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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1952 à 1955) SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS RENÉ PIRET, PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN. PAR ET RoBERT PrnsoN, PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES, 1. PROHIBITION DES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE. Le Code civil établit avec rigueur l'interdiction des pactes sur succession future : article 1130 (règle générale); article 791 propos de la renonciation à la succession); article 1389 propos des conventions matrimoniales); article 1600 propos de la vente). La raison essentielle de cette rigueur était que les auteurs du Code entendaient réagir contre des «pratiques» de l'Ancien Régime par lesquelles, surtout dans les milieux nobiliaires, on modifiait l'ordre normal des successions; ces pratiques consis- taient en des contrats avenus entre le futur de cujus et ses héri- tiers ou entre les héritiers. - La prohibition du Code ne frappe pas ces seuls contrats, mais aussi les contrats entre le de cujus et des tiers, ou entre héritiers et tiers; elle s'applique aussi à des actes_ qui ne sont pas des contrats, par exemple dans le cas, visé à l'article 791, de la renonciation à une succession non encore ouverte. La cause de la prohibition, la volonté d'écarter une institution de l'Ancien Régime, ayant perdu une grande partie de sa valeur, on s'est demandé s'il ne convenait pas de revoir de lege ferenda les dispositions ci-avant citées (DE ·PAGE et DEKKERS, t. IX, no 552).

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Page 1: EXAMEN DE JURISPRUDENCE - bib.kuleuven.be · REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 117 Un arrêt de la chambre civile du 22 novembre 1949 (J.O. P., 1950, 5322, note BECQUE) va très

EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1952 à 1955)

SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS

RENÉ PIRET, PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ

DE LOUVAIN.

PAR

ET RoBERT PrnsoN, PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ

DE BRUXELLES,

1. PROHIBITION DES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE.

Le Code civil établit avec rigueur l'interdiction des pactes sur succession future : article 1130 (règle générale); article 791 (à propos de la renonciation à la succession); article 1389 (à propos des conventions matrimoniales); article 1600 (à propos de la vente).

La raison essentielle de cette rigueur était que les auteurs du Code entendaient réagir contre des «pratiques» de l'Ancien Régime par lesquelles, surtout dans les milieux nobiliaires, on modifiait l'ordre normal des successions; ces pratiques consis­taient en des contrats avenus entre le futur de cujus et ses héri­tiers ou entre les héritiers. - La prohibition du Code ne frappe pas c~pendant ces seuls contrats, mais aussi les contrats entre le de cujus et des tiers, ou entre héritiers et tiers; elle s'applique aussi à des actes_ qui ne sont pas des contrats, par exemple dans le cas, visé à l'article 791, de la renonciation à une succession non encore ouverte.

La cause de la prohibition, la volonté d'écarter une institution de l'Ancien Régime, ayant perdu une grande partie de sa valeur, on s'est demandé s'il ne convenait pas de revoir de lege ferenda les dispositions ci-avant citées (DE ·PAGE et DEKKERS, t. IX, no 552).

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116 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Anotre opinion, le maintien des règles du Code civil se justifie ; le danger de voir fausser l'ordre légal des successions par des conventions entre de cujus et héritiers ou entre héritiers n'est pas devenu illusoire et la jurisprudence mentionne encore bien des cas où le prestige du de cujus aux yeux de ses héritiers et la faiblesse de ceux-ci font redouter que certains des héritiers soient dépouillés au delà même du disponible, du fait des accords aujourd'hui conçlamnés par le Code.

Il n'est pas sain, d'autre part, de permettre les conventions sur succession future entre de cujus et tiers, ou entre héritiers et tiers, comme le reconnaissent d'ailleurs MM. DE PAGE et DEKKERS (loc. cit.).

La difficulté est surtout de savoir quand il y a pacte sur succession future.

La jurisprudence française a tendance à étendre la notion du pacte sur succession future.

L'arrêt de principe de la Cour de cassation de France (ch. civ.) du 11 janvier 1933 (D. P., 1933, 1, 10, note CAPITANT) considère qu'il y a pacte sur succession future tombant sous le coup de la prohibition dans toute stipulation« ayant pour but d'attribuer un droit privatif sur tout ou partie d'une succession non ouverte »,

et la Cour part de cette formule pour conclure à la nullité de la clause d'un contrat de mariage de séparation de biens pe:r;­mettant à l'époux surviva~t de reprendre la part de l'époux prédécédé dans une société contre payement de la valeur de cette part aux héritiers.

L'arrêt de la chambre civile du 10 mars 1941 (D. 0., 1943, J. 32, note MAGUET, et J. O. P., 1700) proclame la nullité, sur base d~ l'article 1130 du Code civil, des conventions portant abandon ou transmission de droits susceptibles d'être recueillis par les parties dans des successions non encore ouvertes.

Il déclare également que sont nuls les actes par lesquels une personne règle elle-même autrement que par les modes et dans les formes autorisées par la loi le sort de tout ou partie de sa succession.

Il s'inspire de ces principes pour justifier l'annulation de la convention passée .entre cohéritiers durant la vie du de cujus et par laquelle ils se dispensaient mutuellement du rapport de libéralités reçues.

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Un arrêt de la chambre civile du 22 novembre 1949 (J.O. P., 1950, 5322, note BECQUE) va très loin dans la voie de la prohi­bition. Il proclame la nullité d'une prorogation de bail consentie par un neveu relativement à un bien lui appa_rtenant en indivis avec un oncle dont il était l'héritier présomptif et qui était interdit judiciaire; comme le fait observer M. BECQUE, la conven­tion n'accordait pas aux tiers de droits. privatifs sur le bien loué, mais· un simple droit personnel contre le bailleur.

La Cour manifeste peu après une sévérité non moins grande (civ., 2 août 1950, J. O. P., 1951, II, 6059, note Gurno); pour le motif que «constitue un pacte sur succession future; la clause d'un acte tendant à organiser la transmission héréditaire des droits et obligations résultant de cet acte suivant des règles différentes des règles légales», elle déclare inefficace la clause d'un bail rural permettant au bailleur de choisir, parmi les enfants et petits-enfants du preneur, celui qui continuera le bail.

Rejetant un pourvoi contre un arrêt de la Cour de Nancy, elle décide en 1954 (civ., 23 novembre 1954, D. et S., 1955, J. 305) qu'est nulle l'intervention de deux cohéritiers présomptifs à un acte de donation par lequel le de cujus faisait une libéra:lité ne donnant· lieu qu'au rapport d'une somme fixe par leurs cohéritiers donataires; la Cour de Nancy avait d'ailleurs laissé subsister la donation elle-même.

Enfin, cédant à nouveau à sa tendance à l'application exten­sive de la prohibition, la Cour de cassation de France vient (cass. comm., 18 octobre 1955, J. O. P., 1956, II,' 9057, note ALIBERT; D. et S., 1956, I, 281, note EsMEIN) de substituer, dans la formule de l'arrêt de 1933, les termes «droit é~entuel JJ

aux termes « droit privatif JJ employés auparavant.

Elle consacre la nullité de la clause d'un pacte social par laquelle le de cujus a accordé un droit de préemption à son associé sur sa part, pour le cas où il ne laisserait ni conjoint, ni descendant; la clause vantée, selon l'arrêt, dépouillait de son droit successoral la mère du de cujus, décédé célibataire.

Les cours et tribunaux belges ont rendu durant ces dernières décennies un assez grand nombre de décisions à propos des pactes sur succession future.

REV. CRIT., 1956. - 5

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118 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

La Cour de cassation, le 28 novembre 1946 (J. T., 1946, 627), rappelle que la nullité des pactes est d'ordre public et peut par conséquent être invoquée pour la première fois devant elle. ·

Les règles sévères des articles 1130, 791, 1389 et 1600 s'appli­quent-elles uniquement aux pactes - ou aux actes - qui concernent l'universalité de la succession ou une quotité -de celle-ci?

M. DEKKERS, ranimant une vieille controverse, se prononce pour l'affirmative : les articles cités ne parlent que d'actes relatifs à la« succession», ou aux successions non encore ouvertes, ou du changement à l'ordre légal des successions (DEKKERS, Précis de droit civil, 1955, t. III, n° 511; « Toekomstige nalaten­schappen en syndikaten van aandeelhouders », Rechtsk. Weekbl., 1954-1955, col. 1617).

Pas plus que la jurisprudence française, la jurisprudence belge ne se montre disposée à accepter cette thèse restrictive.

On citera, dans le sens de la négative, c'est-à-dire de l'appli­cation de la prohibition des pactes portant sur des biens parti­culiers d'une succession, outre certaines des références citées par M. DEKKERS lui-même (Liège, 22 mai 1901, confirmant civ. Liège, 21 juin 1900, Pas:, 1902, II, 68; civ. Dinant, 13 octo­bre 1943, Pas., 1944, III, 67; civ. Termonde, 24- mars 1927, Pas., 1928, III, 61), un arrêt de la Cour d'appel de Gand du 10 juillet 1947 (J. T., 1948, 90) et un jugement du tribunal civil de Termonde du 19 mars 1953 (Tijdschr. not., 1954, 87); leur décision n'est d'ailleurs qu'implicite.

La Cour de cassation a, à deux reprises, admis une interpréta­tion restrictive de l'article 1130 du Code civil.

Elle rejette le 7 février 1952 (Pas., 1952, I, 320) un pourvoi dirig~ contre un arrêt de la Cour de Liège du 2 juin 1949, qui avait lui-même réformé un jugement du tribunal civil de Hasselt du 9 octobre 1946 (Rechtsk. Weekbl., 1946-1947, col. 325).

L'arrêt de Liège ·avait ,décidé qu'il n'y avait pas de pacte sur succession future dans la convention conclue entre une mère et son fils, et par laquelle le fils prêtait de l'argent à sa mère en vue de l'achat d'une maison, tandis que la mère s'engageait à ne pas vendre la maison une fois achetée, laquelle devait, par l'effet de la convention, revenir au fils à son décès.

