » en est un bel exemple. On peut penser qu’à travers cette

modification, la portée revendicatrice du gouvernement tibétain en exil est plus ténue. En effet, le

terme de « gouvernement tibétain » en exil sous-entend qu’il se représente comme seul

gouvernement légitime de tous les Tibétains. Le terme de « Administration tibétaine » n’a pas, en ces

termes, cette portée. Est-ce à dire que le gouvernement tibétain en exil, après plus de 50 ans en exil,

réoriente ses visées profondes, d’un retour au Tibet à un maintien en exil? Afin de faciliter la

compréhension de la proposition développée précédemment, un schéma de l’exposé est présenté ci-

dessous.

Figure 2 : Représentation du processus de démocratisation du système politique tibétain

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Cependant, certains auteurs (Frechette, 2007; Ardley, 2000) soulignent le manque de véritable

engagement du gouvernement tibétain dans le processus de démocratisation. Cette possibilité nous

amènerait à rejeter notre proposition, c’est-à-dire de conclure au manque effectif de démocratisation

au sein du gouvernement tibétain en exil. Même si nous ne pensons pas que cette situation se

présente, nous ne pouvons l’exclure de notre recherche.

2.3 Cadre opératoire et structure de la preuve

L’opérationnalisation des concepts présents dans notre hypothèse se fait par l’analyse du degré de

démocratisation du gouvernement tibétain en exil depuis 1990. Pour ce faire, nous allons centrer

notre analyse sur la démocratisation des institutions du gouvernement tibétain en exil ainsi que sur la

participation de la communauté tibétaine au processus démocratique, à la lumière des indicateurs de

Dahl. De plus, afin de mieux comprendre les enjeux liés à la démocratisation du gouvernement

tibétain en exil, nous nous appuierons sur les spécificités d’un gouvernement en exil conceptualisées

par Yossi Shain. Dans cette perspective, l’importance de la quête d’une légitimité qui se fonde sur

l’appui des communautés tibétaine et internationale sera mise de l’avant. Notre analyse se

concentrera donc aussi sur le degré d’appui de ces deux communautés envers le gouvernement

tibétain en exil depuis 1990.

Afin de vérifier cette analyse, nous nous appuierons sur les indicateurs présentés par Dahl, qui

semblent s’appliquer adéquatement à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. Il s’agit de

la libéralisation et de l’inclusion que nous mesurerons de façon ordinale, c’est-à-dire par la

hiérarchisation des attributs selon un ordre de grandeur défini, et parfois nominale, c’est-à-dire par

l’exposition des attributs présents sans distinctions de grandeur ou de valeur. De plus, nous inclurons

dans notre analyse des indicateurs liés à l’évaluation de l’appui des communautés tibétaine et

internationale, puisqu’il s’agit d’un enjeu important dans le cadre de la légitimité d’un gouvernement

en exil, tel que Yossi Shain l’a souligné (Shain, 1989).

Pour Dahl, un régime dit polyarchique permet aux opposants du gouvernement en place de

s’organiser en partis politique publics et légaux de façon à confronter le gouvernement lors

d’élections libres et justes. Le but est simple : permettre qu’un gouvernement soit à l’écoute des

préférences de ses citoyens. En ce sens, selon Dahl, une société démocratique doit pouvoir offrir à

ses citoyens l’opportunité de formuler et de signifier ses préférences afin que ces dernières soient

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prises en compte équitablement dans l’agenda politique du gouvernement. De plus, un régime

démocratique doit avoir huit garanties institutionnelles permettant d’assurer l’expression et la

considération de ces préférences. Ces garanties sont les suivantes : liberté de former et de joindre

une organisation, la liberté d’expression, le droit de vote, l’accessibilité de la fonction publique, le

droit des dirigeants politiques de se livrer à une compétition pour l’appui de la population, des

sources alternatives d’information, des élections libre et juste, des institutions assurant que les

politiques gouvernementales dépendent des votes et d’autres expressions des préférences

citoyennes. Ces garanties peuvent être regroupées en deux catégories distinctes : d’une part, la

capacité d’un régime politique d’accepter et d’intégrer la contestation publique, ce qui est appelé par

Dahl la libéralisation ; d’autre part, l’étendue de la participation sociale dans le contrôle et la

contestation de la conduite du gouvernement, ou encore le droit de participer à la contestation

publique, ce que Dahl appelle l’inclusion (Dahl, 1989: 4). Nous allons, dans le cadre de notre

recherche, évaluer l’état de la transition démocratique du gouvernement tibétain en exil au fil du

temps en s’attardant en particulier sur trois périodes significatives : 1991, 2001, 2011. Malgré le fait

que notre analyse soit essentiellement qualitative, nous allons tenter de quantifier le degré d’inclusion

et de libéralisation politique à l’aide des indicateurs proposés par Dahl, pour chacune de ces

périodes historiques.

2.4 Stratégie de recherche

Une stratégie empirique de recherche a été adoptée pour le recueil et l'analyse des informations à

l'étude dans le mémoire. La notion d'empirisme se définit par ailleurs dans le cadre des recherches

de nature descriptives, propres aux sciences humaines. Ainsi, il faut préciser qu'il n'y a pas de

généralisation et de confirmation d'hypothèses, par présentation d'une preuve, qui soi attendu de

l'analyse des résultats.

L'étude réalisée s'appuie sur la méthode de l'analyse de cas unique. Cette méthode permet d’étudier

en profondeur tout phénomène de nature sociale. L'objectif du recueil d'information porte sur

l'analyse des co-variations potentielles d'un ensemble de données historiques, relativement au

phénomène de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil. L'observation documentaire a

aussi été privilégiée comme stratégie de collecte des informations recherchées.

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33

Les informations recueillies par la méthode de l’observation documentaire portent sur la période de

1990 à ce jour. La base de données est constituée d'un ensemble d'ouvrages spécialisés sur la

démocratie et le gouvernement tibétain en exil. Entre autres sources d'informations, l'approche de

Robert Allan Dahl sur la démocratisation et celle de Yossi Shain sur le gouvernement en exil, ont été

privilégiés. L'analyse s'appuie aussi sur un ensemble de documents officiels, tels que ceux du

gouvernement tibétain en exil et des pays ayant eu une relation avec le Tibet. Ces documents ont

permis de mettre en lumière l’évolution des politiques institutionnelles relatives à la démocratisation

du gouvernement en exil et à la position officielle des gouvernements étrangers sur le gouvernement

tibétain. D'autres sources d'information ont été puisées parmi des périodiques spécialisés sur la

politique tibétaine de l'exil, tels que : Tibetan Review et The Tibetan political review. Ces périodiques

présentent des informations essentielles pour comprendre la spécificité tibétaine en matière politique.

Des périodiques s'ajoutent à la banque d'informations, comme les grands périodiques internationaux,

accessibles en français et ou en anglais (Le Monde, The Economist, Le Monde diplomatique,

Diplomatie, entre autres). Une quantité importante d'informations a été trouvée recueillie sur la toile

informatique, notamment à travers les blogues et journaux d’actualités : www.phayul.com, un site

web d'information sur l'actualité tibétaine à travers le monde, basé en Inde ;

www.jamyangnorbu.com, le blogue d'un important intellectuel tibétain exilé aux États-Unis et dont le

point de vue est favorable à la démocratisation du gouvernement tibétain en exil et à l'indépendance

du Tibet ; www.rangzen.net, un site créé par Jamyang Norbu, qui regroupe des auteurs favorables à

l’indépendance du Tibet ; le site du gouvernement tibétain en exil www.tibet.net. Les informations

disponibles sur Internet apportent un regard complémentaire à l'analyse des débats politiques au

sein de la communauté tibétaine, ainsi qu'à propos des faits politiques associés à l'exil du peuple

tibétain.

Finalement, il semble pertinent de souligner dans cette section qu'en raison du choix méthodologique

de recueil d'informations, la démarche de recherche ne contient pas des stratégies associées à

d'autres méthodes, telles que : l'entrevue, le sondage, l’observation directe ou participante.

Cette stratégie de mesure, l’étude de cas par l’analyse documentaire, largement utilisée en sciences

humaines, est fiable, valide et facile d’accès, dans le cadre des limites associées à ce type de

démarche de recherche (i.e., descriptive). Concernant l'exhaustivité de la littérature consultée, il est à

souligner que certaines informations relatives à la politique officielle du gouvernement tibétain en exil,

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34

notamment les textes de lois et les autres documents officiels ont été difficiles d'accès. Il aurait fallu,

dans la plupart des cas, se rendre au siège social du gouvernement tibétain et traduire ces textes du

tibétain à l'anglais ou au français.

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35

Chapitre 3 : La démocratisation du gouvernement tibétain en exil

de 1990 à 2013

3.1 Libéralisation

La libéralisation d’un régime politique implique son ouverture face à l’opposition, l’intégration d’une

compétition électorale en vue d’obtenir le pouvoir et la culture d’une liberté d’expression (Dahl, 1989).

En ce sens, nous allons évaluer la libéralisation du gouvernement tibétain en exil à l’aide des

attributs suivant : la liberté de former et de joindre une organisation, la liberté d’expression, le

système électoral libre et juste, le système de partis et la distribution du pouvoir. Puisque l’analyse de

la démocratisation du gouvernement tibétain s’inspire directement de la théorie de Dahl, les

indicateurs choisis afin d’évaluer le degré de démocratisation du gouvernement tibétain s’appuient

sur ceux présentés par Dahl dans son ouvrage célèbre Polyarchy, en 1989.

3.1.1 La liberté de former et de joindre une organisation

La liberté de former et de joindre une organisation assure une plus grande libéralisation du régime

dans la mesure où les citoyens peuvent exprimer leurs préférences sociales et politiques de façon

plus cohérente et concertée. Un ensemble d’organisations encourage et manifeste une pluralité

sociale qui permet l’émergence d’un dialogue politique et social. Ces échanges et l’implication

politique de la société civile sont un gage certain d’une libéralisation politique (Dahl, 1989, chapitre

1).

Traditionnellement la société civile tibétaine ne s’implique pas ou peu politiquement (Roemer, 2008).

Les Tibétains faisant ainsi entièrement confiance aux lumières supérieures de leur chef politique et

spirituel, le dalaï-lama. Le dalaï-lama reconnaît lui-même l’impact de son opinion sur celle des

Tibétains : « If I say, 'I think this is better or that is better,' then people may not express freely. ».

Aussi, les régions plus éloignées du centre du pouvoir politique de Lhassa étaient moins concernées

encore par les activités du gouvernement, voir de facto indépendantes de ce dernier (Roemer, 2008).

Ainsi l’opposition politique et les débats contradictoires ne sont pas une tradition au sein de la société

tibétaine, qui s’y est initiée en exil.

De façon générale, la liberté de former et de joindre une organisation est ouverte à tous. Cependant,

dans les faits, l’approbation et le cautionnement du dalaï-lama sont essentiels à la création et au

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maintien de ces organisations. En effet, et ce pour deux raisons principales. La première étant que

ces organisations sont financées en grande partie, voire essentiellement, par les fonds du dalaï-lama

et du gouvernement tibétain en exil. La seconde est que le dalaï-lama jouit en exil auprès de la

communauté tibétaine d’une autorité morale si importante qu’un désaveu de sa part entraînerait un

affaiblissement voire même une cessation de l’organisation en question et une critique de ceux qui la

soutiennent. Ainsi, à travers l’autorité du dalaï-lama, le gouvernement tibétain en exil a un certain

contrôle des organisations non gouvernementales tibétaines et cautionne celles qui portent un

message en accord avec les lignes directrices du pouvoir (Roemer, 2008; Norbu, 2009). Par ailleurs,

officiellement le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil encouragent l’opposition politique et

sont à l’origine de la majorité de ces organisations non gouvernementales tibétaines. On peut donc

constater l’ambiguïté du discours officiel.

Les principales organisations non gouvernementales sont les suivantes : le Congrès de la jeunesse

tibétaine, l’Association des femmes tibétaines et Guchusum.

Le Congrès de la Jeunesse tibétaine est l’organisation non gouvernementale la plus importante en

exil. Fondée en 1970 par quatre jeunes Tibétains éduqués17, elle est officiellement apolitique et

laïque. Le nombre de membres déclaré est en croissance constante : il est passé de 12 000 en 1994

à 15 000 en 2003 et 30 000 en 2007, ce qui représente près d’un quart de la population tibétaine

(Robin, 2009). Le Congrès de la jeunesse tibétaine a pour but principal d’œuvrer pour

l’indépendance du « grand » Tibet (incluant la Région autonome du Tibet, le Qinghai, une partie du

Sichuan, Yunnan et Gansu,où résident, parmi d’autres groupes, les communautés reconnues comme

ethniquement tibétaines en Chine), ce qui en fait un groupe politique qui s’oppose clairement à

l’approche de la voie du milieu, avancée par le dalaï-lama pour la première fois en 1987 et adopté

par le gouvernement tibétain en exil par la suite. En ce sens, le Congrès de la jeunesse tibétaine est

le seul groupe à formuler un discours politique divergent de la politique officielle. De plus, comme le

17 Deux d’entre eux étaient issus de la noblesse du Tibet central, plus précisément de la famille aristicratique Thetong.

Un troisième, Lodi G. Gyari était issu d’une puissante famille du Kham, Ce dernier a fondé l’International Campaign

for Tibet, un important groupe de pression qui défend les intérêts tibétains et la position du gouvernement tibétain en

exil auprès des instances politiques occidentales. Il est depuis 2002 l’un des deux représentants du gouvernement

tibétain en exil lors des rencontres entre émissaires chinois et représentants tibétains. F. Robin, 2009.

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souligne Jane Ardley : « The Tibetan Youth Congress itself is often seen as being the de facto

opposition on the Tibetan polity, mainly because it disagrees with the Dalai Lama’s policy of total

non-violence » (Ardley, 2003: 355). En effet, le Congrès de la jeunesse tibétaine accepte la

possibilité d’un éventuel recours à la violence s’il n’y a pas d’autres options possibles pouvant

amener l’indépendance du Tibet18. Parmi les autres engagements du Congrès de la jeunesse

tibétaine, notons la démocratisation de la scène politique tibétaine en exil (Robin, 2009).

Quoique le Congrès de la jeunesse tibétaine ait été fondé sous le regard approbateur du dalaï-lama,

depuis 1987 on peut remarquer une certaine tendance du gouvernement tibétain en exil à

décourager les Tibétains à s’engager au sein de ce groupe. En effet, selon Jamyang Norbu (2013), le

gouvernement tibétain en exil attaque les organisations prônant l’indépendance du Tibet (le Congrès

en particulier) parce que leurs revendications blessent le dalaï-lama et divisent les Tibétains. En

effet, lors d’un discours du gouvernement tibétain en exil aux Tibétains datant du 10 mars 2013, il a

été dit que le gouvernement a pour tâche de permettre la réalisation du « désir commun » des

Tibétains, qui est l’autonomie du Tibet, ce qui implique indirectement que ceux qui s’opposent aux

politiques du gouvernement tibétain en exil nuisent à la cause tibétaine et vont à l’encontre de l’unité

nationale. Durant les années 2012 et 2013, le dalaï-lama, qui n’est plus à ce moment à la tête du

gouvernement tibétain en exil, semble avoir un discours de plus en plus clair contre le Congrès de la

jeunesse tibétaine et sa défense de l’indépendance du Tibet (Norbu, 2013; Phayul, 2013). Même que

Samdhong Rinpoche, l’ancien premier ministre du gouvernement tibétain en exil de 2001 à 2011, a

demandé aux membres réunis à la 15e rencontre générale du Congrès de la jeunesse tibétaine de

résoudre la contradiction au sein de leurs objectifs généraux entre d’une part le soutien au dalaï-lama

et la défense de l’indépendance en s’alignant à la volonté de tous les Tibétains, du dalaï-lama et du

gouvernement tibétain en exil par rapport à l’approche de la voie du milieu qui valorise l’autonomie

du Tibet. Dire ouvertement que le Congrès de la jeunesse tibétaine agit contre la volonté du dalaï-

lama porte une importante atteinte au Congrès de la jeunesse tibétaine et à la liberté de formuler une

opinion contraire à la position gouvernementale. Un Tibétain qui souhaiterait joindre les rangs d’une

telle organisation sera dans les faits libre de le faire, mais sentira certainement une pression à ne pas

18 Sur le site de l’association, le quatrième objectif est ainsi “… to struggle for the total independence of Tibet even at the cost of one’s life.” (http://tibetanyouthcongress.org/about-tyc/aims-and-objectives/ (Page consultée le 6 juilllet 2013)).

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le faire, ou du moins à le garder secret. Le cabinet ministériel et le ministère de la Sécurité ont œuvré

en particulier pour décourager les membres du Congrès de la jeunesse tibétaine, avec succès.

Malgré cela, le Congrès de la jeunesse tibétaine s’est maintenu et a quand même revendiqué être

l’organisation qui représente l’ensemble des Tibétains, à l’instar du gouvernement tibétain en exil

(Roemer, 2008: 109).

