etude annuelle 2013 sharon

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Etude annuelle 2013 Religion et politique au Parlement israélien. Au-delà de la fracture religieux/laïques ? Par Sharon Weinblum Revue Regards Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind Rue de l'Hôtel des Monnaies 52 - 1060 Bruxelles 02/543 02 81 - 02/543 02 82 02/537 55 65 [email protected] - www.cclj.be/regards

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  • Etude annuelle 2013

    Religion et politique au Parlement isralien.

    Au-del de la fracture religieux/laques ?

    Par Sharon Weinblum

    Revue Regards

    Centre Communautaire Lac Juif David Susskind

    Rue de l'Htel des Monnaies 52 - 1060 Bruxelles

    02/543 02 81 - 02/543 02 82 02/537 55 65

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    Table des matires

    Introduction .................................................................................................................. 1

    1. Isral, Etat des Juifs ou Isral, Etat juif ............................................................. 3

    a) Sionisme laque et antisionisme religieux : le compromis originel ..................... 3

    b) La religion au cur de la socit et du politique ................................................. 6

    2. La place de la religion au parlement isralien ......................................................... 9

    a) La religion comme source dautorit ................................................................. 11

    b) La religion comme marqueur dune nation : le peuple juif, lEtat et le territoire .................................................................................................................. 13

    c) La religion comme source de valeurs ................................................................ 17

    Conclusion ................................................................................................................. 19

    Bibliographie .............................................................................................................. 21

    Sources secondaires ............................................................................................... 21

    Sources primaires ................................................................................................... 22

  • 1

    Introduction

    En fvrier 2012, la Cour suprme isralienne sigeant en sa capacit de Haute

    Cour de Justice renversait la loi dite Tal , une loi spcifiant les conditions selon

    lesquelles les hommes ultra-orthodoxes tudiant dans une cole religieuse (yeshiva)

    pouvaient temporairement ou indfiniment diffrer le service militaire1. Dans son

    arrt, la Cour jugeait la loi inconstitutionnelle au motif quelle violait le droit lgalit, lui-mme considr comme partie intgrante du droit la dignit humaine garanti par la lgislation isralienne

    2. Un an plus tard, en fvrier 2013, un nouveau

    gouvernement tait lu en Isral aprs une campagne lectorale reposant en grande

    partie sur le slogan du partage du fardeau . Ce slogan tait lui-mme explicitement

    dirig vers le secteur ultra-orthodoxe et appelait notamment les jeunes hommes ultra-

    orthodoxes donner quelques annes de leur vie larme isralienne et intgrer le march du travail. En octobre 2012 et fvrier 2013 plusieurs membres du mouvement

    les femmes du Mur (Women of the Wall) taient arrtes par la police aprs que

    leur prsence au Mur des lamentations eut dclench des affrontements parfois

    violents avec les groupes orthodoxes et ultra-orthodoxes. Leur tait reproch par les

    autres groupes de croyants, leur faon de prier, vue comme en contradiction avec les

    normes orthodoxes traditionnelles3. Peu aprs ces vnements, le gouvernement

    isralien tentait de trouver une solution afin de mettre fin ces incidents rptition.

    A ce jour, la solution trouve offre aux Femmes du Mur un espace de prire

    spcifique proximit du Mur des lamentations, vitant ainsi que le mouvement ne se

    heurte aux mouvements (ultra)-orthodoxes, une solution nanmoins rejete par le

    mouvement4.

    Ces vnements sont quelques rcentes illustrations des nombreuses

    problmatiques lies la religion que les autorits israliennes, y compris le

    gouvernement et la Cour suprme, ont eu grer depuis la cration de lEtat dIsral en 1948. Malgr leur complexit et bien quils aient souvent oppos diffrents groupes religieux, il est courant tant dans la littrature scientifique que dans les

    mdias, que les tensions lies aux questions religieuses soient analyses au prisme

    dun clivage qui opposerait religieux dun ct et laques de lautre5. Selon cette analyse, les deux secteurs, religieux et lacs sopposeraient aussi bien dans la socit

    1 Selon la loi Tal (dont le nom officiel est la Loi sur le report du service pour les tudiants des

    yeshivas dont ltude de la Torah est le mtier), adopte en 2002, les jeunes hommes religieux taient autoriss reporter le service militaire jusqu lge de 22 ans, ge auquel ils devaient dcider entre travailler et continuer leurs tudes. Ceux qui choisissaient de travailler taient obligs deffectuer un service militaire ou civil. En 2010, le pourcentage dhommes ultra-orthodoxes effectuant un service militaire ou civil atteignait les 10 pourcent (chiffres cits par la Haute Cour de Justice, HCJ 6298/07,

    Resler v. Knesset, p.23). Avant que la loi Tal soit adopte, les tudiants religieux qui tudiaient dans les

    yeshivas ntaient pas officiellement exempts du service, mais ntaient en pratique pas obligs de le faire. 2 HCJ 6298/07, op.cit., p.3 3 Le mouvement permet aux femmes de prier haute voix et avec le chle religieux et leur permet de

    tenir les rouleaux de la Torah, des pratiques habituellement rserves aux hommes au sein des

    mouvements orthodoxes et ultra-orthodoxes . 4 Maltz, J. What was Bennets big rush to announce Western Wall plan? , Haaretz, 27 aot 2013. 5 Voir entre autres A. Cohen, B. Susser, Israel and the Politics of Jewish Identity: The Secular-

    Religious Impasse, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2000.

  • 2

    isralienne que dans la sphre politique et seraient en comptition pour le contrle des

    diffrentes institutions6. Ainsi, la plupart des tudes traitant de la question religieuse

    dans la politique isralienne sont-elles gnralement axes sur les conflits entre

    groupes religieux et groupes laques. Si le clivage sculier-religieux est effectivement

    bien ancr dans la vie politique isralienne et peut servir de cadre dinterprtation de la politisation du religieux, lutilisation pure et simple de ce prisme danalyse dissimule une ralit autrement plus complexe.

    Cette tude est en ce sens une contribution une image plus nuance et

    dtaille des rles varis de la religion dans larne politique isralienne. Pour ce faire, cette tude identifie les principaux usages de la religion au parlement isralien

    (la Knesset) et examine dans quelle mesure ces diffrents usages traversent ou

    recoupent le clivage laque-religieux7

    . Lanalyse conduit llaboration dune typologie des diffrentes utilisations de la religion qui montre que cette dernire

    apparat principalement sous trois formes : comme source dautorit, comme marqueur didentit et enfin comme source de valeurs. Sur base de cette typologie, ltude dmontre que lutilisation de la religion dans la politique isralienne et plus particulirement au sein du parlement isralien ne peut tre rduite une fracture

    entre religieux et laques. En effet dune part, lutilisation de la religion par des membres religieux de la Knesset ne conduit pas ncessairement un conflit avec les

    dputs laques, et dautre part, dans certains cas la religion est une ressource mobilise par les dputs des deux groupes, religieux et laques.

