etude diachronique sur la tidjannya

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ETUDE DIACHRONIQUE SUR LA TIDJANNYA : TRAJECTOIRES ET MOYENS D’EXPANSION Le patrimoine est défini comme l’ensemble des éléments aliénables et transmissibles qui sont la propriété, à un moment donné, d’une personne, d’une famille, d’une entreprise ou d’une collectivité publique. Il est considéré comme l’héritage commun d’une collectivité humaine. En partant de ce postulat, le patrimoine n’a de sens que s’il est mis en rapport avec les notions de propriété – les biens – et de temporalité. Religion monothéiste apparue au VIIe siècle en Arabie sous la conduite du Prophète Muhammad (PSL), l’Islam ne cesse de se répandre d’une manière exponentielle, à l’échelle planétaire pour devenir actuellement la religion de 1,5 milliards d’hommes. C’est la seconde religion en nombre de fidèles après le christianisme et devant l’hindouisme. C’est parce que la gestion de ce patrimoine, confiée à des figures légendaires, a été satisfaisante que ce dynamisme a eu lieu du VII e siècle à nos jours, dépassant ainsi les frontières de l’Arabie qui l’a vu naitre et celles de la tribu des Khouraich, le groupe social d’appartenance du Prophète Muhammad (Psl), pour se répandre progressivement dans les zones les plus reculées du monde toutes catégories sociales confondues. S’il en est ainsi de la pensée islamique, qu’en est-il de l’une de ses composantes essentielles, la confrérie Tidjane ? A travers quels réseaux, ce mouvement de réactivation de l’Islam, apparu au siècle des Lumières, a pu se répandre à travers le monde et s’adapter à la pluralité culturelle et aux mutations contemporaines sans pour autant se départir des préceptes du Coran et de la Sunna ? Comment s’est déroulée l’expansion de la Tijânyya sous la tutelle dudit fondateur Cheikh Ahmet Tidiane (1797-1815 après J.C) et après sa disparition ? Quel a été l’état des rapports entre la Tijânyya et le colonialisme ? Quelles sont les grandes figures de la Tijânyya au Sénégal et en Afrique noire ? Cette réflexion sur la trajectoire socio-historique de la Tijânyya et les moyens de son expansion essaie d’apporter quelques éléments de réponse à ces grandes questions. Après un aperçu biographique sur le fondateur, l’étude tente de cerner la manière par laquelle la Tijânyya a pu se répandre, sous l’ère des premiers disciples, de l’Algérie au Maroc d’abord, du Maghreb arabe aux autres aires géographiques ensuite, et enfin en Afrique au Sud du Sahara où elle a particulièrement connu ses lettres de noblesse. Aperçu sur la biographie de Cheikh : une vie de dévotion à la quête de connaissances . . . Sid Ahmed Ben Muhammad ben El Mokhtar ben Salem at – Tidjani est né à Ainoumady, petite ville située au Sud de l’Algérie, à 70 km de Laghouart, en 1150 de l’Hégire, 1737 après J.C. Ses parents Sidi Mahammad ben el Mokhtar at Tidjani et Aichatou, fille de As-Seydi Djabil Abi Abdallahi vécurent à Ainoumady dans la crainte de Dieu et le respect strict des préceptes du Coran et de la Sunna. Tout le prédisposait, en effet, à devenir un érudit d’autant plus qu’à l’âge de 7 ans, il avait déjà mémorisé le Saint Coran sous la conduite de son illustre maitre Muhammad Ibn Hawmi at Tidjani. A la disparition de ses parents, survenue le même jour en 1752, Cheikh Ahmet Tidiane alors âgé de 16 ans seulement, était assez instruit pour pouvoir continuer ses études tout seul. De là, débuta une période particulièrement marquée par des déplacements entre le Maroc, la Tunisie, l’Algérie

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Ce document retrace l'expansion de la tariqa tijani dans l'Afrique.

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ETUDE DIACHRONIQUE SUR LA TIDJANNYA : TRAJECTOIRES ET MOYENS D’EXPANSION

Le patrimoine est défini comme l’ensemble des éléments aliénables et transmissibles qui sont la propriété, à un moment donné, d’une personne, d’une famille, d’une entreprise ou d’une collectivité publique. Il est considéré comme l’héritage commun d’une collectivité humaine. En partant de ce postulat, le patrimoine n’a de sens que s’il est mis en rapport avec les notions de propriété – les biens – et de temporalité.

Religion monothéiste apparue au VIIe siècle en Arabie sous la conduite du Prophète Muhammad (PSL), l’Islam ne cesse de se répandre d’une manière exponentielle, à l’échelle planétaire pour devenir actuellement la religion de 1,5 milliards d’hommes. C’est la seconde religion en nombre de fidèles après le christianisme et devant l’hindouisme.

