extrait de la publication… · 2013. 11. 7. · rien. des gros sabots, des habits tout sales...
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LA NOUVELLE
REVUE FRANÇAISE
COCO PERDU
Dans la salle d'attente je veux dire dans le hall de la
gare centrale, je vous parle pas du hall de la gare routière
celle des petits chemins de fer départementaux dans le
temps, le tortillard qu'on l'appelait, c'est le hall de la gare
de la S.N.C.F. que je veux dire. Bon alors comme je m'en
allais hier soir après avoir acheté mon tabac à la mar-
chande de journaux il devait être dans les neuf heures
neuf heures et quart par là, un Arabe est entré, bourré. Il
disait qu'il voulait du travail et que personne lui en don-
nait. Les rares bonnes gens qui se trouvaient là s'en fou-
taient vous pensez bien, ils y pouvaient rien en plus, y
avait qu'à le laisser gueuler, mais comme il était bourré
et qu'il gueulait de plus en plus fort et qu'il gesticulait,
vous voyez ce que je veux dire, les gens s'écartaient ils
avaient la trouille forcément! Les sidis ça joue facilement
du couteau surtout une fois bourrés. Et alors quoi? Moi,
j'y pouvais rien non plus. Il avait pas tous les torts
remarquez mais vous savez moi, question politique c'est
fini fini depuis longtemps, oh là là! Qu'est-ce que je fou-
tais là? J' sais pas. A part que j'étais venu acheter mon
tabac. J'aime pas la gare et j'y viens tout le temps. Tiens,
hier matin encore, mais là c'était un cas de force majeure
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forcément puisque Fafa prenait le train. Donc hier matintoujours à la gare mais ce coup-là dans le hall de la gareroutière, là je vous parle plus de la S.N.C.F. pendant lep'tit coup d'orage qu'on a eu vers midi juste au momentoù Fafa venait de passer sur le quai et où moi je venaisd'apercevoir l'Amiral voilà qu'on s'est trouvé vous allez
pas me croire devant un type enchaîné. Je vous blaguepas. Un type. Un homme si vous aimez mieux. Enchaîné.
Il était assis sur un banc dans le hall. Je croyais que çase faisait plus de balader des types enchaînés comme onvoyait dans le temps des gitans balader un ours ou un
singe. Je croyais pas enfin j'y pensais jamais. A côté
du type y avait un gros jeune bouffi de gendarme tout
neuf qui avait l'air de s'emmerder je vous dis que ça! Etpuis encore un autre gendarme mais celui-là un chef quiregardait à la porte si la pluie allait pas bientôt finir.Enfin y avait encore un quatrième couillon, un vrai plouc,une grosse tête de lard toute ronde et rouge comme un
ballon de gosse tandis que le type enchaîné lui était plutôtmaigre et pâlot, la gueule en lame de couteau genre mocovoyez c' que je veux dire? Le plouc restait planté les mains
dans les poches à regarder vers le fond du hall où y avaitrien. Des gros sabots, des habits tout sales dégueulassesdéchirés, pas de casquette, une musette un vrai bouseux.
J'ai d'abord cru qu'il était saoul ou mal réveillé. On était
pas loin de midi. Ça, j'en suis sûr, la preuve c'est queje venais de conduire Fafa, c'est ma femme, au train de
midi et que si j'étais pas allé jusqu'au quai avec elle c'est
parce que au moment de passer le portillon j'avais pour-tant pris mon billet de quai, ça fait cinquante balles de
foutus, voilà que j'aperçois l'Amiral. On l'appelle Amiralcomme ça pour rigoler parce que c'est un ancien marin.