De plus, cette critique du Congrès se manifeste aussi au sein des instances politiques de l’exil. En

effet, une coalition de la droite religieuse au pouvoir, majoritaire au parlement tibétain depuis sa

création, accuse le Congrès et les autres associations indépendantistes de l’exil d’avoir causé

l’échec des négociations sino-tibétaines et d’avoir dérangé le dalaï-lama (Norbu, 2008, Roemer,

2008: 108).

L’Association des femmes tibétaines a été fondée en 1984 à l’initiative du dalaï-lama. La structure

organisationnelle de cette association s’inspire du Congrès de la jeunesse tibétaine, les membres

fondateurs étant aussi issus des sphères d’autorité19. Toutefois, selon Françoise Robin (2009), cette

association s’ouvre progressivement aux strates plus populaires de l’exil et offre ainsi une chance à

toutes les femmes tibétaines de prendre une place dans l’arène politique de l’exil. Le gouvernement

tibétain en exil supporte de façon très limitée l’association parce que ses actions pour la défense des

droits des femmes tibétaines sont jugées comme pouvant nuire à la cause tibétaine. En effet, par la

défense des droits des femmes serait indirectement mises en lumière les inégalités de genre

traditionnelles au peuple tibétain (Roemer, 2008: 111). Cependant, la question des droits des

femmes défendue par l’association n’avait pas pour objectif fondamental d’augmenter l’équité

homme-femme, mais plutôt de promouvoir le combat pour l’indépendance du Tibet. Ainsi, vers la fin

des années 90, l’association s’est davantage positionnée comme une branche « féminine » des

militants pour l’indépendance.

Guchusum est né en 1991 à l’initiative d’anciens prisonniers politiques ayant fui le Tibet. Cette

organisation a pour but principal de venir en aide aux prisonniers au Tibet et aux ex-prisonniers en

exil. C’est la plus petite association de l’exil puisqu’elle ne compte qu’approximativement 500

membres (The Gu-Chu-Sum Movement of Tibet, 2011). Le terme « Guchusum », littéralement

19 Quatre des onze membres appartenaient à la famille du dalaï-lama et deux à des familles aristocratique du Tibet central (Robin, 2009: 173).

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« neuf-dix-trois », renvoie aux mois où se sont déroulées d’importantes manifestations

indépendantistes à Lhassa entre 1987 et 1988 (le 21 septembre 1987, le 1er octobre 1987 et le 5

mars 1988). L’association offre des formations professionnelles, des stages de langue et

d’informatique et organise des campagnes de mobilisations et d’informations à l’échelle

internationale (Robin, 2009, http://www.guchusum.org).

Selon Françoise Robin (2009), ces organisations non gouvernementales indépendantistes ne sont ni

écoutées ni représentées par leurs dirigeants en ce qui a trait à la défense de l’indépendance du

Tibet. Même que Samdhong Rinpoche, alors qu’il était premier ministre du gouvernement tibétain en

exil, a appelé régulièrement les jeunes Tibétains à la modération dans ce domaine. Le dalaï-lama en

fait de même indirectement puisqu’il défend l’autonomie du Tibet20. Malgré cette pression pour ne

pas s’opposer ouvertement à la ligne officielle du gouvernement, ces associations ont défendu

l’indépendance du Tibet d’une façon inédite au sein de la société tibétaine, notamment en prenant

les Jeux olympiques de Pékin de 2008 comme une occasion de passer leur message à travers le

monde en mettant en place des opérations coup-de-poing.

De plus, même si ces organisations sont non gouvernementales, elles sont toutes liées au

gouvernement tibétain en exil pour deux raisons principales : elles participent à des activités

religieuses et politiques ensembles, comme pour organiser et faire des prières pour la longue vie du

dalaï-lama et pour organiser des campagnes de boycottage des produits faits en Chine ou encore

des Jeux olympiques de Pékin en 2008. Aussi, ces organisations non gouvernementales sont toutes

financées par le gouvernement tibétain en exil (Roemer, 2008: 114). En ce sens, il est très difficile

dans un tel contexte pour ces organisations d’être indépendantes du pouvoir en place. Roemer

avance même que le gouvernement tibétain en exil achète leur loyauté par des investissements

matériels et immatériels et par l’approbation du dalaï-lama.

Un parti politique tibétain a vu le jour en 1994, il s'agit du Parti démocratique national du Tibet. Il a

été créé suite à l’initiative du Congrès de la jeunesse tibétaine et du dalaï-lama lors d'une rencontre

en 1990 (Lehman, 2009). Il est le premier parti politique de l’histoire du Tibet. Son objectif principal

20 On peut le constater notamment à travers son discours de 2008 paru dans le journal Le Monde http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/04/09/la-voie-du-milieu-pour-le-tibet-par-tenzin-gyatso_1032672_3232.html (Page consultée le 7 juillet 2013).

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est d’encourager la démocratisation du gouvernement tibétain en exil et l’indépendance du Tibet.

Lors de sa création, il a reçu un accueil négatif. En effet, les associations régionales y ont vu une

violation de leurs droits politiques et une tentative d'affaiblissement de l'unité politique nationale

(Margusson, 1997). En 2007, le Parti revendique plus de 2 000 membres provenant de l'Inde, du

Népal et du Bhoutan. Selon J. Magnusson (1997), le Parti démocratique national du Tibet a échoué

quant à sa possibilité de faire un réel impact dans l’arène politique de l’exil, à la lumière de deux

caractéristiques essentielles d’un parti politique qui ne sont pas présentes : la volonté de gouverner y

est absente et une structure durable à un niveau local l'est tout autant (Magnusson, 1997: 9). En

effet, le premier des dix « buts et objectifs » du parti est ainsi libellé : « se consacrer au service du

pays et du peuple guidé avec dynamisme par Sa Sainteté le dalaï-lama, dirigeant spirituel et

temporel du Tibet » (National Democratic Party of Tibet). Ne s’étant pas dégagé du parrainage du

dalaï‑lama, il est difficile pour ce parti de s’opposer à lui. Enfin, le parti ne possède pas de

programme politique : ses neuf autres « buts et objectifs » ne font aucune référence à un quelconque

projet de société. Ainsi, ce parti adopte une position plus ou moins analogue à celle d’une

organisation non gouvernementale.

Afin de mesurer la liberté de former et de joindre une organisation non gouvernementale en exil,

nous allons quantifier dans le temps cette liberté à l’aide des indicateurs proposés par Dahl (1989 :

238) :

1. Groupe autonome libre d’entrer en politique et capable de s’opposer au gouvernement;

2. Groupe autonome libre d’organiser des politiques, mais limité dans leur capacité de s’opposer au gouvernement;

3. Groupe autonome toléré informellement et à l’extérieur des politiques publiques;

4. Aucune autonomie du groupe tolérée.

Tableau 1 : La liberté de former et de joindre une organisation

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Indicateurs de Dahl (1 à 4)

3 2 2

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41

Situation en 1991. Nous avons jugé que la liberté de former et de joindre une organisation est

limitée, entre autres parce qu’à cette date, aucun parti politique n’est constitué et que formellement le

Congrès de la jeunesse tibétaine n’a pas de mandat politique. De plus, même si le dalaï-lama est

l’instigateur des principales associations indépendantistes tibétaines, suite à l’adoption de l’approche

de la voie du milieu en 1988, une tension permanente s’est installée entre ces associations et le

dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil. En ce sens, d’une part le dalaï-lama doit cautionner

toute organisation pour qu’elle voie le jour et d’autre part cette dernière doit être en accord avec les

politiques avancées par le dalaï-lama, faute de quoi son existence sera fortement contestée. Ainsi la

principale limitation quant à la liberté de former et de joindre une organisation se trouve être le

contrôle politique et sociale du dalaï-lama au sein de la diaspora tibétaine.

Situation en 2001. Nous pensons qu’en 2001 cette liberté s’est toutefois accrue, notamment grâce à

la présence d’un parti politique actif, malgré le fait qu’il n’ait pas réussi à prendre sa place en tant

qu’opposition politique au pouvoir en place. Il nous semble encore difficile de s’opposer au dalaï-

lama et de remettre en question l’approche de la voie du milieu. Ainsi même si ce parti politique

témoigne d’un certain progrès démocratique, l’absence de système multipartite au sein du Parlement

tibétain et de plateforme politique distincte de la politique officielle, limite la portée et la consistance

de ce parti politique.

Situation en 2011. Nous pensons qu’en 2011 cette liberté ne s’est pas développée de façon

significative. Les élections 2011 ont été marquées par l’importance du candidat au poste de premier

ministre au détriment d’un système de parti. Cet aspect témoigne bien de la place centrale au sein de

la politique tibétaine du dirigeant politique, du dalaï-lama au Kalon tripa au détriment d’une culture de

parti et de plateforme électorale. De plus, l’Administration centrale tibétaine ainsi que le dalaï-lama

ne semblent pas témoigner d’une plus grande ouverture face aux organisations politiques qui

s’opposent à la voie officielle, telles le Congrès de la jeunesse tibétaine ou le Parti national

démocratique tibétain.

3.1.2 Liberté d’expression

La liberté d’expression assure une plus grande libéralisation politique dans la mesure où peuvent

s’exprimer les préférences de la population dans le respect de ses limites légales. Cette expression

populaire est le fondement qui rend possibles le dialogue et les débats politiques publics (Dahl, 1989,

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chapitre 1). Cette liberté dépend d’un espace public libre et ouvert à tous. Cet espace se retrouve en

grande partie à travers les médias publics de l’exil, la presse écrite, les radios, les blogues et les

médias sociaux. La relative liberté de ces médias nous permettra d’évaluer dans quelle mesure il est

possible d’exprimer une opinion sans contrainte dans la communauté tibétaine de l’exil. Un autre

volet à cette liberté d’expression concerne l’espace politique ou gouvernemental. Nous allons évaluer

dans quelle mesure les membres du gouvernement et les fonctionnaires peuvent exprimer librement

leur point de vue au sein de cet espace.

Sur le plan de la liberté d’expression dans l’espace politique, on peut constater une certaine censure

présente tout au long de notre période d’analyse. Cette censure se rapporte à la critique de

l’approche de la voie du milieu et à la défense de rangzen, c’est-à-dire de l’indépendance du Tibet.

En effet, notamment, en 1997, Karma Choephel, l’un des fondateurs du Parti démocratique national

du Tibet, alors député du Parlement tibétain en exil, a proposé une résolution sur la révision de la

politique de l’approche de la voie du milieu de l’administration tibétaine. Cette proposition, très

sévèrement critiquée, s’est vue refusée à l’unanimité. Consécutivement, de nombreuses discussions

et tensions se sont développées à ce propos et quelques tentatives de remise à l’ordre du jour ont

été faites.

Le député Hortsang Jigme a en effet proposé en 2004 une résolution afin de réviser la position du

gouvernement sur l’approche de la voie du milieu. Deux ans auparavant, Jigmey proposa de

dépasser le dilemme entre l’autonomie et l’indépendance du Tibet et de retourner au Tibet. Son

souhait était d’agir au sein même du pays natal afin de résoudre le conflit sino-tibétain. Cette

proposition, quoiqu’elle reçut un accueil assez favorable de la part de la population, a été aussi

refusée, mais cette fois avec une majorité de 24 votes contre 9, 7 absents et 4 abstentions (Central

Tibetan Administration, 2004). Par la suite, en 2008 et en 2013, d’autres discussions se sont

engagées afin de proposer de nouveau une révision de cette politique, sans aboutir à une résolution.

Selon Norbu (2004), le gouvernement tibétain et les députés bien établis en Inde défendent leurs

intérêts en exil au détriment des Tibétains établis dans le « grand » Tibet. L’importance des mesures

favorisants l’appui et le financement de la communauté internationale des institutions de l’exil va

dans le même sens. Ainsi, exprimer une vision politique divergente est bien souvent rejetée sans

possibilités de réels débats politiques.

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43

À travers cette volonté d’ouvrir le débat public sur la politique la plus importante du gouvernement

tibétain en exil, l’approche de la voie du milieu, s’est dessinée au fil des ans une confrontation entre

les partisans de l’indépendance du Tibet et ceux de l’autonomie (Vernerey, 2008). De plus, il est à

noter que les partisans de l’indépendance du Tibet semblent être aussi les plus ardents défenseurs

de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil, sans doute dans le but de voir leur point de

vue sur la « question du Tibet » davantage pris en compte. Les plus actifs partisans se regroupent au

sein des principales organisations non gouvernementales de l’exil (Vernerey, 2008; Ardley, 2003).

Cette confrontation idéologique est marquée par une division sociale intergénérationnelle entre d’une

part l’ancienne génération, celle du dalaï-lama et les défenseurs de son approche de la voie du

milieu et d’autre part la jeunesse qui est plus critique face à cette politique et au dalaï-lama (Lu,

2009: 181). Selon Jamyang Norbu, le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil ne laissent pas

la chance à cette position politique de se faire entendre au sein des instances politiques. En ce sens,

le 21 juin 2009 à Dharamsala, Penpa Tsering, le représentant de l’époque du Parlement tibétain a

déclaré que seule une personne supportant l’approche de la voie du milieu pourrait être candidate

aux prochaines élections du premier ministre tibétain (en 2011), à titre de Kalon tripa (Norbu, 2009).

En novembre 2008 une rencontre spéciale s’est tenue à Dharamsala afin de s’assurer de l’appui de

la communauté tibétaine envers l’approche de la voie du milieu. Lors de cette rencontre, le dalaï-

lama n’était pas présent et a justifié son absence par le fait qu’il ne voulait pas influencer les

participants. Malgré cette ouverture, c’est à l’unanimité que la communauté a affirmé son appui à

l’approche de la voie du milieu du dalaï-lama. Selon Norbu (2009), les partisans loyalistes envers le

dalaï-lama ont dominé la rencontre et orienté les conclusions. Aussi, en 2010, une résolution du

Parlement a été adoptée dans le même sens21.

De plus, la liberté d’expression semble avoir été limitée par le gouvernement tibétain en exil à travers

une censure et une condamnation de livres, de travaux académiques sur l’histoire du Tibet, de

journaux et magazines, afin d’éradiquer toute idée qui n’était pas en accord avec les politiques

officielles du gouvernement tibétain en exil (McLagan, 1996: 238). Les dirigeants qui proposaient des

idées novatrices étaient relégués à des fonctions inférieures (Roemer, 2008: 168). Le contexte était

tel qu’il était très difficile d’exprimer une opinion personnelle critique envers le pouvoir en place (Dixit,

21 http://tibet.net/2010/03/22/parliament-reaffirms-faith-in-his-holiness-wisdom-to-resolve-tibet-issue/ (consulté le 7 juillet 2013).

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1991: 6). Paradoxalement, il y avait au sein de l’exil une promotion officielle de la liberté de presse et

d’expression (Roemer, 2008: 168). En ce sens, avec les changements constitutionnels des années

90, de nouveaux journaux ont servi de forum de discussion publique et d’instruments de lutte contre

la propagande chinoise et de moyen d’augmenter l’appui de la communauté internationale.

Cependant, à la fin des années 90, il n’y avait aucun journal qui offrait un point de vue différent de

celui de la ligne officielle du gouvernement tibétain en exil (Norbu, 1991). En ce sens, selon Ardley

(2003, p. 355) « Opposition, criticism and dissent – essential aspects of democracy- currently have

no place in the Tibetan government-in-exile. ». Une association tibétaine nommée Chushi Gangdrug

(Quatre rivières six vallées)22 a conclu un accord en 1994 en trois points avec la commission des

Affaires mongoles et tibétaines du gouvernement taïwanais dans laquelle les Affaires mongoles et

tibétaines engageaient Taiwan à reconnaître le dalaï-lama comme chef spirituel et politique,

garantissant au Tibet une autonomie dans l’hypothèse d’une réunification avec la Chine (Chushi

Gangdruk, 2007). Le dalaï-lama, dans son discours devant le Parlement tibétain en exil en 1994,

commente alors cette initiative en ces termes :

In the meantime under the name of the Four Rivers Six Ranges Organisation (Chushi Gangdruk) a document was signed with some representatives of the Tibetan and Mongolian Affairs Commission of Taiwan, which has caused some problems. It has always been my wish to develop good relations with Taiwan. The reason for this is that the basic method for solving the question of Tibet is to find a way based on negotiations between China and Tibet. Other than this, it is not possible to bring out any solution based on discussions with others (Dalaï-lama, 1994).