    Avant de prsenter le cur de lanalyse dans la seconde partie de cette tude, une premire partie retrace lhistorique du clivage laque-religieux en Isral et dcrit brivement la place actuelle de la religion dans lEtat. Dans cette premire partie, ltude revient sur le projet sioniste laque dont le but tait de crer un Etat pour les Juifs. Elle met en lumire les conflits que le projet sioniste laque a gnrs entre

    segments orthodoxes, ultra-orthodoxes et sionistes laques, et souligne linfluence que ces conflits ont eue sur la forme contemporaine de lEtat. Une telle vue densemble des tensions et des divisions historiques permet de comprendre les positions et les

    oppositions actuellement en jeu la Knesset.

    6 G. Ben-Porat, A State of Holiness: Rethinking Israeli Secularism , Alternatives: Global, Local,

    Political, 25, no. 2, 2000, p.223. 7 Lutilisation de lIslam et du Christianisme la Knesset ne fait pas partie de ce projet.

  • 3

    1. Isral, Etat des Juifs ou Isral, Etat juif La forme actuelle de lEtat dIsral et le rle ambigu de la religion dans la vie

    politique isralienne ne peuvent tre compris qu la lumire de lhistoire du sionisme et des diffrents mouvements qui ont coexist et sont entrs en concurrence en

    Palestine mandataire et en Europe, avant mme la cration de lEtat dIsral. Ces diffrents groupes taient en dsaccord sur de nombreux points, y compris sur la

    conception dune prsence juive en Palestine, la ncessit ou non dy crer un Etat et la forme que celui-ci devrait prendre. Ces conceptions divergentes et les rapports de

    force entre ces groupes se refltent jusqu ce jour dans les institutions et les quilibrages qui existent dans lEtat dIsral. Cette premire partie prsente de manire synthtique les processus luvre lpoque mandataire et limpact de ceux-ci sur les rapports politiques entre religieux et laques. Dans une premire

    section, les divergences daspirations entre sionistes laques, sionistes religieux et religieux antisionistes sont dpeintes ainsi que la complexe relation entre ces groupes.

    Dans une seconde section, limpact que les arrangements entre religieux et lacs ont sur la vie quotidienne des citoyens israliens est brivement dcrit.

    a) Sionisme laque et antisionisme religieux : le compromis originel

    Le mouvement sioniste comme mouvement politique tait avant tout

    lorigine un mouvement laque. Thodore Herzl et la plupart des membres de lorganisation sioniste tout comme les mouvements reprsents dans les institutions sionistes de Palestine mandataire

    8 promouvaient la cration dun Etat pour les Juifs

    dont la conception tait influence par le modle dEtat-nation de lpoque. Sur cette base, les sionistes laques considraient que le peuple juif, nation autrefois disperse

    et expulse de ses terres avait droit comme toute autre nation fonder un Etat, Etat

    cr par et pour le peuple juif. Cet Etat ntait donc en rien destin tre un Etat o la religion dominerait la vie publique et politique, mais bien plutt un foyer pour un

    peuple. Dans cette optique, la trs symbolique Loi du Retour, vote en 1950 et

    toujours en vigueur permet chaque personne juive dimmigrer en Isral et de devenir citoyen part entire de ltat 9 . Le caractre ethnoculturel juif de lEtat devait galement tre ralis via de nombreuses politiques concernant y compris lutilisation des langues, la distribution des terres

    10 ou lutilisation de symboles juifs dans la

    sphre publique (lhymne national relatant lhistoire du peuple juif rvant du retour

    8 Les institutions juives sionistes mises en place dans les annes 1920 en Palestine furent rapidement

    domines par le Parti Travailliste qui dirigea galement lEtat aprs lindpendance jusque 1977. 9 Loi du retour, 1950 et Loi sur la citoyennet, 1952. Malgr lexistence formelle de la possibilit dobtenir la citoyennet isralienne par voie de naturalisation en dehors de la loi du retour, en pratique, le rgime isralien de citoyennet est essentiellement un rgime jus sanguini donnant la prfrence aux

    membres de la diaspora juive sur toute autre catgorie de personnes. 10 En Isral, la terre est alloue aux citoyens par lAutorit foncire isralienne (prcdemment nomme lAdministration des Terres dIsral). Cet organisme quasi gouvernemental a officiellement et systmatiquement discrimin les non-juifs dans la rpartition des terres jusqu une dcision de la Cour suprme en 2005 interdisant ces pratiques (HCJ 9010 /04, The Arab Center for Alternative Planning et

    al. v. Israel Land Administration et al). Voir sur la question des terres en Isral O. Yiftachel,

    Ethnocracy: Land and Identity Politics in Israel/Palestine, Philadelphia, University of Pennsylvania

    Press, 2006.

  • 4

    sa terre, le drapeau marqu de ltoile juive et les jours fris dcrts en fonction du calendrier juif comptent parmi ces symboles). Bien quEtat nationalisant destin un promouvoir un groupe national prcis les Juifs les dirigeants sionistes considraient toutefois que lEtat dIsral devait tre un Etat dmocratique respectant lgalit de tous ses citoyens. La Dclaration dindpendance lue par David Ben Gourion le 14 mai 1948 soulignait cette double exigence en ces termes : Nous [...] en vertu de

    notre droit naturel et historique et de la rsolution de lAssemble gnrale de lONU, dclarons par la prsente ltablissement dun Etat juif en Eretz-Isral, qui sera connu comme lEtat dIsral [...] qui sera ouvert limmigration juive et au rassemblement des exils; qui favorisera le dveloppement du pays pour le bnfice

    de tous ses habitants; qui sera base sur la libert, la justice et la paix selon lidal des prophtes dIsral, assurera une complte galit de droits sociaux et politiques tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe... .

    Depuis 1985, la loi fondamentale sur la Knesset indique galement que lEtat dIsral est dune part lEtat du peuple juif et de lautre un Etat de nature dmocratique

    11, une dfinition rsume en 1992 sous la notion dEtat Juif et

    dmocratique .

    Bien que prdominante avant et aprs la cration de lEtat, lide de crer un Etat-nation dmocratique nest pas reste inconteste. En plus de la forte opposition provenant de certains Juifs communistes et des habitants palestiniens qui forment

    aujourdhui 20 pourcent de la population isralienne 12 , les Juifs de la Palestine mandataire taient diviss quant la forme que le futur Etat devrait prendre, et mme

    sur le projet sioniste lui-mme. Dune part, le mouvement national-religieux (orthodoxe) rejetait lide dun tat laque. Son adhsion aux institutions sionistes mises en place dans les annes 1920 peut ds lors sembler paradoxale et sexplique en fait avant tout par des raisons pragmatiques et par la conviction que luvre sioniste tait un moyen de crer un Etat juif qui serait terme un Etat de la Torah.