Fafa a très bien compris la combine elle a pas du toutgueulé. « Mais bien sûr T'as raison mon Coco. Rattrape-le,autrement il va filer.» Donc Fafa et moi on s'est quittés
comme ça. Faut dire qu'elle était pas trop chargée et qu'elle
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était tout le matin d'une douceur d'agneau trouvant toutbien tout facile, ayant même réussi à boucler sa valise
toute seule, ça s'était jamais vu, et n'ayant un peu insistéque pour partir un peu plus tôt parce qu'elle voulait passerà la poste ayant une lettre à y mettre qu'elle voulait jeterelle-même à la boîte. On avait pris un taxi à cause de lavalise. Le taxi a eu du mal à arriver à la poste vu quec'était le marché, la fin du marché, mais c'est là qu'il y ale plus de monde justement mais elle a voulu quand même.Le chauffeur s'est débrouillé je sais pas comment. Elle estdescendue du taxi pour aller jusqu'à la boîte. J'aurais pule faire à sa place, remarquez, elle a pas voulu, c'est ça quim'a mis la puce à l'oreille et puis je m' disais qu'on s'raiten retard. Bref on est arrivés à temps quand même etje serais passé avec elle sur le quai mais c'est là que j'aiaperçu l'Amiral et que l'orage a commencé. Vous avezentendu le coup de tonnerre? Je me suis mis à cavaler
à travers la cour de la gare sous la flotte, je voyais bienque mon vieux François, c'est l'Amiral, m'avait pas repéré.Il se trottait en boitillant du côté de la gare routière. Pasdifficile à comprendre qu'il allait attendre son car. Je mesuis mis à crier « Ohé, Amiral » Voilà François quis'arrête et tourne de mon côté sa bonne vieille gueuletoute renfrognée mais en voyant que c'est moi il se marre.Il avait une belle casquette toute neuve avec une ancre
dorée et un beau manteau bleu un peu trop long pour lui
qui n'est pas bien grand. Il m'a attendu. J'ai piqué unpetit galop, et alors, à cause de la flotte on a couru un
petit peu pour aller se réfugier dans le hall de la gareroutière, l'Amiral allait prendre son car justement et làon a vu le type enchaîné. Alors là minute de silence « Ah,
dis donc o Le type enchaîné était assis sur son banc
dans un coin du hall son gendarme à côté. On s'est mis à
regarder, mais on n'osait pas, on était gênés. Des chaînes
des vraies en acier, des menottes, quoi. Ça brillait. On
n'osait pas parler. Le gros lourd debout à deux mètres du
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type tournait le dos à la porte où le chef gendarme regar-
dait si la flotte allait pas bientôt s'arrêter et si le car
allait pas s'amener. Le type enchaîné fumait une cigarette
mais pour la prendre ou pour l'enlever il levait à tout
coup les deux mains et les chaînes brillaient comme des
trucs d'église. Il souriait, mais sans regarder nulle part ni
personne. C'était un petit maigriot d'une trentaine d'annéestrès brun du genre plutôt nerveux pas comme l'autre
plein de soupe. Nous, l'Amiral et moi, on aurait voulu
savoir, mais l'idée de poser la question aux gendarmes
nous venait même pas. On se serait fait remettre en place,
engueuler peut-être bien. La flotte tombait toujours et y
a eu un coup de tonnerre. La flotte faisait comme un vrai
rideau devant la porte et c'était plein de bouillasse dehors.
Ça clapotait sur le toit d'autant plus fort que le hall était
vide à part nous. Malgré le chahut de la pluie on a entendu
le train qui s'en allait emmenant Fafa à Paris et les
cloches de la cathédrale qui se sont mises à sonner à toute
bringue. C'est sûrement pour un mariage, m'a dit l'Ami-
ral. Le cortège arrivait à l'église ou il en sortait, enfin
je sais pas, en tout cas ça devait être un grand mariage vu
le carillon. Là-dessus voilà le chef gendarme qui se
retourne et qui nous dit
« Ça s'arrange pas »
Il s'en foutait, remarquez. C'était histoire de causer.
François lui a gentiment répondu que c'était du temps de
saison. Mais le chef a insisté en disant qu'il n'y avait pas
que ça qui s'arrangeait pas et qu'on en voyait maintenant
de drôles, des vertes et des pas mûres, et qu'y avait tropde salauds sur la terre.
« Pas besoin d'aller bien loin pour en avoir la preuve.Vous avez vu celui-là ?»
D'abord on a cru qu'il voulait parler du type enchaîné,
mais pas du tout, c'était de l'autre. Alors cet idiot-là était
un salaud? Non. Pas lui. Alors? Le type enchaîné? Non
plus. Enfin, celui-là, c'était autre chose. Les salauds,
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c'étaient les types dans le train. Ceux-là s'il les avaittenus, alors là.
« Et qu'est-ce qu'on peut faire nous autres ? Malheureux
de voir ça tout de même »
Qu'est-ce qui s'était passé?
« Demandez-lui donc » fait le chef gendarme. Mais
c'est lui qui demande à l'idiot « D'où ça que tu reve-nais ?»
L'idiot revenait de la Lozère, ou de la Creuse je sais
plus où il était allé faire une saison je sais pas de quoi,
ouvrier agricole. Trois mois à travailler du matin au soiret dans le train en s'en revenant.
« Ils lui ont tout fauché. Tout ce qu'il avait gagné dansses trois mois.»
Je sais pas pourquoi le chef gendarme avait l'air telle-
ment content de nous raconter ça.
« Tu dormais ou quoi ?» qu'il demande à l'idiot.
« Sais pas.»« T'étais saoul ?»
« Non », répond l'idiot.
Il avait peur du gendarme ça se voyait. Il bougeait
presque pas ou alors c'était tout d'un bloc on voyait à
peine remuer ses pieds.« Tu saurais les reconnaître ?»
« Non.»
Le chef gendarme se tourne vers nous avec une gueuleémerveillée.
« Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse nous autres
dans des conditions pareilles ?»
D'abord c'était pas aux gendarmes de rien faire, ça
regardait la police.« Il est venu nous dire ça, à nous.»