Est également valable, selon la Cour d'appel, la cession de

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ses droits dérivant de la convention, consentie par le fils à un tiers avant le décès de la mère.

L'arrêt de Liège se fonde sur l'existence, dans le chef du fils, d'un droit actuel à obtenir l'immeuble; son droit n'est point un droit successif.

La Cour de cassation, déclarant souveraine l'interprétation du contrat donnée par le jug~ du fond, pose en principe que «ne constitue pas un pacte sur succession future la convention qui confère à une partie un droit dont, seule, l'exigibilité est différée jusqu'au jour du décès de l'autre partie».

Un autre arrêt de cassation, du 19 juin 19_52 (Pas., 1952,. I, 680), proclame une solution assurément peu contestable lors­qu'elle décide qu'il n'y a pas pacte sur succession future dans la vente d'un bien rural par les parents à un de leurs-enfants, à un prix inférieur à la valeur réelle et payable après le décès des vendeurs; il s'agissait d'une vente avec terme incertain pour l'acquittement du prix, accompagnée d'une libéralité por­tant sur la réduction de prix (voy. dans le même sens quant à une vente avec pàyement du prix à terme de décès: civ. Tournai, 27 octobre 1930, Rev. prat. not., 1932, 156).

Il n'y a pas, d'aprè.s le tribunal civil d'Audenarde (3 fé­vrier 1951, Rechtsk. Weekbl., 1950-1951, col. 1322), pacte sur succession future dans la concession, par un père et certains de ses enfants à un autre enfant avec qui ils sont en indivision, de la jouissance gratuite du bien indivis .pour une période qui se prolongera après la mort du père ; le père peut prendre u:n engagement valable, quant aux -biens faisant partie de so;n patrimoine, pour un terme· qui se poursuivra après son d~cès. ·

On retrouve la . même idée, à propos d'un bail consenti par un père à un de ses enfants, dans le jugement cité du tribunal de Tournai du 27 octobre 1930.

La circonstance que le transfert de propriété d'un immeuble vendu est retardé jùsqu'au décès du vendeur n'est pas non plus de nature à faire de cette vente un pac~e sur succession future, suivant l'arrêt de la Cour de Liège du 8 février '1952 (Jur. Liège, 1951-1952, p. 153).

C'est à tort, pensons-nous, que le tribunal de Termonde avait· statué en sens opposé aux décisions citées, le 24 mars 1927 (Pas., 1928, III, 61), en voyant un pacte sur succession future

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nul dans une vente de mobilier faite par une mère à un de ses enfants et qui retardait jusqu'au décès de la mère l'entrée en jouissance du fils et le payement par lui du prix stipulé.

L'hypothèse· sur laquelle statue le jugement du tribunal civil de Dinant du 13 octobre 1943 (Pas., 1944, III, 67) est très différente de celles ci-avant rencontrées : la vente portait sur un bien devant échoir au vendeur dans une succession non encore ouverte et le juge a à bon droit annulé l'opération.

La prohibition de l'article 1130 du Code civil a été également mise en œuvre à· juste titre par uri arrêt de la Cour de Liège, du 29 novembre 1955 (Jur. Liège, 1955-1956, p. 105) et par un jugement du tribunal civil d'Anvers du 14 avril 1948 (Tijdschr. not., 1949, 168).

Les cohéritiers d'un héritier donataire renonçaient à l'appli­cation des règles légales sur le rapport et la réduction, ce dans l'acte de donation, et en dehors du cht mp d'application de l'article 918 du Code civil.

La nullité d'un pacte sur succession future a enfin été pro­noncée par un arrêt de la Cour de Gand du 10 juillet 1947 (J. T., 1948, 90) qui a frappé une renonciation par certains cohéritiers, au profit d'un autre cohéritier, à un droit d'option sur des valeurs mobilières, droit qu'ils étaient appelés à recevoir dans la succes­sion de leur mère, encore en vie lors de la renonciation; et par un jugement du tribunal civil de Termonde du 19 mars 1953 (Tijdschr. not., 1954, .p. 87) frappant la co:nyention entre indivi­saires par laquelle l'un d'eux accordait à l'un des autres le droit d'acquérir sa part dans l'indivision, après son décès et celui de son épouse, moyennant payement du prix dans les six mois du dernier décès; l'indivision ne portait que sur des biens parti­culiers non compris dans un partage successoral.

2. DE LA PRIVATION, EN CAS DE DIVERTISSEMENT OU DE RECEL,

DE TOUTE PART DANS LES BIENS DIVERTIS OU RECELÉS.

Un arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 1955 (Pas., 1956, I, 63) précise la portée de la sanct~on établie .à la charge de l'époux ou de l'héritier qui se rend· coupable de divertissement de biens communs ou successoraux. 1

Un sieur D; .. , appelé à recevoir, outre la moitié de la commu­nauté, l'usufruit sur l'universalité des biens communs ou propres

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faisant partie de la succession de son épouse prédécédée, avait diverti des effets mobiliers communs.

Les légataires de la nue propriété de la succession de l'épouse avaient demandé en justice qu'il soit privé de toute part dans . les biens divertis, la privation devant ainsi porter aussi bien sur l'usufruit que sur la nue propriété desdits biens.

La Cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 3 mars 1954, .leur avait donné raison et l'arrêt du 29 septembre 1955 a rejeté le pourvoi formé par le mari.

La Cour de cassation se fonde sur la généralité des termes des articles 14 77 et 792 du Code civil, refusant à l'auteur du recel ou du divertissement toute part dans les objets sur lesquels a porté son fait délictueux.

Elle ajoute: «Que ces dispositions, conçues en termes généraux, ne cessent pas de s'appliquer lorsque le spoliateur joint à sa qualité d'époux commun en biens et de successeur légal celle d'institué contractuel ou de légataire, attributaire, en vertu de l'institution ou du testament, d'une quotité ou de l'universalité en usufruit de la succession de son conjoint;

» Que le recel ou divertissement d'effets de la succession par lui commis est de nature à causer préjudice au nu propriétaire, quoiqu'il n'y ait pas indivision entre eux quant à l'usufruit JJ,

Le problème auquel le recel ou le divertissement opéré par une personne attributaire de l'universalité ou d'une quotité en usufruit d'une succession donne lieu, a été examiné par la doctrine et la jurisprudence ·françaises sous un double aspect.

L'Çt.rticle 792 du Code civil s'applique-t-il contre un légataire ou un donataire de l'universalité ou de la quotité en usufruit, alors que l'article 792 ne vise expressément que les «héritiers JJ 1

La Cour de cassation de France s'est prononcée pour l'affirma­tive, spécialement dans un arrêt de la chambre des requêtes du 22 novembre 1910 (D. P., 1911, · 1, 176), et on trouve dans le même sens les arrêts de la Cour d'Orléans du 7 juillet 1906 (D. P., 1908, 2, 345) et de la Cour de Paris du 31 octobre 1940 (D. A., 1941, 44).

La jurisprudence française s'appuie sur l'idée que le légataire ou donataire universel ou à titre universel de l'usufruit est, sinon un héritier, tout au moins un successeur universel ou à titre universel (comp. cass., 2 mai 1952, Pas., 1952, I, 542).

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L'applicabilité de l'article 792 à ces légataires ou donataires n'est plus contestée aujourd'hui.

On s'est demandé d'autre part si la sanction de la privation valait à l'égard de l'usufruit légué ou donné sur tout ou partie de la succession.

L'arrêt de la chambre des requêtes du 4 décembre 1844 (D. P., 1845, 1, 45) avait affirmé le caractère général et absolu de la règle de l'article 792.

Des arrêts ultérieurs sont venus Bréciser que l'article 792 faisait perdre au spoliateur l'usufruit ~ui lui avait été attribué sur une quotité (req., 13 mai 1867, n: P., 1867, 1, 332) ou sur l'universalité de la succession (req., 28 mars 1922, D. P., 1922, 1, 183).

La question se posait dans l'hypothèse, qui est celle de l'arrêt du 29 septembre 1955, d'un époux commun en biens, en même temps donataire ou légataire.

Le pourvoi dirigé contre l'arrêt de Bruxelles du 3 mars 1954 plaçait la discussion sur un terrain nouveau en jurisprudence. Il faisait valoir que, en raison de l'étendue du droit d'usufruit concédé par le contrat de mariage, il n'y avait pas lieu à partage quant à l'usufruit.

Un partage ne devait intervenir que relativement à la nue propriété.

Or, la sanction des articles 1477 et 792 du Code civil ne punit que la « fraude au partage», la manœ11vre qui fausse les résultats normaux du partage (en ce sens GuENÉE, note au D. P., 1908, 1, 409).

La Cour n'a point suivi ce moyen, qui ne s'accordait guère avec les termes des articles cités. Elle a fait observer au surplus, dans le passage qui a été reproduit, que la manœuvre de l'usu­fruitier, fût-il universel, tendait· à frustrer de leurs droits les légataires de la nue propriété; ainsi la peine de la privation restait adéquate à la faute.

La solution peut se réclamer de l'autorité de Pothier qui se réfère lui-même à un arrêt du 15 mai 1656 (POTRIER, Traité de la communauté, no 690).

3. RÉGIME SUCCESSORAL DES PETITS HÉRITAGES.

L'interprétation de la loi du 16 mai 1900 sur le régime sucees-

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soral, des petits héritages n'a point cessé, durant la période envisagée, d'alimenter l'activité de la Cour de cassation.

La loi du 16 mai 1900 attribue compétence au juge de paix pour statuer sur la demande de reprise d'un indivisaire, sauf dans le cas où, une demande en licitation ayant été portée devant le tribunal de première instance, la reprise est sollicitée devant cette juridiction (art. 4, al. 5).

