etude du combat germanique à l'épée longue à partir du ms3227a

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LES APPORTS DU CODEX Ms. 3227a POUR L’ETUDE DU COMBAT MEDIEVAL. Pierre-Henry Bas À mes chers Maîtres... Cet exposé est une ébauche concernant l’étude des Fechtbücher ou livres d’armes afin de comprendre l’intérêt de leur étude en parallèle aux autres sources du Bas Moyen Âge dans le cadre de notre travail sur le combat médiéval. Il est à noter que cette démarche se fera progressivement et sera donc à compléter vu la complexité de certains de ses aspects et que son étude fait appel indubitablement à l’expérimentation gestuelle afin d’en aborder toutes les subtilités que ce soit par des questions ou des réponses. 1 1

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Il s'agit d'une vieille étude personnelle de l'épée longue allemande. Beaucoup d'erreurs et d'hypothèses infirmées aujourd'hui. Je ne peux que conseiller de suivre mes travaux plus récents en lien avec ma thèse intitulée ""Pour la défense et tuicion de leur corps "Théories et pratiques martiales dans les sociétés franco-bourguignonne et germanique à la fin du Moyen Age au milieu de la Renaissance" sous la direction de Bertrand Schnerb à Lille III.

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LES APPORTS DU CODEX Ms. 3227a POUR L’ETUDE DU COMBAT MEDIEVAL.

Pierre-Henry Bas

À mes chers Maîtres... 

Cet exposé est une ébauche concernant l’étude des Fechtbücher ou livres d’armes afin de comprendre l’intérêt de leur étude en parallèle aux autres sources du Bas Moyen Âge dans le cadre de notre travail sur le combat médiéval. Il est à noter que cette démarche se fera progressivement et sera donc à compléter vu la complexité de certains de ses aspects et que son étude fait appel indubitablement à l’expérimentation gestuelle afin d’en aborder toutes les subtilités que ce soit par des questions ou des réponses.

Ainsi, il nous paraît naturel de commencer par le commencement, et celui-ci serait un codex présent au Germanisches Nationalmuseum de Nürnberg sous la cotation Ms.3227a1. Celui-ci daterait de la fin du XIVe siècle, certainement 1389 car au folio 83v° débute à cette date un calendrier se terminant à l’année 1495. Même si le doute persiste, une hypothèse peu crédible serait que son unique auteur pourraît être Hanko Döbringer qui se désigne comme prêtre Pfaffen2, mentionné au tout début du folio 43r°. Ce manuscrit ressemblerait à un carnet de notes où l’auteur aurait commencé soigneusement chaque chapitre dans le but de faire un ouvrage complet comprenant même un index3, mais qui aurait finalement bâclé son travail en terminant les chapitres avec une rigueur inégale. Ces derniers concernent différents domaines comme ceux de l’alchimie, de la médecine ou de la fabrication des couleurs et contiennent des tableaux magiques ou astrologiques et même des recettes de cuisine4.1 Hs.3227a en style germanique.2 Ce qui est peut-être plus péjoratif que le terme Priester.3 Ms.3227a, f°166r° à 169v°.4 EHLERT (T.) et LENG (R.), Frühe Koch- und Pulverrezepte aus der Nürnberger Handschrift GNM 3227a (um 1389), Medizin in Geschichte, Philologie und Ethnologie. Königshausen & Neumann, 2003. Ms.3227a : f°1r° à

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Mais ce document resterait le premier témoignage de l’enseignement martial du Maître Johannes Liechtenauer. Celui-ci serait pour Hans Peter Hils « le père des arts martiaux allemands5 ». La possibilité que ce référant intellectuel ne soit qu’un ancêtre imaginaire n’est pas encore confirmable, même si nous ne connaissons presque rien de la vie de ce personnage de renom. Les seules informations dont nous disposons sont celles issues des glossateurs qui ont commenté son « poème martial » ou Zettel6. En effet ce dernier est incompréhensible pour les non initiés et a peut-être un double rôle, d’une part celui de cacher l’enseignement du Maître aux ignorants et d’autre part de faciliter la mémorisation des éléments techniques via sa forme poétique pour les néophytes. Dans ce cas, on comprend mieux le travail des glossateurs et successeurs qui en tant que simples élèves ou maîtres d’armes se sont efforcés de compiler, de commenter et éventuellement de compléter le système de combat liechtenaurien. A partir des sources dont nous disposons ce travail fait à plusieurs reprises, aurait commencé à partir du XIVe siècle jusqu’à la fin du XVIe siècle. Si nous incluons les ouvrages imprimés s’inscrivant dans cette tradition, nous arrivons même au XVIIe siècle avec l’ouvrage de Jacob Sutor van Baden7.

Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant cet héritage exceptionnel dont l’étude a déjà été abordée par Hans Peter Hils8, mais bien plus l’étude des fondamentaux et de certaines techniques qui constituent cette escrime dite « allemande ». Le fait d’étudier le premier manuscrit nous en faisant écho permet un retour aux sources plus pures et originelles que d’autres plus tardives. De plus, l’étude des sources plus anciennes permet de nous restreindre à un cadre chronologique plus familier, celui de la fin du XIVe siècle et celui du XVe

siècle conduisant à la possibilité et à la légitimité de faire parfois des parallèles avec les combats, l’armement, son utilisation et le contexte social franco bourguignon dans lequel ils sont susceptibles d’évoluer.

Aussi afin d’éclaircir certains propos plus obscurs ou de comprendre et compléter certains éléments techniques, nous nous permettrons de nous appuyer sur des Fechtbücher plus tardifs mais datant tout de même du XVe siècle, issus de la même tradition et tissant entre eux d’étroites relations9.

13r°; 66v° à 73v°; 74v° à 77v°; 79r° à 80r°; 83v°; 85r° à 85v°; 90v° à 165v°.5 CHAIZE (P.-A.), Les livres d’armes en Occident à la fin du Moyen Âge, l’exemple d’une tradition italienne, mémoire de master II sous la direction de Laurioux (B.), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2007, p.15.6 Id, ibid. et der Zedel in Mscr. Dresd. C487, Sigmund Ringeck, f°10v° et 11r°. A moins que l’on ne doive parler plus simplement de recueil ou au contraire de simples notes ?7 Id, p.16.8 HILS (H.-P.), Meister Johann Liechtenauers Kunst des langen Schwertes, Europäische Hochschulschriften, sous la direction de Peter Lang, Frankfurt, Bern et New York, 1985.9 Il s’agit principalement de quatre manuscrits : Tout d’abord le Mscr. Dresd. C487 présent à la Sächsische Landesbibliothek de Dresde, attribué à Sigmund Ringeck et datant soit du début du XVe siècle ; le Cod I.6.4°-3 présent à l’Universtätsbibliothek d’Augsbourg, attribué à Juden Lew (Louis le Juif) et datant d’environ 1450 ; le Cod. 44 A 8 (Cod. 1449) présent à la Biblioteca dell’Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana de Rome, attribué à Peter Dantzig et datant de 1452 (Cf. HAGERDON (D.), Peter Dantzig, Transkription und Übersetzung

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N’ayant pas accès pour l’instant au document, nous nous appuierons donc sur les retranscriptions de Dierk Hagedorn10, de David Lindholm et de sa traduction en anglais11, de la transcription de Grzegorz Żabiński accompagnée d’une traduction en français proposée par l’ARDAMHE12. En ce qui concerne ces traductions nous nous permettrons parfois de proposer d’autres solutions qui sont susceptibles de changer le sens de certains mots, mais rarement le sens de la phrase. Parfois, au contraire, nous chercherons une traduction plus fidèle au texte qui prendra une forme moins littéraire et nous serons même susceptibles de ne plus traduire certains termes techniques après les avoir définis. Ces traductions ont été vérifiées par Monsieur Patrick Guelpa13 que nous ne saurons assez remercier, il s’est appuyé en parallèle sur une traduction en allemand moderne de Bertram Koch14.

Le but de cette présente étude est également de proposer un raisonnement, une démarche et une méthodologie assez généraux, susceptibles d’être complétés ou de s’adapter aux autres sources concernant les Fechtbücher. Dès lors le raisonnement ne semble pas toujours le plus adapté au manuscrit étudié, certaines questions ne trouvent pas toujours énormément de réponses à l’opposé certaines parties sont bien plus fournies. Ce constat est à mettre en relation avec la pratique actuelle des Arts Martiaux Historiques Européens qui est parfois en conflit par rapport à une compréhension du combat médiéval historique dans sa globalité. En effet à cause de facteurs pratiques évidents (sécurité, usage de simulateur, psychologie), elle se propose d’étudier avant tout de nombreuses techniques sans pour autant toujours avoir les capacités de se les approprier ou de les replacer efficacement en contexte réel (combat amical) ou dans un contexte historique. De même en ce qui concerne l’expérimentation gestuelle, l’objet n’est pas ici de définir et d’expliquer véritablement la démarche et ses limites car celle-ci se fera plutôt tout au long du raisonnement en apparaissant plus comme un outil qu’une fin en soi.

Pour nous l’intérêt d’étudier les Fechtbücher et notamment le Ms3227a est d’avoir quelques indications afin de répondre à la question suivante : quels sont les intérêts théoriques et pratiques de l’apprentissage du combat liechtenaurien ? Il s’agit en effet d’étudier dans un premier temps qui peuvent être les destinataires d’un tel enseignement, puis de comprendre les grands

ins Neuhochdeutsche der Handschrift 44 A 8, 2008.) et le Ms. I 29, présent à l’Universtätsbibliothek de Salzburg, attribué à Hans von Speyer et datant de 1491.10 http://www.hammaborg.de/de/transkriptionen/3227a/start.php11 http://www.thearma.org/Manuals/Dobringer_A5_sidebyside.pdf12 http://ardamhe.free.fr/biblio/MS3227a/MS-3227a.htm13 Maître de Conférences habilité à diriger des recherches, agrégé d'allemand, docteur en scandinave à l’université Charles de Gaulle (Lille III), membre de l’HALMA (Histoire, Archéologie, Littérature des Mondes Anciens) et du REGHT.14 http://www.lupi-venaritis.de/

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principes fondamentaux de cet art, avant de se pencher plus précisément sur les paramètres techniques du maniement de l’épée longue.

I) Les destinataires.

A) Ce que nous dit le texte.

1) Un apprentissage nobiliaire ?

Le Ms.3227a est intéressant par le fait qu’en plus du poème de Liechtenauer, son auteur commence ses écrits par une introduction assez générale sur l’art du combat qui est probablement issue de sa réflexion personnelle15, ce qui supputerait peut-être un statut d’enseignant. Dans tous les cas ce sont quelques informations qui nous permettent de donner quelques indications sur le contexte social et sur les destinataires éventuels de ce type d’enseignement. L’auteur parle une seule fois de Fechtbuch16 pour définir son travail. Traduire ce terme n’est pas évident car il n’existe pas de terme analogue dans le corpus italien et que l’unique source française concernant la hache d’armes parle de jeu : Sensuit le prologue du Jeu de la hache pour soy habiliter et esuertuer en armes17. Parler de livre d’armes est sans doute la meilleure solution18, mais nous pourrions même parler de livre « de faits d’armes », car c’est par le terme de Vechter qu’en 1453 un auteur suisse traduit Le livre des faits d’armes et de chevalerie de Christine de Pizan19 et parce que ces « faits d’armes » renvoient à l’époque à tous combats nobiliaires ou organisés20. En tous cas il nous paraît plus raisonnable pour l’instant de parler de combats et de combattants : Fechter, que d’escrime et d’escrimeurs car ce terme ne s’est pas encore imposé à l’époque21. Le fait d’employer le terme de combat sous-entend également que cet enseignement concerne l’ensemble de l’action et non pas seulement le corps à corps et qu’il s’applique à tous types d’affrontements, principalement avec une arme, mais aussi dans n’importe quel contexte ou situation, que ce soit sur un champ de bataille, sur un pas d’armes ou dans la rue, car les livres d’armes ne précisent pas toujours le but ou la finalité d’une telle culture martiale.

15 F°13v° à 17v°.16 F°13r°, in CHAIZE (P.-A.), op. cit., p.29.17 Ms 1993, fond français. Paris, Bibliothèque Nationale.18 CHAIZE (P.-A.), op. Cit., p.29. 19 Das Buoch von dem Vechten und von der Ritterschaft présent à la Staatsbibliothek de Berlin, étudié par Danielle Buschinger.20 LA SALE (A. de), Des anciens tournois et faictz d’armes, éd. Prost dans Traités du duel judiciaire, Paris, 1872, p.193-221.21 Même si l’on parle déjà d’escremisséeurs sous Philippe le Bel (1285-1314), BnF ms.fr.2258, cit. in RAYNAUD (C.), A La hache ! Histoire et symbolique de la hache dans la France médiévale (XIIIe XVe s.), Paris, 2002, p501.

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Il en est de même pour le Ms.3227a. les seules indications qui pourraient être plus claires sont celles des poèmes et des écrits qui introduisent l’enseignement de Liechtenauer ou celui des autres maîtres. Dans le cas où ces poèmes sont bien antérieurs aux gloses qu’ils précédent, ils n’ont probablement pas été modifiés depuis leur création et sont donc plus amènent d’exprimer l’identité des destinataires originels. Celui du folio 18r° débute en s’adressant aux chevaliers et aux écuyers :

Jung ritter lere Got lip haben, frawen io ere, so wechst dein ere ube ritterschaft. Und lere kunst dy dich czyret und in krigen sere hofiret22.

« Jeune chevalier apprend bien à réjouir Dieu, honore toujours les dames, alors croît ton honneur lors des faits de chevalerie. Et apprend l’art qui t’honore23 et qui t’aide beaucoup à la guerre. »

Un autre au folio 43r° précise que cet art peut servir aussi aux autres hommes de guerre et hommes de pied :

« Ist hie yndert eyn degen,Der sich dorczu wölle wegen,Czu lernen mit dem swerte,Und sich auch doran kerte,

Wen is ist eyn höfeliches spil,Und hat lüst und frewden vil,

Vor ritter und vor knechten24.“

« Y a t-il quelque part ici un héros,qui veut se risquer,

à apprendre avec l’épée,et veut aussi s’y appliquer,

car c’est un jeu très courtois,et apporte joie et bonne humeurAux chevaliers et aux valets. »

Certains individus utiliseront par la suite cet art afin de continuer à l’enseigner à certains princes. C’est le cas par exemple de Sigmund Ringeck, Maître auprès du seigneur Albrecht Comte Palatin du Rhin et Duc de Bavière25. Si cet art est voué initialement à l’enseignement des chevaliers et autres hommes d’armes, il est difficile de penser qu’il concerne directement le combat en mêlée

22 F°18r°.23 « Te donne de la joie » (?).24 F°43r°.25 Mscr. Dresd. C487, op.cit., peut-être s’agit-il de Albrecht III (1438-1460), f°10v° et 11r°.

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des batailles rangées. En effet des expérimentations sur le thème du combat collectif ont souvent démontré qu’il est relativement difficile, voir impossible de placer des techniques très élaborées dans ce genre de contexte. En effet la multiplicité des adversaires potentiels susceptibles de frapper influence même certains enseignements de base du combat liechtenaurien ; il est frappant de voir que certains fondamentaux comme celui d’être le premier à attaquer ou de ne pas hésiter à engager la lutte sont vivement déconseillés, car ces actions brisent immédiatement la ligne s’ils ne sont pas observés par l’ensemble des combattants. Il est vrai, à l’opposé que lorsque d’autres fondamentaux comme ceux d’apprécier les distances, de savoir frapper correctement ou d’évoluer habilement dans l’espace-temps devient de l’ordre de l’automatisme, le combattant ne peut être que plus efficace. Il en est de même pour l’habitude ou l’expérience d’avoir un adversaire armé en face de soi. Ainsi un groupe de combattants instruits ou expérimentés est un obstacle non négligeable. Hormis cela il faut se rappeler que lors des petites batailles rangées les lignes maintenues ne durent qu’un moment et qu’une fois les lignes démontées à cause de la perte d’effectifs, le combat collectif est susceptible de se transformer en une somme de combats individuels. Il en est certainement de même pour la chasse qui succède à l’affrontement et des nombreuses escarmouches qu’est susceptible de connaître chaque homme de guerre durant son existence dont témoignent les lettres de rémission26. Cet art serait donc susceptible en quelque sorte de « rendre des services » à la guerre, mais pas de s’y appliquer parfaitement.

2) L’équipement.

Une solution est donc d’étudier les armes employées, en effet les maîtres d’armes comme les contemporains divisent avant tout leur enseignement en fonction de l’arme utilisée après avoir catégorisé les différents types de combat. Ainsi l’auteur commence ses écrits en divisant dans son propos les différents types : Hie hebt sich an Meister Lichtenawers Kunst des Fechtens mit deme

26 BAS (P.-H.), «   Pour la deffense et tuicion de leur corps   », les armes et la société à travers les lettres de rémission ducales (1387-1476), mémoire de master II sous la direction de B. Schnerb, Lille III, 2009.

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swerte czu fusse und czu rosse, blos und yn harnüsche27 : « Ici commence de Maître Liechtenauer l’art du combat à l’épée, à pied et à cheval, nu28 ou en harnois ». Il n’est pas nécessaire de passer par l’expérimentation pour comprendre que ces différents « états » influencent grandement le combat et que certaines armes, notamment l’épée, sont susceptibles d’être retrouvées lors de chacun d’eux sans pour autant être toujours utilisée de la même façon. Dans le poème de Liechtenauer les armes qui vont être abordées sont précisées : Ringens gut, fesser glefney, sper, swert unde messer. Menlich bederben unde in andern henden vorterben29 : « Lutte bien, saisis la lance, le glaive, l’épée et le couteau. Manie les virilement et rend-les inefficaces en d’autres mains ». Sans oublier la lutte qui est d’une importance non négligeable pour le combat médiéval, la lance est celle de cavalerie, du moins celle utilisée à cheval à l’opposé du glaive ou de la javeline qui est celle utilisée à pied et que l’on n’hésite pas à lancer à courte portée lors des pas d’armes. L’épée est une épée longue (à deux mains) à l’opposé du couteau qui est une arme avec une garde et un unique tranchant et qui ressemble au fauchon mais avec une poignée montée en plate semelle, il peut être aussi appelé braquemart dans d’autres sources30. Il est pour certains maîtres d’armes, la même chose qu’une épée utilisée à une main31. Ainsi si cet armement n’est pas propre seulement à celui des hommes d’armes et des hommes de guerre, l’utilisation d’un cheval ou d’un harnois s’en rapproche. A l’opposé les sources croisées avec l’expérimentation montrent que l’utilisation d’une épée à deux mains sur un champ de bataille n’est pas trop recommandable. A part certaines exceptions comme certains archers qui en sont pourvus32 et son adaptation puis sa disparition dans les armées suisses à la fin du XVe et au début du XVIe siècles, son usage semble bien moins adapté qu’une arme d’hast ou qu’une arme plus courte.

B) Contexte et situation.

1) Le jeu.

L’auteur rappelle brièvement et à plusieurs reprises qu’une action peut être faite durant deux contextes : la plaisanterie, sous entendu le jeu, ou bien le combat sérieux : Und was eyner redlichs wil treiben czu schimpfe / ader czu ernste33 : « Lorsqu’un homme veut exécuter convenablement une technique, que 27 F°13v°.28 « désarmé » : sans armure.29 F°18r°.30 BAS (P.-H.), op. cit., t.II.31 Cf, manuscrit de Hans Talhoffer de 1467, le Cod. Icon. 394a à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, planches 223 et 231.32 Cf. Ordonnance d’Abbeville du 31 juillet 1471 de Charles le Hardi.33 F°15v°.

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ce soit pour le jeu ou pour combattre sérieusement» On peut légitimement penser à une différence posée par l’auteur entre une escrime efficace, c’est-à-dire mortelle, et une autre amicale, de plaisance en allusion aux tournois et aux pas d’armes. Il est important de rappeler que dans le milieu nobiliaire, la différence entre un combat courtois et un combat à outrance, organisés tout les deux initialement comme un jeu tiens au seul fait de l’utilisation d’armes de guerre ou d’armes neutralisées ou émoussées. Le courage est donc de faire face à un plus grand danger, la mort ressemblant plus à un accident34. Quelque soit la dangerosité de l’arme, les coups et les cibles restent les mêmes. L’escrime lichtenaurienne a entièrement sa place dans ce contexte parce qu’elle ne sert principalement qu’à faire face a des adversaires équipés de la même façon : zam iener keyn swert habe aber zam hers nicht sehe35 : « comme si il (l’adversaire) n’avait pas d’épée ou qu’il ne la voyait pas » et parce que cette escrime n’est pas forcément faite pour tuer, même si l’efficacité de ces techniques l’encourage. C’est plutôt au combattant d’adapter les techniques, l’art de Liechtenauer n’est pas là pour apporter des réponses, même si de rares fois l’auteur formule l’idée que le lecteur n’a pas envie de frapper son adversaire et propose donc une suite à la lutte36.

L’idée que cet enseignement n’est pas forcément uniquement destiné aux hommes d’armes va donc de pair avec le fait que cette escrime puisse être d’une certaine manière récupérée par la bourgeoisie. Il serait même possible qu’un prêtre (Pfaffen) comme Hanko Döbringer soit maître d’armes au même titre que les autres maîtres cités au même moment37. Le fait qu’un éventuel clerc soit maître d’armes ou possède un tel ouvrage ne serait pas si étonnant, d’une part car en tant que clerc il aurait la possibilité de savoir lire et écrire et d’autre part car ceci nous rappelle l’étude du Liber de arte dimicatoria daté de la fin du XIIIe

siècle, où un prêtre : sacerdos donne son enseignement de l’épée et de la boucle à un élève : scolaris/discipulus38. Ou encore l’enseignement au Messer (couteau) donné par Johannes Lecküchner mentioné comme prêtre, Pfaffen, le 30 juin 1478 dans les archives d’Heidelberg39. Il ne faut pas oublier non plus que cette période voit le développement non seulement des joutes bourgeoises mais aussi de toutes les démonstrations martiales faites par des maîtres d’armes et autres joueurs d’épée40. On comprend donc cette importance donnée dans l’ouvrage au combat nu à l’épée longue. Toute l’énergie que met l’auteur à dénoncer dès le folio 14r° les « maîtres à danser » ou « maîtres chanteurs » : Leychmeistere, ne

34 RAYNAUD (C.), op. cit., p.563.35 F°19v°.36 Cf. Cod. 44 A 8 (Cod. 1449) présent à la Biblioteca dell’Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana de Rome, attribué à Peter Dantzig, f°34r°.37 Hie hebt sich an der ander Meister gefechte : Andres Juden, Josts von der Nyssen, Niclas Prewssen, f°43r°.38 Plus connu sous sa côte I-33 (Ms membr. I 115), cf. CINATO (F.) et SURPRENANT (A.), Le livre de l’art du combat, Liber de arte dimicatoria, Paris, 2009.39 Cf. Cod Pal Germ 430 présent à l’Universitätsbibliothek d’Heidelberg, attribué à Johan Lecküchner, in HILS, op. cit., cité in CHAIZE, op. cit., p.75.40 BAS (P.-H.), op. cit., t.I, p.92 et 93.

