etude des déterminants des échanges entre le nigeria et le
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LARES JOHN WALKDEN
Etude des déterminants des échanges
entre le Nigeria et le Bénin
Version définitive
Décembre 2004
I- Contexte et justification
Les échanges entre le Bénin et le Nigeria sont très anciens. Ils sont pour l’essentiel
calqués sur les opportunités qu’offre le marché nigérian. Ils ont connu au cours des 30
dernières années des modifications profondes tant dans leur nature, leur ampleur que dans les
stratégies d’intervention des différents acteurs. Ainsi au commerce de complémentarité qui a
prévalu entre 1970 et 1980, s’est substitué celui de réexportation qui dure à ce jour.
Expression de l’exploitation des disparités de politiques économiques induites par la mise en
oeuvre différentiée et sélective des programmes d’ajustement structurel dans chacun des deux
pays, cette forme de transaction est devenue une composante structurelle de l’économie
nationale. Elle a réussi à s’adapter aux vicissitudes de la politique commerciale nigériane qui
a savamment alterné au cours des quinze dernières années, libéralisation et protectionnisme
des échanges extérieurs du pays, rendant confuse une connaissance des leviers des
transactions commerciales entre la Fédération et ses voisins, le Bénin en particulier.
Si au travers de l’abondante littérature qui existe actuellement sur les échanges entre le
Bénin et le Nigeria, on peut se faire une idée claire de l’ampleur des transactions, de la nature
des acteurs, du fonctionnement des circuits, de la nature des produits échangés, on maîtrise
encore mal les déterminants macro-économiques des transactions, en l’occurrence le rôle des
questions monétaires dans le fonctionnement du commerce bilatéral. En effet il semble existé
une forte corrélation entre l’évolution du cours de la Naira vis à vis des principales devises
convertibles qui circulent dans la région et la dynamique des transactions commerciales. De
façon empirique on observe que l’effondrement du cours de la Naira a profondément modifié
la nature des courants d’échanges entre le Bénin et le Nigeria. Il a imprimé un caractère
asymétrique aux transactions de produits locaux en faveur du Nigeria. La complexité a été
également corsée par la triangulation, voir même la quadriangulation que revêt le passage des
transactions monétaires qui régissent parfois les modes de règlement des échanges. Ainsi la
limitation de la convertibilité du franc CFA hors de sa zone d’émission a compliqué les
aspects financiers des règlements des transactions. Les recyclages du Fcfa et de la Naira se
font désormais à travers l’Euro et surtout le dollar. Si le Fcfa a une parité constante vis à vis
de l’Euro, l’instabilité du dollar ( première devise étrangère circulant dans la région) influe sur
les rapports Naira / Cfa et corrélativement sur le niveau des échanges entre le Bénin et le
Nigeria. On se pose surtout beaucoup de questions sur les déterminants du cours de la
monnaie nigériane et son impact sur les transactions commerciales entre le Bénin et le
Nigeria.
II. Objectifs et méthodologie de l’étude
Objectifs
La présente étude sur les échanges entre le Bénin et le Nigeria se fixe comme objectifs :
- d’analyser les déterminants du cours de la Naira et son implication pour les
exportations-réexportations béninoises en direction du Nigeria,
- de proposer une méthode d’analyse qui permette de déterminer le rapport dollar/euro
et dollar/naira pouvant permettre de pronostiquer sur le niveau des transactions au vu de
l’évolution du cours des trois monnaies.
Méthodologie
La démarche se fonde essentiellement sur l’exploitation des données secondaires
issues de la base de données du LARES et des enquêtes complémentaires faites tant au
Nigeria et qu’auprès de quelques opérateurs économiques béninois. Les variables prises en
compte :
- l’évolution du commerce extérieur du Nigeria (importations, exportations),
- l’évolution des réserves de devises du Nigeria,
- l’impact des prix réels du baril de pétrole sur la politique du gouvernement en
matière d’allocation des devises,
- les taux d’intérêt,
- la fiscalité intérieure et extérieure,
- l’essence des différentes politiques de dévaluation de la Naira,
- les orientations de la loi des finances 2004 en fin d’exécution et de celle de 2005
en préparation.