La Cour de cassation, dans son arrêt du. 15 octobre 1953 (Pas., 1954, I, 103), dispose que l'attribution spéciale de com­pétence au profit du juge de paix n'empêche pas l'application de la règle établie par l'article 1er de la loi du 15 mars 1932; si devant le tribunal de première instance, saisi d'une demande en reprise en dehors du cas visé par l'article 4, alinéa 5, de la loi de 1900, l'exception d'incompétence n'est pas invoquée, ce tribunal doit statuer et statue donc valablement sur la demande.

Dans un arrêt du 4 décembre 1953 (Pas., 1954, I, 278) la Cour a été appelée à se prononcer sur une question curieuse.

Une indivision s'était ouverte entre la mère et les enfants, à la suite du décès du père; le père et la mère étaient mariés sous un régime de communauté.

L'indivision portait sur des biens com:ri:mns, mais en outre les enfants étaient en indivision en ce qui concerne la maison de ferme, propre de leur père.

Au moment du décès du père, survenu avant que le législateur ait décidé que la loi s'appliquait aux biens dont le revenu cadastral ne dépassait pas 4.200 francs (au lieu de 600 francs), il semble que le revenu cadastral des immeubles de la commu­nauté et de la succession était supérieur à 600 ·francs.

Au moment du décès de la mère, l'indivision immobilière portait sur des biens dont le revenu cadastral était inférieu,r à 4.200 francs, chiffre alors applicable.

La Cour rappelle le principe énoncé par l'article 1er de la loi et suivant lequel ~e calcul se fait sur le. revenu cadastral existant au jour de l'ouverture de la succession.

Elle en déduit que la première indivision, née à la mort du père, ne donnait pas ouyerture a:u droit de reprise.

Elle ne se prononce pas sur la question de savoir si la mort de la mère ne peut pas faire naître un nouveau, droit de repriSe

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124r REVUE CRITIQUE DE JURISP~UDENCE BELGE

à l'égard dès biens faisant partie de la nouvelle indivision créée par cette mort.

Mais elle constate que le juge du fond ne relève pas que dans l'indivision engendrée du fait de ce ~écès, .la mère ~pparaît comme copropriétaire de -l'immeuble Whabitation.

Peu importe que les biens indivis aient un revenu cadastral non supérieur .au taux alors légal; le juge du fond ne pouvait admettre l'exercice du droit de reprise à l'égard de la seconde indivision, alors qu'il ne constatait pas que dans la succession de la mère se trouvait la propriété ou une part de copropriété de l'habitation, élément essentiel de l'ensemble susceptible d'être l'objet d'une reprise.

La Cour casse le jugement dénoncé, qui avait autorisé la reprise, par l'un des héritiers, de l'immeuble d'habitation et des terres.

L'arrêt de la Cour de Gand du 4 mai 1953 (Tijdschr. not., 1953, p. 137) et l'arrêt de cassation du 27 mai 1955 (Pas., 1955, I, 1062) statuent au sujet de la prétention, fondée sur l'article 2 de la loi du 16 mai 1900, du conjoint survivant à l'exercice du droit de préférence invoqué à l'égard« d'un petit héritage»; la femme survivante était bénéficiaire d'un usufruit, en vertu d'une libéralité du mari prédécédé, et cette libéralité, qu'elle entendait conserver, absorbait et dépassait l'usufruit légal.

Les deux arrêts déclarent que la faveur accordée par l'article 2 n'existe qu'au profit du titulaire d'un usufruit « successoral »,

et que si la libéralité absorbe et remplace entièrement l'usufruit légal, l'époux gratifié ne peut se prévaloir de la disposition précitée. .

La procédure instituée par la loi de 1900 est assez formaliste, encore que le législateur se soit bercé de l'illusion d'avoir établi un régime simple et expéditif.

L'article 4, alinéa 4, prescrit que les parties seront convoquées par lettre recommandée pour assister à la prestation de serment de l'expert, laquelle aura lieu avant toute opération d'expertise; c'est au moment où l'expert se présente pour prêter serinent que les intéressés sont admis à formuler sa récusation.

Dans l'espèce, on avait passé outre aux formalités de la convocation et de la prestation oral~ du serment, et l'expert s'était contenté de prêter serment par écrit au bas de son rapport,

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 125

conformément à l'article 16 de l'arrêté royal no 300 du 30 mars 1936.

L'arrêt de cassation du 12 novembre 1954 (Pas., 1955, I, 225) considère que la modification introduite par l'arrêté royal du 30 mars 1936 ne réagit pas sur la procédure spéciale de la loi sur le régime successoral des petits héritages.

Le rapport rédigé et déposé était donc nul, de même que le jugement ultérieurement rendu, qui s'y était référé.

La Cour relève que le juge du fond n'avait pas constaté la renonciation des parties à se prévaloir de la nullité.

Un autre arrêt de cassation, du 8 mai 1953 (Pas., 1953, I, 697), proclame la nullité d'un rapport d'expertise dressé après des opérations non contradictoires, et duquel le juge du fond avait tiré les éléments de sa conviction; le rapport prévu par l'article 4 de la loi du 16 mai 1900 est sans valeur, si les opérations n'ont pas eu lieu contradictoirement ou les parties dûment appelées.

Le jugement qui s'est appuyé sur pareil rapport encourt aussi l'annulation.

Les parties peuvent renoncer au droit de reprise ; leur renonciation peut être expresse ou tacite; le juge du fond apprécie souverainement d'après les éléments de fait de la cause s'il y a eu renonciation (cass., 5 février 1954, Pas., 1954, I, 500).

La partie qui prétend qu'un coïndivisaire a renoncé à son droit de reprise, doit faire valoir ce moyen devant le juge du fond; à défaut de l'avoir proposé à celui-ci, elle n'est plus recevable à en faire état devant la Cour de cassation (cass., 15 octobre 1953, Pas., 1954, I, 103).

L'arrêt du 15 octobre 1953 qui vient d'être cité décide que la reprise doit nécessairement porter sur tous les biens de la communauté ou de la succession dont les héritiers et le conjoint survivant non divorcé ni séparé de corps sont copropriétaire&, quelle que soit l'origine des droits réels de certains d'entre eux, sans en excepter la quote-part du conjoint survivant dans la communauté ayant existé entre lui et le de cujus.

Le calcul de la majorité des intérêts doit se faire sur base des mêmes éléments, l'usufruit de l'époux survivant n'entrant pas en ligne de compte.

L'article 5 de laloi du 16 mai 1900 dispose que les décisions rendues« dans les divers cas ci-dessus »,visant par là les décisions

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rendues en matière d'exercice du droit de préférence du conjoint survivant (art. 2), de maintien temporaire de l'indivision (art. 3) et d'exercice du droit de reprise (art. 4), soit par le juge de paix, soit par le tribunal de première instance, soit par le président de ce tribunal, sont en dernier ressort et ne sont pas susceptibles d'opposition.

L'arrêt de Gand du 4 mai' 1953 et l'arrêt de cassation du 27 mai 1955 (cités supra) précisent que ledit article 5 ne s'applique qu'aux décisions auxquelles donne lieu la procédure particulière que la loi du 16 mai 1900 organise ; l'article 5 ne vise pas les décisions relatives à l'existence du droit pour l'époux survivant de se prévaloir de l'article 2 de la loi du 16 mai 1900.

L'interprétation donnée par ces deux arrêts doit également être admise s'il s'agit de l'existence des autres droits reconnus par la loi, id fest s'il s'agit de décider si le litige rentre bien dans le champ d'application des autres dispositions (art. 3 et 4 de la loi).

On sait qu'un projet de loi, tendant à modifier sur divers points le régime successoral des petits héritages, est pendant devant la Commission de la justice du Sénat, après avoir été voté par la Chambre en 1953.

L'une des questions sur lesquelles le Sénat aura à se pro­noncer est celle de l'abrogation de l'article 5 de la loi et de la reconnaissance, par cette abrogation, des voies ordinaires de recours, opposition et appel.

4. DE L'OPPOSITION AU JUGEMENT HOMOLOGUANT UN PARTAGE.

La Cour d'appel de Bruxelles, dans un arrêt du 8 novembre 1954, avait été amenée à statuer sur la recevabilité de l'oppo­sition à un jugement homologuant un partage successoral, oppo­sition mue par un copartageant qui n'avait pas conclu devant le tribunal alors qu'il avait été dûment appelé.

Le jugement ordonnant la liquidation et le partage avait été contradictoire à l'égard de toutes les parties, et la procédure sur contredits s'était poursuivie contradictoirement.

Tous les indivisaires avaient comparu à la lecture du procès­verbal de liquidation et partage dressé par le notaire, mais l'un d'eux avait refvsé de signer ledit procès-verbal; appelé devant le tribunal conformément à l'article 981 du Code de

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procédure civile, ce même indivisaire n'avait pas conclu; il avait ensuitec fait opposition au jugement intervenu.

Le tribunal de Bruxelles, puis la Cour d'appel dans l'arrêt cité, déclarèrent que son opposition n'était pas recevable.

L'argumentation de la Cour d'appel était axée sur deux motifs:

a) L'article 823 du Code civil et les articles 977 et 981 du Code de procédure civile organisent une procédure spéciale, particulièrement simple et rapide, en matière de liquidation et de partage, et cette procédure ne s'accommoderait pas de la recevabilité d'une opposition; les articles visés ne font d'ailleurs pas allusion à celle-ci ;

b) La demande en homologation n'est qu'un incident du partage, celui-ci est contradictoire par le fait même que le jugement ouvrant la procédure a été rendu contradictoirement.

La thèse de l'arrêt d'appel était conforme à celle adoptée jusqu'alors par la jurisprudence belge (Bruxelles, 31 décembre 1941, Rev. not., 1942, 261; Liège, 9 juin 1887, confirmant civ. Verviers, 17 novembre 1886, Pas., 1887, II, 308; civ. Arlon, 28 juillet 1903, Pas., 1904, III, 43; civ. Bruxelles, 23 janvier 1895, P. P., 1896, n° 593; civ. Charleroi, 3 avril 1954, Rev. prat. not., 1955, 89; civ. Verviers, 18 juin 1879, CL. et BoNJ., 1879-1880, p. 1024; civ. Verviers, 29 juillet 1899, Rev. prat. not., 1900, 668).