    Dautre part, le secteur religieux ultra-orthodoxe tait plus hostile encore la vision laque de lEtat juif. Contrairement au mouvement religieux sioniste qui voyait le sionisme comme un outil pour atteindre la rdemption messianique, les ultra-

    orthodoxes envisageaient la formation dun royaume juif par une action humaine comme une profanation de Dieu et une profanation de la saintet de notre terre

    [comme] une rbellion publique organise contre Dieu et sa Torah 13

    . Cest ainsi que ds la cration du mouvement sioniste lac, le segment ultra-orthodoxe de la

    communaut juive europenne puis de Palestine, constitua le mouvement Agoudat

    Isral dont le but tait de sopposer au sionisme14. Toutefois, malgr cette opposition de principe au projet sioniste et la dcision de ne pas adhrer aux institutions sionistes

    du Yishouv (communaut juive de la Palestine mandataire), les dirigeants ultra-

    orthodoxes adoptrent galement une attitude raliste vis--vis du mouvement sioniste

    et de ses institutions. Parce quils se rendirent compte ds les annes 1930 que lEtat

    11 Larticle 7 (a) de la Loi fondamentale sur la Knesset interdit un parti de se prsenter aux lections sil nie lexistence dIsral en tant quEtat du peuple juif et en tant quEtat dmocratique. La Loi fondamentale sur la libert et dignit humaine voque quant elle les valeurs de lEtat dIsral comme Etat juif et dmocratique (article 1). 12 En 2008, 83 pourcent des 20 pourcent des Palestiniens israliens taient musulmans, huit pourcent

    taient chrtiens et huit pourcent taient druzes (Bureau Central de Statistiques dIsral, 2009). 13 S. Mazie, Israels Higher Law, Lanham, Lexington Book, 2006, p.24-25 et p.28 14 Voir D. Kook, M. Harris, G. Doron, op.cit.

  • 5

    dIsral finirait par devenir ralit, certains dirigeants du mouvement ultra-orthodoxe commencrent tisser des liens avec les dirigeants sionistes laques qui cherchaient

    eux-mmes le soutien le plus large leur projet15

    . La Dclaration dindpendance dIsral qui constitue le document fondateur de lEtat reflte le compromis atteint entre les dirigeants laques et religieux avant la fondation de lEtat. La Dclaration nonce quen mettant notre confiance dans le Rocher dIsral, nous signons cette Dclaration en cette sance du Conseil provisoire de lEtat, sur le sol de la patrie, dans la ville de Tel-Aviv, en cette veille du shabbat, le quatrime jour de Iyar 5708

    (14 mai 1948) . Alors que pour les signataires laques, le rocher dIsral mentionn dans la dclaration visait lhritage du peuple juif, les religieux qui ont adhr au document

    16 linterprtrent comme un synonyme de Dieu17.

    Cette attitude des groupes religieux fut bnfique au mouvement sioniste qui

    accroissait ainsi sa lgitimit interne et extrieure. Elle le fut tout autant si pas plus

    pour les mouvements religieux. Les discussions prcdant la formation de lEtat dIsral leur permit en effet dobtenir de nombreuses garanties sur leur statut et sur la place de la religion dans le futur Etat grce la signature dun accord sign avec David Ben Gourion connu aujourdhui sous le nom de statu quo .

    Cet accord allait considrablement modifier le projet dtablir un Etat-nation pour le peuple juif o la religion ferait partie de la sphre prive. Ce dernier

    garantissait au contraire que la religion ferait partie intgrante de lEtat dIsral et de ses institutions. Ainsi selon laccord, les tribunaux religieux devaient se voir accorder le droit de maintenir la comptence exclusive sur les questions dites de statut familial

    (mariage, enterrement, divorce, hritage, etc.). Il tait galement convenu que le jour

    sacr de repos, le Shabbat, serait observ dans la sphre publique et que la cacherout

    serait respecte dans les cuisines des tablissements publics. Laccord prvoyait galement la prservation de lautonomie de deux systmes dducation religieux (orthodoxes et ultra-orthodoxes), lexemption du service militaire pour les tudiants des coles religieuses, et lattribution de financement public aux coles religieuses et leurs tudiants.

    Aprs 1948, le soutien donn au gouvernement par les religieux permit le

    maintien du statu quo en mme temps quil garantissait aux segments orthodoxes et ultra-orthodoxes le monopole sur les affaires religieuses. Jusqu aujourdhui, ce contrle se manifeste de faon significative par la reprsentation exclusive des rabbins

    orthodoxes et ultra-orthodoxes au sein du Grand Rabbinat dIsral, une institution charge de diffrentes tches parmi lesquelles : la supervision des tribunaux religieux

    et des lieux saints, linterprtation du respect du Shabbat, la reconnaissance des conversions au judasme et loctroi des certificats de cacherout aux producteurs18. Mme si suite un appel devant la Cour suprme, lEtat a accept en 2012 de financer

    15 Aujourdhui, seule une petite minorit de la population ultra-orthodoxe ne reconnat pas lEtat dIsral et refuse la citoyennet isralienne (la secte Ha-heda et Naturei Karta). Voir ce sujet D. Kook, M. Harris, G. Doron, op.cit. 16 La dclaration dindpendance a t signe par la majorit des membres du Conseil provisoire de lEtat mis en place en avril 1948 et compos de 37 reprsentants, sionistes laques et religieux et non sionistes laques et religieux. 17 Toutefois, comme Mazie le souligne, Bien que le Rocher dIsral a permis aux groupes ayant des visions du monde contradictoires de travailler au-del de leurs divergences, au moins pour un temps

    historique, il na pas mis un terme leurs notions concurrentes de ce que lEtat juif devait tre. S. Mazie, op.cit., 2006, p.23. 18 Cette institution tant finance par lEtat, elle est sous le contrle judiciaire de la Cour Suprme.

  • 6

    les salaires des rabbins conservateurs et rforms19

    , leur autorit en matire de statut

    personnel ou de cacherout nest toutefois pas reconnue formellement et ds lors, bien que ces rabbins pratiquent galement les rites religieux ou dlivrent depuis peu des

    certificats de cacherout20

    , les actes quils effectuent ne sont pas officiellement entrins ce jour.

    Comme la section suivante lexplique plus en dtail, les pouvoirs accords aux secteurs orthodoxe et ultra-orthodoxe ont un impact direct sur la vie des citoyens

    israliens. Cette prsence a galement entrain les pouvoirs publics se prononcer

    de maintes reprises sur des questions lies aux affaires religieuses, brouillant ainsi

    dautant plus considrablement les frontires entre politique et religion.

    b) La religion au cur de la socit et du politique

    La mise en uvre du statu quo et le monopole (ultra-)orthodoxe sur linterprtation du domaine religieux ont fait dIsral un Etat bien plus religieux que ce que les sionistes laques avaient envisag. A de multiples niveaux, la religion est en

    effet dune certaine faon omniprsente dans la vie des Israliens. Le fait que le Shabbat soit impos dans les lieux publics signifie concrtement quil ny a pas, ou peu de transports publics ou de magasins ouverts le samedi, tandis que limposition de la cacherout et sa supervision ont de nombreuses implications concrtes pour les

    agriculteurs, les producteurs et importateurs de biens alimentaires ou encore les

    restaurateurs. En outre, le fait que les matires familiales soient contrles par les

    tribunaux religieux (rabbiniques pour les Juifs, mais aussi le Cadi pour les musulmans

    et les paroisses pour les chrtiens du pays) implique quil ny a pas de place pour le mariage civil, lexception des unions civiles pour les couples enregistrs comme tant sans religion

    21. Ainsi, les couples mixtes (par exemple musulman et juif), les

    couples laques ou homosexuels et jusquen 2010 les personnes classes comme sans religion souhaitant se marier devant lEtat et non devant une institution religieuse doivent le faire lextrieur du pays et faire reconnatre ces mariages a posteriori par les autorits israliennes. De plus, jusqu une dcision de la Cour Suprme en 1989, les immigrants qui avaient t convertis ltranger par des mouvements non orthodoxes pouvaient immigrer, mais ne pouvaient tre enregistrs

    comme citoyens juifs22

    , une rgle qui sest applique aux personnes converties en Isral jusqu ce que la Cour suprme isralienne ne condamne cette pratique dans un arrt rendu en 2002