L’analyse cherche à déterminer la corrélation qui existe entre la naira et le dollar
d’une part et la naira et le Fcfa en passant par l’Euro d’autre part à travers l’évolution des taux
de change. Ces éléments jouent un rôle important dans la détermination du taux parallèle de
l’ensemble des monnaies à Lagos et Cotonou.
III- Evolution récente des échanges entre les deux pays
3-1- L’analyse rétrospective des transactions.
L’impression qui se dégage de l’analyse à court terme de l’évolution des transactions
commerciales entre le Bénin et le Nigeria, est celle d’une détérioration continue des
termes des échanges en défaveur du Bénin. Alors que les exportations de produits
nigérians en direction du Bénin restent dynamiques, même si elles présentent une
tendance très erratique, on assiste plutôt à un effritement des exportations béninoises en
direction du voisin de l’Est, notamment depuis 2002.
Figure 1 : Evolution des échanges officiels bénino-nigérians
-15000000000
-10000000000
-5000000000
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25000000000
2000 2001 2002 2003 2004
Evolution des échanges officiels bénino-nigérians
import
export
solde
Source: d'après les statistiques de l'INSAE
Les exportations nigérianes portent sur une gamme assez variée de produits. Elles
sont dominées par le trafic de produits pétroliers qui occupent le premier poste des
ventes tant officielles qu’informelles nigérianes au Bénin.
Les produits manufacturés tant au Nigeria que dans les pays asiatiques : tissus,
produits pharmaceutiques, cosmétiques, électroniques et pièces détachées pour
engins à deux ou quatre roues participent également aux ventes nigérianes à ses
voisins, au Bénin en particulier.
Viennent ensuite les produits agro-alimentaires, dominés par ceux du crû au rang
desquels figurent les maraîchers : tomate et pomme de terre, du maïs et des
boissons gazeuses.
Les ventes béninoises sont dominées par des produits de réexportation dont nombre
d’observateurs avaient pronostiqué un affaiblissement à la suite de la mise en œuvre du Tarif
Extérieur Commun de l’UEMOA. L’impact de l’union douanière sur cette forme de
transaction semble très limité. En effet si par rapport à 1999, les importations béninoises de
produits clé qui alimentent le commerce de réexportation ont en 2000 baissé tant en valeur
(21,9%) qu'en volume (27,9%), on observe ensuite une reprise dès 2001, comme l’indiquent
les données du tableau ci dessous.
Tableau 1 : Taux de croissance des importations des principaux produits de
réexportation (%).
Croi 2000/1999 Croi 2001/2000 Croi 2002/2001
Produits Valeurs Volume Valeurs Volume Valeurs Volume
Tissus -24,8 10,4 16,8 26,1 -74,0 -14,6
Fripes -35,6 -29,4 8,0 15,0 15,0 17,2
Volailles 17,0 27,9 -5,2 -2,9 7,7 20,1
Riz -62,7 -51,7 27,1 33,9 18,5 41,9
Véhicule
d'occasion -9,8 -16,0 -2,2 -1,6 15,3 19,6
Lait 8,3 -5,0 12,1 5,6 -7,8 -4,8
Sucre -123,0 -202,6 -57,1 -72,5 23,7 34,9
Alcool -27,8 18,4 5,5 5,3 -4,0 -11,4
Huiles végétales -68,2 -57,9 -42,3 -18,7 45,7 33,9
Tomate
(concentré) -41,3 -56,2 -4,3 1,1 -26,7 -25,2
Cigarettes -65,1 -61,0 -38,0 -27,3 63,7 52,1
Total -25,0 -30,0 6,9 8,8 -6,2 23,0
Source: Construit à partir des Statistiques de commerce extérieur (INSAE/DSEE/SEC)
L'analyse par produit révèle qu'en dehors du lait et des volailles, la plupart des produits ont vu
leur niveau baissé de manière drastique en 2000. Mais à partir de 2001, la situation diffère.