Elle est appuyée en doctrine par M. V AN LENNEP (Belgisch Burgerlijk Procesrecht, t. III, n° 412). MM. DE PAGE et DEKKERS (Traité, t. IX, no· 1040) ne se prononcent pas nettement à son propos.

Le texte de l'article 981 est quelquefois invoqué pour justifier la solution en ce qu'il semble mettre sur le même pied parties présentes et parties appelées.

La doctrine et la jurisprudence françaises adoptent une posi­tion qui, en apparence très semblable à celle qui vient d'être énoncée~ s'en distingue néanmoins par une nuance importante.

Lorsque l'instance a été liée contradictoirement, l'opposition n'est· pas recevable contre le jugement d'homologation rendu sans qu'une des parties ait comparu ou ait conclu, ont affirmé plusieurs arrêts de la Cour de cassation '(civ., 7 juillet 1869, D. P., 1869, 1, 348; req., 24 juin 1874, D. P. 1875, 1, 85; req., 18 mars 1896, Sirey, 1897, 1, 79).

Ces arrêts, auxquels s'opposaient d'ailleurs plusieurs arrêts

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de cours d'appel, suivaient l'opinion de DuTRUC (Traité du pariage de successi,on, t. Ier, no 464).

La chambre civile, dans un arrêt du 8 juin 1896 (Sirey, 1897, 1, 80), vint apporter un tempérament notable à cette doctrine; l'opposition n'est non recevable que lorsque la difficulté concerne les formes du partage, ou la manière d'y procéder; elle est recevable au contraire lorsque la contestation de l'opposant touche au fond du droit et que sa solution est susceptible de modifier les bases du partage; tel est le cas notamment lorsque le litige porte sur des rapports à effectuer par certains cohéritiers (comp. aussi Orléans, 30 avril 1897, au D. P., 1902, 1, 121).

La distinction opérée reçoit l'approbation des auteurs (entre autres de BAUDRY-LACANTINERIE et WAHL, Successions, t. III, 36 éd., no 2540).

Quand peut-on dire que l'instance avait été liée contradictoire­ment entre les parties ~ Le Répertoire pratique du droit belge, v 0 Successions, n° 1442, résume la position prise par les auteurs et la jurisprudence en énonçant qu'il y a instance contradictoire­ment liée « si, sur l'assignation originaire en liquidation et partage, ·toutes les parties ont conclu et ont été appelées aux opérations ultérieures, ou bien si le jugement ordonnant le partage, rendu par défaut, a été confirmé sur opposition ou n'a pas été attaqué par l'opposition, ou encore enfin, en vertu de l'article 155 du Code de procédure civile, par le seul effet d'un jugemènt de défaut profit-joint suivi de réassignation ».

Le tribunal de Charleroi (3 avril1954, Rev: prat. not., 1955, 89) mentionne aussi l'hypothèse où une· partie, d'abord défaillante, était ensuite intervenue dans la procédure, en formulant des contredits et en acquiesçant de la sorte au jugement ordonnant la liquidation-partage.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 décembr~ 1955 (Pas., 1955, I, 403), casse l'arrêt cité du 8 novembre 1954 et condamne la jurisprudence jusqu'à présent dominante.

La Cour se rallie à la thèse de GARSONNET et CÉZAR-BRu (Procédure civile, t. VII, 36 éd., p. 652, n° 315, note. 2) qu'avait défendue également M. MoRIAMÉ au traité « Successions » du Répertoire pratique (n° 1442) (cf. dans le même sens, civ. Bruges, 28 août 1917, Pas., 1919, III, 118).

La Cour ne se laisse pas arrêter par l'argument assez fallacieux,

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suivant lequel les articles 823 du Code civil, 977 et 981 du Code de procédure civile imposeraient l'exclusion de l'opposition en, vue d'assurer la rapidité des opérations.

L'argument, en effet, prouvant trop, ne prouve rien ; il devrait conduire à rejeter toutes voies de recours contre les jugements rendus durant les opérations de liquidation-partage.

Elle ne s'arrête pas .non plus à la considération qu'il s'agit d'un simple incident du partage; incidente! ou non, le jugement d'homologation, comme la plupart des jugements rendus durant la procédure, statue sur un litige,· et est susceptible de porter atteinte aux intérêts du défaillant.

La Cour fonde sa décision sur le principe que l'opposition est une voie de recours normale, qui appartient à toute partie défaillante, sauf dans l'hypothèse où la loi l'en prive.

Du fait que l'article 981 prévoit que le tribunal statuera sur l'homologation, les parties présentes «ou. appelées», il ne résulte nullement que si une des parties a été appelée et n'a pas comparu ou n'a pas conclu, elle n'a point le droit de forme~ opposition.

La Cour ne fait aucune distinction suivant qu'il s'agit d'une contestation portant sur les formes du partage ou la manière d'y procéder, ou d'une contes.tation portant sur le fond du droit.

5. ALIÉNATIONS A FONDS PERDU OU AVEC RÉSERVE D'USUFRUIT

A UN SUCCESSIBLE EN LIGNE DIRECTE (Code civ., art. 918).

a) La «paix judiciaire» paraît bien s'être établie depuis les deux arrêts de la Cour de cassation du 20 janvier 1950 qui,· tout en maintenant sous l'application de l'article 918 du Code civil les donations à fonds perdu (Pas., 1950, I, 331 ; civ. Liège, 30 octobre 1954, Jur. Liège, 1954-1955, 154), ont, par contre, exclu de cette application les donations avec réserve d'usufruit (Pas., 1950, I, 333; Chronique, Rev. crit., 1952, 312). Malgré certaines critiques du monde notarial (BERTAUX, Ann. not., 1950, 239), cette jurisprudence nouvelle a. été suivie par les juridictions de fond (civ. Huy, 3 novembre 1952, Jur. Liège, 1952-1953, 51 ; civ. Nivelles, 28 janvier 1953, Rec. jur. Niv., 1955, 65 et note L. RAUCENT; civ. Courtrai, 3 décembre 1953,­Tijdschr. not., 1954, 140, motifs, qui paraît toutefois· ignorer l'arrêt).

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130 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Le consentement donné à une donation avec réserve d'usufruit par un héritier de· l'aliénateur, du vivant de celui -ci, constituera dès lors un pacte sur succession future non autorisé par l'article 918 et donc nul (civ. Huy, 3 novembre 1952, précité) et il ne le privera pas du droit de demander le rapport ou la réduction de cette donation. Si pareil consentement était donné dans l'acte de donation, sa nullité n'entramera toutefois pas la nullité de la donation elle-même, à moins qu'il ne constitue en fait, dans la volonté des parties à la donation, un élément indivisible de celle-ci (cass. fr., 23 novembre 1954, D., 1955, 305; note VornrN sous civ. Avranches, 16 mars 1953, J. O. P., 1954, II, 8017).

b) L'aliénation à titre onéreux avec réserve d'usufrutt tombe par contre sous le coup de la présomption de gratuité totale et de dispense de rapport qu'institue l'article 918, et cette pré­somption, étant irréfragable ~cass., 20 janvier 1950, Pas., 1950, I, 331), jouera même dans le cas où le prix serait stipulé payable, au décès de l'aliénateur, aux héritiers de celui-ci (Bruxelles, 18 janvier 1954, Pas., 1955, II, 45; Chronique, Rev. crit., 1949, 286-287), fût-ce même précisément au seul cohéritier de l'acqué­reur (cass., 19 juin 1952, Pas., 1952, I, 679). Mais le consente­ment de ce cohéritier pourra valablement être donné à l'acte du vivant de l'aliénateur,, en vertu de la disposition expresse de l'article 918, in fine (cass., 19 juin 1952, précité.)

c) L'arrêt de la Cour de Bruxelles du 18 janvier 1954 (Pas., 1955, II, 45) admet que l'acquéreur, présumé donataire par l'article 918 et dont l'acquisition serait sujette à réduction, ne serait soumis qu'à une, réduction en valeur, par dérogation au principe de la réduction en nature à laquelle, sauf les exceptions prévues par les articles 866, aliiiéa '2, et 924 du Code civil, sont soumises les donations immobilières ou mobilières qui excèdent la quotité disponible (cass., 30 mars 1944, Pas., 1944, I, 281 ).

L'arrêt ne consacre cette solution que par référence à une opinion qui, si elle semble bien dominante en doctrine et en jurisprudence (cf. DE PAGE, t. VIII, n° 1464, D, et références; adde: Gand, 20 février 1951, Tijdschr. not., 1952, 56; civ. Gand, 30 mai 1945, ibid., 1946, 144; Gand, 5 juillet 1939, ibid., 1942,-103), n'a cependant pas été consacrée, jusqu'à présent, par la

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Cour de cassation ni en Belgique, ni en France, et est vigoureuse­ment combattue par AuBRY et RAu (t. XI, § 684ter, note 24), SAVATIER (Rev. trim. dr. civ., 1930, 1116), JOLI.IVET (Donations deguisees, p. 290), TRASBOT (Dall., Repert. civ., v 0 Quotite dispo­nible, n° 209) et surtout par VoiRIN (note J. 0. P., 1950, II, n° 5637, et 1954, II, no 8017).

Selon !'opinion dominante, l'exception au principe de la reduc­tion en nature resulterait du texte meme de !'article 918 (« la valeur en pleine propriete des biens ... sera imputee sur la quotite disponible; et l'excedent, s'il yen a, sera rapporte ala masse») et de certaines declarations faites par JAUBERT au cours des travaux preparatoires (FENET, t. XII, p. 594; LocR:E, t. V, p. 351).