C’est parce que la gestion de ce patrimoine, confiée à des figures légendaires, a été satisfaisante que ce dynamisme a eu lieu du VII e siècle à nos jours, dépassant ainsi les frontières de l’Arabie qui l’a vu naitre et celles de la tribu des Khouraich, le groupe social d’appartenance du Prophète Muhammad (Psl), pour se répandre progressivement dans les zones les plus reculées du monde toutes catégories sociales confondues. S’il en est ainsi de la pensée islamique, qu’en est-il de l’une de ses composantes essentielles, la confrérie Tidjane ? A travers quels réseaux, ce mouvement de réactivation de l’Islam, apparu au siècle des Lumières, a pu se répandre à travers le monde et s’adapter à la pluralité culturelle et aux mutations contemporaines sans pour autant se départir des préceptes du Coran et de la Sunna ? Comment s’est déroulée l’expansion de la Tijânyya sous la tutelle dudit fondateur Cheikh Ahmet Tidiane (1797-1815 après J.C) et après sa disparition ? Quel a été l’état des rapports entre la Tijânyya et le colonialisme ? Quelles sont les grandes figures de la Tijânyya au Sénégal et en Afrique noire ? Cette réflexion sur la trajectoire socio-historique de la Tijânyya et les moyens de son expansion essaie d’apporter quelques éléments de réponse à ces grandes questions.

Après un aperçu biographique sur le fondateur, l’étude tente de cerner la manière par laquelle la Tijânyya a pu se répandre, sous l’ère des premiers disciples, de l’Algérie au Maroc d’abord, du Maghreb arabe aux autres aires géographiques ensuite, et enfin en Afrique au Sud du Sahara où elle a particulièrement connu ses lettres de noblesse. Aperçu sur la biographie de Cheikh : une vie de dévotion à la quête de connaissances . . . Sid Ahmed Ben Muhammad ben El Mokhtar ben Salem at – Tidjani est né à Ainoumady, petite ville située au Sud de l’Algérie, à 70 km de Laghouart, en 1150 de l’Hégire, 1737 après J.C. Ses parents Sidi Mahammad ben el Mokhtar at Tidjani et Aichatou, fille de As-Seydi Djabil Abi Abdallahi vécurent à Ainoumady dans la crainte de Dieu et le respect strict des préceptes du Coran et de la Sunna.

Tout le prédisposait, en effet, à devenir un érudit d’autant plus qu’à l’âge de 7 ans, il avait déjà mémorisé le Saint Coran sous la conduite de son illustre maitre Muhammad Ibn Hawmi at Tidjani. A la disparition de ses parents, survenue le même jour en 1752, Cheikh Ahmet Tidiane alors âgé de 16 ans seulement, était assez instruit pour pouvoir continuer ses études tout seul. De là, débuta une période particulièrement marquée par des déplacements entre le Maroc, la Tunisie, l’Algérie

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à la quête de connaissances approfondies. Jillali El Adnani nous apprend en ce sens que le personnage du fondateur de la Tijânyya incarnait à la fois les figures du juriste, de l’homme de lettres et du soufi, mais aussi celle du thaumaturge, de l’alchimiste…

Et Al Arbi al Mashrafi d’ajouter qu’Ahmad at Tidjani avait une connaissance de la science de Jâbir ( Ibn Hayyân, grand alchimiste arabe) et c’est grâce à cette science qu’il eut une grande audience chez les gens qui venaient souvent lui rendre visite pour prendre le Wird alors que leur intention était de pouvoir accéder à cette science. En 1757, il quitta sa ville natale Ainoumady pour se rendre à Fez, plus précisément à Dar-el-Alem auprès des docteurs les plus renommés de cette université dans le but d’approfondir davantage ses connaissances scientifiques. C’est ainsi qu’il a pu obtenir les diplômes lui permettant de pouvoir enseigner toutes les sciences connues des musulmans, aussi bien à Ainoumady qu’à Tlemcen, en Algérie en 1768. En 1772-73 (l’an 1186 de l’Hégire), Cheikh Ahmet Tidjane, alors âgé de 36 ans seulement, accomplit le pèlerinage à la Mecque et impressionna tous les docteurs de la ville sainte par l’étendue de ses connaissances. Lorsqu’on lui demanda qui était son maitre, il répondit : « tout ce que je sais, je l’ai recueilli, non pas d’un seul homme, mais de tous les savants que j’ai rencontrés ». … et de Voie spirituelle Avec l’étendue de ses connaissances, Cheikh Ahmet Tidiane s’en alla à la quête d’une voie spirituelle, sa préoccupation fondamentale. Avant de fonder la Tijânyya, il a pu effectuer de nombreux voyages à la recherche des hommes de Dieu. Parmi ceux-ci, l’on peut retenir :

Sidi at Tayyib Ibn Muhammad al Yamlâhi qui a pu apprendre le « Hadith » au Cheikh. Ce dernier a adhéré à sa confrérie pendant quelques temps sans la propager. Muhammad Ibn al Hassan al Wanjâli qui fut le premier mystique à dire au Cheikh « tu auras le grade du Maitre ach-Châdili », avant que Sidi Mahmûd al Kurdî le lui répète plus tard. En effet, Cheikh Ahmet Tidiane s’est d’abord inscrit à la confrérie Nâsiriyya pour l’abandonner après. Il s’affilia ensuite à la Khâdiriyya auprès de son maitre Sid Ahmed ben Hassen de Fez. Il l’abandonna après pour la confrérie de Sidi Abû al Abbâs Ahmad al Habib ibn Muhammad surnommé al Gumâri. Puis, il prit le Wird du Maitre Abû al Abbâs Ahmad at Tuwâch, c'est-à-dire le Malâmatiyya.