Et quand s'était-il aperçu de l'affaire? En se réveillant,
dit-il. Juste en arrivant. Il devait changer pour prendreson car. Il était déjà dans la cour qu'il s'est aperçu qu'il
avait plus son portefeuille.
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« Y avait combien? »
« Quatre-vingt mille francs.»
Le chef gendarme lève les yeux au ciel.
« Mais aussi sacré bon Dieu on fait attention quand
on a sur soi une somme pareille! Vous avez joué? »
« Joué ?» dit l'idiot.« Aux cartes? »
« Non.»
« Vous avez bu ?»
« Un p'tit coup de rouge.»
« Rien qu'un petit coup ?»
« J'avais mon litrej'ai payé un coup.»
«Après. vous avez roupillé ?o« Ptête bien.»
Naturellement Ils lui avaient fauché son morlinguc
pendant qu'il roupillait et ils étaient descendus dès qu'ils
l'avaient pu dans l'idée de prendre le train suivant. Nivus ni connus.
« Tu vas te faire recevoir, toi, en rentrant chez toi »
Le type enchaîné crache son mégot. On avait presqueoublié qu'il était là. Quand il a voulu tirer son mouchoir
nous on les a bien entendues tinter ses chaînes. Le gros
bouffi de gendarme assis à côté bronchait pas plus qu'un
sac de patates. Le type s'est mouché comme il a pu il a
remis son mouchoir en place et repris sa pose tranquille.
« Si bien, dit le chef, qu'il a même plus de quoi se payerson billet »
Et dans les quarante kilomètres à faire pour rentrerdans son village!
« Je vous dis qu'il y a trop de salauds sur la terre »Nous, l'Amiral et moi, on avait commencé à se fouiller.
La pluie mollissait un peu. Moi, je voulais bien donner
quelques sous à l'idiot mais j'étais gêné, l'idiot demandait
rien et j'avais compris que François pensait comme moi
c'est pourquoi on a suivi le chef gendarme qui retournait
dehors pour voir si le car arrivait et une fois dehors on
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a pris ce qu'on a trouvé dans nos poches et on l'a donné
au chef gendarme en lui disant de donner ça à l'idiot.
Le chef gendarme a dit « Pensez-vous Il a qu'à se
démerder Mais il a pris les pièces, on l'a salué et on est
parti sous la flotte mais c'était déjà fini. La pluie a cessé
y avait plus de tonnerre il devait être dans les midi dix
par là. On avait peut-être le temps de s'envoyer un p'titcoup d' blanc avant l'arrivée du car. Tiens! Chez Rouxel,
en face à côté de l'ancien patronage. Bon. Nous voilà
au zinc et voilà l'Amiral qui me raconte que son pro-
priétaire veut le foutre à la porte. Sans blague! Un con
pareil! Il a pas l' droit. Seulement faut pas qu'il insiste
ou j' lui arrache un œil. Jamais rien foutu, le salaud il
était pour les Boches en 40. Et il veut me faire ça? Parce
que tu comprends moi question patriotisme. Question
patriotisme, ça c'est vrai il a rien à se reprocher. Tout
14-18 sur les torpilleurs, et à partir de 43 au maquis.
Blessé à une jambe. C'est pour ça qu'il boite. Et ce salaud-
là veut le foutre à la porte! Heureusement que l'Amiral a
un bon copain qui fait la pêche. L'Amiral aime mieux aller
à la pêche avec lui et roupiller chez lui en attendant ce
que va lui dire l'avocat. Avec le car, y en a pas pour
une demi-heure pour aller chez le copain. Moi pour parler
d'autre chose je lui ai raconté que je venais de conduire
Fafa au train de Paris. Ça l'a fait rigoler.« Te v'là veuf Alors mon vieux Coco tu vas faire la
foire?»
On a rigolé tous les deux. Lui il s'en fout c'est un vieux
célibataire. Là-dessus voilà le car qui s'amène. L'Amiral
m'a dit Adios! et il était déjà loin quand je suis parti.
J'étais pas pressé. J'avais pas faim. Et puis j'aime pas
le restaurant. J'avais plutôt envie de me balader. Quand
même c'est pas marrant de se promener comme ça en ville
surtout à cette heure-là quand on n'a rien à faire. Je me
plais pas ici. C'est mort. Faut pas oublier que j'ai habité
Paris pendant vingt-cinq ans. C'est Fafa qu'a voulu qu'on
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revienne ici quand j'ai pris ma retraite. Moi je voulaisbien. Je voyais tout en beau. On serait au calme on ferait
des balades. Alors on a acheté la villa ça va faire huit ans
mais je m'y plais pas. Huit ans quand j'ai pris maretraite. Vous savez moi j'y retourne jamais à Paris.