Il affirme plus tard une réflexion encore plus claire : « At a time when we have not been able to

establish good relations, and when something is created under the name of an important group in the

Tibetan society, it is generally improper to develop contacts with a foreign nation and sign a

document. » (Dalaï-lama, 1994). Le gouvernement tibétain a pour sa part révoqué la reconnaissance

de cette organisation et trois députés du Kham ont démissionné dans la tourmente du scandale. En

d’autres termes, la résolution du conflit sino-tibétain doit être engagée entre le gouvernement tibétain

en exil et la Chine, et non entre Taïwan et une organisation non-officielle, telle que le Chushi

22 Il s'agit d'une organisation de résistance tibétaine qui tenta de renverser l'invasion de l'Armée populaire de libération maoïste à partir des années 50. La CIA a financé leurs opérations à travers un programme d'assistance au mouvement de résistance tibétaine jusqu'en 1974 (voir à ce sujet : Orphans Of The Cold War America And The Tibetan Struggle For Survival, John K. Knaus, PublicAffairs, U.S., 2000 et Buddha’s Warriors, Mikel Dunham, Penguin Books India, 2005).

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Gangdrug. L’interprétation de la suite des événements selon cette organisation témoigne d’une

volonté de freiner l’inclusion et la libéralisation de la démocratie tibétaine : pourtant, l'administration

de Dharamsala mena une campagne virulente et sournoise contre notre organisation. En étiquetant

nos membres comme "traîtres" et "anti-dalaï-lama", elle s'escrima sans relâche à dissuader toute

organisation de traiter avec la nôtre. Elle alla même jusqu'à se faire un point d'honneur de nous

empêcher d'avoir un quelconque rapport significatif avec les Affaires mongoles et tibétaines. Elle

retira le droit de vote à nos membres, les ostracisa et les persécuta pour les punir d'avoir commis le

plus terrible crime en obtenant la reconnaissance par la Chine nationaliste de l'institution du dalaï-

lama comme chef suprême du Tibet, à la fois sur les plans politique et spirituel, ainsi que la

reconnaissance du principe d'auto-gouvernance du Tibet dans l'éventualité d'une réunification

démocratique de la Chine. Notre administration en exil alla jusqu'à mettre en place un faux "Chushi

Gangdruk", à Dharamsala, pour concurrencer notre organisation en utilisant son numéro

d'immatriculation. Ce qui est un acte illégal. En bref, le Kashag remua ciel et terre pour écraser notre

organisation. » (Chushi Gangdruk, 2007).

On remarque toutefois une certaine amélioration de la liberté d’expression, notamment grâce à

l’ouverture aux débats lors des rencontres du Parti politique démocratique du Tibet et des

assemblées générales du Congrès de la jeunesse tibétaine des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.

Selon Stephanie Roemer (2008: 85), au niveau de l’espace public tibétain, l’indépendance du Tibet

est un sujet tabou. Cette autocensure divise la communauté tibétaine. L’élite de l’exil est convaincue

que l’autonomie du Tibet permettra de reprendre les négociations avec les autorités chinoises et

impose son opinion au reste de la population au nom du but fondamental du gouvernement en exil,

qui est le retour au pays d’origine. Cependant, depuis les années 90, on remarque un certain

empowerment de la société civile en matière politique (Robin, 2009: 171). Les jeunes nés de l’exil,

qui ont grandi dans un contexte démocratique, commencent à prendre la place des aînés dans les

instances du pouvoir et à bouleverser les traditions jusque-là très conservatrices. Ces jeunes

générations comprennent davantage l’importance de l’implication civile pour le fonctionnement

démocratique du gouvernement tibétain en exil et sont à même de la mettre en pratique. Par

exemple, au début des années 90, un groupe de Tibétains de l’exil a contribué à fonder

l’Organisation des nations et des peuples non-représentés (Unrepresented Nations and People’s

Organisation), qui se voulaient une réponse à l’absence de représentation du gouvernement tibétain

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en exil au sein des Nations Unies. Ces jeunes qui s’engagent dans le processus décisionnel

participent ainsi à diverses rencontres internationales : Sommet pour l’environnement et le

développement de 1992 à Rio de Janeiro, Sommet pour les Droits de l’homme à Vienne en 1993,

Conférence mondiale des femmes à Pékin en 1995 (Butler, 2003: 152-153). De plus, ces jeunes

investissent l’espace virtuel et créent des plates-formes informatives accessibles partout à travers le

monde à moindre coût. On retrouve ainsi des blogues consacrés à la politique et à l’actualité

tibétaine comme, entre autres :

(a) en langue anglaise : https://sites.google.com/site/tibetanpoliticalreview; http://www.rangzen.net/; http://www.highpeakspureearth.com/; http://www.tibetoday.com/, http://www.jamyangnorbu.com/;

(b) en langue chinoise : http://woeser.middle-way.net/; et

(c) en langue tibétaine : http://www.khabdha.org/; http://www.rfa.org/tibetan/; http://www.vot.org/; http://www.tibettimes.net/; http://kunleng.wordpress.com/).

Aiguillées par le rejet de l'approche de la voie du milieu avancée par le dalaï-lama, quelques

associations ont vu le jour dans les années 90, dont : le Comité des 100 pour le Tibet (fondé en 1992

par Thupten Jigme Norbu, frère de l'actuel dalaï-lama), le Mouvement international pour

l'indépendance du Tibet (fondé en 1995 par Thupten Jigme Norbu); Rangzen Alliance (fondée par

Jamyang Norbu).

À la lumière de cette analyse, nous allons quantifier dans le temps cette liberté d’expression à l’aide

des attributs suivants, tels que suggérés par Dahl (1989 : 238). :

1. Complète (aucune censure ou contrôle gouvernemental);

2. Intermittente (censure sélective ou occasionnelle);

3. Absente à l’interne (Censure au sein de la communauté tibétaine, relative liberté d’expression au sein de la communauté internationale.);

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4. Absente (aucun média indépendant et aucune liberté d’expression au sein du gouvernement).

Tableau 2 : La liberté d'expression ou la censure

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Attributs de Dahl (1 à 4)

3 2 2

Situation en 1991. On constate en 1991 des espaces publics et politique relativement censurés par

l’aile dominante de la société tibétaine, défendant l’approche de la voie du milieu et d’un certain âge.

Cette censure se porte notamment sur la remise en question de l’approche de la voie du milieu.

Même si certaines personnes expriment des opinions divergentes de la position politique officielle, on

constate une importante répression de ces discours, tant par les membres du gouvernement tibétain

en exil que par la population tibétaine. Entre autre la question de l’indépendance, mais aussi celle de

l’interdiction du protecteur Shugden.

Situation en 2001. En 2001, la liberté d’expression est en expansion, notamment grâce aux

changements constitutionnels apportés dans les années 90. Cependant, elle n’est pas suffisante

pour affirmer qu’il n’y a plus de contrôle gouvernemental et de censure populaire. En effet, on note

certaines initiatives politiques visant à ouvrir le débat à l’ensemble de la population tibétaine, y

compris ceux et celles qui s’opposent à l’approche de la voie du milieu. Cependant, les conclusions

de ces débats, à l’unanimité pour la position officielle, amène un certain questionnement quant à la

réelle liberté d’expression populaire.

Situation en 2011. En 2011, cette liberté s’est encore accrue par rapport à 2001, notamment grâce à

des élections du premier ministre tibétain offrant des débats publics et des confrontations

intergénérationnelles entre les candidats. Cependant, la question de l’indépendance du Tibet reste

taboue. De plus, par la démission du dalaï-lama, on peut penser qu’il sera dorénavant un peu plus

aisé de parler politique ouvertement sans craindre de blesser Sa Sainteté ou de heurter l’unité

tibétaine derrière ce dernier.

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3.1.3 Le système électoral libre et juste

L’attribut du système électoral libre et juste nous permettra de vérifier la libéralisation des élections.

Une élection libre et juste permet la libre compétition des différents partis politiques participants sans

aucun privilège accordé à un groupe ni sans interdiction de partis, à l’exception des partis

extrémistes et anticonstitutionnels (Dahl, 1989, chapitre 1). Nous analyserons ainsi le déroulement

des élections depuis 1990, en particulier celles des ministres par le Parlement tibétain en exil de

1990, l’élection du Premier ministre tibétain au suffrage universel en 2001 et en 2011.

Le système électoral tibétain n’est pas compétitif puisqu’il est sans partis politiques. Les députés élus

à la lumière de critères régionaux et religieux, n’ont presque aucune confrontation idéologique

pouvant les mener à leur élection. Certes, depuis 2001, avec l’instauration d’une élection du premier

ministre au suffrage universel, et surtout à partir de 2011 où on constate une plus grande opposition

politique, il est possible de voir une certaine compétition politique et l’émergence d’opposition sur le

plan des idées politiques. Cependant, lors de ces élections, les trois candidats au deuxième pôle

défendaient la même position sur la cause tibétaine, celle proposée et défendue par le dalaï-lama,

l’approche de la voie du milieu.

La première élection suite aux changements électoraux a eu lieu en 1991, incluant le premier débat

politique au sein de la communauté tibétaine23 organisée en Suisse. La participation électorale a été

de 62% parmi les électeurs laïcs et de 53% parmi les électeurs religieux (Tibetan Review, 1991: 9).

Quatre-vingt-cinq candidats aux postes de députés de l'Assemblée parlementaire tibétaine se sont

disputés les 43 sièges libres. Trois autres candidats ont été choisis par Sa Sainteté. La sélection des

ministres du gouvernement a été problématique. En effet, seulement deux députés (dont un était le

frère du dalaï-lama et l'autre un ancien ministre par intérim du Kashag) ont été élus par le Parlement

tibétain, car il n'y avait pas d'autres candidats. Le dalaï-lama a procédé à la nomination des trois

autres nécessaire à la formation du gouvernement, à la lumière des exigences de la Charte tibétaine,

ce que Lobsang Sangay a qualifié de "Setback for democracy"24. Le frère du dalaï-lama, Gyalo

23 Cité par Sophie Behrens Lehman, Tibetan Elections in Exile: From Theocratic Monarchy to a Developing Exile Democracy, 1959-2009, thesis, Duke University, 2009: Sangay, Lobsang, "Democracy in Distress", How Does the Tibetan Diaspora Elect Leaders?", p. 37.

24 Cité par Sophie Behrens Lehman, Tibetan Elections in Exile: From Theocratic Monarchy to a Developing Exile Democracy, 1959-2009, thesis, Duke University, 2009: Sangay, Lobsang, "Democracy in Distress", How Does the Tibetan Diaspora Elect Leaders?", p. 38.

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Thondup a été élu par le parlement à titre de Kalon Tripa, pour un an, rééligible. 18 mois après

l'élection du Kashag, le parlement a demandé sa dissolution afin d'en réélire correctement les

membres. L'assemblée tibétaine a alors réélu le cabinet des ministres précédent. Un éditorial du

Tibetan Review critique alors sévèrement l'avancement démocratique du gouvernement en exil : "we

can't, in the privacy of our own rooms, seriously think of our society as a practicing democracy

without bursting into hysterical fits of laughter" (Tibetan Review, 1993: 3). Un des ministres réélu

démissionna dès son entrée en poste et fut remplacé par la belle-soeur du dalaï-lama (qui fut par

ailleurs présidente de l'Association des femmes tibétaines).

En 2000, un accord a été adopté par l'assemblée tibétaine afin d'encadrer les élections, l'Accord sur la Commission électorale tibétaine en exil. Cet accord a permis un progrès démocratique certain dans la mesure où les règles et la structure du processus électoral s'en trouvent plus démocratiques: les amendements requièrent désormais le support des deux tiers de l'assemblée parlementaire, mais doivent toujours être entérinés par le dalaï-lama. Le chef de la Commission est mandaté pour cinq ans et doit avoir moins de 65 ans. Une violation de cet accord et une dispute électorale peuvent être amenées à la Cour suprême tibétaine. En ce sens, une personne jugée coupable est passible de l'interdiction de voter pour une période allant de trois à dix ans (Charte des Tibétains, Article 23(2)). En 2000, le chef de la Commission électorale a été directement sélectionné par le dalaï-lama alors qu'en 2004, un amendement a été adopté concernant la nomination du chef de la Commission. Désormais, le dalaï-lama doit sélectionner le candidat à la lumière d'une liste d'au moins trois candidats faite par le chef de la justice de la Cour suprême, le président de l'Assemblée tibétaine et le Kalon Tripa (The Tibetan in Exile Election Commission Act, Article 5(2), Amendment 5). On remarque ici une certaine démocratisation des procédures de nomination du chef de la commission électorale. Un amendement à la Charte a aussi été adopté en 2001 afin de permettre l'élection du suffrage universel du premier ministre tibétain. En effet, traditionnellement choisi par le dalaï-lama, le Kalon Tripa fut ensuite élu directement par l'assemblée tibétaine lors d'un vote secret. La décision d'étendre l'élection du premier ministre au suffrage universel est certainement un progrès démocratique.

L'élection du premier Kalon Tripa élu directement par la population tibétaine eu lieu en 2001 et porta

au pouvoir le professeur Samdhong Rinpoche, qui a une longue feuille de route au sein de

l'administration tibétaine. Lors des élections primaires, il obtint 82% des votes. Lors des élections

finales, il obtint 85% des votes. Il put pour la première fois aussi choisir les membres de son cabinet,

qui devaient dans un deuxième temps être approuvés par l'assemblée parlementaire. Cette avancée

démocratique a été faite en réponse à la demande du dalaï-lama.

En 2004, un amendement à l'accord a été adopté afin que le dalaï-lama ne soit plus obligé de

nominer trois députés qui se sont illustrés dans les domaines des arts, des sciences, de la littérature

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et du service à la communauté (The Tibetan Exile Election Commission Act, Article 27(c)). Lors des

élections de 2006, Sa Sainteté ne s'est pas prévalue de son droit, les trois sièges sont alors restés

vacants durant la durée totale du mandat. Le professeur Samdhong rinpoche fut réélu pour une

dernière fois25 à 90,72% des votes au deuxième tour en 200626, dans laquelle 51% des 72,771

électeurs ont participé. Un débat public a été organisé entre les deux plus importants candidats, qui

s'est avéré être semblable à un forum selon le Tibetan Review (2006) puisque ces candidats

n'avaient pas de vue divergente sur aucun niveau. Le débat fut retransmis en direct sur la chaîne

radiophonique Voice of America, une première.

Il est à remarquer que la nécessité lors d'élections de faire campagne et de se mettre en valeur et

contraire à la culture tibétaine, qui traditionnellement valorise l'humilité. Cette tendance à ne pas se

faire valoir semble avoir diminué au fil des années 2000.

La préparation des élections de 2001 a commencé bien avant cette date. Thupten Samdup a mis sur

pied un site internet visant à informer l'électorat sur les candidats et leur plateforme électorale27. Pour

la première fois dans l’histoire électorale tibétaine, une mission d’observation électorale du réseau

international des parlementaires sur le Tibet s’est penchée sur les élections du premier ministre

tibétain et des 44 députés du Parlement tibétain en mars et avril 201128. Des experts se sont rendus

aux bureaux de vote situés en Belgique, au Canada, en Inde, au Népal, en Suisse et aux États-Unis

afin d'observer le déroulement des élections. Leur rapport mentionne l'avancement démocratique

dans ce cadre électoral :

The open campaign for the Kalon Tripa was certainly an element that contributed to the increased information and interest of the Tibetan population in the election process. As a result, an unprecedented number of Tibetan media outlets, associations, NGOs and one political party took an increasingly prominent role in the electoral campaign, organizing dozens of events that were held all over the world where Tibetans live, and that mostly aimed at informing and educating the Tibetan population about the elections (INPaT, 2011).

25 Un candidat ne peut pas briguer plus de deux élections consécutives, selon l'Accord de la Commission électorale tibétaine en exil, article 63.

26 Il y eu en tout 6 candidats, le plus proche obtint 2,6% des votes (Rinchen, 2006). 27 Il s'agit du site internet : www.kalontripa.org 28 Voir à ce sujet : http://www.inpatnet.org/activities/activity-details/article/7/ (Page consultée le 20 juillet 2013).

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Sur les 83 399 Tibétains pouvant voter dans le monde, 49 184 (59%) ont voté aux élections finales,

comparativement aux élections de 2006, où, sur 82 620 Tibétains pouvant voter, 43 302 (52%) ont

voté, on constate une petite augmentation de la participation électorale.

La liberté et la justice du système électoral tibétain seront mesurées grâce à l’ordre de grandeur

suivant, selon les indicateurs de Dahl (1989 : 238) :

1. Système électoral compétitif (aucune interdiction de parti ou interdiction des partis extrémistes ou anticonstitutionnels seulement);

2. Système électoral partiellement compétitif (un parti avec 85 % ou plus des sièges à l’Assemblée nationale);

3. Système électoral non compétitif (liste de vote unique ou aucune opposition élue);

4. Aucune élection (aucune élection d’organisée ou suspension des élections par le pouvoir en place).

Tableau 3 : La liberté et la justice du système électoral tibétain

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Indicateurs de Dahl (1 à 4)

(1 à 6)

3 3 3

Situation en 1991. Les élections au suffrage universel du Kashag ont débuté en 1960. En 1990, eut

lieu la première élection des Kalons, les ministres du Parlement. Ainsi, même s’il y a des élections,

celles-ci n’incluent presqu’aucune compétition politique, malgré le souhait d’une partie de la

population de voir un système électoral multipartite voir le jour. Ainsi on peut dire que le système

électoral ne jouit pas d’une pleine liberté dans la mesure où les candidats aux élections s’accordent

avec la politique officielle et ne peuvent défendre une plateforme électorale constitué à l’intérieur d’un

parti politique d’opposition.

