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ÉTUDE SUR LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

ET LES CONFLITS D’AUJOURD’HUI

(APPLICATION DU DROIT DES CONFLITS ARMÉS PAR LES FORCES TERRESTRES)

Étude réalisée par le Lieutenant-colonel Philippe FRIN,Conseiller juridique du Directeur du CDEF

et chef de section Règlement Affaires Juridiques de la Division doctrine.Professeur associé à l’Institut International de Droit Humanitaire

de SAN REMO.

CENTRE DE DOCTRINED’EMPLOI DES FORCES

1, place Joffre – Case 53 – 75700 PARIS SP 07 – Tél. : 01 44 42 49 64 – Fax : 01 44 42 81 29 [email protected]

Paris, le 18 octobre 2013

L’ « Etude sur le droit international humanitaire et les conflits d’aujourd’hui (application dudroit des conflits armés par les Forces terrestres)» a été approuvée le 18 octobre 2013 sous len° 285/DEF/CDEF/DDO/BSEO/NP.

Aucun document de référence de cette nature ne figure dans le corps de doctrine de l’OTAN.S’inscrivant en cohérence avec la « Doctrine interarmées sur l’usage de la force en opérationmilitaire se déroulant à l’extérieur du territoire national » (DIA 5.2 approuvée le 25 juillet2006), cette étude propose un éclairage juridique et fournit des éléments de réflexion sur lesdéfis posés au droit international humanitaire par les conflits d’aujourd’hui.

Rédigée après la publication en mars 2013 du « Mémento des fondamentaux juridiques à l’usagedu commandant d’une force terrestre en opération extérieure » qui présente les principes et lamise en œuvre du Droit International Humanitaire, cette étude a pour ambition de le compléteren approfondissant de manière plus détaillée le champ d’application du Droit International Humanitaire. Elle s’adresse prioritairement aux juristes opérationnels (LEGAD) engagés auprèsdes commandants de force et à leurs états-majors, comme dans les PC des différents niveauxengagés sur les théâtres d’opérations extérieurs.

Cette étude est validée par le Bureau Appui Juridique de l’EMAT.

Après une présentation de l’évolution du champ d’application du Droit International Humani-taire liée à la mutation de la conflictualité, l’étude propose les prolongements et les ajustementsrendus nécessaires pour prémunir le chef militaire de tout risque d’inhibition de l’action, maisdans le respect des exigences humanitaires.

Général de division Olivier TRAMOND

Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une véritable révolution des affaires militaires. Laconduite de la guerre, l’organisation des forces, les doctrines de combat, les opérations militaireselles-mêmes ont été bouleversées. Cette mutation n’est pas sans conséquence sur l’applicationdu droit des conflits armés qui est chargé de réglementer la conduite des hostilités et le compor-tement des belligérants.

I. CE QUI A CHANGÉ

La guerre : les guerres classiques du XXe siècle qui se caractérisaient par des confron-tations entre États font désormais place à de nombreuses confrontations entre forcesarmées régulières et acteurs non étatiques.

Les combattants : la frontière est plus confuse entre combattants et non combattants, ledroit applicable à chacune des catégories est plus équivoque.

Les détenus : l’application du statut de prisonnier de guerre posant problème, on privi-légiera le concept de « personne capturée ».

Ces profonds changements entraînant des distorsions dans l’application du droit des conflitsarmés, des ajustements sont nécessaires.

II. LES AJUSTEMENTS NÉCESSAIRES

D’ordre juridique

Imposant l’adoption d’une interprétation plus large de certaines notions juridiques.

La notion de participation directe aux hostilités : les civils qui sont présumés ne pas participer aux hostilités et qui, de ce fait, ont droit à une protection contre les attaques,perdent cette protection lorsqu’ils « participent directement aux hostilités » et pendantla durée de cette participation.

La nécessité militaire : ce principe autorise à recourir à la violence nécessaire pouratteindre les objectifs du conflit dans la mesure où les règles pertinentes du droit international sont par ailleurs respectées. Certaines dispositions des conventions du droit international humanitaire prévoient bel et bien des exceptions pour des motifs ayanttrait à la nécessité militaire (notablement en ce qui concerne la destruction incidente etinvolontaire de biens civils ou les évacuations pour des raisons militaires impérieuses).

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

SI VOUS NE DEVIEZ RETENIR QUE CELA

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

D’ordre doctrinal

Des nations et des auteurs développent des doctrines ou mettent en valeur un droit coutumier existant afin d’interpréter le droit conventionnel applicable dans les conflits armés.

La doctrine canadienne par exemple : toutes les personnes capturées par la Force pourdes raisons de sécurité doivent être traitées comme s’il s’agissait de prisonniers deguerre, en respectant l’esprit des conventions de Genève.

Le processus de Copenhague : qui rassemble 22 Nations (dont la France) et qui ont adoptéun document en octobre 2012, non contraignant juridiquement, qui a pour objectif de clarifier l’attitude de la Force face à la problématique des personnes capturées.

L’étude sur le droit international humanitaire coutumier : Cette étude, commandée parle Comité International de la Croix Rouge, définit le noyau commun du droit internationalhumanitaire qui lie l’ensemble des parties à un conflit armé quel qu’il soit.

Une grande diversité d’acteurs non-étatiques influence le respect du DIH dans les conflitsactuels. Chaque conflit est un cas particulier. Il convient, dès lors, de réaliser des recherchesspécifiques sur chaque conflit en cours, pour identifier les acteurs (étatiques ou non) et les droitsapplicables. À cet effet, utilisons tous les instruments juridiques, non seulement le DIH, maisaussi les droits de l’homme, les législations nationales, les coutumes locales, les codes éthiques,sans oublier les valeurs personnelles de chacun d’entre nous.

Certes, le DIH actuellement en vigueur ne peut pas couvrir toutes les situations impromptuesd’un conflit armé, mais les « considérations essentielles d’humanité», qui en sont le fondement,obligent le commandant de la Force. À défaut, celui-ci pourrait s’exposer à des poursuites devantles juridictions nationales ou internationales.

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SI VOUS NE DEVIEZ RETENIR QUE CELA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

AVERTISSEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

PREMIÈRE PARTIE – L’ÉVOLUTION DU CHAMP D’APPLICATION DU DIH . . . . . . . . . . . . . . 17

1.1 LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE LA SITUATION DE CRISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

1.1.1 La classification juridique des situations de crise au regard du DIH . . . . . . . . 171.1.1.a Le conflit armé international (CAI) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181.1.1.b Le conflit armé non international (CANI) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

1.1.2 Quand la pratique crée le droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1.2 LES NOUVELLES FORMES DE CONFLICTUALITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1.2.1 La privatisation de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201.2.1.a Le transfert de compétences spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211.2.1.b Les implications juridiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

1.2.2 Le cas du conflit afghan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221.2.2.a La réalité du conflit afghan s’inscrit dans un cadre juridique bien déterminé . . . . 221.2.2.b La conduite des hostilités s’effectue dans un cadre bien défini . . . . . . . . . . . . . . . 23

1.2.3 La cyberguerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241.2.3.a L’omniprésence de la menace cyber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241.2.3.b L’applicabilité du DIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

DEUXIÈME PARTIE – LE PROLONGEMENT ET LES AJUSTEMENTS DU DIH . . . . . . . . . . . 27

2.1 L’APPLICATION DU DIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

2.1.1 L’émergence des nouveaux acteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272.1.1.a Une qualité juridique à déterminer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282.1.1.b La catégorie des combattants illégaux ou (unlawful/unpriviledged combattant) . 29

2.1.2 La gestion des personnes capturées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302.1.2.a La nature du régime juridique des personnes capturées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302.1.2.b Le sujet emblématique des conflits contemporains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

2.2 LES AJUSTEMENTS DU DIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

2.2.1 La participation directe aux hostilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

2.2.2 La nécessité militaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372.2.2.a Le contenu et la portée du principe de nécessité militaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372.2.2.b Un équilibre fragile entre nécessité militaire et exigences humanité . . . . . . . . . . 38

CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

TABLE DES MATIÈRES

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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ANNEXE 1 – ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION (CH CRIM) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

ANNEXE 2 – TEXTES RÉGISSANT LE CHAMP D’APPLICATION DES CANI . . . . . . . . . . . . . 45

ANNEXE 3 – ÉTUDE SUR LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE COUTUMIER . . . . . 47

ANNEXE 4 – LE DOCUMENT DE MONTREUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

ANNEXE 5 – LES GUERRES ASYMÉTRIQUES VUES SOUS L’ANGLE DU DIH . . . . . . . . . . . . 59

ANNEXE 6 – COMMENTAIRES DU RAPPORT DE TALLINN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

ANNEXE 7 – PAS DE VIDE JURIDIQUE DANS LE CYBERESPACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

ANNEXE 8 – DIA 3.2.5 N° 095/DEF/CICDE/NP DU 9 JUIN 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

ANNEXE 9 – ARTICLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE PERTINENTS . . . . . 69

ANNEXE 10 – PRINCIPES ET DIRECTIVES DU PROCESSUS DE COPENHAGUE (VO) . . . . . 73

ANNEXE 11 – SITUATION JURIDIQUE DES COMBATTANTS ILLÉGAUX (VO) . . . . . . . . . . . 75

ANNEXE 12 – L’APPROCHE CANADIENNE DES PERSONNES CAPTURÉES . . . . . . . . . . . . 77

ANNEXE 13 – LES LOIS ET LES COUTUMES DE LA GUERRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Le CDEFpublie une compilation des gazettes juridiques mensuelles, rédigées par son expert juridique. Cette publication présente une réflexion sur la mutation de la conflictualité et sesenjeux juridiques, pour les Forces terrestres.

Cette « Chronique juridique » n’a d’autre ambition que d’éveiller l’attention du lecteur à la prise encompte de l’application du droit des conflits armés dans l’emploi des forces et de montrer que cedernier évolue rapidement pour s’adapter à la nouveauté des situations rencontrées.

Ce document n’est pas un document de doctrine. Ainsi, les idées émises dans cette brochure n’engagent que le rédacteur.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

AVERTISSEMENT

La construction du Droit International Humanitaire (DIH) est le produit d’une longue évolution quicouvre l’histoire de l’Humanité. Du Code d’Hammurabi1 (– 2000 av. J.-C.) à la première codificationinternationale2 du 22 août 1864, les Princes et les Etats ont toujours voulu réguler la guerre.

Aujourd’hui, il existe un vaste corpus juridique qui encadre le comportement des belligérants et laconduite des hostilités, et toute une série de conventions et traités qui interdisent, limitent ou res-treignent l’emploi de certains types d’arme affectant de façon excessive les personnes protégées.

La période qui s’ouvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale établit un ordre relativementsimple et une stabilité dans les conflits, reposant sur l’équilibre de la terreur 3. Malgré une certaineflexibilité introduite par la doctrine de MacNamara4 en 1962, on peut affirmer sans contestationpossible que depuis la fin de la « Guerre froide », symbolisée par la chute du mur de Berlin5, onassiste à une profonde mutation des conflits armés auxquels le DIH peine à définir un cadre juri-dique adapté. Les États ne sont plus les seuls sujets du droit international. D’autres acteurs,comme les groupes armés non étatiques, sont devenus incontournables sur la scène internationaleen troublant, avec force et durablement, les cartes de l’ordre international établi.

Malgré tout, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) réaffirme que « le droit internationalhumanitaire demeure aussi pertinent aujourd’hui que par le passé dans les conflits armés inter-nationaux et non internationaux, et qu’il continue d’assurer la protection de toutes les victimesdes conflits armés6 ».

1 Les premières traces d'un droit de la guerre nous proviennent des Babyloniens. Il s’agit du Code d'Hammurabi, roide Babylone, qui, 2000 ans avant J.-C. impose un code de conduite en cas de guerre : « Je prescris ces lois afin quele fort n'opprime pas le faible ».

2 Convention de Genève du 22 août 1864 pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne. Les principes les plus importants de cette convention, qui furent maintenus dans les textes révisés desConventions de Genève adoptés par la suite, sont les suivants :

• l'obligation de soigner les blessés sans distinction de nationalité ;• la neutralité (l'inviolabilité) du personnel sanitaire et des établissements sanitaires ; • le signe distinctif de la croix rouge sur fond blanc.

3 L'équilibre de la terreur (ou destruction mutuelle assurée (DMA, ou MAD en anglais, initiales de Mutual Assured Destruction) est une doctrine de stratégie militaire de dissuasion nucléaire élaborée, à l'époque de la Guerre froide,par l'Union soviétique (et ses satellites au sein du Pacte de Varsovie) et par les États-Unis (et ses alliés au sein del'OTAN), selon laquelle l'utilisation de l'arme nucléaire par l'un des deux belligérants provoquerait la destructiondes deux camps.

4 Apparue en 1962, la doctrine McNamara ou doctrine de la riposte graduée est la stratégie de défense choisie parles États-Unis fixant sa doctrine nucléaire. Cette doctrine conditionne la nature des armes qui seront employéespour riposter ainsi que les cibles visées aux armes utilisées par l'agresseur et ses propres cibles.

5 Le 9 novembre 1989.6 Discours inaugural de la XXXIe Conférence Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui s’est tenue

à Genève entre le 28 novembre et le 11 décembre 2011.

INTRODUCTION

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Dans un contexte de judiciarisation croissante des conflits armés où les commandants militaires,au terme de l’article 897 du Protocole Additionnel I, sont tenus responsables de l’application duDIH, ceux-ci sont sans nul doute plus exposés au risque pénal. Le terme « judiciarisation, lawfarreen anglais » n’existait pas il y a encore peu de temps. Il a fait progressivement son apparition dansla pensée militaire 8 mais également dans la presse nationale9 et certaine revue militaire, commel’Épaulette10.

Les plaintes déposées par les familles des 10 soldats tués dans l’embuscade d’Uzbin, en Afgha-nistan, pendant le mois d’août 2008, et relayées par Maître Collard devant la Cour de Cassationde Paris, ont suscité de nombreux commentaires11 et analyses se fondant principalement sur uneinterprétation des conséquences juridiques pour les Armées.

En d’autres termes, l’action armée au service des intérêts de l’État, dispenserait-elle le militairede rendre des comptes ?

Il convient de tenter d’apporter un éclairage sur la signification de la notion de « judiciarisation »afin d’en comprendre le sens et la portée.

La signification de la notion de « judiciarisation »

Le terme est pour la première fois défini dans le Larousse de 2011, comme étant la : « Propen-sion à privilégier le recours aux tribunaux pour trancher des litiges qui pourraient être réglés par d’autres voies (médiation, accord amiable). Intervention croissante des juges dans le contrôlede la régularité des actes de certaines autorités (élus, administrateurs, chefs d’entreprise, etc.) ».

Il s’agit sans doute de correspondre à un mouvement général de la société mais aussi de confirmer un principe fondamental du droit : le droit d’accéder pour tout citoyen à la justice.

La portée et le sens de la notion

Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de Cassation (cf. Annexe 1) a eu pour consé-quence de renforcer un sentiment d’incompréhension chez beaucoup d’officiers, tout en posantles bases d’une grave interrogation sur l’exercice du commandement en OPEX.

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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7 Article 89 du Protocole Additionnel I : « 1. Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent charger les commandants militaires, en ce quiconcerne les membres des forces armées placés sous leur commandement et les autres personnes sous leur autorité,d'empêcher que soient commises des infractions aux Conventions et au présent Protocole et, au besoin, de les réprimeret de les dénoncer aux autorités compétentes. 2. En vue d'empêcher que des infractions soient commises et de les réprimer, les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent exiger que les commandants, selon leur niveau de responsabilité, s'assurent que les membresdes forces armées placés sous leur commandement connaissent leurs obligations aux termes des Conventions et du présent Protocole ».

8 Inflexions, La judiciarisation des conflits, la documentation française, n° 15, Paris, 2010, 166 p.9 Le Monde, L’armée craint une judiciarisation des actions de guerre, Nathalie Guibert, 1er septembre 2012.

10 L’Epaulette n° 178, Faut-il juger les chefs militaires en opération selon le droit pénal ? Général (2S) Paul Moreaux, septembre 2012.

11 Édito du Président de la Saint-Cyrienne, GCA Delort, du 26 juin 2012.

Pour rendre compte de la portée et du sens de cette notion, je confronte « le glaive et labalance » à travers deux témoignages qui tentent de trouver un compromis entre la nécessitémilitaire et l’action pénale.

• Le Général Antoine Windeck12 dans l’article « De certaines conséquences de la judiciari-sation », publié dans la revue Inflexions13, s’interroge sur une judiciarisation incondition-nelle de l’action militaire. Il conclut son article en attirant l’attention sur les risques d’untel niveau de judiciarisation :

« les démocraties devront s’attacher à conserver à leurs soldats les capacités d’agir, souspeine à la fois de faire le jeu de leurs adversaires qui sauront exploiter cette vulnérabilité et voir certains militaires s’interroger sur la nature du soutien que leur apportent la Nation et l’État dans l’action qu’ils conduisent en leur nom, en risquant leurs vies ».

• Madame le Procureur Alexandra Onfray qui rappelle que l’action armée au service desintérêts de l’État ne dispense jamais le militaire de rendre des comptes. Elle apporte uneréponse bienveillante au débat. Après avoir rappelé d’une part la formule sacramentelle14

qui figure sur les titres de commandement et d’autre part, qu’aucune poursuite pénale nepeut être intentée à l’encontre d’un militaire impliqué dans une affaire commise dansl’exercice de ses missions ou à l’occasion de son service sans que l’avis préalable du minis-tre de la Défense soit sollicité par les procureurs. Elle précise que :

« Sans même parler des valeurs fondamentales de la démocratie, le principe même de l’intervention judiciaire dans le champ militaire est incontournable. Il répond à des aspirationssociales fortes qui ne peuvent être dénigrées par principe. Cette perspective doit conduire les armées à intégrer cette nouvelle donne dans leur mode de fonctionnement et à envisagerdifféremment l’action judiciaire à l’égard des forces armées15 ».