Rue Lacepède que j'habitais. J'aimais bien faire mon petittour sur la place de la Contrescarpe descendre la Mouffetout ça. Ici j'ai retrouvé quèques vieilles connaissances
quèques vieux copains comme l'Amiral des amis d'enfance
quoi mais c'est pas pareil. Quand j'habitais rue Lacepède
j'allais le dimanche matin aux puces de la rue Gracieuse
mais ça n'existe plus. On a tout foutu en l'air pour
construire des immeubles comme partout. Des sociétés.
C'est drôle la vie! Moi au fond je ne tenais pas tant que
ça à quitter Paris. A cause de Fafa surtout. Je lui disais« T'es jeune, toi T'as besoin de distractions. Ici, on a
des copains et puis c'est Paris. Là-bas t'auras personne.»Elle me répondait que ça lui était bien égal. « J'ai tou-
jours aimé la campagne qu'elle disait. C'est pas mon bled
mais c'est le tien.» C qu'on a pu rigoler dans les pre-miers temps quand on se demandait comment on allait
l'appeler cette villa! On y a passé des soirées entières en
se foutant de tous ces ballots qui mettent une plaque àcôté de leur porte Mia Casa. Dernière Escale. Nous
on voulait pas de ça. Je lui disais « Vaudrait mieux rien
mettre tu sais, ça fait petit-bourgeois.» Elle rigolait. « Petit-
bourgeois ? Tu vas pas faire de la politique? Et puis du
moment que ça nous plaît on n'a pas de comptes à rendre
à personne pas vrai ?» Elle avait raison en un sens. C'est
ce que je lui ai répondu. « Tiens dit-elle, on va
l'appeler La Coquette. Tu trouves pas ?» J'ai dit oui. On
a fait graver en italiques et dorer ce nom-là sur une
plaque de marbre qu'on a fait sceller à côté de la porte.
Moi je trouvais ça pas mal. Seulement ce matin Fafa partie
j'avais pas envie de retourner tout de suite là-dedans.
J'aime pas les maisons vides. Marrant ce qui se passe dans
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les gares, quand même. Moi, je fais pas exprès. Ça se
trouve comme ça. J'y peux rien. Je me demandais où ça
que les gendarmes emmenaient le type enchaîné? Et l'idiot
s'il avait pris son car ? Il était peut-être marié dites donc
Et père de famille? Alors? Le voilà qui arrive à la ferme
et sa femme qui lui demande les sous? « Où sont les
sous ?» Pourvu qu'elle n'aille pas se mettre dans l'idée
qu'il les a dépensés avec une de ces putains qui rôdent
par là. Parce qu'elles vous croient pas toujours les
femmes hein? Enfin quoi ça nous regarde pas ce qui se
sera passé entre eux au village et puis on n'y peut pas
grand-chose. C'est ce que je me suis dit en redescendant
en ville. S'il fallait compter tous les pas qu'on fait pour
rien sans s'en rendre compte! Avant d'aller au restaurant
je voulais passer chez moi voir si le facteur m'avait apporté
quèque chose. C'est rare remarquez mais moi non plus
j'écris pas souvent des lettres. Pour finir j'y suis pas
retourné je suis redescendu vers le marché. Y avait pour
ainsi dire plus personne. Il était pas loin de midi et demi.
En passant devant la poste je me suis encore demandé
pourquoi Fafa n'avait pas voulu que je mette sa lettre
à la boîte? Oh, et puis qu' ça peut m' fout! Elle est bien
libre! J'ai remonté la rue Poincaré, y avait personne non
plus, que la vieille vendeuse de billets de loterie dans un
coin de porte elle avait l'air de grelotter. Quand je suis
passé devant elle elle a bredouillé « La Fortune Le
Bonheur! La Chance qui passe Et à ce moment-là
tout un cortège d'automobiles avec des rubans blancs aux
poignées a traversé la rue. C'était ce grand mariage pour
lequel nous avions entendu les cloches. J'ai bien compris
qu'ils revenaient de chez le photographe et qu'ils allaient
à l'hôtel pour le repas. J'ai tout juste pu apercevoir la
jeune mariée en blanc à côté de son jeune époux en noir,
parmi des fleurs dans le fond de la voiture. Bon Qu'ils
s'arrangent Ça nous regarde pas non plus.
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Puisque c'était hier samedi jour de marché que Fafaest partie c'est aujourd'hui dimanche. Pas plus difficileque ça. Mais hier samedi je suis quand même rentré chez
moi. Ça me disait rien mais bon. Dans le salon y a nos
portraits. Fafa et moi, des agrandissements. Ça date d'avant
notre mariage. La maison était bien vide. Vous savez
ce que c'est, on entend l'horloge. La boîte aux lettres vide
aussi bien entendu. Si j'ai rien au courrier de cinq heuresje me suis dit faudra attendre demain matin. C'était bête
comme tout vu qu'aujourd'hui c'est dimanche. J'ai regardé
partout. J'ai vu que personne était venu rien voler. Je
suis retourné dans l'entrée pour enlever mon manteau et
mon bonnet et les accrocher. Je suis passé au salon après
ça j'ai fait le tour de la maison. J'en avais pas du tout envie
j'en avais même presque peur mais je suis tout de même
entré dans la chambre de Fafa c'est-à-dire je me suis
contenté d'entrouvrir la porte. Les volets étaient fermés.