Situation en 2001. En 2001 a lieu la première élection au suffrage universel du premier ministre

tibétain. Le système sans parti politique et la prégnance du respect de la politique du dalaï-lama

limitent la compétition politique. La présence du premier parti politique offre une certaine avancée

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dans le domaine, mais ce dernier ne prend pas la place qui lui aurait été destinée en tant que parti

politique et se limite à de l’éducation démocratique.

Situation en 2011. En 2011 les élections du Kalon Tripa font apparaître une certaine compétition

politique entre les candidats, mais aucun parti politique n’est pris en compte dans les élections tant

du premier ministre que des députés. De plus, tous les candidats au poste de premier ministre

défendent l’approche de la voie du milieu.

3.1.4 Le système de partis

Le système de partis mesure la libéralisation des débats politiques dans le processus de prise de

décisions politiques. En effet, un cadre multipartite offre une structure politique dans laquelle peut

prendre forme des débats contradictoires ayant une plus grande concertation (Roemer, 2008 ; Dahl,

1989). Ces débats permettent l’approfondissement des problématiques socio-politiques à l’ordre de

jour et amène ainsi une prise de décision plus éclairée. En ce sens, le système de partis est un

indicateur essentiel de la démocratie.

Comme mentionné précédemment, il n’y a pas de système de partis politiques à proprement parler

puisque les députés sont élus en fonction de leur appartenance régionale et religieuse. Même si une

telle structure permet aux Tibétains de l’exil de mieux s’identifier à leur représentant, celle-ci n’en

demeure pas moins une cause importante de factionnalisme (Roemer, 2008: 166).

De plus, selon Norbu (2013), même si le système électoral du gouvernement tibétain en exil est sans

partis politiques, il est de facto unipartite, regroupant une coalition religieuse loyaliste de droite

tibétaine. On peut ainsi se demander comment de réels débats politiques peuvent s’engager dans un

tel contexte, puisqu’il ne laisse pas de place à une opposition idéologique. La défense de ce système

s’appuie entre autres sur le fait que le peuple tibétain doit être uni derrière leur cause. De plus, selon

le gouvernement tibétain en exil, ce système électoral permet une meilleure équité dans les

différentes provenances régionales et religieuses au sein de la communauté, il permet aussi d’unir

les Tibétains à l’intérieur et à l’extérieur du Tibet. Cependant, il est possible de voir les choses dans

un sens contraire, selon lequel cette division régionale et religieuse stigmatise les différences sociale

et religieuse, divise la population sur des questions d’appartenances régionales et religieuses au

détriment des enjeux politiques de fond auxquels le système démocratique devrait s’appuyer. Norbu

se questionne en ce sens sur la réelle validité d’un système électoral qui élit des députés sans

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couleur politique claire (Norbu, 2013). Ce dernier souhaite l’introduction d’un système multipartite, qui

pourrait résoudre les autres problèmes auxquels est confrontée la démocratie tibétaine, dont

l’apathie électorale : « I feel that the introduction of political parties in our national elections for the

exile parliament and the prime-minister, is the “wedge” solution to nearly all of our other political

problems. » (Norbu, 2009b). La Charte tibétaine ne fait aucune mention du système électoral à

privilégier, ce qui ouvre la porte à un possible changement, qui est certes demandé par une fange de

la population, mais qui n’est pas encore à l’ordre du jour. Le dalaï-lama a rédigé un texte intitulé

« Lignes directrices pour la future politique du Tibet » en 1992 dans lequel il préconise le système du

multipartisme. On peut noter cependant que le système actuellement en place augmente la légitimité

du gouvernement tibétain en exil quant à sa représentativité de tous les Tibétains. Cependant, cette

représentativité n’est pas réelle, puisque les Tibétains à l’intérieur du Tibet ne peuvent participer au

vote.

Même si on remarque une nette amélioration du système électoral au fil des ans, on peut noter un

certain manque de profondeur dans les débats entourant les élections. En effet, comme le remarque

Norbu (2009b), les Tibétains ont transposé leur culte envers la personnalité du dalaï-lama à un débat

autour des personnalités des candidats aux élections du futur Kalon Tripa, au lieu de débattre des

politiques nationales à adopter. Ce culte s’est poursuivi après l’élection de Lobsang Sangay en 2011

et rend la position de ce dernier ambigüe, entre un premier ministre qui représente son peuple et

celle d’un président suprême qui guide son peuple vers un avenir meilleur (Norbu, 2013).

Malgré le fait que le système électoral tibétain n’a pas de parti politique, en 1994, le Parti

démocratique national du Tibet s'est installé sur la scène politique de l'exil. Certains députés sont

membres de ce parti, mais aucune mention n’est faite à cet effet (Tibetan Parliamentary & Policy

Research Centre). Ce parti peut sembler être une sensibilisation au système électoral multipartite et

se voit en ce sens, puisque deux de ses 10 objectifs principaux en font indirectement mention : « 3.

To promote and protect national unity and integrity by abandoning any prejudice based on religion,

regionalism and status […] 6. To help establish true democracy; without any bias based on religion,

status and/or region » (National Democratic Party of Tibet). Il est à noter que le Parti démocratique

national du Tibet prône l’indépendance du Tibet, le dalaï-lama comme guide spirituel et temporel du

Tibet ainsi que la démocratie, ce qui est contradictoire puisque le dalaï-lama rejette l'indépendance

du Tibet et qu'il ne peut y avoir à la fois démocratie et présence d'un guide politico-spirituel non-élu à

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la tête de l'État. Le support à l’une ou à l’autre de ces idées est par conséquent ambigu. Leurs

activités politiques s’orientent vers l’éducation à la démocratie, à l’indépendance et à l’histoire du

Tibet, davantage que sur le partage d’un projet politique clair. En ce sens, ce parti ressemble à

l’organisme sans but lucratif « Centre tibétain des droits de l’homme et la démocratie », il en a

d’ailleurs le même statut légal (Bentz, 2011).

Il n’y avait jusqu’en 2011 aucune plate-forme électorale des candidats, ce qui limita grandement la

compétition électorale entre les différents acteurs politiques. Par contre, les élections de 2011 ont

amené une plus grande compétition électorale. En effet, il y eut pour chaque candidat un site internet

qui permettait de connaître davantage leurs positions politiques et des débats furent organisés entre

les candidats potentiels à travers le monde.

Le 13 février 2013, un nouveau parti politique a vu le jour, le « Congrès national tibétain »,

ouvertement indépendantiste, il témoigne d'une volonté populaire de faire entendre un point de vue

différent de la politique du gouvernement tibétain (Finney, 2013).

Le système de parti sera qualifié avec les mesures suivantes :

1. Multipartite;

2. Deux partis (rotation de partis);

3. Un parti et demi (opposition importante, mais incapable d’atteindre la majorité);

4. Un parti dominant (opposition, mais numériquement ineffective au niveau national);

5. Un parti (aucun autre existant);

6. Aucun parti.

Tableau 4 : Le système de parti du « Congrès national tibétain »

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Classification de Finney (1 à 6)

6 5 5

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Situation en 1991. En 1991, aucun parti politique n'existait au sein de la diaspora tibétaine, malgré

une volonté du dalaï-lama et de la population d'introduire le système multipartite au sein de la

démocratie tibétaine. Une rencontre en 1990 entre le dalaï-lama et le Congrès de la jeunesse

tibétaine aboutit cependant à la volonté de créer un premier parti politique d'ici 1994.

Situation en 2001. En 2001 un parti politique existe officiellement, mais il ne siège pas à

l'Assemblée nationale puisque celle-ci est sans parti. Ce parti n'a pas pris la place d'un parti

d'opposition au sein des débats politiques populaires et agit en respect du dalaï-lama et de ses

opinions.

Situation en 2011. En 2011, même s'il n'existe qu'un seul parti politique qui ne peut siéger à

l'Assemblée nationale, les candidats aux élections de Kalon Tripa ont toutefois manifesté une

certaine diversité d'opinions à l'intérieur du respect de l'approche de la voie du milieu, ce qui sans

être un système multipartite, témoigne d'une certaine diversité politique.

3.1.5 La distribution du pouvoir

La distribution du pouvoir mesure le degré d’autonomie des différentes sphères de pouvoir, soit le

législatif, l'exécutif et le judiciaire. La séparation des pouvoirs fut élaborée vers la fin du 17e siècle par

Locke et Montesquieu afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher tout abus, puisque, comme le

mentionne Montesquieu « C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté

à en abuser » (Montesquieu, 1971). En ce sens, afin d’éviter toute corruption nous mentionne

Montesquieu, « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (Montesquieu,

1971). En ce sens, l’autonomie des sphères de pouvoir est essentielle à la santé politique d’un

gouvernement. Une bonne distribution du pouvoir assure une libéralisation politique puisqu’aucune

sphère n’abuse de son pouvoir. En plus d’être scindé, le pouvoir doit être hiérarchisé. En effet, le

pouvoir législatif doit être au sommet puisque c’est lui qui établi les règles qui structurent et

organisent la vie en société. La mise en œuvre de ces règles doit être assuré par une instance

autonome, le pouvoir exécutif. Le respect de ces lois est évalué par le pouvoir judiciaire (Raynal,

2006). Ainsi, l’évaluation du degré d’autonomie du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire permet de

mesurer la libéralisation du pouvoir au sein du gouvernement tibétain en exil.

Le dalaï-lama est le principal obstacle à la distribution du pouvoir au sein des institutions du

gouvernement tibétain. En effet, malgré les réformes démocratiques, le dalaï-lama a continué de

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contrôler les positions centrales au sein des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires (Roemer,

2009), dans la mesure où ces positions sont subordonnées aux autorités indiennes.

Le pouvoir législatif était depuis 1960 séparé entre le dalaï-lama et l’Assemblée des députés du

peuple tibétain. L’Assemblée n’avait pas jusqu’en 1991 le pouvoir d’adopter des lois, ce qui limitait

grandement son pouvoir. Son mandat depuis cette date est de discuter des élections et d’évaluer le

cabinet des ministres et ses actions, le budget annuel et les affaires nationales et internationales

majeures. Le dalaï-lama avait, jusqu’à l’adoption de la Charte des Tibétains, le pouvoir de nommer

personnellement trois députés de l’Assemblée alors que les autres 43 députés sont élus au suffrage

universel depuis 1960. La création de la Charte tibétaine en 199129 apporta de grandes avancées

démocratiques. Par exemple, l’Assemblée peut adopter pour la première fois un document de lois en

1991, la Charte des Tibétains en exil, ce qui lui permet de devenir l’organe législatif principal de la

communauté tibétaine en exil. La Charte donne de nouveaux pouvoirs à l’Assemblée, en plus de

pouvoir adopter des lois, elle devient responsable de l’élection des membres du Kashag. Cependant,

selon l’article 36 de la Charte, l’Assemblée tibétaine requiert toujours l’approbation du dalaï-lama

pour qu’une loi soit effective. De plus, jusqu’à la retraite du dalaï-lama, il était attendu que lors des

assemblées parlementaires Sa Sainteté prenne la décision finale sur les propositions du parlement.

Tous les documents devaient être signés par lui afin de devenir un accord (Roemer, 2008). Jusqu’en

2003, il n’est arrivé qu’une seule fois que le dalaï-lama refuse de valider une décision parlementaire.

Ainsi, on peut constater que le pouvoir législatif était clairement contrôlé par le dalaï-lama, les

députés n’ayant pas de responsabilité politique complète, ce qui selon Roemer a amené un certain

désengagement de la part des députés. Cependant, selon l’auteure, le pouvoir du dalaï-lama a

diminué depuis la fin des années 90 et le pouvoir législatif est devenu plus mature et puissant

(Roemer, 2008 : 101). De plus, selon Brox, le Parlement tibétain est l’entité politique qui s’oppose le

plus aux politiques avancées par le dalaï-lama (Brox, 2009 : 289). On peut aussi penser que le retrait

politique officiel du dalaï-lama ne fera qu’augmenter cette tendance.

Par rapport au pouvoir exécutif, on peut noter qu’il était subordonné au dalaï-lama jusqu’en 2011. En

effet, tous les organes de ce pouvoir avaient à leur tête le dalaï-lama. Le Kashag était constitué de

quatre ministres et d’un premier ministre choisi par les ministres eux-mêmes élus par l’Assemblée

29 La Charte fait suite à la Constitution du Tibet, écrite en 1961 par le dalaï-lama et adopté en 1963.

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parlementaire depuis 1991. En 2001 cependant un amendement de la Charte permet l’élection au

suffrage universel du premier ministre, qui choisit alors ses ministres. Les membres du Kashag se

divisaient les sept ministères pour un terme de cinq ans (Information et Relations internationales,

Sécurité, Santé, Finances, Éducation, Affaires religieuses et culturelles, Intérieur). Le Kashag est

responsable devant le parlement selon la Charte des Tibétains et devant le dalaï-lama, ce qui offre

une certaine limitation et un contrôle mutuels de ces pouvoirs. Le Parlement et le dalaï-lama peuvent

demander la dissolution du Kashag30 dans des circonstances extraordinaires. Malgré une relative

autonomie du pouvoir exécutif, selon l’article 19 de la Charte tibétaine, le Kashag reste sous

l’emprise du dalaï-lama31. À ce jour, il ne semble pas encore avoir eu de modification de la Charte

suite au retrait de ce dernier.

La Cour suprême de justice, qui incarne le pouvoir judiciaire, a été créée en 1992, suite à l’adoption

de la Charte tibétaine l’année précédente. Subordonnée à la juridiction indienne, elle sert à la fois de

cour constitutionnelle et de cour d’appel pour les procès civils au sein de la diaspora tibétaine. Elle

permet ainsi une séparation du pouvoir judiciaire plus importante au sein du gouvernement tibétain.

Cependant, ce pouvoir reste influencé par celui du dalaï-lama puisque c’est ce dernier qui est habilité

à nommer les trois commissaires en chef de la Cour. Ces nominations doivent être approuvées par le

parlement tibétain, mais dans les faits il serait très étonnant de voir une insubordination du parlement

à l’égard des nominations de Sa Sainteté. Ainsi de facto le parlement est restreint dans son pouvoir

de limitation du pouvoir judiciaire en raison du contrôle de ce dernier par le dalaï-lama. Par

conséquent, on peut voir que le pouvoir judiciaire n’est pas pleinement indépendant. En 1996, la

Cour de justice s’est dotée d’un ensemble de lois écrites, dont un code civil et judiciaire, formulé par

la commission suprême de justice et approuvé par le dalaï-lama.

En plus de ces trois pouvoirs, qui ont été séparés suite à l’adoption de la Charte tibétaine en 1991,

trois commissions autonomes assurent une plus grande démocratisation des institutions de l’exil. La

30 Ainsi l'article 29 (1) statue : "The Kashag shall be collectively responsible for the discharge of their duties, and in general it shall be accountable and answerable to the Tibetan Assembly.". Aussi (3) : "The entire Kashag may be dissolved, or any Kalon or Kalons may be removed, as the case may be, with the approval of more than a two-thirds majority of the total members of the Tibetan Assembly" et (4) : "His Holiness the Dalai Lama may, in case of an emergency, dissolve the Kashag or remove a Kalon or Kalons, as the case may be.".

31 Ainsi il est écrit: "The executive power of the Tibetan Administration shall be vested in His Holiness the Dalai Lama, and shall be exercised by Him, either directly or through officers subordinate to Him, in accordance with the provisions of this Charter. In particular, His Holiness the Dalai Lama shall be empowered to execute the following executive powers as the chief executive of the Tibetan government"

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Commission centrale des élections fut créée en 1960 pour assurer la tenue d’élections

démocratiques. La Constitution tibétaine de 1963 se dote d’une structure légale de fonctionnement

en 1991, à travers la Charte des Tibétains en exil. En effet, au chapitre 8 de la Charte des tibétains

en exil, on expose que la Commission a la responsabilité de « pertaining to the election of the

members of the Tibetan Assembly, the Speaker and Deputy Speaker of the Tibetan Assembly, the

Kalons and [Kalon Tripa]… ». La Commission du service public a été créée dans le but d’assurer la

sélection indépendante du personnel administratif du gouvernement tibétain en exil. La Commission

d’audit surveille et juge l’état financier du gouvernement en exil et de ses institutions subsidiaires,

comme les écoles, les coopératives et les hôpitaux.