L'interpretation donnee, a ce point de vue, aux declarations de Jaubert est discutable (cf. note VoiRIN precitee, J. 0. P., 1950, II, no 5637) et le texte de !'article 918 ne commande pas necessairement une reduction en valeur : !'imputation de (( la valeur des biens >) sur la quotite disponible peut aussi bien correspondre a !'operation de compte prevue par !'article 922 du Code civil, et le «rapport ala masse» de« l'excedent » ne vise pas necessairement le «rapport>) d'un excedent de valeur. Encore qu'il n'ait pas eu pour but de trancher la question ici examinee, l'arret de la Cour de cassation du 30 mars 1944 (Pas., 1944, I, 281),- qui cqnsacre le principe de la reduction en nature des donations meme mobilieres, souligne dans ses motifs, a propos de !'expression (( l'excedent est sujet a rapport)), utilisee par !'article 844 du Code civil, que «dans cette disposition comme d'ailleurs en celles des articles 866 et 918, le terme «rapport » ne peut viser que la «restitution» ala succession de tout ce qui se trouve en etre sorti en atteinte a la reserve».

On a, d'autre part, observe que I' opinion dominante, en admet­tant une reduction en valeur dans le cas de !'article 918, expose les reservataires au risque de l'insolvabilite du gratifie (danger qui ne se rencontre pas dans les m:ts de reduction en valeur prevus par les articles 866, alinea 2:, 924 et 930) et qu'elle offre au disposant, pour tourner le droit des reservataires a obtenir leur reserve en nature, le procede facile d'assortir une donation

.-" pure et simple dispensee du rapport d'une charge de rente viagere dont il ne reclamera pas !'execution (SAVATIER, loc. cit.).

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6. FORMES ET OBJET DES DONATIONS.

La distinction entre la donation directe, la donation déguisée et la donation indirecte importe à différeuts points de vue, notamment à celui de leurs conditions de validité en la forme, la prmnière seule étant soumise aux règles de solennité parti­culièrement strictes des articles 931 à 933 et 948 du Code civil.

La donation directe ou expresse, «acte portant donation>) (Code civ., art. 931), se caractérise, dans la forme, en ce que l'intention de donner s'y exprime ouvertement sans· se réaliser par une tradition constitutive de don manuel.

. La donation déguisée se cache, de l'accord secret des parties, sous le couvert d'un acte ayant toutes les apparences d'un acte à titre onéreux et ne révélant pas ouvertement la libéralité (cass., 5 janvier 1950, Pas .. , 1950, I, 287, et 28 octobre 1943, Pas., 1944, I, 26). · '

Quant à la donation indirec~~, elle s'oppose à la donation déguisée en ce qu'elle résulte d'~n acte juridique sincère et réel, qui, sans simulation, opère de soi un transfert de richesses à titre gratuit {DE PAGE, t. VIII, n° 491; civ. Bruxelles, 29 mars 1950, J. T., 1952, 104), et à la donation directe en ce que 'l'acte juridique qui la constitue, quoique procurant ou pouvant pro­curer un avantage, encore que ce ne soit pas sa fonction spéci­fique ou exclusive, possède un statut autonome propre aux règles de forme duquel il reste soumis même s'il est accompli dans une intention libérale (cf. BEUDANT, Donations et Testa­ments, t. Ier, no .229). Aux côtés de la remise de dette, de la stipulation pour autrui, du payement pour autrui et de la renon­ciation in favorem, doctrine et jurisprudence y rangent en général aussi les libéralités résultant accessoirement d'actes à titre oné­reux sincères (cass., 19 juin 1952, Pas., 1952, I, · 680; Gand, 25 décembre 1955, Rechtsk. Weekbl., 1955-1956, 747; Gand, 5 mai 1950, Tijdschr. not., 1950, 222; BEUDANT, loc. cit. ,·contra: DE PAGE, t. VIII, nos 9 et 496, B, qui y voit une donation dégui­sée partielle et signale, no 496, D, que la discussion, sur ce point, est pratiquement sans intérêt en Belgique).

En application de ces définitions, une cession de titres nomi­natifs consentie animo donandi par mie convention que les parties n'entendent pas déguiser sous ?n acte reflétant l'appa­rence d'un acte onéreux, constitue une don.ation directe dont

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la validité est donc subordonnée à sa constatation par acte notarié avec état estimatif. L'observation des formalités prévues par les lois coordonnées sur les sociétés commerciales pour rendre le transfert opposable aux tiers et lier le cessionnaire envers la société, ne modifie pas la nature de l'acte entre parties (civ. Bruxelles, 29 mars 1950, . J. T., 1952, 104, à propos de parts sociales d'une société de <personnes à responsabilité limitée; DE PAGE, t. VIII, n° 417). Si ,un prix fictif est apparemment stipulé, la donation sera valable comme donation déguisée. La jurisprudence française voit, par contre, dans la déclaration de transfert une donation indirecte, car il s'agit, en France, d'un acte unilatéral (CoLIN et CAPITANT, t. III, ge éd., n° 1635).

De même, si la volonté des parties a été de donner un immeuble et des meubles à charge, pour le donataire, d'entretenir la donatrice et si cette donation, constitutive en fait d'une conven­tion unique, est, pour des mo~ifs fiscaux, réalisée sous la forme d'une donation directe, par acte notarié, de l'immeuble avec réserve d'usufruit accompagnée d'une donation sous seing privé mal déguisée du cheptel, des meubles et de ·l'usufruit réservé, à charge d'entretenir la donatrice et son mari, ce second acte est nul comme donation non déguisée, et sa nullité· rejaillit sur l'acte authentique qui n'est qu'un élément d'une donation directe unique indivisible (civ. Huy, 3 avril 1950, Pas., 1951, III, 44). Sans doute, la preuve de la charge qui aurait été convenue dans une donation notariée ne peut, en cas de contestation, être prouvée par le donateur que par l'acte même de donation (cass. fr., 6 juin 1855, D. P., 1855, 1, 243; Bruxelles, 25 juillet 1860, Pas., 1860, II, 357; DE PAGE, t. VIII, n° 620), mais, en l'espèce, on se trouvait en fait devant une donation directe unique dont certains élén1ents, indivisibles des autres, n'étaient pas constatés par acte notarié, ni correctement dissimulés dans un acte .appa­rent à titre onéreux.

Les formes solennelles de la donation directe s'appliqueront aussi à la donation rémunératoire, non seulement s'il s'agit d'une pure donation rémunératoire (ne correspondant à aucune obliga­tion civile ou naturelle de rémunérer des services), mais égale­ment s'il s'agit d'une donation rémunératoire constitutive d'un «acte mixte», où les biens donnés excèdent notablement, dans une intention libérale, le montant de pareille obligation (civ.

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Bruxelles, 17 juin 1952, J. T_., 1952, 277; civ. Furnes, 25 juin 1953, Rechtsk. Weekbl., 1953-1954, 1037; civ. Anvers, 4 juil­let 1951, Rechtsk. Weekbl., 1951-1952, 1612). Encore faut-il; pour qu'il en soit ainsi, que les parties aient exprimé ouverte­ment l'intention libérale. Une donation rémunératoire peut, en effet, comme toute autre donation, être dissimulée sous les apparences d'une convention à titre onéreux,' auquel cas les solennités de la donation directe ne s'appliqueront pas (cass., 5 janvier 1950, Pas., 1950, I, 287). MftiS il est indispensable pour cela que l'acte apparent ne révèle p~s l'intention de donner, et cette condition, nécessaire à l'existende même d'une donation déguisée, ne serait pa~·réalisée si l'engagement qu'il constate était causé en « reconnaissance » d'un service bénévole ou de services spécifiés dans' l'acte mais évidemment dépourvus de droit à rémunération et démontrait ainsi l'intention libérale (civ. Bruxelles, 17 juin 1952, précité); toutefois, on ne pourrait, si la donation est effectivement déguisée, se livrer à des recherches sur la réalité de la cause onéreuse indiquée, pour déduire de sa fausseté la nullité en 1~ forme de la donation (comme le fait ci v. Furnes, 25 juin 1953, précité, bien que le tribunal eût reconnu à l'acte l'apparence d'un acte à titre onéreux)':

La distinction de la donation indirecte et de la donation déguisée peut importer aussi pour la détermination de l'objet . de la donation.

Si, selon les. constatations des juges du fond, une vente, par ailleurs sincère, a été «consentie à un prix avantageux avec l'intention de gratifier l'acquéreur de la différence entre la valeur réelle des biens vendus et le prix stipulé» et« contient ainsi une libéralité» indirecte, «l'acte demeure une vente»

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valable « en sorte que l'acquéreur ne peut être tenu du rapport d'une partie des biens acquis)) ainsi par lui à titre onéreux, mais ne doit rapporter, le cas échéant, qu'une somme d'argent· égale à la différence entre la valeur réelle des biens vendus et le prix de vente stipulé, la donation indirecte n'ayant pas pour objet l'immeuble mais l'avantage consistant dans ladite différence (cass., 19 juin 1952, Pas., 1952, I, 680; Gand, 5 mai 1950, Tijdschr. not.,.1950, 222; Gand, 25 décembre 1955, Rèchtslc. Weekbl., 1955-1956, 747, qui qualifie également pareille libéralité de. donation indirecte et en tire une conséquence identique pour

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déterminer la· valeur que l'héritier coupable de recel devra rapporter -et dont il sera privé).

L'arrê~ de la Cour de cassation du 19 juin 1952 paraît avoir ainsi consacré une solution différente de celle d'un arrêt du 25 mai 1944 (Pas., 1944, I, 354). Ce dernier, en effet, admettait que si «l'aliénation consentie par le défunt a eu pour cause en partie le prix de vente et en partie la volonté chez le vendeur de gratifier indirectement l'acquéreur de la différence entre ledit prix et la valeur du bien», la libéralité devrait être estimée, pour les opérations de réduction, sur pi~d de la différence entre le prix stipulé et la valeur du bien au jour du décès (Code civ., art. 922). Il n'en aurait été autrement, selon lui, et l'estimation n'aurait dû se faire sur pied de la différence entre le prix stipulé et la valeur réelle du bien au jour de l'aliénation, que cc si, indépen­damment de la vente de l'immeuble, le défunt avait fait don d'une somme d'argent égale à la/différence entre le prix de cette vente et la valeur du bien au jour de l'aliénation».