Les produits comme le tissu, les friperies, le riz et l'alcool ont vu leur part augmenter par
rapport à 2000 et parfois par rapport à 1999. C'est le cas des tissus et des friperies qui ont
connu une augmentation fabuleuse en 2000. La même tendance s'est poursuivie en 2002 avec
l'entrée en scène des cigarettes (63,7% d'augmentation en valeur et 52,1% en volume), des
véhicules d'occasion (15,3% et 19,6%), des huiles végétales (45,7% et 33,9%) et du Sucre
(27,3% et 33,9%). On peut donc conclure à ce niveau de l’analyse que la plupart des produits
faisant l'objet de ce commerce ont connu des taux de croissance positifs et parfois élevés en
2002 qui autorisent à penser que la dynamique de cette forme de transaction est moins liée au
TEC qu’à la conjoncture qu’affiche la politique commerciale nigériane.
3-2- Un ralentissement des exportations/ réexportations béninoises depuis 2003
Les relations commerciales entre le Bénin et le Nigeria ont été très tendues au cours de
l’année 2004. La morosité semble s’être installée à partir du début du 2ème
semestre de 2003,
avec une chute vertigineuse des importations des produits dont la majeure partie alimente le
trafic de réexportation en direction du Nigeria. C’est le cas principalement des produits
carnés, des véhicules d’occasion et surtout des tissus toutes catégories confondues. En effet la
valeur Caf des importations de tissus des dix premiers mois de l’année est passée de 65
milliards de Fcfa en 2002 à 54 milliards Fcfa en 2003 et 24 milliards pour les huit premiers
mois de l’année 2004. La valeur totale des huit premiers mois de l’année 2004, ne représente
que 44,4 % de celles des dix premiers mois de l’année 2003.
Les importations des tissus de grande valeur comme le WAX ont connu une évolution
similaire. En effet les importations de tissus imprimé par un procédé à la cire (WAX) 85% ,
100 G/M2 ont chuté de 12 à 11,5 milliards entre 2002 et 2003. La valeur des importations des
huit premiers mois de 2004, porte seulement sur 4,5 milliards de francs Cfa, soit moins de
39,13 % des huit premiers mois de l’année précédente. Cette baisse paraît très importante
comparée aux autres tissus. En effet la baisse des importations de fripe paraît moins
prononcée. La valeur des importations des huit premiers mois de 2004, représente 53 % de
celle de l’année 2003. En ce qui concerne les autres tissus, le rapport est 40,70 %. On peut
donc dire que la crise touche plus les tissus de grande et moyenne valeur que les fripes . Il y a
comme un report d’une partie de la clientèle des tissus de marque sur les fripes, mettant
clairement en relief la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs qui résulte de la
dépréciation de la Naira.
Figure 2: Evolution des importations béninoises de tissus et de fripes
Source : d’après les données de l’INSAE
0
5000000000
10000000000
15000000000
20000000000
25000000000
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40000000000
2000 2001 2002 2003 2004
Tissu wax
Fripe
Autres
Cette situation intervient dans un contexte marqué par la survenance de plusieurs évènements
dont les imbrications ne permettent pas d’avoir une lisibilité sur les causes fondamentales de
cette déprime. Plusieurs phénomènes susceptibles d’influencer les transactions commerciales
entre le Nigeria et ses voisins, notamment le Bénin sont intervenus à cette période :
renforcement de la protection du marché nigérian, dépréciation de la Naira vis à vis des
principales devises circulant dans la sous-région. .
IV- Les déterminants des échanges
Ils sont de plusieurs ordres : sociologique, historique, mais surtout d’ordre économique.