Les trois commissions indépendantes, en théorie, se retrouvent contrôlées dans les faits par le dalaï-

lama jusqu’en 2011. En effet, Sa Sainteté était responsable de nommer le commissaire en chef de

ces trois commissions, ce qui lui permettait d’avoir une influence directe sur ces structures

administratives et sur les élections, les audits et la sélection des nouveaux fonctionnaires du

gouvernement tibétain en exil. Comparativement à la structure du Ganden Phodrang traditionnel, le

dalaï-lama se retrouve même à avoir un pouvoir élargi en exil, ce qui contraste avec la promotion de

la démocratie et de la démocratisation des infrastructures tibétaines de l’exil faites par le dalaï-lama

dès son arrivée en exil (Roemer, 2008).

La distribution du pouvoir sera mesurée de la façon suivante :

1. Significative (allocation du pouvoir significative avec autonomie des trois sphères du pouvoir) ;

2. Limitée (une branche du pouvoir sans autonomie réelle ou deux branches avec les limitations fonctionnelles) ;

3. Négligeable (domination complète du gouvernement par une branche ou par une agence extragouvernementale) ;

Tableau 5 : Le système de parti du « Congrès national tibétain » et la distribution du pouvoir

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Indices de Roemer (1 à 3)

2 2 1

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Situation en 1991. L’adoption de la Charte des Tibétains en 1991 permet une meilleure distribution

des pouvoirs en accordant à l’Assemblée parlementaire de plus grands pouvoirs législatifs et en

créant une Cour de justice tibétaine. Cependant, le dalaï-lama conserve et parfois étend son emprise

politique au sein de ces pouvoirs.

Situation en 2001. L’autonomie des trois pouvoirs s’étend, notamment par quelques amendements

à la Charte des Tibétains, mais le contrôle du dalaï-lama reste important de facto.

Situation en 2011. Le retrait politique du dalaï-lama permet une autonomie des trois pouvoirs

significative puisqu’il était la cause principale de sa limitation effective. Il reste cependant à traduire

ce retrait politique dans l’ensemble des textes de loi, ce qui n’est à ce jour pas encore accompli.

3.2 Inclusion

L’inclusion d’un régime démocratique mesure la capacité de ce régime à inclure l’ensemble de ses

sujets dans la contestation et la participation politique. Une démocratie étant caractérisée par sa

souveraineté populaire, il paraît ainsi fondamental d’évaluer le degré d’engagement social au sein de

la politique de l’exil.

Afin de mesurer l’inclusion du gouvernement tibétain en exil, nous allons nous appuyer sur les

attributs suivant : le droit de vote et la dépendance des institutions de politique publique par rapport

au vote et à d’autres expressions de la préférence de la population. En effet, l’engament populaire

se mesure concrètement par le vote puisqu’il s’agit du plus grand pouvoir politique citoyen d’une

démocratie moderne. Plus les institutions politiques dépendent du vote populaire, plus ces

institutions représentent les choix politiques de la population. Une démocratie se mesure ainsi à la

capacité institutionnelle d’un régime politique à inclure les préférences populaires.

3.2.1 Droit de vote

L’étendue du droit de vote nous permet de mesurer l’accès à la participation politique.

Par rapport au droit de vote, nous allons vérifier deux choses :

1. Le suffrage universel ;

2. La représentativité du système électoral.

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60

Le droit de vote s’est faiblement amélioré depuis 1991. En effet, en 1991 non seulement les députés

étaient élus au suffrage universel, mais aussi les ministres. En 2001, c’est au tour du premier

ministre d’être élu pour la première fois au suffrage universel direct. En 2011, les élections ont élu

tous les membres de l’exécutif au suffrage universel et, puisque le dalaï-lama s’est retiré de l’arène

du pouvoir, tous les représentants du peuple tibétain ont été élus de cette façon, ce qui constitue une

avancée notable.

Cependant, même si le droit de vote est présent, Roemer remarque que les Tibétains n’ont pas

conscience du pouvoir du vote ni ne manifestent un quelconque intérêt pour la chose politique de

l’exil. Ainsi, même si l’accès au droit de vote est étendu à tous les Tibétains âgés de plus de 18 ans

ayant le « livre vert » (un document d’identité octroyé par le gouvernement tibétain en exil en

échange du paiement d’un impôt), beaucoup d’entre eux ne participent pas à la politique tibétaine.

En 2011, 89 000 Tibétains, sur une population en exil de 140 000 (McConnell, 2011) étaient en

mesure de voter. Sur ce nombre, 79 499 se sont enregistrés aux élections. 47 000 (61%) ont préféré

participer au vote préliminaire, servant à limiter le nombre de candidats aux élections du Kalon Tripa

et des Chitues32, les députés de l’Assemblée législative. La participation électorale s’est étendue à

56 pôles à travers le monde (dont l’Inde, le Népal, le Bhoutan, l’Europe, l’Amérique du Nord, Taïwan,

le Japon et l’Australie). Selon la Charte des Tibétains en exil, les Tibétains résidant en Australie, au

Japon et à Taïwan n’ont pas de représentants, mais peuvent participer à l’élection du Kalon Tripa. Le

processus électoral a été bloqué au Népal et au Bhoutan pour des raisons politiques, ce qui

témoigne de la difficulté pour un gouvernement en exil d’inclure l’ensemble des Tibétains. Bien sûr,

les Tibétains en Chine n’ont pu participer au vote.

La représentativité du système électoral cause plus de problèmes. En effet, comme nous l’avons

précédemment évoqué, les Tibétains de l’exil votent en fonction de leur appartenance régionale, peu

importe le nombre de ressortissants pour chaque région, le nombre de députés est fixe. Ces députés

ne sont pas élus en fonction de leur appartenance à un parti politique. Afin de représenter de façon

équitable les régions tibétaines, peu importe le nombre de Tibétains par région, 10 députés sont élus

par région (Amdo, Kham, U-Tsang). On retrouve aussi des députés représentant l’Europe et

l’Amérique du Nord ainsi que trois députés directement nommés par le dalaï-lama (Roemer, 2009 :

32 Voir glossaire.

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61

162). Selon Jane Ardley, cette constitution parlementaire manifeste la volonté de représenter tous les

Tibétains. Le problème majeur d’une telle organisation est que les candidats aux élections jouent sur

leurs différences régionales et leur confession religieuse davantage que sur les débats qui unissent

les Tibétains. La représentativité des communautés religieuses est aussi présente au sein de

l’Assemblée législative. Chaque congrégation bouddhiste jouit ainsi de deux députés, peu importe le

nombre d’adeptes. Cette représentation religieuse est disproportionnée par rapport à celle de la

population laïque. En effet, les moines et les nonnes ont deux votes (un pour leur appartenance

régionale et l’autre pour leur appartenance religieuse) alors que les laïques ne jouissent que d’un

vote, celui de leur appartenance régionale. Cette mesure inégalitaire divise la population et

décourage les laïques face à leur importance en tant qu’électeurs, puisqu’ils sont moitié moins

importants qu’un moine (Dorjee, 2000, p. 23). Cette inégalité entraîne le fait que la démocratie

tibétaine est dirigée non pas par la majorité, mais par la minorité en présence, la communauté

religieuse (Roemer, 2004, p. 166). Ceci soulève encore une fois une certaine résilience du religieux

au sein du politique et démontre à quel point une sécularisation des institutions tibétaines est

essentielle au processus démocratique.

Aussi, on remarque une certaine disproportionnalité entre les régions et les congrégations. Par

exemple, lors des élections du premier ministre tibétain de 2006, sur les 82 629 Tibétains de l’exil

pouvant voter, l’électorat provenant de la région de l’Utsang constituait 51,88% de tous, alors que

ceux du Kham ne représentaient que 22,29% et ceux de l’Amdo 5,03%. Les Nord-Américains

représentaient 3.39% et les Européens 2.73%. À la lumière des lignées bouddhistes, 9,43% étaient

Gelougpa, contre 2.32% Nyigmapa, 1.58% Kagyupa, 0.99% Sakyapa et 0.35% Bon (Brox, 2012).

Aussi, comme les Tibétains au Tibet ne participent pas au vote ils ne peuvent élire leurs

représentants. Les moines sont surreprésentés puisqu’ils peuvent être élus pour leur région et leur

congrégation. De plus, les Tibétains nés en exil en Inde, au Népal ou au Bhoutan, ne sont pas

représentés en fonction de leur origine personnelle, mais de celle de leurs ancêtres, ce qui peut

causer une certaine confusion.

On peut aussi ajouter que le nombre de députés siégeant à l’Assemblée nationale est passé de 12 à

46 en 1990, permettant ainsi une meilleure représentativité de la population.

Le droit de vote sera évalué à la lumière des indicateurs de Dahl, tels que présentés ci-après :

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62

1. Suffrage universel accessible à tous les hommes et femmes âgés de plus de 18 ans et représentativité proportionnelle de la population ;

2. Suffrage limité, mais assez inclusif de la population, représentativité quasi-proportionnelle de la population ;

3. Suffrage limité et représentativité non-proportionnelle de la population.

Tableau 6 : Le droit de vote selon différentes modalités de représentativité de la population

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Indicateurs de Dahl (1 à 3)

3 2 2

Situation en 1991. Grâce aux réformes constitutionnelles apportées par le dalaï-lama en 1991, le

système électoral s’est démocratisé : le nombre de membres du Parlement s’est accru, des

assemblées régionales dont les membres sont élus ont été créées, une Commission électorale a été

instituée. Cependant, le système de répartition des sièges au Parlement est disproportionnel en

terme de représentativité équilibré de la population par député, puisque les sièges du Parlement sont

divisés en fonction des régions tibétaines d’origine. Les Tibétains né en Inde depuis plusieurs

générations ne sont pas représenté et les Tibétains de la Chine, bien plus important quantitativement

que les Tibétains de l’exil, ne peuvent participer au vote. Cette absence cause une très grand

problème de légitimité puisque le gouvernement tibétain en exil se dit représenter l’ensemble des

Tibétains, or la majorité ne peut manifester ses préférences.

Situation en 2001. En 2001 l’élection du Kalon Tripa se fait au suffrage universel pour la première

fois. La représentativité électorale reste cependant relativement non-proportionnelle et le suffrage

limité à certaines régions de l’exil. Les ministres sont nommés par le Kalon Tripa pour la première

fois.

Situation en 2011. En 2011, on ne constate dans ce domaine aucune amélioration majeure, si ce

n’est que le retrait du dalaï-lama offre une plus grande indépendance du système électoral et

notamment de la Commission électorale. De plus, le vol des boîtes de scrutin électoral au Népal en

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63

2011 et l’interdiction des votes dans d’autres pays témoignent d’une difficulté constante de tenir des

élections représentatives.

3.2.2 La dépendance des institutions de politique publique par rapport au vote et à d’autres expressions de la préférence de la population

Relativement à la dépendance des institutions de politique publique par rapport au vote et à d’autres

expressions de la préférence de la population, nous allons vérifier trois choses, le pouvoir législatif, le

statut constitutionnel du régime et l’inclusion des propositions venant de l’extérieur du gouvernement,

tel que le suggère Dahl (1989: 239).

3.2.2.1 Le pouvoir législatif

Le pouvoir législatif est, pour reprendre les termes classiques de Locke, « l’âme qui donne forme, vie

et unité à l’État » (Locke, 1994). La métaphore de l’âme de l’État renvoie clairement à l’organe

pensant et posant des choix quant à l’agir de l’État. Ce pouvoir est incarné par le Parlement dans le

cadre un système monocaméral ou d’une chambre basse et d’une chambre haute, dans le cadre

d’un système bicaméral. Les principales fonctions de cette instance sont de voter les lois sur une

proposition émanant du pouvoir exécutif ou des parlementaires. Il assure aussi un contrôle du

gouvernement. Dans le contexte tibétain, le pouvoir législatif est exercé par le Parlement du Tibet en

exil depuis 1991. On dénote une importante progression dans la période étudiée par rapport à sa

dépendance au vote. En effet, l'Assemblée parlementaire dépend du vote populaire dans son

ensemble. Les 46 députés sont tous élus au suffrage universel direct aux cinq ans par les électeurs

tibétains vivant hors Tibet.

De plus, 47 assemblées régionales ont été instaurées en 1991, dont les membres sont élus par le

peuple pour un mandat de trois ans. Ces assemblées permettent de prendre connaissance des

besoins de la population et d’en faire rapport à l’Assemblée parlementaire et à proposer des

réformes afin de répondre à ces besoins. Le chef de l’exécutif local est nommé par le département

de l’Intérieur. La création de ses entités régionales permet une plus grande proximité avec la

population tibétaine et donc un plus grand engagement local et une meilleure écoute des besoins de

la population.

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Depuis 2001, le premier ministre est élu au suffrage universel direct. De plus, le retrait politique du

dalaï-lama permet une plus grande dépendance du pouvoir législatif par rapport au vote puisque tous

les membres de ce pouvoir sont élus par le peuple.

La législature sera mesurée selon l’ordre de grandeur suivant :

1. Effective (équité avec les autres branches du pouvoir);

2. Partiellement effective (tendance à la domination de l’exécutif ou limitée dans l’exercice de leurs fonctions);

3. Largement ineffective (domination par l’exécutif ou par un parti ou par l’organisation des partis);

4. Entièrement ineffective (limitée à un rôle consultatif ou aucune législature).

Tableau 7 : Le pouvoir législatif et l'exercice du droit de vote par le peuple

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Ordre de grandeur (1 à 4)

2 2 1

Situation en 1991. En 1991 l'Assemblée législative est constituée d'un ensemble de députés élus au

suffrage universel. Les Kalons sont élus par les députés de l'Assemblée. On peut donc voir que la

législature de dépend pas du pouvoir exécutif, mais du vote populaire. Cependant, le Kalon Tripa

n'est pas élu au suffrage universel.

Situation en 2001. En 2001 le Kalon Tripa est désormais élu au suffrage universel, ce qui permet à

la législature d'être encore plus dépendante du vote populaire et de se dégager de l'emprise du

pouvoir exécutif.

Situation en 2011. En 2011 il s'agit de la même situation. On ne remarque pas de changement

majeur.

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65

3.2.2.2 Le statut constitutionnel du régime

Le premier à définir ce qu’est une constitution est Aristote, pour qui une constitution est « une

organisation des pouvoirs dans la cité, fixant leur mode de répartition et la nature du pouvoir

souverain et de la vie propre à chaque communauté » (Aristote, 1999). Ainsi cette organisation du

pouvoir qui prendra la forme d’une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à partir du

siècle des Lumières, permet la formalisation de la nature de la souveraineté et de l’organisation

socio-politique de la communauté. Le cas du gouvernement tibétain en exil est particulier parce qu’il

n’est pas souverain de jure et qu’il négocie plutôt une souveraineté de facto (McConnell, 2012).

Cependant, le gouvernement tibétain s’est doté d’une constitution, dont la fonction est d’organiser le

rôle et les actions du gouvernement en exil auprès de la diaspora tibétaine, selon les limites

imposées par son pays d'accueil, à la lumière de normes constitutionnelles successives. Cette

constitution avait aussi été élaborée en vue d’être appliqué au Tibet, suite au retour du

gouvernement tibétain en exil dans sa terre natale. En effet, dès 1963 l'Administration tibétaine se

dote d'une Constitution pour le Tibet, qui sera enrichie33 en 1991 par la Charte des Tibétains en exil,

qui reste aujourd'hui le corpus légal en vigueur. Cette Charte tibétaine contient les principes

fondamentaux de la politique de l'exil : la gouvernance (chapitre 1), les droits et devoirs (chapitre 2),

les principes (chapitre 3), les trois pouvoirs (chapitres 4-6), les dispositions des administrations

régionales (chapitre 7) et les trois commissions indépendantes: électorale (chapitre 8), services

publics (chapitre 9) et audit (chapitre 10). La Charte a été enrichie par les Directives politiques pour

le Tibet futur en 1992. Écrite par le dalaï-lama, ces directives exposent le plan de Sa Sainteté pour

une gouvernance démocratique dans le Tibet libéré du joug chinois. De plus, cet ajout permet de

confirmer l'engagement du gouvernement tibétain et du dalaï-lama envers un retour effectif au pays

d'origine à travers un processus de démocratisation institutionnelle. On peut cependant questionner

la valeur juridique de ces normes constitutionnelles dans la mesure où elles ont été conçues pour un

État sans véritable territoire. En effet, ce type de gouvernement déterritorialisé peut difficilement

prétendre fonctionner de façon indépendante et souveraine dans ses rapports avec ses gouvernés.

Cependant, l'État indien accepte juridiquement la Charte des Tibétains, dans la mesure où elle

organise les mécanismes de l'exercice du pouvoir au sein des colonies tibétaines en Inde (Clayet-

33 La nouvelle Charte tibétaine ne remplace pas la Constitution de 1963 qui porte principalement sur la structure politique du Tibet futur, alors que la Charte porte sur la gouvernance de l'exil.

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66

Marel, 2008). Selon Fiona McConnell, cette tolérance indienne permet au gouvernement tibétain

d'avoir de facto une souveraineté sur les colonies tibétaines installées en Inde (McConnell, 2009).