Il l’abandonna peu de temps après pour la confrérie Halwatiyya auprès du maitre Abû Abdallah Muhamda Ibn Abdar Rahmâni al Azhâri. Le peu de satisfaction que Cheikh Ahmet Tidiane a obtenu dans la recherche d’une voie spirituelle et la prise en compte de la recommandation de son maitre, Muhammad Ibn al Hassan al Wanjâli qui lui dît que c’est dans le désert, terroir de ses aieux, qu’il aura l’ « Ouverture », le conduisent à regagner le désert. Après avoir séjourné à la Mecque et à Médine, en Tunisie, en Egypte à la recherche des grands érudits, Cheikh Ahmet Tidiane se rendit finalement dans la ville algérienne de Qasr Abû Samghûn. Il y fonda ainsi la Tijânyya en 1781-1782 à la suite d’une vision du Prophète à l’état de veille qui lui dit : « Demeure sur cette Voie sans retraite spirituelle ni isolement ». Il lui communiqua le « wird », alors composé de deux de ses trois éléments suivants : la formule du repentir (Istikhfâr) cent fois et la prière sur le Prophète P.S .L (Salâtou alânn nabi) cent fois.

Quatre ans plus tard, en l’an 1786, il lui compléta le « wird » en lui dictant la formule de l’unicité divine (Haylala) cent fois. Le Cheikh se mit alors à enseigner et à propager sa voie de l’Algérie au Maroc. II) L’expansion de la Tijânyya sous la tutelle

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de Cheikh : l’ère des premiers disciples Les nombreux voyages que Cheikh Ahmet Tidjane a effectués dans la région maghrébine laissent envisager une propagation de sa voie au niveau de cette région. Entre 1781 et 1799, il fut le missionnaire actif de sa doctrine avec la construction de « Zawiya » et la nomination de « Muqaddam » ou érudits .

Deux moments décisifs sont à retenir dans cette phase de vulgarisation de la Tijânyya : le séjour en Algérie, plus précisément à Abû Samghun où fut fondée la Tarikha en 1782, et l’installation à Fez, sous l’ère du Sultan Moulay Sulaymân, roi du Maroc à partir de 1792, et ancêtre du Roi Hassan II. L’étude des origines de la Tijânyya en Algérie et les moyens de sa diffusion supposent que l’on prenne en compte le cadre socio-culturel et politique qui l’a vu naitre. Sous le sceau de « la nouvelle sainteté », cette confrérie allait rapidement s’imposer en Algérie, se considérant ainsi comme supérieure à toutes les autres tout en exigeant à leurs adeptes qu’ils abandonnent leurs affiliations d’antan.

Cheikh Ahmet Tidjane s’en alla ainsi déclarer caduque les autres voies soufies, ce qui ne va pas non sans créer des difficultés. Il devait donc faire face à un front d’opposition mené par les juristes de Ayn-Madi qui bénéficièrent de l’appui des autorités ottomanes qui administraient l’Algérie depuis que Hayr ad-Dîn Barberousse s’y installa pour chasser les Espagnols. Dans une lettre adressée au gouverneur général de l’Algérie, un descendant du Cheikh, portant le même nom que lui, déclarait en 1893 : « Comme je viens de vous le dire, Excellence, il y a une fraction, celle des Tijâjna, qui, depuis l’époque de l’installation de mes aïeux, leur a constamment fait une opposition acharnée en s’alliant à tout ennemi venant de l’est ou de l’ouest ».

Cette lettre prouve que le groupe social formé par les Tijâjna-s s’opposait farouchement aux alliés de Cheikh, les Tijânîs. Ainsi, l’expansion de la confrérie en Algérie, même si elle a été réalisée par Cheikh avec la construction de Zawiya et la formation de ses premiers Muqaddam, s’est effectuée de manière controversée. L’installation du Cheikh à Fez à partir de 1798 devint alors un moment important pour davantage répandre la voie dans plusieurs zones. Dans la ville marocaine, un accueil chaleureux lui a été réservé par le Roi du Maroc Sultan Moulay Sulaymân (1765-1822) qui fut un homme de science très attaché à la Tradition du Prophète (Psl).

Ce dernier lui assure une sécurité permettant à Cheikh de pouvoir exercer librement son prosélytisme et dispenser son enseignement. Deux mois après son installation à Fez le 16 Septembre 1798, il dicta à ses disciples Muhammad ben al Muchri et Sid El Hadj Ali Harazim sa biographie et ses recommandations aux disciples. Sidi Abû Abdallah Muhammad al – Mushrî al Sayhî al Ghwâti al Shinqîti est l’auteur des premières œuvres sur la Tijânyya avec deux publications : Rawd al-Muhid al-Fâni et Kitâb al- Jâmi li-durar al-ulûm al-fâ’ida min bihâr al qutb al –maktûm que l’on peut traduire par « Recueil des perles des sciences immanentes du généreux, le pôle caché ». Ce tire choisit par Ibn al-Mushri fait référence, à travers la métaphore des perles, à la pureté et à l’originalité du savoir du fondateur qui ne pouvait être comparé qu’aux océans. Il se termine par l’adjectif al-maktûm, le caché.