La différence des solutions paraît toutefois résulter de l'inter­prétation différente donnée à l'acte dans chacune des deux espèces par les juges du fond. Dans un cas, il y avait vente d'immeuble avec donation indirecte d'une partie de sa valeur; dans l'autre, il pouvait y avoir donation de l'immeuble avec charge de payer au donateur une partie de sa valeur, donation déguisée sous forme de vente pour un prix inférieur à sa valeur réelle. Le cessionnaire du bien en devenait propriétaire comme acheteur dans le premier cas, et comme-donataire dans le second (comp. civ. Anvers, 28 décembre 1951, J. T., 1952, 2Q9, qui s'attache à rechercher l'élément prédominant de la convention : vente ou donation). Il s'agit là d'une question de qualification selon l'intention des parties, donc d'espèce.

La qualification de donation manuelle, indirecte ou déguisée, joue également pour la détermination de l'objet de la donation (deniers ou immeuble) en cas de payement par le disposant (ou de remise par lui des sommes nécessaires ati payement) du prix d'achat d'un immeuble. Depuis notre chronique de 1952 (Rev. crit., 1952, p. 316), une ordonnance du président du tribunal de première instance deBruxelles du 29 avril1953 (J. T.,1954, 336, à propos de séquestre) a admis le système de la donation déguisée de l'immeuble dans le cas d'un père achetant comme administra-

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teur légal de son fils un immeuble payé de ses propres deniers (voy. aussi civ.Anvers, ll juin 1948, Rechtsk. Weelcbl., 1948-1949, 276: acquisition conjointe d'un immeuble par deux époux séparés de biens avec payement du prix total par le mari; la question de l'objet de la donation n'était cependant pas discutée par l'épouse qui se bornait à contester l'existence de toute donation). Cette solution est critiquée en droit par M. DE PAGE (Suppl., vol. IV, p. 415 et note 268; il n'y a que payement pour autrui, donc donation indirecte des deniers; voy. aussi cass., 6 mai 1853, Pas., 1853, I, 336). ·

Par contre, dans un cas où les deniers avaient été remis par le disposant au gratifié en vue de l'achat par celui-ci d'un immeub~e, le tribunal de Bruxelles a admis le 30 avril 1952 (Rev. prat. not., 1955, Ill} qu'il y avait don manuel des deniers (cf. aussi civ. Gand, 17 janvier 1945, Tijdschr. not., 1946, 187; DE PAGE, Suppl., vol. IV, n° 414, in fine, p. 211}.

Le fait que la donation a été déguisée pour tenter de frauder des droits à rêse:r;ve n'entraîne pas la nullité de la donation, mais ouvre seulement le droit à réduction (et éventuellement à la sanction du recel), selon un arrêt de la Cour de Bruxelles du 18 janvier 1954 (Pas., 1955, II, 45), consacrant ainsi l'opinion généralement admise (DE PAGE, t. VIII, no 509 et note 254, n°8 513 et 514:; P.· 607; cass. fr., 19 juillet 1954, J. O. P., 1954, IV, 134,. et 1er juin 1932, D. P., 1932, l, 169, note SAVATIER; contra.: civ. Hasselt, 19 juin 1946, Tijdschr. not., 1947, 76, et Bruxelles, 3 mars 1926, Pas., 1926, II, 142, motifs).

7. LA SIGNATURE DU TESTAMENT OLOGRAPHE.

La définition légale de la signature a été précisée par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 janvier 1955 (Pas., 1955, I, 456; Ann. not., 1955, 305, avec l'avis de M. le Procureur général R. HAYOIT DE TE~MICOURT, et obs. ET. DE SMET}.

Une testatrice avait «signé>> de la mention «Maman» deux testaments adressés par elle «à mes enfants chéries>> et conte­nant des legs au pro:fi,t de ses filles et de ses petits-enfants; un troisième, dans lequel elle ajoutait des dispositions au profit d'un de ses petits-enfants, avait été «signé» par elle ': «Bonne­maman>>. Il n'était pas contesté que ces mentions émanaient bien de la testatrice, qu'elles constituaient pour elle la manière

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dont elle s'identifiait dans sa correspondance privée avec ses enfants et petits-enfants et que leur utilisation dans ces testa­ments manifestait sa volc;mté d'approuver définitivement la teneur_ de ceux -ci. Mais les héritiers légaux contestaient que ces mentions fussent suffisantes pour constituer la signature requise par l'article 970 du Code civil en tant que condition de forme du testament olographe. Déboutés en première instance (ci v. Tongres, 27 mars 1952, Jur. Liège, 1951-1952, 226), ils avaient obtenu gain de cause en appel (Liège, 4 décembre 1952, Jur. Liège, 1952-1953, 152) pour le motif, notamment, que la signa­ture, pour être valable, doit correspondre «à la dénomination sous laquelle son auteur était connu dans un large cercle» et qu'en l'espèce, la défunte n'avait pas l'habitude de prendre la dénomination de «maman» ou.« bonne-maman» si ce n'est dans sa correspondance privée avec ses enfants et petits-enfants.

Si la doctrine définissait en général la signature comme la marque autographe par laquelle son auteur se désigne habituelle­ment pour identifier ses actes et manifester sa volonté de les approuver, fût-ce par l'indication d'un nom conventionnel ou d'emprunt sous lequel il est généralement connu (DE PAGE, t. VIII, n° 863; KLUYSKENS, Schenlcingen en testamenten, p. 271; BEUDANT, Donations et testaments, t. VII, n° 268; PLANIOL et RIPERT, t. V, n° 539), la jurisprudence, spécialement en France, avait cependant reconnu la possibilité d'une signa~ure correspon­dant au graphisme utilisé par son auteur pour se désigner et identifier ses écrits, et plus spécialement sa correspondance, de manière habituelle dans ses relations avec certaines personnes, nota!fiment des parents ou amis. Elle avait ainsi validé des testaments olographes sous forme épistolaire signés seulement par le graphisme du prénom (Malines, 25 octobre 1949, Rechtslc. Weelcbl., 1949-1950, 402; Lyon, 22 octobre 1945, Gaz. Pal., 1945, 2, 192; civ. Lannion, 25 mars 1947, D., 1947, 448; civ. Marseille, 15 janvier 1931, Sem. Jur., 1931,460, et, sur appel, Aix, 15 mars 1933, Sem. jur., 1933, 474).

La Cour de cassation de France, dans un arrêt du 24'juin 1952 (J. C. P., 1952, II, 7179 et note- VorniN; D., 1952, 613), avait consacré cette solution en décidant (( que la signature par le seul prénom d'un testament olographe répond suffisamment aux exigences de cet article (Code civ., art. 970) dès lors qu'elle

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permet d'établir avec certitude l'identité de l'auteur de ce document et sa volonté d'en approuver les dispositions», et cela dans une espèce où les juges du fond avaient cependant relevé «que la signature réduite à son prénom, encore qu'elle ne fût pas sa signature habituelle dans les actes de sa vie juridique, était suffisante pour manifester que le libellé de la carte (postale) était son œuvre personnelle et ünprimer à celui-ci un caractère définitif)). La solution de cet arrêt avait généralement été approuvée, notamment par SAVATIER (Rev. trim. dr. civ., 1952, 531, et Rép. gén. not., 1936, art. 24588, n° 14) et VoiRIN (note J.O. P., 1952, II, 7179) qui mettait en relief le caractère ainsi relatif de la notion de signature, dépendant du genre d'écrit auquel elle s'applique et du destinataire auquel cet écrit s'adresse.

L'arrêt du 7 janvier 1955 refuse de suivre cette jurisprudence. Pour lui, « la signature, au sens dudit article (970 du Code civil), est la marque manuscrite par laquelle le testateur révèle habi­tuellement sa personnalité aux tiers». L'arrêt attaqué consta­tait que les mots «Maman» et «Bonne-maman», s'ils étaient employés d'ordinaire dans les relations de la testatrice et de ses enfants et petits-enfants, ses légataires, et révélaient, confrontés avec le texte du testament, la personnalité de la testa~rice,

n'étaient cependant pas le mode par lequel ladite testatrice était connue« dans un large cercle)), c'est-à-dire s'identifiait au regard des tiers. C'était dès lors légalement qu'il avait refusé de consi­dérer ces mots comme des signatures valables.

Dans un arrêt du 23 octobre 1922 (Pas., 1923, I, 20, relatif à la légalisation de l'acte d'appel en matière de milice), dont

, la formule fut reprise dans maints arrêts postérieurs ( cass., 13 novembre 1933, Pas., 1934, I, 56; 26 novembre 1951, Pas., 1952, I, 156, relatifs à la même matière), la Cour de cassation, pour· rejeter l'emploi d'une griffe, avait décidé «qu'un pareil acte ne vaut que pour autant qu'il porte la signature de l'agent dont il émane et que cette signature doit être autographe pour établir sa sincérité par la forme originale et personnelle que son auteur a l'habitude de donner à la mention de son nom». Ces arrêts, par relation à la question tranchée, celle de l'e~ploi d'une griffe, mettaient surtout l'accent sur la nécessité d'une signature manuscrite et partant qriginale, nécessité suffisante pour justifier la solution donnée; mais ils définissaient aussi,

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complémentairement, d'autres éléments de la signature : le caractère habituel de son emploi, et même la forme donnée à la mention « du nom ».