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fait que confirmer cette hypothèse. L’auteur se plaint de ces individus qui perdent du temps à faire du spectaculaire et de l’esthétique en racontant qu’ils élaborent sans cesse de nouvelles techniques ! Und das sy weit umefechten und paryrn irdenken41 : « Et ils n'inventent qu'une escrime bonne pour le spectacle et le brassage d’air  »

Und oft vör eynen haw czwene ader dreye tuen nür durch wolstechens wille, do von sy von den unvorstendigen gelobt wollen werden / mit dem höbschen paryrn und weiterumefechten weit umerefechten als sy sich veyntlich stellen / und weite und lange hewe dar brengen lanksam und trege / mit deme sy sich gar sere vorhawen und zeümen / und sich auch do mite vaste blos geben42 : « et souvent avant un coup, ils en portent deux ou trois seulement dans le vide, uniquement pour le paraître, dans l'espoir qu'en paradant joliment et s'escrimaillant ainsi, ils seront loués par les ignorants. Lorsqu'ils se mettent en posture pour combattre, ils portent d'une façon lente et paresseuse des coups larges et amples qu’ils ratent exagérément, et ce faisant ils sont ralentis et offrent de vastes ouvertures. » 

A l’opposé l’art de Liechtenauer se veut être une escrime bien plus pragmatique : wen das selbe rechtvertige vechten / wil nicht hobisch und weislich paryren haben / und weiterumefechten mit deme sich lewte mochten lassen und vorzümen43 : « Lorsque cette même véritable escrime ne se veut pas se donner des airs courtois et sages et s'escrimailler avec ce par quoi les gens se laissent accaparer ». Cette frustration peut être mise en rapport avec les relations bien plus amicales, que les pratiquants d’AMHE44 entretiennent avec les amateurs d’escrime artistique ou de spectacle. On comprend qu’un public d’ « ignorants » soit plus friand de spectaculaire, mais comment démontrer sans danger les possibilités qu’offre une escrime qui se veut si efficace et si rapide ? L’auteur reconnaît tout de même que si cette escrime superficielle ne peut pas être comparée au combat efficace, son exercice peut être positif : Und das gehort doch nicht zu ernstem fechten / zonder czu schulfechten durch ubunge und gebrawchunge wille mochte is wol eczwas gut seyn45 : « Et cela, voyons, ne fait pas partie de l'escrime sérieuse, mais plutôt de l'escrime d'école, qui se voudrait quelque peu profitable grâce à l'entraînement et la pratique. » L’auteur garde une étroite relation avec cette escrime et son travail est susceptible de la concerner : Doch durch u[e]bunge und schulfechtens wille / wil ich etzliche stöcke und gesetze ihres gefechtens / mit slechter und korczer rede schriben46 : «Toutefois, pour l'amour de l’entraînement et de l’escrime d’école, je veux coucher par écrit quelques morceaux et lois de leur escrime, en un discours de

41 F°14r°.42 F°14r° et 14v°.43 F°14r°.44 Arts Martiaux Historiques Européens45 F°14v°.46 F°44r°.

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mauvaise qualité et bref » Il y a une volonté d’enseignement ou du moins d’éducation, mais ne nous y trompons pas, apparemment ce terme d’école : schulfechten ne désigne pas encore les écoles d’escrime bourgeoise qui se développeront plus tardivement47 mais de petits rassemblements martiaux comme un spectacle, où le vainqueur du combat peut remporter une somme d’argent48. Ainsi on comprendrait que l’auteur cherche paradoxalement à adapter à la fin de son travail non pas les techniques et les fondamentaux, mais certains points qui ne dénaturent pas l’art de Liechtenauer pour ce genre de manifestations : Wiltu weydenlich / czu eyme gehen / in schulvechten zo du schimpf / und höscheit gerest treiben / So schöte czum ersten dyn swert mutticleich / Und valle czu hant in dy schrankhute czu beyden seiten / und süche dy leger weydlich / von eyner seiten of / dy ander / mit schreten49 : « Veux-tu t’avancer correctement vers lui en escrime d’école pour le jeu et la courtoisie, alors tu dois brandir courageusement ton épée. Et mets-toi en garde de la barrière des deux côtés et essaie de trouver des ouvertures correctes d'un côté ou de l'autre en faisant des pas » En effet l’approche physique et psychologique de son adversaire est un point non négligeable. Adapter cet art à l’escrime d’école, sans doute moins dangereuse puisque la volonté de tuer son adversaire est certainement absente, va être la démarche de tout un ensemble de maître d’armes qui aboutira comme aujourd’hui à l’escrime sportive où il n’y a plus rien d’efficace, où les coups ne font que toucher ou efleurer l’adversaire et où la peur réelle de se prendre un coup est presque devenue étrangère comme assez souvent dans le monde des AMHE. Ainsi, par exemple, le Maître d’armes Joachim Meyer pratique déjà au XVIe siècle une escrime liechtenaurienne où les positions de base paraissent plus « spectaculaires » et où l’usage de la pointe et des estocs si efficaces ne font plus partie des enseignements fondamentaux50.

2) Situations particulières sérieuses.

Cet art ne peut pas non plus être perçu pour un usage d’auto-défense même si sa pratique peut énormément servir. En effet il n’aborde pas le combat face à un homme armé différemment51 ce qui est très commun en cas d’agression ou de rixe52 et qu’entre autre le texte déconseille fortement d’affronter plusieurs adversaires en même temps ou de faire preuve de trop

47 Ou même tardivement comme à Lille sous Philippe II (1556-1598), in SCRIVE-BERTIN (M.), La Confrérie d’armes de Saint-Micel ou des Escrimeurs Lillois.48 Le Maître d’armes et coutelier Joachim Meyer en est un bon exemple puisqu’il organise se genre de manifestation à Strasbourg entre 1561 et 1568, in CHAIZE (P.-A.), op. cit., p25.49 F°52v°.50 Cf. Ms A 4°2 présent à l’Universitetsbiblioteket de Lund.51 A l’opposé du combat à la dague où les deux adversaires ne sont pas toujours armés. 52 BAS (P.-H.), op.cit., t.II.

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d’enthousiasme : Wen guter mut mit kraft macht eyns wedersache czagehaft / dornoch dich richte gib keynem forteil mit ichte / crimkruheit [?] tumkunheit meide vier ader sechs nicht vortreibe / mit deynem öbermut biss sitik das ist dir gut / der ist eyn küner man der synen gleichen tar bestan [?] / Is ist nicht schande vier ader sechze flien von hande53 : « Car le grand courage rend ton adversaire timoré/ensuite, redresse-toi, ne donne absolument aucun avantage/Pas de complication, pas de folle audace, évite quatre ou six adversaires /Ton ardeur excessive, modère-la, cela est bon pour toi/ Il est un brave, celui qui ose tenir tête à son égal/ Ce n'est pas une honte que de fuir devant quatre ou six (adversaires). »

Le fait que le poème stipule qu’il faut mieux se battre en duel contre son égal pour faire preuve de courage ressemble à l’idéal chevaleresque ou à tout combat pré-organisé où il serait possible dévaluer le profil et les capacités de son adversaire durant son approche. Mais parce que se battre contre son égal et que la fuite ne sont pas toujours possibles, l’auteur se permet d’ajouter d’autres techniques qui ne font pas partie de l’art de Liechtenauer mais qui sont pour lui fort utiles. C’est le cas d’une technique afin de se défendre contre plusieurs paysans : Hie get nü an mit rechte das aller peste gefechte das dy vorgenanten Meister haben das wil ich dir nu sagen dy eyseryne pforte ist is genant und wirt dir offenbar czu hant / Ist das du bist besessen mit vier ader sechs pawren gar vormessen54 : « Ici commence justement la meilleure pièce d’escrime entre toutes que possèdent les maîtres susnommés ; je veux te la dire maintenant : on la nomme la porte de fer, elle est évidemment à ta portée si tu te trouves assailli par quatre ou six paysans bien présomptueux. »

On est en droit de se demander quand un individu peut se retrouver dans une pareille situation à combattre plusieurs paysans, non pas forcément des laboureurs, mais plutôt des « bourrins » et des téméraires ignorant l’art de combattre ? Le poème insiste bien sur cette invitation à avoir d’une part une autre réflexion sur l’idéal chevaleresque et d’autre part à faire preuve parfois d’une certaine raison :

Der ander rat ist dasden wil ich nu sagen basdas keyn man zo tump / sal seynwenne das selbe fechten brenget pynder vier ader seche slaen wil

der nymmet ofte schaden vilwenne im wirt vil ofte eyn slagden her nicht abe wischen magden mus her im nu habenSchande gespötte und auch den schaden

53 F°18r°.54 F°44v°.

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Wenne dy selben nerreleyn [?]Wellen io dy besten seyn55

Is ist nicht rechte kuenheitzonder eyn grosse narheitder vier ader sechse will bestanwirt im icht / daz mus her im hanzam hers im gekawfet hette Is wer vil besser in eynem bettedy weile gesucht und gelegenden sülcher grosser torheit pflegenIs kumpt ofte das eyn manVier ader sechze mus bestanTut henen witzicleichTut / her denne ritterlichader kumpt von in witczicleichder mag wol alle man bestanRecht vor eynen künen manDoch horet alle / offenbargenczlich an alle varffridank der kluge manSpricht das an allen wander ist genant eyn küner mander synen gleich tar bestanden wil ich preisen an aller statRitterlich ane missetatVon türsten und von kunheit freydas her eyn rechter degen sey.56

« Le second conseil est celui-là :Ce que je veux direC’est qu’il n’y a aucun homme assez bêteSi cette même escrime apporte peineà celui qui veut battre quatre ou six ;Il subira souvent grand dommageet maint coup auquel il ne pourra alors échapper.

Si tu veux toi-même stupidement être le meilleur, tu subiras honte, moquerie et dommage. Ce n'est pas une véritable audace, mais une grande stupidité. Celui qui veut vaincre quatre ou six ne le pourra pas/Se fera bien avoir,Il en aura pour son argent,Il aurait bien mieux faitDe rester couché et de se reposerPlutôt que de persévérer dans sa grande sottise. Il advient souvent qu'un homme doive en affronter cinq ou six. Il est alors bon qu’il soit chevaleresqueet s’échappe de devant eux avec ruse. Celui-là peut s’opposer à n’importe quel homme,Même un homme très courageux. C’est pourquoi écoutez tous : évidemment, parfaitement, et sans danger, l’homme intelligent remercie et dit sans aucune folie :Celui qu’on appelle homme courageuxest celui qui s’oppose à son égal ;celui-là, je veux le louer en toutes choses s'il est chevaleresque et sans

reproche, exempt de bêtise et de témérité. C'est un véritable héros. »

55 F°43r°.56 F°43v°

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Les lettres de rémissions nous font également échos de situations où deux individus s’affrontent en duel pour des questions plus d’amour propre et d’impulsivité que pour une véritable question honneur57. Le Ms.3227a avance l’idée que cette escrime et cet art ont été inventés entre autre pour cette raison :

So magstu alle mal bestanVör eyn fechter / als eyn guter gerechter man

wen dorum ist derdocht fechtendas man is sal v[e]ben in rechteUnd in guter worer hobischeit

wen is brengt gelenkheit / list und klugheitAnder / kumpt oft / auch / das eyn man

eynen v[e]m ere / leib / und gut mus bestangesigt her denne mit syner kunst ritterlich

mit gote und mit rechte daz lobe ich58

« Ainsi pourras-tu affronter chaque fois un escrimeur, en tant qu’homme bon et juste.

En effet, l’escrime a été inventéePour qu’on l’exerce en toute justiceEt avec bonne et véritable noblesse,

Car elle apporte dextérité, ruse et intelligence.En outre, il arrive souvent aussi qu’un hommeDoive en affronter un autre pour son honneur,

sa vie et son bien ;S’il le vainc avec son art et son esprit chevaleresque,

Avec Dieu et en toute justice, cela je le loue. »

Mais cela uniquement quand l’affrontement s’avère inévitable.

Den dritten rat wil ich dir gebenden saltu vom mir of nemen

den salt nicht doru[e]m lernen fechtendas du eyme czu unrechte

57 BAS (P.-H.), op. cit. t.I.58 F°44r°.

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mit dyner kunst wölst öberlegenIn sülcher weize saltu nicht pflegen59.

fechtens mit eynem fromen manIs trete denne erhaftige not an

mit dynen kumpt / v[e]m zöst / nymant dringeWiltu das dir sölle gelingen

In allem gefechte zo rat ich dirVol Vorlas dich of dyn kunst nicht czu ser

Und hab den obristen ö dbristen/ gerechten fechter vor ogen /das her dich / by dyner kunst icht pfloge

Und u[e]be dyne kunst czu nöten yn rechtvertikeit

Und nicht umbe züst ader yn narhait60.

« Le troisième conseil je veux te le donner,tu l'accepteras souvent de moi :

Il ne faut pas que tu apprennes l’escrimeSi tu veux vaincre injustement

Un homme avec ton art ;Tu ne dois pas te comporter de cette façon

Et te battre avec un homme pieuxSauf en cas de nécessité extrême.

Avec ton arme ne contraint personne sans raison.Veux-tu être victorieux

Dans toute ton escrime, je te conseilleDe ne pas trop te reposer sur ton art,

Et de garder devant les yeux l’Escrimeur juste et suprême Et n'exerce ton art que par nécessité,

En toute justice,Et non pour te justifier ou par bêtise. »

C) Le profil des combattants.

1) Le profil de l’élève.

59 F°43v°.60 F°44r°.

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L’art de Liechtenauer est relativement complet puisqu’il cherche à aborder le profil psychologique et moral du combattant. On peut d’ailleurs se demander si cette escrime est véritablement destinée à une certaine catégorie sociale d’individus ou un contexte et une mise en situation particuliers et non pas plutôt à un profil beaucoup plus général d’individus venant de divers horizons. Les propos de l’auteur et le poème de Liechtenauer insistent d’autant plus sur le profil psychologique, moral et religieux que sur le profil physique : Czu allem fechten gehört dy hölfe gotes von rechte / Gerader leip und gesunder61 : Voici ce qui constitue toute l’escrime : le secours de Dieu, un corps sain. [...] Rischeit und kunheit / Vorsichtikeit list und klugheit / masse Vörborgenheit / vernunft vorbetrachtunge fetikeit / Ubunge und guter mut / motus gelenkheit schrete gut / In den selben versen da / sint dir fundament principia /62 : «  le savoir, la hardiesse, la prudence, la ruse et l’intelligence ; mesure, la dissimulation, la raison, l’observation, la dextérité, l’entraînement et le courage ; le mouvement, l'agilité, aie un bon jeu de jambes. Dans ces vers-ci résident les principes fondamentaux. », Und was du trei wilt treiben by guter vornunft saltu bleiben / czu ernst ader czu schimpf / habe frölichen mut mit limpf / So magstu achten und mit gutem mute betrachten / Was du solt füren und keyn im dich rüren / Wen guter mut mit kraft macht eyns wedersache czagehaft63: « Quoi que tu fasses, tu dois raison garder ; au combat comme au jeu, aies le cœur joyeux et plein d’entrain, de façon à pouvoir te concentrer, et, avec courage, considérer ce que tu dois effectuer et de quelle façon tu dois te mouvoir contre lui. Car un cœur joyeux – avec de la force – rend tout adversaire timoré ».

Paradoxalement pour une discipline martiale et virile, le profil physique est passé sous silence et ceci pour plusieurs raisons. D’abord car le fait de frapper simplement avec une épée et évidemment à la base de l’enseignement et que l’efficacité du coup ne dépend pas uniquement de la force de son utilisateur mais avant tout de la perfection du geste comme nous le verrons, ensuite car cet art se veut l’antithèse de la force brute, le but est que le faible grâce à son intelligence puisse vaincre le fort. Le texte rappel : und das get of dy auctori 64

tas / als Aristotyles spricht in libro Per Yarmenias ( ?) : opposita juxta se posita magis elucescunt / vel opposita oppositione cui autem / Swach weder stark / herte weder weich / et equaliter / Denne solde stark weder stark syn / zo gesigt allemal der sterker / dorum get lichtnawer fechten noch rechter und worhaftiger kunst dar / das eyn swacher mit syner kunst und list / als schire gesigt / mit /als eyn starker mit syner sterke / worum were anders kunst 65 : et cela provient de

61 F°17r°.62 Ibid.63 F°18r°.64 F°22r°.65 F°22v°.

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l’autorité66, comme le dit Aristote dans le livre A propos des Accords67 : “Ils se montrent plus soit côte à côte, soit opposés par rapport à cette opposition qui..." faiblesse contre force, force contre faiblesse, fermeté contre mollesse, et réciproquement. Car si la force était opposée à la force, alors c’est toujours le plus fort qui serait victorieux. Voilà pourquoi l’escrime de Liechtenauer représente un art encore plus juste et plus véritable, de manière à ce qu’un homme faible puisse vaincre avec certitude plutôt qu'un fort avec sa force, ce que ne peut aucun autre art  » Cela n’est pas sans rappeler David contre Goliath.

2) La pédagogie.

La pratique des AMHE démontre que le profil général du combattant n’est vraiment pas un facteur à négliger car c’est véritablement lui qui va définir tout le combat et donc la vie de l’individu, un mauvais combattant étant voué certainement à une mort précoce. Au delà des capacités à combattre en fonction du profil physique, psychologique, des connaissances techniques et de l’expérience, il y a cet intérêt pour apprendre et comprendre doublé de la volonté de s’entraîner et de s’approprier la maîtrise de certaines techniques afin de les replacer efficacement en combat : Auch merke das / und wisse das man nicht gar eygentlich und bedewtlich von dem fechten mag sagen und schreiben ader aus legen / als man is wol mag / is wol mag czeigen und weisen mit der hant / Dorumme tu of dyne synnen und betrachte is deste vas bas / und ube dich dorynne deste mer yn schimpfe / zo gedenkstu ir deste vas bas in ernste / wen ubunge ist besser wenne kunst / deine [denne ?] ubunge tawg wol ane kunst aber kunst tawg nicht wol ane übunge68 : « En outre, sache et retiens que tout ce que l’on peut dire, écrire ou exposer sur l’escrime n’est jamais aussi précis et significatif que ce que l’on peut montrer et indiquer avec la main. C’est pourquoi tu dois te reposer le plus possible sur ton bon sens et ton observation ; et tu dois t’y exercer par-dessus tout lors des jeux ; ainsi apprendras-tu d’avantage en prévision du combat sérieux. En effet, l'exercice est meilleur que l'art – l'exercice est bien utile sans art mais un art n'est pas très utile sans exercice ». Ainsi cette discipline ne serait rien sans la pratique physique et l’entraînement additionné d’une certaine pédagogie et de la volonté d’apprendre. Il serait abordable par toutes personnes faisant preuve de bonne volonté renonçant ni au travail, ni à l’affrontement : Irschrikstu gerne / keyn fechten nymmer lerne69 : « Si tu t’effraies aisément, n’apprend jamais l’escrime. » L’objectif principal étant de combattre « différemment » grâce à cet enseignement : Der fechter wirt selden vorlorn ficht her anders noch der lere

66 Notons ici que ce terme n’est pas anodin, c’est un terme précis regroupant différents concepts qu’il soit opposé au Potestas, le pouvoir, la puissance ou qu’il ne fasse réference à des textes sacrés ou à de grands juristes qui « font autorité », Cf. Gauvard (C.), sous la dir., Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p.113-114.67 A propos des Harmonies ?68 F°15r°.69 F°18v°.

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her gesigt umbermere 70 : « Cet escrimeur sera rarement perdu s’il se bat différemment d’après la leçon, alors il sera toujours vainqueur. »

Mais, incontestablement, ceux qui font le plus preuve de cette bonne volonté sont les maîtres d’armes eux-mêmes car ils voyagent dans le but de regrouper différents enseignements afin, comme le fait l’auteur, de les compiler : Hie hebt sich an der ander meister gefechte [...] Andres Juden / Josts von der nyssen / Niclas prewssen71 : « Ici débutent les pièces des autres maîtres [...] André le Juif, Jost von der Nyssen, Nicolas le Prussien. » Ils cherchent à suivre la démarche du maître légendaire : und dy hat meister lichtnawer gancz vertik und gerecht gehabt und gekunst Nicht das her sy selber haben funden und irdocht als vor ist geschreben sonder her hat manche lant durchfaren und gesucht / durch der selben rechtvertigen und worhaftigen kunst wille / das her dy io irvaren und wissen welde72 : « Maître Liechtenauer l'a possédé et pratiqué de façon entière et véritable ; non pas qu'il l'ait inventé et découvert lui-même, comme dit précédemment, mais il a recherché et parcouru maints pays, poussé par le désir de connaître et de parfaire lui aussi cet art juste et véritable. » Comme souvent dans la culture médiévale le maître a été élève et reste un élève toute sa vie. L’auteur met par écrit ses connaissances en restant dans l’ombre de son maître spirituel. Le fait d’employer le therme « d’art du combat» (Kunst des Fechtens) pour parler des enseignements martiaux n’est pas propre à celui de Liechtenauer73. On a la nette impression que les maîtres d’armes s’essayent à aborder cette disipline aussi bien comme un art mécanique que comme un art libéral. Si, à l’opposé d’autres manuscrits, celui-ci ne comporte pas d’images, la répétition de certains principes fondamentaux suffit à retenir la théorie par la simple lecture et l’apprentissage des poèmes ne ferait que confirmer cette assimilation intellectuelle.

Encore une fois cette assimilation théorique ne serait rien sans la pratique physique et la visibilité des techniques : les difficultés pour assimiler le moindre fondamental, que ce soit une maîtrise du temps ou de l’espace, démontre l’entraînement intensif nécessaire à la pratique de cet art, au-delà même des facteurs techniques ou tactiques. Cette pratique ne peut donc être pleinement enseignée à des gens disposant de temps pour des affrontements et des entraînements réguliers, c’est le cas sans doute des hommes d’armes et de certains bourgeois. En effet la pratique des AMHE et de l’expérimentation en général, montrent que l’assimiliation des techniques et des fondamentaux est

70 F°43r°.71 F°43r°.72 F°13v°.73 Ex. du I-33 (Ms membr. I 115), Liber de arte dimicatoria.

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comme dans toutes pratiques physiques, souvent longue et nécessite un entrainement très fréquent.

3) La pratique effective.

Quand on passe à cette pratique on a l’impression que la majorité des techniques, et d’autant plus les moins élaborées, ne semblent fonctionner que sur des adversaires ignorant a priori l’art du combat ou du moins celui de Liechtenauer. L’adversaire est sensé donner des coups hauts basiques visant uniquement la tête ou le haut du corps et est comdamné à être surpris par la réaction de sa soi-disante victime. Cette constatation est à atténuer à partir du moment où l’on prend conscience de l’extraordinaire efficacité d’un bon coup de base maitrisé et porté au bon moment74. Ainsi un quidam sans trop d’expérience met toutes ses chances de son côté en attaquant basiquement, c’est ce que nous montre encore une fois l’étude des lettres de rémission75. Mais, en l’absence de sources descriptives élaborées, on ne peut prouver qu’à l’époque cette escrime liechtenaurienne était effectivement efficace. On peut imaginer dans ce cas que si Hanko Döbringer ou le véritable auteur était en lien avec la pratique de l’escrime d’école et qu’il maîtrisait les enseignements qu’il avance il n’aurait eu aucune difficulté à démontrer la puissance de cet art à moins que le statut de prêtre n’interdisait de participer publiquement à ce genre de manifestations ou alors qu’on ne pouvait se risquer à ce genre de démonstrations. Alors les Leychmeister continuent à se permettre de critiquer, voir de singer directement ou indirectement l’art de Liechtenauer76. Il est vrai que cet art se doit de rester secret, divulgué originellement par un poème très obscur afin qu’il ne tombe pas entre de mauvaises mains : Den salt nicht doruem lernen fechten das du eyme czu unrechte mit dyner kunst wölst öberlegen77 : « Il ne faut pas que tu apprennes le combat si tu veux vaincre injustement un homme avec ton art ». [...] Mit dynen kunst / vem zöst / nymant dringe78 : « Avec ton art ne contraint personne sans raison »

A cause de sa grande efficacité contre les « ignorants », il n’y a donc aucun intérêt à trop divulguer ce précieux savoir. Quand nous parlons d’ignorant il s’agit avant tout d’adversaire n’ayant pas reçu d’enseignement très élaboré outre parfois celui de l’expérience et qui combattent un peu par instinct et par réflexe, les autres sources témoignent parfois de ce rôle que peut très bien tenir un homme d’armes ou un hommes de guerre79. L’expérimentation a parfois du

74 Ceci est d’autant plus vrai avec le combat à la dague où l’ensemble des pieces consistent à agir sur l’attaque d’un adversaire. Les différentes façons d’attaquer sont seulement présentées à travers leur échec.75 BAS (P.-H.), op. cit.76 F°15r°. Rappelons que l’escrime Liechtenaurienne serait la tradition martiale la plus connue depuis son développement jusqu'à aujourd’hui, mais que d’autres traditions comme celle autour du maître d’armes italien Fiore de Liberi n’en sont pas moins efficaces théoriquement.77 F°43v°.78 F°44r°.79 BAS (P.-H.), op. cit., t.II.