Je suis reparti en me disant encore que j'aurais p't' être
une lettre à cinq heures. Mais quelle andouille Y a pas de
courrier le samedi après-midi. Bon. Mais qu'est-ce que je
vais faire moi ? Dire qu'on avait fait installer le téléphone
dès les premiers temps. L'appareil est dans le salon. On
croyait pas pouvoir s'en passer. On ferait des connaissances
on aurait des amis et par conséquent on se téléphonerait
quand on aurait envie de boire un verre, d'arranger un
dîner, une balade. Je t'en fous! Le téléphone a jamais
servi qu'à Fafa pour passer une commande au boucher.
On l'a gardé quand même parce que ça peut être utileen cas d'incendie, d'accident, est-ce que je sais! Ça coûte
cher mais c'est une sécurité. J'ai piqué avec une punaise
une petite feuille d'agenda où y a les numéros à appeleren cas d'urgence. A côté, j'ai mis l'annuaire. Le téléphoneest dans une boîte d'horloge que j'ai transformée en
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bibliothèque. Sur le rayon d'en haut j'ai les huit tomesdes Mille et Une Nuits, avec des illustrations. J'ai aussi
l'almanach des postes. Quand je sais plus quoi faire jeregarde les noms dans l'almanach ça me rappelle des per-sonnes. Ça dure cinq minutes. Je remets l'almanach en
place et j'oublie. Je serais même pas foutu de dire l'imagequ'y a dessus. C'est vrai que j'ai pas mis longtemps àle choisir, j'ai pris le premier venu et j'ai donné ses étrennes
au facteur. J'avais surtout envie qu'il foute le camp.J' l'aime pas. Il a une façon ce salaud-là quand il voit queje le guette de passer en me criant « Zéro la barre Cein-
ture, quoi » Moi je trouve pas ça drôle du tout. J'ai fait
une petite sieste. Après ça j'ai traîné. Ensuite je suisretourné au restaurant. Faut bien puisque Fafa est paslà! J'avais oublié l'heure si bien qu'en entendant sonner
l'horloge à l'église ben alors neuf coups au lieu des septque j'attendais. Pas possible. J'ai enfilé mon pardessusen vitesse et pris mon bonnet. J'avais envie de marcher
de voir des lumières de regarder des figures. Ça vousarrive pas à vous? Moi j'aime bien marcher dans la nuit
et il faisait déjà nuit. Mon quartier la nuit n'est pas trèséclairé mais c'est mieux comme ça. Je préfère. Je marcheet je continue à penser à mes petites histoires. Mais il
faut marcher longtemps quand on vient de La Coquette
avant de trouver les lumières. axiales? c'est comme çaqu'on dit? de la rue Poincaré. J'étais pas surpris derencontrer personne. A cette heure-là pensez-vous! Mais
les magasins brillaient de tout leur éclat le long de larue Poincaré, les mannequins de cire dans les vitrines
du grand magasin de nouveautés, la vitrine de la librairie
on aurait dit une grande boîte de bonbons. L'uniprixses. tentes de plage et son matériel de jardin, bêches
râteaux, arrosoirs en plastique, jeux de croquet, tout çaen vert et rouge technicolor. L'or des bijoux dans la
vitrine à côté. Quand je suis arrivé sur la place j'ai vuqu'il était bientôt neuf heures et demie à l'horloge des
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Nouvelles Galeries mais ça m'a pas étonné.. C'est quand
je suis entré au restaurant que je suis resté baba. C'étaitvide. Y avait tout juste un jeune couple qui finissait de
manger. En me voyant, Bernadette a levé les bras au ciel,
juste comme j'allais m'asseoir, et elle m'a dit « Bon!
Vous avez qu'à vous mettre là Et je lui ai répondude se grouiller mais je sais pas pourquoi et il était trop
tard pour aller au cinéma, en plus j'en avais pas envie je
sais pas ce qu'on joue cette semaine, la semaine dernièresais pas si vous avez vu ça je sais plus comment ça
s'appelle un truc je sais pas comment vous dire, historique,
c'est fait avec des actualités on voyait je sais plus si c'étaitFallières ou Poincaré dans leur calèche, et Guillaume II
à cheval. Comment ça s'appelait ? On voyait le tsar Nicolas
à poil en train de se baigner dans la Néva son cul tout nu.Je sais pas comment ils ont fait pour prendre ça. Et les
types qu'on fusillait pendant la guerre civile trois par trois,
trois types debout en plein champ trois autres types devant
eux qui arment leurs flingots. Bing! V'là les casquettes
des types qui sautent comme des crêpes et les types paf,
baisés, par terre. Faut être con. En sortant du restaurant,
il était très tard. Je me suis aperçu que je n'avais plus
de tabac et à l'heure qu'il était fallait monter jusqu'à la
gare m'acheter un paquet chez la marchande de journaux
si c'était encore ouvert. Quand même je suis passé à côté
à l'estaminet comme on disait dans le temps, pour boire
un café en vitesse au zinc. Y avait foule à regarder la
télé. Une serveuse que je connais pas m'a versé mon café.
