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HISTOIRE
DE
QUATRE POTIERS
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DU MÊME AUTEUR
Épigrammes romaines (épuisé)
ROMANS
L'inquiète Paternité (N.R.F.)
Un Homme heureux (N.R.F.)
Le Camarade infidèle (N.R.F.)
Le Lion devenu vieux (N.R.F.)
Les Yeux de dix-huit ans(N.R.F.)
Saint-Saturnin (N.R.F.)
Théâtre
Les Fils Louverné (N.R.F.)
La Mort de Sparte (N.R.F.)
L'Amour, le Prince et la Vérité (Au Sans-Pareil)
TRAITÉS
L'Enfant qui s'accuse (épuisé) (N.R.F.)
Césaire (épuisé)(N.R.F.)
Dialogues avec le Corps endormi (épuisé) (N.R.F.)
Sur les Frontières religieuses (N.R.F.)
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JEAN SCHLUMBERGER
HISTOIRE
DE QUATRE
POTIERSROMAN
dixième édition
nrf
GALLIMARD
Paris 43, Rue de Beaune
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L'édition originale de cet ouvrage a été tirée à centquatre-vingts exemplaires et comprend soixante-dixexemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre dontcinquante exemplaires numérotés de i à 50 et vingtexemplaires hors commerce marqués de a à t centdix exemplaires sur alfa Navarre dont cent exem-plaires numérotés de 51 à 150 et dix exemplaires
hors commerce numérotés de 151 à 160.
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adapta-
tion réservés pour tous les pays, y compris la Russie.
Copyright by Librairie Gallimard 1935.
Marie Delcourt-Curvers
A
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Les quatre potiers étaient trois
(Cuisons la terre !)
Trois jeunes fous et un vieux père,LanderiraI
Colombe, Jorg et Faurestier
(Cuisons la terre !)
Et Dauvergne, honneur du métier,Landerira
Leur gloire un jour resplendira
(Cuisons la terre !)
En attendant ils sont des frères,
Landerira
Ainsi débutait la Chanson des Potiers, telle
qu'elle fut chantée par les quatre compagnons de
l'équipe au premier anniversaire de leur établis-
sement dans la tuilerie. Elle comportait beaucoup
d'autres strophes, intelligibles pour eux seuls,
1
HISTOIRE DE QUATRE POTIERS
commémorant les hasards providentiels qui avaient
rapproché ces trois jeunes bourgeois et ce vieux
contremaître, pour les engager dans la mêmeaventure.
Ruisseaux coulant de-ci, de-là,
(Vaste est la terre)
En fin réunis en rivière,
Landerira
Si jamais l'Histoire s'intéresse à la tuilerie de
Courcebœuf, elle devra remonter huit ou dix ans
plus haut pour atteindre l'infime accident sans
lequel rien n'aurait pu naître. C'est dans la cour
du lycée Condorcet que, pour la toute première
fois, deux des futurs compagnons se sont adressé
la parole. Fernand Colombe et Pierre Faurestier
ont beau prétendre que, dès cette époque, un
pressentiment les a portés l'un vers l'autre, ils
n'avaient fait que deviner, avec le flair qu'ont les
collégiens pour distinguer les conditions sociales,
une analogie de milieux et de fortunes. Non que les
faïenceries dirigées par M. Faurestier pussent
prétendre au même rang que les grandes affaires
métallurgiques où le père de Colombe jouait un
rôle important, mais c'était de l'industrie tout de
même et les autos étaient de marques équiva-
lentes. Peut-être en seraient-ils longtemps restés
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à quelques devoirs préparés en commun ou à quel-
ques révisions de cours en vue de leur bachot
peut-être n'eussent-ils jamais dépassé la petite
comédie par laquelle les garçons tâchent de se
donner mutuellement le change sur leur inconsis-
tance et leurs incertitudes, si deux épreuves, les
frappant tour à tour, n'étaient venues les tirer
soudain de l'enfance et les jeter dans l'apprentis-
sage d'une vie difficile.
Comme, sur la fin d'un dimanche matin, Fer-
nand Colombe se rendait chez son camarade, il
s'étonna de trouver la porte du palier entre-
bâillée. Sur le tapis du vestibule traînaient un
seau de toilette et les draps d'un lit défait, désordre
presque incroyable dans une maison si correcte-ment tenue.
Le garçon s'engagea tout de même dans lecouloir conduisant aux chambres des deux frères
Faurestier mais ce fut pour tomber sur un domes-
tique, qui précipitamment lui barra le chemin et,
non sans brusquerie, s'efforça de le faire reculer.
Une porte s'entr'ouvrit et quelqu'un demanda,
d'un ton exaspéré
Qu'est-ce que c'est encore ? Qu'est-ce quec'est ?