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mal à jouer un rôle important dans cet exercice, car les protections souvent indispensables et les coups portés avec une violence mesurée ne sont pas toujours très représentatifs des réalités de l’époque. Ce genre de coup n’entraîne pas forcément les réflexes conduits par l’inquiétude et l’instinct de survie. La difficulté et donc de trouver des individus ne pratiquant pas d’AMHE mais acceptant tout de même l’affrontement et les enjeux d’une telle expérience.

A première vue, cet art ne précise que des coups et des techniques spécifiques pour deux types de combattants, tout d’abord des individus violents : Schiler in bricht was püffel mit nü slet ader sticht80 : « Le lorgnant ; celui-ci brise ce que le buffle taille ou estoque », Und der selbe haw der bricht als das püffel das ist eyn pawer / mag geslaen / von oben neder als sie phlelen czu tuen81 : « Ce même coup brise tout ce qu’un buffle – c'est-à-dire un paysan – peut t'asséner d’en haut – comme ils ont l'habitude de le faire. » En effet, il est vrai que le laboureur est souvent connu pour son impulsivité et sa témérité qui sont susceptibles de vaincre même un maître : kumpt is oft / das eyn pawer ader eyn ungelarter eyn guten meistern / slet / mit deme das her den vorslag tuet / und hinlich dar hurt82 : « Souvent, il advient qu’avec ce même art (l’art de prendre l’initiative), ou avec l’avantage, un paysan ou un ignorant batte un bon maître parce qu’il a lancé le coup initial et continue à frapper de taille artificiellement» ou des hommes de guerres83. L’art de Liechtenauer prévoit donc le coup à faire contre quelqu’un de violent et agressif, sans pour autant que celui-ci ne soit forcément un paysan, l’importance est qu’il soit ignorant ou surpris et encore une fois c’est souvent le cas des hommes d’armes qui font d’autant plus confiance à leur expérience et à leur équipement. A l’opposé certaines techniques connaissent des variantes si l’on cherche à combattre un maître, entendons ici un autre maître d’armes ou quelqu’un qui a une certaine expérience technique : Haw krump czum flechen / den meistern wiltu sie swechen84 : « Frappe le tordu sur le plat si tu souhaites affaiblir un maître ». L’expérimentation montre effectivement l’importance de ce genre de subtilités, le profil de l’adversaire étant encore une fois d’une importance capitale. A étudier ce texte via l’expérimentation on comprend que les adversaires ne connaissent pas l’art de Liechtenauer, puisque au-delà d’une nécessité pédagogique évidente ils sont censés réagir normalement et basiquement face à une action, par exemple ils vont chercher à repousser une attaque par une action sur le bras armé ou ils vont chercher forcément un rapport de force, alors qu’en parallèle l’art préconise des réactions complètement différents au-delà du simple réflexe : des automatismes.

80 F°28v°.81 Ibid.82 F°38v°.83 BAS (P.-H.), op.cit, t.II.84 F°25v°.

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On a donc un art qui est à la base prévu pour être enseigné à la « classe » nobiliaire qui a le temps, les moyens et normalement le devoir de se consacrer pleinement à cet apprentissage fort complexe dans le but de faire face à des situations martiales sérieuses ou ludiques. Mais cet art est aussi récupéré par un milieu bourgeois qui aspire a la même hygiène de vie, composé de maître d’armes susceptibles de participer à certaines activités festives voire lucratives. Cet enseignement a donc tout intérêt à ne pas être trop divulgué, de peur qu’il tombe entre de mauvaises mains comme peuvent le montrer d’autres sources ou qu’il n’est plus la même efficacité.

II) Les principes fondamentaux.

Il s’agit ici de comprendre les principaux fondamentaux qui gouvernent l’art de Liechtnauer et qui concernent l’usage de n’importe quelle arme ou n’importe quel type d’affrontement.

A) Pourquoi l’épée ?

Les principes fondamentaux du combat sont ceux que chaque combattant se doit d’observer et de maîtriser. Ils sont souvent communs à toutes les armes même si l’utilisation technique de ces dernières peut varier d’une tradition martiale à l’autre. Comme nous l’avons dit la maîtrise des fondamentaux est jusqu'à un certain niveau ce qui est susceptible de départager deux combattants. Ces combattants n’ont pas toujours conscience d’utiliser des principes fondamentaux et notamment les plus évidents. Par exemple sur le fait d’attaquer le premier et de ne pas permettre à l’adversaire de porter un coup, l’auteur assure que cette initiative peut être prise par des non spécialistes comme le montre l’exemple déjà cité : kumpt is oft / das eyn pawer ader eyn ungelarter eyn guten meistern / slet / mit deme das her den vorslag tuet / und hinlich dar hurt85 : « Souvent il advient qu’avec ce même art (l’art de prendre l’initiative), ou avec l’avantage, un paysan ou un ignorant batte un bon maître parce qu’il a lancé le coup initial et continue à frapper de taille artificiellement ».

La chose la moins évidente est la théorisation de ces fondamentaux et c’est à celle-ci que s’essayent les glossateurs et autres maîtres d’armes. C’est dans ce contexte que l’épée longue ou langes Schwert apparaît comme un outil à des fins pédagogiques, aussi bien par son enseignement que par son exercice. C’est l’arme étudiée par excellence, celle que les joueurs d’épées utilisent et celle vers qui se tournent tous les débutants d’AMHE. Pour ces derniers les

85 F°38v°.

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raisons sont nombreuses, la prépondérance des sources et sa surexploitation en est en partie la cause, mais c’est surtout que l’épée offre des possibilités que d’autres armes n’offrent pas forcément et que son travail via l’utilisation de simulateurs en bois n’altère pas trop a priori l’intérêt de sa pratique. Il en est de même à l’époque, l’épée à deux mains n’a pas obligatoirement sa place sur un champ de bataille ou dans les tavernes86, mais on la retrouve très souvent dans les pas d’armes et lors des manifestations martiales87. En effet si son maniement comme toutes les armes est loin d’être d’une simplicité enfantine, il est susceptible de s’adapter à n’importe quel profil d’individu et d’adversaire. C’est sans doute pour ces raisons que l’auteur commence ses écrits par l’enseignement de cette arme, en faisant de l’épée à deux mains une arme ancestrale. Ceci est en partie faux car l’épée longue n’a pu connaître un développement qu’à partir du moment où les techniques de forges ont facilité l’élaboration de lame plus longue, plus solide et gardant un poids raisonnable, permettant de passer progressivement d’une épée « à une main et demi » ou « batarde » à ce que l’on pourrait considérer comme une épée à deux mains vers la fin du XIIIe siècle dans le Saint-Empire Romain et plus certainement au XIVe siècle pour le reste de l’Europe. Und vor allen dingen und sachen / saltu merken und wissen / das nür eyne kunst ist des swertes / und dy mag vor manchen hundert Jaren seyn funden und irdocht / und dy ist eyn grunt und kern aller künsten des fechtens88 : « Avant toutes choses, tu dois retenir et savoir que l'art de l'épée est unique. Découvert et inventé il y a des siècles, il constitue le fondement et le cœur de tous les Arts du Combat. » L’auteur avance donc que le maniement de l’épée serait unique sans s’attarder sur les raisons exactes. Mais il est vrai que d’autres livres d’armes rappellent que les maniements d’autres armes viennentt de celui de l’épée ou construisent un système de gardes, de positions et de techniques communes aux différentes armes, c’est principalement et plus évident dans le cas du Messer89. Cela peut être observé effectivement dans la pratique des AMHE, par exemple dès que l’on se penche sur les distances de combat, l’épée étant à la transition entre le travail a l’épée à une main et celui des armes d’hast.

Les possibilités que propose cette arme ne se cantonnent pas simplement aux différentes techniques utilisables et donc à son utilisation gestuelle, mais avant tout à l’objet lui-même en temps qu’outil. Toutes les différentes pièces qui constituent l’épée ne sont pas là par hasard et c’est ce qu’essaye de rappeler l’auteur : Czu dem andern mal merke vnd wisse / daz keyn dink an dem swerte / vmbe züst funden vnd irdocht ist / zvnder eyn fechter / den ort / beide sneiden gehilcze klos / vnd als das am swerte ist / nuetczen sal / noch dem90 als itzlieichs

86 BAS (P.-H.), op.cit., t.II.87 RAYNAUD (C.), op. cit., p.520.88 F°13v°.89 Cf. Cod Pal Germ 430 présent à l’Universitätsbibliothek d’Heidelberg et le Cgm 582 présent à la Bayerische Staatsbibliothek de München attribués tous les deux à Johan Lecküchner et la partie concernant le maniement du messer de Maître André(as) dans le M.I. 29 présent à l’Universitätbibliothek de Salzburg attribué à Hans von Speyer, f°5r° à 7r°.90 F°19r°.

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syn sönderleichs gesetze hat yn der kunst des fechtens91 : « En outre, sache et retiens qu’aucune chose dans l’épée n’a été découverte et inventée en vain ; au contraire : un escrimeur doit mettre à profit la pointe, les deux tranchants, la garde et le pommeau – bref, tout ce qui constitue l’épée selon les règles particulières que ces dits éléments possèdent au sein de l’art de l’escrime. » Car la première chose à apprendre dans le maniement optimal de n’importe quel outil est sa tenue et celle-ci va être déterminée par ces différentes pièces qui le constituent. Ainsi l’épée a pour particularité de posséder une pointe pour donner des coups d’estoc : Stich et une lame aiguisée pour donner des coups de taille : Haw et des entailles ou coups glissés : Schnitt, ces trois utilisations basiques de l’épée seront appelées plus tard les trois vulnérants : drei Wunder92. Ces trois utilisations peuvent répondre originellement à trois distances de combat : l’estoc se faisant avec un adversaire se situant devant la pointe, la taille quand il se situe au minimum à la hauteur de cette pointe grâce à une attaque et les entailles quand il y a impossibilité de donner un coups avec un mouvement parabolique. La lame est donc aiguisée sur son ensemble en omettant souvent la base plus près de la garde et le ricasso93 pour les épées qui en possède un. Il est important de préciser qu’une lame aiguisée ne coupe que si l’on s’en sert c'est-à-dire qu’on applique sur elle un mouvement et une force avec un certain angle pour une taille optimale. C’est ce qu’ont démontré plusieurs expériences avec des lames aiguisées, d’une part la possibilité de tenir à pleine main une épée aiguisée et de ne pas se couper en l’absence de mouvement de la main sur la lame et d’autre part l’importance de la perfection du geste pour la découpe correcte de bouteilles plastique remplies de liquide. Outre la pointe cette lame est divisible en deux parties distinctes issues de principes physiques mais aussi par rapport au rapport de force qui va se faire au contact de la lame adverse, commun également à toutes les armes. Ainsi le fort de la lame est la partie la plus proche de la garde et donc de la main, une frappe dans le plat (la partie plate d’une lame) provoque une vibration sur toute la lame sauf sur un point situé environ aux deux tiers supérieure de la lame, définissant le passage du fort de la lame : Sterk au faible de la lame : Swach94, ou plus simplement la partie qui va de la garde à la moitié de l’épée est appelée Störk : «le fort », celle qui va de la moitié à la pointe Schwöch : « le faible »95. Même en l’absence de vibrations toujours visibles il en est de même avec un bâton, ce principe pouvant même être appliqué au bras humain avec le fort de l’avant bras situé plus près du coude. Quand on taille avec une épée l’idéal est donc d’avoir un mouvement de lame parabolique et que le point d’impact se situe d’une part dans le faible de la lame, d’autre part qu’il ait lieu au moment où le mouvement parabolique est à son apogée et que la lame revienne légérement vers l’initiateur du coup. L’épée a de plus un mouvement

91 F°19v°.92 Cf. Mscr. Dresd. C487 attribué à Sigmund Ringeck, f°124v° et 125r°.93 Partie dépourvue de tranchant située juste au dessus de la garde.94 Ms.3227a/ Mscr. Dresd. C487, cf f°16r°.95 Id., ibid.

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de balancier dans l’espace, ce qui permet une accelération de la force d’inertie. C’est exactement ce qu’exprime l’auteur en expliquant comment on doit tenir une épée : Auch wisse das eyn guter fechter sal vör allen sachen syn swert gewisse und sicher füren und fassen / mit beiden henden / czwischen gehilcze und l(?)c klos / wen alzo helt her das swert vil sicher / den das hers bey dem klosse vasset mit eyner hant / und slet auch vil harter vnd sürer / alzo / wen der klos öberwirft sich und swenkt sich noch dem slage das der slag vil harter / dar kumpt / den das her das swert mit dem klosse vasset / Wen alzo / czöge her den slag / mit dem klosse weder / das her nicht zo voelkömlich und zo stark möchte dar komen / Wen das swert96 ist recht zam eyn woge / den ist eyn swert gros und swer / zo mus der klos auch dornoch swer syn / recht zam noch eynen wogen97 : Aussi sache qu’un bon combattant doit avant toute chose guider son épée avec sûreté et certitude, et la saisir avec les deux mains entre la garde et le pommeau ; ainsi tient-il l'épée avec plus d’assurance que s'il saisissait le pommeau avec la main ; et il frappe ainsi bien plus fort et plus violemment, car si le pommeau se jette vers le haut et se balance après le coup, alors celui-ci devient plus fort que s'il tenait l'épée par le pommeau. S’il tirait le pommeau contre lui pendant le coup, ce dernier ne pourrait être exécuté avec autant de force et de perfection car l'épée est telle une balance ; en effet, si l'épée est grande et lourde, alors le pommeau doit lui-même être lourd en conséquence, exactement comme pour une balance. » Par se principe les épée à « une main et demi » qui sont légèrement plus courtes et qui sont manipulables à une main n’apparaissent pas comme les plus efficaces quand elles sont uilisées à deux mains à cause de la seconde main qui peut recouvrir le pommeau. L’auteur ne précise pas d’autres tenues comme le fait d’avoir son pouce sur le ricasso ou sur la partie juste au dessus de la croisée formée par la garde alors que certaines techniques sont facilitées par cette tenue98. En ce qui concerne la garde, formée par deux quillions, ces derniers servent évidemment à protéger la main en cas de contact de la lame adverse et sont indispensables pour la bonne résolutions de nombreuses techniques. Les reproductions contemporaines d’épées essayent d’être le plus fidèle à ces principes alliant solidité, maniabilité et un poids souvent assez léger99, la qualité de l’épée est d’une importance évidente : O czu allem fechten gehört : [...] eyn gancz vertik swert pesundern100 : « Voici ce qui constitue toute l’escrime : [...] une épée choisie pour sa bonne facture. » Et ceci amène à se poser des questions sur le rapport « qualité prix » de l’armement en général et les prix qui peuvent fortement varier101.

96 F°15r°.97 F°15v°.98 Ex. du Twerhaw, cf. infra p. 99 Aux alentours de deux kilos pour une épée à deux mains.100 F°17r°.101 GAIER (C.), L’industrie et le commerce des armes dans les anciennes principautés belges du XIIIe à la fin du XVe s., Liège, 1973, (Bibl. de la fac. De Philosophie et Lettres de Liège, fascicule CCII), p.344 à 352.

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B) Vers une maîtrise de l’espace et du temps.

1) Concepts préalables.a) Le temps.

Je me permettrai ici de rappeler quelques concepts sur la notion de temps retenus à partir des enseignements de mon Maître d’armes102. Si certains sont directement issus de l’escrime italienne postérieure à la période médiévale, le Ms.3227a les utilise sans évidemment pouvoir encore les nommer, mais ils font intégralement partie de toutes pratiques martiales ou gestuelles et se rapprochent des concepts utilisés en danse ou en musicologie.

Pour reprendre les propos de Maître Pommerolle : « le temps est tout d’abord une notion temporelle, celle de la durée nécessaire, l’intervalle de temps, à l’accomplissement d’une action simple sans pour autant que celle-ci n’inclut une notion de vitesse. »

Le temps est ensuite le rapport de deux actions en cours. Cette notion inclut donc également celle de vitesse, de rapidité, de lenteur et même de changement de rythme puisque on a un référentiel qui est une autre action comparative. A partir de cette définition nous avons plusieurs cas de figures et une décomposition possible de chaque action à l’intérieur du même temps ou en additionnant plusieurs temps :

- « Le Temps ou Un temps est l’action par laquelle on frappe l’adversaire d’un seul mouvement comme une attaque directe.

- Le Double-temps ou Deux temps est l’action par laquelle on ne frappe l’adversaire qu’au deuxième mouvement. Comme le fait de bloquer l’attaque adverse et de répliquer avec l’autre bras.

- Le Demi-temps est l’action par laquelle on porte une attaque dans un temps plus court que son adversaire. Par exemple frapper le bras avancé de l’adversaire.

- Le Contre-temps est une action qui va être plus rapide que celle de l’adversaire ce qui va permettre de rattraper et même de doubler l’action de l’adversaire. On le contre avec un temps plus bref. Cette notion n’est pas à confondre avec une attaque simultanée. Cette action a un caractère défensif puisqu’elle part après l’action de l’adversaire. »

L’escrime de Liechtenauer comme toutes les escrimes fait de ce temps la chose à prendre à l’adversaire à tout prix. Ces notions se confondent avec celles d’occasions pour attaquer, d’où l’expression « prendre le temps » qui signifie frapper avant le déclenchement de l’action adverse ou dans le commencement

102 Maître Jean-Luc Pommerolle, cf. http://www.parlepee.com/.

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de l’attaque adverse en profitant d’un temps. Ce dernier pouvant être créé par un déplacement ou un mouvement.

b) La distance.

La distance est un espace formé par les deux adversaires. C’est l’espace de combat. Il en existe trois à partir du moment où les adversaires sont équipés de la même arme :

La première est celle où les adversaires se font face, le combat étant engagé, mais avant qu’aucun coup ne soit porté. C’est celle que les sources plus tardives appeleront l’approche : Zufechten103, celle où les deux adversaires ont la possibilité de s’observer et d’évaluer les capacités de l’adversaire et d’élaborer une stratégie en fonction de la situation et du profil qui leur fait face.

La seconde est celle qui grâce à un déplacement d’attaque (la frappe) permet d’arriver dans un contact des fers ou liage qu’on appelle le « conflit » : Krig104. Le fait littéralement de travailler au fer à partir de ce contact est appelé « ouvrage » : Arbeit105.

Enfin quand à partir d’un moment l’utilisation initiale de l’arme, la frappe, n’est plus possible car la distance entre les adversaires est trop courte, s’engage le corps à corps et la lutte : Ringen, où l’on va chercher le contact avec le corps de l’adversaire afin de le faire chuter par une soumission ou un déséquilibre avec ou sans l’utilisation de l’arme.

c) Le corps en tant que cible.

Dans un contexte de combat efficace, le but n’est pas obligatoirement de tuer son adversaire mais bien de le vaincre en faisant en sorte qu’il ne soit plus une menace. L’objectif est donc de le mettre hors de combat. Deux solutions principales sont envisageables. Soit il est possible de faire en sorte qu’il ne puisse plus utiliser définitivement son bras armé en le lui brisant ou en lui coupant les nerfs par exemple, soit il faut le tuer. Cette dernière possibilité, ne nous y trompons pas, n’est pas si évidente, la difficulté étant de porter un coup fatal sans en recevoir un106. Molière rappelle que l’art de l’escrime est « de donner sans jamais recevoir107 ». Un adversaire avec un organe autre que le cœur ou le cerveau touché n’est pas toujours susceptible d’arrêter son coup et peut très bien continuer son mouvement108. L’objectif le plus pragmatique est de

103 Cf. par ex. Mscr. Dresd. C487, op. cit.104 F°23r° et v° ou der edele krig : le noble conflit f°25v°.105 F°19v°, 27r° et 33v°. Dans le manuscrit de Hans Talhoffer, le Ms. Chart A 558, appelé « Gotha » on parle « d’ouvrage dans le conflit » : Die Arbeit im Krieg, présent à la Forschungbibliothek Schloss de Friedenstein, pl.22.106 Cf. BAS (P.-H.), op. cit.. 107 MONESTIER (M.), Duels, les combats singuliers des origines à nos jours, Paris, 1991, p.85.108 L’exemple des épieux de chasse munis de quillions afin d’empêcher le sanglier empallé d’avancer furieusement contre le chasseur est un exemple assez significatif.

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toujours viser la tête ou le corps. Les maîtres d’armes, comme l’auteur, divisent celui-ci en quatre parties distinctes divisées horizontalement et verticalement par des axes passant par le nombril de l’adversaire. Hie merke / daz Lichtnawer/ der teilt eyn menschen yn vier teil / recht zam das her eym von der scheitel / eyn strich vorne gleich neder machte an sym leybe / bis her neder czwischen syne beyne / und den andern strich by der görtel dy czwere öber den / leib / zo werden vier vierteil eyn rechtes und eyn links öber der görtel / und alzo auch under der görtel/ das sint dy vier blossen 109 : « Ici retien que Liechtenauer divise le corps humain en quatre parties. Aussi trace-t-il sur son corps un trait bien droit depuis sa tête jusqu’en bas entre ses jambes, et un  autre trait au niveau de la ceinture, qui va horizontalement sur le corps. Ainsi, il y a quatre quarts : l’un à gauche, l’autre à droite au-dessus de la ceinture, et aussi sous la ceinture. Voilà donc les quatre ouvertures. » L’adversaire nous faisant face, nous avons donc quatre ouvertures ou Blossen, la supérieure gauche ou ouverture du dessus, la supérieure droite ou ouverture du dedans, l’inférieure droite ou ouverture du dessous et enfin l’ouverture inférieure gauche ou ouverture du dehors.

Ces ouvertures sont toujours des cibles envisageables à moins que l’adversaire ne protège l’une de ces ouvertures par une garde ou un mouvement. Les gardes, Huten110 appelées aussi positions ou postures, Legern111 doivent être moins visualisées comme des positions fixes dans l’espace, mais avant tout comme un balisage à un instant lors d’un mouvement. Par exemple on passe naturellement d’une garde haute à une garde basse lorsque l’on porte correctement un coup du haut vers le bas. Rester dans la même garde pendant un laps de temps observable va indubitablement influencer le coup d’un adversaire expérimenté, car ce dernier n’aura aucun avantage à frapper dans l’ouverture (Blosse) protégée par l’arme : Haw nicht czu swerte / zonder stets der blosse wärte112 : « Ne frappe pas à l’épée, mais attend toujours l’ouverture ». On peut donc établir une stratégie à partir des gardes qui n’est valable qu’un certain temps, une des tactiques est de changer continuellement de garde afin que l’adversaire ne puisse établir sa propre stratégie par rapport à ses observations.

2) Stratégie initiale.

a) Frapper le premier.

L’objectif est donc de frapper son adversaire avec son épée, la tactique utilisée en priorité est celle de le faire en un temps. Le style lichtenaurien s’avère particulièrement direct et pragmatique : Und dy selbe kunst ist ernst gancz und rechtvertik / und get of das aller neheste und kors körtzste slecht und gerade czu

109 F°25r°110 F°32r°.111 Ibid.112 F°18v°

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recht zam wen eyner eynen hawen ader stechen welde und das man im denne eynen vadem ader snure an seinen ort ader sneyde des swertes bünde und leytet aber czöge dem selben ort ader sneide off eines blössen113: « et ce dit art est sérieux, véritablement et totalement. Il emprunte toujours la voie la plus courte et la plus immédiate, et chemine en une ligne bien droite, comme si l'on nouait une ficelle ou un fil au tranchant ou à la pointe de l'épée d'un homme qui veut en attaquer un autre de taille ou d'estoc, et, qu'en tirant sur ce fil, l'on mène ce tranchant ou cette pointe sur l'une des ouvertures. » La chose paraît évidente, mais elle ne l’est pas tant. Le combattant doit être capable d’évaluer la distance afin de ne pas rater sa cible. Donner un coup hors de portée et rater sa cible peut être une erreur fatale car cela permetterait à l’adversaire de donner un coup dans un autre temps mais avant que la première action ne soit totalement terminée et donc le risque serait d’être dans l’impossibilité de réagir correctement.