En effet, l’existence de part et d’autre des frontières, des populations partageant les
mêmes cultures constitue généralement un capital social que les opérateurs économiques
exploitent judicieusement. La naissance et le fonctionnement des réseaux marchands
transfrontaliers s’appuie en partie sur ces éléments que certains auteurs baptisent de
régionalisme transétatique. Cependant les fondements des échanges dérivent
principalement des disparités tant des niveaux de dotation en ressources de toute nature
que des différences de politiques économiques, notamment commerciales et monétaires
entre le Bénin et le Nigeria. Les opérateurs économiques exploitent non seulement les
opportunités, mais aussi les dysfonctionnements induits par les disparités de politiques
économiques et monétaires.
4-1- Une conjoncture économique interne mitigée au Nigeria.
L’économie nigériane doit sa force à deux facteurs essentiels : l’importance du marché
de consommation du pays ( plus de 120 millions d’âmes) et le poids des ressources tirées
des hydrocarbures ( exploitation de1,7 millions de barils par jour, 40% du PIB, 70% des
recettes fiscales , 98% des recettes d’exportation).
Au cours des quatre dernières années, le pays a bénéficié d’une croissance
relativement continue de son économie, exceptée la dépression de 2002 . Le taux de
croissance de l’économie nigériane a tourné autour de 3%, contre un accroissement de la
population estimée à 2,8 % par an. L’inflation a baissé de 18,9% en 2001 à 12,9% en 2002
et était estimée à 10 % en 2003. Les prévisions de 2004 portent sur une légère remontée
de ce taux en relation avec la dépréciation de la Naira et le relèvement du prix à la
consommation des produits pétroliers. Les réserves en devises, après une rapide
diminution, semblent être stabilisées à 7, 5 MdUSD, soit environ six mois d’importations.
La dette extérieure de la Fédération reste élevée : 31 MdUSD et le service de la dette
constitue un des goulots d’étranglement de l’économie nigériane en dépit de quelques
réaménagements négociés avec les partenaires au développement du pays. La balance
commerciale est largement excédentaire en dépit d’un léger fléchissement depuis 2001. Le
solde commercial était estimé à environ 8 milliards de dollar en 2003, en dépit d’une
certaine relance de la consommation intérieure qui a fait monter la valeur des importations
de biens de quelques 13 milliards de dollars en 2001 à 14 milliards en 2002 et 2003. Elle
devrait être confortée en 2004 par la bonne tenue des cours mondiaux des produits
pétroliers.
Figure 3 : Evolution des échanges extérieurs du Nigéria
Source : d’après les données FMI, PDE
En dépit de cette embellie économique, le Nigeria affiche, selon les données de la Banque
Mondiale un niveau élevé de pauvreté de sa population. Le PIB par habitant est estimé à
340 dollars US et trois nigérians sur quatre vivent avec moins d’un dollar par jour. Ces
situations sont de toute évidence à la base d’une politique commerciale plus restrictive que
celle que préconisent et le CEDEAO et l’OMC.
4-2- Un renforcement récent de la protection du marché intérieur.
Bien que le Nigeria ait souscrit aux dispositions de la CEDEAO, notamment à son schéma de
libéralisation des échanges qui est, en principe entré entièrement en vigueur depuis février
2003, et de l’Organisation Mondiale du Commerce, le pays a opté pour une politique
commerciale en demi teinte libérale. Depuis 2002, le Nigeria a procédé à une profonde
modification de son tarif extérieur en augmentant des droits sur certains biens de
consommation, soit fabriqués localement, soit considérés comme essentiels. Il a également
allégé les droits sur certaines matières premières et a allongé la liste des produits prohibés
d’importation dans le pays. Certains produits du crû originaires de l’Afrique de l’Ouest
n’échappent pas à ces restrictions. Le nombre de produits interdits d’importation est passé
d’une trentaine en 1986 à dix huit en 2002. Il a été porté à plus d’une cinquantaine en Février
20031. Les grands traits de cette nouvelle fiscalité de porte se présentent comme suit :
1
produits alimentaires : viande importée, bœuf et produits dérivés, porc et produits dérivés, viande d’agneau et de chèvre, mouton, huile