La justice garantit et protège. Elle doit indiscutablement le faire dans le respect des principes d’intérêt général qui s’attachent aux missions de la défense nationale. Lorsque l’armée n’est pasaudible en raison des suspicions qu’elle peut susciter, la justice donne l’assurance que ses moyenssont mis au service de la vérité. Dans ce rôle, il apparaît clairement que la justice n’est pas néces-sairement là pour sanctionner, mais pour établir les faits et apporter des réponses neutres. Enfin,à savoir si la justice a sa place dans le cadre d’un conflit armé, certainement, mais de façon restrictive. Sa limite incontestable est celle de la mort au combat provoquée dans des conditionsrégulières au regard des lois de la guerre.

Dans ces conditions, il est donc légitime de s’interroger sur l’évolution du champ d’application duDIH (Partie I), ainsi que sur les prolongements et les ajustements du DIH (Partie II), rendus néces-saires par l’évolution de la conflictualité.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

12 Le général Antoine Windeck commande actuellement, les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.13 Inflexions, La judiciarisation des conflits, la documentation française, n° 15, Paris, 2010, 166 p.14 « Ordonne à tout le personnel ainsi placé sous ses ordres de lui obéir en tout ce qu’il commandera pour le bien du

service, l’exécution des règlements militaires, l’observation des lois et le succès des armes de la France ».15 Dans son article Le glaive et la balance à la recherche d’un équilibre publié dans la revue Inflexions n° 15, Paris, 2010.

À l’origine, le DIH était conçu pour s’appliquer dans le cadre d’un conflit conventionnel, c’est-à-dire un conflit opposant ouvertement un État contre un autre, avec l’appui de ses forces armées,ou un conflit opposant, au sein d’un État, les forces armées contre des groupes armés organisésdissidents (1.1). Aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle forme de conflictualité (1.2).

1.1 LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE LA SITUATION DE CRISE

Depuis la fin de la guerre froide, les forces armées mènent de plus en plus d’opérations qui ne relèvent pas du modèle du conflit armé traditionnel ; de la lutte antiémeute au conflit armé inter-national en passant par la libération d’otages et la lutte contre la piraterie, pour ne citer que des exemples. En raison de l’interprétation des textes inhérente au droit, et des facteurs politiques quiinfluencent généralement le processus décisionnel, le chef militaire se trouve confronté à un éventailde situations pour lesquelles les règles applicables sont multiples, variées et évolutives au regardde l’intensité du conflit. Après avoir présenté la classification juridique de telles situations (1.1.1),nous nous interrogerons sur la pratique des États pour dégager le droit applicable (1.1.2).

1.1.1 La classification juridique des situations de crise au regard du DIH

Le DIH propose deux régimes juridiques distincts : l’un régit les conflits armés internationaux,l’autre les conflits armés non internationaux.

Quand peut-on parler de conflit armé ?

La définition du conflit armé qui fait le plus autorité figure dans la décision de la Chambre d’appeldu TPIY 16 concernant la compétence dans l’affaire TADIC17.

« Nous estimons qu’un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entreÉtats ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armésorganisés ou entre de tels groupes au sein d’un État. Le droit international humanitaire s’appliquedès l’ouverture des hostilités et s’étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu’à la conclu-sion générale de la paix ; ou dans le cas de conflits internes, jusqu’à ce qu’un règlement pacifiquesoit atteint ».

La notion n’est pas monolithique, dégageant deux aspects des conflits armés.

PREMIÈRE PARTIE

L’ÉVOLUTION DU CHAMP D’APPLICATION DU DIH

16 TPIY ou TPY Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie est une juridiction instituée le 22 février 1993 par larésolution 808 du Conseil de sécurité.

17 TPIY, Le procureur c/Dusko Tadic, Chambre d’appel, arrêt du 2 octobre 1995, para 70. Ce critère est repris à l’article 8.2fdu Statut de Rome de la Cour pénale Internationale.

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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1.1.1.a Le conflit armé international (CAI)

Il est franchi dès le premier recours à la force entre les forces armées de deux États18, déclenchantl’application de tout un éventail de dispositions détaillées du DIH19. Cet ensemble de règles s’applique dans le cas d’une occupation étrangère ne rencontrant aucune résistance armée 20,et également depuis l’adoption du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève, aux Étatsvis-à-vis des Mouvements de Libération Nationale (MNL)21.

1.1.1.b Le conflit armé non international (CANI)

La notion de conflit armé non international en droit humanitaire doit être analysée sur la base dedeux textes conventionnels principaux : l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 etl’article 1 du Protocole Additionnel II de 1977 (cf. Annexe 2). L’article 3 est la pierre angulaire duDIH ; il est reconnu au sein du droit coutumier 22 comme le minimum absolu de traitement huma-nitaire applicable durant tout conflit armé, quelle que soit sa qualification juridique. Le ProtocoleAdditionnel II développe et complète les protections fondamentales prévues par l’article 3. Lesconflits armés ne présentant pas un caractère international sont donc ceux dans lesquels l’une aumoins des parties impliquées n’est pas gouvernementale.

Dans la pratique, il ne semble pas y avoir aujourd’hui de situations de violence entre des partiesorganisées qui ne seraient pas couvertes par l’une ou l’autre des deux catégories de conflits susmentionnées. Les tensions internes ou troubles intérieurs comme la lutte contre les orpailleurs(mission Harpie), ne relèvent pas des instruments du DIH23. On peut néanmoins observer une prévalence des CANI, dont la nature et les caractéristiques sont diverses mais qui surtout, posentde réelles problématiques juridiques notamment, en terme de qualification des acteurs et dedétermination des conditions de traitement des personnes capturées. Il n’en demeure pas moinsque le processus de classification, bien souvent énigmatique, reste primordial car il détermine le droit applicable. Le recours à la pratique des États suffit parfois à combler ces lacunes.

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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18 Article 2.1 commun aux 4 Conventions de Genève du 12 août 1949, « La présente convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes,même si l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une d'elles ».

19 L’ensemble du Droit des Conflits armés (DCA) [Les 4 Conventions de Genève du 12 août 1949 et le Protocole Additionnel I, le droit de La Haye, et le droit coutumier humanitaire international]. Voir aussi EMP 50.654, Mémentodes fondamentaux juridiques à l’usage du commandant d’une Force terrestre en opération extérieure, son Annexe 1.

20 Article 2.2 commun aux 4 Conventions de Genève du 12 août 1949, « La Convention s’appliquera également dans tousles cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontreaucune résistance militaire ». Les MNL font souvent référence au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

21 Article 1.4 du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949, « Dans les situations visées auparagraphe précédent sont compris les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination colonialeet l'occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,consacré dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchantles relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies ».

22 Le droit coutumier est un ensemble de règles orales contraignantes, fondé non pas sur une loi formelle créée parune autorité, mais sur des principes admis par tous en vertu des pratiques ancestrales perpétuées au sein d’unecollectivité. Ces lois sont admises par les justiciables eux-mêmes, car elles proviennent de leurs us et coutumes.Le droit international se base essentiellement sur le droit coutumier.

23 Article 1.2 du Protocole Additionnel II aux Convention de Genève : « Le présent Protocole ne s'applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violenceet autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés ».

1.1.2 Quand la pratique crée le droit

Malgré les réticences de la France pour l’étude (cf. Annexe 3) sur le DIH coutumier, commandée en 2005 par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), celle-ci a conclu que sur 161 règlescoutumières recensées, 148 s’appliquaient aux CANI, cette étude reste donc la référence en lamatière. Le critère de l’opinio juris 24 pour établir l’existence d’une règle de droit international coutumier, renvoie à la conviction juridique qu’une pratique donnée répond à une règle de droit. Onpeut constater que la pratique a institué un nombre important de règles coutumières qui sont plusdétaillées que les dispositions souvent rudimentaires contenues dans le droit applicable aux CANI.

Concernant les personnes capturées, on se référera aux garanties fondamentales25 (cf. Annexe 9).Ces garanties sont toutes solidement ancrées dans le DIH applicable dans les conflits armés tantinternationaux que non internationaux. Elles s’appliquent à toutes les personnes civiles qui sontau pouvoir d’une partie au conflit et qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités,ainsi qu’à toutes les personnes qui sont hors de combat.

En revanche, l’ambiguïté persiste pour le chef militaire dans la conduite des hostilités sur la naturedes ennemis à combattre. La coutume dans les CANI n’indique pas clairement si les membres desgroupes d’opposition armés sont considérés comme des forces armées ou comme des personnesciviles (donc non combattants). S’ils sont des civils, perdent-ils leur immunité contre les attaquesque leur confère la 4e Convention de Genève26, lorsqu’ils participent directement aux hostilités ?Ou s’ils sont, par leur participation, devenus des cibles légitimes ? (cf. infra p. 32).

Faute de certitude, l’ambiguïté persiste.

Le DIH coutumier comble en partie les lacunes du droit qui régit les CANI, en détaillant davantageles obligations des acteurs au conflit armé. Mais il reste des domaines dans lesquels le droit etla coutume ne sont pas clairs, et soulèvent des questions qui exigent des éclaircissements,comme la définition des combattants (cf. supra p. 20).

Il n’en reste pas moins que les principes et règles qui régissent la conduite des hostilités et letraitement des personnes tombées aux mains de l’ennemi (les deux grands domaines couvertspar le DIH), continuent d’offrir un équilibre raisonnable et pragmatique entre la nécessité militaire et les exigences d’humanité.

1.2 LES NOUVELLES FORMES DE CONFLICTUALITÉ

Les conflits contemporains, bien que moins intenses que les grandes guerres qu’a connues l’humanité dans la première moitié du XX e siècle, sont beaucoup plus complexes. Désormais, en plus des États qui s’affrontent avec des moyens conventionnels, ce sont des groupes armés

24 Le sentiment d'obligation juridique. En droit international, l'acceptation d'une pratique suffisante pour créer desobligations juridiques.

25 Considérées comme étant « Le noyau dur des droits de l’homme » ces garanties fondamentales se composent dedroits inaliénables et immuables que sont le droit à la vie, le droit à ne pas être torturé ni de subir des traitementsinhumains ou dégradants et l’interdiction de l’esclavage. Aucune dérogation à ces droits ne saurait être tolérée. Le principe d’humanité en droit des conflits armés, fondé sur le respect de la personne humaine trouve sa sourcedans ces droits.

26 Relative à la protection des personnes civiles dans les conflits armés.

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non-étatiques, aux motivations multiples, qui s’opposent entre eux ou à un État. On assiste même,dans certains cas, à une « privatisation croissante de la guerre ». Dans ce contexte résolument novateur, le droit international humanitaire est confronté au bouleversement des schémasconventionnels. Les civils sont bien souvent les principales victimes. Les attaques délibérées, ledéplacement forcé de populations, la destruction d'infrastructures vitales pour la survie de lapopulation civile, ne sont que quelques exemples d'actes prohibés qui sont perpétrés régulière-ment. Les combattants perdent leur spécificité au profit de « porteurs d’armes » qui ne peuventpas se prévaloir du statut de combattant 27. Le DIH semble en panne d’innovation et se trouveconfronté, aujourd’hui, à la nécessité de relever trois types de défis :

1.2.1 La privatisation de la guerre

Le recours à une force privativepour appuyer les forces arméesrégulières n’est pas nouveau.Leur première structuration datede la guerre de Cent ans. LesÉtats italiens faisaient, en effet, laguerre par « condottieri 28 inter-posés ». La véritable pratique des compagnies privées, au sensmoderne du terme, remonte auxannées 1980, selon Marie-LouiseTougas 29, et trouve son véritableessor avec le conflit en ex-Yougo-slavie, et plus encore avec lesinterventions américaines en Iraket en Afghanistan.

Les parties aux conflits armés engagent de plus en plus des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP30) pour effectuer des tâches traditionnellement accomplies par les forces armées. La participation de ces entreprises aux opérations militaires ou à des activités connexes a soulevéde véritables questions sur la façon dont le DIH devait être appliqué.

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Section armée de Blackwater(Entreprise de Services et de Sécurité de Défense ESSD).

http://100freskura.files.wordpress/2011

27 Dans un CAI uniquement. L’article 43.2 du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949. Lesmembres des forces armées d’une Partie à un conflit (autres que le personnel sanitaire et religieux visé à l’article 33de la III e Convention) sont des combattants, c’est-à-dire ont le droit de participer directement aux hostilités.

28 Des hommes sous contrat au sein de compagnies. Ils étaient le plus souvent français ou anglais, d'anciens officiers,des nobles sans fortune, ou d'anciens militaires sans avenir, ils possédaient tous une solide expérience guerrièreet rêvaient de gloire et de conquête. Ces Capitaines déchus proposaient leur service au Doge de Venise, au gouver-nement de Florence, au Pape...

29 Marie-Louise Tougas est conseillère juridique pour le Comité international de la Croix-Rouge depuis mai 2011,membre du Barreau du Québec, elle a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université Laval en janvier 2011. Elle a aussitravaillé comme conseillère juridique pour des équipes de la défense auprès du TPIR et comme consultante, enparticulier dans le domaine des activités des entreprises en zone de conflit armé.

30 Terme utilisé dans le développement par référence au document de Montreux (cf. Annexe 4), communément appeléesaujourd’hui Entreprises de Services et de Sécurité de Défense (ESSD).

1.2.1.a Le transfert de compétences spécifiques

Au cours des quinze dernières années, de plus en plus de fonctions dont s’acquittait habituellementl’appareil sécuritaire ou militaire des États ont été sous-traitées à des entreprises militaires et desécurité privées. Ces activités incluent, entre autres, le soutien logistique à des déploiements/opé-rations militaires, l’entretien des systèmes d’armes, la protection des locaux, la protection rap-prochée des personnes, la formation des forces militaires et de police sur le territoire hôte ou àl’étranger, la collecte et l’analyse de renseignements, la garde et l’interrogatoire de prisonnierset, parfois, la participation aux combats. Cette évolution soulève en outre des questions ayant traità la protection du personnel des entreprises militaires et de sécurité privées au regard du droitinternational humanitaire.

L’irruption sur les théâtres d’opération, aux côtés des combattants réguliers, de ces nouveauxacteurs pose un véritable défi juridique en termes de reconnaissance ou d’identité.

Un document intergouvernemental, dit de Montreux (cf. Annexe 4), qui vise à promouvoir le respectdu droit international humanitaire dans tous les conflits armés où interviennent des entreprisesmilitaires et de sécurité privées, tente d’apporter des solutions.

1.2.1.b Les implications juridiques

Bien que l’existence d’un vide juridique soit souvent mentionnée lorsqu’on aborde la question desentreprises militaires et de sécurité privées, le droit international humanitaire réglemente, dansles situations de conflits armés, à la fois les activités du personnel de ces entreprises et la respon-sabilité des États qui les engagent. La réponse à certaines questions n’est pas cependant toujourssimple. Par exemple, quel est, selon le droit humanitaire, le statut des membres du personnel desentreprises militaires et de sécurité privées : sont-ils des combattants ou des civils ?

À moins qu’ils fassent partie des forces armées d’un État, il s’agit de civils. En tant que tels, ils nedoivent donc pas être pris pour cible. Cependant, s’ils mènent des activités qui reviennent à parti-ciper directement aux hostilités, ils perdent cette protection contre les attaques. Aussi doivent-ilsrespecter le droit humanitaire en toutes circonstances. Le statut des entreprises elles-mêmesn’est pas, quant à lui, reconnu par le droit humanitaire.

Les forces armées des États disposent d’un train de mesures correctives administratives et nonjudiciaires – et de la loi militaire elle-même – pour aider les officiers à maintenir la discipline, à fairerespecter le droit humanitaire, et à assurer le commandement et le contrôle efficaces des hommesplacés sous leurs ordres. On ne sait cependant pas bien dans quelle mesure un système similairepeut exister pour « les entreprises militaires et de sécurité privées », malgré l’existence du docu-ment de Montreux qui n’est pas contraignant juridiquement.

Lorsqu’un État sous-traite des fonctions militaires et/ou de sécurité, il demeure responsable auregard du droit international humanitaire. Les États doivent prendre conscience du danger à sous-traiter leurs fonctions régaliennes, sans mesurer le risque pénal d’une exposition des responsablesmilitaires sur le terrain, en cas de violation du DIH par ces entreprises militaires et de sécurité privées.

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1.2.2 Le cas du conflit afghan

Le conflit en Afghanistan, qui commence par des attaques aériennes menées par les Américainsle 7 octobre 2001 contre les talibans, dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom », est unepremière réponse aux attaques terroristes du 11 septembre 2001. Cette situation conflictuellerépond à un cadre juridique bien défini et suppose donc l’application de dispositions réglementantla conduite des hostilités.

1.2.2.a La réalité du conflit afghan s’inscrit dans un cadre juridique bien déterminé

Le conflit afghan qui a débuté en 2001, présente toutes les caractéristiques du conflit « asymé-trique » au sens de Michael N. Schmitt 31, à savoir un déséquilibre important entre les capacitésmilitaires des deux parties au conflit. Tout le monde s’accorde à dire que nous nous trouvions enAfghanistan dans le cadre d’un Conflit Armé non International. Il est largement admis que le conflits’est déroulé en deux phases :

• Un conflit armé international (cf. supra p. 18) (CAI) qui a vu s’opposer la coalition menéepar les E-U (Enduring Freedoom ou en français, opération « Liberté Immuable ») et les talibans au pouvoir en Afghanistan entre le 7 octobre 2001 et le 18 juin 2002.