La stratégie principale consiste à toujours frapper son adversaire le premier, il doit « prendre le temps » et gagner ce que l’on appelle le coup initial ou vorslag : Und als vald wen her denne czu im kumpt und dy mosse also czu im hat das in dünkt her welle in im wol haben und irreichen / zo sal her kunlich czu im hurten und varen / snelle und risch / czu koppe ader czu leibe / her treffe ader vele / und sal io den vorslag gewynnen / und ienen mit nichte lassen czum dingen komen114 : Et lorsqu’il s’approche de son adversaire et qu’il estime se trouver à la bonne mesure pour l’atteindre et le toucher, alors il doit aller vers lui avec hardiesse et attaquer brusquement et rapidement, à la tête ou au corps, qu’il le touche ou le manque ; il doit donc gagner ici le coup initial et ne pas le laisser appliquer son propre ouvrage. »  ou encore, eyner mit eyme guten vorslage ader mit dem ersten slage / sal eyner kunlich an alle vorchte dar hurten und rawschen / keyn den blössen czu koppe ader czu leibe / her treffe ader vele / das her ienen czu haut als betewbet / mache und in irschrecke das her nicht weis was her keyn desem solle weder tuen115 :  « un homme doit assaillir et submerger son adversaire avec hardiesse et sans crainte avec le coup initial ou avec le premier coup, contre les ouvertures, à la tête ou au corps – qu’il touche ou manque –, cela, de façon à l’étourdir ou l’effrayer en lui frappant dessus, afin qu’il ne sache ce qu’il doit faire à l’encontre ».

L’efficacité effective du premier coup n’est indispensable que dans l’absolu, il faut véritablement submerger son adversaire en lui donnant une pluie de coups en tâchant que chaque coup soit efficace : Her treffe ader vele / als Lichnawer spricht haw dreyn und hurt dar / rawsche hin trif ader la var116: « Qu’il touche ou manque, comme le dit Liechtenauer : "frappe dedans et assaille-le, submerge-le, touches ou laisse aller". » L’objectif est que l’adversaire ne puisse que réagir comme il peut face au coup et qu’il soit dans l’imposibilité d’attaquer efficacement sans se prendre un autre coup appelé coup 113 F°13v°.114 F°16r°.115 F°21r°116 F°20r°

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d’après ou nachslag : Und auch e denne sich iener weder keyns irhole / ader weder czu im selber kome / das her denne czu hant den nochslag tue / Und im io zo vil schaffe / czu weren und czu schützen / das her nicht möge czu slage komen / denne wen deser der ersten slag / ader den vorslag tuet / und in iener denne weret / in dem selben weren und schutzen / zo kumpt deser denne alle mal e czu dem nochslage den iener czu den ersten den her mag117 : De plus, avant que l’autre ne se ressaisisse ou bien ne revienne à lui, il doit immédiatement lui faire le coup d’après, afin de lui donner trop de choses à faire lorsqu’il doit se défendre et protéger, et donc de l’empêcher de frapper. En effet, lorsque ce même homme donne le coup initial ou le premier coup et que l’autre se défend, alors, à cause de cette défense ou protection, il arrivera toujours au coup d’après avant que l’autre n’arrive à son premier coup. L’auteur ne précise pas précisément quand on s’arrête de porter des coups, mais c’est certainement quand l’adversaire n’est plus en mesure de riposter. Ceci est d’une importance fondamentale pour la pratique des AMHE et du combat historique, le plus souvent les pratiquants arrêtant de frapper après avoir jugé que leur coup a touché leur adversaire. La présence de protections minimales et l’absence de violence font que celui-ci n’est pas toujours perceptible par leur adversaire. Ainsi ils se prennent souvent avec étonemment un coup en retour alors qu’ils sont en train de reprendre leur distance. A l’opposé certains pratiquants en harnois ont souvent besoin de la présence d’un arbitre ou d’un juge comme à l’époque pour les départager. La nouvelle donne voudrait que l’on continue à frapper jusqu'à l’abandon ou la reconnaissance de l’adversaire. Dans ce cas il vaut mieux que les deux adversaires se soient accordés sur ce principe au préalable au rique de voir la victime du premier coup « baisser sa garde » et s’en prendre un second bien meilleur.

Ceci est également important pour les études paléopathologiques118 où l’on voit que certains combattants lors d’une bataille ont reçu plusieurs coups efficaces et même parfois létaux. Si certains sont post-mortem ou ont été portés alors que l’adversaire était déjà au sol, d’autres ont pu être portés dans un laps de temps très court alors que la victime n’était pas encore tombée. Un coup efficace pouvant comdamner une victime à mourir dans un délai plus ou moins court119 peut laisser tout de même le temps à l’individu de porter un dernier coup. Ce constat est à mettre en parallèle avec la perception de la douleur, qui assez souvent arrive seulement à la vue de la blessure ou du sang120.

On peut se demander si cette tactique est toujours la plus adaptée, surtout dans d’autres contextes. On connaît déjà le paradoxe de certains documents normatifs qui comdamnent les victimes d’une agression qui ont porté un coup 117 F°21r°.118 Cf. ALI BACHA (R.), Les blessures par armes à la fin du Moyen Age d’après les chroniqueurs des XIVe et XVe s., sous la direction de B. Schnerb, Lille III, 2002 ou MOUNIER-KUHN (A.), Chirurgie de guerre, le cas du Moyen Age, Paris, 2006 par exemple.119 BAS (P.-H.), op. cit., t.II, p.216.120 La pratique des AMHE entraîne inévitablement des petits accidents qui se doivent en quelque sorte de faire partie de la démarche expérimentale.

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pour se défendre avant leur agresseur121 et on peut s’interroger comment se terminent les démonstations martiales et « amicales » des Schulfechten si ce n’est à la première blessure sérieuse ou à l’abandon d’un des protagonistes122.

b) Le Vor et le Nach.

Prendre l’initiative est un principe souvent valable lors de n’importe quel affrontement physique ou même psychologique, que ce soit pour une partie d’échecs ou une campagne militaire. Si la stratégie est d’être le premier à agir, la tactique concerne les moyens d’y parvenir, moyens susceptibles de s’adapter en fonction de l’attitude et de la réaction probable de l’adversaire. Ainsi il faut être dans le Vor : l’avant, par rapport à l’adversaire qui lui doit rester dans le Nach : l’après. Or il est toujours possible grâce à une action de reprendre ou de gagner cette initiative, de prendre le temps et de passer de l’après à l’avant grâce à un contre-temps ou une technique de contre appelée rompure ou rupture : Bruch123. On peut donc développer un « savoir-faire124 », c’est-à-dire la capacité à maîtriser la situation temporelle, géographique et psychologique quand on est dans le Vor afin de garder et d’exploiter cet avantage, c’est l’attitude offensive. A l’opposé on peut développer d’autres capacités afin de pouvoir passer du Nach au Vor, c’est l’attitude défensive. Ce principe n’est pas seulement valable durant le passage de l’approche (Zufechten) au contact de l’adversaire ou de son épée (Arbeit/Kri(e)g), il faut être dans l’absolu le premier à chaque changement de phase. Ainsi si l’adversaire se rapproche fortement lors du contact des fers, il ne faut pas hésiter à venir lutter (Ringen)125. Le Vor et le Nach apparaissent donc à la fois comme la situtation d’un adversaire par rapport à l’autre, mais aussi deux concepts à maîtriser, tout bon combattant se devant d’être à l’aise dans les deux situations.

Ce concept de Vor et de Nach ne gouverne pas seulement l’art liechtenaurien ou d’autres escrimes. Il peut être appliqué à n’importe quel affrontement et sa compréhension permet d’analyser les différentes étapes du combat et les éventuelles tactiques des protagonistes. Par exemple le fait de n’accorder qu’un nombre de coup limité avec chaque arme lors des pas d’armes donne l’occasion à certains de donner une suite de coups afin que l’adversaire n’ait ni la possibilité, ni le droit de porter les siens126. Ou encore durant l’utilisations des différentes armes présentent (lance, hache, épee, dague), créant de véritables phases ou courses, il est possible par exemple de surprendre l’adversaire en jetant sa lance et en empoignant directement la hache ou en le

121 BAS (P.-H.), op.cit, t.I, p.106.122 Cf. DUPUIS (O.), A medieval fencing event in Strasbourg, Hemac event, Dijon 2009.123 Cf. Mscr. Dresd. C487, op. cit., f°15v°.124 Cf. Les propos de Maître Jean-Luc Pommerolle.125 Cf. Mscr. Dresd. C487, op. cit., f°15v°.126 RAYNAUD (C.), op. cit., p.520.

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chargeant véritablement au lieu d’adapter son allure à la sienne afin de ne pas engager comme d’habitude le combat au milieu des lices127. Enfin les lettres de rémission montrent qu’il semble souvent difficile d’être dans le Vor sans que le geste ne soit prémédité128, c’est souvent après avoir reçu un coup inefficace ou en voyant que son agresseur lui porte un coup qu’un individu portera le sien.

3) Le mouvement ou la clef du succès.

Le mouvement quand il est maîtrisé et mesuré apparaît véritablement comme l’élément gouvernant toute l’escrime, il est présent lors de chaque phase du combat et accompagne les moindres faits et gestes. Doruem spricht Lichtnawer/ « Dor of dich zosse / alle dink haben limpf und mosse »129 : « C'est pourquoi Liechtenauer dit : "Réfléchis à cela : toutes les choses ont une longueur et une mesure".»

a) Les déplacements.

L’art ne prévoie pas de débuter en contact de l’adversaire, il faut donc aller au combat (Zufechten). L’auteur prévoie de n’y aller sans aucune précipitation, mais courageusement. Chaque pas doit être mesuré comme si l’on marchait en équilibre sur une balance (Wogen) : Auch wisse wen eyner mit eyme ficht / zo sol her syner / schrete wol war nemen / und sicher in den seyn / wen her recht zam of eyner wogen stehen sal / hindersich / ader vorsich zu treten / noch deme als sichs gepürt / gefüge und gerinklich / risch und snelle / und gar mit guter mute und guter gewissen ader vornunft sol deyn fechten dar gehen / und an alle vorchte130: « Aussi sâche que lorsqu’un homme veut en combattre un autre, il doit bien prendre soin à ses déplacements et les effectuer avec assurance, comme s’il se tenait sur une balance. Il doit reculer ou avancer comme il faut, avec adresse, agilité, en train et célérité. Il faut mener le combat avec hardiesse, bonne conscience et raison ; sans aucune crainte. » Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Le peu d’indications complémentaires données par l’auteur montre qu’a priori les déplacements doivent rester naturels, en gardant toujours l’équilibre et un bon appui au sol en pensant que cette escrime doit pouvoir être pratiquée sur n’importe quel terrain que ce soit du sable, du fumier ou de l’herbe mouillée131. L’expérimentation propose deux types principaux de déplacements, soit l’accomplissement d’une marche c’est-à-dire en avancant un pied devant l’autre, soit des sautillements qui permettent des déplacements dynamiques dans toutes les directions. Les mouvements doivent

127 Id., ibid., p.547.128 BAS (P.-H.), op.cit., t.I, p.106.129 F°22v°.130 F°15v°.131 Les pratiquants de reconstitution historique et autres re-enactors pourront certainement en témoigner.

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être rapides, rebondissants sans être inutiles et encore plus quand il s’agit d’un déplacement pour porter une attaque : Auch saltu mosse haben yn deyme gefechte dornich als sichs gepürt / und salt nicht czu weit schreiten / das du dich deste bas eyns- / andern schretes irholen magest / hinderdich / ader vordich czu tuen / noch deme als sich wörde gepuren / und das / Auch gepüren sich oft czwene korcze schrete vor eynem langen / und oft gepürt sich das eyner e lewtcheyn mus tuen / mit korczen schrete vor eyner langen/ und oft das eyner eynen guten schret ader sprunk mus tuen /132 « Aussi dois-tu tenir compte comme indiqué de la mesure dans tes assauts, et tu ne dois pas faire de pas trop larges, afin de ne perdre du temps en devant ensuite ajuster ton déplacement d’un pas supplémentaire devant ou derrière toi comme il est nécessaire. Il vaut souvent mieux deux pas brefs plutôt qu’un seul long ; fréquemment le combattant doit effectuer une petite course avec de courtes foulées, et en d’autres circonstances il lui faut faire un bon pas ou un saut. »  Il y a donc une adaptation des pas et de leur amplitude en fonction de la distance à effectuer. Le mouvement pouvant être complété par une marche afin d’être toujours sur ses appuis et en mesure de partir illico presto dans n’importe quelle direction sans avoir à effectuer un quelconque retrait du pied comme se serait le cas après une fente par exemple. Les pas sont assez courts pour qu’aucun déplacement ne soit long en durée dans l’optique de pouvoir porter une attaque efficace à n’importe quel moment et parce qu’en cas d’attaque adverse le corps donne priorité à la recherche de l’équilibre et non à la coordination des autres mouvements. Le fait de multiplier les petits pas en avant ou en arrière en rompant la distance permet de jouer avec l’adversaire lors du Zufechten. Les déplacements sur les côtés ne sont pas à négliger, aussi bien vers la gauche que vers la droite. Naturellement les adversaires peuvent donc tourner en restant tout le temps face à face, ce qui amène à considérer l’espace de combat comme un espace avant tout circulaire et non linéaire133. Même si les sources n’en parlent pas, la respiration, comme dans toute activité physique, a de l’importance et il faut apprendre à bien respirer lors des déplacements et à expirer lorsque l’on porte une attaque.

L’art lichtenaurien conseille également, aussi bien à l’épée qu’à la lutte, de se diriger vers son adversaire en arrivant sur son côté gauche afin de le frapper sur ce même côté : Auch wisse / das eyner sal io eyme of dy rechte seiten komen yn seyme gefechte / wen her eyner do yn allen sachen / des fechtens ader ringens / das gehaben mag / denne gleich vorne czu / und wer dis störke wol weis / und wol dar brengt der ist ist nicht eyner bözer fechter /134: « Sache qu'un homme doit toujours aller vers l'autre sur le côté droit dans ses pièces d'escrime, car en toutes choses de l'escrime ou de la lutte, il saura mieux le dominer de ce côté, plutôt qu'en allant droit sur lui. Celui qui connaît bien cet avantage et l'applique correctement, alors celui-là n'est pas un mauvais combattant. » La 132 F°15v°.133 Des combats libres et amicaux aux sabres contre des pratiquants d’escrime sportive ont montré que ces derniers étaient facilement déstablisés par l’absence de leur piste d’escrime traditionnelle. 134 F°16r°.

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pratique montre en effet que contre un combattant inexpérimenté cela est relativement efficace car grâce notamment au Vor il est possible d’atteindre son adversaire au corps ou à la tête en évitant plus facilement l’obstruction faite par ses bras et son arme. De plus si lui ne se tourne pas ses coups venant de la droite son pratiquement hors de porté. Auch meynt her das / eyner den hewen nicht gleich sal noch gehen und treten zonder etwas beseites und krummes umbe / das her ieme an dy seite kome / do her in bas / mit allerleye gehaben mag / denne vorne czu / Was denne her nür of ienen hewt ader sticht das mag im iener mit keynerleye durchwechsel ader andern gefechten /get / wol weren ader abeleiten / nür das dy hewe ader stiche gleich czum manne czu gehen keyn den blössen / czu koppe ader czu leibe / mit umbeschriten und treten135: « (Liechtenauer) explique également que celui qui porte un coup ne doit pas aller et marcher directement après ce coup, mais un peu sur le côté, de travers et autour de son adversaire, de façon à ce qu'il lui vienne de côté où il pourra bien l’atteindre de nombreuses façons. Car s’il se contente de courir tout droit sur son adversaire pour le frapper ou l’estoquer, ce dernier pourra aisément s’en défendre et le contrer avec un quelconque changement au travers ou une autre  technique. Ainsi, les coups de taille ou d'estoc doivent aller tout de suite à l'homme vers les ouvertures, à la tête ou au corps, avec des pas ou marches encerclants. »

Sans aucune surprise les autres combattants plus expérimentés ne feront certainement pas la même erreur et se tourneront vers leur assaillant recréant ainsi l’équilibre. Si les deux protagonistes s’acharnent à vouloir atteindre leur adversaire en portant leur assaut sur le côté, ils vont se mettre facilement à tourner sur un cercle afin de trouver une opportunité ou alors quand ils porteront leur attaque ils échangeront quasiment leur place136. C’est en effet l’un des moyens de garder la distance sans la rompre en reculant ou sans avancer au risque de recevoir une attaque si les deux adversaires ne sont pas à portée et qu’il suffit d’un pas pour qu’ils le soient.

    b) Les frappes et les tailles.

Les déplacements ne peuvent pas être bien compris sans la compréhension en parallèle des frappes (Slagen) et autres coups de taille (Hawen). En plus du fait de tenir correctement son arme comme expliqué précédemment, l’art mais aussi l’expérimentation préconisent de déplacer la jambe du côté d’où vient le coup lors du mouvement de frappe, ce coup étant bien plus efficace quand il est porté avec tout le corps. Mit ganczem leiben ficht was du stark gerest treiben137:

135 F°19v°.136 On comprend les difficultés que ceci peut amener en combat collectif.137 F°18v°.

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« Escrime-toi de tout ton corps, si tu veux tout effectuer avec force. » Ainsi on va exécuter une marche relativement importante quand on va porter un coup et on va donc avancer vers son adversaire en parcourant une distance plus importante que si les jambes restaient immobiles. On peut donc attaquer de plus loin et ceci permet d’être bien plus facilement dans le Vor face à un adversaire qui lui n’avancerait pas. Le geste idéal est celui où l’impact de la lame à lieu au même instant que le pied qui avance, rejoint le sol, le talon avant la pointe. Si il est possible de porter un coup venant du haut (Oberhaw) de son côté droit en avancant sa jambe droite, il est possible de faire de même de son côté gauche en avancant sa jambe gauche. Il est même possible de donner un coup venant du bas (Unterhaw) de chaque côté sans toutefois oublier d’avancer la jambe concernée : Auch wisse das nur czwene hewe seyn aus den alle hewe ander wy dy komen wy dy umber genant mögen werden / das138 das ist der öberhaw / und der underhaw / von beiden seiten / dy sint dy hawpt hewe und grunt aller ander hewe / wy wol dy selben ursachlich und gruntlich139 : « Aussi sache qu'il n'y a que deux coups qui engendrent tous les autres. Par conséquent, ceux-ci peuvent être qualifiés de coups principaux et de fondement de tous les coups. Ce sont le coup haut et le coup bas de chaque côté. Ce sont les coups principaux et la base de tous les autres coups, [...] bien qu'ils proviennent de la pointe de l'épée qui est le coeur et le centre de toutes les autres pièces...» L’Unterhaw peut avoir la particularité d’être donné avec le tranchant arrière de l’épée qui est dans le prolongement du pouce appelé en fonction des sources faux tranchant (lincke Klinge) ou court tranchant (kurtze Schnyde140), à l’opposé du vrai tranchant (rechte Sneide141) ou long tranchant (lange Schnyde142) qui est dans le prolongement des doigts143. Le Ms 3227a parle aussi logiquement de tranchant dessus et de tranchant dessous : mit beiden sneiden / der hindern und der vördern144. Ainsi si on porte parfaitement dans le vide des coups hauts ou des coups bas, en partant de la gauche ou de la droite, leur trajectoire ne dessinera qu’une seule et même forme : une croix en sautoir ou croix de Saint-André. A l’opposé il n’existe pas de coups de base horizontaux ou verticaux car ces derniers ont beaucoup moins de force. En effet à l’opposé d’un coup d’estoc, il faut un angle de pénétration qui ne soit pas droit afin d’avoir le moins de résistance possible145. L’objectif est que chaque coup soit potentiellement efficace, il faut donc les optimiser. Ce qui est intéressant est que malgré tous ces coups potentiels, l’art préconise simplement et naturellement de donner un coup haut en partant de la droite pour les droitiers et inversement pour les gauchers : Wiltu kunst schawen sich link gen und recht mete hawen. Und link mit rechten is

138 F°23v°.139 F°24r°.140 Ex. cf. Mscr. Dresd. C487, op. cit., f°28v°.141 F°36v°.142 Id. Ibid., f°31r°.143 D’après les propos de Maître Jean-Luc Pommerolle.144 F°27v°.145 L’Homme debout est ici a rapprocher d’un tronc d’arbre frappé à la cognée par un bûcheron.

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gas du stark gerest fechten / Wer noch get hewen der darf sich kunst kleyne frewen / haw nu was du wilt keyn wechsler kawm an dich schild / Czu koppe czu leibe dy czecken do nicht vormeide / Mit ganczem leiben ficht was du stark gerest treiben / Höer was do slecht ist ficht nicht oben link zo du recht pist / Und ob du link pist ym rechten (auch) sere hinkest / Auch so vicht io liber von oben rechtlinklichen nider /146 : « Si tu veux faire montre d’art, viens de la gauche en frappant de la droite, et viens de la droite en frappant de la gauche ; c’est ainsi que tu combats avec force. Celui qui va après avoir frappé, celui-là n’éprouvera pas de joie en son art. Donne-lui le coup que tu veux, aucun changement ne viendra devant ta garde. À la tête, au corps, ne te dérobe pas aux retractions. Escrime-toi de tout ton corps, si tu veux tout effectuer avec force. Écoute ce qui est mauvais : ne t’escrime pas vers le haut à gauche si tu es droitier ; et, si tu es gaucher, tu t’entraves aussi grandement à droite : il vaut donc mieux le combattre de haut en bas, de ta gauche (toujours pour un gaucher) ».

Le but est de l’atteindre à la tête ou haut corps en frappant dans le dedans c’est-à-dire, tout le côté gauche de la tête de l’adversaire, son cou, son trapèze, son épaule, voir le haut de son avant bras tout dépend souvent de la taille de son adversaire. L’expérimentation montre qu’il peut être préférable de s’exercer à toujours viser la tête afin de faciliter l’enseignement et parce que les protections de l’époque ne protègent pas nécessairement le visage efficacement147. Auch sal eyner allemal liber den öbern blössen remen / denne den undern / unde eyme ober deme gehilcze yn varen / mit hewen ader mit stichen / künlich und risch / Wen eyner irreicht eynen vil bas und verrer öber dem gehilcze / den dorunder / und eyner ist auch alzo vil sicher alles fechtens / und der obern rure eyne / ist vil besser denne der undern eyne / Is wen denne / das ist alzo queme das eyner neher hette zu der undern das her der remen müste / als das ofte kumpt148 : « Un escrimeur doit toujours viser les ouvertures hautes plutôt que les basses, et donc assaillir promptement et courageusement son adversaire au-dessus de sa garde avec tailles ou estocs. Car l’on atteint son adversaire de bien meilleure façon au-dessus de la garde qu’en dessous, et l’on combat ainsi de manière plus sûre. En outre, un coup ayant atteint en haut est bien meilleur qu’un coup en bas – excepté le cas courant où l’on trouve l’ouverture basse plus proche ; dans ce cas il faut l’attaquer. » Les ouvertures (Blössen) basses, c'est-à-dire la partie du corps qui va du haut du genou à la taille est réellement à éviter pour initier un combat individuel149. En plus de la force qui est moins importante, la portée l’est également. Les diagonales d’un carré étant plus longues que ses côtés, un adversaire frappant correctement une ouverture haute atteindra son adversaire avant que celui-ci n’atteigne une ouverture basse. La technique qui consiste à attaquer un individu sur une ouverture haute alors que celui-ci est en train de 146 F°18v°.147 A l’opposé l’utilisation de masques d’escrime et d’armes en bois se prête bien à ce genre d’usage.148 F°16r°.149 Ce qui peut être différent en combat collectif.

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frapper une ouverture basse est appelée le « débordement » : Öberlawfen150 ou le fait de passer dessus. De plus viser une ouverture basse ne permet pas de se protéger efficacement d’un coup haut (Oberhaw), ainsi face un adversaire qui attaque « basiquement » de son côté droit aura bien plus de chance de frapper efficacement son adversaire151.

c) Vers les fondements d’une escrime basique et efficace.