    23. Ne pas tre enregistr comme Juif implique en pratique, ne pas

    19 HCJ 8944 /05, Kehilat Birkat Shalom v. Office of the Prime Minister of Israel. 20 Le mouvement conservateur Masorti a rcemment dcid dattribuer des certificats de cacherout (non reconnus en dehors du mouvement) un petit producteur de vin provoquant lire du grand rabbinat dIsral. Voir notamment J. Maltz, Rabbinate: Wine made under Conservative supervision isnt kosher , Haaretz, 3 octobre 2013. 21 Ces unions civiles sont possibles depuis la rcente loi de 2010 sur les unions pour les couples sans

    religion. A lheure dcrire cette tude, un parti du gouvernement a en outre introduit une proposition de loi visant largir ltendue de lunion civile toute personne dsirant se marier de manire civile. Le parti national religieux au gouvernement soppose nanmoins fermement cette initiative. 22 Dans les registres, ces personnes taient indiques comme juive pour la catgorie nationalit ,

    mais sans religion pour la catgorie religion . 23 HCJ 5070/95, aa a r i g a lu eer e s e e i is er I eri r .

  • 7

    tre reconnu par le grand rabbinat et donc ne pouvoir se marier, divorcer ou obtenir

    des funrailles selon le rite juif24

    .

    Prsente dans la vie quotidienne des Israliens, la religion lest aussi dans lEtat et ses institutions. En raison de son rle quotidien dans la socit, les institutions politiques ainsi que les tribunaux (et principalement la Cour suprme) ont

    en effet t conduits intervenir, rguler et statuer sur un large spectre de

    questions touchant aux affaires religieuses. Ainsi, la Cour Suprme est-elle intervenue

    en matire de reconnaissance des conversions et de la judat des nouveaux

    immigrants (voir supra), sur des questions dimportation de nourriture et dlevage non casher

    25, ou de respect du shabbat dans les sites publics

    26. Comme indiqu plus

    haut, les gouvernements et ministres des affaires religieuses successifs ont galement

    t amens prendre des dcisions et lgifrer maintes reprises dans des affaires

    relatives lapplication et lencadrement lgal de la religion au sein de lEtat dIsral. Avec son ministre, ses partis politiques, ses cours de droit et ses institutions quasi gouvernementales, la religion occupe ainsi une place qui dpasse largement la

    sphre prive : elle est de nombreux gards une partie intgrante de lEtat et de la politique.

    Cette forte interrelation entre lEtat et la religion peut paratre surprenante compte tenu du niveau dclar de religiosit de la population dans de rcents

    sondages. En 2012, une enqute rvlait en effet que huit pourcent seulement des

    Juifs israliens (80 pourcent de la population) se dfinissait comme haredim (ultra-

    orthodoxe) ou haredi Leumi (orthodoxe sioniste), 12 % comme orthodoxe, 13 %

    comme religieux traditionaliste, 20 % comme religieux non traditionaliste (non

    adhrant strictement aux prescriptions juives), et 45 % comme laque27

    . Dans ce

    contexte, le rapport entre le poids accord au secteur orthodoxes et ultra-orthodoxes et

    leur poids rel en termes de populations est souvent peru comme dmesur par une

    population en majorit laque28

    , renforant ce qui est parfois dpeint comme un

    Kulturkampf entre les deux groupes29

    .

    Toutefois, en dpit du schisme rel entre les groupes sculiers et religieux, la

    ralit sociale est plus poreuse quil ne pourrait y paratre. Dune part, diffrents travaux et sondages ont rvl quune grande partie de la population juive dIsral, dont un cinquime des Juifs laques, considre la dimension juive de lEtat dIsral plus importante que la dimension dmocratique

    30. Dautre part, ces travaux ont

    24 Le 21 octobre 2013, le gouvernment discutait une proposition de loi introduite par le parti Hathnuah

    de Tzipi Livni et le parti Yesh Atid de Yar Lapid. La proposition de loi, si elle est vote par le

    parlement, reconnatra les conversions effectues par tout rabbin reconnu, y compris ceux des

    mouvements libraux. Le converti naura besoin daucun document supplmentaire pour se voir reconnu comme juif dans les registres dEtat. J. Lis, Israeli ministers to vote on easing conversion and eroding ultra-Orthodox monopoly , Haaretz, 21 octobre 2013. 25 Voir HCJ 3872/93 Meatrael v. Prime Minister and Minister of Religions sur la question de

    limportation de viande non-kasher. 26 Voir ce sujet I. Englard, Law and Religion in Israel , The American Journal of Comparative

    Law, 35, no. 1, 1987, pp. 199-200. 27 T. Hermann, T. Atmor, E. Heller, Y. Lebel, The Israeli democracy Index 2012 , Jerusalem, the

    Israel Democracy Institute, 2012, p.177 28 Voir D. Kook, M. Harri, G. Doron, op.cit. 29 Voir ce sujet G. Katz, The Israeli Kulturkampf , Israel Affairs, 14, no. 2 (2008), p.237-254. 30 Interrogs sur ce qui est plus important entre les dimensions juive et dmocratique de lEtat, 34 pourcent des Juifs dclarent que la dimension juive est la plus importante. Parmi les ultra-orthodoxes,

    80 pourcent sont daccord avec cette dclaration, pour 51 pourcent chez les traditionalistes religieux et

  • 8

    galement indiqu que pratiques profanes et religieuses vont bien souvent de pair pour

    la plupart des Juifs traditionalistes et des laques31

    , brouillant ainsi les catgories et

    limage dun foss religieux-lac infranchissable. Dans le prolongement de ces recherches, la prsente tude dmontre que cette complexit se retrouve galement

    dans larne politique. Sur base des diffrents usages de la religion la Knesset, lanalyse apporte des nuances au paradigme classique du clivage religieux-laque au sein du parlement.

    20 pourcent chez les Juifs lacs (Hermann, T. et al. op.cit., p.32). Cependant, comme soulign ci-

    dessus, le sens de lEtat juif varie et on ne peut donc tirer de ce sondage que ces Juifs lacs dsirent un Etat qui suivrait les rgles prescrites par la Torah. 31 G. Ben-Porat, Y. Feniger Live and Let Buy? Consumerism, Secularization, and Liberalism

    Comparative Politics, 41, no.3 (2009), p.293-31

  • 9

    2. La place de la religion au parlement isralien

    La Knesset, le parlement isralien, comme lEtat dIsral, est marque par la vie et les symboles juifs : le calendrier des sances de la Knesset comme celle des autres institutions publiques suit les ftes juives ; une grande Menorah se dresse devant les portes de la Knesset, les dputs ont le choix entre deux cantines cachres

    (une pour la viande et lautre pour les produits laitiers), la rentre parlementaire et les vnements dordre extraordinaire sont prcds du chant de lhymne national dcrivant la nostalgie du peuple juif pour sa terre, etc. La religion est galement

    prsente la Knesset par lintermdiaire de ses reprsentants. Le systme de scrutin proportionnel intgral en vigueur a en effet permis la reprsentation des groupes

    varis, des antisionistes aux ultra-nationalistes, en passant par les ultra-orthodoxes, les

    sioniste-religieux et les partis de gauche et de droites laques. Depuis les premires

    lections lgislatives, reprsentants sionistes religieux et ultra-orthodoxes sigent

    donc sur les bancs du parlement une prsence qui na cess daugmenter, particulirement aprs le milieu des annes 1990 (tableau 1)

    32.