• Un conflit armé non international (cf. supra p. 18) (CANI) à partir du 19 juin 2002, qui a vule nouveau gouvernement afghan, soutenu par l’ISAF (International Security AssistanceForce) ou la FIAS (Force Internationale d’Assistance et de Sécurité) et les forces engagéesdans l’opération « Liberté Immuable », combattre l’opposition armée qui exerçait sur unepartie du territoire un contrôle lui permettant de « mener des opérations militaires continueset concertées » article 1 du Protocole Additionnel II32.

Le cadre juridique et les règlesapplicables en pareilles circons-tances, sont donc bien définis (cf. supra par 1.1, p. 17).

31 ans son article Asymmetrical warfare and international humanitarian law dans Wolff Heintschel von Heinegg et Volker Epping (éd).

32 Cf. Annexe 2 Article 1 du Protocole Additionnel II :« 1. Le présent Protocole, qui développe et complète l'article 3 commun […] et qui se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés orga-nisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle telqu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole ».

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Soldats français à Kaboul.http://s2.e-monsite.com/ 2010/03/22/12

1.2.2.b La conduite des hostilités s’effectue dans un cadre bien défini

Or les considérations élémentaires d’humanité consacrées par l’article 3 commun applicables dansle cadre d’un CANI et les dispositions complémentaires du Protocole Additionnel II deviennent descontraintes difficilement applicables pour nos forces armées régulières. Dans les conflits « asymé-triques », les nouveaux acteurs dont les talibans, les combattants illégaux (cf. infra 2 e Partie par 2.1.1.b, p. 29) mettent en œuvre des modes d’actions aussi bien défensifs (endosser des habitscivils pour échapper aux attaques directes de l’adversaire, se dissimuler au sein de la populationcivile, ou lancer des attaques à partir des biens à caractère civil ou culturel qui jouissent d’une protection spéciale ou générale), qu’offensifs [employer des femmes et des enfants pour commettredes attentats suicides, utiliser la perfidie (attaques dites « green on blue »)]33. Ce sont des modes d’actions classiques des « nouveaux acteurs » dans les conflits asymétriques. Dans ces conditions,l’application des principes cardinaux du DIH (proportionnalité, discrimination, humanité…) par lesForces se complique. En DIH, le principe de réciprocité n’existe pas, cependant il existe l’idée « d’uneréciprocité anticipée ». Selon Pfanner34, « l’essentiel du DIH repose sur l’anticipation d’une réciprocité.Il est donc anticipé que l’ennemi (c’est-à-dire les membres des forces armées régulières) se comporterade la même manière, ou tout du moins de manière similaire ». D’après ce même auteur « dans lesguerres asymétriques, l’anticipation de la réciprocité est fondamentalement trahie » par les talibans,qui par exemple, dans une attaque suicide, ne s’attendent pas à la réciprocité (cf. Annexe 5).

Rapidement, la volonté de « gagner les cœurs et les esprits » de la population afghane est devenuela priorité stratégique globale de l’ISAF. Cette doctrine avait été initiée par le général StanleyMcChrystal et reconduite par le général Petraeus, revenant aux leçons données par les françaisLyautey et Galula en matière de contre-insurrection, dont la volonté était de ne pas tuer le maxi-mum de talibans, mais de protéger la population civile qui devient la préoccupation majeure !

Face à la difficulté accrue d’établir, dans la pratique, une distinction entre les combattants, au sens générique du terme et les non combattants, les partisans « d’une réciprocité anticipée »à l’instar de Pfanner suggèrent un élargissement de la catégorie juridique des personnes pouvantlégitimement faire l’objet d’une attaque (cf. infra 2e Partie par 2.2, p. 35).

J’emprunterai les propos de Robin Geiss et Michael Siegrist 35 lorsqu’ils évoquent une voie médianequi pourrait permettre « de trouver un équilibre plus subtil entre les notions antagonistes de nécessitémilitaire et d’humanité, en n’accordant aucune prédominance catégorique à l’une ou à l’autre. Théori-quement, une telle voie médiane pourrait consister soit à augmenter la flexibilité des normes de droithumanitaire, en allant dans le sens d’une extension de leur portée protectrice, soit à augmenter la flexibilité des normes des droits humains, en allant dans le sens d’une plus grande permissivité ».

33 Les talibans ont eu recours maintes fois à cette perfidie consistant à endosser l’uniforme des soldats ou des policiersafghans et frapper par déception les troupes de la coalition. Selon le site icasualties.org, ce procédé a été de plusen plus utilisé et touché les troupes de l’ISAF de façon significative entre 2007 et 2013.

34 Rédacteur en chef de la Revue Internationale de la Croix-Rouge, auteur de l’article « les guerres asymétriques vuessous l’angle du DIH et l’action humanitaire » parue dans la Revue Internationale de la Croix-Rouge n° 857, mars 2005,pp. 149-174 (cf. document en pièce jointe).

35 Robin Geith, professeur à la Faculté de droit, Université de Potsdam, en Allemagne, est assistant de rédaction dela Revue internationale de la Croix-Rouge, il est en outre titulaire d'une maîtrise en droit de l'Académie de droitinternational humanitaire et droits de l'homme.

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Le but étant bien de donner de plus grandes garanties juridiques à nos chefs militaires afin demieux répondre à ce nouveau défi posé par la guerre asymétrique. Ce type de conflit pose en outrede manière cruciale la question du traitement des suspects et des personnes capturées (cf. supra2 e Partie par 2.1.2, p. 30) qui ne peuvent revendiquer le statut de prisonniers de guerre aussi biendans les situations de CANI qu’asymétrique.

1.2.3 La cyberguerre

La création de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) en 2009, le rapportdu sénateur J.-M. Bockel et la place réservée à cette question dans le livre blanc de 2013 illustrentles récentes préoccupations de l’État français en matière de cyber conflictualité. Le LBDSN 2013précise ainsi qu’« une attention particulière sera portée à la sécurité des réseaux de communicationélectroniques et aux équipements qui les composent », il poursuit en précisant que « la croissancecontinue de la menace, l’importance sans cesse accrue des systèmes d’information dans la vie de nos sociétés et l’évolution très rapide des technologies imposent de franchir une étape supplémentairepour conserver des capacités de protection et de défense adaptées à ces évolutions »36.

Face à ces défis, les Armées réflé-chissent aux adaptations maté-rielles, doctrinales, juridiques,sociologiques et psychologiquesnécessaires pour répondre auxmenaces cyber, avant que celles-ci ne conduisent aux cyberguerrestant redoutées. Il convient dedresser un inventaire des types de menaces et de s’interroger surl’effectivité du DIH face à cettenouvelle forme de guerre.

1.2.3.a L’omniprésence de la menace cyber

Depuis les attaques informatiques massives qui ont frappé l’Estonie en 2007, puis la Géorgie en2008, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que l’on annonce, quelque part dans lemonde, une attaque informatique importante contre une grande institution publique ou privée.Par ailleurs, les révélations en 2010 sur l’implication probable des États-Unis dans la conceptiondu virus STUXNET, qui a neutralisé environ un millier de centrifugeuses d’enrichissement del’uranium, retardant ainsi de quelques mois voire quelques années la réalisation du programmenucléaire militaire de l’Iran, ou encore la récente découverte du virus FLAME, vingt fois plus puissant, laissent présager de nouvelles « armes informatiques », aux potentialités encore plusétendues.

36 LBDSN 2013, p. 105 dans le paragraphe La lutte contre la cyber menace.

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La réalité de la menace cyber.http://www.lopinion.fr

La France a également connu des cyber attaques à la veille de la tenue du G20 et du G8. Espionnageinformatique des entreprises à l’image d’AREVA, perturbations de sites Internet institutionnelscomme celui du Sénat : les attaques contre les systèmes d’information se sont multipliées. Mêmel’Elysée aurait été récemment victime d’une ou de plusieurs attaque(s) informatique(s).

En France, les administrations, les entreprises ou les opérateurs d’importance vitale (énergie,transports, santé, etc.) sont victimes chaque jour de plusieurs milliers d’attaques informatiques.Les attaques peuvent être de différentes natures : soit par saturation visant au déni de service parun nombre élevé de requêtes, à l’instar en décembre 2011 du site du Sénat, rendu inaccessible au public pendant 48 heures, soit par des tentatives de pénétration dans les systèmes à des finsd’espionnage, grâce notamment à des « logiciels espions » introduits par un « cheval de Troie », àl’image de l’attaque de Bercy ou d’AREVA, ou enfin soit par de véritables « bombes informatiques »visant à détruire les données contenues dans les systèmes d’information. Ces attaques informa-tiques peuvent être menées par des pirates informatiques isolés, des groupes d’activistes, desorganisations criminelles, mais aussi par des entreprises concurrentes, voire par d’autres États.Quelles sont les adaptations à apporter au droit international pour répondre à l’émergence de ces armes technologiques nouvelles ? quelles en sont les parades possibles, et quelle en est l’effectivité du DIH ?

1.2.3.b L’applicabilité du DIH

Il convient de mentionner le « Manuel de Tallinn » (cf. Annexe 6 commentaires Manuel de Tallinn),rédigé par des experts, et qui est un manuel de droit international applicable à la cyber guerre. LeDIH réglemente, grâce à ses règles générales, toutes les méthodes et tous les moyens utilisésdans une guerre. L’article 36 du Protocole Additionnel I des Conventions de Genève stipule : « Dansl’étude, la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvelle arme, de nouveaux moyens ou d’unenouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante [un État] a l’obligation de déterminer sil’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances, par les dispositions du présent Protocole oupar toute autre règle du droit international applicable à cette Haute Partie contractante ». Il semblepertinent, dès lors, de rattacher la cyberguerre aux principes fondamentaux du DIH.

Tentative de définition de la cyberguerre

L’extension des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication a créé unnouvel espace d’affrontement qu’est le Cyber espace. Dans celui-ci, les éventuels affronte-ments ont donné naissance à la notion de guerre informatique ou cyberguerre qui est définiepar Cordula DROEGE37, conseillère juridique du CICR38, comme « l’utilisation de moyens et deméthodes de guerre qui s’appuient sur les technologies de l’information dans le cadre d’un conflitarmé au sens du DIH ». (cf. Annexe 7)

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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37 Dans son article : Pas de vide juridique dans le cyberespace (cf. PJ Pas de vide juridique dans le cyberespace). Articletéléchargeable sur http://www.icrc.org/fre/ressources/documents/interview/2011/cyber-warfare-interview-2011-08-16.htm

38 Comité International de la Croix-Rouge.

La Cyberguerre est également définie comme étant un ensemble d’ « actions hostiles menéesdans le cyber espace par les États pour résoudre par la violence (maîtrisée) leurs conflits »39. Les caractéristiques stratégiques de la cyberguerre selon Damien Gadiou40 sont : l’asymétrie,l’imprévisibilité, la dématérialisation et l’anonymat.

Dès lors que la cyber est un moyen d’attaque comme un autre, le droit international humanitairepeut être considéré comme applicable aux nouvelles technologies concourant à la guerre.

La difficulté d’application des principes fondamentaux du DIH

Le principe de discrimination requiert notamment la distinction entre objectif militaire et bienà caractère civil, or l’interconnexion des réseaux est telle qu’un virus informatique se propagesans discrimination des biens civils ou des objectifs militaires. L’application du principe poseégalement le défi de la difficulté pour les belligérants d’identifier immédiatement l’auteur del’attaque – le cyber combattant – les violations du DIH risque d’être importantes, car selon lesrègles de la conduite des hostilités, seuls les installations et les systèmes informatiques quivisent à soutenir les infrastructures militaires sont des cibles potentielles autorisées. Or laconnectivité dans le cyber espace fait que la discrimination entre objectifs militaires et civilesest extrêmement difficile à réaliser.

La cyber sphère est virtuelle et vaste, la distinction nette entre installation militaire et autresbases de données est difficilement réalisable.

Le principe de proportionnalité requiert la limitation des attaques à la stricte nécessité : lesattaques doivent être limitées aux objectifs militaires, et menées conformément aux obligationsde précaution. La difficulté avec les cyberattaques est que leurs conséquences ne se limitentpas aux seuls objectifs militaires, car elles touchent généralement des secteurs vitaux pour la population civile : infrastructures, télécommunications… dans ce contexte, les dommagescollatéraux sont difficiles à apprécier.

Face au défi juridique qui se pose en matière de protection des civils dans le cadre d’une cyberguerre, les parties au conflit pourraient commettre des violations graves au DIH. Dès lors, ildevient difficile d’appliquer les principes cardinaux du DIH (proportionnalité, discrimination,nécessité) dans un cyber espace caractérisé par l’interconnexion et l’absence de « frontièresinformatiques » entre le domaine civil et militaire. L’étude « Les aspects juridiques de la cyberdéfense » inscrite au cycle du « Comité de coordination des études opérationnelles » de l’arméede Terre41 2013-201442 comblera une partie des lacunes actuelles.

Cette évolution juridique du cadre des conflits armés entraîne de véritables questionnementssur les notions fondamentales du DIH, qui nécessitent des ajustements de celui-ci.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

39 Olivier Kempf et Daniel Ventre, La cyber sécurité, Les cahiers de l’IDRP, Janvier 2013.40 Damien Gadiou, Cyber défense : passer à l’offensive ? Tribune N° 264, Commandant de l’armée de l’air de la

19e promotion de l’École de Guerre « Maréchal Juin ».41 COCOOPS.42 Cycle des études doctrinales du CDEF.

Dans un conflit conventionnel, les notions de combattant et de non combattant étaient expliciteset ne souffraient pas d’interprétation possible. La mutation de la conflictualité nous a conduit às’interroger sur, d’une part, l’application du DIH (2.1) et, d’autre part, sur les ajustements néces-saires (2.2).

2.1 L’APPLICATION DU DIH

Deux questions se posent aujourd’hui au commandant d’une force :

• Quel comportement adopter face à l’émergence des nouveaux acteurs ? (2.1.1)

• Comment gérer les personnes capturées issues de ces nouveaux acteurs ? (2.1.2)

2.1.1 L’émergence des nouveaux acteurs

« J’ai perdu 61 de mes gars tués par personne ! » prononcée par le Général François Cann lors desattentats du 23 octobre 1983 contre l’immeuble du cantonnement du 1er RCP, le DRAKKAR, en pleincœur de Beyrouth.

Comment ne pas oublier cette exclamation !

Ce triste et douloureux constat d’un chef face à ce crime inexpiable, est devenu malheureusementrécurrent, pour ne pas écrire « banalisé » dans les conflits contemporains.

Les acteurs classiques de la guerre étant des États, la guerre est d’abord de nature internationale,régie par des normes internationales. On assiste pourtant, depuis les attentats du 11 septembre2001, à une remise en cause de ces normes, à travers trois éléments en particulier :

• des tentatives de définir la guerre comme un conflit pouvant opposer un État à des groupesterroristes, qui sont des groupes privés ;

• une remise en cause du principe d’égalité des combattants qui se traduit dans le droitinternational par l’indépendance du jus in bello (droit dans la guerre ou droit humanitaire)par rapport au jus ad bellum (droit à la guerre) : l’argument veut que des ennemis illégaux,auteurs de violences contraires au droit ne pourraient se prévaloir des protectionsoctroyées par les Conventions de Genève, ce qui revient à suspendre leurs droits (2.1.1.a) ;

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

DEUXIÈME PARTIELE PROLONGEMENT

ET LES AJUSTEMENTS DU DIH

• une nouvelle qualification de l’ennemi par la résurgence d’une catégorie présente dans ledroit américain, utilisée à l’encontre du droit international : celle des combattants illégaux(unlawful/unpriviledged combatants) (2.1.1.b).

2.1.1.a Une qualité juridique à déterminer

Les parties belligérantes disposent de moyens de plus en plus inégaux et le principe de l’égalitédes armes ne s’applique plus à elles. La partie militairement la plus faible est tentée de recourirà des méthodes de guerre illicites pour contrer la puissance de l’adversaire. Face aux canons, aux chars et aux avions, l’adversaire asymétrique déploiera des IED (engin explosif improvisé) oulancera des attentats suicides (bombes humaines). Les acteurs du terrorisme sont devenus desacteurs incontournables de la scène internationale, et pourtant ils ne peuvent être considéréscomme sujets de droit international. On pourrait objecter que les terroristes ne sont pas desacteurs légaux des conflits armés. Mais ils en sont souvent l’origine. Les massacres commis aucours des dernières décennies par des personnes privées n’ayant rien à perdre, si ce n’est leurpropre vie, à condition de détruire un maximum d’autres vies, défient l’entendement.

Cependant, les droits d’un ennemi privé sont-ils les mêmes que ceux d’un ennemi public ?

Un ennemi qui ne reconnaît pas les lois de la guerre et tue un grand nombre de civils peut-il se prévaloir des droits et protections accordés par le droit humanitaire, alors que ce droit affirme clairement la distinction entre civils et combattants ?