La haute stature de M. Faurestier père apparut
entre le chambranle et le battant qu'il ramenait
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derrière lui. Reconnaissant le camarade de son
fils cadet, il s'avança, instantanément transformé
par la politesse, et, tout en parlant, finit de lerefouler jusqu'au vestibule.
Vous ne pourrez pas voir Pierre ce matin.
Il sera désolé. Je lui dirai que vous êtes venu.
Le veston boutonné, la tenue, comme toujours,
extrêmement soignée. Mais si M. Faurestier se
tenait droit, c'était avec quelque chose d'ivre quilui pesait sur les paupières.
Il faut nous excuser. Un accident épou-vantable.
Et comme le collégien ne semblait pas com-
prendre qu'on le souhaitait hors de l'appartement,
le père, pour la cinquième fois de la matinée,
redonna l'explication destinée à prévenir la for-
mation d'on ne sait quelles légendes
Vous ne savez pas encore. Mon pauvre filsAndré. Le malheureux enfant s'obstinait à
développer des photographies dans sa chambre.
Il a dû se tromper, dans l'obscurité, croire qu'il
prenait un verre d'eau. Nous n'arrivons pas à
comprendre. Tous ces affreux flacons étaient sur
la même table que la carafe. Le médecin, qui
vient de passer, dit que c'est du cyanure de potas-
sium. Un poison foudroyant, même à toute petitedose.
Fernand balbutiait les confuses paroles qui
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peuvent, dans de telles circonstances, venir à
l'esprit d'un garçon. Il connaissait peu l'aîné
des fils Faurestier. L'intimité ne semblait pas
grande entre les deux frères, que séparait d'ailleurs
une différence d'âge de quatre ans. Mais au tennisil avait admiré les services et les smash de ce
brillant joueur. Il l'avait même jalousé, lui qui
s'essoufflait et se fatiguait au bout d'une partie,
parce qu'il avait grandi trop vite, à ce qu'on
disait. L'idée que maintenant, là tout près, ce
corps adroit fût couché, à jamais inerte, lui cou-
pait toute autre pensée. Ses mains, sans qu'il
sût comment, se trouvaient entre celles de M. Fau-
restier qui les serrait. On l'avait poussé sur le
seuil. Et certes il n'aspirait qu'à fuir, avant de
voir cet homme fondre en sanglots. Mais au mêmeinstant son camarade déboucha du couloir. Avec
nervosité le père voulut abréger les condo-léances
Ton ami comprendra. J'ai besoin que tum'aides.
Puis sans attendre, il s'esquiva.
Après quelques balbutiements de sympathie,
Fernand pensa qu'il pouvait maintenant s'enaller
D'ailleurs, mon pauvre vieux, je crois que
ton père te réclame.
Mais Pierre Faurestier saisit son ami par la
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manche et l'entraîna vers le salon en chuchotant.
Non, reste Viens par là 1
Cette fuite pouvait paraître due à la simple
appréhension d'entrer une fois de plus dans la
chambre du mort. « Le cyanure fait bleuir »,
pensait Fernand. Il se laissa donc conduire jus-
qu'au fond de l'autre pièce, où son camarade,
qui ne le lâchait pas, le fit asseoir à côté de lui.
Au comble de la gêne, Fernand tâchait de dire
quelque chose
Et comment est-ce que vous avez découvert.
l'accident ?
L'autre restait sur le qui-vive, écoutant les
bruits de l'appartement. Il murmura
Le domestique. quand il est entré pour leréveiller.
Mais alors, dis-moi, ton malheureux frère.
il ne paraissait pourtant pas distrait1Faurestier nia de la tête.
Dans ce cas. comment t'expliques-tu?.
Mon père a dû te dire.
Oui, qu'il s'était probablement trompé deverre.
Et, reprit Faurestier, qu'il avait poussé la
table, avec tout l'attirail, près de son lit. pour
profiter d'une lampe où il mettait une ampoule
rouge.
Il se tut brusquement. La porte s'était entr'ou-
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verte, mais pas assez pour laisser voir celui qui la
poussait. La voix de M. Faurestier demanda
« Tu es là, Pierre ? » Fernand vit son camarade,
blême et sans bouger un cil, se coller au dossier du
siège lui-même, dans l'horrible silence, n'osa
respirer. On ne découvrit pas leur présence et la
porte revint sur elle-même.
L'instant d'après, Pierre était debout. Il sem-
blait chercher des yeux n'importe quelle issue
Sur le balcon, souffla-t-il.