Selon Clayet-Marel, la Charte des Tibétains peut être qualifiée de constitution moderne, puisqu'elle

organise le fonctionnement des différents organes du gouvernement tibétain à la lumière de normes

de droits explicites, dont la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et à d'autres droits plus

spécifiques à la culture tibétaine. Cependant, la véritable nature du régime défini

constitutionnellement est ambigüe, puisqu'il consacre à la fois la démocratie et des prérogatives

importantes au dalaï-lama, longtemps titulaire du pouvoir spirituel et politique. Ainsi le caractère

démocratique du régime s'inscrit dans des valeurs bouddhistes, qui sont amenées progressivement à

l'aide des différents amendements apportés à la Charte à se délier de l'emprise du dalaï-lama sur la

politique de l'exil.

Le statut constitutionnel du régime sera mesuré qualitativement, par la description du régime

constitutionnel tibétain en exil. Puisqu’il s’agit d’un gouvernement en exil, les outils quantitatifs de

mesure du statut constitutionnel du régime ne semble pas approprié dans ce cas précis.

Durant l'ensemble de la période étudiée, la Charte des Tibétains en exil était en vigueur au sein du

régime tibétain. Cette Charte nous semble être un ensemble de normes constitutionnelles valides

dans la mesure où elles ont été adoptées par les représentants du peuple élus au suffrage universel

et elles sont reconnues par les autorités indiennes. Leur contenu nous semble correspondre aux

normes modernes du droit malgré une certaine prégnance des pouvoirs politiques du dalaï-lama.

3.2.2.3 L’inclusion des propositions venant de l’extérieur du gouvernement.

L’inclusion des propositions populaires dans l’agenda politique du gouvernement est un indicateur de

l’ouverture des instances du pouvoir envers les préférences de sa population et relativement au

débat populaire. Ces propositions venant de l’extérieur du gouvernement sont principalement

formulées par des groupes ou des associations défendant certaines causes ou point de vue

spécifique (Dahl, 1989). L'inclusion des propositions populaires n'est que très rarement présente

dans le contexte tibétain de l’exil. En effet, selon Roemer, l’Administration centrale tibétaine ne laisse

pas de place à l’établissement et au dialogue avec une opposition politique. De plus, les différentes

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revendications du Congrès de la jeunesse tibétaine depuis 1991, sont très rarement, voire jamais,

mises à l’ordre du jour du Parlement tibétain en exil34.

On peut cependant noter quelques initiatives du gouvernement tibétain visant à prendre le pouls de

la population sur des enjeux importants. Par exemple, l'Administration tibétaine a organisé un

référendum en 1995 afin de décider de la politique du gouvernement sur la résolution du conflit sino-

tibétain. Quatre options étaient présentées :

1. Le maintien de la voie du milieu;

2. La lutte pour l’indépendance du Tibet;

3. La lutte pour l’autodétermination du peuple tibétain sous la supervision des Nations Unies;

4. L’adoption du Satyagraha, la lutte non violente pour la libération du joug colonial inspirée de la philosophie du Mahatma Gandhi. (Roemer, 2008: 84)

Le résultat fut à 66% de la population tibétaine de l’exil en faveur de la voie du milieu. Le nombre de

participants n’est pas connu, mais comme le fait remarquer Roemer, le Congrès de la jeunesse

tibétaine a appelé à un boycottage du référendum, car le vote ne pourrait pas permettre de

représenter l’opinion de l’ensemble de la communauté tibétaine, puisque les Tibétains à l’intérieur du

Tibet ne pouvaient pas voter. Ainsi, indirectement, le Congrès de la jeunesse tibétaine attaquait la

légitimité du gouvernement tibétain en exil dans sa prétention à représenter l’ensemble des

Tibétains. Ainsi, selon Frechette (2004), ce référendum avait pour but essentiel de maintenir l’espoir

d’un retour au Tibet et non d'inclure davantage le peuple dans le processus décisionnel politique.

Ainsi nous pouvons remarquer qu’à cette époque on ne retrouvait pas une réelle inclusion des

propositions extra-gouvernementales. Beaucoup de Tibétains interprétant l’issue du référendum

comme un manque d’écoute du gouvernement envers une partie importante de la population,

toujours attachée à l’indépendance du Tibet (Roemer, 2008: 85). Ainsi, comme le remarque

Roemer : « The vision of an independent homeland remains unspoken as an ideal among many exile

Tibetans » (2008: 84). Cette censure que nous avons évoquée précédemment quant à la proposition

34 http://www.phayul.com/news/article.aspx?id=25483&t=1 (consulté le 6 juillet 2013).

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de l'indépendance du Tibet se remarque ainsi au sein des instances politiques par un rejet de cette

alternative.

L'inclusion des propositions venant de l'extérieur du gouvernement sera mesurée selon l'ordre de

grandeur suivant :

1. Inclusion significative des propositions extra-gouvernementales;

2. Inclusion limitée des propositions extra-gouvernementales (inclusion filtrée par le gouvernement dont certaines propositions populaires importantes sont rejetées);

3. Absence d'inclusion des propositions extra-gouvernementales (aucune inclusion des propositions populaires au sein des institutions politiques).

Tableau 8 : L'inclusion des propositions venant de l'extérieur du gouvernement

Mesure Situation en 1991 Situation en 2001 Situation en 2011

Ordre de grandeur (1 à 3)

2 2 2

Situation en 1991, 2001 et 2011. Durant l'ensemble de la période d'étude le gouvernement tibétain

a démontré une fermeture aux propositions populaires relatives à la question de l'indépendance du

Tibet comme solution alternative préférable à la résolution du conflit sino-tibétain. Cette pression en

faveur de l'approche de la voie du milieu n'a pourtant pas empêché certaines initiatives politiques

contestataires de s'exprimer. Il en est de même pour la question de l'introduction du système

multipartite et ce malgré la valorisation de ce système par le dalaï-lama dans son Guide pour un futur

Tibet libre de 1992. Ainsi, comme le note Ann Frechette « Like many other exile organizations

worldwide, the Dalai Lama’s exile administration uses control over economic resources to enforce its

decisions » (Frechette, 2007: 98). Cette difficulté d'inclusion s'explique aussi par l'imposante

clairvoyance politique du dalaï-lama qui jusqu'en 2011 chapeautait le gouvernement tibétain en exil.

On voit cependant que le processus décisionnel politique laisse difficilement de place aux acteurs

sociaux qui sont pourtant prêts à entrer dans l’arène politique. L’enjeu du retour au pays d’origine

étant à cet égard la principale raison invoquée afin d’empêcher tout discours opposé d’être

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considéré. Ainsi, on peut penser que la nature même de l’institution politique, un gouvernement en

exil, frêne l’inclusion des acteurs sociaux au sein de la politique de l’exil puisqu’elle a pour objectif

fondamental, non pas une démocratisation mais un retour au pays d’origine. Ainsi, face aux

dilemmes politiques qui se présentent, entre l’inclusion d’une opposition forte à la politique officielle

et l’unité politique favorisant une position forte capable d’être prise en compte à l’échelle

internationale, la deuxième option est préférée. De plus, il est difficile d’évaluer le fait que le

gouvernement tibétain en exil restreint le processus de prise de décision à des enjeux ciblés qui ne

remettent pas en question l’ordre établi. En effet, il fut difficile pour les Tibétains de concevoir

comment ces derniers pouvaient exercer un jugement critique ouvert face à ses opinions et ses

actions, parce qu’on s’attend traditionnellement de lui qu’il décide au nom de tous les Tibétains et

qu’il s’engage au nom de tous (Roemer, 2008: 166). Le dalaï-lama reste celui en qui les Tibétains

placent tous leurs espoir d’un retour au Tibet voir même le plus grand défenseur de la cause

tibétaine.

3.3 Une question de légitimité : appui des communautés tibétaine et internationale au processus démocratique du gouvernement tibétain en exil

L’enjeu majeur de la démocratisation du système politique tibétain est la légitimité du gouvernement

tibétain en exil. Cette légitimité est sans doute le meilleur argument que peut avancer le

gouvernement tibétain en exil pour retourner un jour au Tibet et pour assurer sa survie en Inde dans

l’attente du retour. La démocratisation et la légitimation du gouvernement tibétain en exil reposent sur

l'appui des communautés tibétaine et internationale.

Cependant, la communauté tibétaine appuie davantage le dalaï-lama que la démocratisation

politique de l'exil, ce qui remet en question la valeur de la démocratie dans la légitimation du

gouvernement tibétain en exil. En effet, ce soutien de la communauté tibétaine envers les institutions

politiques de l'exil découle directement du fait que l'Administration tibétaine est la continuité du

Ganden Phodrang de Lhassa, dans lequel le dalaï-lama était le chef de l'État tibétain. En ce sens,

jusqu'aux réformes apportées par l'adoption de la Charte du peuple tibétain en 1991, la structure du

personnel et les fondements religieux du gouvernement tibétain en exil étaient identiques, et ce,

malgré les transformations démocratiques des institutions politiques de l’exil, ce qui ne fut pas sans

causer quelques contradictions. Par exemple, l’importance politique du dalaï-lama en tant que chef

suprême indique selon Roemer que le reste de la structure du gouvernement tibétain en exil

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fonctionne en général symboliquement (Roemer, 2008: 179), à l'image de la structure traditionnelle

du Ganden Phodrang. Cette même continuité permettant de consolider l'appui de la communauté

tibétaine autour du dalaï-lama et du gouvernement tibétain en exil, représente un des plus importants

obstacles à la démocratisation puisqu'en effet par cet appui les Tibétains de l'exil ne s'engagent pas

dans la politique de sa communauté. Le défi du gouvernement dans sa transition démocratique est

donc de conserver l'appui précaire de la communauté tibétaine tout en désengageant le dalaï-lama

de l'arène politique. Ce défi peut être résolu à travers la consolidation démocratique. En effet, comme

Shain le mentionne (1989), un gouvernement en exil acquiert sa légitimité à travers un processus

électoral. Ainsi l'engagement tibétain renforcé par la participation aux élections augmenterait l'appui

de la communauté envers les institutions politiques qui les représentent et donc la légitimité de ces

mêmes institutions.

On peut noter aussi que dans le contexte de l'exil la légitimité d'un gouvernement démocratique est

contestable. En effet, un gouvernement en exil se dit représenter l'ensemble de sa population, à

l'intérieur et à l'extérieur du pays d'origine. Or, dans le cas tibétain du moins, le gouvernement en exil

ne peut actualiser l'appui de sa communauté à l'intérieur du Tibet, notamment à travers son

processus électoral. Par conséquent, le gouvernement tibétain en exil ne peut pas prétendre agir au

nom de tous les Tibétains, mais au nom des Tibétains de l’exil, donc d’une partie nettement

minoritaire de la communauté tibétaine dans son ensemble. Un gouvernement qui se veut

démocratique doit nécessairement consulter l’ensemble de la population qu’il se veut représenter

pour être légitime, ce que le gouvernement tibétain en exil ne fait pas. Ceci nous expose entre autres

la complexité du processus de démocratisation d’un gouvernement en exil, qui a des revendications

sur une population et un territoire dont il a perdu l’autorité. D'un autre côté, le gouvernement tibétain

en exil ne pourrait pas dire qu’il représente uniquement la communauté en exil parce qu’il contredirait

par le fait même sa raison d’être : être le représentant légitime du peuple dont il a perdu l’autorité. Le

gouvernement tibétain se doit donc de jouer le jeu à double tranchant de la démocratie en exil, au

risque d’y perdre au passage un peu de légitimité en rapport avec la communauté tibétaine.

De plus, la démocratisation du gouvernement tibétain est essentielle à l'appui de la communauté

internationale, puisqu'un régime démocratique est respecté et considéré comme légitime en

Occident. On peut penser que la légitimité internationale d'un État est directement liée à son statut

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démocratique et qu'en ce sens, le gouvernement tibétain a mis de l’avant ses initiatives

démocratiques afin de revendiquer son statut de gouvernement légitime des Tibétains.

En ce sens, on peut voir que la démocratisation du gouvernement tibétain en exil est davantage liée

au renforcement de l'appui de la communauté internationale puisque celui de la communauté

tibétaine ne repose pas sur cet impératif, mais plutôt sur le dalaï-lama. Afin d'accroître et même de

convaincre la communauté tibétaine du bienfondé des transformations politiques de l'exil, le

gouvernement tibétain et le dalaï-lama ont justifié l'intérêt de la démocratie en l'associant au

bouddhisme et à la volonté du dalaï-lama. Cependant, suite au discours de Strasbourg de 1988,

dans lequel Sa Sainteté s'ouvre à l'Occident afin que les efforts de négociation avec la Chine soient

soutenus par la communauté internationale, de nombreux Tibétains se sont opposés à la nouvelle

approche du dalaï-lama. Ne pouvant défendre ouvertement un point de vue contraire à Sa Sainteté,

ces groupes indépendantistes se sont tournés vers la démocratisation des institutions de l'exil dans

l'espoir d'être entendus. Regroupés et représentés principalement à travers les organisations non

gouvernementales les plus importantes de l'exil, ces Tibétains appuient franchement la

démocratisation du gouvernement dans l'espoir que l'expression des préférences populaires

divergentes soit prise en compte. En ce sens, l'appui de la communauté tibétaine nécessite

l'inclusion de cette frange importante de la population dans la politique de l'exil, inclusion qui s'inscrit

dans la consolidation démocratique tibétaine. En plus de représenter les Tibétains de l'exil à la

lumière de leurs opinions, la démocratie tibétaine est une solution au problème de la succession du

dalaï-lama. En effet, si l'appareil politique de l'exil et surtout l'appui de la communauté tibétaine

envers celui-ci reposent sur le dalaï-lama, la démocratie offre une alternative à son pouvoir qui peut

assurer la survie des institutions de l'exil dans la mesure où les Tibétains s'en remettront à eux-

mêmes dans la conduite des affaires tibétaines de l'exil. Le nouveau premier ministre tibétain laïc

Lobsang Sangay en 2011 a en ce sens un défi de taille à surmonter : remplacer le dalaï-lama à la

tête du gouvernement en exil tout en favorisant l'engagement de la communauté tibétaine.

En effet, les rencontres diplomatiques jouant sur le double statut du dalaï-lama, à la fois chef spirituel

et politique. Un jeu diplomatique s'est développé en Occident, qu'on retrouve notamment à travers

les "Maison du Tibet", sorte d'ambassade du gouvernement tibétain en exil, promouvant le Tibet et

ses intérêts au sein du pays hôte. Les représentants du gouvernement tibétain en exil sont amenés à

rencontrer les parlementaires et autres figures importantes du pays. Selon Fiona McConnell (2009),

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même si le gouvernement tibétain en exil n'est pas reconnu par la communauté internationale et

souffre d'un manque de souveraineté de jure tant au Tibet qu'en exil, l'administration tibétaine

revendique sa légitimité en tant que représentant officiel des Tibétains et agit sous plusieurs aspects

comme un État (le livre vert, l'impôt, la Cour suprême de justice, le parlement, le gouvernement

exécutif qui administre les Tibétains de l'Inde sur de nombreux aspects, les actions pseudo-

diplomatiques à travers les représentants du gouvernement tibétain en exil à l'étranger, les "Maison

du Tibet", etc.). En agissant de la sorte, le gouvernement tibétain tente de légitimer son statut

politique par la communauté internationale. Ce potentiel appui est essentiel à l’avancement des

négociations sino-tibétaines, puisque la communauté internationale peut faire pression sur la Chine

afin qu'elle s'ouvre à un dialogue avec le gouvernement tibétain en exil. Sans cette pression

diplomatique, la reprise des échanges depuis la fin des années 80 n’aurait sans doute pas été

possible.

La stratégie du gouvernement en exil pour consolider l'appui de la communauté tibétaine envers son

institution se fait entre autres par la démocratisation de ses institutions et à l'entretien de l'espoir d'un

retour au Tibet grâce aux efforts du gouvernement tibétain35. La démocratisation du gouvernement

en exil est importante pour de nombreuses raisons : même si la démocratie n'a pas été réclamée par

la population tibétaine et elle a été imposée par le haut, suite au souhait du dalaï-lama ; elle offre la

chance au peuple tibétain de se sentir partie prenante des décisions et de l'orientation du

gouvernement face au Tibet, qui reste la raison essentielle de son existence. Cet engagement

permet aux Tibétains de se sentir écoutés et concernés par les questions discutées au sein du

gouvernement. C’est encore plus important depuis que le dalaï-lama a rejeté l'indépendance du Tibet

comme but ultime des politiques du gouvernement tibétain. En effet, une partie de la population

s'oppose à cette décision et souhaite changer les choses, ce qui est beaucoup plus facile dans un

contexte démocratique. Sans cette inclusion politique, le désengagement d'une fange de la

population envers le gouvernement serait possible. De plus, l'entretien de l'espoir d'un retour au Tibet

a permis depuis la création du gouvernement tibétain en exil de maintenir la foi envers cette

institution, qui seule peut permettre la libération du Tibet. Si les Tibétains venaient à perdre tout

35 D'autres mesures sont aussi à noter, de moindre importance, comme la création d'un livre vert en 1972 (le document le plus officiel délivré par le gouvernement tibétain à l'issue du paiement des taxes volontaires. Les autorités le qualifient de passeport tibétain).