végétale, huile alimentaire, viande de volaille, farine de blé, le sorgho, le mil, manioc et produits de manioc, fruits frais et jus de fruit, spaghetti, biscuits,
produits industriels : bicyclettes assemblées, sacs en cuir et en plastique, produits textiles, chaussures pour hommes, cravates, savons, détergents, meubles, fleurs fraîches et en plastique, coutelas, haches, pelles, bêches, brouettes, pâte dentifrice, crayons et stylos à bille,
articles domestiques en plastique, couteaux, seaux, pioches, carton ondulé, friperie, pneumatique usagé, produits pharmaceutiques
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
1999 2000 2001 2002 2003
Evolution des échanges extérieurs du Nigeria
Export
import
solde
Tableau 2 : Evolution récente de la Fiscalité douanière au Nigeria (en %)
Années 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Huiles alimentaires Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé 55 65 40 100 Prohibé
Viandes de volaille Prohibé Prohibé Prohibé 150 55 75 75 100 Prohibé
Bières Prohibé Prohibé Prohibé 100 100 100 100 100 100
Vin 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Lait 10 10 10 10 10 5 5 5 5
Beurre, Fromages 55 55 55 55 50 50 50 100 100
Conserves de tomates 45 45 45 45 45 45 45 45 45
Friperies Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé
Pneumatiques Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé prohibé
Farine de blé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé Prohibé prohibé
Véhicules d'occasion Prohibé Prohibé Prohibé Variable variable variable Prohibé variable 8ans
Sucre 10 10 10 10 10 10 40 100 100
Tissus et confection Prohibé Prohibé 50 65 65 30 55 100 100
Poissons congelés 5 5 5 5 5 5 5 5 5
Tabacs et cigarettes 90 90 90 90 80 60 80 100 100
Riz 100 50 50 50 50 50 75 100 110
Source: bases de données LARES-
La mise en œuvre de ces mesures est plus rigoureuse depuis le dernier trimestre de l’année
2003. Le dispositif de contrôle sur les grands axes routiers inter- Etats comprend outre les
forces classiques de maintien de l’ordre ou de défense, des agents des services
phytosanitaires. Sur l’axe Kraké –Lagos par exemple, on compte plus d’une vingtaine de
cheikpoints. Ces mesures ont pu rendre particulièrement difficiles les transactions de
quelques produits de réexportation et corrélativement une faible attraction du marché béninois
pour les opérateurs économiques nigérians. Cependant au regard des expériences antérieures,
notamment de 1984 ( qui a été caractérisée par une longue période de fermeture des frontières
terrestres), on est fondé de croire que les mesures protectionnistes prises par les autorités
nigérianes ne suffisent pas à elles seules à expliquer les difficultés d’accès au marché de la
Fédération par les produits béninois où réexportés par le Bénin.
4-3- Les disparités de politiques monétaires
Il est de notoriété publique que plusieurs monnaies entrent en ligne de compte dans les
transactions commerciales entre le Bénin et le Nigeria. Outre le FCFA et la Naira qui ont
cours légal respectivement dans les deux pays, on rencontre les plus importantes devises du
monde, notamment le dollar US, l’Euro et la livre sterling. Ces dernières sont considérées
comme des devises à la fois de refuge et des transactions internationales. La question que se
posent non seulement les analystes, mais également les opérateurs économiques est de savoir
comment le mouvement des taux de change entre ces monnaies influe sur les transactions,
notamment sur le commerce de réexportation. En effet dans l’impossibilité de passer
officiellement et directement entre la Naira et le Franc Cfa sauf par le biais des banques
centrales et du marché parallèle, complique le règlement des transactions économiques entre
les opérateurs qui sont à l’interface de ce marché. Il faut jouer sur les subtilités des taux de
change des deux monnaies vis à vis des autres devises qui servent aux transactions
internationales : dollar, euro, livre sterling.
Or la question des taux de change est complexe et recouvre plusieurs éléments : le taux de
change entre la Naira et le Cfa, le taux entre la Naira et les devises fortes ( Dollar, Euro, livre
sterling), le taux de change entre Fcfa et les devises fortes ( à la fois dans les banques et sur le
marché parallèle des changes).