    Tableau 1. Evolution de la reprsentation des partis religieux en siges (orthodoxes et ultra-

    orthodoxes).

    Aujourdhui, les partis ultra-orthodoxes spharade (Shass) et ashknaze (Yahadut Atorah Judasme Unifi de la Torah) comptent 18 siges sur les 120 siges de la Knesset, tandis que le parti sioniste-religieux Habait Hayehudi (maison juive)

    obtenait 11 siges lors des dernires lections de janvier 2013. En outre, Kenig

    comptait que suite aux lections de 2013, prs dun tiers des membres de la dix-neuvime Knesset

    33 sont prsent religieux

    34, parmi lesquels 11 sont les dputs de

    32 Ceci sexplique notamment par lmergence du parti ultra-orthodoxe spharade au milieu des annes 1980 et par laugmentation du vote dit sectoriel partir du milieu des annes 1990 (qui tait lui-mme li au changement temporaire de systme lectoral en 1996). 33 O. Kenig, The 2013 Knesset Election Results: A Preliminary Analysis of the Upcoming

    Parliament , Israel Democracy Institute website, 24 January 2013.

    http://en.idi.org.il/analysis/articles/the-2013-knesset-election-results-a-preliminary-analysis-of-the-

    upcoming-parliament/.

    0

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    10

    15

    20

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    30

    35

  • 10

    Shass, sept de Yahadut Hatorah, et dix viennent de Habait Hayehudi. Plus surprenant,

    six dputs religieux font partie du parti non religieux Likoud Beitenou (une fusion

    entre le Likoud et Isral Beitenou), trois sont affilis au parti Yesh Atid et un au parti

    de Tzipi Livni (Hatnuah), galement laque (voir graphique 1).

    Graphique 1. Reprsentation des dputs religieux la Knesset (Source: Kenig 2013)

    Cette reprsentation de religieux dans des partis laques est une premire

    indication de linterrelation entre religion et lacit sur le plan politique.Toutefois, elle ne dit rien sur la faon dont la religion est effectivement utilise au parlement par les

    dputs des deux groupes. Cest prcisment ce que les prochaines sections visent mettre en lumire.

    Sur base de la lecture de sources secondaires, de lanalyse de dbats parlementaires et dune srie dentretiens mens en 2010, les sections suivantes se penchent sur trois des usages les plus importants de la religion la Knesset et sur les

    diffrents conflits quils gnrent. Ces usages sont : la religion comme source dautorit juridique, qui recouvre le clivage laque-religieux ; la religion comme marqueur dune nation, qui permet des convergences entre dputs laques et religieux ; et enfin la religion comme source de valeurs, utilise la fois par les

    dputs laques et religieux et dpassant la fracture religieux-laque. Cette typologie

    nest certes pas la seule manire de rendre compte de lutilisation de la religion au parlement isralien, mais elle est utile en ce quelle permet de saisir la plupart des manifestations de la religion dans la sphre politique ainsi que les divergences et les

    convergences politiques qui les accompagnent. Surtout, elle dmontre que la religion

    nest pas uniquement une source de conflit renforant le clivage religieux-laque, mais peut au contraire se rvler un point de convergence entre les groupes politiques. Afin

    de rendre compte de chacun de ces trois usages, les sections suivantes se concentrent

    sur des questions et des dbats politiques spcifiques au cours desquels la religion

    apparat. Les usages de la religion dans les dbats parlementaires sont eux-mmes

    illustrs par des extraits des discours de la Knesset loccasion de ces discussions.

    34 Il faut avoir lesprit que ces chiffres ne prennent en compte que les dputs qui sont ostensiblement religieux, savoir les ultra-orthodoxes ou les dputs orthodoxes. Les traditionalistes

    religieux qui sont pour leur part plus difficiles identifier (en particulier dans le cas des femmes), sont

    donc absents de ces chiffres.

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    LikudBeiteinu

    Yesh Atid HabaytHayehudi

    Shas Hatnuah Judasmede la

    Torah

    Religieux

    Lacs

  • 11

    a) La religion comme source dautorit

    Lutilisation la plus vidente de la religion au sein de la Knesset est celle o la Torah est vue comme un guide de conduite dans la vie publique et prive et comme

    source principale de droit dans lEtat dIsral. Cette interprtation de la religion en politique mane dabord, et sans grande surprise, des dputs appartenant aux partis religieux, en particulier aux partis ultra-orthodoxes. En opposition cette utilisation

    de la religion, lon trouve peu prs le reste de lchiquier politique, avec en premier lieu les partis de gauche et le(s) parti(s) russe(s). La prsence de cette utilisation de la

    religion au sein du parlement concerne des domaines varis. La religion comme

    source dautorit apparat tout dabord dans des dbats au sujet des politiques lies au statu quo: la rglementation des affaires personnelles, la reconnaissance de la judat

    des citoyens et des nouveaux immigrants, le respect de la cacherout et du Shabbat, et

    ainsi de suite. Lutilisation de la religion comme code de conduite est galement prsente et influente dans les dbats ayant trait deux points institutionnels

    dimportance capitale: la question de la rdaction dune constitution et le rle de la Cour suprme. Ces deux questions, dont les enjeux sont lis, font lobjet de cette section.

    En 1948, la Dclaration dindpendance prvoyait quune Constitution [...] doit tre adopte par lAssemble constituante lue au plus tard le 1er octobre 1948 . Deux ans plus tard, en raison de rticences des dirigeants religieux ainsi que

    du Premier ministre David Ben Gourion lui-mme, une majorit des reprsentants

    dcidait toutefois dopter pour la promulgation de plusieurs lois constitutionnelles35 en attendant de rdiger une constitution. Ces lois, dites fondamentales sont

    aujourdhui au nombre de onze 36 . En 1992, la Knesset tenta dajouter aux lois existantes, deux lois fondamentales distinctes tablissant certains droits fondamentaux

    qui napparaissaient jusqualors dans aucune des lois. Ces liberts taient la libert de profession dune part et la dignit humaine et la libert de lautre. Bien que leur spectre se limite certains droits spcifiques et quon tait loin de la rdaction dune constitution ou mme dune charte de droits de lhomme comme il en existe dans dautres pays, la rdaction de ces deux lois provoqua des tensions au sein du parlement, et particulirement entre religieux et laques. Pour les partis religieux, en

    effet, la rdaction dun document juridique hirarchiquement suprieur aux autres lois posait problme. A loccasion des discussions en plnire, un membre du parti religieux Agoudat Isral dclarait par exemple : Nous, Juifs religieux, avons une

    35 R. Gavison, Constitutions and Political Reconstruction? Israels Quest for a Constitution , International Sociology, 18, no.1 (2003), p.53-70. 36 Ces lois sont: la Loi Fondamentale sur la Knesset (1958), la Loi Fondamentale sur la terre (1960), la

    Loi Fondamentale sur le Prsident (1964), la Loi Fondamentale sur le gouvernement (1968) ; la Loi

    Fondamentale sur lconomie de lEtat (1975), la Loi Fondamentale sur larme (1976), la Loi Fondamentale, Jrusalem, capitale dIsral (1980), la Loi Fondamentale sur le judiciaire (1984), la Loi Fondamentale sur le Contrleur de lEtat (1988), la Loi Fondamentale sur la dignit humaine et la libert (1992) et la Loi Fondamentale sur la libert de profession (1992). H. Lerner, Democracy,

    Constitutionalism and Identity in Israel Constellations, 11, no.2 (2004), p.238; I. Peleg, Israels Constitutional Order and the Kulturkampf: The Role of Ben-Gurion , Israel Studies, 3, no.1, 1998,

    p.230.