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espoir d’une libération du Tibet, le gouvernement tibétain perdrait par le fait même son identité et son

fondement. Il devrait alors se redéfinir à la lumière d’un maintien en exil, non plus comme

gouvernement des Tibétains à l’intérieur et à l’extérieur du Tibet, mais comme entité administrative

de la diaspora tibétaine, dont la pertinence aux yeux de la communauté tibétaine n’est pas évidente

(Roemer 2008). Cette alimentation de l’espoir d’un retour au Tibet a été présentée par le

gouvernement tibétain comme étant conditionnelle à l'unité politique de la communauté. C'est dans

ce même esprit que le Parlement tibétain n'a pas de partis politiques. En ce sens, selon Ardley

(2003, p. 352) cette stratégie politique est un frein à la démocratisation tibétaine

The idea that there may be political (or social, or regional) diversity within the Tibetan community, while as a group they supposedly have a single goal, has still to be appreciated by the Tibetan exile authorities. It is an issue of which they should be most aware, as the obsession with pursuing unity is more to be found in authoritarian regimes than in democracies.

L'approche de la voie du milieu a donc été annoncée avec la confiance qu'elle allait dans le sens de

la volonté de tous les Tibétains. En conséquence, un Tibétain qui ne serait pas d'accord avec cela

irait contre la volonté de tous et du dalaï-lama, et en blessant l'unité tibétaine freinerait du même

coup la résolution du conflit sino-tibétain. On peut donc voir que l’opposition politique est loin d’être

facile dans ce contexte. Selon Ardley (2008), le contexte même de l'exil est un frein à la démocratie

dans la mesure où l'unité tibétaine est effectivement importante pour la cause tibétaine. Elle pense

donc que si cet objectif est moins réaliste, et qu'un maintien en exil devient probable, l'opposition

sera plus facilement acceptée.

3.3.1 Une étude de cas : l'appui de la communauté européenne envers le gouvernement tibétain en exil entre 1990-2013

Afin d'aborder un peu plus en profondeur la relation entre la communauté internationale et le

gouvernement tibétain en exil, une étude de cas, présentant en particulier les liens qui unissent la

communauté européenne au gouvernement tibétain a été choisie. Cette étude de cas permet de

mieux comprendre comment la démocratisation du gouvernement tibétain en exil s'insère dans la

défense de la cause tibétaine auprès de la communauté internationale.

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3.3.1.1 1990-1998 : une décennie marquée par le soutien envers le dalaï-lama.

De nombreux faits permettent de rendre compte de ce soutien important envers le dalaï-lama et ses

revendications politiques, quoique parfois ambigus. Notons d’abord l’élément déclencheur de ce

rapprochement entre l’Union européenne et le Dalaï-lama : le discours du dalaï-lama prononcé au

Congrès américain en 1987. Le but général d’obtenir de l’aide de la communauté internationale afin

d’encourager la reprise du dialogue avec les autorités chinoises, suite aux récents échecs avec

celles-ci. À cet effet, le dalaï-lama présente son « Plan de paix en cinq points », comme réponse au

« Plan en cinq points » de Hu Yaobang de 1981 et à l’annonce deux ans plus tôt de Den Xiaoping,

que le gouvernement chinois serait prêt à négocier avec le dalaï-lama par rapport à toutes les

propositions sauf celle de l’indépendance du Tibet. Ce plan de paix en cinq points se veut être un

compromis entre les volontés chinoise et tibétaine. En effet, au lieu de revendiquer l’indépendance

du Tibet, position qui était jusqu’alors celle du dalaï-lama et du gouvernement tibétain en exil, ce plan

demande plutôt l’autonomie du Tibet et le respect des droits de l’homme en son sein.

Moins d’un mois après ce discours au Congrès, l’Union européenne adopte une première résolution

(51987IP1008) sur le Tibet36, relative aux droits de l’Homme en Chine. L’année suivante, en 1988, le

dalaï-lama est invité au Parlement européen à Strasbourg afin d’y faire une conférence, symbolisant

ainsi le rapprochement entre l’Union européenne et le dalaï-lama. Ce dernier utilise cette opportunité

pour présenter son approche de la voir du milieu, un tournant important par rapport à la résolution du

conflit sino-tibétain. Cette voie médiane, entre l’acceptation de l’annexion pure et simple du Tibet à la

Chine et la revendication de l’indépendance du Tibet, annonce pour la première fois la volonté du

dalaï-lama d’accepter une simple autonomie du Tibet à l’intérieur de la Chine, dans laquelle serait

respecté les droits de l’homme, particulièrement les droits à la liberté religieuse et culturelle. Il

appelle ainsi la communauté internationale à soutenir sa proposition et sa méthode non violente de

résolution du conflit sino-tibétain en faisant pression sur la Chine afin d’encourager les négociations

entre le dalaï-lama et le gouvernement chinois. La même année, un intergroupe est créé sur le Tibet

au sein du Parlement européen, clairement attaché à défendre la position pro-tibétaine37, alors qu’est

inaugurée à Pékin au même moment l’ouverture d’une première délégation de la Communauté

économique européenne, marquant ainsi le début de leur relation diplomatique bilatérale. On

36 À la lumière du moteur de recherche Eur-Lex.europa.eu (consulté le 23 mai 2013). 37 Voir à ce sujet leur site web : http://eutibet.typepad.com (consulté le 23 mai 2013).

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constate ainsi que dès le départ une position ambivalente s’est instituée au sein de l’Union par

rapport à la question tibétaine. L’année suivante, en pleine révolte chinoise et tibétaine38, le dalaï-

lama obtient le prix Nobel de la paix à Oslo pour avoir privilégié une résolution pacifique du conflit

sino-tibétain. Cette récompense est clairement associée à son plan de paix et sa politique de la voie

médiane.

Malgré le récent rapprochement entre la Chine et la CEE, les événements de la place Tiananmen de

1989 refroidissent ces relations jusqu’en 1998, datent du premier Sommet entre la Communauté

européenne (CE) et la Chine. Ce refroidissement permet en contrepoids un rapprochement avec le

dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil, particulièrement en ce qui a trait à leurs efforts liés à

la protection des droits de l’Homme au Tibet. Durant cette période (89-98), pas moins de 14

résolutions ont été adoptées concernant le Tibet alors que la Chine perçoit ce rapprochement comme

une tentative d’affaiblissement de sa puissance au nom d’un certain impérialisme occidental. Ces 14

résolutions adoptées par le Parlement européen en faveur du respect des droits de l’Homme sont en

parfait accord avec les positions du dalaï-lama39. Notamment, on note que les quatre résolutions

entre 1988 et 1992 portent sur la violation des droits de l’Homme au Tibet, dont la dénonciation est

largement orchestrée par le gouvernement tibétain en exil et le dalaï-lama.

En 1993, la résolution 51993IP085840 vient à la défense du dalaï-lama, qui était exclu de la

Conférence mondiale sur les droits de l’Homme. Un an après, soit en 1994, la Commission

européenne rencontre le dalaï-lama et exprime son avis sur l’importance d’une reprise du dialogue

avec le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil. Implicitement, la Commission témoigne ainsi

d’une certaine reconnaissance de la légitimité du gouvernement en exil, puisqu’elle reconnaît

l’importance d’une négociation entre ces deux parties.

En 1995, alors que le Dalaï-lama vient de reconnaître la réincarnation du 11e panchen-lama Gendun

Choekyi Nyima, la deuxième plus haute figure du bouddhisme tibétain, les autorités chinoises en font

38 Une série de manifestations pour l’indépendance du Tibet suit le discours de Strasbourg au Tibet, ce qui amène les autorités chinoises à imposer la loi martiale dans la Région Autonome du Tibet (RAT), le tiers de ce que le GTE revendique être le Tibet historique.

39 Voir à ce sujet le plan de paix en cinq points et le discours de Strasbourg du dalaï-lama datant de 1988. 40 Intitulée « Resolution on repression in Tibet and the exclusion of the Dalai Lama from the World Conference on

Human Rights », transmise le 25 juin 1993.

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le plus jeune prisonnier politique au monde41. L’Union européenne adopte une résolution

condamnant cet enlèvement et l’invasion du Tibet par la Chine, dans laquelle est reconnue

l’indépendance de facto du pays tibétain avant 195042. Jamais résolution n’est allée aussi loin en

faveur de la cause tibétaine. Durant la même année, une vive controverse éclate au sujet d’un projet

d’aide humanitaire au Tibet demandé par le gouvernement chinois, appelé le projet Panam. Ce projet

vise à accroître l’autosuffisance du Tibet en blé. Finalement, la résolution 51995IP0768 appui la

position protibétaine43, contre ce projet.

En février 1998, le Parlement européen adopte une résolution (51998IP0076) demandant la

nomination d’un représentant spécial de l’Union européenne pour le Tibet, chargé de protéger les

droits civils et politiques au Tibet. Ainsi, on peut constater le soutien de la communauté européenne

envers le dalaï-lama durant cette décennie.

3.3.1.2 1998-2008 : Rapprochement avec la Chine : la Commission européenne prend ses distances par rapport à la cause tibétaine.

Suite à l’établissement d’un dialogue bilatéral sur les droits de l’Homme en 1997, la question du Tibet

est depuis lors abordée à l’intérieur de ce cadre, comme tout autre problème relatif aux droits de

l’Homme à l’intérieur de la Chine. Le Tibet perd alors son statut particulier. Au début du mois de mai

1998, une délégation de la Commission européenne, composée de la troïka des ambassadeurs à

Pékin, est allée visiter le Tibet et notamment une prison à Lhasa pour y constater de graves

41 Voir à ce sujet les campagnes de dénonciations d’Amnistie Internationale (http://www.radioradicale.it/exagora/ amnesty-international-panchen-lama, consulté le 19 juin 2013).

42 Les points C) et D) sont particulièrement éloquent : C) réaffirmant l'illégalité de l'invasion et de l'occupation du Tibet par la République populaire de Chine et considérant qu'avant l'invasion chinoise de 1950, le Tibet était reconnu de facto par de nombreux États et que, selon les principes définis par le droit international et les résolutions des Nations unies, il constitue un territoire occupé ; D) condamnant la tentative de destruction de l'identité tibétaine par les autorités chinoises, notamment par une politique d'installation massive de populations d'ethnie chinoise au Tibet, de stérilisation et d'avortements forcés des femmes, de persécutions politiques, religieuses et culturelles et de sinisation de l'administration tibétaine.

43 Notamment les demandes suivantes : 1. demande à la Commission de reconnaître que le projet Panam a été proposé par la RPC dans le cadre d'un

programme visant à approvisionner en denrées alimentaires locales les nouveaux colons chinois établis au Tibet et que ce projet va donc à l'encontre des intérêts du peuple tibétain dans la mesure où il encourage l'établissement de citoyens chinois et où il impose par la force l'intégration économique du Tibet à la Chine;

7. invite instamment la RPC à participer aux discussions, qui ont été reportées jusqu'ici, sur l'avenir du Tibet, avec le Dalaï-Lama et le gouvernement tibétain en exil;

8. invite instamment les ministres des Affaires étrangères des quinze États membres et la Commission à faire pression pour qu'un dialogue s'engage sur le fond, sans conditions préalables, entre le gouvernement tibétain en exil et le gouvernement chinois et pour trouver ainsi une solution constructive à la situation au Tibet;

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violations des droits de l’homme. Aucune mention publique de cela n’a été présentée par la

présidence de la Commission européenne, ce qui témoigne certainement d’une volonté de ne pas

perturber les relations avec la Chine qui connaissent alors un nouvel essor.

L’année 2000 marque un relatif rapprochement entre le Parlement européen et le Gouvernement

tibétain en exil. En effet, malgré une position plus retenue de la Commission européenne sur la

cause tibétaine, le Parlement européen soutien clairement le dalaï-lama et le gouvernement tibétain

en exil à travers une série de résolution allant en ce sens (52000IP0343 et 52000IP0608 notamment)

D’autre part, la Commission et le Conseil se rapprochent davantage durant cette période de la Chine

et favorisent la résolution du conflit sino-tibétain et la protection des droits de l’Homme à travers un

cadre politique et stratégique bien établi avec les autorités chinoises.

En septembre 2002, le Congrès américain adopte une législation sur l’orientation politique de leur

intervention par rapport à la question du Tibet, appelé « Tibetan Policy Act ». Cette loi est la plus

importante à avoir été adoptée en faveur de la résolution du conflit sino-tibétain dans un pays

occidental. Quelques jours seulement après l’adoption de cette dernière, une délégation tibétaine a

été autorisée à se rendre à Lhasa et à Pékin et ainsi à inaugurer la reprise du dialogue sino-tibétain,

après 9 ans d’interruption. La même année, Samdong Rinpoche, le premier ministre tibétain du

gouvernement tibétain en exil de l’époque, donne un délai de trois ans pour aboutir à la résolution du

conflit sino-tibétain, s’accordant ainsi à la résolution du Parlement européen datant de 2000 sur la

question. Selon Mathieu Vernerey dans Le Monde diplomatique44, même si le gouvernement tibétain

en exil s’accorde avec le délai mentionné dans cette résolution et reprend ce délai de trois ans, ce

dernier ne soutient pas ouvertement les revendications inclues dans la résolution du Parlement

européen, qui vont à l’encontre la stratégie politique du dalaï-lama. En effet, le principal problème de

cette résolution est la reconnaissance du gouvernement tibétain en exil si aucun accord n’est signé

d’ici trois ans comme gouvernement légitime au Tibet, ce qui revient à reconnaître le droit du

gouvernement tibétain en exil à se prévaloir du droit à l’indépendance. Une telle reconnaissance

obligerait le gouvernement tibétain en exil à s’engager dans une confrontation diplomatique avec le

gouvernement chinois, ce qui est contre la stratégie tibétaine, davantage portée à la conciliation et

aux compromis.

44 http://www.alternative-tibetaine.org/articles/0106/FR_mvernerey08.htm (Page consultée le 24 mai 2013).

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À partir de 2002, deux tours de négociation ont eu lieu entre le gouvernement tibétain en exil et les

autorités chinoises, et ce avant l’échéance de trois ans stipulée dans la résolution européenne et de

la limite acceptée par le premier ministre tibétain, sans toutefois aboutir à des résultats concrets. Au

même moment, l’Union européenne néglige de mentionner le Tibet et les violations des droits de

l’Homme en son sein suite à la conclusion du 6e Sommet entre la Chine et l’Union européenne tenue

à Pékin. L’intergroupe sur le Tibet multiplie ses activités et ses pressions auprès du Parlement

européen pour nommer un représentant spécial pour le Tibet et pour que soit reconnu le

gouvernement tibétain en exil en tant que représentant légitime du peuple tibétain si le gouvernement

de Pékin n’adopte pas un nouveau statut pour le Tibet d’ici 3 ans. Aucune résolution n’est cependant

adoptée en ce sens.

Jusqu’en 2008, l’Union européenne concentre ses initiatives relatives au Tibet en ce qui a trait au

respect des droits de l’Homme et à la poursuite des négociations entre le gouvernement tibétain en

exil et la Chine. Une polarisation institutionnelle s’est dessinée durant cette période au sein de

l’Union, entre d’une part la Commission et le Conseil, favorable à l’inscription de la question tibétaine

au sein des échanges bilatéraux avec la Chine et d’autre part le Parlement, favorable à l’appui

explicite envers le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil.

3.3.1.3 2008-2013 : Un soutien ambigu envers le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil, une défense claire des droits de l’Homme en Chine.

La situation au Tibet devient de plus en plus tendue en 2008 en raison des Jeux Olympiques de

Pékin se tenant la même année. Le gouvernement tibétain en exil et les Tibétains de la diaspora et

de l’intérieur de la Chine profitent de l’occasion pour manifester au monde leur ras-le-bol de la

répression chinoise à l’égard de la préservation de leur culture et à la pratique de leur religion en

toute liberté. Des manifestations sont organisées partout à travers le monde en signe de soutien à

leur manifestation. À travers cet élan de soutien et de critique à l’égard des politiques chinoises

envers le Tibet, l’Union européenne s’engage dans le mouvement, tout en soulignant son respect de

la souveraineté de la Chine au Tibet.

Le 4 décembre de la même année le dalaï-lama fait un discours au Parlement européen, au même

moment où devait se tenir le Sommet entre l’Union européenne et la Chine. Cette dernière annonce

quelques jours plus tôt qu’elle annule sa présence au Sommet en raison de la visite du dalaï-lama

dans plusieurs pays de l’Union.

