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PLUIE D'ÉTOILES

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Aux éditions de la N. R. F.

LE NOMBRE D'OR. Rites et Rythmes pythagoriciens dansle développement de la pensée occidentale. Tome 1Les Rythmes (illustré de 48 planches hors texte. Pré-cédé d'une lettre de M. Paul VALÉRY, de l'Académie

Française).

LE NOMBRE D'OR, Tome II Les Rites.

ESTHÉTIQUE DES PROPORTIONS dans LA NATURE et dansLES ARTS.

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MATÏLA C. GHYEA

PLUIE

D'ÉTOILESroman

«e«vMu»e édition

nrf

GALLIMARD

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L'édition otuGjmiK de col ouvrage Q été tirée à trente-cinqexemplaires sur vélin par fil La/uma-Navarre dont vingt-

cinq exemplaires numérotés de1à 25 et dix exemplaireshors commerce marquai de A à j.

Tous droits de reproduction et de traduction réservés

pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1933,

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« Ces yeux ces larges, ces bril-lantes, ces divines prunelles ellesétaient devenues pour moi les étoilesjumelles de Léda, et moi j'étais pourelles le plus fervent des astrologues. »

E. PoE, Ligeia.

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CHAPITRE I

Un matin aigrelet de décembre,Vienne, en 1927le 2 décembre, précise Pierre Danthérieu, premier secré-taire de la Légation de France auprès de l'État FédéralAutrichien, en franchissant la porte-tambour de l'HôtelImpérial pour s'acheminer par le Ring et l'Opéra versl'ancien palais des Habsbourg où vient de s'installerdepuis un mois la C. I. D., lisez « Commission Interna-tionale du Danube » il y représente automatiquementla France, avec le titre de délégué-adjoint, en l'absencedu délégué titulaire qui ne se déplace de Paris que pourles deux sessions plénières annuelles de ce nouvel orga-nisme international. Nouveau, puisque créé par le traitéde Versailles pour instaurer effectivement sur tout leparcours navigable du vieil Ister le régime internationalpromulgué depuis le Congrès de Vienne mais appliquéseulement, de 1856 à 1914, au Danube dit « maritime »,de Galatz à Sulina, par la déjà vénérable C. E. D., ouCommission Européenne du Danube.

A peine installé à Vienne depuis deux mois, ayantquitté à regret le quai d'Orsay, Section de la Presse etde la Propagande, où il a passé une trop courte année(juste le temps de reprendre racine à Paris), PierreDanthérieu a trouvé dans cette fonction complémentairede son poste à la Légation même une variation bienvenueau travail monotone de la chancellerie. D'abord, il esttoujours amusant de se mêler de choses auxquelles onne comprend absolument rien ou plutôt, il est intéres-sant, pour une intelligence lucide, de se mettre au courant

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d'une question complexe et jusqu'alors complètementignorée, en ayant tout de suite une responsabilité effec-tive. Responsabilité du reste très mitigée, puisque lepetit soviet des délégués des onze puissances composantcette Société des Nations en miniature a toujours sousla main un Secrétaire Général permanent et des expertstechniques (comme à la S. D. N.), pour étudier et exposerles questions délicates, et pour veiller au fonctionnementpratique de l'organisme.j'S'Entre autres avantages, cotte délégation avait procuréau nouveau secrétaire de la Légation de France l'agré-ment d'une semaine d'automne (à la mi-octobre, presqueà son arrivée) dans la pittoresque ville de Bratislava,ex-Presbourg, où les souvenirs de l'antique Hongrieroyale et l'élan impétueux de la jeune république tchéCQ'-slovaque s'affrontent de pittoresque façon. Car Bra-tislava avait été pendant cinq ans le siège de la C. I. D.,et Danthérieu y avait assisté à son dernier « comitéexécutif » en territoire slovaque, avant le déménagementà Vienne, décidé à la suite de l'offre faite par le Gouver-nement autrichien de mettre gracieusement une aile del'ancien palais impérial à la disposition de la Commission.

C'était donc vers la vénérable Hofburg que se dirigeaitle jeune diplomate improvisé expert en navigationfluviale, pour y participer à la première séance du comitéexécutif dans son nouveau et très antique local etassurant de la main son chapeau contre la bise violentequi soulevait devant l'Opéra d'agressifs tourbillons depoussière, il traversa le Ring, passa devant l'hôtel Sacheret le beau palais Lobkowitz pour s'engager dans l'étroiteruelle menant au Michaeler Platz.