  • 12

    constitution, la loi de la Torah. Nous pensons que seule une Constitution donne par

    lordre divin a un sens, pas une Constitution crite par lhomme... 37.

    Comme souvent les dputs religieux attnurent toutefois progressivement

    leur opposition aux lois afin de pouvoir influencer le contenu de lgislation. Et de fait,

    le contenu des lois reflte clairement le compromis qui a t trouv entre groupes lacs

    et religieux38

    . Tout dabord, le droit la dignit humaine ne mentionne ni la libert dexpression, ni lgalit, ni la libert de religion et de conscience. En deuxime lieu, une rfrence Isral comme Etat juif et dmocratique fut ajoute aux lois.

    Troisimement, la demande des groupes religieux, une clause fut insre qui stipule

    que la Loi fondamentale naffectera pas la validit des lois en vigueur avant le vote de la Loi fondamentale (article 10). Enfin, seule la loi fondamentale sur la libert de

    profession prvoit une majorit spciale pour pouvoir tre modifie par le parlement,

    ce qui signifie que la loi sur la dignit humaine avait en pratique le mme statut

    quune loi ordinaire39.

    Dix ans aprs la rdaction de ces deux lois dont le contenu et le statut avaient

    d tre revus la baisse, la Knesset dcida de relancer le processus constitutionnel

    avec lintention dadopter cette fois une constitution qui serait soumise la population lors dun rfrendum. Les dbats autour du projet constitutionnel refltent une fois de plus la difficult concilier les conceptions orthodoxes et laques de lEtat dIsral. Les discussions au sein de la commission charge de rdiger un projet de constitution

    rvlent en effet des divergences entre les deux groupes sur la plupart des questions

    fondamentales : lgalit, la libert de religion, la dfinition de lEtat dIsral, la place des minorits, etc. Malgr ces difficults, la commission aboutit la rdaction dun document qui tentait de prendre en compte les diffrentes sensibilits et le prsenta au

    parlement. Ce fut un nouvel chec40

    . Les dputs ultra-orthodoxes sopposrent de front au document en ces termes : Etant croyants, nous navons aucun doute que lorsque la rdemption arrivera, la Torah gouvernera le peuple dIsral. Mais jusqu cette rdemption, il est de notre devoir de protger le caractre juif et spirituel un

    37 Dput Ravitz, Agoudat Isral, Dbats sur la Loi fondamentale sur la dignit humaine et la libert, 17

    mars 1992 38 Les dputs les plus religieux ont vot contre les deux lois en premire lecture, mais se sont abstenus

    ou ont vot en faveur de la loi fondamentale sur la profession en troisime lecture. Voir Goldberg, G.,

    op.cit., 1998. Pour lexplication de vote sur les deux lois fondamentales voir G. Sapir, The Israeli Constitutional Revolution- How did it Happen? , Bar Ilan Univ. Public Law Working Paper, janvier

    2008, p.1-27. 39 G. Sapir, op.cit. p.15. En dpit de cela, la Cour suprme a dclar aprs le vote des deux lois

    fondamentales que les deux devaient tre considres comme ayant un statut quasi constitutionnel et

    pouvaient tre utilises pour renverser non seulement les politiques du gouvernement, mais aussi les

    lois votes par la Knesset. A. Barak, The Constitutional Revolution: Protected Human Rights ,

    Mishpat Umimshal:Law and Government in Israel, 1 (1992); Cour dappel 6821/95, United Mizrachi Bank Ltd . v. Migdal Cooperative Village. Deux ans plus tard, la loi sur la libert de profession a t

    modifie sous la pression des partis religieux afin dviter de permettre cette interprtation. G. Goldberg, Religious Zionism and the Framing of a Constitution for Israel , Israel Studies, 3 (1)

    (1998), p.225. 40 Notons que lopposition au projet de constitution manait galement des dputs des partis palestiniens et du parti communiste qui taient en dsaccord avec le statut accord la minorit

    palestinienne dIsral et avec la dfinition mme dIsral comme Etat juif et dmocratique (lui prfrant la dfinition dEtat de tous ses citoyens).

  • 13

    Etat juif, ce qui nest pas garanti dans le projet de constitution. Pour cette raison, nous voterons contre

    41.

    Autant que le contenu mme du projet, la rticence des ultra-orthodoxes au

    projet de constitution sexpliquait par la crainte que la Cour Suprme ninterprte la future constitution et les droits noncs dans le document de manire condamner

    certaines pratiques dcoulant de la loi religieuse. Cette proccupation tait en partie la

    consquence dune srie de dcisions rcentes de la Cour Suprme comme les nombreuses dclarations de responsables religieux, avant et pendant le processus

    constitutionnel lindiquent. En 1999, un leader ultra-orthodoxe dclarait par exemple que Mme si les Dix Commandements taient proposs comme lois fondamentales,

    nous nous opposerons la constitution [...] parce que si jaccepte les Dix Commandements comme lois fondamentales [...] la Cour suprme pourra venir les

    interprter et les renverser 42

    .

    Bien que plus ouverts au processus de rdaction dune constitution, les religieux sionistes exprimrent des proccupations similaires qui conduisirent finalement le

    Parti National Religieux voter contre le projet de constitution galement. Lors des

    discussions en plnires, un dput du parti faisait part des raisons justifiant ce

    positionnement dans les termes suivants : La Constitution parle de foyer juif.

    Quest-ce quun foyer juif ? [...] Nous voyons la dcision de la Cour suprme sur des foyers juifs constitus de deux femmes, et toutes sortes de choses diffrentes que nos

    anctres ne pouvaient imaginer, comme les choses qualors, par dfinition, on appelait un acte de Sodome et Gomorrhe. Je ne veux pas lappeler ainsi, je dis juste alors nomm ainsi . Et aujourdhui, cela est devenu quelque chose de lgal selon les dcisions de la Cour suprme. Que dit la Constitution ce sujet ?

    43.