Répondre par la négative à ces interrogations, c’est remettre en cause un principe important desdoctrines du DIH, celui de l’égalité des combattants. Ce principe affirme que les combattants, qu’ilssoient du côté de l’État agresseur ou de l’État victime, ont à la fois un droit égal de tuer et un droitégal d’être protégés par les conventions humanitaires. Selon certains auteurs comme FrançoisBugnion43, « puisque la guerre d’agression [menée par des terroristes] constitue un acte illicite, elleest soustraite à toute réglementation et exclut que s’applique le droit humanitaire 44 à l’ensemble des belligérants. Coupable d’avoir engagé une guerre criminelle, l’agresseur ne peut être protégé parle jus in bello (droit dans la guerre) ».

C’est ainsi affirmé, que l’application du droit de la guerre s’est écartée du concept de réciprocitédes belligérants. Or, les obligations du droit humanitaire sont des normes impératives, elles sontdes obligations dont chacun doit s’acquitter indépendamment du fait que les autres le fassent ounon. Aucun principe de réciprocité ne saurait ainsi justifier une inégalité des combattants et untraitement différent en ce qui concerne l’application du jus in bello. Cette suspension de traitementpourrait se prolonger dans le traitement réservé aux personnes capturées.

Comment alors qualifier juridiquement les personnes soupçonnées d’avoir pris part à des actionsterroristes ou d’être membres d’Al-Qaïda ?

43 François Bugnion est l’auteur de plus de cinquante publications portant sur le droit international humanitaire ousur l’histoire du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il est notamment l’auteur dulivre « Le Comité international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre ».

44 L'article 45. 3 du Protocole Additionnel I (cf. Annexe 2) confirme implicitement que les combattants illégaux sont protégés par la IVe Convention de Genève, s'ils sont capturés par une puissance dont ils ne sont pas ressortissants.Vont dans le même sens les manuels militaires américains et britanniques, les travaux préparatoires de ces Conven-tions et Protocole, la littérature juridique et le jugement de Z. Delalic au TPIY. Voir Dörmann K., article cité, p. 51-60.

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2.1.1.b La catégorie des combattants illégaux ou (unlawful/unpriviledged combattant)

Si les personnes sont considérées comme des criminels de droit commun, elles doivent être jugéespar des tribunaux fédéraux et jouir de toutes les garanties constitutionnelles prévues à cet effet.Les Américains ont estimé qu’elles ne relevaient pas de la catégorie des criminels de droit commundans la mesure où elles ont recouru à une force mettant en danger la paix et la sécurité interna-tionales et commis un acte de guerre à l’encontre des États-Unis. À l’inverse, si ces personnes sontconsidérées comme des prisonniers de guerre, elles n’ont pas à être jugées, sauf par un tribunalcompétent pour juger des crimes de guerre si ces derniers sont avérés. La solution adoptée a étéde recourir à une requalification juridique des acteurs en « combattant illégal ». Dès lors, les USAont mené une légitime défense contre des ennemis privés dont le statut permettait de suspendreles droits qui leur étaient reconnus par les Conventions de Genève. Mais le droit humanitairecherche à éviter que des personnes ne soient considérées ni comme des civils, ni comme des com-battants, et se trouvent précisément exclues de toutes les mesures de protection prévues par ledroit humanitaire : soit on est combattant, soit on est civil.

Pour les Américains, les terro-ristes présumés d’Al-Qaïda appar -tiennent à une organisationcriminelle qui n’est pas un acteurétatique et ne peut être Partie auxconventions internationales régis-sant la guerre, et puisqu’ils appar-tiennent à une organisation nonétatique, ils ne sont que des com-battants illégaux ayant violé les lois et les coutumes de la guerre etne peuvent être protégés par lestraités interna tionaux.

Cette solution américaine quelque peu radicale ne peut satisfaire le juriste, car ces « combattantsillégaux », qui ne sont protégés ni par le droit humanitaire, ni par les garanties dont bénéficient lesAméricains devant les cours fédérales, nous obligent à repenser le droit international humanitairemais également à redéfinir les droits fondamentaux liés à la personne humaine. Il s’agit là d’un« nouveau type de guerre, qui suppose un nouveau système de détention et donc une adaptation de laConvention de Genève » François Bugnion (op. cit. p. 28).

Il existe une grande diversité d’acteurs non-étatiques qui influencent l’application du DIH dans les conflits actuels. Chaque conflit étant spécifique, il convient ainsi d’analyser chaque conflit enfaisant des recherches sur la nature des acteurs (étatiques ou non) et les droits applicables.

À cet effet, utilisons tous les instruments juridiques, non seulement le DIH mais aussi les droitsde l’homme, les législations nationales, les coutumes locales, des codes d’éthique sans oublierles valeurs personnelles de chacun d’entre nous. Le DIH ne peut couvrir toutes les situations maisses principes, les « considérations essentielles d’humanité », constituent le minimum d’humanitéapplicable en toute situation de conflit armé.

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Groupe armé djihadiste (GAD) au nord Mali 2012http:/siwel.info/photo/art/default/5003600-7470536

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2.1.2 La gestion des personnes capturées

Le concept de « personnes capturées » n’est pas nouveau dans les CAI. Le texte de la Convention deGenève relative au traitement des prisonniers de guerre, du 29 juillet 1929, reconnaissant que, dansle cas extrême d'une guerre, il sera du devoir de toute Puissance d'en atténuer, dans la mesure dupossible, les rigueurs inévitables et d'adoucir le sort des prisonniers de guerre, stipulait dans sonarticle 1er :

« La présente Convention s'appliquera : […]– à toutes les personnes appartenant aux forces armées des parties belligérantes, capturées

par l'ennemi au cours d'opérations de guerre maritimes ou aériennes, sous réserve des déro-gations que les conditions de cette capture rendraient inévitables. Toutefois, ces dérogationsne devront pas porter atteinte aux principes fondamentaux de la présente Convention ; ellesprendront fin dès le moment où les personnes capturées auront rejoint un camp de prisonniersde guerre ».

Cette notion intéresse au plushaut point les forces engagées enopérations car elles sont suscep-tibles de capturer des adversaires« suspects ». Elle fait l’objet d’unedoctrine interarmées récente, laDIA 3.2.5 N° 095/DEF/CICDE/NPdu 9 juin 2011 (cf. Annexe 8), quitraite plus particulièrement de lagestion des personnes capturées.Il convient de se positionner sur la nature du régime juridique despersonnes capturées (2.1.2.a) etde dégager en quoi cette notionest aujourd’hui emblématique desconflits contemporains (2.1.2.b).

2.1.2.a La nature du régime juridique des personnes capturées

La définition

Au regard de la DIA 3.2.5, il faut entendre par personne capturée « une personne dont la restrictionou la privation temporaire de liberté par les armées est nécessaire pour l'accomplissement de lamission. Une personne peut être capturée à l’occasion de toutes les phases d’engagement, y comprislors d’une reddition ». Cette personne a des droits.

Le régime juridique

Dans le cadre d’un conflit armé international (CAI) (cf. supra p. 18), lorsque la personne capturéeest assimilable à un combattant, elle bénéficie de la protection que lui confère notamment le Titre II 45 de la 3e Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniersde guerre.

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Personnes capturées par des forces régulières en Somaliehttp:/blogs.afp.com/geopolitique/public/Analyse/Cartes

45 Titre II Protection générale des prisonniers de guerre articles 12 à 16 (cf. Annexe 10).

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Dans le cadre d’un conflit armé non international (CANI) (cf. supra p. 18), la personne en ques-tion bénéficie des dispositions de l’article 3 (cf. Annexe 2) commun aux quatre Conventions deGenève.

2.1.2.b Le sujet emblématique des conflits contemporains

La problématique

Dans les conflits contemporains, la distinction entre « combattant » et « non combattant » étantdifficile, la riposte se fait en cas de légitime défense avérée 46 ou en cas de présomption absolueet réelle de la « participation directe aux hostilités (cf. infra p. 35) » des personnes en question.C’est l’image bien connue en guérilla « du paysan le jour, et combattant la nuit ». Dans ces condi-tions, la personne capturée qui s’apparente à la notion de « combattant illégal47 » (cf. Annexe 11)selon l’interprétation américaine ou à un problème « de statut à contestation 48 » pour l’interpré-tation française, pose de véritables interrogations aux opérationnels moins en terme d’éthique,on se référera à notre culture qui est l’expression des valeurs de notre société mais plus enterme d’organisation matérielle d’une détention éventuelle et de recherche du renseignement.

Comment traiter les personnes capturées :

• Sont-elles considérées comme prisonnier de guerre (PG) ?

• Doivent-elles être traitées comme personnes civiles ?

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46 Lorsque l’agression est réelle ou très vraisemblable, l’acte de défense doit être nécessaire, immédiat et propor-tionné.

47 Le terme, « combattant illégal », « combattant ennemi » ou encore « combattant ennemi illégal » (« unlawful combattant »), défini dans le USA PATRIOT Act, est utilisé actuellement par le gouvernement des États-Unis pourqualifier les prisonniers capturés dans le cadre de la « Guerre contre le terrorisme », dont le statut reste emblé-matique (cf. Annexe 11 situation juridique des combattants illégaux).

48 Interprétation plus générale, qui englobe les personnes qui commettent des actes hostiles dans les conflits (passeulement dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme) et qui n’ont pas la qualité de combattant.

Cas concret :

Supposons une unité française au contact depuis la matinée avec un ennemi nombreux etmobile, en partie installé dans des positions aménagées. La réduction d’une telle résistancenécessite des appuis (Guided Bomb Unit, artillerie). Après vérification de l’absence de civilspar le JTAC (Joint Terminal Attack Controller), l’unité décide de prendre d’assaut la position.

Lors de la fouille de la position une demi-douzaine d’individus mâles, en âge de combattre etvisiblement aguerris, est surprise sur le site sans arme à la main, en tenue civile locale et sanssigne distinctif ! Comment gérer cette situation ?

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Les différentes solutions envisageables

Le « noyau dur des droits de l’homme »

Dans la mesure où le cadre juridique de ces personnes capturées n’est pas clairement défini, laissant le chef militaire dans une zone d’ombre parfois paralysante, il pourra toujours, quelle quesoit la situation, se rapporter au « noyau dur 49 » des Droits de l’Homme que l’on retrouve dans l’article 75 du Protocole Additionnel I, qui énumère les garanties fondamentales (cf. Annexe 9) oul’article 4 du Protocole Additionnel II (cf. Annexe 8).

La DIA 3.2. « Gestion des personnes capturées » du 9 juin 2011

La DIA 3.2.5 donne un catalogue de savoir-faire et savoir-être qui peut être schématisé (cf. Annexe 9).

L’approche Canadienne 50 (cf. Annexe 12) qui considère qu’il n’existe pas de statut intermédiaire :toutes les personnes capturées pour des raisons de sécurité de la Force doivent être traitéescomme s’il s’agissait de prisonniers de guerre en respectant l’esprit des Conventions de Genève.

Les différentes variantes proposées ne sont envisagées que sous l’angle du droit ou du bon sens.Le sort des personnes capturées doit être intégré dès la phase de préparation des Forces pourque les militaires projetés maîtrisent aussi ce volet de l’engagement. Les impératifs d’ordre tactique gouvernent l’action et la décision, dans ces conditions, le chef militaire reste le seul responsable de ses actes et ordres au regard de la loi. Quoi qu’il en soit, le combattant doit suivreune formation permanente en droit et continue, elle constitue un critère de professionnalisme etun facteur collectif de crédibilité. Enfin pour reprendre les termes de la DIA 3.2.5, « des forcesdédiées doivent être exclusivement en charge de la gestion des personnes capturées, ce processus degestion inclut la question technique du traitement, qui fait référence aux garanties fondamentales(op.cit.) liées au respect de la personne et à son intégrité physique et morale. De plus, une bonne gestiondes personnes capturée concourt non seulement au succès de la mission mais également à protégerles militaires engagés ».

Cette conclusion laisse néanmoins un champ d’investigation assez large au commandant de laForce en matière d’interprétation de la notion de personne capturée, difficilement conciliable avecle contexte de judiciarisation croissante des conflits armés.

Le processus de Copenhague du 19 octobre 2012

Le processus de Copenhague, ou les principes de Copenhague, a été élaboré pratiquement ensecret, lors d’un processus à huis clos débuté en 2007 qui a duré cinq ans. Il porte sur la questionde fond jamais complètement résolue à ce jour : le traitement des détenus lors des opérations

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49 « Le noyau dur » des Droits de l’Homme est composé de droits inaliénables et immuables que sont le droit à la vie,le droit à ne pas être torturé ni de subir des traitements inhumains ou dégradants et l’interdiction de l’esclavage.Aucune dérogation à ces droits ne saurait être tolérée. Le principe d’humanité en droit des conflits armés, fondésur le respect de la personne humaine trouve sa source dans ces droits.

50 Le droit régissant les interrogatoires, Série de documents juridiques stratégiques du cabinet du juge-avocat général,des Forces Canadiennes. Fascicule 1 p. 36.

militaires internationales.Ce processus est une tentative mais surtout une illustration de la volontédes États de répondre aux difficultés juridiques inhérentes aux conflits armés d’aujourd’hui. Les conclusions des travaux ont été présentées, le 20 octobre 2012. 22 États 51, dont la France, ont exprimé leur soutien à ce document non contraignant juridiquement. En revanche, des orga-nisations des droits de l’homme, comme Amnesty International, ont exprimé leur consternation.

Le processus a été lancé suite à la constatation qu’il existait des ententes bilatérales entre les par-ties d’une coalition, sur la détention des personnes capturées pendant les opérations militaires.Ces ententes diverses et variées conduisaient pourtant à des différences inacceptables quant autraitement des détenus. Selon le ministère danois des affaires étrangères, ces différences ne sontpas seulement insatisfaisantes en matière de protection individuelle des personnes, mais peuventconstituer un obstacle à une coopération militaire efficace.

Les incertitudes juridiques se posent en raison de la nature changeante des opérations militairescontemporaines. Au lieu de simplement combattre, les forces militaires sont de plus en plusrequises pour se porter garantes de la loi et du maintien de l’ordre d’une Nation hôte.

Dans ce contexte, le conseiller juridique du ministère des affaires étrangères danois a énoncé lesquestions juridiques auxquelles le processus de Copenhague doit répondre :

• Quelle est la base légale de la détention dans les opérations militaires internationales ?

• Quel régime de traitement et de condition de détention s’applique aux détenus ?

• Quelles sont les normes juridiques et les procédures applicables aux transferts entre Étatsd’une coalition militaire et l’État d’accueil, entre partenaires de la coalition ?

• Qu’est ce que nous entendons exactement lorsque nous parlons de détention ?

Le document publié présente 16 principes et directives (cf. Annexe 10), et 26 pages de commentairessignées par le Président de la réunion, qui n’engagent que le gouvernement danois. Le documentajoute l’objectif à atteindre dans son préambule, qui est de « développer les principes devant guiderla mise en œuvre des obligations existantes en matière de détention dans les opérations militaires internationales ».

Ces principes et directives ne « s’appliquent qu’à la détention de personnes qui sont privées de leur liberté pour des raisons liées à une opération militaire internationale » (art. 1). La notiond’« opération militaire internationale » n’est pas définie. Certains articles développent le droitinternational existant. C’est le cas pour l’article 5, qui stipule que les autorités détentrices « devraient élaborer et mettre en œuvre des procédures d’exploitation concernant le traitementdes détenus ». D’autres articles notent que les détenus « doivent être rapidement informés desraisons de leur détention » (article 7) et être « enregistrés par l’autorité détentrice » (article 8).

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

33

51 Outre le Danemark, les 21 États suivants ont participé au processus de Copenhague : Argentine, Australie, Belgique,Canada, Chine, États-Unis, Finlande, France, Allemagne, Inde, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Norvège, Pakistan, Royaume-Uni, Russie, Afrique du Sud, Tanzanie, Turquie.

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Si ces principes restent vagues, on peut souligner qu’une plus grande substance est fournie dansles derniers articles, qui stipulent que les autorités détentrices sont chargées de fournir aux déte-nus des « conditions de détention adéquates » (article 9). En soi, ce n’est guère révolutionnaire,mais l’article 9 poursuit pour clarifier le contenu de cette responsabilité :

• les détenus ont droit « à l’accès à l’air libre », et sont protégés contre les rigueurs du climat.Enfin, ils doivent être protégés contre les dangers des opérations militaires et doiventrecevoir les soins médicaux et l’attention requise par leur état.

• les détenus doivent avoir des « contacts appropriés avec le monde extérieur » et être déte-nus dans un « lieu désigné pour la détention », article 11.

Ces principes et directives distinguent également entre les personnes détenues pour des raisonsde sécurité liées aux opérations, et celles détenues car « soupçonnées d’avoir commis une infra-ction pénale ». La distinction se fonde sur le fait que pour le premier groupe, la détention devraêtre revue « périodiquement par une autorité impartiale et objective », alors que les criminels pré-sumés devront être « transférés ou qu’une procédure devra être engagée contre eux par une auto-rité compétente » (article 12-13). C’est un pas sérieux vers la disparition des abus de la pratiquedes « détentions préventives ».

Le manque de clarté dans ces principes de Copenhague pourrait refléter un manque d’accord. Par rapport à la définition de « détention », note le commentaire, « les États ont des vues diver-gentes quant au moment et dans quelles circonstances une restriction de la liberté revient à ladétention ».

Enfin, ces directives et ces principes ont été critiqués par les organisations de protection des droitsde l’homme, comme Amnesty International qui a exprimé ses préoccupations sur les conditionsde traitement des détenus au regard des obligations du droit international humanitaire et des droitsde l’homme.

Contrairement au document de Montreux (op. cit. p. 21) qui avait intégré le concept des compagniesmilitaires privées dans le droit international et qui avait défini les bonnes pratiques à suivre par les États, le processus de Copenhague reste prudent et relativement ambigu sur la gestion despersonnes capturées.