Il n’est pas nécessaire dans un premier temps de connaître autre chose pour se battre efficacement contre la plupart des adversaires. La maîtrise du temps et de l’espace, la volonté de prendre le temps afin d’être dans le Vor, le fait de se déplacer et de frapper correctement à bonne distance, sont largement suffisants pour comprendre les fondements de n’importe quelle escrime. C’est également un enseignement qui s’avère très pratique en combat collectif. Le mouvement reste la clef de se succès. L’idéal d’un combat pour un droitier est de bien se déplacer lors de l’approche (Zufechten) et de porter un premier coup (Vorslag) dedans à bonne portée avant que l’adversaire ne puisse réagir efficacement, coup si il est fort et efficace mettra définitivement fin au combat. Dans le doute et par automatisme, il est possible de frapper de nouveau (Nochslag), mais de l’autre côté en visant dessus, revenant nécessairement dans une position haute. Il faut dans l’idéal avoir la possibilité de l’exécuter avec un accompagnement de la jambe gauche pour qu’il soit optimisé également. En cas de distance trop courte il est possible de venir lutter ou de donner un coup de pommeau (Klosse)152, mais toujours de l’autre côté par rapport à l’attaque initiale. Par conséquent tout ne peut être que lié au geste et au mouvement :

Motus das worte schone / ist des fechtens eyn hort und krone / der gancze materiaz des fechtens / mit aller pertinencia / und der artikeln gar des fundamentes dy var / mit namen sint genant / und werden dir hernoch bas bekant / Wy denne eyner nur ficht / zo sey her mit den wol bericht / Und sey stetz in motu / und nicht veyer wen her mit / An hebt czu fechten / zo treibe her mit rechte / Umbermer in und endlich eyns noch dem andern kü]nlich / In eyme rawsche stete / an underlos imediate / das iener nicht kome / czu slage des nympt deser fromen / Und iener schaden / wen her nicht ungeslagen / Von desem komen mag / tut nur deser noch dem rat / Und noch der leren / dy itczunt ist geschreben / So sag ich vorwar / sich schützt iener nicht ane var / hastu vornomen / czu slage mag her mit nichte komen /

150 F°33v°.151 C’est un cas que nous retrouvons souvent dans la pratique des AMHE, ou l’adversaire se retrouve avec la lame dans la tête alors qu’il s’obstine à faire une égratignure à l’ouverture du dessous.152 F°21r°.

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Hie merken das / frequens motus / beslewst in im / begynnis / mittel und ende / alles fechtens / noch deser kunst und lere / alzo das eyner yn eyme rawsche / anhebunge / mittel unde endunge / an underlos und an hindernis synes wedervechters volbrenge / und ienen mit nichte lasse zu slage komen153 : « "Motus", ce mot est de toute l’escrime le trésor et la couronne154. Toute la matière de l’escrime, dans toute sa pertinence, ainsi que les articles complets des fondamentaux te seront nommés et décrits en vérité, afin que tu les connaisses parfaitement. Ainsi, lorsqu’un homme va au combat, qu’il soit bien instruit en tout cela. Sois toujours en mouvement et ne reste pas oisif lorsqu’il commence à te combattre. Alors mène courageusement tes actions, en lançant constamment l’un après l’autre, jusqu’au bout, de manière bien louable ; submerge-le immédiatement et sans relâche, pour qu’il n’ait pas lui-même l’occasion d’en venir aux coups. Ainsi l’un se réjouit et l’autre est marri, ce dernier ne sortant pas du combat invaincu de devant le premier si celui-ci agit d’après le conseil et la leçon qui est écrite ici. Je le dis en vérité : on ne peut se protéger sans s'exposer au danger ; si tu comprends cela, il ne pourra en venir aux coups. Ici retiens que, d'après cet art, le terme « frequens motus155 » s’applique au début, au milieu et à la fin de tout combat. Apprend donc qu’il faut mener d’une traite le commencement, le milieu et la fin, sans relâche et sans laisser l’adversaire contrer, pour qu’il ne puisse en venir aux coups.

Ici l’auteur souligne un autre point important : « il est impossible de se défendre sans danger ». L’art de liechtenaurien n’utilise pas en effet ce que l’on pourrait appeler des « parades », car elles n’ont aucune efficacité réelle. La parade est une action défensive qui pour un débutant consiste à opposer sa lame à celle de l’adversaire, ce qui n’est possible que lorque cette dernière arrive près de son fort. Ceci est inutile pour plusieurs raisons car, d’une part, l’initiateur de cette technique ne fait que se défendre, il sera donc toujours dans le Nach et ne menera jamais ses propres actions. Et parce que dans la même logique l’attaquant n’a qu’à soustraire sa lame à cette interception pour le frapper de l’autre côté, sans risquer de se prendre un coup puisque sont adversaire n’est pas dans une attitude offensive, sa pointe étant le plus souvent orientée vers le haut. Dorum spricht Lichtnawer / « Ich sage vor ware sich schutzt keyn man ane vare / Hastu vornomen czu slage mag her kleyne komen » 156 : « Voilà pourquoi Liechtenauer dit : « je le dis en vérité, aucun homme ne se protège sans danger, as-tu entendu cela, il ne peut donner que de petits coups157 ». Ce réflexe ou cette utilisation basique de l’arme n’est pas simplement propre aux débutants d’aujourd’hui mais gouvernait aussi les individus à l’époque : Merck das ist das du nicht versetzen solt als die gemainen vechter thuen / wenn die versetzen / So

153 F°17v°.154 C’est-à-dire ce qui t’apportera fortune et pouvoir.155 Mouvement répété, fréquent.156 F°20v°.157 Ou il ne peut en venir aux coups.

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halden sÿ iren ort in die hoch oder auff ein seitten / vnd das ist ze versten das sy in der versatzung mit dem ort die vier plöß nicht wissen zw süchen / Dar vmb werden sie offt geschlagen / oder wenn dw versetzen wild / So versetz mit deinem haw oder mit deinem stich / vnd suech Indes mit dem ort die nächst plöß / So mag dich kain maister an seinen schaden geschlachen158 : « Retiens que tu ne dois pas parer (repousser) comme le font les escrimeurs communs, lorsqu’ils parent, ils tiennent leur pointe en l’air ou sur un côté ; et il faut comprendre cela : pendant la parade, ils ne savent comment chercher les quatre ouvertures ; c’est pourquoi ils sont souvent vaincus. Ou alors, si tu veux parer, alors pare avec ton coup ou bien avec ton estoc, et recherche dans le même-temps avec la pointe la plus proche ouverture. Ainsi, aucun maître ne sera-t-il en mesure de te vaincre sans dommage ».

L’art liechtenaurien préconise bien de viser les ouvertures et (presque) jamais la lame, que ce soit dans un concept offensif ou bien défensif. Und meynt wen eyner stark wil fechten zo sal her von der linken seiten of fechten / mit ganczem leibe und mit ganczer kraft / czu köppe und czu leibe wo her nur treffen mag / Und nummer zu keyn swerte / zunder her sal tuen / zam iener keyn swert habe aber zam hers nicht sehe / und sal keyne czecken ader ruren nicht vormeiden / zonder umbermer [?] in erbeit und in berürungen seyn / das iener nicht czu slage mag komen /159 : « De plus, il (Liechtenauer) indique également que pour se battre avec force, il faut initier le combat à partir du côté droit, avec tout le corps et avec toute sa force, en visant la tête et le corps, uniquement là où il peut toucher, et en ne visant jamais l'épée adverse. Au contraire, il doit faire comme si l'adversaire n'avait pas d'épée ou comme s'il ne la voyait pas ; et il ne doit pas oublier d’utiliser les retractions, mais plutôt rester constamment dans l’ouvrage et chercher les touches, de façon à ce que l'autre ne parvienne pas à en venir aux coups. »

Un bon combattant n’a pas dans un premier temps à se soucier de l’arme de son l’adversaire, il essayera toujours de frapper en premier et si son adversaire arrive à lui porter une attaque simultanément, la présence de son arme le protégera et il devra ainsi commencer le travail au fer lors du « conflit » : Krieg ou liage.

III) L’art du combat à l’épée longue.

Une des questions est de savoir si l’auteur a essayé de rédiger son discours dans un ordre logique ou suivant une certaine logique pédagogique. Apparement il préfère suivre strictement l’ordre proposé par le poème de Liechtenauer. Or comme il est fort probable que les règles de l’enseignement « allemand » de cette période ne soient plus totalement adaptées à un enseignement 158 Traduction du f°26v° du Cod.44 A 8 (Cod. 1449) in http://ardamhe.free.fr/html/manuels.htm.159 F°19v°.

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contemporain, je choisirai légitimement et par facilité d’exposer cet art avec le même ordre et le même cheminement qui m’ont été instruit par Maître Pommerolle. Cet aspect pédagogique n’est en rien négligeable car la préparation de cours et leur enseignement aux néophytes font clairement parti de la démarche expérimentale et participent indubitablement à une bonne compréhension des AMHE et à celle de l’histoire des sciences et techniques plus traditionelle.

Aussi afin de compléter et d’expliquer les différents éléments exposés dans le Ms 3227a nous nous reporterons souvent à d’autres sources déjà citées160.

A) Les fondamentaux à l’épée.

Les fondamentaux de l’art du combat sont souvent naturels et sont issus de principes ou d’axiomes, on peut alors parler de lois : Gesetze161. Leur utilisation participe à la définition de ce que l’on pourrait considérer comme un véritable combat sérieux à l’opposé d’un combat qui n’y serait pas soumis et qui ne serait qu’un vulgaire tambourinage.

1) Les gardes ou postures.

L’auteur présente les gardes : Huten ou postures : Legern après plusieurs passages théoriques et techniques. Il nous paraît plus simple de commencer par elles comme le plus souvent dans les codices illustrés. Les principales sont au nombre de quatre et semblent naturelles si on se réfère au système de combat liechtenaurien, mais elles ne le sont pas par rapport à une utilisation basique. C’est ce que précise l’auteur : Vier leger alleyne / do von halt und flewg dy gemeyne162 : « Seules quatre postures sont à tenir en estime, les communes fuis-les ». Ce n’est pas toujours le cas, par exemple pour l’épée à une main dans sa présentation des gardes, l’auteur du Liber de arte dimicatoria précise : Notandum quod generaliter omnes dimicatores, sive omnes homines habentes gladium in manibus, etiam ignorantes artem dimicatoriam, utuntur hiis septem custodiis163.

La première posture est celle du toit : vom Tage164, elle consiste à la base à tenir l’arme pointe vers le ciel, les coudes près du corps et les bras plus ou moins tendus. La pointe peut être orientée légérement vers l’arrière pour donner plus

160 Cf. le Mscr. Dresd. C487 ; le Cod I.6.4°-3 ; le Cod. 44 A 8 (Cod. 1449) ; Ms. I 29, op.cit..161 F°22v°.162 F°32r°.163« De manière générale, il faut constater que tous combatants, voire tous ceux qui tiennent une épée en mains, même ignorants de l’art du combat, ont recours à ces septs gardes ». I-33 (Ms membr. I 115), f°1, cf. CINATO (F.) et SURPRENANT (A.), Le livre de l’art du combat, Liber de arte dimicatoria, Paris, 2009, p.8 et 9.164 F°32r°, vom Tach pour Ringeck, op. cit.

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de force au coup, à l’opposé la pointe peut être légérement vers l’avant afin de raccourcir la distance de frappe et de menacer l’adversaire. Comme pour toutes les gardes, à droite la jambe droite est initialement derrière avant de porter un coup et inversement à gauche, car toutes les gardes sont possibles à droite comme à gauche et l’on emploie parfois les adjectifs dextre et senestre pour les différencier.

Si l’on porte un coup à partir de la posture du toit et que l’on ne l’arrête pas en chemin on va se retrouver avec une pointe dirigée vers le sol, cette seconde posture est appelée garde du fou : Alber165. Si dans cette position au côté gauche l’on croise les mains en desserant un peu la main gauche et que l’on se retrouve avec la pointe dirigée vers le sol avec le faux tranchant dessus pouvant même aller jusqu'à une position perpendiculaire ou qu’ à l’opposé à droite la jambe gauche étant devant, la pointe est inclinée vers le sol avec le vrai tranchant dessus on change évidemment de nom et on peut parler de garde de la barrière : Schranckute ou de la porte : Pforte166, mais cette posture reste spécifique et permet principalement de donner des coups bas (Unterhaw) avec le vrai tranchant.

Les deux autres gardes sont facilitées si l’on met le pouce de la main droite sur le plat de la lame juste au dessus de la croisée. Dans la position haute, c’est la garde du bœuf : Ochse167 ou l’on va chercher à pointer la pointe vers le visage de l’adversaire, avec le pouce droite en dessous de l’épée. Dans une position basse, l’épée va se trouver au côté à la hauteur des hanches mais pointant toujours le visage adverse, le pouce vers l’intérieur. C’est la position de la charrue : Pflug168. Ces deux gardes pouvant être prises également du côté gauche évidemment.

En fait il est possible avec plus ou moins de facilité de passer d’une garde à une autre en donnant simplement un coup de haut en bas ou inversement et seulement quand il s’agit de passer d’une position dextre à une position senestre ou réciproquement. Mais l’on execute simplement un mouvement quand il s’agit de changer de position basse ou de rester posté du même côté. Lors d’une marche il faut donc passer d’une garde à gauche à une garde à droite et inversement. Lors de l’approche (Zufechten) il est donc possible tout en restant hors distance de changer continuellement de position ceci afin de ne pas laisser le temps à l’adversaire d’analyser la situation et de porter un coup sur une ouverture (Blos) définitivement non protégée par une garde. Si un individu ne change jamais de garde, il est alors dans une position purement défensive et se met alors en danger : Doch vor allen sachen / zo sal eyner man io nicht czu lange dorynne legen / Wenn Lichtnawer hat eyn sölch sprichwort / wer do leit der ist tot / Wer sich rüret der lebt noch / Und das get of dy leger das sich eyn 165 Notons une erreur dans la présentation des gardes au folio 32r°.166 Ibidem. Notons que ces distinctions seront souvent modifiées par la suite en fonction de l’auteur.167 Ibid.168 Ibid.

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man sal liber ruren mit gefechten den das her / der huten wart / mit dem her vorslossen möcht dy schancze169 : « Toutefois, avant toute chose, il ne faut pas rester dans l’une de ces gardes trop longtemps. En effet, Liechtenauer a une telle maxime : "Celui qui gît là, celui-là est mort ; celui qui bouge, celui-là vit encore" ; et cela concerne les postures. À ce propos, il vaut mieux se déplacer pendant le combat plutôt que d’attendre dans une garde dans laquelle on risque de se fermer à toute opportunité. » Les gardes apparaissent définitivement comme des positions éphémères, parfois au départ d’une action, parfois position finale et qui permettent seulement aux théoriciens de baliser l’espace.

Mais toutes ces gardes peuvent être contrées également par des coups spécifiques, ainsi l’auteur avance que Liechtenauer lui-même considérait les gardes comme quelque chose de vulnérable et recommandait plutôt de frapper le premier coup (Vorslag)170, aussi souvent que possible. Le fait que Liechtenauer ou les gens qui s’expriment à sa place exposent des gardes alors qu’ils les trouvent imparfaites montre peut-être une connaissance d’un art du combat antérieur à celui de Liechtenauer ou alors une démarche pédagogique. Dans tous les cas la compréhension des gardes parait indispensable à une compréhension du système défensif, ou l’art et la manière de passer du Nach au Vor. Dans le même paragraphe l’auteur précise : Mit deme / daz man eyme kunlich czu hewt / zo mus io eyner/ of varn und sich schutzen : « De ce fait, lorsque l’on porte un coup hardiment à un homme, celui-ci doit subitement mouvoir son arme et se protéger » ceci afin de « fermer » l’ouverture visée.

2) L’art de frapper avec une épée.

a) Frapper avant l’attaque.

L’expérimentation via les tests de coupe en croisement avec le texte nous prouve qu’un coup haut ou Oberhaw correct n’est pas en fait une action partant necessairement de la garde du toit (vom Dach), pour terminer dans la garde du fou (Alber), mais plutôt un coup terminant dans la garde de la charrue (Pflug). Et qu’inversement un coup bas ou Unterhaw donné correctement part d’une position basse pour terminer dans la garde du bœuf (Ochs) du côté opposé nécessitant si l’on part de la posture du fou (Alber) de tourner sa lame dans le mouvement d’où l’intérêt de la garde de la barrière (Schrankhute). Ceci pour plusieurs raisons, la première est que ce geste n’atténue en rien la possibilité de tailler efficacement, bien au contraire. La seconde est que la pointe reste dirigée et menaçante vers l’adversaire afin d’avoir la possibilité de donner un estoc. La

169 F°32r°.170 Ibid.

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troisième est qu’il est possible de fermer une ouverture pratiquement dans le même temps, ce qui peut s’avérer intéressant. L’exemple le plus commun est lorsqu’un combattant porte le premier coup, Vorslag, avant son adversaire et que celui-ci part dans le même temps, en contre temps avec un peu de retard. Si les deux visent réciproquement l’ouverture du dedans (en haut à droite), il est possible que le premier atteigne l’autre avant le contact de lame ou en même temps, et même avant si ce contact n’a pas eu lieu. Mais si le second vise l’ouverture du dessous (en bas à droite) en ignorant l’action de l’autre, les deux sont touchés. Le second le plus souvent avant le premier mais aucun des deux n’en sortira indemne. Ainsi si le premier porte son coup et vient automatiquement en garde de la charrue  à gauche il peut se protéger efficacement si l’autre frappe avec un peu de retard. L’importance que prennent ainsi la garde du bœuf (Ochs) et celle de la charrue (Pflug), fait que l’on ne parle plus de garde, mais de suspensions haute ou basse : Hengen : Auch sal eyner guter fechter / vol lernen / eyme an das swert komen komen und das mag / her wol tuen / mit den vorsetczen / wen dy komen aus den vier hewen / von itzlicher seiten / eyn öberhaw und eyn u[e]nderhaw / Und gen yn dy vier hengen wen als bald als eyner vorsetzt von unden / ader von oben / zo sal her czu hant yn dy hengen komen / Und als her mit der vördern sneiden / alle hew und stiche abewendet / als ist es mit den vorsetczen171 : « Par ailleurs, un bon escrimeur doit bien apprendre à venir à l’épée de son adversaire, ce qu'il pourra faire grâce aux répulsions, lesquelles proviennent des quatre coups de chaque côté, qui sont le coup de haut et le coup de bas. Et ces derniers sont issus des quatre suspensions. Aussitôt qu'un combattant repousse d'en haut ou bien d'en bas, il doit venir dans une suspension. Et puisqu'il détourne tous les coups de taille et les estocs avec le tranchant de devant, il en est de même pour la répulsion. »

b) Frapper contre une attaque.

Ainsi on découvre ici une autre loi de l’escrime, le fait qu’il est possible de se protéger d’un coup de taille ou d’un coup d’estoc en agissant dans le même temps avec un coup de taille ou un coup d’estoc172. Les suspensions (Hengen) sont efficaces car elles permettent de poursuivre d’autres actions sans aucune discontinuité. Ils sont simplement le fait d’être en contact avec la lame de l’adversaire en posture de la charrue (Pflug) en bas et du bœuf (Ochs) en haut, ce contact se faisant nécessairement avec le vrai tranchant (rechte Sneide). L’action de contrer une attaque en venant dans une suspension (Hengen) est apparemment appelée dans le texte « détournement » : Wenden. On remarquera que le geste qui permet d’arriver à cette suspension nécessite une rotation des poignets comme lors de certains changements de garde. Ce mouvement qui est

171 F°32v°.172 Mscr. Dresd. C487, op.cit..f°35r°

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très important dans l’art lichtenaurien est appelé « rotation » : Winden et souvent ce nom est utilisé comme un verbe pour désigner cette action de « tourner ». On a donc pour l’auteur une distinction des différentes étapes qui constituent un seul geste, ce qui ne se retrouvera pas nécessairement dans des manuscrits plus tardifs. Sur une attaque adverse il est donc possible de faire un « détournement » (Wenden173) en faisant une rotation des poignets (Winden) pour finir dans une suspension (Hengen). Une fois le contact des lames, l’art préconise de rester en contact dans cette suspension haute et de pousser avec les mains afin d’avoir la possibilité d’entailler son adversaire, cette action est appelée « le presse main » : Hende drucken : Deyn sneide wende / czum flechen drücke dy hende / Ein anders / ist wenden eyns winden / das dritten hengen / Wiltu machen vordrossen / dy vechter / zo drucke mit stössen / Ober dy hende hewstu hewet man snete behende / Czewch och dyn snete / oben aus öber dem hewpte. : « Détourne avec ton tranchant vers le plat, presse les mains. Une chose différente est le détournement, l’autre est la rotation, la troisième est la suspension. Si tu veux contrarier les escrimeurs, alors presse en percutant. Par-dessus les mains, l’on entaille les coups dextrement. Tire aussi les entailles, là par-dessus la tête. »

A la lecture de certains manuscrits plus tardifs174 on se rend compte que cette technique éxecutée à partir de la garde de la charrue (Pflug) aussi bien à gauche ou à droite et d’intercepter un coup de taille porté à l’ouverture du dedans en arrivant dans une suspension haute (Hengen) est appelée « écarté» : Abesetzen. Après avoir fait cet écarté il faut quasiment dans le même temps venir estoquer en poussant avec sa jambe gauche et en avançant encore la jambe droite qui se trouve nécessairement devant puisque l’on doit arriver dans la garde du bœuf senestre. Il est même théoriquement possible d’exécuter des écartés à partir des gardes de la barrière (Schrankhute) dextre et senestre.

A l’opposé le simple fait de contrer une attaque grâce à une autre attaque est appellé « répulsion » ou « parade » : Vorsetzen, c’est avant tout l’action de repousser mais sans se retrouver directement dans une suspension (Hengen) comme une attaque banale. C’est également un terme assez générique désignant plus un concept qu’une technique : c’est une action dynamique et non pas une simple parade, encore une fois il ne s’agit jamais de viser la lame mais bien de viser une ouverture adverse car il est théoriquement toujours possible de faire un contre-temps et ainsi d’atteindre son adversaire avant lui en partant un peu après.

Mais alors que la répulsion (Versetzen) se fait dans le même temps que l’adversaire, il est possible d’exécuter une action en demi-temps, en le frappant à une cible plus proche c’est le fait de faire une action appelée le « rattrapage » : Nochreisen175 ou le fait de le rejoindre sur son action. C’est le cas souvent pour

173 F°36v°174 Cf. par ex. Cod.44 A 8 (Cod. 1449), op. cit. f°30r°.175 F°33r°.

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l’entaille qui se fait logiquement aux bras : Abesneiden176. Elle est surtout utilisée quand il s’agit de partir d’une position basse contre un coup haut (Oberslag) ou à l’inverse d’une position haute contre un coup bas (Unterslag). Il est conseillé après cette entaille de se déplacer et de changer de ligne tout en gardant le contact avec le corps de l’adversaire car l’éventuelle blessure de l’empêchera pas indubitablement d’arrêter son coup. On parle également ne Nochreisen dans tous les cas où l’on cherche à entailler ou à estoquer la première ouverture qui se présente alors que l’adversaire cherche une ouverture plus conventionnelle, il est donc dans l’après (Nach). C’est le cas pour « la veille entaille » : den alden Snet mete mache177 où lors du contact des lames (Krieg) on va rester en contact et l’on va avancer l’épée afin d’entailler directement le visage de l’adversaire.

Enfin avec les suspensions (Hengen) surtout les basses que sont les gardes de la charrue (Pflug) des deux côtés, il est possible de dévier les coups d’estoc grâce à la technique précédement expliquée de « l’écarté » : Abesetzen178. Cette technique peut être considérée comme une action en deux-temps car il s’agit simplement dans un premier temps de recevoir le coup d’esctoc avec le faible (Swach) de sa lame et d’avancer afin que le faible de la lame de son adversaire se rapproche dans le fort (Sterk) de notre épée. Cette action conduit à détourner la lame de l’adversaire alors que la notre ne rencontre aucune contrainte : Wer auf dich sticht / dyn ort trift und seynen bricht / Von payden seyten / trif allemal wiltu schreiten // In aller lere / deyn ort keyn eyns gesichte kere179 : « Lorsqu’il te fait un estoc, ta pointe le touche et la sienne est brisée. Des deux côtés touche toujours, si tu veux faire des pas. Dans tout l’enseignement, dirige la pointe vers son visage. » Cette technique qui se rapproche du battement en escrime plus tardive est très souvent utilisée avec les armes d’hast d’estoc et gouverne même l’art de bien jouter à la lance de cavalerie.