    Lchec de la rdaction dune constitution est probablement lune des consquences les plus frappantes et les plus emblmatiques de lutilisation de la religion comme source dautorit en politique. Comme cela a dj t soulign, cet usage a souvent t lobjet de critiques svres et a gnr des conflits qui correspondent et renforcent le clivage entre religieux et laques. Toutefois, comme le

    montre la section suivante, dautres formes de mobilisation de la religion ont rendu des convergences possibles entre les deux camps et ont permis un positionnement

    commun sur de nombreuses questions.

    b) La religion comme marqueur dune nation : le peuple juif, lEtat et le territoire

    La deuxime manire dont la religion apparat au parlement est sous la forme

    de marqueur didentit et comme contour dune nation. Cet usage de la religion plonge ses racines dans le rcit biblique qui veut que le peuple juif ait t choisi par

    Dieu pour vivre sur la terre promise, Eretz Isral . Bien que la version religieuse de

    ce rcit soit dabord et avant tout mobilise par les dputs religieux, les conflits gnrs par linterprtation de la religion comme identit ne correspondent pas au

    41 Dput Porush, Agoudat Isral, vote sur le projet de Constitution, 13 fvrier 2006 42 Dput Tal, Shas, 14 juillet 1999, cit par H. Lerner, Entrenching the Status-Quo: Religion and

    State in Israels Constitutional Proposals , Constellations, 16 no.3 (2009), p.448. 43 Dput Slomiansky, Parti national religieux, vote sur le projet de Constitution, 13 fvrier 2006.

  • 14

    clivage religieux-laque. Comme dj voqu plus haut, mme si la dfinition de qui

    appartient au peuple juif continue de gnrer des affrontements entre membres de la

    Knesset religieux et laques44

    , le rcit biblique dun peuple juif ayant t dispers et disposant dun droit sur ses anciennes terres tait en fait trs peu contest au sein du mouvement sioniste laque lui-mme. Ben-Porat souligne cet gard que mme si les

    chercheurs font une distinction analytique valide entre le judasme et la judit, la

    premire se rattachant la religion et la seconde la culture, lethnicit, et un sentiment dappartenance historique au peuple juif les deux se chevauchent en ralit [...] le judasme ayant fonctionn comme liant et comme source de mobilisation et de

    lgitimation du sionisme qui a emprunt ses symboles et lgitim ses revendications

    territoriales travers la promesse divine de rdemption 45

    . Et en effet, de nombreux

    symboles religieux sculariss46

    (la Bible, la terre sainte, etc.) font partie du rcit

    national dominant47

    comme la dclaration dIndependence lillustre : Eretz Isral est le berceau du peuple juif. Cest l que se forma son caractre spirituel, religieux et national. Cest l quil ralisa son indpendance, cra une culture dune porte la fois nationale et universelle et fit don de la Bible au monde entier. Contraint

    lexil, le peuple juif demeura fidle Eretz Isral travers toutes les dispersions, priant sans cesse pour y revenir, avec lespoir dy restaurer sa libert nationale .

    Mme quand ils ne puisent pas directement dans les symboles religieux, les

    dputs laques reproduisent souvent lhistoire dun peuple juif en exil retournant sur ses terres. Interrog sur la dfinition de lEtat dIsral, lancien Ministre Benny Begin nonait cela de la manire suivante : Je pense que lessence de lEtat dIsral est dtre par dfinition lEtat-nation du peuple juif. Il ny a quun seul endroit sur terre o les Juifs ont eu le privilge et la chance dtre en mesure dtablir un Etat indpendant et souverain pour eux, en particulier ici dans leur ancienne patrie

    48.

    Etant donn la similitude entre le rcit religieux (sioniste et non-sioniste) et le

    rcit sioniste laque le rcit biblique et sa version scularise linterprtation et lutilisation de la religion comme marqueur de la nation cre plus de convergences entre religieux et laques que lutilisation de la religion tudie dans la section prcdente. Parmi les diffrentes manifestations de la religion comme marqueur de

    nation, deux formes principales peuvent tre distingues qui produisent des alliances

    diffrentes parmi les dputs. Le premier usage a trait la question de la souverainet

    juive sur lEtat dIsral, ou la capacit des Juifs prserver la majorit ncessaire la souverainet juive en terre juive. Cette utilisation est celle qui permet le plus large

    consensus parmi les dputs religieux et laques. Elle se manifeste dans un large

    44 Dans la vision orthodoxe, est considre comme juive une personne dont la mre est juive. La

    dfinition laque, plus souple, nest pas consensuelle. Dun point de vue lgal, la lgislation isralienne avait dabord approuv la dfinition religieuse dune personne juive et par consquent, la Loi du Retour considrait une personne comme juive si sa mre tait juive (ou si la personne stait convertie) . Depuis la modification de la Loi du retour en 1970, la dfinition a t largie et un Juif est dsormais

    dfini comme une personne ayant un grand-parent juif (ou stant converti). Nanmoins, comme mentionn plus haut, cette dfinition est souvent entre en conflit avec les pratiques concrtes puisque

    ceux qui ne rpondent pas aux critres orthodoxes de judat ne sont pas reconnus comme juifs dans les

    registres. 45 G. Ben-Porat, op.cit., p.230. 46 Ibid., p.234 et C. Shindler, Likud and the search for Eretz Israel: From the Bible to the

    twenty first century , Israel Affairs, 8, no. 1-2 (2001), p.101 47 U. Ram, Zionist Historiography and the Invention of Modern Jewish Nationhood: The Case of Ben Zion Dinur, History and Memory, 7, no.1 (1995), p.91-124. 48 Entretien avec Monsieur le Ministre Begin, 28 juillet 2010, Jrusalem.

  • 15

    ventail de politiques, parmi lesquelles les politiques lies lutilisation de lhbreu comme langue officielle, les lois qui dfinissent Isral comme un Etat juif, et les

    politiques lis la question de la dmographie, savoir les politiques de citoyennet

    et dimmigration. Les rcents dbats parlementaires au sujet de la loi sur la Citoyennet et lEntre en Isral qui met fin loctroi de permis de rsidence aux Palestiniens des territoires occups dsirant stablir en Isral avec leur conjoint sont une bonne illustration de la faon dont la religion peut tre dploye comme source de

    lgitimation de la souverainet.

    Vote une premire fois en 2003 comme loi durgence temporaire pour limiter les potentielles attaques terroristes commises par des Palestiniens, les dbats qui ont

    suivi (la loi a t prolonge une quinzaine de fois depuis 2003) ont indiqu que la

    question de la dmographie tait un autre des enjeux de la loi (puisque la loi limitant

    ltablissement de non-Juifs sur le territoire isralien). Cest alors que les dbats ont vu lmergence du rcit biblique. Un dput du parti sioniste religieux soutenant le prolongement de la loi dclarait par exemple en 2007 lors des dbats en plnire

    quil nexiste pas de loi plus vitale et plus importante pour lEtat dIsral [...] Ce nest pas seulement une question de scurit. Cette question est marginale. En fait, elle est importante, mais pas centrale. Le fondement juste et moral selon lequel le

    peuple dIsral est de retour sur sa terre veut que nous veillions lquilibre dmographique ici en Eretz Isral

    49.

    Partag par des dputs religieux sionistes ultra-nationalistes affirmant que,

    Eretz Isral appartient au peuple juif et non aux Arabes 50

    largument selon lequel nous avons le droit lauto-dfense dmographique, nous devons garder la majorit juive et toutes les autres questions sont priphriques

    51 est galement

    apparu plusieurs reprises dans les discours de dputs ultra-orthodoxes lors des

    dbats sur la loi.