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En 2009, suite à l’interruption des négociations sino-tibétaines et au cinquantième anniversaire du

soulèvement tibétain, le Parlement européen adopte le 12 mars une résolution qui reprend le

mémorandum de 2008 des émissaires du dalaï-lama en Chine demandant une autonomie réelle pour

le peuple tibétain45.

La même année, à l’initiative des parlementaires européens engagés au sein de l’intergroupe sur le

Tibet, un réseau mondial des parlementaires sur le Tibet est créé, afin d’élargir le soutien envers la

cause tibétaine et l’influence politique des pays occidentaux dans ce domaine. À cet effet, le 19

novembre de la même année, la déclaration de Rome est adoptée par 133 parlementaires issus de

30 parlements à travers le monde, créant par le fait même une Convention des parlementaires sur le

Tibet. Le coordonnateur de ce réseau est celui de l’intergroupe sur le Tibet du Parlement européen.

Le dialogue bilatéral entre l’Union européenne et la Chine concernant les droits de l’Homme se

refroidit entre 2010-2012. Au lieu de se rencontrer deux fois par an, la Chine annule trois année

consécutives la seconde rencontre avec l’Union dans le cadre de ce dialogue.

Le réseau des parlementaires pour le Tibet s’investit en 2011 pour soutenir les initiatives en faveur

d’une démocratisation du gouvernement tibétain en exil, suite aux élections de 2011 au suffrage

universel du premier ministre. Le réseau des parlementaires conduit une mission d’observateurs des

élections tibétaines.

En avril 2011, la vice-présidente de la Commission européenne et la Haute représentante de l’Union

pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, déclare être profondément

concernée par la détérioration des droits de l’Homme en Chine46. Cependant, au même moment,

peut-être pour faire contrepoids de cette déclaration, le président du Conseil européen, Herman van

Rompuy, alors en visite en Chine, n’a pas évoqué les violations des droits de l’Homme et la question

tibétaine auprès des autorités chinoises.

L’année 2011 est marquée par le début d’une escalade d’auto-immolations de Tibétains, au Tibet et

en exil. À ce jour, plus de 120 Tibétains ont eu recours à cette action afin de porter un témoignage

45 Le texte stipule ainsi : Le Parlement européen « prie instamment le gouvernement chinois de considérer le mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain, présenté en novembre 2008 » (http://www.tibet-info.net/www/Resolution-du-Parlement-europeen,1077.html#nb1, consulté le 20 juin 2013).

46http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/EN/foraff/121487.pdf (consulté le 20 juin 2013).

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ultime de leur opposition à l’oppression chinoise. Face à ces gestes, le Parlement européen a adopté

une résolution en octobre 2011 (B7-0564/2011) condamnant la répression des autorités chinoises à

l’encontre des monastères tibétains et demande le respect des droits de l’Homme notamment suite

aux auto-immolations. À peine un mois plus tard, une autre résolution du Parlement européen

(RC/840848) demande au Conseil et à la Commission ainsi qu’aux États membres d’intervenir contre

le plan du gouvernement chinois de faire du chinois la langue principale d’instruction. Cette politique

avait causé de fortes oppositions au Tibet. Deux jours après l’adoption de cette dernière résolution, le

réseau mondial des parlementaires pour le Tibet organise dans le cadre du comité des affaires

extérieures du Parlement européen une conférence sur l’autonomie du Tibet et le dialogue sino-

tibétain en compagnie du nouveau premier ministre tibétain, Lobsang Sangay. Les parlementaires

disposent alors chacun d’un drapeau du Tibet revendiqué par le gouvernement tibétain en exil et

renié par le gouvernement chinois. Le premier ministre présente aussi une conférence au sein du

comité des affaires extérieures du Parlement européen. L’orientation du soutien du Parlement

européen est alors bien présentée : il s’agit d’une défense des droits de l’Homme au Tibet et au

processus de démocratisation du gouvernement tibétain en exil, témoignant une fois de plus

l’importance normative des engagements du Parlement européen.

En juin 2012, Catherine Ashton, la vice-présidente de la Commission européenne et la Haute

représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, fait une déclaration

au Parlement européen sur la situation du Tibet, mentionnant l’importance de la question des droits

de l’Homme au sein des affaires extérieures de l’Union. Madame Ashton réitère ses préoccupations

dans ce domaine au Conseil de l’Union européenne en décembre47. On peut donc voir que Catherine

Ashton agit clairement en faveur du respect des droits de l’Homme au Tibet.

Cette année, en mars 2013, dans le cadre d’un séminaire soulignant les révoltes tibétaines du 10

mars 1959 organisées par des membres de l’ALDE aussi membre de l’intergroupe sur le Tibet, une

des grandes figures spirituelles du Tibet ayant soutenu les initiatives d’auto-immolations, Kirti

rinpoche, a été invité au Parlement européen. Malgré une forte pression de la Chine contre la tenue

47 « The EU calls upon the Chinese authorities to respect the rights of Tibetans to peaceful assembly and expression, to act with restraint, and to release all individuals detained for taking part in peaceful demonstrations. We also urge Chinese authorities to allow free access to all Tibetan autonomous areas for diplomats as well as for international journalists. Finally, the EU encourages all concerned parties to resume a meaningful dialogue. » 17831/1/12 REV 1, PRESSE 535.

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d’une conférence, ce dernier est venu rencontrer quelques membres importants du Parlement. La

présence de Kirti Rinpoche peut surprendre puisqu’il a cautionné les auto-immolations tibétaines et

permet de voir que le soutien du Parlement européen envers les Tibétains et la cause Tibétaine reste

important encore aujourd’hui, malgré les nécessités d’un rapprochement économique avec la Chine

dans un contexte de crise économique important en Europe.

3.4 Conclusion

La position de l’Union européenne par rapport à la question du Tibet peut donc être résumée en ces

quelques mots : l’Union européenne s’affirme comme puissance normative (Laïdi, 2009) en Chine à

travers la défense des droits de l’Homme, en particulier au Tibet, et soutien la défense de ces droits,

ainsi que la démocratie, orchestrée par le gouvernement tibétain en exil et le Dalaï-lama. L’Union ne

remet pas en question explicitement la souveraineté de la Chine au Tibet. Cependant, par la

rencontre et le soutien envers le dalaï-lama, chef spirituel du bouddhisme tibétain et chef politique

(jusqu’à tout récemment) du gouvernement tibétain en exil, du soutien pour l’avancement des

négociations entre le gouvernement tibétain en exil et le gouvernement chinois, et la rencontre des

représentants du gouvernement tibétain en exil, l’Union a reconnu le gouvernement tibétain en exil

comme puissance politique légitime par rapport à la question du Tibet. Cette reconnaissance

implicite est précisément ce qui dérange le plus la Chine, qui comprend bien qu’ainsi c’est sa propre

souveraineté sur le Tibet qui est remise en question. En réponse à ce dérangement, l’Union a répété

a plusieurs reprises qu’elle ne remettait pas en question la souveraineté de la Chine au Tibet, ce qui

peut paraître contradictoire vu son soutien au gouvernement tibétain en exil. Officiellement, ainsi,

l’Union défend les droits de l’Homme et la démocratie partout dans le monde et notamment au Tibet.

C’est au niveau officieux que les choses se complexifient. Sur la scène internationale, on peut voir

que la position de l’Union européenne sur la question du Tibet s’inspire souvent des initiatives

américaines et contribue à consolider une position forte en faveur de la résolution du conflit sino-

tibétain et de la protection des droits de l’Homme au Tibet. Enfin, dans un contexte de crise

économique et de l’âge avancé du dalaï-lama, on peut se demander si cette position courageuse

pourra être maintenue dans le temps.

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Chapitre 4 : Conclusion générale

La démocratisation du gouvernement tibétain en exil n’a pas été initiée démocratiquement, mais par

le haut, par le dalaï-lama, symbole même du pouvoir autoritaire. Le défi de cette démocratisation

était donc de redescendre vers le peuple afin de l'engager dans la politique de l'exil. Cette volonté

d’inclusion et de libéralisation politique des préférences de la population tibétaine s’est heurtée aux

contraintes uniques d’un gouvernement de l’exil :

1. Orienter les préférences de la population afin d’assurer l’unité nationale malgré l’opposition importante face à la politique officielle relativement à la question du statut du Tibet. Le retour au pays d’origine restant l’objectif fondamental du gouvernement en exil, l’unité nationale paraît à la fois prioritaire et contradictoire face aux efforts de démocratisation des institutions de l’exil.

2. Démocratiser des institutions politiques qui ne gouvernent sur aucun territoire de jure. Cette problématique renvoie au défi du suffrage populaire et à la légitimité démocratique d’un gouvernement qui ne peut prendre le pouls de la majorité de sa population, encore en Chine ou habitant dans des pays qui bloquent les initiatives politiques du gouvernement tibétain en exil. De plus, le gouvernement en exil représente majoritairement les intérêts et préoccupations des Tibétains exilés en Inde, alors que la diaspora s’étend au-delà de ce pays.

3. L’ambiguïté de la volonté démocratique du gouvernement tibétain en exil : est-elle une fin en soi ou sert-elle les intérêts politiques du gouvernement en exil en accroissant la légitimité de ses institutions aux yeux de la communauté internationale afin d’accroître ses chances de survie en exil et d’un retour au pays natal ?

En ce sens, à la lumière de cette analyse, on peut constater que l’inclusion du régime a précédé sa

libéralisation, qui reste davantage aujourd’hui problématique. Le danger de ce modèle de transition

démocratique est, comme le mentionne Dahl, que les opposants politiques perçoivent leur adversaire

comme une menace pour leur maintien et pour l’intérêt de la nation. Étendre la participation politique

à l’ensemble d’une population sans avoir cultivé l’art de la contestation publique peut en ce sens

conduire à une hégémonie du groupe dominant, qui n’accepte pas le jeu de la compétition politique.

En ce sens, cette forme de démocratisation est moins favorable que celle qui commence par une

libéralisation du régime politique (Dahl, 1989: 203).

Il est possible de questionner la pertinence des indicateurs de Dahl afin de mesurer le degré de

polyarchie ou de démocratie d’un État. En effet, bien souvent les indicateurs quantitatifs du degré de

démocratisation du gouvernement tibétain en exil se sont heurtés à la complexité des enjeux d’un tel

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régime politique et de la culture tibétaine. Ainsi bien souvent les indicateurs n’ont pu refléter les

subtiles transformations politiques durant la période d’étude. Une analyse strictement qualitative

aurait permis une plus grande finesse dans l’analyse de la question de recherche. Cependant, les

indicateurs quantitatifs, utilisé en Occident dans l’évaluation du degré de démocratisation d’un État,

permettent cependant d’évaluer à la lumière des critères usuels le statut démocratique du

gouvernement tibétain en exil.

De plus, en guise de conclusion à notre analyse et d’évaluation synthétique de notre problématique

de départ, on peut dire que le gouvernement tibétain en exil se démocratise depuis 1991 sur le plan

institutionnel, répondant relativement positivement ainsi aux exigences des démocraties

occidentales. Cependant, l’absence de système multipartite, proportionnel et de suffrage de la

population tibétaine en Chine, la démocratie tibétaine de l’exil reste fragile, voire superficielle, comme

si elle s’articulait dans une volonté plus fondamentale de servir les intérêts liés à l’accroissement de

la légitimité du gouvernement tibétain en exil, tant par rapport à un maintien qu’à un retour possible

au pays d’origine. Dans cette perspective, il est plus facile de comprendre pourquoi il semble encore

si difficile de libéraliser le débat politique, puisqu’un certain discours dissident risque d’affaiblir la

légitimité du gouvernement en exil. En ce sens, la question de la sécularisation de la politique

tibétaine nous semble un des facteurs les plus importants pouvant contribuer à la démocratisation

des institutions politiques de l’exil. Suite au retrait du dalaï-lama de la gouvernance tibétaine, il est

possible de penser que la libéralisation politique sera accrue, au risque d’un désengagement

politique de la communauté tibétaine, dont les principaux motifs d’engagements s’effritent

progressivement, à savoir le respect de la volonté démocratique du dalaï-lama et l’espoir d’un retour

au Tibet. Ainsi la démocratisation des institutions politiques tibétaines semble progresser, mais des

modifications importantes doivent encore être effectuées avant de pouvoir affirmer qu’il s’agit d’un

régime politique démocratique.

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Glossaire

Chitues : Les Chitues sont les députés de l'Assemblée du peuple tibétain du gouvernement tibétain en exil.

chos srid gnyis’brel : Principe de l’alliance des pouvoirs temporel et spirituel dont l’origine remonte au moins à la royauté sacrée sous l’Empire (VIIe-IXe siècle). L’idée était alors que la loi religieuse était plus importante que la loi politique, mais qu’ils formaient ensemble une alliance. Le chef de cette alliance était l’empereur, considéré comme le « roi selon le dharma » (chos rgyal), modèle inspiré du roi protecteur du bouddhisme indien Chakravartin (Ishihama, 2005). Ce principe a été repris par le gouvernement tibétain (le Ganden Phodrang) à partir de son institution en 1642.

cho-yon : Dans cette relation appelée chöyön (mchod yon), le maître spirituel tibétain donne non seulement enseignements et initiations au monarque, son disciple et bienfaiteur, mais aussi célèbre des rites destinés à lui transmettre certains pouvoirs ésotériques. En échange, le monarque assume le rôle de protecteur de la doctrine ; il accorde son soutien matériel au hiérarque et exerce une protection politique et militaire à son égard. Cette relation devint pour les Tibétains le modèle idéal de relation entre les maîtres spirituels tibétains et les souverains étrangers puissants, généralement mongols ou mandchous. Il leur permit même, dans le cadre de la domination mongole, de continuer à s'administrer (Buffetrile, 2012). La première relation entre un précepteur et un protecteur fut établi en 1278 entre Phagpa et Kubilaï Khan. Cette relation s'est répétée en 1578, entre Altan Khan et Sonam Gyatso. Altan Khan invite ce dernier à se rendre dans ce qui est aujourd'hui la Mongolie intérieure. Lors de cette rencontre un échange de titres a lieu : Altan khan confère au religieux tibétain le titre de dalaï-lama (« Maître vaste comme l'océan ») et lui-même reçoit celui de « Roi de la doctrine », chögyel (chos rgyal). Cette rencontre signe la conversion officielle au bouddhisme guélougpa d'Altan Khan et de son peuple.

Gaden Phodrang : Le Ganden Phodrang est le nom du gouvernement tibétain, vient du nom de la place du 5e DL au monastère de Drepung. Littéralement « Palais de la félicité ». Son principe fondamental est l'alliance des pouvoirs temporel et spirituel appelée en tibétain chos srid zung 'brel (voir dans le glossaire). L'origine de ce principe est très ancien et remonte au moins à la royauté sacrée sous l'Empire (VIIème-IXème siècle). Cette union pouvait être partagée entre deux individus, comme ce fut le cas à travers la relation de chö-yon (voir glossaire), ou dans une seul personne. Cette dernière union est celle qui fut mis en place à travers l'institution des dalaï-lamas, qui fut à la tête du gouvernement tibétain, le Ganden Phodrang.

Kalon Tripa ou Sikyong : Le Kalon Tripa est le premier ministre tibétain du gouvernment en exil. Il est le chef du Kashag, le conseil ou le cabinet des ministres. L'appellation du premier ministre tibétain du nom de Kalon Tripa a été remplacée par celle de Sikyong en 2012 par l'administration tibétaine, qui signifie « dirigeant politique ».

Kalon : Le terme de Kalon signifie ministre du gouvernement tibétain en exil.

Kashag : Cabinet des ministres du gouvernement tibétain, composé de trois laïcs et d’un moine. Les ministres étaient nommés à vie. Ils étaient sélectionnés par le DL ou devaient obtenir l’approbation de ce dernier.

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Lönchen : Poste politique semblable à celui de « premier ministre », se trouvant dans la hiérarchie politique du Ganden Phodrang juste au-dessous du DL, émanation du bouddha de la compassion. À la différence d’un premier ministre, le lönchen n’était pas un poste permanent et le DL pouvait se passer de ses services pendant plusieurs années ou encore nommer trois personnes en même temps à ce rang. (Rahul 1995).

Tsikhgang : Corps administratif qui comptabilise et surveille les impôts fonciers. Il peut faire enquête dans les cas litigieux.

Tshongdu Gyentsom : Assemblée nationale composée de fonctionnaires laïcs et ecclésiaux présents à Lhassa. Les décisions de cette assemblée devaient être entérinées par le sceau du gouvernement et par ceux des trois grands monastères. Toutes décisions devaient aussi être approuvée par le DL.

Yigtsang : Pendant religieux du Kashag, où siégeaient quatre moines. Ils étaient chargés de sélectionner les moines pour des postes au sein du gouvernement. Les membres du Yitsang étaient des cadres exécutifs au service du DL dont le rôle était de s’occuper des affaires religieuses de l’État. Comme le pouvoir religieux l’emportait sur le politique, « ces moines contrôlaient le gouvernement lamaïste » (Michael, 1982, p.52).