On est alors en droit de se demander si ces techniques qui sont issues des principes fondamentaux de l’escrime ou lois (Gesetze) ne font pas intégralement partie des connaissances basiques connues dans la société médiévale. Il y a certainement une différence pour l’auteur des lettres de rémission et pour les témoins de l’action une différence entre l’action de rompre et l’action de détourner un coup. Dans le premier cas où l’on va chercher à « casser » le coup en frappant dans l’arme on se rapproche plus d’une répulsion (Versetzen), alors que dans le second cas le fait de détourner (Absetzen) implique plus un accompagnement de l’arme sans en amoindrir nécessairement la force mais en la redirigeant vers une direction non dangeureuse180.

176 F°36r°177 Ibid.178 F°34r°.179 Ibid.180 Cf. BAS (P.-H.), op. cit., t.II.

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Les techniques que nous venons de voir à l’épée sont a priori celles qui sont susceptibes d’être replacées réellement en combat par des individus ayant une certaine expérience mais n’ayant pas nécessairement reçu un enseignement martial développé et réfléchi comme d’autres techniques plus élaborées. D’ailleurs l’auteur ne les place qu’après avoir expliqué les techniques et les pièces (Stuken) plus développées et plus complètes, voir impressionnantes mais qui ne sont le plus souvent qu’une succession de techniques simples élaborées en fonction de la réaction de l’adversaire et du sentiment du fer.

3) Le contact des fers.

a) Ressentir et aviser.

Un bon combattant ne peut ignorer l’art de ressentir ce sentiment du fer et d’agir correctement en fonction de ses sensations : Wen her nü den vorslag / tuet / trift her / zo volge her dem treffen Vaste noch weret her aber iener den vorslag alzo das her im den vorslag / is sy haw ader stich mit syme swerte / abeweiset und leitet / dy weile her denne ieme noch / an syme swerte ist / mit deme als her wirt abegeweist / von der blössen der her geremet / hat / zo sal her gar eben fülen und merken181 : « Dès lors qu’il a effectué le coup initial, s’il touche, alors qu’il poursuive rapidement. L’autre se défend-il alors du coup initial – c’est à dire dévie-t-il ou accompagne-t-il de son épée une taille ou un estoc –, alors tant qu’il est avec lui au contact de l’épée par laquelle la sienne a été déviée de l’ouverture qu’il a voulu viser, il doit ressentir et aviser. » Cette importance du contact des fers est perceptible efficacement en utilisant des simulateurs possédant une lame en métal et bien plus difficilement avec des bâtons de bois. Il est évident qu’un bon escrimeur est comme un bon joueur d’échecs quelqu’un qui va analyser la situation et les possibilités qui s’offrent à lui le plus rapidement et le plus efficacement possible. Cet instant où les lames rentrent et restent en contact se doit d’être le plus bref possible tout en permettant de donner le plus d’indications possibles sur la situation de l’adversaire. Cette notion est aussi importante que la notion d’avant ou d’après, c’est la notion du « même-temps » ou « d’entre-temps » : Indes182, la conceptualisation du sentiment. « das fülen lere / Indes das wort / sneidet sere183.»: « apprend le sentiment ; en même-temps, ce mot est bien tranchant ». Un des paragraphes de Sigmund Ringeck est bien plus explicite que l’auteur sur ce point important et termine par : Und daz wort Indes ist och der schlissele damit alle kunst de

181 F°20r°.182 F°20v°.183 F°22v°.

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fechtens uffgeschlossen wirt184 : « Et le mot même-temps est aussi la clef avec laquelle tout l’art du combat sera révélé».

b) Les notions de fort et de faible.

Fidèle à une théorisation manichéenne qui gouverne tout le système de combat liechtenaurien, exactement comme la notion d’avant (Vor) et d’après (Nach), il y a une nécessité de catégoriser l’action de l’adversaire en fonction de la puissance de son geste. Cette analyse se fait en fonction de la propre action de l’analyseur, c’est le sentiment du fort et du faible. Dès le contact avec la lame de l’adversaire ou son corps à la lutte il est possible de déterminer si il est fort : stark et dur : herte ou au contraire si il est faible swach et mou : weich. La difficulté est que la force d’un coup dépend de nombreux facteurs qui intéragissent ensemble : comme la force de l’initateur du coup qui dépend entre autre de son profil physique et psychologique avec l’exemple pris par l’auteur du buffle (Püffel) ou du paysan (Pawer). La perfection du geste, l’épée est un outil et sert justement à donner à n’importe quel individu la possibilité de donner des coups efficaces. Enfin le lieu de contact des deux lames entres elles, gouvernant entre autre la technique de « l’écarté » (Absetzen) expliqué ci-dessus185 et l’efficacité des « répulsions » (Versetzen) et des « détournements » (Wenden). Plus le point d’impact est proche du fort de la lame, plus le propriétaire de l’arme est fort (stark) et inversement plus le point d’impact est proche du faible et de la pointe plus son propriétaire est faible (swach) : Wenne e neher czum gehilcze e sterker und e mechtiger und e neher czum orte / e queqw e swecher und e krenkher186 : « Ainsi, plus tu es proche de la garde, plus tu es fort et puissant ; plus tu es proche de la pointe, plus tu es faible et infructueux ». En se concentrant uniquement sur le point d’impact, cinq situations sont théoriquement possibles lors d’un contact de lames issu de deux coups donnés avec la même force : celui où l’impact a lieu presque au milieu des deux lames conduisant à un rapport de force égal. Celui où l’un se retrouve dans le fort de l’autre avec son faible, il y aura donc un fort et un faible. Celui ou les deux adversaires se retrouvent fort contre fort ce qui encouragera à venir lutter (Ringen) enfin celui où les deux adversaires engagent leur lame avec le faible ce qui dans la plupart des cas démontre l’utilisation de coups innefficaces car donnés hors de portée et donc cette situation reste étrangère à l’art de Liechtenauer.

Le fait de rester à l’épée afin de ressentir si l’adversaire est faible ou fort est appelé par Liechtenauer « le parloir » : Sprechvanster187. Il y a en effet une véritable communication avec l’adversaire via le travail au fer (Arbeit und Krieg). Le problème c’est qu’à l’opposé de ce que nous montre le cinéma, rares

184 Cf. Mscr. Dresd. C487, op.cit..f°38r° à 39r°185 Suppra p. 42.186 F°36v°.187 F°37v°.

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sont les individus qui trouvent un intérêt à rester longtemps dans le même rapport de force, chaque situation est éphèmère et chaque combattant peut se faire faible et mou (swarch und weich) quand il désire ou à l’opposé mettre de la force pour devenir fort et ferme (stark und hert) comme il est conseillé lors des « presse mains » (Hende drucken). Il est possible de changer ce rapport de force en se déplacant sur la lame de l’adversaire ou en déplacant la lame de l’adversaire sur sa propre lame, c’est logiquement le cas lorsque l’on veut devenir fort par rapport à son adversaire.

c) Devenir fort.

Afin de passer de l’état faible à l’état fort ou plus certainement de devenir fort dans un rapport de force équitable, on utilise cette technique de base qu’est la  rotation : Winden. Il s’agit d’executer rapidement au contact de la lame de l’adversaire une rotation des poignets afin d’avoir le vrai tranchant qui se retrouve au dessus puis vers l’intérieur. Cela a pour effet d’exercer une double percussion sur la lame adverse, la première avec le vrai tranchant, la seconde avec le plat ou le faux tranchant. Cette technique qui est indispensable à la bonne réalisation des « suspensions » (Hengen) déjà mentionnées permet de repousser avec plus de force tout en épargnant à l’un de ses tranchants un choc trop violent pouvant l’endommager188. Mécaniquement cette « rotation » permet en l’accompagnant d’une marche de voir son fort rejoindre la lame de l’adversaire puis de la dévier tout en dirigeant sa pointe vers une ouverture. Le Winden est véritablement le geste indispensable à l’escrime liechtenaurienne : Hie merke / das dy winden / sint dy rechte kunst / und gruntfeste alles fechten /des swertes / aus den alle ander gefechte und stöcke komen / und is mag mülich eyn guter fechter / syn / ane dy winden189 : « ici remarque que les rotations constituent l’art véritable et les fondements de toute l’escrime à l’épée, qui engendre toutes les autres techniques de combat et pièces ; et il serait bien difficile  d’être bon combattant sans les rotations. » Une chose à remarquer est que ces rotations montrent une volonté et la nécessité de se rapprocher au contact de l’adversaire ou au contraire permettent de donner de puissants estocs à une distance relativement courte ce que ne permet pas un estoc basique avec les deux bras tendus190. Ainsi l’auteur continue à dénoncer les Leichmeistere qui apparement ne connaissent pas trop l’utilité des rotations et qui engagent le combat d’assez loin s’étirant comme si il voulaient « rattraper un lièvre à la course » en mettant toute leur force : was dar get / mit gestracken armen / und

188 Il suffit d’observer l’état des lames des gens de reconstitution et d’escrime artistique en « dent de scie » pour s’en rendre compte.189 F°40r°.190 Cf., manuscrit de Hans Talhoffer de 1467, le Cod. Icon. 394a à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, planche 4.

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mit gestrakten swerte / und was gar veyntlich und stark von allen kreften des leybes dar get / nur durch wol stehens wille 191 : « ils mènent donc cela avec les bras tendus et l’épée tendue, très agressivement et durement, de toute la force du corps, dans le seul but de bien paraître ». Le but plus pragmatique de la  rotation  est de toucher l’adversaire que ce soit grâce à un coup de taille ou une entaille, même si l’estoc sera souvent privilégé. Si la « rotation » la plus logique se fait comme nous l’avons vu dans les suspensions (Hengen) avec le vrai tranchant, il est théoriquement possible de les faire également avec le faux tranchant. Le problème qui se pose c’est que l’on ne se protège plus en même temps avec sa lame mais seulement avec un quillion. Cela ne fonctionne donc que contre des individus qui exercent une poussée importante sur la lame et qui vont être étonnés par l’action et restent dans l’après (Nach), pendant que notre lame passe à l’extérieur de l’engagement, la pointe dirigéée vers le visage de l’adversaire. Ainsi l’escrime liechtenaurienne comptabilise pas moins de ving-quatre coups différents (trois estocs, trois tailles, trois entailles) donnés à partir des rotations intérieures et extérieures à l’encontre des quatres ouvertures (Blossen) : Von beiden seiten / ler acht winden mit schreiten / Und io ir eyne / der winden mit dreyn stöcken meyne / So synt ir czwenczik und vier / czele sy enczik // ffechter das achte / und dy winden rechte betrachte / Und lere sy wol furen / zo magst du dy vier blössen rüren / Wen itzliche blösse / hat sechs ruren gewisse192 : « Des deux côtés apprend les huit rotations avec les marches. Et avec chacune des rotations pense qu’il y a trois pièces. Ainsi sont-elles vingt-quatre – compte-les toutes. Escrimeur prend garde ! Examine bien les rotations, et apprend à les accomplir habilement, ainsi toucheras-tu les quatre ouvertures. Car chaque ouverture peut être touchée assurément de six façons. »

d) Accepter d’être faible.

L’image qui fait de l’art liechtenaurien un art qui s’adresse non pas aux moins costauds mais à ceux qui n’ont pas nécessairement musculairement l’avantage par rapport à leur adverdaire est bien illustrée par cette possibilité d’être faible et de savoir en tirer avantage intelligement contre la force. Il est donc possible d’éviter le contact des lames ou du moins de relâcher au plus vite la pression dès qu’il y a un sentiment d’être faible. Face à la force, l’art préconise de ne pas s’engager désespérémement dans une lutte au fer, mais de céder et de se déplacer toujours vers son adversaire afin de le toucher ou de lutter ce qui paraît paradoxal pour certains débutants. L’exemple le plus flagrant

191 Ibid.192 F°39v°.

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est la pratique des « traversés » : Durchlaufen193. Pour une bonne exécution il est même préférable d’arriver à un contact fort contre fort et laisser l’adversaire presser sa lame, puis de céder en gardant le contact des fers et en remontant le pommeau vers le ciel au dessus de la tête. Il faut en même temps rentrer dans son adversaire afin de le percuter en se protégeant le dos avec son épée pointée vers le sol, le but de la manœuvre étant de pouvoir lâcher la main droite ou les deux mains et de venir lutter en déstabilisant le centre de gravité de l’adversaire appelé balance (Wogen) en prenant une jambe ou en exécutant une clef au bras ou au cou : Durchlawfer auch mete ringet / den ellenbogen gewis nym / sprink yn den wogen : « traverse aussi, pour venir lutter ; saisis le coude avec assurance ; saute dans la balance »194. Face à des engagements moins puissants mais où l’adversaire est fort il faut également céder mais plus subtilement. C’est même souvent une tactique proche de techniques plus instinctives usitées par les individus moins expérimentées sur le travail du fer (Krieg) et qui evitent tout contact avec la lame de l’adversaire. Cette technique quand elle est maitrisée et voulue est appelée « retraction » ou « tressautement » : Czucken195. Par le refus d’un engagement de lame apparement conventionel, il est même possible de déstabiliser les maîtres qui eux sont confiants dans le travail au fer196. Or la pratique des AMHE montre que trop souvent en combat amical, les protagonistes ne cherchent pas à trouver le contact des lames ou du moins n’y restent pas et ne peuvent que difficilement s’exercer réellement au jeu et à la technique et que par la même occasion ils perturbent sans le savoir les individus plus expérimentés. Techniquement le fait de se « rétracter » est donc après un coup de taille de dégager sa lame de l’engagement en passant par-dessus l’arme adverse et en ramenant les bras vers soi afin de frapper juste de l’autre côté de sa lame, ce qui permet au plus court de porter un autre coup au bras ou à la tête et de se protéger grâce à son arme dans le même temps. C’est l’une des actions les plus évidente face à quelqu'un qui ne fait que viser la lame et non les ouvertures (Blössen).

Une même tactique est utilisée à partir des situations où il est initialement possible d’estoquer correctement. C’est la cas du « changement au travers » ou Durchwechsel197.A l’opposé de la « retraction » (Czucken) où l’on passe dessus afin de porter un coup de taille, ici on va passer en dessous toujours en déplaçant les jambes afin d’estoquer et de se protéger avec son arme. Ainsi l’auteur explique qu’il faut frapper normalement, en cas de contact des fers il faut estoquer avec force au dessus de sa garde à son côté gauche car alzo das du das selbe löchel und fensterleyn / io gerade treffest / czwischen der sneiden und deme gehilcze / triftz du / zo hastu geseget / gesigt198 : « ainsi touches-tu toujours

193 F°35v°.194 F°27r° et par ex. Mscr. Dresd. C487, op.cit..f°42r°.195 F°35r°.196 Ibid.197 F°34v°.198 Ibid.

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directement ce même petit trou ou petite fenêtre entre le tranchant et sa garde – touches-tu, (alors) tu l'as vaincu. » S'il cherche à détourner l’estoc alors il faut faire « couler » (sinken) sa lame en dessous de celle de l’adversaire et revenir au dessus de sa garde de l’autre côté avec un puissant estoc. Il est à noter ici que l’utilisation d’estocs portés correctement accompagnée d’un mouvement de jambe conduit à l’utilisation d’une « rotation » (Winden) et de terminer dans une position de « suspension » (Hengen) pour la fin de l’action.

Non plus sur un plan horizontal, mais sur un plan vertical il est possible d’être dans la posture du fou (Alber) et d’avoir un individu qui va en profiter pour frapper l’épée en gardant le contact (liage) et ainsi contraindre son adversaire à garder une position basse. L’une des possibilités consiste à accepter d’être faible et tout en gardant le contact avec son vrai tranchant sur le faux tranchant adverse pour lui faire croire à une opposition, de faire glisser sa lame avec un mouvement de recul afin de frapper une ouverture, on appelle le fait de glisser un « rayage » : Str(e)ichen199

La principale solution contre les adversaires qui refusent le contact des lames est d’exécuter un « rattrapage » (Nochreisen), c’est-à-dire quand il céde pour aller frapper de l’autre côté, il suffit d’estoquer ou d’entailler par un chemin plus court. En restant quasiment sur place et dans la même ligne.

Fidèle aux fondamentaux de l’art liechtenaurien, le premier coup n’est pas nécessairement efficace, le fait d’utiliser les « retractions » (Czuken) et les « changements au travers » (Durchwechsel) permet de revenir dans un opposition de force de l’autre côté de l’épée. Mais si l’adversaire reprend le dessus grâce à la force, il faut soit utiliser les « rotations » (Winden) pour avoir le dessus ou continuer la même tactique en refusant le contact et en visant d’autres ouvertures (Blössen). Ces tactiques qui ne sont réellement expliquées dans la partie du codex se concentrant uniquement sur l’escrime liechtenaurienne sont abordées par la suite et présentées commes des « pièces d’escrime de Maître » : meistere Gefechte appartenant à d’autres maîtres200.

B) L’art de maîtriser et de replacer correctement les techniques.

1) L’utilisation de la pointe.

A comprendre les finalités pragmatiques de toutes ces techniques on se rend compte que si tailler est l’utilisation initiale la plus évidente avec une épée l’art de Liechtenauer ne serait rien sans l’utilisation de la pointe qui conduit à estoquer et à entailler dans un second temps si son coup de taille n’est pas efficace. Ceci l’auteur le précise dès le début se son propos : Won allerersten

199 F°30r° et cf. par ex Cod.44 A 8 (Cod. 1449), op. cit. f°34r°.200 F°44r°.

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merke und wisse / das der ort des swertes ist das czentrum und das mittel und der kern des swertes aus deme alle gefechte gen und weder yn in komen / So sint dy hengen und dy winden synt dy anhenge und dy umlewfe des czentrums und des kerns201 aus den auch gar vil guter stöcke des fechtens komen / Und sint dorum funden und irdocht / das eyn fechter / der da gleich czum orte czu hewt ader sticht nicht wol allemal treffen mak / aus der mite den selben stöcken hawende stechende ader sneydende mit abe / und czutreten / und mit umbeschreiten ader springen eynen treffen mag 202 : « Tout d’abord note et sache que la pointe constitue le centre, le milieu et le cœur de l’épée ; pointe, de laquelle partent toutes les techniques de combat et vers laquelle elles retournent. Ainsi, les suspensions et les rotations consistent respectivement à suspendre et à tournoyer autour de ce centre et cœur,... afin qu’un escrimeur frappant ainsi de taille et d’estoc, suivant la pointe – ne touchant pas nécessairement à chaque fois – puisse, au milieu de ces mêmes pièces, atteindre son adversaire d’un estoc ou d’une entaille grâce à une retraite, une marche, un pas circulaire ou un saut. » Il est donc pratiquement indispensable de terminer chaque action et chacune des différentes phases qui composent le mouvement par une pointe dirigée vers le corps ou la tête de l’adversaire. Cette surutilisation de la pointe est parfois difficilement envisageable dans une pratique sportive et moderne des AMHE à défaut de protection de torse et de tête adaptée203. Pourtant cette utilisation de la pointe n’est pas si étrangère que cela à la pratique des autres combattants de l’époque et participera à l’évolution de l’escrime vers une escrime de pointe dès le siècle suivant via l’utilisation d’épée privilegiant principalement l’estoc.

2) Adapter et maîtriser les techniques.

Un bon combattant n’est pas un individu qui connaît parfaitement la théorie de l’ensemble des techniques décrites ci-dessus, mais c’est avant tout un individu qui connaît les lois (Gesetzen) de l’escrime et qui sait appliquer dans le bon temps la technique adaptée à la situation après une très courte analyse (Indes). Il n’est pas nécessaire dans un premier temps de retenir l’ensemble de ces techniques, d’ailleur le Ms.3227a apparaît plus avant tout comme un aide mémoire que comme un véritable manuel ou traité d’escrime, la majorité des techniques étant inexplicables sans un recours aux codices plus tardifs204. Un bon combattant se doit simplement de pouvoir répondre efficacement à n’importe quelle situation et cette réponse se fera sous forme de techniques qu’il

201 F°18v°.202 F°19r°.203 D’où d’autant plus les difficultés d’instaurer un tel art dans le milieu des reenactors.204 Signalons l’existence des traductions en français des quatres manuscrits déjà cités : Mscr. Dresd. C487 ; le Cod I.6.4°-3 ; le Cod. 44 A 8 (Cod. 1449) et le Ms. I 29 par l’association ARDAMHE : http://ardamhe.free.fr/html/manuels.htm

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s’est aproprié sous forme d’automatismes ou de réflexes conditionnés grâce à un entraînement rigoureux.

A l’opposé de notre raisonnement l’auteur commence rapidement son explication par une application concrète de ces techniques. Il est certain que le fait d’isoler les techniques les unes par rapport aux autres n’a qu’un but pédagogique. La réalité du combat et la rapidité de l’enchaînement des actions montre le niveau de maîtrise dont il faut parfois savoir faire preuve : Wen noch Lychtnawers kunst / so komen aus allen gefechten und gesetze des f der kunst des swertes / hewe stiche und snete / als man wirt hernoch hören / wy eyn stöcke und gesetze aus dem andern kumpt / und wy sich eyns aus den andern macht / ab eyns wirt geweret / das daz ander treffe und vorgank habe205 : « Car dans l’art de Liechtenauer, toute pièce d’escrime ou loi engendre coups, estocs et entailles, comme nous le verrons plus loin ; c'est-à-dire nous verrons comment une pièce ou une loi provient d’une autre, et comment l’une se forme à partir de l’autre – dès lors que la première est contrée – de façon à ce que la nouvelle touche et gagne la priorité. » L’expérimentation par le biais du combat amical montre également cette nécessité d’appliquer une technique seulement quand elle est adaptée à l’action ou réaction adverse et non pas simplement quand elle est théoriquement possible. Dès lors on comprend que si le fait de passer de l’après (Nach) à l’avant (Vor) est tout un art, celui de rester dans l’avant nécessite également une parfaite maîtrise de ses actions. L’auteur nous présente donc assez clairement la bonne réaction à appliquer en fonction de la réaction de l’adversaire après avoir porté idéalement le premier coup : Wen her nü den vorslag / tuet / trift her / zo volge her dem treffen Vaste noch weret her aber iener den vorslag alzo das her im den vorslag / is sy haw ader stich mit syme swerte / abeweiset und leitet / dy weile her denne ieme noch / an syme swerte ist / mit deme als her wirt abegeweist / von der blössen der her geremet / hat / zo sal her gar eben fülen und merken206 ab iener in syme abeleiten und schützen der hewe ader stiche / an syme swerte weich ader herte / swach ader stark/ sey / Ist denne das her nü wol fület / wy iener in syme geferte ist / Is das iener stark und herte ist / Indes/ das hers nü genczlich merkt und fület zo sal her ader Indes ader underdez das sich iener zo schützt / weich und swach dirweder syn / und in dem selben/ e den / das iener czu keyme slage kome / so sal her denne den nochslag tuen 207: « Dès lors qu’il a effectué le coup initial, s’il touche, alors qu’il poursuive rapidement. L’autre se défend-il alors du coup initial – c’est à dire dévie-t-il ou accompagne-t-il de son épée une taille ou un estoc –, alors tant qu’il est avec lui au contact de l’épée par laquelle la sienne a été déviée de l’ouverture qu’il a voulu viser, il doit ressentir et aviser si l’autre est – à l’épée – faible ou fort, mou ou ferme, dans sa déviation et protection contre l’estoc ou la taille. S’il ressent bien de quelle façon l’autre est dans ses actions – c’est à dire

205 F°19r°.206 F°20r°.207 F°21v°.

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s’il est fort ou faible –, alors dès qu’il avise et ressent avec justesse dans le même-temps, il doit, dans le même-temps ou l’entre-temps que l’autre se défend, se faire lui-même faible ou fort, et, de même que précédemment – c’est-à-dire avant lui –, pour l’empêcher d’effectuer le moindre coup, il doit lancer le coup d’après ».