Le patron m'a fait un petit signe de tête. J'ai bu mon café,
j'ai payé et je suis parti. Il était pas loin de dix heures.
J'ai monté à la gare. J'ai tourné à droite, et au bout, j'ai
vu les lumières de la place de la Gare. Je suis passé devant
la caserne. Y avait un type de garde mais pas dans uneguérite comme avant et je sais pas pourquoi je me suis
demandé s'il y avait toujours des guérites ou si on les
avait supprimées, mais qu'est-ce que ça pouvait me foutre?
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Le type se baladait mollement sa mitraillette sous le bras.
Dans le poste, il y avait de la lumière et d'autres typesqui avaient l'air de s'emmerder. Moi ça m'était bien égal.Je suis passé sans faire attention et je suis arrivé dans la
cour de la gare où il n'y avait personne pas même un taxi.J'ai cru que tout serait fermé, mais non j'ai eu de la veine
la boutique de la marchande de journaux était encoreouverte. J'ai acheté mon paquet de tabac. J'ai même étésur le point d'acheter un journal n'importe lequel et puisje me suis dit que je m'en foutais et que les nouvelles on
les sait toujours, c'est toujours pareil. J'ai bourré une pipeet je suis monté sur la passerelle pour regarder les trains.
J'aime bien regarder les trains la nuit. Justement, y avaitle train de dix heures et quèques qui arrive à Paris à
six heures du matin. Je suis resté à regarder ça jusqu'au
moment du départ. Y avait du monde. Je suis parti en
me disant que j'allais revenir par un autre chemin, pourchanger et puis j'ai réfléchi que c'était demain dimanche et
je suis revenu prendre un deuxième paquet de tabac pourn'avoir pas à sortir si j'en avais pas envie.
On est drôlement foutus quand même c'est pas des
blagues, ainsi moi qu'est-ce que vous en dites, v'là qu'il
est six heures du soir aujourd'hui dimanche et qu'est-ce
que vous croyez que j'ai fabriqué? Hein? Dites? Que je
suis allé au cinéma? Ou je ne sais pas moi, faire un tour
jusqu'à la mer ou quoi? Ou que je suis rentré chez moiroupiller? Pas du tout. Je suis allé me balader du côté
de la gare. Notez que j'en avais pas du tout idée. Je savais
pas bien ce que j'allais faire de mon temps et un momentje me suis même demandé si j'allais pas rentrer roupillermais on dort trop c'est pas bon. Alors voilà je suis des-
cendu en ville. Y avait personne. Vous savez comment
c'est en ville un dimanche après-midi? N'en parlons pas.Enfin bref il s'agit pas de ça. Toujours est-il que m'étant
baladé dans les rues un bon moment, je sais même pas par
où je suis passé, voilà que tout d'un coup je me réveille
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dans la cour de la gare où j'avais rien à foutre en plein
dans la cour de la gare comme ça, on est drôlement foutus
quand même, vous n'allez pas me dire le contraire. Natu-
rellement y avait personne pas plus qu'ailleurs forcémentc'était même désert. Quelques taxis peut-être un ou deux
pas plus et pour le reste zéro. Pas de mouvement. Ça avait
l'air en panne. «Qu'est-ce que tu fous là?»je me suis
dit, J'avais même pas besoin de tabac vu que j'avais fait
ma provision hier samedi et même je savais pas si lamarchande serait ouverte un dimanche après-midi. Quandmême. Bref c'était pas ça. Seulement moi voilà mettez-
vous à ma place. Il était dans les quatre heures et quèques.Ça faisait pas mal de temps à tirer. Y avait bien les bistrots
mais ça me dit rien. C'est quand même marrant dans letemps j'aurais bien passé une heure à une terrasse de
bistrot à rien foutre à regarder comme ça devant moi
même à lire le journal. Ça m'a passé. C'est plus pareil.J'ai quand même fait un tour dans le hall où y avait per-sonne que la marchande de journaux. Là-dessus je suismonté sur la passerelle pour voir les trains. C'était même
pour ça que j'étais venu, je m'en suis bien rendu compteparce que à cinq heures y a le train qu'arrive tout droit
de Paris, celui qui part vers les huit heures de Montpar-nasse et je ne sais pas si c'est avant de monter là-haut
ou une fois rendu queje me suis mis en tête que Fafaallait peut-être se ramener. On sait jamais, je me disais, elle
aura peut-être changé d'idée ou bien il sera arrivé quelquechose qui l'aura obligée à revenir et elle aura pas eu letemps de m'en avertir ou bien peut-être qu'elle aura télé-