Certes le processus de Copenhague reste insuffisant. Le régime juridique applicable aux per-sonnes capturées dans les opérations militaires, comme en Afghanistan ou au Mali, a besoin d’uneclarification comme de plus amples développements.

Par ailleurs, si le processus de Copenhague reste avant tout une initiative importante, et unedémarche constructive qui est novatrice, il marque la volonté des États (22) de trouver un consen-sus général sur la clarification des problématiques juridiques de fond liées aux mutations de laconflictualité.

Ces problématiques imposent une nouvelle lecture ou tout du moins des ajustements pertinents,de l’application du DIH.

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2.2 LES AJUSTEMENTS DU DIH

Certaines dispositions des Conventions de Genève peuvent servir de base à un élargissement dela protection des personnes ou rendre à la nécessité militaire sa réelle place. Ainsi deux notionspeuvent être développées en ce sens :

2.2.1 La participation directe aux hostilités

En vertu du DIH, la notion de « participation directe aux hostilités » se réfère à un comportementindividuel qui, s’il est affiché par un civil, suspend la protection dont il jouit contre les dangers deshostilités. Il peut être attaqué, pendant la durée de sa participation, comme s’il était combattant.

Cependant, ni les Conventions de Genève ni les Protocoles additionnels ne définissent la conduitequi équivaut à une participation directe aux hostilités.

Nils Melzer52, conseiller juridiquedu CICR (Comité International dela Croix-Rouge), est l’auteur duGuide interprétatif sur la notionde « participation directe aux hos-tilités » 53 en DIH, dans lequel, ilprésente et définit la notion.

Des civils des armes à la main.REUTERS/Esam Al-Fetori

La présentation et le contenu du guide

Ce guide est structuré en deux parties. Une première partie sur les recommandations faitespar le CICR, « gardien du temple » du DIH, et une seconde partie sur des recommandations etcommentaires, par l’auteur du guide sur le concept de civil et la notion « de participation directeaux hostilités », il termine cette partie sur les modalités régissant la perte de protection.

Après que le CICR ait rappelé l’importance de répondre aux trois questions fondamentales, quesont :

1. Qui est considéré comme un civil dans le cadre de la conduite des hostilités ?

2. Quelle conduite équivaut à une participation directe aux hostilités ?

3. Dans quelles conditions les civils participant directement aux hostilités perdent-ilsleur immunité contre les attaques directes ?

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52 Est diplômé summa cum laude de l'Université de Zürich avec un doctorat en droit, il sert de conseiller juridique pourle Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Il a enseigné à la Master-niveau aux étudiants de l'Académie dedroit international humanitaire et droits de l'homme.

53 Ce guide est téléchargeable sur ce site : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/icrc_001_0990.pdf

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L’auteur du guide rappelle dans un premier temps l’importance de distinguer les combattants desnon combattants. Selon le Guide interprétatif, toutes les personnes qui ne font pas partie des forcesarmées d’un État ou de groupes armés organisés appartenant à une des parties d’un conflit armésont des civils et sont donc protégées 54 contre les attaques directes, à moins qu’elles ne participentdirectement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. Dans les conflits armés inter-nationaux et non internationaux, les forces armées de l’État comprennent toutes les forces, unitésou groupes armés organisés sous la conduite d’un commandement responsable devant un État partie au conflit.

Dans un second temps, le guide s’interroge sur ce qui constitue « une participation directe aux hostilités ».

Les personnes participent directement aux hostilités quand elles accomplissent des actes qui visentà soutenir une partie au conflit en causant directement préjudice à une autre partie, soit en provo-quant directement des morts, des blessés ou des destructions, soit en nuisant directement aux opérations ou aux capacités militaires de l’ennemi.

L’auteur dégage trois critères cumulatifs pour constituer un acte relevant de la participation directeaux hostilités :

1. L’acte doit être susceptible de nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaired’une partie à un conflit armé, ou alors l’acte doit être de nature à causer des pertes envies humaines, des blessures et des destructions à des personnes ou à des biens protégéscontre les attaques directes,

et

2. il doit exister une relation directe de causalité entre l’acte et les effets nuisibles suscepti-bles de résulter de cet acte ou d’une opération militaire coordonnée dont cet acte fait partieintégrante (causation directe),

et

3. l’acte doit être spécifiquement destiné à causer directement des effets nuisibles atteignantle seuil requis, à l’avantage d’une partie au conflit et au détriment d’une autre (lien de belligérance).

Pour terminer, le document expose les modalités régissant la perte de protection conférée aux civils :

• Pendant la durée de leur participation directe aux hostilités, les civils perdent leur protec-tion contre les attaques, a contrario, ils retrouvent la pleine protection accordée aux civils,une fois que la participation directe a cessé.

• En cas de doute sur la participation directe d’un civil aux hostilités, la dite personne seraconsidérée comme civil.

• Sous réserve des restrictions à l’emploi de certains moyens et méthodes de combat, lesattaques directes contre les civils participant directement aux hostilités doivent être appré-ciées au regard du principe de proportionnalité.

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54 Par la 4e Convention de Genève du 12 août 1949 portant protection des personnes civiles en temps de guerre.

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Bien que ce guide interprétatif ne soit pas juridiquement contraignant, le CICR espère qu’il influen-cera les États, les acteurs non étatiques, les praticiens et les universitaires, et qu’il contribuera enfin de compte à mieux protéger la population civile contre les dangers de la guerre, dans le contextede conflits où la distinction fondamentale entre combattants et non combattants est devenue parfois difficile à établir avec certitude.

2.2.2 La nécessité militaire

L’’écrivain et journaliste judiciaire, Georges Samuel alias Géo London 55, publie dans l’année 1918une brochure titrée « Ils ont détruit sans nécessité militaire », éditée par l’Union des Grandes Associations Françaises contre la Propagande Ennemie 56, qui illustre en dix croquis, « Toute laFrance debout pour la Victoire du Droit ».

La nécessité militaire est l’un des principes fondamentaux en Droit International Humanitaire (DIH)qui encadrent la conduite des hostilités. La nécessité militaire exprime, pour le commandant dela force qui l’invoque, l’idée de justification du recours à la force qui doit être prévue et reconnuepar le droit. Ce recours à la force doit en outre respecter les principes de proportionnalité et de discrimination déjà évoqués dans les différents développements ci-dessus.

L’essence même du DIH est d’établir un équilibre harmonieux entre la nécessité militaire et lesexigences d’humanité.

Après avoir évoqué le contenu du principe et sa portée (2.2.2.a), on s’attachera à présenter la miseen œuvre par le commandant militaire de cet équilibre, bien souvent fragile, entre nécessité mili-taire et exigences d’humanité (2.2.2.b).

2.2.2.a Le contenu et la portée du principe de nécessité militaire

Dans le manuel du droit de la guerre de l’armée de l’air des États-Unis, la nécessité militaire a étédéfinie comme étant :

(la prise des) « mesures de recours contrôlé à la force qui ne sont pas interdites par le droitinternational et qui sont indispensables pour obtenir la soumission de l'ennemi, en entraînantle moins possible de dépenses en termes de moyens économiques et humains ».

Dès l’engagement des forces, la nécessité militaire a trait au but principal du conflit armé, soit la soumission complète de l'ennemi le plus tôt possible avec le moins possible, de pertes de ressources et de personnel.

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55 Écrivain, grand reporter de l’entre deux guerres au quotidien « Le Journal » et journaliste judiciaire français, entre1920-1950, il couvre les plus grands procès (Maurras, Laval, Pétain). Né le 15 janvier 1885, mort le 15 septembre1951.

56 L’Union des grandes associations françaises contre la propagande ennemie est semble-t-il une organisation quiregroupait plusieurs ligues créées dès le début du conflit mondial pour dénoncer les exactions allemandes lors del’invasion en 1914.

Le concept de nécessité militaire présuppose que :

• la force utilisée peut être maîtrisée ;

• le recours à la force est nécessaire à l'obtention de la soumission de l'ennemi ;

• l'ampleur de la force utilisée est limitée à ce qui est nécessaire à une prompte soumis-sion.

La Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 57 appelait les Parties à « […/…] concilier les nécessitésde la guerre avec les lois de l’humanité ». La conciliation ne sera probablement pas possible, maisun équilibre entre la nécessité militaire et les considérations essentielles d’humanité est essentieldans l’intérêt des civilisations.

2.2.2.b Un équilibre fragile entre nécessité militaire et exigences humanité

Comme cité plus haut le DIH pouvant être défini comme l’équilibre entre la nécessité militaire etles exigences d’humanité, le commandant militaire doit respecter le DIH conventionnel et coutu-mier en procédant de la façon suivante :

• en respectant les plus anciennes coutumes de la guerre (cf. Annexe 13) qui dénoncent certaines actions qui n'ont aucune valeur sur le plan militaire. Elles sont, par conséquent,purement et simplement prohibées : ce sont, par exemple, les actes de cruauté sadique,le pillage, ainsi que d'autres actes répréhensibles privés commis par des soldats qui, loind'aider l'armée à atteindre ses buts militaires, tendent à saper le comportement disciplinéque l'on doit attendre d'une armée de métier.

• si certains actes peuvent avoir de la valeur sur le plan militaire, il a été accepté que les exigences d’humanité l'emportent. C'est sur cette base que l'utilisation du poison et desgaz toxiques a été interdite.

• certaines règles constituent un véritable compromis, tant il est vrai que les exigences d’humanité limitent la nécessité militaire d’une part, et que la nécessité militaire peutl’emporter sur l’impératif d’humanité d’autre part, mais dans une mesure comptée. Nousciterons à titre d'exemple la règle de proportionnalité dans les attaques qui accepte queles civils soient victimes de « dommages collatéraux », sauf si ces dommages sont exces-sifs par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu.

• certaines dispositions permettent, dans une situation particulière, que les exigences militaires l'emportent sur la règle humanitaire normalement applicable, ces dispositionsressemblant alors à des clauses de dérogation. Par exemple, « en des cas exceptionnelsde nécessité militaire inéluctable », l'immunité d'un bien culturel sous protection spécialepeut être levée, ou le personnel médical ne peut pas être attaqué, à moins qu'il ne soitengagé dans des actes militaires hostiles.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

57 Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre du 11 décembre 1868. Dans cettedéclaration, « les Parties s’engagent d’un commun accord, les limites techniques où les nécessités de la guerre doivents’arrêter devant les exigences d’humanité ».

A la différence des droits de l'homme, le droit humanitaire ne comporte aucune clause de dérogation.Dans la plupart des traités généraux, le droit des droits de l'homme admet en effet des dérogationsen temps de guerre ou autre danger qui menace l'existence de la nation 58. Le droit humanitaire est,lui, précisément fait pour de telles situations et ses règles sont énoncées de telle manière qu'ellesne risquent pas d'empêcher une armée, en devoir de les appliquer, de gagner la guerre. Ainsi, unearmée ne peut pas, par exemple, invoquer le fait qu'elle est en train de perdre la guerre pour justifierqu'elle ait cessé de respecter le droit : en effet, cette violation du droit ne procurerait pas un avantagemilitaire suffisant pour renverser la situation.

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58 Article 15 Dérogation en cas d’état d’urgence de la Convention européenne des droits de l’homme du 14 novembre1950, « En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractantepeut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où lasituation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlantdu droit international […] ».

Au terme de cette étude juridique, on constate que l’évolution des conflits a eu un impact consi-dérable sur l’effectivité 59 du droit des conflits armés. Malgré tout, selon les propos tenus par leDr Massimo Barra, président de la Commission permanente de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge60 « le droit international humanitaire demeure aussi pertinent aujourd’hui que par lepassé… ».

La légalité d’une action militaire repose sur le « jus ad bellum » qui définit le « droit de faire laguerre », se nourrissant autant de sa légitimité (résolution du Conseil de sécurité, par exemple,explicitant le « Pourquoi ») que de l’éthique ou du « jus in bello » qui oblige le comportement detous les soldats de la Force (explicitant le « Comment »). Le commandant d’une Force terrestredoit être convaincu qu’il ne devra jamais enfreindre les principes qui régissent les conflits armés,sous peine de s’exposer à poursuites éventuelles devant les juridictions nationales ou interna-tionales.

Dans ce contexte, il faut rappeler l’importance d’assurer en amont la diffusion, la formation, etle respect du droit des conflits armés. Ces obligations légales de l’État, demeurent une desconditions sine qua non de la réussite de toute mission.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

CONCLUSION GÉNÉRALE

59 Dont la réalité est incontestable, qui produit un effet réel, tangible.60 Lors de son discours d’ouverture de la XXXIe Conférence Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Cour de cassationChambre criminelleAudience publique du 10 mai 2012N° de pourvoi : 12-81197Publié au bulletinRejetM. Louvel (président), présidentRÉPUBLIQUE FRANÇAISEAU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu’une plainte avec constitution de partie civile a été déposée auprès du juge d’instructionprès le tribunal aux armées de Paris, contre personne non dénommée, des chefs de mise en dangerd’autrui et non-empêchement d’un crime, par les parents des militaires français, appartenant àla Force d’intervention, d’assistance et de sécurité, mandatée par le Conseil de sécurité de l’ONU,qui avaient été tués en 2008 en Afghanistan au cours d’une offensive ennemie alors qu’ils effec-tuaient une mission de reconnaissance ;

[…]

Les moyens étant réunis ;

[…/…]

En vertu des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-7 du code de justice militaire, le tribunalaux armées de Paris, devenu juridiction spécialisée de Paris depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2011, a compétence, sans aucune restriction, pour connaître des infractions commises hors du territoire de la République par des militaires des forces armées françaises ouà leur encontre.

[…/…]

Attendu que, pour répondre aux réquisitions de non informer du ministère public invoquant l’impossibilité de qualifier pénalement les circonstances de la mort de soldats, tués au combat au cours d’une offensive ennemie, l’absence de relation de causalité entre l’organisation de la

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

ANNEXE 1

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION (CH CRIM)DU 10 MAI 2012

mission et ces décès, mise en évidence, sans qu’il soit nécessaire de procéder à de plus amplesinvestigations, par l’analyse circonstanciée faite par l’état-major du cadre, de la conception et des conditions d’exécution de l’opération militaire en cause, l’arrêt attaqué énonce « qu’à supposerles faits démontrés, il peut y avoir eu une maladresse, une imprudence, une inattention, une négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ayant causé directement ou indirectement la mort de militaires français, alorsqu’il n’existe aucune exonération de principe pour les actes involontaires réalisés par des militairespendant des opérations en temps de paix, l’article L. 4111-1 du code de la défense ne pouvant êtrecompris en ce sens » ;

Attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs qui établissent que, contrairement aux réquisitionsdu ministère public, le juge d’instruction avait l’obligation d’instruire en l’absence de cause affectant l’action publique elle-même d’où il aurait résulté que les faits démontrés ne pouvaientcomporter une poursuite ou, si, à les supposer démontrés, ils ne pouvaient admettre aucune qualification pénale, la chambre de l’instruction a justifié sa décision au regard des dispositionslégales dont la violation est alléguée ; D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille douze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication :

Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 30 janvier 2012.

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Article 3 commun aux 4 Conventions de Genève du 12 août 1949

En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoirede l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquerau moins les dispositions suivantes :

1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres deforces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combatpar maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances,traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critèreanalogue. À cet effet, sont et demeurent prohibées, en tout temps et en tout lieu, à l’égard despersonnes mentionnées ci-dessus :

a) Les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutesses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

b) les prises d’otages ;

c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégra-dants ;

d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable,rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires recon-nues comme indispensables par les peuples civilisés.

2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, telque le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit.Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur, par voie d’accord spé-ciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.

L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des Partiesau conflit.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

ANNEXE 2

TEXTES RÉGISSANT LE CHAMP D’APPLICATIONDES CANI

Article 1 du Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949

relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II)

Article premier – Champ d'application matériel

1. Le présent Protocole, qui développe et complète l'article 3 commun aux Conventions deGenève du 12 août 1949 sans modifier ses conditions d'application actuelles, s'applique àtous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l'article premier du Protocole Additionnelaux Conventions de Genève du 2 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflitsarmés internationaux (Protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d'une Haute Partiecontractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupesarmés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur unepartie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militairescontinues et concertées et d'appliquer le présent Protocole.

2. Le présent Protocole ne s'applique pas aux situations de tensions internes, de troublesintérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actesanalogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés.

Article 8 f) du statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998

L’alinéa e) du paragraphe 2 s’applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère interna-tional et ne s’applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles que lesémeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire. Il s’appliqueaux conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d’un État les autorités dugouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS) de Jean-Marie Henckaerts61

Référence : REVUE INTERNATIONALE de la CROIX-ROUGEVolume 87 Sélection française 2005

Introduction

[…/…]

En décembre 1995, la XXVI62 Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rougedonnait officiellement mandat au CICR de préparer un rapport sur les règles coutumières du droit international humanitaire applicables dans les conflits armés internationaux et noninternationaux63. C’est près de dix ans plus tard, en 2005, après des recherches approfondies etde larges consultations d’experts, que ce rapport – désormais connu comme l’étude sur le droitinternational humanitaire coutumier – a été publié.