Quand un adversaire refuse le travail aux fers (Arbeit/Krig) avant tout par réflexe, Liechtenauer parle alors de « retirade » : Abecziehen208. C’est assez souvent le cas dans la pratique des AMHE où l’un des protagonistes par une sécurité toute relative se retire du contact pour essayer de refrapper sans véritable préméditation. L’art de Liechtenauer est prévoyant, ainsi comme la pointe est toujours dirigée vers l’adversaire il suffit d’estoquer. Ce geste accompagné du bon mouvement de jambe peut parcourir une forte distance, du moins une distance plus importante que la plupart des distances pouvant être faites en reculant lors d’un combat. Auch möchte is wol dar czu komen ab iener den vorslag weret zo müste her in weren mit dem swerte / und alzo müste her desen io an syn swert komen / Und wen denne iener etzwas trege und las were / zo möchte deser denne an dem swerte bleyben Und sal denne czu hant winden / und sal gar eben merken und fulen / ab sich iener wil abeczihen von dem swerte / ader nicht / Czewt sich iener ab / als sy im vor mit eynnander an dy swert sint komen / und dy orter keyn eynander rechen / czu der blossen / E denne sich / denne iener keyns haws ader stichs of eyn news weder209 irholen mag mit syme abeczihen zo hat im deser czu hant mit syme orte noch gevolget / mit eynem guten stiche czu der brost / ader söst vorne czu wo her in am schiresten und nehesten getreffen mag / alzo das im iener mit nichte ane schaden von dem swerte mag komen / Wen deser hat io czu hant mit syme nochvolgen / neher czu ieme / mit dem als her synen ort / vor / an dem swerte gestalt hat keyn ieme/ noch dem aller nehesten und körczsten210 : « En outre, ce qui peut advenir, c’est que l’un se défende du coup initial, donc soit obligé de se défendre avec l’épée – et que donc l’autre doive venir à lui avec son épée. Si l’autre atermoie un peu, alors le premier doit lui rester à l’épée, immédiatement tourner, et aviser et ressentir si l’autre veut se retirer de l’épée ou non. Si l’un se retire au moment où ils sont arrivés l’un contre l’autre à l’épée, et que les pointes sont dirigées contre les ouvertures de chacun, alors celui-ci, avant que l’autre puisse se reposer grâce à sa retirade et venir avec le moindre coup ou estoc, doit immédiatement le poursuivre avec sa pointe et lui donner un bon estoc à la poitrine – ou ailleurs, là devant –, là où il peut l’atteindre au plus court et au plus proche, de façon à ce que l’autre ne puisse se retirer de devant l’épée sans dommage. C’est pourquoi il peut toujours l’atteindre immédiatement – au plus proche – à l’aide de sa poursuite, avec sa pointe, parce qu’il a placé

208 F°21v°.209 F°20r°.210 F°21v°.

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auparavant sa pointe contre l’autre, à l’épée, au plus court et au plus proche. »211

: "frappe pour qu’il tombe, s’il se retire devant toi". On remarquera l’usage de la « rotation » (Winden) alors que l’adversaire hésite afin entre autre d’avoir une pointe dirigée vers l’adversaire et une force non négligeable.

Dans les autres cas l’adversaire reste en contact, il faut donc ressentir et aviser si il est fort ou faible après sa « rotation » (Winden), si il est fort il ne faut pas hésiter et ne lui présenter aucune opposition : Ist aber das iener an dem swerte bleybt / mit dem als her mit syme weren und schutzen disem im syn swert ist komen / und is sich also vorczagen hat das deser mit im an dem swerte ist bleben / und noch nicht den nochslag hat getan / zo sal deser winden / of und mit im alzo an dem swerte stehen / und sal gar eben merken und fülen ab iener swach ader stark ist an dem swerte / Ist denne das deser merkt und fület / das iener stark herte und veste an dem swerte ist / und deser nü meynt syn swert hin dringen / zo sal deser denne swach und wiech dirweder syn / und sal syne sterke weichen und stat geben / und sal im syn swert / hin lassen prelen und wer varn / mit syme dringen daz her tuet / und deser sal denne syn swert snelle212 lassen abegleiten / und abeczihen / balde und risch und sal snelle dar varn keyn synen blossen / czu koppe ader czu leibe wo mit hewen stichen und sneten / wo her nür am nehesten und schiresten mag czu komen /213 : « Si, au contraire, l’autre reste à l’épée après être venu à l’épée dans sa défense ou protection, et s’il advient que l’attaquant est resté contre lui avec l’épée et n’a pas encore fait le coup d’après, alors cet attaquant doit tourner et rester à l’épée avec l’autre ; puis il doit alors aviser et ressentir si l’autre est fort ou faible à l’épée. S’il advient qu’il avise et ressent que l’autre est fort, ferme et dur à l’épée, et qu’il cherche à presser avec son arme, alors le premier doit être faible et mou contre cela, donner à la force adverse de la faiblesse en laissant la place, et laisser l’épée adverse heurter [la sienne] et poursuivre [sa trajectoire], avec la pression que l’autre donne En outre, il doit vite laisser son épée glisser et se retirer de là promptement et rapidement, et doit vite la diriger contre les ouvertures de l’adversaire, à la tête ou au corps, avec coups, estocs ou entailles, là où il peut l’atteindre au plus proche et au plus tôt. Plus l’autre presse et appuie durement et lourdement avec son épée – et que l’attaquant se fait faible et mou à l’encontre, et laisse son épée glisser de là, donc lui échappe – alors plus l’épée adverse va partir au loin et s’éloigner après le choc, ce qui donnera à cet attaquant de vastes ouvertures. Il pourra alors le toucher et l’atteindre comme il le souhaite, avant qu’il ne se ressaisisse et vienne avec un coup ou un estoc ».

Si l’adversaire est fort il faut automatiquement estoquer en utilisant sa force, mais en restant attentif à la pression exercée par l’adversaire qui peut à tout moment et soudainement opposer une resistance : Wen e hater und e sürer

211 F°22v°.212 F°21v°.213 F°22r°.

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iener dringt und druckt mit syme swert und deser denne swach und weich dirweder ist / und syn swert lest abegleiten / und im alzo weicht / e verrer und e weiter denne ieme syn swert wek prelt das her denne gar blos wirt / und das in denne deser noch wonsche mag treffen und rüren / e denne her sich selber / keyns haws ader stichs irholen mag / Ist aber iener an dem swerte swach und weich alzo das is deser nü wol merkt und fület /zo sal deser denne stark und herte dirweder syn / an dem swerte / und sal denne mit syme orte sterklichen an dem swerte hin varn und rawschen keyn iens blossen gleich vorne czu / wo her am nehesten mag / Recht zam im e[yn] snure ader vadem / vorne an synen ort were gebunden / der im synen ort of das neheste / weizet czu eines blossen / und mit dem selben stechen das deser tuet / Wirt her wol gewar ab iener zo swach ist / daz her im syn swert lest alzo hin dringen und sich lest treffen / Ist aber ab her stark ist und den stich weret und abeleitet / Is das her stark wirt weder an dem swerte / und desem syn swert abeweiset und den stich weret / also das her desen syn swert vaste hin dringt / zo sal deser aber swach und weich dirweder werden / und sal syn swert lassen abegleiten / und im weichen / und syne blossen rischlichen süchen / mit hewen stichen ader mit sneten / wy her nür mag /214 : « Si, au contraire, l’autre est faible et mou à l’épée, et que le premier le remarque et le ressent bien, alors celui-ci doit être fort et ferme à l’encontre avec l’épée, et doit diriger et projeter avec force la pointe le long de l’épée, droit devant contre les ouvertures adverses, là où il peut l’atteindre au plus proche. Ce même estoc doit être exécuté comme si une corde ou un fil était noué devant à la pointe, et tirait cette pointe à l’ouverture la plus proche. Si l’attaquant se rend compte que l’autre est si faible qu’il se laisserait repousser l’épée et se ferait toucher, mais si ensuite cet autre redevient fort et se défend de l’estoc en le déviant – donc s’il devient à nouveau fort contre l’épée, en écartant l’épée du premier, se défendant de l’estoc, donc lui pressant fortement l’épée –,  alors le premier doit à nouveau devenir faible et mou à l’encontre, laisser son épée glisser de là et lui échapper, puis chercher prestement les ouvertures adverses avec tailles, estocs ou entailles, là où c’est possible. »

Ici s’achève une autre étape dans la compréhension de l’art avec laquelle il est théoriquement possible de vaincre à l’épée longue n’importe quel individu peu expérimenté en utilisant les actions et les réponses enseignées : arriver sur le côté gauche de son adversaire et lui porter le premier coup dans l’avant (Vorslag) tout en avançant sa jambe droite et en visant l’ouverture du dedans. Si il repousse l’attaque (Versetzen) et reste en contact avec son fer (Krieg) il faut tourner sa lame (Winden) et dans le même-temps aviser et ressentir la pression qu’il exerce si il reste en contact. Si il est fort et dur (stark und hert) il faut céder et se retirer du contact revenir directement sur une autre ouverture (Czuken/Durchwechseln). Si à l’opposé il est faible et mou (swach und weich) il faut estoquer et céder si il s’oppose avec force.

214 F°22r°.

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On remarquera tout de même que dans tout cet enseignement l’adversaire apparaît comme un quidam sans expérience particulière qui ne réagit pas de façon étonnante et qui ne se restreind qu’à utiliser des attaques basiques, notamment principalement des coups hauts (Oberhawen) en visant l’ouverture du dedans comme la plupart des débutants. Outre la nécessité pédagogique de commencer par les adversaires basiques on remarquera via l’expérimentation que si l’adversaire peut utiliser tous les enseignements initiaux issus de l’utilisation efficace et optimisée d’une arme (frapper en avançant la jambe, ne pas viser l’arme adverse, éventuellement l’estoc), il n’est pas sensé pratiquer les fondamentaux de l’art liechtenaurien qui peuvent être propres à cet art : l’utilisation presque automatique des « rotations » (Winden) et surtout les positions et les gardes (Legern und Huten) qui sont parfois si particulières. Ainsi l’art de Liechtenauer est conscient d’autres réalités et cherche à apporter des réponses.

C) Les cinq coups et la maîtrise du combat.

1) Définition et présentation.

a) Les pièces d’escrime.

Dès le début de son propos l’auteur exprime la nécessité de porter le coup d’avant (Vorslag) mais paradoxalement il précise avant dans sa « leçon générale sur l’épée215 » que seulement cinq coups sont nécessaires à connaître pour engager le combat : Wen der vorslag / eyn gros vorteil ist / of deme vechten / als du es als hernoch wirst horen yn dem texte / do nennet Lichtnawer / nür fümff hewe / mit andern stöcken / dy do nü]tcze seyn czu erstem vechten / und leret dy noch216 : « Si le coup initial est un grand avantage lors du combat, comme tu vas l’entendre ci-après dans le texte, Liechtenauer déclare que seuls cinq coups d’une puissance exceptionnelle sont utiles pour le combat initial. ». Or ne nous y trompons pas, le fait pour Liechtenauer d’utiliser essentiellement ces cinqs coups ne veut pas dire ignorer les autres qui sont toujours susceptibles d’être utilisés par l’adversaire. C’est souvent le problème que l’on retrouve chez les pratiquants des AMHE qui utilisent l’épée à deux mains et qui connaissent bien la théorie de ces cinqs coups. Outre les nombreux débats théoriques sur leur bonne réalisation dont nous essayerons de nous tenir à l’écart, certains combats ne visent qu’inconsciemment et paradoxalement à replacer l’un de ces cinqs coups. Pourtant deux choses sont à remarquer à la lecture du Ms.3227a. La première c’est que l’auteur ne s’attarde pas trop sur les explications concernant ces cinqs coups entrainant d’ailleur un certain délaissement de ce document par rapport à d’autres sources qui les expliquent en détail. D’où la nécessité pour

215 Das ist eyne gemeyne lere des swertes, f°18v°.216 F°14v°.

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une bonne compréhension de se tourners vers les codices moins « secrets » qui eux parlent justement des cinqs coups secrets : Merck die zedel seczt fünff verborgne hewen Da von vil maistern des schwerts nicht wissen zuo zum sagen217 : « Retiens que le poème décrit cinq coups secrets que beaucoup de maîtres d'épée ne sauraient enseigner. » L’objectif est donc clairement d’avoir une réserve d’actions connues par une poignée d’individus. Leur étude succincte ne vise donc pas à démontrer les possibilités qu’offre l’art liechtenaurien, mais avant tout de comprendre la résolution de certains problèmes non exposés lors de l’utilisation des techniques basiques uniquement.

Les coups secrets qu’on appelle usuellement « coups de Maîtres » apparaissent a priori comme l’enchaînement de techniques préméditées correspondant à une situation donnée. Ici peut se poser peut-être la nuance entre « pièces » Stöcke218(Stücke) et « pièces d’escrime » : Gefechte219. Si ces deux termes sont souvent synonymes on a l’impression parfois que le premier terme renvoie d’avantage à une simple technique indépendante sans nécessairement une suite prévue et toujours dépendante d’une « loi » de l’escrime. A l’opposé la « pièce d’escrime » apparaît plus comme un enchaînement de pièces et de techniques prémédité sur une action adverse, qui n’a pas prévu ni modifications ni improvisations et qui compte être réalisée du début jusqu’à la fin sans aucune interruption. Les coups secrets appartiennent avant tout à la seconde catégorie, puisque différentes pièces composent les coups secrets220 et parce que l’auteur continue son receuil sur les « pièces d’escrime de Maître » : meistere Gefechte pour parler de pièces et d’enchaînements techniques autres que ceux de Liechtenauer.

Ces derniers qu’il s’agissen de « la porte de fer » : eyserynen Pforten221 ; « la langue de vipère ou bien de la pointe » : Noterczunge ader aus dem Orte222 ; « la houe » ou « la binette » : Krawthacke223 ; « le Maître d'oeuvre » : Werkemeister224 ; « la roue du paon » : Pfobenczagel225 ; « les trois coups » : drey Hewe226 ou la déjà mentionnée  garde « de la barrière » : Schrankhute227 ou « garde de la porte » : aus der Pforten228 sont présents à la fin de la partie traitant de l’épée longue et font tous appel à une technique ou pièce principale que ce

217 Cf par ex. Mscr. Dresd. C487, Sigmund Ringeck, f°17r°.218 F°16v°.219 F°16r°.220 Cf. par ex. Cod. 44 A 8 (Cod. 1449), op. cit., attribué à Peter Dantzig : Das ist der text und die glos aber eins stuck des zorn haus, f°13v°.221 F°44v°.222 F°47r°.223 Ibid.224 F°47v°.225 Ibid.226 F°48r°.227 F°48v°.228 Ibid.

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soit l’usage dominant de la pointe, les « changement au travers » (Durchwechsel) ou encore les «écartés » (Abesetczen). L’objectif est initialement de replacer ces techniques à plusieurs reprises afin de se sortir de situations délicates comme l’est celle de combattre plusieurs adversaires inexpérimentés en même temps229. D’ailleurs l’auteur précise que si il a oublié d’en parler auparavent c’est parce qu’elles sont sous entendues dans l’art liechtenaurien230. A l’opposé les coups secrets par certains de leurs aspects font plus penser aux « bottes secrètes » que l’on retrouve dans d’autres escrimes. Ce qui est important de comprendre c’est qu’ils répondent tous à une ou des situations bien précises et spécifiques. Ainsi le but ici n’est pas d’expliquer techniquement ces différents coups et leur suite mais avant tout de comprendre leur utilité et les différents facteurs indispensables à une bonne réalisation. Pour une compréhension complète il est indispensable d’étudier les quatres manuscrits déjà cités231 et de les travailler correctement via l’expérimentation afin de réellement s’approprier ces techniques.

b) Les différents coups secrets.

Das ist der / text / in deme her nennet dy fünff / hewe und andere stöcke des fechtens. Funf hewe lere von der rechten hant were dy were // Cornhaw krump / twere hat schiler mit scheitlere232 : Voici le texte dans lequel sont nommés les cinq coups et les autres pièces du combat.Apprend cinq coups de la main droite contre la défense ; coup furieux, tordu, transversal ; il y a le lorgnant avec le crânien.

Du « coup furieux » : Czornhaw.

Le « coup furieux » ou « coup de la colère » est le premier à être enseigné et à premiere vue sa banalité est presque déconcertante. Techniquement ce n’est

229 F°45r°.230 F°44r°.231 Mscr. Dresd. C487 ; le Cod I.6.4°-3 ; le Cod. 44 A 8 (Cod. 1449) et le Ms. I 29 , cf. http://ardamhe.free.fr/html/manuels.htm232 F°23r°.

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qu’un vulgaire coup haut (Oberslag), les sources plus tardives précisent même : Und ist doch anders nicht wenn ein slächter paurerern slagk233 : « il n’estpourtant rien d’autre qu’un coup de paysan diagonal ». En effet l’auteur glose les paroles de Liechtenauer et explique: Hie merke und wisse das lichtenawer / eynen öberhaw slecht von der achsel / heisset den czornhaw / Den eyn wen eym itzlichem in syme grymme und czorne234: « Ici retiens et sache que pour Liechtenauer, un coup de haut frappé directement depuis l’épaule est nommé coup furieux, comme si on le donnait avec violence ou colère. » Ce coup doit être porté correctement en avançant vers son adversaire sur le côté droit235. Ce coup respecte le principe fondamental déjà expliqué de répondre à un coup de taille par un coup de taille. Le but est donc de faire un  contre-temps, de le prendre de vitesse sur sa propre action en partant après lui et donc de passer de l’état de Nach à celui de Vor. Cette action donnée dans le bon temps permet dans le pire des cas de se défendre efficacement et dans le meilleur de l’atteindre à la tête avant le contact des lames. Il est donc indispensable de faire cette action contre un coup basique venant du haut sous peine de se retrouver dans des situations délicates où l’on touche violemment la tête de l’autre pendant que ce dernier atteind une ouverture basse ne pouvant pas arrêter son action en cours de route malgré le coup porté. Or l’escrime liechtenaurienne affirme que dans tous les cas celui qui a porté l’attaque initiale cherchera forcément à se défendre. Il conseille dans ce cas de lui projeter la pointe vers son visage. Puis si il la dévie en restant au fer (Krieg), il faut donc dans le « même-temps » (Indes) aviser si il est faible ou fort. Si il est faible il faut remonter sa pointe en gardant le contact et en portant un coup de l’autre côté, cette action sera appelée par la suite « détacher par le haut » : Oben ab genomen236 ou coupé. Si au contraire il est fort, il faut faire une rotation (Winden) et l’estoquer, si il s’en défend en montant les bras il faut venir lui estoquer à la gorge ou à la poitrine ne passant sous ses bras ou l’atteindre aux jambes.

Avant de passer aux autres coups, l’auteur explique comment donner les coups de base237, l’importance de la pointe238 et la possibilité de repousser (Vorsetczen) n’importe quelle attaque en venant dans les « suspensions » (Hengen)239, puis il en vient aux quatres ouvertures (Blossen)240 et explique brièvement comment faire pour les briser (brechen). Ce sont donc tous les éléments nécessaire à une bonne compréhension du « coup furieux », ou l’art de partir sur une attaque de l’adversaire afin dans la plupart des cas de l’estoquer. L’auteur explique aussi comment lors d’un contact des lames atteindre d’autres ouvertures : Wiltu dich rechen / vier blössen kunstlichen brechen / Oben

233 Cf. par ex. Cod. 44 A 8 (Cod. 1449), op. cit..f°13r°.234 F°23r°.235 Ibid.236 Cf. par ex. Cod. I.6.4°.3, op. cit., f°8r°.237 F°23v°.238 F°24r°.239 Ibid.240 F°25r°.

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duplirer do neden rechten mutire241 : « Veux-tu te venger, brise quatre ouvertures avec art ; double au-dessus, en-dessous mute bien. » Encore une fois l’auteur n’a pas eu l’occasion de s’exprimer plus amplement et le texte s’arrête brutalement. Mais l’on sait grâce aux autres sources que l’on peut faire un « doublement » (Duplieren) contre un adversaire qui est fort et une « mutation » (Mutiern) contre un adversaire qui reste simplement en contact242. Si il est fort et « s'il te pare avec force, alors pousse brusquement dans le même-temps le pommeau de ton épée sous ton bras droit avec ta main gauche ; et frappe-le au fer derrière la lame de son épée avec les mains croisées, entre l'épée et l’homme, en travers de la gueule243. » Où alors quand il y a seulement un contact de lame, ou liage (Binden) : « lorsque tu le lies à l'épée avec un coup de haut ou tout autre [coup], alors tourne le court-tranchant à son fer en montant bien avec les bras et suspend-lui la lame de ton épée à l'extérieur par-dessus son épée. Puis estoque-le à son ouverture basse244. » On remarquera alors que l’on utilise encore les mécanismes issus de la « rotation » (Winden) et des « suspensions » (Hengen) et qu’il y a ici une volonté de rentrer complétement en contact avec l’adversaire par le biais d’une utilisation de l’épée dans un espace relativement étroit. On a donc des techniques qui apparaissent comme des suites possibles du « coup furieux » (Zorn haw).

Du « coup tordu » ou Krumphaw.

Comme le Czornhaw le Krumphaw est une action qui peut se faire sur celle de l’adversaire, elle consiste lors d’une taille d’un adversaire qui attaque de son côté droit à bondir sur son côté gauche hors de porté du coup afin de changer de ligne et avec les bras croisés l’atteindre avec la pointe sur les mains : Krump auf / behende / wirf deynen ort auf dy hende / krump wer wol setczet mit schreten vil hewe letczet245 : « Le tordu fais dextrement, jette la pointe sur les mains. Celui qui se place bien avec ses pas, maints coups il brisera ». A partir de ce contact, les suites son nombreuses et variées : estoc, taille ou entaille und sal mit nichte czu korcz hawen / und sal des durchwechsels nicht vorgessen / ab sichs gepürt246 : « Et en outre, il ne doit pas frapper trop court, et il ne doit rien oublier du changement au travers, comme il l'a senti. ». Il est même possible avec ce coup de tromper les maîtres en faisant un coup tordu en visant la lame, mais lors du contact avec cette dernière il faut faire une « rotation » (Winden) afin de repartir avec un estoc247. Si le plus souvent la posture initiale est une position haute, il est même possible de partir d’une position basse, la garde de la barrière (Schrankhute) s’y prettant bien, dans ce dernier cas on parle de 241 Ibid.242 Cf. par ex Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°23v° à 24v°.243 Traduction du f°24r° du Mscr. Dresd. C487 in http://ardamhe.free.fr/html/manuels.htm.244 Idem, ibid., f°24r° et 24v°.245 F°25v°.246 Ibid.247 Cf. par ex Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°25r° à 27r°.

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« feinte » : Feler248. Comme pour le coup furieux ce coup est en quelque sorte défensif puisque l’on part dans l’après sur une attaque adverse. Mais à l’opposé du coup furieux qui agit comme un contre-temps, le coup tordu cherche à atteindre une cible différente de celle de l’adversaire et inatteigniable initialement, il agît donc comme un demi-temps.

Du « coup lorgant » ou Schilhaw.

Si on ne suit pas l’ordre de présentation des différents « coups secrets » respecté dans le texte et les textes plus tadifs on peut s’intéresser directement au « coup lorgant » ou « coup bigle ». Ce coup est peut-être celui qui apparaît comme le moins naturel puisqu’il consiste sur un coup haut (oberhaw) à porter un coup haut également sur l’attaque adverse mais avec l’épée inversée, c’est-à-dire avec le faux tranchant en tournant les poignets 249. La cible n’est pas le côté gauche de l’adversaire, mais bien son côté droit afin de l’atteindre à l’épaule ou au visage. L’adversaire est complétement entravé par son mouvement car si ce coup n’a pas nécessairement beaucoup de force, l’adversaire avec le sien va venir appuyer avec ses bras sur la lame et ainsi involontairement pousser la pointe dans son propre visage. Comme nous l’avions déjà mentionné, c’est véritablement le coup idéal contre tous les « bourrins » et les individus brutaux qui attaquent depuis le haut de leur côté droit250. La position finale permet également d’utiliser le « changement au travers » (Durchwesel) et si c’est l’adversaire qui utilise cette technique il est aussi préconisé de faire un « changement au travers » pour le contrer. Dans tous les cas, cette action tient à la fois du contre et du demi-temps puisque les actions des deux protagonistes ont un temps de réalisation semblable. Il est tout de même à noter qu’il est possible de décider d’atteindre les mains avec le faux tranchant puis d’estoquer alors que l’on vise initialement la tête avec le regard comme pour porter normalement un coup251. L’expérimentaion montre que l’action de « lorgner » qui a donné le nom à ce coup est dès lors compréhensible dès que l’on fixe une cible alors que l’on désire en atteindre une autre en « louchant », c’est-à-dire que l’on prend conscience de la véritable cible inscrite dans notre champ de vision sans la regarder directement. Cette action de « loucher » est également celle que l’on retrouve parfois dans le tumulte du combat collectif.