L'arrêt du 7 janvier 1955 ne reproduit plus complètement cette «formule>>; il ne rejette pas le pourvoi parce que les mentions « Maman » ou « Bonne-maman » ne constitueraient pas la mention du «nom». Mais il met l'accent sur le fait que la signature est la marque manuscrite «par laquelle le testateur révèle habituellement sa personnalité aux tiers », «s'identifie au regard des tiers», est connu «dans un large cercle». En l'espèce, les héritiers légaux auxquels s'adressait le testament et les légataires auxquels ses dispositions étaient destinées étaient sans douty des «tiers» par rapport à la testatrice, mais ils ne formaient, selon' les constatations des juges du fond, qu'un cercl~ familial très limit~ dans lequel seulement la testatrice s'identifiait par la dénomination «maman» ou «bonne-maman» alors qu'elle ne s'ide:Q.tifiait pas habituellement de cette manière au regard des tiers en général. C'est, ainsi, la règle de l'unité de la signature que l'arrêt consacre, en refusant d'admettre comme signature le _graphisme peut-être habituel de son auteur dans ses relations avec certaines personnes, mais non habituel dans ses relations avec les tiers en général, et en s'attachant au caractère de mani­festation publique d'identité que la signature doit revêtir' ( comp. Dalloz, Répert. prat., v 0 Testament, n° 185).

Ainsi qu'on l'a signalé, la «finalité» du signe utilisé par l'auteur (permettre d'identifier celui-ci et démontrer sa volonté

· d'approuver l'acte) n'est pas suffisante, même si ce but a été atteint en fait (note Et. DE SMET, précitée). Elle ne peut valable­ment être réalisée en la forme «d'une autre manière que par une signature réelle, dans le sens usuel de ce mot, c'est-à-dire le signe graphique au moyen duquel le testateur identifiait habituellement les actes juridiques de son existence» (avis de M. le Procureur général HAYOIT DE TERMICOURT). Il n'en pour­rait être autrement que dans le cas, théorique, de l'individu qui trace une signature ... pour la première fois, cas dans lequel, à défaut d' « habitude » encore existante, force sera bien de s'appliquer à une recherche de la volonté de son auteur.

Résulte-t-il de l'arrêt que la signature doive nécessairement comporter la mention du nom patronymique, comme la formule

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des arrêts antérieurs de la Cour paraissait incidemment l'exiger (cf. aussi civ. Charleroi, 6 décembre 1954, Rev. prat. not., 1955, 27, et l'article 211 de l'ordonnance de 1629, qui ne fut pas appliqué par les Parlements), ou du moins d'un nom conventionnel ou d'emprunt généralement connu (DE PAGE, t .. VIII, n° 863) 1 Il semble que l'arrêt ne formule pas, du moins expressément, cette exigence et qu'une mention autre que celle d'un nom, notamment celle d'un prénom, voire rttême des initiales seule­ment du ou des prénoms et d'un no~, pourra être retenue

1 1

comme signature pour autant qu'en fai~ l'intéressé utilise habi..:. tuellement cette marq_ue pour identifier ses écrits dans ses relations avec les tiers en général; le cas sera, en pratique, très rare (cf. sur le testament de Massillon, signé « J. B., évêque de Clermont » : RIPERT et BouLANGER, t. III, n° 2724; et sur le testament de Jean-Jacques Loison signé « J. J., évêque de Bayonne n : cass. fr., 23 mars 1824, Jur. gén. Dalloz, v 0 Dispo­sitions entre vifs, n° 2724; sur une signature habituelle à trois initiales : Nancy, 1er mars 1831, ibid., n° 3010, et MERLIN, Répertoire, v 0 Signature, § 3, art. 4, n° 2 ; « si l'intéressé signait ainsi non seulement des lettres missives niais d'autres actes importants et ne signait pas habituellement d'une autre manière»; Paris, 30 décembre 1921, D. P., 1922, 2, 35, motifs).

8. DE LA RÉVOCATION JUDICIAIRE DES TESTAMENTS POUR INGRATITUDE DU LÉGATAIRE.

Un arrêt de la Cour de Bruxelles du 23 juin 1954 (J. T., ~ · 1955, p. 555) prend parti dans les controverses nées au sujet de la portée de l'article 1046 du Code civil.

L'article 1046 déclare que «les mêmes causes qui, suivant ... les deux premières dispositions de l'article 955, autoriseront la demande en révocation de la donation entre vifs, seront admises pour la demande en révocation des dispositions testamentaires».

Ces deux causes que vise l'article 955, 1° et 2°, sont l'attentat à la vie du testateur, et les sévices, délits et injures graves.

L'article 1047 ajoute, comme troisième cause de révocation, l'injure à la mémoire du testateur.

Un arrêt de la Cour de Lyon du 12 janvier 1864 (D. P., 1864, " 2, 66) avait décidé qu'à l'égard des légataires la révocation

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pour ingratitude se superposait à la peine de l'indignité, établie par l'article 727 du Co~e civil.

Le légataire universel ou à titre universel qui avait commis l'un des actes très graves mentionnés par l'article 727 pouvait être déclaré indigne de succéder.

L'admission de cette thèse avait des conséquences considé­rables : la peine de l'indignité, au contraire de la révocation pour ingratitude, jouait de plein droit :tout intéressé pouvait la faire prononcer ; le pardon de l'offense n'écartait pas la peine ; la prescription était la prescription trentenaire; l'indigne devait restituer les fruits reçus depuis l'ouverture de la succession; c'était manifestement ce dernier résultat, la restitution intégrale des fruits, que la Cour de Lyon avait voulu obtenir contre une femme légataire universelle de son mari et qui avait été condam­née pour l'avoir assassiné. ,

La théorie développée par l'arrêt n'a point été suivie et l'on s'accorde à reconnaître aujourd'hui que le système de la révo­cation des legs est autonome et exclusif; l'article 727 s'applique uniquement à la succession légale.

Voyez notamment AuBRY et RAu (5e éd., t. XI, p. 559); DEMOLOMBE (éd. belge, t. XI, 1867, n° 278); GERVÉSIE et CHAVRIER (D. P., 1952, J. 345).

Il faut bien admettre toutefois que si les termes «révocation pour cause d'ingratitude )) correspondent à la réalité en ce qui concerne la sanction appliquée au donataire par les articles 955 et suivants du Code civil, il n'en est pas de même, dans la màjorité des cas, en ce qui concerne la sanction appliquée au légataire et que pour celui-ci l'idée d'indignité, sinon le système de l'in­dignité successorale, est plus adéquate.

Le donataire, hors_ des hypothèses exceptionnelles comme celle du bénéficiaire d'une assurance, ignorant du contrat conclu à son profit, connaît le bienfait dont il a été gratifié; s'il se rend coupable d'attentat à la vie du donateur, de sévices, délits ou injures graves contre lui, il se montre ingrat.

Le légataire pourra fréquemment ignorer la libéralité dont il est l'objet et n'en obtiendra les avantages qu'à la mort du testateur : il n'y aura pas ingratitude dans son chef s'il attente à la vie du testateur ou commet contre lui des sévices, délits ou injures graves.

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Cette circonstance a amené à juste titre de nombreux auteurs à voir dans la révocation une peine prononcée pour indignité du légataire, l'idée d'ingratitude n'étant accueillie que lorsqu'il s'agit d'injures à la mémoire du bienfaiteur. Mais l'indignité est spécifique et ses sanctions différentes de celles de l'indignité successorale. ·

·Voyez notamment DEMOLOMBE (op. cit., n° 271), .. BAUDRY­LACANTINERIE et CoLIN (Donations et testaments, 1899, n°8 2809 et 2819), DE PAGE (t. VIII, n° 1208), et c'est aussi l'opinion de la Cour de Lyon dans un arrêt du Il juin 1951 (D. P., 1952, "' J. 345, et Sirey, 1953, 2, 155).

' Mais un nouveau problèmé se pose immédiatement : l'ar­ticle 1046 renvoie à l'énonciation des« causes» de la révocation.

Faut-il décider que, par le fait même, il y a renvoi aux règles spéciales établies pour l'action en révocation des donations~

Sur un point, la négative est certaine : l'action en révocation d'une donation appartient au donateur, les héritiers du donateur peuvent poursuivre l'action intentée par leur auteur, ils ne peuvent l'intenter eux-mêmes que si le donateur est décédé dans l'année du délit et qu'ils ont ainsi «trouvé» dans sa succession l'action qui lui appartenait.

Au contraire, l'action en révocation d'un testament ne peut être que le fait des héritiers du testateur : celui-ci a une arme bien plus simple, la révocation volontaire, expresse ou tacite.

Sur deux autres points, la solution apparaît plus douteuse : l'article 957 décide que l'action en révocation d'une donation ne peut être portée devant le juge que dans l'année du délit ou du' jour que le délit aura pu être connu par le donateur ; elle ne peut être dirigée contre les héritiers du donataire ingrat.

Le t~xte de l'article 1046 ne dit pas que le bref délai prévu à l'article 957 et l'interdiction d'agir contre les héritiers du gratifié valent aussi quant à l'actiori en révocation des legs.

Faut-il en conclure que cette dernière action peut être intro­duite dans le délai de la prescription de droit commun (la pre;­scription trentenaire) et que les héritiers du testateur sont justi­fiés à agir contre les héritiers du légataire indigne ou ingrat~

Tel fut l'avis de la Cour de Lyon: dans son arrêt cité du 11 juin 1951 et de MM. GERVÉSIE et CHAVRIER, commentateurs dudit arrêt au D. P., 1952, J. 345.

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M. SA v ATIER a paru se rallier à la même doctrine, du moins en ce qui concerne le délai d'intentement de l'action (Cours de droit civil, 1945, t. III, 1098).

La réponse donnée à la question ci-dessus posée relativement au délai de prescription ou de déchéance par les auteurs et la jurisprudence ne concorde pas avec celle qui vient d'être énoncée.

Il y a accord quasi général pour exclure la prescription trentenaire.

Mais un élément particulier intervient qui a déterminé les interprètes du Code de la première partie du XIX e siècle à opérer une discrimination.