phoné mais comme j'étais pas là, enfin vous voyez. Ça jem'en voulais, c'est bête tout ce que vous voudrez mais
c'est comme ça parce que si j'étais pas là quand elle atéléphoné, à supposer, ça l'aura peut-être fait changer d'idée
mais dans l'autre sens et elle sera restée. Enfin j'aurai malettre demain matin lundi. Parce que vous verrez ça, lalettre qu'elle voulait tant que ça mettre elle-même à la poste
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COCO PERDU
c'est une lettre pour moi. Ça j'en donnerais ma tête à
couper. Je la connais la Fafa. Enfin attendons. Ça fait
plus bien longtemps pour être fixé. Demain matin versles dix heures. Je suis resté bien une demi-heure à
attendre le train de Paris. Je me rappelais comment que
je l'avais attendu, l'autre fois à la guerre et, ce jour-là
j'en avais gros sur le cœur vous pensez bien, en 39, maisj'ai pas oublié, je me demandais si je la reverrais jamais
la Fafa. J'avais peur qu'on soit coupés ça aurait bien puarriver. Et alors moi, qu'est-ce que j'aurais foutu? Enfin
c'est comme ça. Et quand le train de Paris est arrivé tout
à l'heure vous ne me croirez pas mais je suis descendu
à toute bringue au risque de me casser la gueule jusqu'à la
sortie des voyageurs pour voir si Fafa était pas là. J'ai
bien regardé tous ceux qui sortaient un à un sous le nez
pour ainsi dire mais y avait pas de Fafa. Remarquez, je
m'y attendais un peu, mais quand même. Et quand le type
a fermé le portillon voulant dire par là qu'il y avait plus
personne à sortir, je lui ai demandé si par hasard y avait
pas un deuxième train, parce que vous savez en saison,
ils dédoublent quelquefois les trains. Bon. Y avait pas de
deuxième train. J'avais plus qu'à m'en revenir et à attendre
le lundi demain matin pour avoir ma lettre. Maismaintenant je me rentre. Peut-être que je sortirai encore
pour aller au restaurant. Je sais pas. Ça dépendra. En
tout cas il est pas loin de six heures et demie. C'est tou-
jours ça de tiré.
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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
parce que comprenez-vous puisque c'était hier dimanche
c'est donc aujourd'hui lundi, par conséquent, et ce matinje l'ai eue ma lettre, tiens la v'là, et c'était pas du tout c' que
j'avais peur bien loin de là. Alors du coup, comme il étaitun peu plus de onze heures et même onze heures et demie
quand le facteur est passé, il s'arrête à bavarder à toutes
les portes ce cochon-là, ça fait qu'il met deux fois plus
de temps qu'un autre et pendant ce temps-là on est là
derrière le rideau. Bon. Il est quand même arrivé j'ai euma lettre et quand j'ai vu ça, sacrédié, je suis descendu tout
droit en ville en me disant que j'allais fêter ça et d'abord
me payer l'apéro au Grand Corsaire et ensuite me taper
un bon petit gueuleton à moi tout seul pour fêter ça avecune demie de beaujolais, ça peut pas faire de mal quand
c'est pas tous les jours. Parce que vous savez, j'étais sûr
que cette lettre était pour moi, vous vous rappelez bien la
lettre qu'elle voulait à toute force jeter elle-même dans la
boîte avant de partir l'autre jour samedi matin que c'était
le marché sur la place et que le taxi a eu tant de mal à
s'arrêter? Bien sûr qu'elle était pour moi, c'est même pour
ça qu'elle avait pas voulu que je la jette moi-même dans
la boîte comme je voulais. C'était une surprise. Seulement
moi j'ai eu la trouille. Tout le samedi après qu'elle estpartie j'ai eu la trouille et tout hier dimanche et encore
ce matin lundi jusqu'au passage du facteur, c'est pour ça
que j'étais pas content qu'il arrive pas et de savoir qu'il
était à bavarder partout avec n'importe qui tout le long
de sa tournée. Bref j'ai eu ma lettre quand même et c'était
pas du tout ce que je croyais, alors là me v'là parti. Vous
allez me dire qu'un lundi matin c'est pas beaucoup plusmarrant en ville qu'un dimanche vu que tout est fermé
jusqu'à midi à part les bistrots et qu'il y a pas de mou-
vement. Bien sûr. Le lundi matin c'est un peu mort. Mais
ce matin je m'en foutais vous pouvez pas savoir comment.Et j'avais pas du tout envie de monter jusqu'à la gare
j'avais pas de raison. A la gare? Pour quoi faire? Pas du
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COCO PERDU
tout. Je suis allé me pavaner à la terrasse du Grand Cor-