Empiriquement cette situation peut avoir un impact sur la réexportation et plus généralement
sur les exportations de produits béninois dans deux cas de figure :
La forte dépréciation de la Naira par rapport aux devises fortes au cours de ces
vingt dernières années, sans un réajustement significatif des salaires a de toute
évidence réduit le pouvoir d’achat extérieur des nigérians et corrélativement la
quantité de leurs importations globales, ce qui peut affecter négativement la
réexportation Bénin-Nigeria.
L’existence d’une décote entre le taux officiel et parallèle pour le change
Naira/FCFA peut avoir un impact relatif sur la compétitivité des circuits
d’importation légale et frauduleuse . Ces cas sont cependant très rares.
Mais au delà de ces constats empiriques, la question qui reste posée est celle de l’impact de
l’interférence des différentes devises sur les échanges entre les deux pays. Le passage entre
les monnaies étrangères et le franc Cfa et la Naira se fait en grande partie par le biais du
marché parallèle. Ceci signifie que la Naira et le Franc Cfa s’échangent aussi contre ces autres
devises. Les analyses consacrées au fonctionnement du marché parallèle de change montrent
que ce marché est efficace c’est à dire que :
Les marges entre le taux auquel les cambistes achètent une devise et celui auquel ils
la revendent est faible sur toutes les places d’échange informel,
L’intégration des marchés semble parfaite au regard de la faiblesse du différentiel des
prix entre différentes localités ( différentiel qui correspond à peu près au coût de
transfert des devises d’une localité à une autre).
Une certaine cohérence des taux de change entre eux qui implique que le taux Naira
/Cfa est approximativement égal au taux Naira / $ * $/Euro * Euro/ Cfa . C’est cela
qui explique que la Naira ait vu sa valeur vis à vis du franc Cfa quasiment doublée
sur le marché parallèle suite à la dévaluation du Fcfa en Janvier 1994.
D’une manière générale le taux au marché parallèle entre le dollar et l’euro reproduit à peu
près le taux fixé par les bourses internationales de devises. Depuis 1999, le dollar a eu une
tendance baissière vis à vis de l’Euro, bien qu’il soit loisible de repérer plusieurs phases. Le
dollar s’est ainsi progressivement apprécié vis à vis de l’euro, entre mars 1999 et janvier
2000. De janvier 2000 à octobre 2002, il fallait moins d’un dollar pour obtenir un euro. A
partir de novembre 2002, la tendance baissière s’accentue au point où en décembre 2004 il
faut environ, 1,34 dollar pour un Euro.
Figure 4 : Evolution du cours du dollar sur le marché international (dollar pour un
Euro)
Source : Multidevises, NATEXIS BANQUES POPULAIRERS)
Cette dépréciation du dollar vis à vis de l’Euro a une double conséquence préjudiciable au
commerce de réexportation :
En se positionnant comme la principale et la plus importante devise étrangère
circulant au Nigeria, le dollar entraîne dans sa dépréciation, l’effondrement de la Naira vis à
vis de l’Euro et du franc Cfa.
Il en résulte un renchérissement des prix des produits transitant par le marché
de la zone franc : le passage du Naira au dollar puis au franc Cfa augmentant les coûts de
transactions ;
Figure 5 : Evolution du taux de change Fcfa/Naira et Dollar/Naira
Source : Base de données LARES
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1
1,1
1,2
1,3
1,4
janv-99
avr-99
juil-99
oct-99
janv-00
avr-00
juil-00
oct-00
janv-01
avr-01
juil-01
oct-01
janv-02
avr-02
juil-02
oct-02
janv-03
avr-03
juil-03
oct-03
janv-04
avr-04
juil-04
oct-04
Ces réalités sont perçues par les cambistes qui utilisent des formules empiriques qui
apparaissent en dernier ressort comme des moyens d’anticiper sur la situation qui va se
produire dans les heures où les jours à venir.