Du « coup crânien » : Scheitelhaw.

248 F°26v°.249 F°32r°.250 F°28v° et suppra p.19.251 Cf. par ex Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°32v°.

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Le « coup crânien » ou « de stramasson » est avant tout un coup dû à une opportunité. Ce coup se rapproche un peu d’un « débordement »  (Öberlawfen252) par le simple fait qu’il consiste à donner un puissant coup de pointe en direction du visage253 quand l’adversaire se retrouve dans une position basse ou après avoir porté un coup hors de portée par exemple. Il s’exécute en relevant la main gauche et le pommeau, ce qui permet une forte accélération de la pointe. Si l’adversaire intercepte le coup en remontant son arme, il faut d’autant plus remonter le pommeau afin d’avoir une pointe dirigée vers la poitrine. Si il remonte dans cette position avec les quillons au-dessus de la tête, la pointe dirigée vers le ciel et la lame adverse dans son propre fort, on parle alors de couronne (Kron). Il faut alors l’entailler en passant sur son côté afin de lui briser cette défense254.

Du « coup transversal » : Twerehaw.

Le « coup transversal » ou « coup de travers » apparaît comme l’un des coups les plus polyvalant puisqu’il est à la fois un coup offensif et un coup défensif. Offensif puis qu’il s’agit initialement de partir de la posture du bœuf (Ochs) afin de porter un violent coup horizontal sur le côté gauche de son adversaire avec son faux tranchant, le pouce sous la lame et les mains bien tendues devant la tête afin de se protéger avec ses quillions255 : Hie merke und wisse / das of dem ganczen / swerte / keyn haw / als redlich / zo heftik zo vertik / und zo gut ist als der twerhaw256 : ici retiens et sache que, dans toute l’épée, il n’y a pas de coup plus sûr, rapide, accompli et bon que le coup transversal.

Défensif, car cette action peut être exercée face à tous les coups qui viennent du haut exactement comme le « coup furieux ». Cela n’est pas sans nous rappeler le passage d’une « suspension » (Hengen) haute à droite à une « suspension » haute à gauche. Der dy wol kan dar brengen / ader das swert wol vörwirft / dy twer vor das hawpt / czu weler seiten czer wil / recht zam her in dy obern hengen ader winden wolle komen257 : « Celui qui sait bien les effectuer ou alors bien jeter son épée devant lui horizontalement devant la tête, de quel côté qu’il souhaite, celui-là doit faire comme s’il voulait en venir aux suspensions supérieurs ou aux rotations ». Si lors d’une attaque avec un « coup transversal » l’adverse arrive à intercepter l’arme, il faut dans le  même-temps  céder afin de donner un autre coup de travers de l’autre côté dans l’ouverture haute ou basse avec le vrai tranchant on parle de « frapper le bœuf ou la charrue » et continuer ainsi jusqu'à ce que l’adverse soit débordé et vaincu : Zo mag iener mülich von

252 F°33v°.253 F°30r° et non pas le sommet du crâne ce que l’on voit assez souvent pour des raisons de sécurité.254 Ibid et par ex Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°24v° et 25r°.255 F°27v°.256 Ibid.257 Ibid.

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im komen / her wirt von desem geslagen / czu beiden seiten mit den twerhawen258 : « Alors l’autre ne pourra se retirer qu’à grande peine et sera vaincu de chaque côté avec le coup transversal. » Poursuivre le « coup transversal » avec des suites ou des pièces jusqu'à la défaite de l’adversaire apparraît ici donc évident, mais cette évidence de continuer à assener des coups coûte que coûte est en adéquation avec les principes liechtenauriens et est commun aux quatres autres coups secrets : Und wen her denne den vorslag alzo gewint mit dem twerhaw her treffe / czu der eynen seyten / her treffe ader vele zo sal her denne als balde in eyme rawsche immediate an und loz / den nochslag gewinnen / mit dem twerhaw czu der andern seiten / mit der vördern sneiden / e den sich iener keyns slags ader ichsichcz irhole / noch der vorgeschreben lere / Und sal denne twern czu beiden seiten / czum ochsen und czum pfluge / das ist / czu den obern blössen und czu den undern / von eyner seiten of dy ander / unden und oben / umbermer / an underloz / alzo das her umbermer in motu sey und ienen nicht losse czu slage komen / Und als oft / als her eynen twerehaw tuet oben ader unden zo sal her io wol tweren und das swert oben dy twer / wol vor syn hawpt / werfen / das her wol bedekt sey259 : « En outre, celui qui gagne le coup initial d’un côté grâce au coup transversal – qu’il touche ou manque – doit aussi gagner le coup d’après dans le même flot, immédiatement et sans attendre, à l’aide du coup de travers de l’autre côté, avec le tranchant de devant, avant que l’autre ne parvienne à se rattraper contre le coup ou l’estoc, d’après la leçon précédente. Il faut donc lui donner le travers de chaque côté, au boeuf ou à la charrue, c’est-à-dire aux ouvertures hautes ou basses, d’un côté à l’autre, en bas et en haut, constamment et sans atermoiement – donc en étant toujours en mouvement – afin de ne pas le laisser en venir aux coups. Dès lors qu’un homme fait le transversal en haut ou en bas, il doit toujours bien aller horizontalement et jeter l’épée de travers bien devant la tête, afin d’être bien couvert. » L’auteur précise aussi une pièce qu’il appelle la « feinte » : Veller260, qui consiste à « frapper la charrue », c'est-à-dire l’ouverture du dessous avec un coup transversal au lieu de l’ouverture du dedans. Certaines sources plus tardives précisent que cette technique est très puissante contre les individus qui s’obstinent à parer et qui ne font que viser les lames adverses. Il est même possible contre ces derniers de viser l’ouverture du dedans puis de se rétracter (verzucken) pour porter un « coup transversal » de l’autre côté à une ouverture basse (dehors)261.

2) De la bonne utilisation des fünff verborgne Hewen et de l’élaboration d’une stratégie martiale.

258 Ibid.259 F°28r°.260 F°27r°.261 Cf. par ex Cod.44 A 8 (Cod. 1449), op. cit. f°21v° et 22r°.

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Comme le « coup furieux », les quatres autres coups secrets ont tous la possibilité d’être utilisés d’une manière offensive. Mais à la différence « du coup furieux », ils permettent avec une grande efficacité de briser et rompre (brechen) les quatres gardes (Huten) ou posture (Legern). Le fait de pouvoir rompre les gardes ne signifie pas que l’adversaire soit dans l’incapacité de faire quelque chose, mais simplement de réagir correctement. Par exemple le « coup tordu » (Krumphaw) permet ainsi de rompre la « garde du bœuf » (Ochsen) car cette garde a le défaut d’obliger à avancer les mains tout en ayant les bras croisés. Le « coup lorgant » (Schilhaw), permet lui de briser la garde la charrue (Pflug) sans même nécessairement changer de ligne. Ce coup est également fort utile pour briser les adversaires qui restent dans une posture basse ou qui estoquent en tendant les bras la pointe dirigée vers l’adversaire, cette posture s’appelant logiquement la « longue pointe » (langen Ort262). Le « coup crânien » (Scheitelhaw) atteint si il est donné dans le bon temps un adversaire qui se trouve dans la « garde du fou » (Albert). Enfin le « coup transversal »  (Twerehaw) est l’un des plus intéressant puisqu’il brise la « garde du toit » (vom Dach), position utilisée le plus souvent pas la majorité des individus.

Par le simple fait que l’art liechtenaurien soit conscient des défauts de son art et connaît les moyens d’exploiter ses propres failles une question nous vient à l’esprit : est-il prévu d’avoir deux combattants qui s’affrontent et qui connaissent et maîtrisent tous les deux l’enseignement de Liechtenauer ? C’est souvent le cas dans la pratique des AMHE, même si trop rares sont les individus ayant une réelle maîtrise de ces coups. Pourtant la pratique de ces combats amicaux montrent deux choses qu’on ne retrouve qu’indirectement ou rarement dans les sources : le véritable art du combat. Au-delà d’une maîtrise pratique, physique et technique, le combat laisse comme n’importe quel affrontement une grande place à la réflexion et à la stratégie. Il faut donc dans un premier temps avoir la capacité d’analyser la situation et d’agir correctement non pas par rapport à la situation qui se présente, mais par rapport aux possibilités qui se présenteront et la probabilté qu’à l’adversaire de faire une action. On retrouve ici naturellement le Vor, le Nach et l’Indes. Or le problème est que l’adversaire est doué lui aussi de raison quand ces actions ne sont pas de l’ordre du réflexe. Il peut donc très bien essayer de tromper son adversaire par de fausses actions ou des feintes. Dès lors on comprend qu’il n’est pas judicieux de rester trop longtemps dans la même garde ce qui permetterait à l’adversaire de donner une simple frappe ou le coup « secret » les plus appropriés et les plus optimisés : Doch vor allen sachen / zo sal eyner man io nicht czu lange dorynne legen [...] wer do leit der ist tot / Wer sich rüret der lebt noch / Und das get of dy leger das sich eyn man sal liber ruren mit gefechten den das her / der huten wart / mit dem her vorslossen möcht dy schancze263: « Toutefois, avant toute chose, il ne faut pas rester dans l’une de ces gardes trop longtemps. [...] “Celui qui gît là,

262 Cf.par ex Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°32r°263 F°32r°.

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celui-là est mort ; celui qui bouge, celui-là vit encore” ; et cela concerne les postures. À ce propos, il vaut mieux se déplacer pendant le combat plutôt que d’attendre dans une garde dans laquelle on risque de se fermer à toute opportunité. » Il en est de même pour toutes les techniques.

La possibilité que le fait d’être dans l’avant (Vor) ou l’après (Nach) soit à la fois un « savoir-être » et un « savoir-faire » prend tout son sens quand on se rend compte que ces deux états peuvent devenir des attitudes c’est-à-dire qu’ils peuvent être choisis délibérément et consciemment par le combattant et que cela dépend aussi bien du profil physique que psychologique. Le travail expérimental avec de nombreux individus aux profils fort différents confirme l’idée qu’il n’y a pas nécessairement un type d’individu correspondant à un état privilégié et que le profil psychologique peut dépendre du profil physique, on pourrait même reprendre les adjectifs fort, faible, mou ou dur pour les catégoriser. L’art est donc de pouvoir le plustôt possible définir le profil de son adversaire lors de l’approche et de prendre le rôle « de celui qui est dans l’avant » ou de « celui qui est dans l’après » le plus tôt possible. Toute la subtilité est que ce rôle peut changer à tout moment surtout lors des combats amicaux où l’on donne le temps et plusieurs chances à son adversaire d’analyser ses propres erreurs et les notres. Or pour l’escrime liechtenaurienne, il est évident que l’attitude et le profil à prendre est celui d’être dans l’avant (Vor)264. Dans un premier temps il s’agit donc pour cela de concevoir au préalable la technique ou le coup que l’on veut donner : Auch wisse / wen eyner ernstlich wil fechten / der vasse im eyn vertik störke vör / wels her wil / das do gancz und gerecht sey / und neme im das ernstlich und stete in seynem syn und gemüte / wen her of eynem wil/ Recht zam her sölde sprechen das meyne ich io czutreiben / und dal sal und mus vorgank haben mit der hölfe Gotes zo mag is im mit nichte velen / her tut was her sal / wen her kunlich dar hort und rawscht / mit dem vorslage265 : « Sache également que si un homme veut en combattre un autre sérieusement, alors il lui faut assimiler une pièce ingénieuse de son choix, complète et adaptée, et se l’approprier sérieusement de façon à ce qu’elle siège en son esprit et en son coeur. Puis lorsqu’il commence le combat il doit dire "voilà ce que je projette d’effectuer, et cela doit se produire par l'aide de Dieu". Cela ne lui fera pas défaut s’il fait ce qu’il y a à faire et s’il avance courageusement et assaille son adversaire avec le coup initial. » Le fait de travailler avec des débutants ignorants les coups secrets confirme l’efficacité de cette attitude, des coups de maîtres et des techniques que l’on peut facilement « passer ». L’intérêt est encore une fois de déstabiliser son adversaire : Und was eyner redlichs wil treiben czu schimpfe / ader czu ernste / das sol her eyme vor den ogen / fremde und vorworren / machen / das iener nicht merkt was deser keyn im meynt czutreiben/266: « Lorsqu’un homme veut exécuter convenablement une 264 Ainsi en combat amical entre deux inconnus l’attention doit être principalement portée à ce premier coup ou au premier enchaînement.265 F°16v°.266 F°15v°.

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technique, que ce soit pour le jeu ou pour combattre sérieusement, il doit la rendre étrange et déconcertante aux yeux de son ennemi, afin que celui-ci ne se rende pas compte de ce qu’il a réellement l’intention d’effectuer. »

Mais l’autre possibilité qui semble étrangère à l’art liechtenaurien est de rester dans une attitude plus défensive, c’est-à-dire d’attendre la bonne occasion pour porter son attaque. La subtilité consiste à se créer cette occasion afin de pouvoir la saisir. Il est donc possible de faire semblant de commettre une erreur ou du moins de proposer à son adversaire une occasion pour qu’il attaque, de le leurrer. La stratégie la plus commune est de tenter son adversaire en lui présentant une « jolie » ouverture, en avançant naturellement les bras ou les mains ou en se mettant dans une position basse, comme la posture du fou (Alber) par exemple et de jouer non plus avec les techniques de base mais avec les contres et les ruptures. Cette comédie est également un art car certains combattants ont naturellement une attitude bien trop agressive pour donner l’envie à leur opposant d’attaquer. Malgré cela il n’est pas nécessaire avant chaque action de passer par un moment de réflexion sur la possibilité qu’a l’adversaire de vouloir nous tromper ; cela pour deux raisons principales : la première c’est que dans certains cas une action véloce donnée dans le bon temps a des chances de surprendre un adversaire présentant pourtant une ouverture de son gré. La seconde c’est que s’il existe très souvent des actions efficaces contre les « répulsions » (Versetzen) il existe aussi des moyens de contrer une rupture (Bruch) ou un contre à l’aide d’une autre rupture ou d’un autre contre. Les « coups secrets » eux-mêmes peuvent parfois être contrés, par exemple pour contrer un « coup transversal » (Twerehaw) il suffit de partir également en « coup transversal »267. Le vainqueur étant finalement celui qui aura le mieux réalisé sa technique ou réussi à prendre le temps en gagnant l’avant (Vor). Ces cinq « coups secrets » ne sont donc en rien inébranlables, sont simplement avant tout des coups optimisés. Or l’expérimentation montre que si leur parfaite maîtrise reste fort complexe, il est tout de même encore plus difficile de pouvoir les contrer : Merck es sind fünff verporgen häw do vil maister des swertz nichtz von wissen zu° sagen / die soltu von der rechten seitten recht lernen hawen / wellich vechter dir denn die haw mit rechter kunst an schaden prechen kan / dem wirt gelobt von anderñ maisterñ / das ym seiner kunst pas gelont sol werden denn einem andern vechter268: « Retiens ceci : il existe cinq coups secrets que beaucoup de maîtres d'épée ne sauraient enseigner. Tu dois apprendre à bien les exécuter du côté droit. L’escrimeur qui pourra te briser ces coups avec art sans subir de dommages sera loué par les autres maîtres et recevra plus de louanges pour son art qu'un autre escrimeur. »

3) L’intérêt de comprendre l’enseignement de Liechtenauer.

267 Cf. Mscr. Dresd. C487, op. cit. f°28v°.268 Cf. par ex Cod.44 A 8 (Cod. 1449), op. cit. f°12v°.

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L’auteur et les autres glossateurs de l’escrime liechtenauriene semblent convaincus par l’efficacité théorique de cet art qui tourne autour de cinq mots cachant et regroupant des concepts complémentaires présents dans n’importe quel conflit et durant les différents stades de l’affrontement: Nent her dy fünff wörter / vor noch swach stark Indes / an den selben wörtern leit alle kunst / Meister Lichtnawers / Und sint dy gruntfeste und der / kern alles fechtens czu fusse ader czu rosse / blos ader in harnüsche /269 : « Il (Liechtenuer) nomme cinq mots : avant, après, faible, fort, même-temps. Ces mots-là gouvernent tout l’art de Liechtenauer et constituent les fondements et le cœur de toute l’escrime, à pied et à cheval, nu ou revêtu d’un harnois ». Et ces principes doivent être appliqués, la même tactique toujours observée même si un certain niveau est nécessaire : Mit deme worte vor / meynt her das eyn itzlicher guter fechter sal alle mal den vorslag haben und gewinnen270 : « Par le mot avant, il veut dire qu’un escrimeur particulièrement bon doit, en toute circonstance, posséder le coup initial et gagner ». A partir de cet axiome et par le fait que l’épée longue apparaît comme une arme pédagogique on est en droit de se demander si l’art liechtenaurien et les concepts qui en découlent peuvent en être réduits au simple principe d’attaquer avant son adversaire et d’avancer toujours vers lui sans hésiter à rentrer en lutte ? Les différentes expérimentations mêmes les plus primitives et les moins rigoureuses comme le sont les « tournois » en harnois et à l’épée longue utilisée vigoureusement de taille qui ont lieu souvent dans l’Europe de l’Est témoignent de l’efficacité d’un tel déterminisme. Il en est de même par exemple pour le travail à la dague où les attaques paraissent au premier abord si efficaces, si rapides que les auteurs glosent avant tout sur la manière de les intercepter et non pas de les porter271. Idem pour les lettres de rémission où même si l’affrontement et son dénouement ne sont pas toujours prémédités par les deux protagonistes, celui qui frappe le premier prend un avantage non négligeable alors que certains n’hésitent pas à venir au corps à corps et à partir en lutte272. La question que l’on se pose alors est pouvons-nous grâce au vocabulaire assez complet et aux différents aspects gestuels et techniques définis dans la tradition liechtenaurienne analyser n’importe quel affrontement martial sans pour autant juger mauvais combattants des individus utilisant d’autres techniques et tactiques pouvant être tout autant judicieuses et efficaces ? L’objectif est pour nous d’établir une compréhension du combat et de l’utilisation optimisée de l’armement présent dans les autres sources à partir de cette théorisation pédagogique. L’expérimentation gestuelle de cet outil qu’est l’épée longue sert à mieux comprendre certains aspects et gestes techniques, les entrainements rigoureux eux visent à la maîtrise en vitesse réelle de ces techniques afin de pouvoir replacer et ressentir ces techniques lors des combats, ces derniers eux sont nécessaires à la redécouverte de certains sentiments et 269 F°20r°.270 Ibid.271 Ex. de Hans Talhoffer.272 Bas (P.-H.), op. cit, t.II.

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éléments fondamentaux comme le mouvement, la respiration, la stratégie, le temps que l’on découvre à la relecture des sources et qu’aucun écrit contemporain ou moderne n’aurait les moyens de conceptualiser simplement.

Conclusion.

L’utilisation de l’armement en général n’apparaît plus, encore une fois, en cette fin du XIVe siècle uniquement reservée à l’ordre nobiliaire ou même à un usage militaire. La bourgeoisie entre autre motivée par cette référence chevaleresque, honorable et virile qu’est la pratique du combat, a porté toute son attention à une utilisation parfois plus technique, complexe et complète conduisant à un véritable art martial. Celui-ci permettant théoriquement de combattre avec efficacité des individus principalement peu expérimenté, mais aussi des adversaires violents ou d’autres maîtres.

Si l’épée longue peut-être utilisée aussi de manière spectaculaire et esthétique lors de différentes manifestations, la soi-disante existence d’un « ancêtre commun » qu’est le Maître Johannes Liechtenauer et de son obscur poème conduit certains individus à gloser ses écrits sur une escrime qui se veut véritable et efficace à des fins explicatives et surtout mémorielles. Le premier document connu à avoir une pareille démarche est le Ms.3227a qui est loin d’être complet et terminé, mais qui a le mérite de posséder une partie qui traite de l’épée longue introduite par un ensemble de concepts et d’explications dont la

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compréhension et l’assimilation semblent indispensables pour comprendre aussi bien l’art liechtenaurien que les mécanismes des combats plus basiques. L’épée longue qui sert ici de support pédagogique témoigne qu’indubitablement la présentation de ces fondamentaux dépend des lois de l’escrime et reste donc encore vraie aujourd’hui. On ne sait pas si les pièces et les techniques plus complexes ont pour objectif nécessairement d’être parfaitement maîtrisées ou simplement connues, mais comprendre l’art du combat à travers l’art liechtenaurien ne peut se résumer à une compréhension simplement théorique. Le texte lui-même insiste sur une pratique physique nécessaire en parallèle aux entrainements réguliers et aux confrontationx réelles amicales ou non avec d’autres adversaires. Ainsi l’expérimentation gestuelle ou une certaine pratique rigoureuse des AMHE semblent en complément aux études plus traditionelles la solution la plus appropriée à l’étude des livres d’armes (Fechtbücher) mais aussi à celle du combat et des combattants en général, sûrement pas dans l’optique de maîtriser parfaitement un art si complexe, sans compter l’impossibilité d’affronter réellement un individu dans la même logique, mais simplement d’avoir la possibilité d’analyser autrement et de ressentir différement l’utilisation des armes et la bonne exécution de certains gestes.

Table des matières.

Introduction.........................................................................................................1

I) Les destinataires ...........................................................................................4

A) Ce que nous dit le texte.....................................................................4 1) Un apprentissage nobiliaire ?.......................................................4 2) L’équipement...............................................................................7

B) Contexte et situation. ........................................................................81) Le jeu. ..........................................................................................82) Situations particulières sérieuses................................................11

C) Le profil des combattants................................................................151) Le profil de l’élève.....................................................................152) La pédagogie..............................................................................163) La pratique effective..................................................................18

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II) Les principes fondamentaux. ................................................................20

A) Pourquoi l’épée ?............................................................................20B) Vers une maîtrise de l’espace et du temps.....................................24

1) Concepts préalables...................................................................24a) Le temps...............................................................................24b) La distance............................................................................25c) Le corps en tant que cible....................................................25

2) Stratégie initiale.........................................................................27a) Frapper le premier................................................................27b) Le Vor et de Nach.................................................................29

3) Le mouvement ou la clef du succès...........................................30a) Les déplacements..................................................................30b) Les frappes et les tailles........................................................33c) Vers les fondements d’une escrime basique et efficace.......35

III) L’art du combat à l’épée longue............................................................38

A) Les fondamentaux à l’épée.............................................................381) Les gardes ou postures................................................................38

2) L’art de frapper avec une épée...................................................41 a) Frapper avant l’attaque..........................................................41 b) Frapper contre une attaque....................................................42 3) Le contact des fers.....................................................................44 a) Ressentir et aviser..................................................................44

b) Les notions de fort et de faible..............................................45c) Devenir fort...........................................................................46c) Accepter d’être faible...........................................................48

B) L’art de maîtriser et de replacer correctement les techniques.........501) L’utilisation de la pointe.............................................................502) Adapter et maîtriser les techniques.............................................51

C) Les cinq coups secrets et la maîtrise du combat.............................55 1) Définition et présentation...........................................................55

a) Les pièces d’escrime.............................................................55 b) Les différents coups secrets..................................................58

2) De la bonne utilisation des fünff verborgne Hewen et de l’élaboration d’une stratégie martiale..................................................63

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3) L’intérêt de comprendre l’enseignement de Liechtenauer.........66

Conclusion...............................................................................................67

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