Quoique sachant parfaitement l'allemand (il avaitpassé un anà Munich comme tout jeune adolescent,deux années à Münster comme prisonnier de guerre,enfin deux années à Berlin comme second secrétaire

dans la période de « détente » entre 1924 et 1926) etéprouvant même, comme pas mal de Français de sagénération, un attrait précis pour beaucoup de manifes-tations de la culture germanique, littérature, théâtre,,cinéma, etc., Pierre Danthérieu ne s'acclimatait pas à

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Vienne peut-être otait-.ee précisément parce qu'il avaitcompris et aimQ l'âpre et stimulante qualité de l'atmo-sphère berlinoise que le charme tant prôné de la « villeimpériale » n'agissait pas du tout sur lui. Il avait l'im-pression de voir dans»la lumière crue d'un jour maussadeles décors prétentieux, poussiéreux, d'une pièce ratée,comme ces manèges gigantesques de chevaux de bois,ces restaurants déserts, épaves des foires et des exposi-tions d'antan, qui grelottaient sinistrement entre lestristes allées du Prator.

L'émeute de juillet, cette même année, qui avait vul'incendie du Palais de Justice et évoqué d'inquiétante

façon les souvenirs de la Commune de Paris, et sa répres-sion, énergique mais un peu tardive, avaient laissé dansles classes ouvrières un mélange de rancunes inassouvieset d'espoirs soprnois cette population ouvrière dont lesfaubourgs encerclaient la cité commerçante, celle desmagasins, des banques et des hôtels, fournissait justementles électeurs qui maintenaient à la tête de la municipalitéet de l'État de Vienne (car Vienne et sa périphérie cons-tituent l'un des huit a pays », le plus peuplé même, de lafédération autrichienne) ce conseil « rouge », en oppo-sition haineuse avec le cabinet fédéral du chancelier

Seipel, et dont les expériences socialistes contribuaientà enlever à l'industrie viennoise, durement frappée parla guerre et le démembrement de l'Autriche-Hongrie, lepeu de vitalité qui lui restait.

L'ancienne société avait disparu, ses membres devenushongrois ou tchécoslovaques, ou retirés dans leurs terresles grands palais, Schwarzenberg, Liechtenstein, Ester-hazy, Palffy, paraissaient fermés (le prince Lobkowitz,devenu tchécoslovaque, avait échappé à l'écrasant impôtdont la municipalité le menaçait en raison de son palaisen louant celui-ci pour une couronne par an au gouver-nement tchécoslovaque, qui y avait installé sa légation).La bourgeoisie, les fonctionnaires de l'ancien régime, lagrande classe des pensionnaires avaient été ruinés parl'inflation et la chute à zéro des fonds d'État, empruntsde guerre compris. Et Danthérieu ne trouvait plus tracede l'ancienne joie de vivre, de la bonne humeur et de la

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célèbre politesse viennoises. Obséquiosité sournoise ougrossièreté remontée à la surface les agents de policemême, thermomètres de l'urbanité d'une capitale, nesachant pas encore s'ils allaient finalement dépendre duministre de l'Intérieur du Bund ou du Conseil « rouge »de l'Hôtel de Ville, se demandaient s'ils devaient enversle bourgeois, autochtone ou étranger, se montrer affablesou sévères dans le doute ils restaient distants. Dan-

thérieu ne pouvait s'empêcher de comparer leur tondésagréable ou indifférent à la correction prévenante etintelligente des Schupos berlinois.

En ruminant ces considérations dépourvues d'indul-gence, il arriva au coin d'une petite rue débouchantperpendiculairement sur l'étroite Augustinergasse en facede la chapelle du Palais Impérial, et, regardantdroiteavant de traverser, vit une figure famélique arrêtée à ladevanture de la vieille taverne qui constituait justementle bloc d'angle des deux rues. Serrédans un vieil imper-méable bleu-marine au col relevé, qui n'avait pas l'airde le protéger beaucoup contre le froid exceptionnel decette matinée, coiffé d'un feutre gris au ruban déteint,l'homme examinait un jambonneau fumé dont la chairbois-de-rose se gonflait, prometteuse, sous l'ourlet de lapeau patinée et glacée comme du vieux cuir de Cordoue,ornant ainsi d'une nature morte appétissante, flanquéed'une bouteille de Rüdesheimer entre trois coupes vertes,l'une des grandes fenêtres en contre-bas de la« StadtBrünn » tel était le nom de la taverne.