Ces premiers écrits sur la Tijânyya seront détruits sous l’ordre de Cheikh Ahmad Tidjane vers 1788, c'est-à-dire douze ans avant la rédaction du Jawâhiroul Ma’âni en

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mars-avril 1800. Cette œuvre de référence sur la confrérie fut rédigée par Sidi Ali-el-Harazim sous l’autorisation du Cheikh qui vit le Prophète lui dire « Je t’ordonne de faire réaliser le Jawâhiroul maâni que tu as fait détruire par modestie ; j’en fais ma propriété. Il constituera un excellent guide spirituel pour tes contemporains et pour les générations futures.

Il procurera sagesse, sécurité et bonheur à tous ceux qui le liront et mettront en pratique ses enseignements. Il protégera celui qui le garde chez lui par simple amour de moi parce que j’en fait mon propre ouvrage». Avant sa disparition à la matinée du jeudi 19 septembre 1815 (17 mois du mois de Chawwâl, en l’an 1230 de l’Hégire) dans sa Zawiya à Fez, Cheikh Ahmat Tidjane décida de laisser la direction de la confrérie à son plus habile muqaddam Sid El Hadji Alî Aissa, originaire de Yambo en Arabie, et grand maitre de l’importante Zawiya de Tamacin. Son testament portait qu’après la mort de son successeur, les chefs suprêmes de la confrérie seraient alternativement choisis parmi les membres de sa famille alors composée de ses deux fils de bas âge, Muhammadoul Kabir né vers 1796 – 1797 et Muhammadoul Habib né vers 1802, et ceux de la descendance de son calife Sid-El Hadj Alî. De là, existèrent deux branches principales : l’une agnatique, réprésentée par Ain Madhi sous la direction des héritiers directs du fondateur ; l’autre spirituelle, représentée par Tamacin sous la tutelle de son successeur spirituel. III) La trajectoire du patrimoine spirituel : du Maghreb aux autres aires géographiques.

Les nombreux déplacements que Cheikh Ahmet Tidjane a effectués en Tunisie, au Soudan, en Egypte, dans la région Saharienne, en Arabie ont d’abord facilité la diffusion de sa voie dans plusieurs zones avec la création de Zawiya un peu partout et la formation des Muqaddam . A sa disparition, le fondateur avait déjà laissé un nombre important de disciples estimé à 124.000. Muhammad Ibn Al Mouchri, Ali Harazim, Sultan Moulaye Suleymane sont ses illustres héritiers ayant détenu le patrimoine spirituel et ont bien pu le vulgariser à travers le monde. En Europe, dans des pays tels que la France, la Belgique, l’Espagne ou l’Italie,les adeptes de la Tijâniyya, malgré leur grande diversité, fruit de la différence des obédiences et des affiliations, caractéristique de tous les courants soufis, essayent de se retrouver entre cocitoyens. En France par exemple, Mouhammed Benelmihoub - Président de Tijâniyya France Afrique Solidarité Paris, nous apprend que les adeptes sont organisés en « dâ’ira » ou « hadra » et se réunissent régulièrement pour des zikr (invocations) collectives les vendredis ou à des jours où ils n’ont pas de contraintes professionnelles. Sans réellement disposer de mosquée ou de zawiya où ils peuvent pratiquer dignement leur culte, ils essayent de donner corps à leur solidarité confrérique et de vivre une spiritualité intérieure et paisible loin des préoccupations militantes ou des considérations politiques et indépendantes de toute tutelle.

C’est dans ce sillage que sont nés depuis les années 1960 et même bien avant, des regroupements confrériques à travers la France comme dans des pays voisins (Belgique, Suisse et récemment l’Italie). Les communautés tijânes sont présentes dans la région parisienne, mais aussi à Bordeaux, Lormont, Lille et Grenoble. En février 2005, pour la première fois, une Grande Mosquée (celle de Lyon) accepta qu’y soit organisé le 1er Forum National sur la Tijâniyya, accueillant des délégations de Marseille, d’Aix-en-Provence, de Grenoble, de Perpignan, de Paris, etc. avec des travaux publics et ouvert à tous.

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Ce fut l’occasion de revisiter l’héritage de cette confrérie et de réfléchir sur les moyens de partager ses enseignements, son message de paix et d’amour par un travail de vulgarisation et de publication. Les tidjanes se sont donnés rendez-vous à Marseille en 2006 pour la seconde édition du Forum qui sera précédé, à la rentrée, des Assises de la Tijâniyya, en Région parisienne afin de pouvoir échanger avec le plus grand nombre de concitoyens et de réfléchir sur l’Islam, le dialogue inter-religieux et les nouveaux enjeux du soufisme. Dans d’autres espaces géographiques tels que le Moyen Orient et l’Asie, la confrérie a pu se répandre en Arabie Saoudite, en Inde, en Indonésie où environ 70 % de la population se réclament de la Tijânyya.

En Chine, il s’y était déjà établi avec le voyage que El Hadji Malick Sy y a effectué et où il a pu avoir des disciples. Après son pèlerinage à la Mecque, Maodo a également effectué des voyages en Russie, en Albanie, en Egypte, en France pour répandre la confrérie dans ces zones éloignées. Grâce à l’œuvre de El Hadji Ibrahima Niasse poursuivie plus tard par son petit fils Cheikh Assane Cissé, des zâwiya tidjanes sont aujourd’hui implantées en Angleterre et dans plusieurs Etats d’Amérique tels que Washington, New York City, Atlanta, Goergia . . .