Lorsque la Naira monte par rapport au FCFA, il est difficile de vendre le $.
En effet, lorsque la Naira se valorise par rapport au FCA, elle se valorise aussi
par rapport au $, ce qui signifie que les $ sont en excès sur le marché.
Lorsque le dollar monte par rapport au CFA, il est difficile de trouver de la
Naira. En effet lorsque le $ se valorise par rapport au fcfa, ce phénomène est
dû soit à une baisse de l’euro vis à vis du $ sur les marchés internationaux, soit
à une augmentation de la décôte du fcfa par rapport à l’euro
Ces phénomènes corroborent clairement la situation actuelle marquée par une baisse du
dollar par rapport à l’Euro. On est dans un cas de figure où la dépréciation des deux plus
importantes monnaies ne crée pas une pénurie de devises, mais plutôt un renchérissement
des coûts des produits venant des pays de la zone franc.
D’une manière générale, les taux Naira/Fcfa et Naira / $ varient en phase. Ceci pose la
question de la causalité entre ces deux taux de change. Une première manière de trancher le
problème consiste à effectuer un test statistique ( par exemple une analyse de causalité ). C’est
ce qu’a fait Javier XERRERA à partir de données journalières sur les taux de change du
marché parallèle. Le résultat semble être le suivant :
A long terme, le taux Naira/$ cause le taux Naira/Fcfa
A court terme, la causalité joue dans les deux sens.
Mais comment se forment les taux de change.
Chaque pays donne un court légal à la monnaie qu’il émet uniquement sur son territoire. La
diversité des systèmes monétaires qui en résulte pose le problème du change des monnaies
pour régler une dette extérieure, il faut utiliser des monnaies étrangères. Le change est
l’opération qui permet d’obtenir à l’aide de la monnaie nationale des monnaies étrangères ou
inversement ;
Plusieurs éléments déterminent le niveau des cours ou taux de change des monnaies entre
elles. Pour les libéraux, le marché de change fonctionne comme tous les autres marchés et le
cours d’une monnaie est déterminé par le niveau de l’offre et de la demande de celle-ci sur le
marché.
Le niveau de l’offre et de la demande résulte de la conjoncture économique du pays
émetteur de la monnaie, notamment du niveau des réserves de change, de la situation de la
balance commerciale, de paiement , du niveau des taux d’intérêt…
Dans le cas spécifique du Nigeria, le mécanisme de formation des taux de change de base a
été compliqué par les changements du système d’allocation des devises.
La première se caractérise par le passage de l’AFEM qui matérialisait l’existence de
deux taux de change, à l’IFEM qui marque sa réunification. En effet dès octobre 1997,
l’Inter-Bank Foreign Exchange Market) consacre l’option de création d’un réseau
bancaire d’allocation de devises. La CBN, se positionne comme une simple allocatrice
de devise au même titre que les 82 autres banques commerciales qui forment le réseau.
Les devises peuvent alors s’obtenir tous les jours à un taux de change déterminé par la
demande majorée d’une marge plafonnée à 1Naira entre achat et vente. Bien que la
CBN ait perdu une partie de son pouvoir, elle a gardé un droit de regard sur les
transactions effectuées au niveau de l’IFEM. Malgré cette libération du taux de
change, le marché parallèle a persisté en raison de son attractivité, de sa simplicité et
de sa souplesse.
La seconde phase commence en juillet 2002 et est marquée par l’instauration d’un
nouveau système d’allocation des devises dit « système des Enchères Hollandaises »
(Deutch Auction System). Elle résulte de la volonté de la CBN de mieux maîtriser les
sorties de devises et réduire l’écart entre les taux de change officiel et parallèle. A la
différence de l’IFEM, le nouveau marché ne fonctionne que durant deux jours par
semaine, le lundi et le mercredi. Cette modification du rythme a permis d’accroître le
montant des allocations de devises de plus de 52% entre 2001 et 2002. Parallèlement à
cette modification la CBN s’est engagée à poursuivre une politique active
d’adjudication de titres (OPEN Market Operation), de piloter le taux de réescompte
(actuellement de 16,5%) et de réguler le secteur bancaire.