Ce qui apparaissait de la figure, long nez légèrementrelevé du boutla Frédéric II, un peu rougi par le froid,favoris minces verticaux d'un roux déteint, commissuredes lèvres relevée en un commencement de sourire conci-

liant, mais barrée aussitôt d'un pli douloureux, attiracurieusement l'intérêt du diplomate, qui en le frôlantexamina attentivement l'inconnu au même instantcelui-ci relevait la tête, et dans la figure un peu carica-turale de paysan normand époque Louis-Philippe leregard infiniment triste et doux vint brusquementréveiller chez Danthérieu un souvenir qui ne parvenaitpas à se préciser.

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Dans les yeux de porcelaine bleue une lueur d'étonne-ment jaillit aussi le diplomate avait machinalementporté la main à son chapeau, mais ayant déjà dépassél'autre qui répondait par un salut cérémonieux il traversale petit carrefour sans se retourner.

Où avait-il vu, connu cette figure ? Les brumes dupassé se levaient, tourbillonnaient en essayant de prendreforme, et toutà coup un souvenir précis se matérialisaà Londres, en 1913, lorsqu'il venait d'arriver commejeune attaché d'ambassade, parmi les cartes de visitedu corps diplomatique, une dont le libellé l'avaitamusé

BARON Napoléon-Udalric DE MALEEN-LoUIS

Capitaine de CorvetteAttaché Naval de S. M. Impériale et Royale Apostolique

Il avait ensuite rencontré le porteur de ce nom incongruau St. James's, où l'attaché naval d'Autriche-Hongrie,en poste à Londres depuis sept ou huit ans, parlantl'anglais à la perfection, devenu entièrement britanniquecomme goûts et comme manières, était, cas presqueunique pour un étranger, membre du comité du club.

Le personnage, quoique jeune encore, représentait déjàen 1913 un résidu pittoresque de l'époque edwardienne,hansome cabs, Gibson Girls, opérettes (reprises) deGilbert et Sullivan et combinait avec un physiquedickensien la bonne humeur cachée, l'inoxydable bonnehumeur du marin à terre, et le flegme mécanique d'unPhiléas Fogg.

Napoléon-Udalric (d'où sortait cet attelage pompeuxet disparate ?) de Maleen-Louis (du flamand ici dans le« Maleen » ?) était aussi le type achevé du vieux garçonmaniaque (ses favoris minces, sa maigreur, son toupetLouis-Philippard, ses cols cassés, ses cravates engoncéesà la Beaconsfield, alternant parfois avec de petits nœudsdroits tout noirs, le faisaient paraître plus âgé qu'il nel'était réellement), non point affligé de manies par défor-mation ou bizarrerie congénitale, mais pour le plaisirconscient d'être maniaque.

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Il avait un appartement dans Jermyn Street (la gar-çonnière dans Jermyn Street était un délicat manifeste,évoquait déjà un passé de dandysme edwardien), unvalet de chambre, rouquin aussi, cheveux vernis etmoustache en brosse, voix barytonnante de sergentrecruteur Danthérieu se souvenait tout à coup d'avoirété invité par l'attaché naval de Sa Majesté Impérialeet Royale à un thé dans ce « bachelor's flat » il y avaittrouvé plusieurs officiers de l'Amirauté, un vieux membredu St. James's au teint de brique, aux moustaches blanches,type « colonel. de l'armée des Indes », deux douairières,et une assez jolie jeune femme à grand chapeau de paille,avec fleurs et rubans (« picture hat »).

Le jeune attaché était, à part son hôte, le seul étrangermais Danthérieu avait senti tout de suite que le maîtrede la maison était regardé par ses invités comme un desleurs, tellement il était assimilé, anglicisé, jusqu'à lamoindre intonation, au moindre geste. Armoire d'acajou,avec les lourds flacons taillés, whisky et « brandy »,beaucoup d'acajou, beaucoup d'argenterie, tapis chinoisbleus, sur un feutre cloué d'un bleu plus foncé, tenturesbleues et Danthérieu se souvenait d'une belle série degravures en couleurs du début du xixe siècle, la « Sériedes Naufrages » (frégates démâtées par des tempêtesterrifiantes, vaisseaux de la Compagnie des Indes chaviréspar des vagues grandes comme des maisons, sous « l'ceildu cyclone », sulfureux dans le ciel noir), sur lesquellesil avait complimenté l'hôte.

Celui-ci l'amusait donc beaucoup comme « type » ille rencontrait avec plaisir de loin en loin dans les bals« gratin » donnés annuellement dans certaines maisonsseigneuriales de Belgrave Square ou de Mayfair, où sile menu fretin des diplomates ne paraissait pas, le per-sonnel des ambassades d'Autriche-Hongrie, d'Allemagne,et (après mûre réflexion) de France était d'ordinaireinvité.