Aujourd’hui, le nombre d’adeptes est estimé à près de 400 millions à la suite du Forum International de la Tijânyya qui s’est tenu à Fez du 27 au 30 juin 2007. Cela démontre la forte capacité d’adaptation de cette confrérie qui a pu rejoindre les zones les plus reculées du monde en si peu de temps. IV) La Tijânyya en Afrique noire et au Sénégal Du vivant même de son fondateur, la Tijânya avait déjà traversé le Sahara. C’est Muhammad Al-Hafiz al-Mukhtar al Habib al- Baddi (1759-1830) qui fut investi d’une telle mission par Cheikh Ahmet Tidiane. Originaire de la ville de Shinqît en Mauritanie et appartenant à la tribu des Iddaw-Ali, les descendants de Ali, il avait rencontré Cheikh Ahmet Tidjani en 1780 qui l’initia à la Tijânyya et lui accorda de plus son investiture pour le représenter en pays saharien. Il assura cette mission avec succès car, peu avant sa disparition en 1830, tous les Iddaw - Ali de Mauritanie étaient devenus Tidjanites. En effet, ce qui est remarquable à travers cette phase d’expansion de la Tijânyya en Afrique noire c’est la manière à laquelle cette confrérie est finalement devenue, en si peu de temps, plus subsaharienne que maghrébine.

Certains africanistes parlent même de l’existence d’une Tijânyya ouest-africaine sous l’impulsion de la geste « Umarienne » et la prolifération de réseaux Tidjanites à l’instar du mouvement Hamalliste, Hafizziya ou même celui des Niassènes auprès des Noirs anglophones de l’Afrique du nord et de l ’Amérique du nord. Ainsi, une histoire générale de la Tidjanyya en Afrique de l’Ouest s’impose aux chercheurs afin de mettre en évidence la stratégie utilisée par ces illustres acteurs pour répandre cette voie en dépit des contraintes politico-économiques liées à la colonisation, et socio-culturelles avec la présence des religions traditionnelles animistes en Afrique. 1°) Cheikh Omar Foutiyou Tall : l’apôtre de la Tijânyya en Afrique noire Sous la plume du Professeur Joseph Ki-Zerbo, on arrive à comprendre aisément comment « le caractère religieux apparaît moins, et davantage le projet politique, dans la conquête fulgurante lancée dans le Soudan Occidental par le Toucouleur El Hadj Omar ». Né vers 1797 à Alwar en amont de Podor, il eut l’ambition de fonder un très vaste empire islamique qui allait du Bambouk au Sahel et du Fleuve Sénégal au Delta du Niger. Après son pélerinage à la Mecque en 1826, il trouva à Médine le Calife Sidi Muhammad al Ghâli qui le nomma calife de la Tijânyya en Afrique noire en ces termes : « tu n’es pas un simple muqaddam, mais un des califes de Cheikh

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Ahmet Tidjani » ( Rimah). A son retour, il était déjà prêt pour répandre l’Islam et la Tijânyya dans plusieurs zones en Afrique noire où les religions traditionnelles étaient encore prédominantes.

En compagnie de son armée Toucouleur, il mena ainsi des conquêtes dans le Khasso, le Kaarta compris entre le Sahara et la rive gauche du Sénégal, à l’est de Bakel, le Ségou, le Macina qu’il a pu acquérir à sa portée en Avril 1862 ; ainsi que Tombouctou qui fut occupé par son général Omar Baila. Même si son action a quelque part eu des limites notamment avec l’hostilité des marabouts Khadiriyya et la présence française, l’on peut reconnaître à El Hadj Omar le mérite d’avoir introduit la Tijânyya au Sénégal et un peu partout en Afrique noire légiférant le bien fondé des propos de Fernand Dumond : « El Hadji Omar réussit à fonder un très vaste empire islamique. Si l’œuvre politique, venue trop tard ou trop tôt eu égard à l’évolution des populations de l’Afrique occidentale, fut sans lendemains, l’œuvre spirituelle s’étendit irrésistiblement, marquant à jamais cette partie du continent africain de l’empreinte vigoureuse d’un Islam authentique ». 2°) Maba Diakhou Bâ : un érudit à l’œuvre encore méconnue Inspiré par l’action d’El Hadji Omar, l’Almamay du Rip de 1861 à 1867 voulut perpétuer l’œuvre du saint homme vers le Djolof, le Sine et le Saloum.