Objet de l’étude

[ …/…]

Dans les conflits armés non internationaux, l’article 3 commun aux quatre Conventions deGenève reste souvent l’unique disposition applicable d’un traité de droit humanitaire. Le premierobjectif de l’étude était donc de déterminer quelles règles de droit international humanitaire

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

ANNEXE 3

ÉTUDE SUR LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE COUTUMIER

UNE CONTRIBUTION À LA COMPRÉHENSIONET AU RESPECT DU DROIT DES CONFLITS ARMÉS

61 Jean Marie Henckaerts est conseiller juridique au sein de la Division juridique du Comité international de la Croix-Rouge et responsable du projet du CICR sur le droit international humanitaire coutumier. Il vient d’éditer, avec LouiseDoswald Beck, un ouvrage en deux volumes sur le droit international humanitaire coutumier, publié (en anglais)par Cambridge University Press.

62 XXVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, 3-7 décembre 1995, Résolution 1,Droit international humanitaire : passer du droit à l’action – Rapport sur le suivi de la Conférence internationalepour la protection des victimes de la guerre, Revue internationale de la Croix Rouge, N° 817, janvier-février 1996,pp. 60-62.

63 Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Customary International Humanitarian Law, 2 volumes, Volume I.Rules, Volume II. Practice (2 Parts), Cambridge University Press, 2005.

relèvent du droit international coutumier et sont par conséquent applicables à toutes les partiesà un conflit, que celles-ci aient ratifié ou non les traités contenant ces règles ou des règles similaires.

[…/…]

L’article 3 commun revêt certes une importance fondamentale, mais il ne fixe qu’un cadre rudimentaire de normes minimales. Le Protocole Additionnel II complète utilement l’article 3commun, mais il demeure moins détaillé que les règles qui régissent les conflits armés inter-nationaux dans les Conventions de Genève et le Protocole Additionnel I.

[…/…]

Le deuxième objet de l’étude était donc d’établir si le droit international coutumier régissait lesconflits armés non internationaux de manière plus détaillée que le droit conventionnel, et si ouidans quelle mesure. […/…]

Conclusion

[…/…]

L’étude indique aussi qu’un grand nombre de règles de droit international coutumier s’appliquentdans les conflits armés tant internationaux que non internationaux, et montre dans quellemesure la pratique des États est allée plus loin que le droit conventionnel existant et a élargi lesrègles applicables aux conflits armés non internationaux.

[…/…]

Annexe : liste des règles coutumières du droit international humanitaire

L’abréviation « CAI » désigne les règles de droit coutumier applicables dans les conflits armés inter-nationaux, tandis que « CANI » désigne les règles coutumières applicables dans les conflits armésnon internationaux.

Le principe de la distinction

La distinction entre civils et combattants

Règle 1. Les parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et combat-tants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des civils. [CAI/CANI]

Règle 2.Les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmila population civile sont interdits. [CAI/CANI]

Règle 3. Tous les membres des forces armées d’une partie au conflit sont des combattants, à l’exception du personnel sanitaire et religieux. [CAI]

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Règle 4. Les forces armées d’une partie à un conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandementresponsable de la conduite de ses subordonnés devant cette partie. [CAI]

Règle 5.On entend par « civils » les personnes qui ne sont pas membres des forces armées. Lapopulation civile comprend toutes les personnes civiles. [CAI/CANI]

Règle 6.Les personnes civiles sont protégées contre les attaques, sauf si elles participent direc-tement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. [CAI/CANI]

La distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires

Règle 7.Les parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre les biens de caractèrecivil et les objectifs militaires. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des objectifs mili-taires. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des biens de caractère civil. [CAI/CANI]

Règle 8.En ce qui concerne les biens, les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leurnature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effec-tive à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisationoffre en l’occurrence un avantage militaire précis. [CAI/CANI]

Règle 9. Sont biens de caractère civil tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires.[CAI/CANI]

Règle 10. Les biens de caractère civil sont protégés contre les attaques, sauf s’ils constituentdes objectifs militaires et aussi longtemps qu’ils le demeurent. [CAI/CANI]

Les attaques sans discrimination

Règle 11. Les attaques sans discrimination sont interdites. [CAI/CANI]

Règle 12. L’expression « attaques sans discrimination » s’entend :

(a) des attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ;

(b) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigées contre un objectif militaire déterminé ; ou

(c) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont leseffets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le droit international humanitaire ;et qui sont, en conséquence, dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctementdes objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil. [CAI/CANI]

Règle 13. Les attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés,qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettementespacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concen-tration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil, sont interdites. [CAI/CANI]

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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La proportionnalité dans l’attaque

Règle 14. Il est interdit de lancer des attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidem-ment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles,des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages,qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. [CAI/CANI]

Précautions dans l’attaque

Règle 15.Les opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargnerla population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautionspratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au mini-mum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civileset les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment.[CAI/CANI]

Règle 16. Chaque partie au conflit doit faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifierque les objectifs à attaquer sont des objectifs militaires. [CAI/CANI]

Règle 17. Chaque partie au conflit doit prendre toutes les précautions pratiquement possiblesquant au choix des moyens et méthodes de guerre en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire auminimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnesciviles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment.[CAI/CANI]

Règle 18.Chaque partie au conflit doit faire tout ce qui est pratiquement possible pour évaluersi une attaque est susceptible de causer incidemment des pertes en vies humaines dans lapopulation civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractèrecivil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport àl’avantage militaire concret et direct attendu. [CAI/CANI]

Règle 19. Chaque partie au conflit doit faire tout ce qui est pratiquement possible pour annulerou suspendre une attaque lorsqu’il apparaît que son objectif n’est pas militaire ou que l’on peutattendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, desblessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaisonde ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret etdirect attendu. [CAI/CANI]

Règle 20. Chaque partie au conflit doit, dans le cas d’attaques pouvant affecter la populationcivile, donner un avertissement en temps utile et par des moyens efficaces, à moins que les circonstances ne le permettent pas. [CAI/CANI]

Règle 21.Lorsque le choix est possible entre plusieurs objectifs militaires pour obtenir un avan-tage militaire équivalent, ce choix doit porter sur l’objectif dont on peut penser que l’attaqueprésente le moins de danger pour les personnes civiles ou pour les biens de caractère civil.[CAI/voire CANI]

Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Précautions contre les effets des attaques

Règle 22. Les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions pratiquement possiblespour protéger contre les effets des attaques la population civile et les biens de caractère civilsoumis à leur autorité. [CAI/CANI]

Règle 23. Chaque partie au conflit doit, dans la mesure de ce qui est pratiquement possible, éviter de placer des objectifs militaires à l’intérieur ou à proximité des zones fortement peuplées.[CAI/voire CANI]

Règle 24. Chaque partie au conflit doit, dans la mesure de ce qui est pratiquement possible,éloigner du voisinage des objectifs militaires les personnes civiles et les biens de caractère civilsoumis à son autorité. [CAI/voire CANI]

Personnes et biens bénéficiant d’une protection spécifiquePersonnel et biens sanitaires et religieux

Règle 25. Le personnel sanitaire exclusivement affecté à des fonctions sanitaires doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de sesfonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi. [CAI/CANI]

Règle 26. Il est interdit de punir une personne pour avoir accompli des tâches médicalesconformes à la déontologie ou de contraindre une personne exerçant une activité de caractèremédical à accomplir des actes contraires à la déontologie. [CAI/CANI]

Règle 27. Le personnel religieux exclusivement affecté à des fonctions religieuses doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de sesfonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi. [CAI/CANI]

Règle 28. Les unités sanitaires exclusivement affectées à des fins sanitaires doivent être respectées et protégées en toutes circonstances. Elles perdent leur protection si elles sontemployées, en dehors de leurs fonctions humanitaires, pour commettre des actes nuisibles àl’ennemi. [CAI/CANI]

Règle 29. Les moyens de transport sanitaire exclusivement réservés au transport sanitaire doivent être respectés et protégés en toutes circonstances. Ils perdent leur protection s’ils sontemployés, en dehors de leurs fonctions humanitaires, pour commettre des actes nuisibles àl’ennemi. [CAI/CANI]

[…/…]

Les garanties fondamentales

Elles sont toutes applicables dans les CAI et CANI. Les principales sont :

Règle 87. Les personnes civiles et les personnes hors de combat doivent être traitées avechumanité. [CAI/CANI]

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Règle 88. Toute distinction de caractère défavorable dans l’application du droit internationalhumanitaire fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou une autresituation, ou tout autre critère analogue, est interdite. [CAI/CANI]

Règle 89. Le meurtre est interdit. [CAI/CANI]

Règle 90. La torture, les traitements cruels ou inhumains et les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, sont interdits. [CAI/CANI]

Règle 91. Les peines corporelles sont interdites. [CAI/CANI]

Règle 92.Les mutilations, les expériences médicales ou scientifiques ou tout autre acte médicalqui ne serait pas motivé par l’état de santé de la personne concernée et qui ne serait pasconforme aux normes médicales généralement reconnues sont interdits. [CAI/CANI]

Règle 93. Le viol et les autres formes de violence sexuelle sont interdits. [CAI/CANI]

Règle 94. L’esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs formes sont interdits.[CAI/CANI]

Règle 95. Le travail forcé non rémunéré ou abusif est interdit. [CAI/CANI]

Règle 96. La prise d’otages est interdite. [CAI/CANI]

Règle 97. L’emploi de boucliers humains est interdit. [CAI/CANI]

Règle 99. La privation arbitraire de liberté est interdite. [CAI/CANI]

[…/…]

Les personnes privées de liberté

Elles sont importantes au regard des personnes capturées :

Règle 118. Les personnes privées de liberté doivent se voir fournir de la nourriture, de l’eau etdes vêtements en suffisance, ainsi qu’un logement et des soins médicaux convenables.[CAI/CANI]

Règle 119.Les femmes privées de liberté doivent être gardées dans des locaux séparés de ceuxdes hommes, sauf dans le cas de familles logées en tant qu’unités familiales, et elles doiventêtre placées sous la surveillance immédiate de femmes. [CAI/CANI]

Règle 120. Les enfants privés de liberté doivent être gardés dans des locaux séparés de ceuxdes adultes, sauf dans le cas de familles logées en tant qu’unités familiales. [CAI/CANI]

Règle 121. Les personnes privées de liberté doivent être gardées dans des locaux éloignés dela zone de combat et qui permettent de préserver leur santé et leur hygiène. [CAI/CANI]

52

Règle 122. Le pillage des effets personnels des personnes privées de liberté est interdit.[CAI/CANI]

Règle 123. Les données personnelles des personnes privées de liberté doivent être enregis-trées. [CAI/CANI]

Règle 124.

A. Dans les conflits armés internationaux, le CICR doit se voir accorder un accès régulier àtoutes les personnes privées de liberté afin de vérifier leurs conditions de détention et derétablir le contact entre ces personnes et leur famille. [CAI]

B. Dans les conflits armés non internationaux, le CICR peut offrir ses services aux partiesau conflit afin de visiter toutes les personnes privées de liberté pour des raisons liées auconflit, dans le but de vérifier leurs conditions de détention et de rétablir le contact entreces personnes et leur famille. [CANI]

Règle 125. Les personnes privées de liberté doivent être autorisées à entretenir une corres-pondance avec leur famille, moyennant des conditions raisonnables touchant la fréquence deséchanges et la nécessité de la censure par les autorités. [CAI/CANI]

Règle 126. Les internés civils et les personnes privées de liberté en relation avec un conflitarmé non international doivent être autorisés, dans la mesure du possible, à recevoir desvisites, et en premier lieu celles de leurs proches. [CAI/CANI]

Règle 127. Les convictions personnelles et les pratiques religieuses des personnes privées deliberté doivent être respectées. [CAI/CANI]

Règle 128.

A. Les prisonniers de guerre doivent être libérés et rapatriés sans délai après la fin des hos-tilités actives. [CAI]

B. Les internés civils doivent être libérés dès que les causes qui ont motivé leur internementcessent d’exister, mais en tout cas dans les plus brefs délais possibles après la fin deshostilités actives. [CAI]

C. Les personnes privées de leur liberté en relation avec un conflit armé non internationaldoivent être libérées dès que les causes qui ont motivé leur privation de liberté cessentd’exister. [CANI] La privation de liberté de ces personnes peut se poursuivre si des procédures pénales sont en cours à leur encontre ou si elles purgent une peine qui a étéprononcée dans le respect de la loi.

Les personnes déplacées ont le droit de regagner volontairement et dans la sécurité leur foyerou leur lieu de résidence habituel dès que les causes de leur déplacement ont cessé d’exister.[CAI/CANI]

[…/…]

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS)

Sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant les conflits armés. 17 septembre 2008

Le Document de Montreux est un document intergouvernemental qui a pour but de promouvoir lerespect du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme lorsque des entre-prises militaires et de sécurité privées (EMSP) opèrent dans le cadre d’un conflit armé. Il n’est pasjuridiquement contraignant à proprement parler, mais présente une compilation des obligationsjuridiques internationales et des bonnes pratiques pertinentes.

Le Document de Montreux est le fruit d’un processus international engagé par la Suisse et le Comitéinternational de la Croix-Rouge (CICR). Il a été adopté par consensus le 17 septembre 2008 par 17 États : Afghanistan, Afrique du Sud, Allemagne, Angola, Australie, Autriche, Canada, Chine, États-Unis d’Amérique, France, Irak, Pologne, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord,Sierra Leone, Suède, Suisse et Ukraine. Le nombre d’États participants augmente constamment.

Ce document :

• contient une compilation de bonnes pratiques destinées à aider les États à prendre desmesures à l’échelon national pour s’acquitter de leurs obligations ;

• souligne les responsabilités de trois types d’États : les États contractants (les pays quicontractent les services d’EMSP), les États territoriaux (les pays sur le territoire desquelsles EMSP opèrent) et les États d’origine (les pays dans lesquels les EMSP sont basées) ;

• précise que les États ont l’obligation de faire respecter le droit international humanitaireet le droit des droits de l’homme, et qu’ils sont donc tenus de prendre des mesures pourprévenir toute mauvaise conduite des EMSP et faire appliquer l’obligation de rendrecompte de tout comportement criminel ;

• rappelle que les EMSP et leur personnel sont liés par le droit international humanitaire etdoivent respecter ses dispositions en toutes circonstances dans les situations de conflitarmé, indépendamment de leur statut ;

• rappelle que toute mauvaise conduite de la part d’EMSP et de leur personnel peut engager,d’une part, la responsabilité pénale des auteurs des violations et de leurs supérieurs hiérarchiques et, d’autre part, la responsabilité de l’État dont ils ont suivi les instructionsou les directives ou sous le contrôle duquel ils ont agi.

ANNEXE 4

LE DOCUMENT DE MONTREUX

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Statut du personnel des EMSP

Le droit international humanitaire fait la distinction entre combattants et civils.

La déclaration 24précise que le statut des membres du personnel des EMSP dans les situationsde conflit armé est déterminé au cas par cas. On ne peut pas affirmer, par exemple, qu’ils sonttoujours des combattants simplement parce qu’ils portent des armes. De même qu’on ne peutpas prétendre qu’ils ont systématiquement le statut de civils parce qu’ils ne sont pas membresdes forces armées. En fonction du contrat sur la base duquel ils sont employés et des servicesqu’ils fournissent, ils peuvent être considérés comme :

• Des civils : c’est probablement le cas pour la grande majorité d’entre eux. En tant que tels,ils bénéficient de la protection accordée aux civils dans les situations de conflit armé.

• Des membres des forces armées, s’ils sont officiellement incorporés aux forces d’un État.Les EMSP réalisent généralement leurs activités en dehors de la chaîne de commande-ment et uniquement sur la base d’un mandat. Par conséquent, il est rare que les membresde leur personnel remplissent les conditions nécessaires pour avoir droit à ce statut. S’ilarrive qu’ils aient ce statut, cependant, ils sont liés non seulement par le droit internationalhumanitaire, mais aussi – en qualité d’agents de l’État – par le droit des droits de l’homme.

• Des membres de milices et d’autres corps de volontaires appartenant à un État partie à un conflit armé au sens de l’article 4.A.2) de la IIIe Convention de Genève ou du ProtocoleAdditionnel I. C’est le cas si, dans les situations de conflit armé international, des EMSPconstituent un groupe armé organisé « appartenant » à une partie au conflit et remplissantles quatre critères suivants : être placé sous un commandement responsable, avoir unsigne distinctif fixe, porter ouvertement les armes et se conformer aux lois et coutumesde la guerre

Protection du personnel des EMSP contre les attaques

La déclaration 25 énonce que si les membres du personnel des EMSP ont le statut de civils (ce qui est le cas la plupart du temps), ils ne peuvent pas être la cible d’attaques. Toutefois, ledroit international humanitaire établit que les civils perdent cette protection contre les attaquess’ils participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

Garder une base militaire pour la protéger des attaques ennemies, recueillir des renseigne-ments militaires tactiques et actionner des systèmes d’armement dans des opérations de combat sont des activités auxquelles le personnel des EMSP peut être associé et qui constituentune participation directe aux hostilités.

Les membres du personnel des EMSP sont-ils des mercenaires ?

La notion de mercenaire est définie en droit international humanitaire. En vertu de l’article 47du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève de 1949, applicable dans les situationsde conflit armé international, un mercenaire est une personne :

1) qui est spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé ;

2) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;

3) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel ;

4) qui n’est ni ressortissant d’une partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé parune partie au conflit ;

5) qui n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit ; et

6) qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une partie au conflit en mission officielleen tant que membre des forces armées dudit État.

Cette définition ne s’applique pas à la plupart des membres du personnel des EMSP, dans la mesure où la majorité d’entre eux ne sont pas engagés pour combattre dans le cadre d’opérations militaires, et où beaucoup sont des ressortissants de l’une des parties au conflit.En outre, il est difficile d’établir s’ils sont motivés par le désir d’obtenir un avantage personnel.Il est vraisemblable que ce n’est pas le cas de tous. Enfin, si certains prestataires de servicesprivés sont réputés percevoir une rémunération très élevée, il serait toutefois difficile de véri-fier si leur rémunération est nettement supérieure à celle des soldats.