Dès qu'ils furent dehors, il reprit (ses dents cla-
quaient si fort qu'il ne pouvait aller jusqu'au bout
d'une phrase)
Non, non, non Je ne veux pas C'est son
affaire Je t'ai raconté l'histoire du verre et de la
table et tout le truc. Tu es témoin Je répète
son boniment. mais il n'a pas le droit de deman-
der plus Ce matin déjà. Tout le tas de papiers
brûlés qui était dans la cheminée. il m'a forcé de
le ramasser dans un sac à linge sale. Il ne voulait
pas le mettre dans la boîte aux ordures à cause de la
concierge. Oh, il n'a pas perdu le nord. pas une
minute Il y a déjà nos domestiques. Pas moyen
de leur cacher la vérité, à ceux-là. Tout de suite,
chacun a reçu mille francs. Il leur en promet
dix mille, si rien ne transpire. A chacun des
trois Ça fera trente. Tu te figures si son cœur
saigne. Mais le scandale Tu vois d'ici les
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gens qui voudraient savoir comment et pourquoi.
les curés qui pourraient ne pas se laisser graisser
la patte et qui refuseraient la messe
Son camarade ne voyait qu'avec lenteur émer-
ger de ces paroles entrecoupées un sens incroyable
et bouleversant. Faurestier poursuivait
C'est trop clair que je n'aurais pas dû ramas-
ser les cendres. Je me dégoûte. Je devrais sauter
d'ici dans la rue pour me punir. Mais je ne savais
plus ce que je faisais. André là, sur le lit. Et moi
qui ne parvenais pas à comprendre que c'était
vrai. que c'était fini pour toujours. Alors,
n'est-ce pas, cette mise en scène. ça ne m'entrait
pas dans l'esprit, malgré les explications. Je
voyais mon père qui enlevait le tapis de table et les
livres. Il allait chercher dans un placard les
cuvettes à photographie. Des ordres à droite, à
gauche il fallait l'entendre Le malheureux
valet de chambre en perdait la tête. Quand il
m'a dit d'ôter les cendres de papier (tout ce qu'il y
avait dans ses tiroirs, André l'a brûlé), j'ai fait
machinalement ce qu'il disait. Et quandje suis
venu avec la boîte à ordures, il a dit « Pas ça
N'importe quoi d'autre. » Et c'est lui qui a eul'idée du sac.
Dans les abîmes qui s'ouvraient devant Fernand,
ce qui l'impressionnait le plus, c'était l'idée de son
propre aveuglement. Si vraiment il s'était de la
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sorte laissé duper, si quelques dehors aimables
suffisaient à lui faire prendre un monstre pour un
père affectueux, c'est donc qu'il était irrémédia-
blement naïf et stupide, ainsi qu'il l'avait déjà
soupçonné plus d'une fois. Il dit, par secret besoin
de se justifier
Certains hommes ne laissent pas voir quandils sont émus.
Une explosion de colère lui répondit.
Ému, lui «Un écrou enduit de vaseline »,
voilà comment André l'appelait. Mais il t'en a
mis plein la vue, comme à tout le monde. Et
maintenant il va se faire plaindre, comme aprèsla mort de maman. C'est son bonheur d'être
plaint. « Ce pauvre ami Un deuil après l'autre.
Quelle résignation Quel courage ». Alors il
pleurniche un peu on lui tapote les mains. Oh,
je me rappelle parfaitement. Je n'étais pas tel-
lement petit. Et il fallait entendre André parler
de ça. Pourquoi veux-tu qu'il soit triste ? Il
récupère une partie de ce que maman nous avaitlaissé 1
De son poing fermé, le garçon donnait des coups
de plus en plus durs sur le fer du balcon. Au lieu
de lui retenir la main, Fernand restait immobile,
perdu dans son humiliante découverte sur lui-
même. Il demanda pourtant
Est-ce que quelque chose te faisait prévoir ?.
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H HISTOIRE DE QUATRE POTIERS
Hier, après dîner. c'était la cérémonie des
comptes. Il veut que nous inscrivions les moindres
dépenses un timbre dix sous, pourboire cinqsous, un billet de métro aller et retour. Il faut
que ça colle avec ce qui nous reste dans nos poches.
André qui avait vingt ans Chaque fois c'est des
critiques. Nous aurions souvent préféré lui jeter
son argent à la figure mais on ne peut pas faire
toutes les courses à pied et ne jamais acheter un
croissant ou un journal. Je ne sais pas comment
ça s'est passé hier soir. mais je devine.
Soudain il tira son portefeuille, y prit un papier
qu'il déplia soigneusement. On n'y lisait que ces
mots « J'en ai assez. »
Quand on m'a réveillé, j'ai trouvé ça sur le
plancher. tout près de la porte. avec sa montre
et sa bague, et un peu de monnaie.
Le petit reniflement qui agaçait son ami fit enfin
place à une crise de sanglots. Avec gêne, Fernand
scrutait si, des fenêtres et des toits, personne ne
risquait de surprendre cette pénible scène. Il
cherchait vainement le geste, la parole qu'il auraitfallu.
Mais quand ils se retrouvèrent, quelques jours
plus tard, ils s'étonnèrent de se sentir si proches, si
préoccupés l'un de l'autre. Ce fut l'éveil surprenant
et rapide d'une première amitié, l'enhardissement
des confidences, le bonheur des discussions où l'on
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