De son vrai nom Ibrahima Hampâté Bâ, Maba naquit à Tawakkaltou en 1809. Originaire du Fouta, son père l’envoya au Cayor étudier le Coran. C’est ainsi qu’il se fixa d’abord au Djolof à la fin de ses études où il prit femme. Avec son frère Mamour Ndary rentré de Mauritanie, il retourna au Rip, alors sous l’aristocratie mandingue. Il fonda Keur Maba. Sa rencontre avec El Hadji Omar Tall à Kaba-Koto en 1849 fut un moment important . Celui-ci l’initia à la Tijânya qu’il répandit à son tour dans le Rip. Maba rebaptisa le village de Paos-Dimar sous le nom de Nioro en souvenir du Nioro du Sahel conquis par El Hadji Omar. Il abolit les dynasties anciennes de ce pays. Ce qui inaugura ainsi le début de la Jihad qui aurait pour objectif principal la fondation d’un Empire théocratique. Au Sine et au Saloum, en passant par le Djolof, Maba, à la tête d’une grande force militaire musulmane, s’en alla ainsi répandre l’Islam et la Tijânyya. Dans le courant de l’année 1863, les forces de Maba contrôlaient déjà une partie du royaume du Saloum après avoir battu le Bour Saloum, Samba Laobé Fall en Juillet / Septembre 1862. Les villages réfractaires à l’Islam furent brulés et leurs populations tuées ou réduites à l’esclavage.

En mai 1864, Lat Dior Diop, après avoir été battu par les forces françaises à Loro le 12 Janvier 1864, se réfugia auprès de Maba avec Alboury Ndiaye, sa famille et ses guerriers. Le marabout accepta de les protéger à condition qu’ils manifestent publiquement leur appartenance à l’Islam. Avec l’armée de Lat-Dior et celle d’Alboury, la puissance de Maba avait atteint son paroxysme, et ses ambitions pour l’expansion de l’Islam élargies.

Envoyé par Maba contre le Djolof au printemps de 1865, Lat Dior pilla le Baol oriental et se heurta au Bourba Bankantam Khady Dialor. Venu à son secours, Maba battit le Bourba à trois reprises et entra dans la capitale,Warkhokh en Juillet 1865 et s’allia avec les Maures Trarza et les Foutankobé, mais une rébellion de certains musulmans du Rip l’obligea à quitter le Djolof en 1865. L’aventure de Maba devrait dès lors s’arrêter en 1867 avec la rencontre des armées du Sine et du Rip à Keur Ngor, puis à Somb-Thiouthone. Mis à part les résistants que sont Lat Dior et Alboury Ndiaye, d’autres grands acteurs de la diffusion de la religion musulmane ont

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également été aux cotés de Maba ; c’est le cas notamment de El Hadji Abdoulaye Niasse et Momar Anta Saly et plus tard son fils Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Par ailleurs, l’expansion de la Tijânya sous la tutelle de Maba ne peut être étudiée en dehors des relations fraternelles qu’il entretenait avec Sidi Muhammad Niasse, le père de El Hadji Abdoulaye Niasse. Appelé par Maba Diakhou Bâ, Sidi Muhammad quitta le Djolof pour s’installer, avec toute sa famille, au Rip, afin de combattre sous son commandement contre les rois païens.

Avec l’accord de Maba, il créa son village à l’ouest de Nioro, qui porte le nom de la famille Niassène. A sa disparition, il appartenait donc au jeune Abdoulaye Niasse de perpétuer cette œuvre. Longtemps resté aux cotés de Saer Maty, fils et successeur de Maba Diakhou Bâ, El Hadji Abdoulaye Niasse, après avoir terminé ses études, créa le village de « Taiba Niassène » qui sera ainsi un pôle important d’enseignement et de diffusion de la Tijânya. 3°) El Hadji Malick Sy : la pédagogie de la résistance pacifique La guerre sainte comme moyen de diffusion de la pensée islamique d’abord, et de la Tijânyya par la suite, a quelque part connu des insuffisances dans la mesure où les religions traditionnelles animistes étaient encore vivaces au Sénégal ; mais aussi et surtout le colonialisme apparaissait comme une entreprise de destruction de nos valeurs socio-culturelles pour l’imposition d’un modèle de civilisation.

Compte tenu de la crise politique et sociale qui secouait alors le pays, El Hadji Malick Sy se trouva face à un dilemme : « se hasarder à affronter les forces coloniales et être perpétuellement persécuté et finalement déporté (à l’instar de Samba Laobé et de Cheikh Ahmadou Bambé Mbacké) ; ou encore être combattu et contraint à émigrer (l’exemple de El Hadji Omar Tall, ou des résistants tels que Alboury Ndiaye ou Lat-Dior Diop) ». Quelle que soit l’issue de cette stratégie, c’est son prosélytisme qui allait en pâtir et la foi des croyants risquerait également d’en subir un rude coup dont elle ne se relèverait plus.

La réponse à cette préoccupation conjoncturelle devrait venir d’une longue réflexion. Mais encore faudrait –il chez Maodo que cette réflexion s’appuie sur les préceptes du Coran et de la Sunna. Il fallait d’abord comprendre la manière par laquelle l’Islam prévoit les rapports entre musulmans et non-musulmans – les colonisateurs -, et ensuite l’exil et la Jihâd. Maodo a du comprendre sans doute que sa place était aux côtés de ses concitoyens et coreligionnaires et que s’il émigrait, il allait les livrer à eux-mêmes avec tous les risques que cela comportait. Il opta ainsi pour l’attitude pacifique ou passive avec les autorités coloniales et les populations autochtones. D’aucuns ont voulu voir dans ces rapports de bon voisinage avec les colons une sorte de collaboration avec ces derniers. Cette affirmation peut – elle être tenue comme scientifiquement valable ? Ravane Mbaye nous apporte des éléments d’éclaircissements.