saire et là je me suis fait servir un pastis. Ma foi oui. J'aidégusté mon pastis en regardant les passants. Y avait unsoleil J'ai attendu midi comme ça en pensant à rien maisj'avais ma lettre quand même. Et savez-vous une chose
je sais pas si vous êtes comme moi on a beau penserà rien, on est drôlement foutus c'est pas des blagues. Unefois posé là bien tranquille devant un pastis il vous revienttoutes sortes de trucs qu'on croyait pas, tout un cinéma,pas vous? On perd le fil, on le rattrape, celui-là ou un autre
on se rappelle des moments quand on était gosse, ou à la
guerre, n'importe, là-dessus voilà un type qui vous dit
bonjour, on échange quèques mots et tout est cassé mais ça
fait rien on regarde devant soi, y a du monde il fait beau
et tellement qu'il y a de soleil qu'à toutes les fenêtres y a
des tentures je sais pas comment on appelle ça au justede toutes les couleurs, des rouges des vertes, j'ai toujours
aimé ça moi. Alors, on regarde et voilà le petit cinéma qui
recommence. On se dit des trucs on pense à la vie. Pas
vous? On se dit qu'on a eu tort ou raison on sait pas bienon se dit qu'entre-temps il y aurait eu autre chose à faire
on sait pas quoi. Faut pas nier la chance mais faut pas
toujours tout mettre sur le compte des circonstances. On yest bien pour quelque chose quand même? La lettre de
Fafa maintenant faut que je vous dise. Je m'étais mis
en tête que Fafa me plaquait. C'est pas possible je me
disais. Puisqu'elle m'écrit c'est qu'elle me plaque. Ellea pas le courage de me le dire en face alors elle m'écrit.
Mais j'étais sûr qu'elle reviendrait pas. Ça j'en étaissûr. Elle en veut plus, elle en a marre, elle me trouve
trop vieux ou je sais pas quoi enfin bref elle s'emmerde
ici où y a pas grand-chose comme distraction c'est vrai,
et elle veut retourner à Paris mais pas avec moi.
Voilà ce que je me disais. Vous pensez si je me suis
amusé! Notez qu'il y avait pas de raison que je medise ça. On s'est toujours bien entendus Fafa et moi on
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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
a eu quelques petites engueulades comme ci comme ça
c'est forcé en plus de vingt ans qu'est-ce que je dis vingt-
cinq ans de mariage, mais jamais rien de bien sérieux,
on est faits depuis longtemps l'un à l'autre. Mais je saispas. Depuis quelque temps je la vois qui s'ennuie. C'est
pour ça! Enfin on sait pas d'où vous viennent les idéesquèquefois. Et puis elle est bien plus jeune que moi Fafa.
Je me suis marié tard à quarante ans passés. Elle en avait
tout juste vingt-cinq, à la guerre quand j'attendais le
train de Paris qui n'arrivait pas. C'est vous dire. On a
toujours été bien heureux ensemble sauf qu'on n'a jamais
eu d'enfant. Enfin voilà je comprendrai jamais pourquoije m'étais foutu cette idée-là en tête qu'elle me plaquait.Je lui dirai jamais vous comprenez bien mais j'ai eu chaud
je vous blague pas, tout de ma faute, j'avoue, mais com-
ment ça se fait je voudrais bien qu'on me le dise? On
se goure d'une façon ou de l'autre. Les choses arrivent
toujours autrement ça c'est bien vrai! J'aurais pu l'attendre
longtemps au train de Paris en 39 à supposer que le train
de Paris se soit amené normalement, on était tout jeunes
mariés à l'époque, oui, j'aurais pu rester longtemps à me
morfondre si j'avais compté sur le train et je ne comptais
que là-dessus, puisqu'elle s'est amenée par la route! Ça
alors. Si jamais j'avais pensé! J'en croyais pas mes yeux
de la voir. J'étais comme dingo tout d'un coup. Elle avait
trouvé une occasion des gens qui venaient en bagnole jus-
que dans la région et qui l'avaient prise avec eux. Ça c'était
de la veine! Et dire que ces gens-là n'avaient même pas
le temps de s'arrêter pour boire un verre on n'a pas pu
les remercier on n'a jamais plus entendu parler d'eux.
J'ai bien regretté, Fafa aussi. Enfin n'importe on étaitréunis. On devait être drôles à voir, enfin bref c'était la
guerre. Il paraît que ça recommencera plus jamais. On
serait devenus raisonnables. Mais pour finir. Bon. Tout
ça, c'est du passé. Elle se ramène dans huit jours, parce
qu'en même temps que la lettre quelques minutes après
Extrait de la publication
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Extrait de la publication
Coco perdu (Louis Guilloux)