Cela étant, les employés des EMSP remplissent parfois les critères énoncés dans la définitiondu statut de mercenaire. Si tel est le cas, ils n’ont pas droit au statut de combattants ou de prisonniers de guerre dans un conflit armé international.

Maintenant que le Document de Montreux existe, la priorité est d’assurer sa diffusion et sa mise enœuvre. À mesure que le cercle des États participants s’élargira, il est à souhaiter que le Documentservira de référence pour toutes les relations qui seront établies – au niveau national ou inter-national – avec des EMSP dans les conflits armés et d’autres situations de violence. Il faut égalementespérer que le Document de Montreux sera le point de départ d’efforts d’autoréglementation ausein du secteur des EMSP.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS) de Toni Pfanner64

Référence : REVUE INTERNATIONALE de la CROIX-ROUGEVolume 87 Sélection française 2005

[…/…]

L’espoir de la réciprocité, en tant que motivation fondamentale pour respecter le droit, est souvent illusoire et remplacé par un comportement perfide, les opérations occultes prennent le pas sur lesbatailles ouvertes, des « règles spéciales » sont élaborées pour les « situations spéciales ».

Le phénomène de la guerre asymétrique constitue le thème du présent article. Dans ce type deguerre, les parties sont de forces inégales, et le principe de l’égalité des armes ne s’applique pas.

Le but fondamental de la guerre asymétrique consiste à trouver le moyen de ne pas devoir s’inclinerdevant la supériorité militaire de la partie adverse en décelant ses faiblesses et en les exploitantau maximum. Les belligérants ne sont jamais identiques.

[…/…]

Guerre asymétrique et droit international humanitaire

Les guerres asymétriques ne correspondent ni au concept de guerre de Clausewitz ni auconcept traditionnel figurant dans le droit international humanitaire. La question de savoir siles défis de la guerre asymétrique peuvent être relevés avec le droit de la guerre actuel peutêtre débattue. Les guerres entre États sont de plus en plus rares – il est donc possible que lesnormes du droit international qui ont été conçues pour elles deviennent également obsolètes.

En cas de guerre entre États, chaque adversaire est censé se trouver dans une position de licéitéet de légitimité ; par contre, en cas de conflit interne (et en particulier dans la « guerre » contrele terrorisme), les parties non étatiques sont réputées ne pas posséder de telles prérogatives.Qu’il en soit ou non ainsi, les règles du droit international humanitaire relatives aux conflitsarmés non internationaux montrent clairement que l’observation de ces règles ne devrait pasavoir d’effet sur le statut juridique des parties au conflit.

ANNEXE 5LES GUERRES ASYMÉTRIQUES VUES SOUS L’ANGLE DU DIH

64 Rédacteur en chef de la Revue internationale de la Croix-Rouge.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Le fait de vouloir étendre aux parties non étatiques engagées dans une guerre les principes du droit international humanitaire énoncés dans l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève (qui a trait aux conflits armés ne présentant pas un caractère international) peutfacilement être mal interprété et perçu comme une tentative visant à conférer une légitimitéaux parties non étatiques.

[…/…]

L’essentiel du droit international humanitaire repose sur l’anticipation d’une réciprocité. Il estdonc anticipé que l’ennemi (c’est-à-dire les membres des forces armées ennemies) se compor-tera de la même manière, ou tout au moins de manière similaire.

Dans les guerres asymétriques, l’anticipation de la réciprocité est fondamentalement trahie.

En de tels cas, la partie adverse commence à avoir le sentiment qu’il serait plus avantageuxpour elle de ne pas se considérer liée par le droit de la guerre.

[…/…]

Règles universellement valables pour les parties asymétriques engagées dans un conflit

Pour le CICR, ces règles et principes humanitaires ayant force obligatoire revêtent une impor-tance capitale lorsque l’institution se trouve confrontée au phénomène de la guerre asymétrique.Ils offrent en effet une alternative à la réciprocité…

[…/…]

Conclusion

Les guerres asymétriques ne cadrent ni avec le concept de la guerre de Clausewitz ni avec leconcept traditionnel du droit international humanitaire. Dans une telle guerre asymétrique, lapartie la plus faible sur le plan militaire peut être tentée d’employer des méthodes illicites pourtenir tête à son adversaire et exploiter ses faiblesses. Le terrorisme international – qui équivautà une situation de guerre puisqu’il perturbe des sociétés et même l’ordre mondial – est l’illus-tration de ce type de guerre asymétrique.

L’asymétrie a des incidences sur la licéité de la guerre, sur la légitimité des belligérants et surles intérêts en jeu dans l’application du droit international humanitaire.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS)

Le projet de Manuel de Tallinn sur l’applicabilité du droit international à la guerre cybernétique a étéinitié par le Centre de cyber défense de l’OTAN qui se situe à Tallinn en Estonie. Il a été dirigé pendanttrois ans, par le Professeur Michael Schmitt 66 de l’US Naval War College, célèbre notamment pour un article rédigé sur le sujet. Une vingtaine d’experts indépendants (professeurs de droit, militaires,techniciens informatiques) principalement anglo-saxon, ont travaillé sur l’application concrète du droitinternational aux conflits cyber. Le CICR a participé aux travaux.

L’objectif principal du Manuel est d’interpréter les normes de droit international aux conflits cyber.

Les experts ont trouvé un consensus sur :

• La qualification d’emploi de la force. L’opération cyber constitue un emploi de la forcelorsque son niveau (degré/seuil d’intensité) et ses effets sont comparables à une opérationtraditionnelle (non cyber) qui aurait atteint le niveau de l'emploi de la force.

• La qualification d’agression armée. L’opération cyber constitue une agression arméelorsque l’emploi de la force atteint un seuil élevé en termes de degré, de niveau d'intensitéet selon les effets engendrés : pertes en vies humaines, blessures aux personnes ou desdommages aux biens.

• L’attaque cyber est une opération cybernétique, offensive ou défensive dont on peut raisonnablement attendre qu’elle cause des pertes en vies humaines, des blessures auxpersonnes, des dommages ou des destructions de biens.

Pour les individus participant directement aux hostilités, trois critères proposés par le CICR ontété validés :

• L’acte ou la série d’actes doit avoir pour effets d’affecter négativement les capacitésmilitaires de l’adversaire, infliger la mort, des violences physiques ou la destruction dematériels ou tous biens protégés ;

• Un lien direct doit exister entre l’acte en question et les effets de celui-ci.

• L’acte doit avoir un lien direct avec les hostilités. Mais aucun consensus n’a été trouvé lorsd’une participation directe aux hostilités répétées.

annexe 6

COMMENTAIRES DU RAPPORT DE TALLINN65

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65 Le projet de Manuel est consultable en ligne sur le site du CCD CoE : http://www.ccdcoe.org/249.html66 Il est le président et professeur à la faculté de droit, United States Naval War College. De 2009 à 2012, il a servi

comme directeur du Centre OTAN Cooperative Cyber Defence, et a dirigé à ce titre les travaux du Manuel de Tallinn.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS)

INTERVIEW du 16 août 2011, réalisé par le CICR auprès de Madame Cordula Droege.

Qu’entendez-vous par « guerre informatique » et en quoi préoccupe-t-elle le CICR ?

Nous entendrons par guerre informatique les moyens et méthodes de guerre qui s’appuientsur la technologie de l’information – ou cyber technologie –, et qui sont utilisés dans le cadred’un conflit armé au sens du droit international humanitaire, par opposition aux opérationsmilitaires cinétiques traditionnelles.

De même, des termes tels que « cyberattaques », « cyber opérations » ou « attaques contredes réseaux informatiques », n’ont pas de signification juridique internationalement reconnue.Nous utiliserons, quant à nous, le terme assez large de « cyber opérations » pour désigner desopérations dirigées contre un ordinateur ou un réseau informatique, ou par le biais de ceux-ci, grâce à des flux de données.

Le droit international humanitaire s’applique-t-il aux cyber opérations ?

Le droit international humanitaire (DIH) n’entre en ligne de compte que si des attaques infor-matiques se produisent dans le cadre d’un conflit armé – que ce soit entre des États, entredes États et des groupes armés organisés ou entre des groupes armés organisés. Une grandepart des opérations familièrement qualifiées de cyberattaques consiste en réalité en desattaques visant à exploiter des réseaux pour recueillir illicitement des informations, et ellesont lieu hors du cadre d’un conflit armé. Néanmoins, dans les situations de conflit armé, leDIH s’applique lorsque les parties ont recours à des moyens et méthodes de guerre qui fontappel à la cyber technologie.

Le principe de distinction et l’interdiction des attaques indiscriminées et disproportionnées sont-ilsapplicables ?

Il apparaît que les systèmes informatiques militaires sont souvent interconnectés avec dessystèmes commerciaux civils dont ils dépendent intégralement ou partiellement. Il n’est parconséquent pas toujours possible de lancer une attaque informatique contre une infrastructuremilitaire et d’en limiter les effets à ce seul objectif militaire.

annexe 7

PAS DE VIDE JURIDIQUE DANS LE CYBERESPACE

Obligation de prendre des précautions ?

Les parties à un conflit ont l’obligation de prendre les précautions nécessaires contre leseffets des attaques. Aussi serait-il indiqué, dans le but de protéger la population civile contreles effets indirects de ces attaques, qu’elles s’assurent que les systèmes informatiques militaires soient suffisamment indépendants des systèmes civils. Le fait que des systèmesinformatiques militaires dépendent de systèmes gérés par des entreprises civiles et égale-ment utilisés à des fins civiles, et qu’ils y soient interconnectés, pourrait être une source depréoccupation.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

(EXTRAITS)

1. Définition

Une personne capturée est une personne dont la restriction ou la privation temporaire de libertépar les armées est nécessaire pour l'accomplissement de la mission. Une personne peut être capturée à l’occasion de toutes les phases d’engagement, y compris lors d’une reddition.

2. Finalités de la capture

La capture procède à l’origine à une nécessité opérationnelle, justifie également l’exploitation decette opportunité tactique à des fins de renseignement.

La capture affaiblit l’ennemi ; elle cherche aussi à le démobiliser.

Elle constitue un point d’appui pour le travail des experts de l’influence.

La légitimité de l’action militaire est jugée au travers de la réalisation de ses buts mais aussi de lafaçon de les atteindre.

3. Modalités de traitement des personnes capturées

Toute capture doit donner lieu à une analyse du statut à attribuer à la personne détenue :

• Dans un conflit armé international, le combattant capturé bénéficie du statut de « prison-nier de guerre ». Il bénéficie de la protection la plus étendue, prévue par la 3e conventionde Genève et le Protocole Additionnel I. L’internement est provisoire. La libération et lerapatriement s’effectuent à la fin des hostilités.

• Dans un conflit armé non international, la personne capturée est dite « privée de liberté »,elle bénéficie des garanties fondamentales prévues dans le cadre de l’article 3 communaux conventions de Genève et du Protocole Additionnel II.

• Dans le cadre d’une situation ne correspondant pas au conflit armé, les « personnes rete-nues dans le cadre d’une opération militaire » ne sont pas prévues par le corpus juridiqueinternational des conflits armés.

annexe 8

DIA 3.2.5 N°095/DEF/CICDE/NP DU 9 JUIN 2011

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Cependant, tout individu capturé au cours d’un engagement militaire bénéficie d’un traitementrespectueux de sa condition d’être humain, du droit de la guerre, du droit national et du droit inter-national. Les principes d’Humanité et de responsabilité (la puissance détentrice est responsabledu traitement des personnes) s’appliquent.

Les personnes capturées ne peuvent être détenues indéfiniment.

En planification, les deux points suivants doivent être clarifiés.

• La juridiction compétente. Lorsque cela sera possible, il est préférable que celle-ci soitprécisée dans le mandat et/ou dans les ordres donnés à la force ;

• Les directives relatives à la rétention doivent figurer dans le mandat. À défaut, le responsablede la mission doit faire en sorte que toutes les dispositions soient prises pour présenter,dans les meilleurs délais compatibles avec la mission, la personne capturée à la juridictioncompétente, sans pour autant mettre en danger les militaires ou la personne elle-même,ni hypothéquer ou entraver le déroulement des opérations. Le flou entourant ce point enmontre la difficulté.

La capture et la rétention de personnes dans le cadre des engagements militaires doivent être pré-vues dans le mandat de la mission, et être également autorisées dans la mesure où leur licéitépeut être contestée. L’appréciation sur la convergence des intérêts opérationnels et des contraintesjuridiques accorde subsidiairement au commandement la responsabilité de garder ou de relâcherune personne capturée.

LE CYCLE DE TRAITEMENT

Désarmement

Fouille

Identification

Bilan sanitaire et examen médical

Triage

Entretien

Regroupement

Rétention

Transfert

La bonne santé des personnes capturées doit être préservée à hauteur des moyens disponibles.Les conditions de logement des personnes retenues ne doivent en aucun cas être préjudiciablesà leur santé. Les rations alimentaires quotidiennes doivent être suffisantes en quantité, qualité,

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

et variété. L’habillement, le linge et les chaussures peuvent être fournis en quantité suffisante auxpersonnes retenues afin d’assurer les meilleures conditions possibles de salubrité et d’hygiène.Les personnes capturées sont également autorisées à expédier et recevoir du courrier. Toute per-sonne capturée dans le cadre d’un engagement militaire, doit bénéficier du minimum de garantiesfondamentales telles que prévues par le droit international des droits de l’homme, en particulierl’article 3 commun aux Conventions de Genève. Toute personne a fondamentalement droit au respect de sa dignité et de sa liberté.

Exceptions

Plusieurs situations particulières conduisent à aller au-delà des principes généraux :

• Les personnes blessées

• Les femmes

• Les enfants (– 15 ans)

4. La prise en compte de la gestion des personnes capturées dans les engagements militaires

La gestion des personnes capturées doit être intégrée dès la phase de préparation des forces. Elledoit être traitée comme une ligne d’opération dans la planification et la génération de forces, tantdu point de vue des opérations à conduire que du soutien à y consacrer.

Préparation

• La formation au droit

Le droit constitue un élément de légitimation de l’action militaire. Il ne doit pas apparaîtrecomme une contrainte ou générer des inhibitions. En effet, il fournit le cadre légal del’opération, étaye ainsi l’engagement militaire et protège de surcroît le militaire dans l’accomplissement de sa mission.

• Aptitude du soldat au contact des personnes capturées

Le militaire doit être formé aux tâches particulières liées à la gestion des personnes cap-turées (comportement, gestion de foule, fouille…), et il doit être prêt mentalement à lasituation paradoxale de devoir relâcher une personne capturée.

Planification

• Définition du cadre légal d’engagement

Les dispositions juridiques d’engagement en général et celles concernant la gestion despersonnes capturées en particulier sont précisées pour chaque type d’opération. Le cadrelégal d’engagement est défini en amont de la planification afin de participer à la légitimationde l’emploi de la force ; il s’inscrit dans le processus de planification et se concrétise par

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

les règles d’engagement et de comportement. Il est rappelé que « l’élaboration des ROEintervient dès les premières phases du processus de planification, de l’initialisation à larédaction du plan d’opération. Elle est du ressort du niveau stratégique, en liaison avec lesniveaux opératif et tactique ».

• Soutien humain et matériel de la gestion des personnes capturées

Deux catégories de personnel peuvent gérer les personnes capturées : d’une part, lesforces dédiées qui se consacrent au traitement ponctuel des personnes capturées maisdont l’activité essentielle relève d’une autre mission opérationnelle ou de soutien et, d’autre part, des forces consacrées qui sont des unités spécialisées dont la mission estle traitement des personnes capturées. Les captures sont inhérentes aux actions mili-taires ; les moyens alloués pour en gérer les conséquences doivent donc correspondre àcette perspective tactique. Chaque chaîne de commandement, en coalition ou non, doitprendre ses dispositions pour assumer cette conséquence potentielle des engagementsmilitaires.

Contrôle

• En interne

Tous les niveaux de commandement et d’exécution ont une part de responsabilité dans la gestion des personnes capturées. Dès lors que des personnes sont capturées par desmilitaires de la force, la chaîne de commandement doit en être informée afin de prendreles mesures de coordination nécessaires. Ces mesures internes concrétisent la respon-sabilité de la rétention par la force armée.

• En externe

Les mesures de coordination externes permettent d’informer l’entourage de la personnecapturée de sa situation vis-à-vis de l’autorité militaire. L’information doit être élargie auxacteurs locaux intéressés d’en connaître pour des motifs humanitaire, administratif oujudiciaire.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949 (extraits)

TITRE IIPROTECTION GÉNÉRALE

DES PRISONNIERS DE GUERRE

ART. 12. — Les prisonniers de guerre sont au pouvoir de la Puissance ennemie, mais non des indi-vidus ou des corps de troupe qui les ont faits prisonniers. Indépendamment des responsabilitésindividuelles qui peuvent exister, la Puissance détentrice est responsable du traitement quileur est appliqué.

Les prisonniers de guerre ne peuvent être transférés par la Puissance détentrice qu’à une Puis-sance partie à la Convention et lorsque la Puissance détentrice s’est assurée que la Puissanceen question est désireuse et à même d’appliquer la Convention. Quand des prisonniers sontainsi transférés, la responsabilité de l’application de la Convention incombera à la Puissancequi a accepté de les accueillir pendant le temps qu’ils lui seront confiés. Néanmoins, au cas oùcette Puissance manquerait à ses obligations d’exécuter les dispositions de la Convention, surtout point important, la Puissance par laquelle les prisonniers de guerre ont été transférés doit,à la suite d’une notification de la Puissance protectrice, prendre des mesures efficaces pourremédier à la situation, ou demander que lui soient renvoyés les prisonniers de guerre. Il devraêtre satisfait à cette demande.