A part cela, sauf au St. James's; et de loin en loin àquelques déjeuners chez des collègues, ils ne se voyaientpas Danthérieu fréquentait un monde plus amusant,succédant au célèbre clan des « Ames », et groupé autour

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de quelques jeunes femmes et jeunes filles dont les mèresavaient été les lionnes de la société edwardienne.

Maintenant il se souvenait même de sa dernière ren-contre avec Napoléon de Maleen-Louis au commence-ment de cet hystérique mois de juillet 1914, entre lemeurtre de l'archiduc François-Ferdinand et l'ultimatumautrichien, un grand bal costumé au Savoy, le dernierévénement de la saison, « gratin » et acteurs mélangés.L'Autrichien l'avait invité à s'asseoir pour Souperunepetite table autour dé laquelle se trouvaient, en plusd'une figurante rousse de l'Adelphi et d'un autre diplo-mate, une ravissante actrice américaine, toute jeune starde l'opérette de l'Adelphi, flanquée de sa mère. Daii-thérieu essaya vainement de se souvenir du nom del'aCtrice elle était en arlequin, ses longues jambes gainéesde soie noire sortant de culottes courtes et larges à pochesbouffantes.

Treize ans depuis lors, câlcula-Wl en entrant dans laHofburg par l'immense portail du Michaeler Plata ilavait alors vingt-quatre ans, maintenant trente-sept.

Quel Coup la déclaration de guerre de l'Angleterre auxempires centraux avait dû être pour le marin autrichien,si féru de Londres et de tout ce qui était anglais I Aufait, il lui avait paru très pauvrement vêtu un vieilimperméable d'uniforme, si mince pour la saison pro-bablement jeté sur le pavé, comme tant d'autres officiersdé l'ancienne monarchie, avec une pension infime. Aumoins maintenant la monnaie autrichienne était-ellestabilisée.

Était-ce. la faim qui le penchait sur cette vitrine derestaurant ?L'avait-il reconnu ? Oui, l'Autrichien l'avaitreconnu tout de suite il n'y avait pas eu d'interrogationdans ses yeux de porcelaine, mais quelle mélancolierésignée, d'un autre monde ce n'étaient pas treize ans.mais treize siècles qui avaient passé entre l'attaché navalde l'ambassade d'Autriche-Hongrie à Londres et cettefalote silhouette viennoise.

H Montant l'escalier tournant de pierre nuebalustradede fer forgé qui menait adX anciens appartements itnpé-riaux, il sortiia au premierà une petite porteh côté de

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laquelle brillait sur une plaque neuve, or sur noir, l'ins-cription

COMMISSION INTERNATIONALE DU DANUBE

Un taxi emmenait Napoléon de Maleen-Louis à traversles rues en grisaille d'un quartier inconnu, dans unegrande ville. qu'il reconnaissait peupeu. Ces maisonsen briques sombres aux fenêtres nues, ces autobus rouges,ce brouillard. (faisait-il jour ou nuit ?) Un sourireheureux détendait ses lèvres. Était-ce possible ?Maisoui il se réveillait d'un long cauchemar. le cauchemarde l'exil. Bien sûr, il n'avait jamais quitté Londres iltraversait le quartier de. St. Pancras. Il se souvenaittout à coup de la boutique d'antiquités vue une foisdans ce quartier, et qu'il n'avait jamais pu retrouver.

Dans cette boutique extraordinaire, entr'aperçue uneseule fois, il avait, derrière la vitre glauque à grandscarreaux bombés, vu une collection de pots à tabac,rien que des pots à tabac, de tous pays, en grès, en por-celaine, en faïence, certains magnifiques à lettres d'or,grands comme les boîtes à thé cylindriques des épiciers.Et brusquement, dans la brume, la boutique flamboya.(il faisait donc nuit 1). en haut, une rangée de potsventrus, comme des jarres à gingembre,couverclesd'étain, en dessous une rangée de grands vases rouges àlettres d'or. la boutique avait disparu. il fallait arrêterle taxi 1. Maleen-Louis appela, essaya vainement debaisser la vitre. Mon Dieu1 perdue de nouveau. la nuitétait complète. Mais il fallaittout prix noter le nomde la rue Maleen-Louis se pencha anxieusement. uneplaque. tout s'embrouillait, mais il put tout juste voirencore les mots JUDD STREET.