Cette politique avait permis une certaine stabilisation du cours de la Naira vis à vis du franc
CFA notamment. Cette stabilité a été cependant rompue par deux évènements majeurs. Le
premier concerne les dérapages budgétaires de 2003 liés aux dépenses engloutis pour
accueillir non seulement les Jeux Panafricains, mais aussi le sommet du Commonwealth.
L’exécution du budget de 2003 a de ce fait été chaotique. Le pays s’en en sorti avec un
important déficit budgétaire estimé à 5% du PIB. Le second a trait aux effets de la baisse des
exportations nigérianes de pétrole en 2004 consécutivement aux troubles socio-politiques
survenus dans la région du Delta. Lorsqu’on sait que les ressources tirées des hydrocarbures
concourent à hauteur de plus de 90 % à la détermination du taux de change de la Naira, on
mesure les effets que la réduction des exportations du pétrole du fait des troubles socio-
politiques peuvent avoir sur l’évolution de la Naira. Ces évènements ont pu contribuer à la
dépréciation de la Naira (-11,5 %) entre 2002 et 2004, vis à vis du dollar qui lui même en
baisse par rapport à l’Euro. Cette baisse qui est cependant inférieure aux 15 % de marge de
dévaluation autorisés par les Etats dans le cadre du processus de la création de la seconde
zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest, permet au Nigeria d’ajuster son économie à sa
nouvelle stratégie à savoir2 :
Accroître la production intérieure
Minimiser les importations de biens
Diversifier et accroître les exportations
Consommer plus de produits nigérians.
A ce stade de l’analyse, on peut donc affirmer que le commerce bénino-nigérian est affecté
par trois phénomènes qui interagissent simultanément.
2 Chief ( Dr) J. O. Sanusi, Governor Of Central Bank of Nigeria , discours du 24 février 2004 devant les
membres de la chambres de commerce Nigero-britannique .
Le premier concerne les restrictions imposées par le gouvernement nigérian à
l’entrée de nombreux produits sur son territoire. Si cette mesure se justifie par
rapport à certains produits alimentaires et de récupération ( problèmes sanitaires et
environnementaux obligent ), elles se justifient moins pour les produits à haute
valeur ajoutée comme le WAX dont l’équivalent produit au Nigeria n’a pas la
même qualité.
Le second est relatif aux aspects monétaires des échanges qui, marqués par la
dépréciation simultanée de la Naira et du dollar ont rendu peu compétitifs les
produits fabriqués au Bénin ou réexportés à partir du Bénin . La volatilité des
cours des produits pétroliers, la persistance des troubles socio-politique dans le
Delta, la volonté d’assainissement de l’économie nigériane sont autant de facteurs
qui vont encore longtemps affecté le cours de la Naira à l’avenir. A cela il faut
ajouter la tendance des dirigeants monétaires nigérians à aligner le cours de la
naira sur celui du dollar pour se donner une marge de compétitivité.
Le troisième concerne l’impact négatif de la rigidité de la politique économique du
Bénin face à la flexibilité de celle de notre voisin. Cette rigidité est monétaire et
fiscale. La fixité de la parité Fcfa / Euro devient ainsi une contrainte au
développement des échanges entre le Bénin et le Nigeria. Toute baisse des cours
de la monnaie nigériane entraîne une contraction des exportations et réexportations
béninoises. A cela s’ajoute la structure actuelle de notre fiscalité de porte ( TEC
UEMOA) qui ne prend pas suffisamment en compte l’environnement actuel de
l’économie béninoise très tournée vers l’exploitation des opportunités qu’offre le
marché nigérian.
Il importe donc que dans le cadre du fonctionnement du réseau des chambres de commerce et
d’industrie de la CEDEAO, que les responsables du groupe fasse pleinement jouer les règles
qui régissent la circulation dans l’espace communautaire des produits industriels originaires
de la sous-région.