ART. 13. — Les prisonniers de guerre doivent être traités en tout temps avec humanité. Tout acteou omission illicite de la part de la Puissance détentrice entraînant la mort ou mettant grave-ment en danger la santé d’un prisonnier de guerre en son pouvoir est interdit et sera considérécomme une grave infraction à la présente Convention. En particulier, aucun prisonnier deguerre ne pourra être soumis à une mutilation physique ou à une expérience médicale ouscientifique de quelque nature qu’elle soit qui ne serait pas justifiée par le traitement médicaldu prisonnier intéressé et qui ne serait pas dans son intérêt.

Les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contretout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. Lesmesures de représailles à leur égard sont interdites.

ART. 14. — Les prisonniers de guerre ont droit en toutes circonstances au respect de leur personneet de leur honneur.

annexe 9ARTICLES DU DROIT INTERNATIONAL

HUMANITAIRE PERTINENTS

Les femmes doivent être traitées avec tous les égards dus à leur sexe et bénéficier en toutcas d’un traitement aussi favorable que celui qui est accordé aux hommes.

Les prisonniers de guerre conservent leur pleine capacité civile telle qu’elle existait aumoment où ils ont été faits prisonniers. La Puissance détentrice ne pourra en limiter l’exercicesoit sur son territoire, soit en dehors, que dans la mesure où la captivité l’exige.

ART. 15. — La Puissance détentrice des prisonniers de guerre sera tenue de pourvoir gratuitementà leur entretien et de leur accorder gratuitement les soins médicaux que nécessite leur étatde santé.

ART. 16.— Compte tenu des dispositions de la présente Convention relatives au grade ainsi qu’ausexe, et sous réserve de tout traitement privilégié qui serait accordé aux prisonniers de guerreen raison de leur état de santé, de leur âge ou de leurs aptitudes professionnelles, les prison-niers doivent tous être traités de la même manière par la Puissance détentrice, sans aucunedistinction de caractère défavorable, de race, de nationalité, de religion, d’opinions politiquesou autre, fondée sur des critères analogues.

Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,

12 août 1949

ART. 5.— La présente Convention s'appliquera aux personnes visées à l'article 4 dès qu'elles seronttombées au pouvoir de l'ennemi et jusqu'à leur libération et leur rapatriement définitifs.

S'il y a doute sur l'appartenance à l'une des catégories énumérées à l'article 4 des personnesqui ont commis un acte de belligérance et qui sont tombées aux mains de l'ennemi, lesditespersonnes bénéficieront de la protection de la présente Convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent.

Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949,relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux

(Protocole I), 8 juin 1977

Garanties fondamentales

ART. 75. — Garanties fondamentales

1. Dans la mesure où elles sont affectées par une situation visée à l'article premier du présentProtocole, les personnes qui sont au pouvoir d'une Partie au conflit et qui ne bénéficientpas d'un traitement plus favorable en vertu des Conventions et du présent Protocole seront

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

traitées avec humanité en toutes circonstances et bénéficieront au moins des protectionsprévues par le présent article sans aucune distinction de caractère défavorable fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, les opinions politiquesou autres, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou une autre situation, ou tout autre critère analogue. Chacune des Parties respectera la personne, l'honneur, les convictions et les pratiques religieuses de toutes ces personnes.

2. Sont et demeureront prohibés en tout temps et en tout lieu les actes suivants, qu'ils soientcommis par des agents civils ou militaires :

a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, notamment :

i) le meurtre ;ii) la torture sous toutes ses formes, qu'elle soit physique ou mentale ;iii) les peines corporelles ; etiv) les mutilations ;

b) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants etdégradants, la prostitution forcée et toute forme d'attentat à la pudeur ;

c) la prise d'otages ;

d) les peines collectives ; et

e) la menace de commettre l'un quelconque des actes précités.

Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux

(Protocole II), 8 juin 1977

ART. 4. — Garanties fondamentales

1. Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hosti-lités, qu'elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, deleur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutescirconstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable.Il est interdit d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants.

2. Sans préjudice du caractère général des dispositions qui précèdent, sont et demeurentprohibées en tout temps et en tout lieu à l'égard des personnes visées au paragraphe 1 :

a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes,en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, lesmutilations ou toutes formes de peines corporelles ;

b) les punitions collectives ;

c) la prise d'otages ;

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

d) les actes de terrorisme ;

e) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants etdégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ;

f) l'esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs formes ;

g) le pillage ;

h) la menace de commettre les actes précités.

3. Les enfants recevront les soins et l'aide dont ils ont besoin et, notamment :

a) ils devront recevoir une éducation, y compris une éducation religieuse et morale, telleque la désirent leurs parents ou, en l'absence de parents, les personnes qui en ont lagarde ;

b) toutes les mesures appropriées seront prises pour faciliter le regroupement desfamilles momentanément séparées ;

c) les enfants de moins de quinze ans ne devront pas être recrutés dans les forces ougroupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités ;

d) la protection spéciale prévue par le présent article pour les enfants de moins dequinze ans leur restera applicable s'ils prennent directement part aux hostilités endépit des dispositions de l'alinéa c et sont capturés ;

e) des mesures seront prises, si nécessaire et, chaque fois que ce sera possible, avec leconsentement des parents ou des personnes qui en ont la garde à titre principal envertu de la loi ou de la coutume, pour évacuer temporairement les enfants du secteuroù des hostilités ont lieu vers un secteur plus sûr du pays, et pour les faire accompagnerpar des personnes responsables de leur sécurité et de leur bien-être.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

THE COPENHAGEN PROCESS : PRINCIPLES AND GUIDELINES 19 OCTOBER 2012

1. The Copenhagen Process Principles and Guidelines apply to the detention of persons who arebeing deprived of their liberty for reasons related to an international military operation.

2. All persons detained or whose liberty is being restricted will in all circumstances be treatedhumanely and with respect for their dignity without any adverse distinction founded on race,colour, religion or faith, political or other opinion, national or social origin, sex, birth, wealth orother similar status. Torture, and other cruel, inhuman, or degrading treatment or punishmentis prohibited.

3. Persons not detained will be released.

4. Detention of persons must be conducted in accordance with applicable international law. Whencircumstances justifying detention have ceased to exist a detainee will be released.

5. Detaining authorities should develop and implement standard operating procedures and otherrelevant guidance regarding the handling of detainees.

6. Physical force is not to be used against a detained person except in circumstances where suchforce is necessary and proportionate.

7. Persons detained are to be promptly informed of the reasons for their detention in a languagethat they understand.

8. Persons detained are to be promptly registered by the detaining authority.

9. Detaining authorities are responsible for providing detainees with adequate conditions of detentionincluding food and drinking water, accommodation, access to open air, safeguards to protecthealth and hygiene, and protection against the rigours of the climate and the dangers of militaryactivities. Wounded and sick detainees are to receive the medical care and attention required by their condition.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

annexe 10PRINCIPES ET DIRECTIVES DU PROCESSUS DE COPENHAGUE (VERSION ANGLAISE)

10. Persons detained are to be permitted to have appropriate contact with the outside world inclu-ding family members as soon as reasonably practicable. Such contact is subject to reasonableconditions relating to maintaining security and good order in the detention facility and othersecurity considerations. Persons detained are to be held in a designated place of detention.

11. In non-international armed conflict and where warranted in other situations, the detainingauthority is to notify the ICRC or other impartial humanitarian organisation of the deprivationof liberty, release or transfer of a detainee. Where practicable, the detainee’s family is to benotified of the deprivation of liberty, release or transfer of a detainee.

Detaining authorities are to provide the ICRC or other relevant impartial international or nationalorganisations with access to detainees.

12. A detainee whose liberty has been deprived for security reasons is to, in addition to a promptinitial review, have the decision to detain reconsidered periodically by an impartial and objectiveauthority that is authorised to determine the lawfulness and appropriateness of continueddetention.

13. A detainee whose liberty has been deprived on suspicion of having committed a criminaloffence is to, as soon as circumstances permit, be transferred to or have proceedings initiatedagainst him or her by an appropriate authority. Where such transfer or initiation is not possiblein a reasonable period of time, the decision to detain is to be reconsidered in accordance withapplicable law.

14. Detainees or their representatives are to be permitted to submit, without reprisal, oral or written complaints regarding their treatment or conditions of detention. All complaints are tobe reviewed and, if based on credible information, be investigated by the detaining authority.

15. A State or international organisation will only transfer a detainee to another State or authority in compliance with the transferring State’s or international organisation’s international law obligations. Where the transferring State or international organisation determines it appropriateto request access to transferred detainees or to the detention facilities of the receiving State, thereceiving State or authority should facilitate such access for monitoring of the detainee until suchtime as the detainee has been released, transferred to another detaining authority, or convictedof a crime in accordance with the applicable national law.

16. Nothing in The Copenhagen Process Principles and Guidelines affects the applicability of international law to international military operations conducted by the States or internationalorganisations ; or the obligations of their personnel to respect such law ; or the applicabilityof international or national law to non-State actors.

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Étude sur le Droit International Humanitaire et les conflits d’aujourd’hui(application du droit des conflits armés par les forces terrestres)

De Knut Dörmann

Référence : REVUE INTERNATIONALE de la CROIX-ROUGE – n° 849 – 2003

Étant donné que les personnes participant illégalement aux hostilités n’ont pas droit à la protectionque confère la III e Convention de Genève relative aux prisonniers de guerre, l’auteur examine laquestion controversée de savoir si les « combattants illégaux » entrent dans le champ d’applicationde la IV e Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du12 août 1949.

Terminology

[…/…]

Whereas the terms “combatant”, “prisoner of war” and “civilian” are generally used and definedin the treaties of international humanitarian law, the terms “unlawful combatant”, “unprivilegedcombatant/belligerent” do not appear in them.

For the purposes of this article the term “unlawful/unprivileged combatant/belligerent” is unders-tood as describing all persons taking a direct part in hostilities without being entitled to do so and who therefore cannot be classified as prisoners of war on falling into the power of the enemy.

If a person who has participated directly in hostilities is captured on the battlefield, it may notbe obvious to which category that person belongs. For such types of situations Article 5 of GC III(cf. Annexe 10) provides for a special procedure (competent tribunal) to determine the captive’sstatus.

[…/…]

The legal protection of unlawful combatants under GC IV

The personal field of application of GC IV is defined in the following terms. Article 4 (1) specifies :

“Persons protected by the Convention are those who, at a given moment and in any mannerwhatsoever, find themselves, in case of a conflict or occupation, in the hands of a Party to theconflict or Occupying Power of which they are not nationals.”

[…/…]

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annexe 11SITUATION JURIDIQUE DES COMBATTANTS

ILLÉGAUX (TEXTE EN ANGLAIS)

Minimum guarantees under customary international law

[…/…]

The minimum guarantees applicable to all persons in the power of a party to conflict are definednowadays in Article 75 of PI (cf. Annexe 9).

[…/…]

Finally, the latter also apply to the person concerned when the fourth Convention as a wholeapplies to him, whenever the treatment resulting from this would be more favourable to him.

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Le guide du droit régissant les interrogatoires

Introduction

[…/…]

Les obligations juridiques des Forces Canadiennes (FC), et les normes afférentes, découlentdu droit international, du droit national ainsi que de la doctrine militaire. Ces sources du droitforment un tout constituant le cadre juridique applicable à la cueillette de renseignements et à l’interrogatoire des détenus dans un contexte opérationnel. Le contenu et le champ d’application des diverses sources du droit et des politiques pertinentes pouvant s’appliquerlors d’une opération donnée, ainsi que les liens qui existent entre elles, requièrent une analysejuridique minutieuse et complexe.

[…/…]

Plus précisément, en situation de conflit armé international ou de conflit armé non international,le DIH est reconnu comme constituant des règles spéciales (lex specialis), et le droit internationaldes droits de la personne (DIDP), des règles générales (lex generalis)67.

Les deux normes principales à la base de ce domaine du droit sont les suivantes : les détenusdoivent être traités humainement et protégés contre toute forme de coercition. Dans cetteoptique, il est clair que des obligations positives et négatives sont en jeu. En outre, l’on peutdégager un autre principe fondamental portant que pour être légitime, à tout le moins, un agis-sement doit avoir un objectif concret directement et résolument aux processus d’enquête.

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annexe 12L’APPROCHE CANADIENNE

DES PERSONNES CAPTURÉES

67 Voir, de façon générale :• Heintze, « De la relation entre le droit international humanitaire et la protection qu’assure le droit des droits

de l’homme » (2004) 86 Revue internationale de la Croix-Rouge 789 ; • Schabas, « Lex Specialis? Belt and Suspenders? The Parallel Operation of Human Rights Law and the Law of

Armed Conflict, and the Conundrum of Jus Ad Bellum » (2007) 40 Isr. L. Rev. 592 ; • Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] C.I.J. rec. 226 ; • Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, Avis consultatif, [2004]

C.I.J. rec. 136.

I. La doctrine des Forces Canadiennes

A) Norme de traitement

« La politique des Forces canadiennes est de traiter toutes les personnes capturées ou détenues comme s’il s’agissait de PG, c’est-à-dire au plus haut standard requis par le droitinternational humanitaire ».

Les FC devront, à tout le moins, se conformer à l’esprit et aux principes du droit des conflitsarmés lors de toute opération à l’extérieur du Canada. Les règles du DIH s’appliquent toujoursaux interrogatoires menés par les FC, même si ces activités ne relèvent pas d’un déploiementinternational (ou d’une opération internationale) dans un sens strictement juridique.

Les personnes soumises à un interrogatoire auront au moins droit aux protections garantiespar la troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,que cette dernière s’applique ou non en droit.

Se trouvant aux mains de l’ennemi, un individu doit avoir un statut selon le droit interna-tional : il est soit un prisonnier de guerre couvert par la 3 e Convention, soit une personnecivile couverte par la 4 e Convention, soit […] un membre du personnel sanitaire des forcesarmées couvert par la I re Convention. Il n’y a pas de statut intermédiaire ;aucune personnese trouvant aux mains de l’ennemi ne peut être en dehors du droit […].

Cela étant dit, la politique des FC prévoit que tous les détenus doivent être traités comme s’ils’agissait de PG. Il est donc possible d’affirmer que, sans égard au caractère internationalou non international du conflit armé et sans égard au statut juridique de la personne détenue,celle-ci sera traitée comme s’il s’agissait d’un PG.

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Règlement annexé à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 18 octobre 1907.

(Extraits)

ANNEXE À LA CONVENTION

Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.

[…]

SECTION II – DES HOSTILITÉS

CHAPITRE I – Des moyens de nuire à l'ennemi, des sièges et des bombardements.

Article 22.

Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi.

Article 23.

Outre les prohibitions établies par des conventions spéciales, il est notamment interdit :

a. d'employer du poison ou des armes empoisonnées ;

b. de tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la nation ou à l'arméeennemie ;

c. de tuer ou de blesser un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus lesmoyens de se défendre, s'est rendu à discrétion ;

d. de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier ;

e. d'employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des mauxsuperflus ;

f. d'user indûment du pavillon parlementaire, du pavillon national ou des insignesmilitaires et de l'uniforme de l'ennemi, ainsi que des signes distinctifs de la Conven-tion de Genève ;

g. de détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf les cas où ces destructions ouces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ;

h. de déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice, les droits et actionsdes nationaux de la Partie adverse.

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annexe 13

LES LOIS ET LES COUTUMES DE LA GUERRE

Il est également interdit à un belligérant de forcer les nationaux de la Partie adverse àprendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même dans le cas où ilsauraient été à son service avant le commencement de la guerre.

Article 24.

Les ruses de guerre et l'emploi des moyens nécessaires pour se procurer des renseigne-ments sur l'ennemi et sur le terrain sont considérés comme licites.

Article 25.

Il est interdit d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus.

Article 26.

Le commandant des troupes assaillantes, avant d'entreprendre le bombardement, et sauf le cas d'attaque de vive force, devra faire tout ce qui dépend de lui pour en avertir lesautorités.

Article 27.

Dans les sièges et bombardements, toutes les mesures nécessaires doivent être prisespour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts, auxsciences et à la bienfaisance, les monuments historiques, les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition qu'ils ne soient pas employés enmême temps à un but militaire.

Le devoir des assiégés est de désigner ces édifices ou lieux de rassemblement par dessignes visibles spéciaux qui seront notifiés d'avance à l'assiégeant.

Article 28.

Il est interdit de livrer au pillage une ville ou localité même prise d'assaut.

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BOUVIER A., QUINTIN A., SASSOLI M.

Un Droit dans la guerre ?

CICR, GENÈVE, 3e édition 2011

DOARÉ R., FRIN P.

La responsabilité des militaires

ECONOMICA, PARIS, 2013

HENCKAERTS J.-M.

Droit international humanitaire coutumier

CICR, BRUYLANT, GENÈVE, 2011

TOUGAS M.-L.

Droit international, sociétés militaires privées et conflit armés

BRUYLANT, GENÈVE, 2011

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BIBLIOGRAPHIE

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Résumé des Conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs Protocoles Additionnels

CICR, GENÈVE, 2013

CDEF

Mémento des fondamentaux juridiques à l’usage d’un commandant d’une Force Terrestre en opération extérieure

CDEF/DDO, 1er mars 2013

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