« Une telle assertion ne peut être retenue valablement dès lors que, tout compte fait, les intérêts tant matériels que spirituels du maitre ne pouvaient aucunement coïncider avec les leurs : le marabout ayant des préoccupations et des desseins beaucoup plus exaltants que la conquête des biens bassement matériels ou l’alliance avec des forces contre lesquelles il a toujours sollicité d’ailleurs l’assistance divine ( …) D’autre part, précise t-il, le maitre ne faisait-il pas, à l’instar d’autres marabouts sénégalais de la même époque, objet de surveillance de la part des autorités

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coloniales ? Son école ne faisait-elle pas tout aussi l’objet d’inspections inopinées. Ses ouvrages, ceux qu’il a achetés comme ceux qu’il a produits, n’étaient-ils pas soumis à des mesures de contrôle et de censures rigoureuses ? Ses déplacements à l’intérieur du pays n’étaient-ils pas toujours signalés et soumis à une surveillance plus que draconienne ? L’idée d’une collaboration entre le marabout et les autorités coloniales est donc dépourvue de fondements historique et scientifique et, « compte tenu de la conjoncture politique internationale extrêmement complexe de l’époque, les marabouts, sans exception, étaient, tous, soumis à une surveillance très rigoureuse ».

Maodo entendait mener un combat d’un autre ordre : celui de l’esprit. La forme de lutte qui lui semblait la plus appropriée était de s’atteler à la formation intellectuelle, morale et spirituelle des populations. Dans le but de contrebalancer l’influence des croyances locales et celle de la colonisation comme forme d’aliénation culturelle, El Hadji Malick Sy a du opter pour l’enseignement et la diffusion de l’Islam comme stratégie appropriée. Il implanta un foyer culturel à Ndiarndé, village situé au cœur du Cayor, qui devrait servir de centre de formation intellectuelle et spirituelle hors pair. Ce centre d’enseignement universitaire où s’établit Maodo vers 1895 accueilla des arabisants, des élèves, des étudiants et même beaucoup de savants ayant déjà fait leurs preuves tels que El Hadji Rawane Ngom, Maguèye Ndiaré, Abdoulaye Guèye Fassel, Malick Sarr, Youssoupha Diop. A leur tour, les grands maitres formés à Ndiarndé ont pu répandre l’enseignement islamique et la Tijânyya dans toute l’étendue du territoire national.

Par ailleurs, avant de s’installer à Tivaouane, El Hadji Malick Sy a du séjourner à Ndakaarou (nom originel de Dakar). En effet, ce qui est remarquable dans cette installation, c’est la manière par laquelle la Tijânyya allait embrasser les villes modernes et ainsi s’urbaniser. La diffusion du wird Tidjane parmi les Lébou, la création de la Zawiya de Dakar, l’intensification des mosquées et des écoles coraniques en ville sous les yeux impuissants de l’administration coloniale elle-même, participent de cet effort d’urbanisation de ladite confrérie et de la pensée islamique d’une manière générale.

C’est dans cette perspective que Adriana Piga inscrit ses propos : « dans les villes africaines, laboratoires d’une réinvention continue et plastique de la tradition et où les groupes sociaux ou ethniques sont soumis à un processus incessant de restructuration et de déstructuration, l’Islam qui, entre autres, découpe les cartes de la marginalisation urbaine, se présente toujours davantage comme le référent premier de tout processus de modernisation et le catalyseur par excellence des inquiétudes populaires ». Après Ndiarndé et Ndakarou, Tivaouane allait finalement devenir le centre spirituel et intellectuel par excellence qui accueillit la mise en application et la vulgarisation des enseignements de Maodo.

La commémoration du Maouloud immortalise à jamais le patrimoine scientifique et éducatif légué au peuple sénégalais et à toute la Umma Islamique. 4°) El Hadji Ibrahima Niasse : le vulgarisateur contemporain L’appel de Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niasse (1900-1975) fut un moment très important dans la diffusion de la pensée islamique et de la Tijânyya à travers le monde. A Médina Baye, il avait lancé un appel généreux à toute l’humanité dans le but d’exprimer ainsi ce qu’il est convenu d’appeler « la Faydatoul Tidjane ». « Fayda » qui signifie en Arabe « crue

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déferlante » avait été annoncée par le fondateur Cheikh Ahmet Tidjane avant sa disparition pour dire que la Tarikha Tidjane déferlera dans le monde entier et atteindra les zones les plus reculées du monde.

Le Cheikh avait également annoncé qu’un des Talibés qui ne sera même pas de la même époque que lui se chargera de cette mission. Plus d’un siècle après, El Hadji Ibrahima Niasse dit Baye, se signalera pour dire que c’est lui le Talibé dont parlait Cheikh Ahmet Tidjane. Dès lors, il se mit à propager la Tarikha un peu partout en Afrique noire, en Afrique du Nord et dans le monde entier. Au Nigéria, il s’est très vite fait remarquer par son charisme et sa dimension spirituelle lui permettant de répandre la Tarikha, même dans les zones les plus reculées.