Et puis il se réveilla. Quelques secondes de torpeur.puis les pensées se précisèrent la boutique était denouveau perdue, mais. cela n'avait été qu'un rêve.Cependant, Judd Street était une indication sérieuse il

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savait que la boutique était dans le quartier des troisgares du Nord St. Pancras, King's Cross, Euston (maisau fond, d'où savait-il cela ?avait-il jamais vu la bou-tique autrement qu'en rêve ?). Et Judd Street étaittout près de la gare de King's Cross cela, il s'en sou-venait. Car cette rue existait il pourrait le contrôlertout à l'heure.

Et puis il ouvrit les yeux, et au lieu des rideaux bleusde Jcrmyn Street, vit un papier gris écaillé. C'était lecauchemar qui était vrai.

Dans sa chambre nue de la Tabor Strasse, Napoléon-Udalric de Maleen-Louis se leva, doucement ému parson rêve il y avait si longtemps qu'il ne l'avait eu. Aufait, l'avait-il eu depuis. la paix, depuis sa rentrée àVienne, au printemps 1919, après le licenciement de lamarine ex-impériale et royale, depuis qu'il était devenucapitaine de frégate en retraite dans un pays qui nonseulement n'avait pas de frégates (là tout le monde étaità l'unisson), mais s'était recroquevillé en perdant toutesses côtes, tous ses ports, tous ses navires ?2

Un grattement contre la porte ah1 un ami1 le seulami du moment.

Le capitaine de frégate en retraite, ayant enfilé levieil imperméable bleu qui lui servait de robe de chambreaussi bien que de manteau, ouvrit doucement la porte,et un chat jaune, de la nuance appelée « gingembre » enAngleterre, entra la queue au port d'armes en esquissantun discret salut miaulé. L'ancien marin lui sourit, sebaissa pour saisir la bouteille à lait à travers l'entre-bâillement de la porte, et, ayant refermé celle-ci, versaune partie du lait dans une tasse, l'autre dans la soucoupequ'il posa par terre. Puis il s'assit et pendant que lechat (qui était une chatte et s'appelait Mitzi commetoutes les chattes de l'ancienne monarchie) lapaitsoigneusement sa soucoupe en commençant par les bords,il but lentement son lait en caressant des yeux sa petiteamie au pelage ambré.

Il avait toujours aimé les chats, et ceux-ci le savaientdans le triste garni de la Tabor Strasse où il avait paréconomie déménagé depuis le terme d'avril, la sympathie

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marquée que Mitzi lui témoigna avant même que l'idéedu petit déjeuner en commun ne leur fût venue (lapremière fois ce fut tout à fait par hasard, mais depuisle rite s'était enraciné) lui apporta bien plus qu'unedistraction il goûtait avec elle les seules minutes agréa-bles dans ces humiliantes journées passées à cherchervainement un travail rémunéré.

Depuis un an déjà Maleen-Louis avait perdu un emploid'interprète huissier auprès d'une agence financièreaméricaine qui, après deux ans d'observation peu fruc-tueuse, avait fermé ses bureaux, suivant l'exemple desnombreux comptoirs similaires qui avaient surgi commedes champignons pendant l'ère romantique de l'inflation.

Sa fortune personnelle qui dans les temps heureuxd'avant-guerre lui assurait un revenu annuel de qua-torzequinze mille couronnes-or (ce qui dans les rangsdes officiers de carrière autrichiens le plaçait parmi lesfavorisés de la fortune) était tombée à rigoureusementzéro, du fait que, comme beaucoup de ses camarades,il avait, dans les deux dernières années de la guerre,placé tout son capital en emprunts nationaux.

Sa pension d'officier supérieur, recroquevillée elle aussipresque rien au moment de l'inflation (il avait alorsvécu pendant six mois de la vente de quelques bijoux,puis de celle des restes de sa garde-robe londonienne),représentait maintenant une centaine de shillings autri-chiens par mois, couvrant tout juste son loyer et unrepas par jour dans une gargote pour le reste. il avaitrecommencé à vendre honteusement (son beau paletotd'hiver, signé Poole, avait sombré en juillet), et les petitesdettes chez les- fournisseurs du quartier commençaientà s'enfler.

Mais ce matin 2 décembre, une fois que se fut dissipéela première vague de mélancolie présenteson réveil,l'ex-attaché naval d'Autriche-Hongrie à Londres se sentitétrangement rasséréné c'était, pour être plus précis,la nuance inattendue qu'avait prise cette mélancoliemême qui conférait une détente bienvenue, transmisedu rêve à la réalité, aux heures grises de sa matinée.

Pour la première fois depuis ce poignant crépuscule

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