L'article 123, alinéa 1er, du projet soumis au Conseil d'Etat portait que : « Si la demande est fondée sur le fait que le légataire était auteur ou · complice de la mort du testateur, l'héritier doit la former dans l'année du jour du décès, du testateur, si la condamnation du légat~ire est antérieure; et à compter du jour de la condamnation, si elle est postérieure l>.

Ce texte donna lieu à une observation de TREILHARD appuyée par TRONCHET :

M. TREILHARD dit «qu'il serait contre l'ordre de laisser un .assassin jouir des dépouilles de· sa victime, par cela seul qu'il n'aurait pas été recherché pendant un an l>.

M. TRONCHET demanda «que l'action en déchéance contre le légataire ait la même. durée que l'action en poursuite du crime qu'il a commis l> (LocRÉ, t. V, p. 272).

A la suite de quoi l'alinéa 1er de l'article 123 fut supprimé.

La distinction que firent les anciens commentateurs fut la suivante :

L'action devait être intentée daris l'année, conformément à l'article 957, quand elle était fondée sur des sévices, délits ou injures graves ; le délai de l'action publique était applicable quand il s'agissait d'une action fondée sur l'attentat à la vie du testateur (MALLEVILLE, Analyse raisonnée de la discussion du Gode civil, 1805, t. II, art. 1047 ; CoiN DESLISLE, Donations et testaments, 1841, art. 1046 et 1047, p. 517; DuRANTON, éd. belge, 1841, n° 479; Dalloz Répertoire, v 0 Dispositions entre vifs et testamentaires, n° 4294; TRoPLONG, Donations entre vifs et testaments, n° 2204; AuBRY et RAu, 5e éd., t. XI, p. 564).

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144 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

C'est la solution que paraît adopter la Cour de cassation dans l'arrêt du 12 décembre 1889 (Pas., 1890, I, 33); la Cour 'i considère le délai d'un an comme applicable, l'action étant fondée sur des injures graves au testateur, mais rappelle la discus­sion survenue au Conseil d?Etat et semble prévoir ùne décision différente s'il y avait attentat à la vie du testateur.

Le système manquait de logique; pour aller .jusqu'au bout du raisonnement, il eût fallu appliquer aussi le délai de l'action publique si la révocation était demandée pour sévices, délits et injures graves ayant le caractère d'infraction pénale.

La doctrine moderne rejette la dualité de régimes à laquelle les auteurs cités s'étaient ralliés.

Pour elle, le renvoi fait par l'article 1046 est général ; bien qu'il ne se réfère qu'à l'article 955, il embrasse les dispositions suivantes, et spécialement l'article 957.

Les mêmes raisons existent, pour appliquer un court délai, qu'en matière de révocation des donations.

D'autre part, envisageant l'hypothèse de l'injure à la mémoire du testateur, l'article 1047 précise que le délai est d'un an.

On ne peut tirer argument de la suppression du texte de l'article 123, alinéa 1er, modeste incident des travaux prépara­toires ; ori ne légifère pas par prétérition.

Les commentateurs qui se sont prononcés sur la base de ces considérations pour le délai d'un an sont notamment : DEMO­LOMBE, op. cit., n° 284; LAURENT, t. XIV, n° 268; BAUDRY­LACANTINERIE et COLIN, n° 2814; TRASBOT, dans PLANIOL et RIPERT, t. V, n° 724; Vomrn dans BEUDANT, t. VII, n° 383; CoLIN et ÜAPITANT, t. III, 10e éd., no 1913; RIPERT et Bou­LANGER, t. III, no ·2145.

La Cour de cassation de France admettait le renvoi de l'ar­ticle 1046 à l'article 957 dès un arrêt du 24 décembre 1827 (Dall. Rép., t. XIV, p. 1158).

L'arrêt de Liège du 18 novembre 1948 (Pas., 1949, II, 22) et l'arrêt de Bruxelles ~u 23 juin 1954 (J. T., 1955, p. 555) l'admettent également, comme l'avait fait un arrêt de la Cour· de Bruxelles du 17 janvier 1855. '

Dans ce système, le délai d'un an est un délai préfix auquel ne s'applique pas la règle Quae temporalia sunt.. ..

L'article 957 décide que le délai d'un an prend cours à partir

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du jour du délit ou du jour que le délit aura pu être connu du donateur; suivant l'opinion reçue, il appartient au donateur ou à ses héritiers agissant plus d'un an après le délit de démontrer qu'il n'en a pas eu connaissance plus d'un an .avant l'intentement de son action.

Comment _adapter cette disposition dans les cas visés par l'article 10461 L'action en révocation d'un testament pour attentat, sévices, délits ou injures graves contre le testateur appartient en principe aux héritiers; comme on l'a déjà dit, le testateur n'a pas besoin de cette action; mais on ne peut faire abstraction de l'inaction du testateur, du défaut de révo­cation volontaire par lui dans l'année qui suit le délit, ou la connaissance qu'il en a eue.

A notre opinion, la meilleure solution est de donner comme point de départ au délai préfix d'un an l'ouverture de la succes­sion, à moins que les héritiers ne prouvent qu'ils n'ont eu connais­sance du fait qu'ultérieurement, et en cette hypothèse l'action demeurera recevable dans l'année après cette connaissance.

Mais si, avant le décès du testateur, plus d'un an s'était écoulé depuis le jour où celui-ci avait eu connaissance du fait du légataire, l'action serait. éteinte, non pas par l'expiration du délai préfix, mais par le pardon.

Si moins d'un an . s'était écoulé, le pardon du testateur ne serait pas a.cquis, et le légataire accusé d'ingratitude ne pourrait se prévaloir pour faire échec à la demande que de l'écoulement du délai préfix depuis l'ouverture de la succession ou la connaissance de la faute par les héritiers.

Ainsi se résout le mieux, croyons-nous, l'interférence que signale M. DE PAGE entre les effets du pardon et ceux de l'achè­vement du bref délai légal de déchéance.

En ce qui concerne les titulaires de l'action en révocation, il n'est pas possible de suivre entièrement le régime de l'ar­ticle 957, qui donne le droit d'agir au donateur et ne le laisse à ses héritiers que sous des conditions très strictes.

En matière de testaments, l'action n'est pas accordée au testateur, à qui elle serait inutile.

Deux tendances se partagent l'opinion :

1 o Pour certains, il faut, conformément au droit commun, reconnaître l'action à tout intéressé, à toute personne qui profite

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de la révocation (LAURENT, t. XIV, n° 267; BAJJDRY-LACAN­TINERIE et COLIN, Donations et testaments, t. II, n° 2813; TRASBOT, dans PLANIOL et RIPERT, t. V, n° 724).

L'action n'est toutefois pas accordée aux créanciers de ces intéressés (TRASBOT, op. cit.).

2° Pour d'autres, en raison de son caractère personnel et par analogie avec le système admis en matière de donations ( cass., 3 juillet 1941, Pas., 1941, I, 273), l'action ne pourrait être intentée que par les continuateurs de la personne à l'exclusion des successeurs aux biens.

Au nombre des «continuateurs» de la personne figureraient, outre les héritiers légitimes, les légataires universels (Gand, 6 décembre 1947, Pas., 1948, II, 68) bt, pensons-nous, les léga-

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taires à titre universel; M. DE PAGE, conformément à sa théorie des droits attachés à la parenté, refuse toutefois l'initiative de l'action aux légataires (DE PAGE, t. VIII, n°8 1220 et 1229).

Si l'on admet que l'article 1046 implique un renvoi général au système des articles 955 et suivants, et spécialement à l'ar-. ticle 957, on en vient nécessairement à décider que l'action, si elle peut être poursuivie contre les héritiers du légataire ingrat, alors qu'elle a été intentée contre ce légataire, ne peut être intentée contre ces héritiers.

L'article 957 décide, rappelons-le, que l'application de la peine civile de la révocation ne peut être demandée contre les héritiers du donataire et le renvoi justifie l'identité des solutions (DE PAGE, t. VIII, n° 1230; TRASBOT, dans PLANIOL et RIPERT, t. V, n° 723 ; MEURISSE, note au Sirey, 1953, 2, 165; voy. contra: Lyon, Il juin 1951, D. P., 1952, J. 345 et la note GERVÉSIE et CHAVRIER}.

Ce régime restrictif n'est point, du reste, celui de toutes les peines civiles; il est des peines civiles qui, jouant de plein droit, produisent effet à l'égard des héritiers du coupable : par exemple les peines civiles de l'indignité successorale et, dans l'opinion dominante, du recel successoral ou communautaire.

L'article 1047 du Code civil soulève une difficulté particulière en ce qui concerne le point de départ du délai ; il énonce que la demande doit être faite dans l'année à compter du jour du délit.

Certains auteurs en prennent texte pour refuser de tenir compte du temps pendant lequel les héritiers n'ont pas eu connaissance

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de l'injure à la mémoire (CoiN DESLISLE, Donations et testaments, 1841, sous les articles 1046 et 1047, p. 517; BAUDRY-LACAN­TINERIE et CoLIN, Donations et testaments, t. II, n° 2819; VorniN dans BEUDANT, t. VII, no 383; LÀURENT, Principes, t. XIV, no 268).

C'est attribuer effet à ce qui paraît bien n'être qu'une simple inadvertance du législateur qui, ayant .assigné comme point de départ du délai préfix de l'article 957 le délit et, en cas d'igno­rance du délit in initio, le moment de la connaissance, n'a sans doute pas songé à réitérer l'expression qu'il avait employée, alors que les deux situations étaient analogues (DE PAGE, t. VIII, n° 1231 ; DEMOLOMBE, t. XI, 1867, n° 282; RIPERT et Bou­LANGER, t. III, 3e éd., no 2145).

Tout comme l'action fondée sur l'attentat, les sévices, délits et injures graves contre le testateur, l'action qui a pour base l'injure à la mémoire ne peut être intentée contre les héritiers du légataire ; on ne voit aucune raison de faire à ceux -ci un sort différent dans les deux hypothèses.

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