Le dernier recensement qui a eu lieu dans ce pays dans les années 1990 faisait état de 70 millions d’adeptes qui se réclament tous de Baye Niasse. Par ailleurs, la mission de Cheikh Al Islam a dépassé les frontières de l’Afrique noire pour s’étendre dans des zones où même l’Islam n’avait pas encore pénétré. En Amérique, son petit fils Cheikh Hassan Cissé a joué un rôle déterminant dans la vulgarisation du patrimoine spirituel. Après avoir obtenu des diplômes à l’Université Al Azar du Caire, il a continué ses études dans les grandes écoles britanniques et aux Etats-Unis d’Amérique où son érudition et sa culture n’ont aucunement fait l’ombre d’un doute. Après avoir conquis de nombreuses villes telles que New York, Atlanta, Washington, Georgie, New Jersey … où des millions d’Américains ont pu se convertir à l’Islam, Cheikh Hassan Cissé rentra au bercail après le rappel à Dieu de son grand père en 1975. A Médina Baye où il a été désigné Imam de la grande mosquée, il fait de l’éducation pour tous, la protection des droits de l’enfant, la santé maternelle et infantile, la lutte contre l’analphabétisme son credo. Il créa l’institut Africain-Américain qui reçoit des milliers d’enfants et d’adultes de nationalités variées : des fidèles américains, anglais, sud africains, nigérians, ghanéens, gambiens, maliens et sénégalais.

De plus, Imam Hassan Cissé a aussi édifié le village de Kossy Atlanta, « donnant ainsi l’exemple d’un guide religieux qui allie dévotion à Dieu et culte du travail ». Conclusion : L’universalisation de la Tijânyya, une question de stratégie « Un ordre soufi dans un monde moderne », tel semble être en résumé la lecture qui découle de la trajectoire poursuivie par la Tijânyya du Maghreb arabe aux autres aires géographiques, notamment en Afrique noire où elle a connu ses lettres de noblesse. Cette trajectoire s’est opérée par stratégies d’une époque à une autre, et a dû emprunter des destinations aussi diverses que variées à l’échelle planétaire.

Sous l’ère dudit fondateur Cheikh Ahmet Tidiane (1797-1815), la Tijânyya s’est répandue rapidement en Algérie par le moyen de l’initiation et de l’éducation spirituelle. En butte à l’hostilité des autorités ottomanes, le Cheikh se réfugia au Maroc où le monarque chérifien lui fit bon accueil ; il poursuivit ainsi son prosélytisme jusqu’à sa disparition à Fez en 1815. En Afrique noire, la Tijânyya est apparue comme un mouvement de réactivation de l’Islam. Son nom est souvent associé à la Jihad de Cheikh Omar Foutiyou Tall. Cette œuvre sera poursuivie plus tard par l’Almamy du Rip, Maba Diakhou Bâ. Par le moyen de la Jihad, ces illustres acteurs de la pensée Islamique ont voulu s’opposer à la colonisation comme forme d’aliénation culturelle, mais aussi aux croyances traditionnelles africaines qui ont encore la vie dure. Pour El Hadji Malick Sy, il ne fallait guère faire face à ces

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contraintes par le moyen de l’opération militaire, mais par la conquête des cœurs et des esprits.

La prolifération de figures, de réseaux et de structures démontre la forte vulgarisation de la Tijânya qui a réussi à s’étendre vers les régions les plus reculées du monde – l’œuvre de El Hadji Ibrahima Niasse et un peu plus tard celle de son petit-fils Cheikh Hassan Cissé. Le nombre de ses adeptes est estimé à environ 400 millions lors du Forum International de la Tarikha Tijânyya du 27 au 30 juin 2007 à Fez. Aujourd’hui, la Tijânyya offre l’image d’un héritage partagé de lectures et de rites, une référence identitaire forte, un tissu social fait de réseaux multiples. Cela démontre sa forte capacité d’adaptation et d’imagination qui, en s’appuyant toujours sur les recommandations du Coran et de la Tradition prophétique, essaie de régler la question de l’équilibre entre le spirituel et le temporel en proposant un projet de société basé sur la foi, la tolérance, la discipline et le respect mutuel.

FIN

Alioune SAKHO

Sociologue /chercheur [email protected]

Bibliographie : Al-TIDJANI, M.Hafaz, 1983, Al-Hadj Omar Tall (1794-1864) Sultan de l’Etat Tidjanite de l’Afrique occidentale,

Traduit de l’arabe par Fernand DUMOND, Dakar, NEA, 191 pages. Ki-ZERBO, J, 1978, Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Paris, Hatier, 731 pages. MBAYE, El H. Ravane, 2003, Le grand savant El Hadji Malick Sy. Pensée et action. Tome premier Vie et Œuvre, Albouraq, 817 pages. PIGA, A. 2003, « L’idéologie Islamique dans les villes de l’Afrique subsaharienne entre mysticisme et fondamentalisme » in Piga (sous la dir.), Islam et villes en Afrique au sud du Sahara.

Entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala, pp.7-54. SAGNE M. et M. CISSE, 2006, « Hassan Cissé, un digne héritier spirituel de Baye Niasse », in Le soleil, Gamou Tivaouane 2006, Les chapelets du savoir ou l’exemplarité d’un serviteur d’élite, pp.21-22 TRIAUD, Jean L. et ROBINSON David, 2000, La Tijânyya. Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, Paris, Karthala, 509 pages.