    Parce que, comme indiqu plus haut, il peut tre interprt la fois en termes

    religieux et laques, ce rcit du peuple juif tentant de protger sa souverainet sur

    Eretz Isral en garantissant un quilibre dmographique a galement t brandi

    par les dputs laques lors des discussions sur la loi. Interrog sur la raison dtre de la loi, un dput de Kadima maffirmait ainsi que cest un enjeu dmographique [...] Les Palestiniens, veulent tre en mesure de revenir Tel-Aviv, Hafa, ce nest pas acceptable pour Isral, mme pour les personnes comme moi qui viennent de la

    gauche 52

    tandis quune dpute de parti laque Shinoui dclarait en plnire quil existe un droit fondamental pour tous les fils de la majorit [juive] conserver et

    protger lidentit [juive] de ltat 53.

    Paralllement la connexion entre le peuple juif, lEtat et la dmographie la religion comme marqueur de nation est galement dploye de manire lier le

    peuple juif un territoire : la terre promise . Cest dans le cadre des politiques sur la rpartition des terres et de compromis territoriaux que cet usage apparat le plus

    49 Dput Gabai, Parti National Religieux, Loi sur la citoyennet et lentre en Isral, 15 janvier 2007. 50 Dput Eldad, dput du l'Union nationale, Loi sur la citoyennet et lentre en Isral, 27 juillet 2009. 51 Dput Zeev, Shas, Loi sur la citoyennet et lentre en Isral loi, 20 juillet 2004. 52 Entretien avec Dput Molla, 2010, Tel-Aviv. 53 Dpute Golan, Shinui, Loi sur la citoyennet et lentre en Isral, 25 juillet 2005.

  • 16

    explicitement. Les dbats qui ont eu lieu la Knesset sur le dsengagement de la

    bande de Gaza sont un bon exemple de la faon dont la religion est utilise cet

    gard. Bien que certains dputs du parti ultra-orthodoxe Shass ont affirm cette

    occasion que la vie humaine est plus importante que la terre 54

    , ultra-orthodoxes et

    sionistes religieux, y compris ceux du parti Shass55

    , se sont opposs au

    dsengagement, et ce en grande partie sur la base du rcit biblique. Les deux groupes

    religieux ont ainsi, par exemple, affirm que la Torah est le kushan [certificat

    dinscription] dIsral sur sa terre natale. Chaque concession sur Eretz Isral est extrmement problmatique en premier lieu

    56. Ou encore, qu Eretz Isral a t

    donne au peuple dIsral par Dieu le crateur [...] Ce nest pas une simple terre, un simple endroit o vivre. Cest la terre promise donne au peuple lu 57.

    Bien que base sur une lecture religieuse de la Bible, cette utilisation

    spcifique de la religion permet galement des convergences entre dputs religieux

    et laques. Comme mentionn prcdemment, le rcit scularis de la terre promise

    reconnat en effet la relation spciale entre le peuple juif et la terre dIsral mise en avant par les dputs religieux. Ainsi, mme si les dputs nationalistes lacs qui se

    sont opposs au dsengagement de Gaza lont en gnral fait sur base dun discours scuritaire plutt que biblique, certains dentre eux ont invoqu Eretz Isral afin de faire valoir les frontires non ngociables de ltat, comme dans le discours suivant : Celui qui vote aujourdhui pour le plan [de dsengagement de Gaza] qui dit que dans un certain lieu, la prsence juive en Eretz Isral est illgitime [...] doit

    comprendre qu lavenir il devra faire face au mme argument vis--vis de nombreux autres endroits: la Cisjordanie, le Nguev et la Galile

    58.

    Toutefois, en comparaison de la premire interprtation de la religion comme

    marqueur de nation, cette dernire interprtation gnre des contestations plus

    importantes. Mis part la trs forte opposition manant de dputs de la gauche et des

    partis antisionistes, le rcit de la terre juive non ngociable entre parfois lui-mme en

    conflit avec le rcit du peuple juif souverain sur lEtat juif. Les rcents dbats la Knesset sur la ncessit de reprendre les pourparlers avec les Palestiniens sont un bon

    exemple de ces tensions. lune de ces occasions, une dpute religieuse du parti sioniste religieux sopposant la reprise des pourparlers avec les Palestiniens sexclamait ainsi : Cest notre terre, cest notre terre 59. En rponse, la ministre (laque) en charge de la ngociation du processus de paix rpondait : Cest notre terre, mais la question est de savoir si cet Etat restera le ntre ou non

    60. Mme

    lorsquils partagent la prmisse que le peuple juif a un attachement spcial Eretz Isral, le souhait dun certain nombre de dputs laques que les Juifs conservent leur souverainet sur leur Etat et leurs institutions entre parfois en contradiction avec le

    lien historique ou sacr tabli entre la terre dIsral et son peuple.

    54 Dput Azoulay, Shas, Dbat sur le dsengagement de Gaza, 26 octobre 2004. 55 Les dputs ultra-orthodoxes du Shas en effet vot contre le dsengagement. 56 Ministre Orlev Parti national religieux, Dbat sur le dsengagement de Gaza, 26 octobre 2004. 57 Dput Purash, Judase unifi de la Torah, Dbat sur le dsengagement de Gaza, 26 octobre 2004. 58 Dput Ezra, Likoud, Dbat sur le dsengagement de Gaza, 26 octobre 2004. 59 Dpute Struck, Habayt Hayehudi, Commission des Affaires trangres et de dfense, 21 mai 2013,

    cite par B. Ravid, Government rifts over peace process revealed during Knesset committee

    meeting , Haaretz, 21 mai 2013. 60 Ministre Livni, Commission des Affaires trangres et de la dfense, cite par ibid.

  • 17

    c) La religion comme source de valeurs

    Lutilisation de la religion comme marqueur de nation ne gnre pas ncessairement un renforcement de la fracture entre religieux et laques. Au contraire,

    en raison de la similitude des rcits religieux et lacs sur le peuple juif, cette utilisation

    permet des convergences entre les acteurs des deux groupes qui sopposent parfois violemment dans dautres contextes et dautres problmatiques. La dernire interprtation de la religion prsente dans cette tude rvle un usage encore plus

    consensuel et rpandu au travers du spectre politique. Cette dernire forme mobilise le

    judasme comme un ensemble de valeurs. Dans cette perspective, la religion est

    interprte comme incluant des principes thiques comme le respect, lamour et lempathie. En raison de sa nature, cette utilisation de la religion est souvent observe dans les dbats sur lgalit, sur les droits fondamentaux et sur les questions relatives lautre la fois interne et externe. Au niveau des politiques, cette utilisation de la religion joue ainsi un rle prpondrant dans celles relatives la minorit arabe, aux

    rsidents palestiniens et plus rcemment aux travailleurs migrants et demandeurs

    dasile. Rcemment, cette interprtation de la religion fut particulirement visible dans certaines des discussions au sujet du statut des demandeurs dasile en provenance du Darfour (2007) et sur la loi criminalisant les demandeurs dasile venus dAfrique via lEgypte (2012).

    Comme lanalyse des dbats le rvle, lquation entre judasme et principes thiques entrane non seulement des convergences entre dputs laques et religieux,

    mais elle mne galement les dputs laques faire usage directement et

    explicitement de la religion. Et cest dailleurs en premier lieu dans le discours des dputs laques que cet usage apparat. La dclaration dun dput juif du parti antisioniste Hadash pendant les dbats sur les demandeurs dasile illustre cette mobilisation du religieux : Chers collgues [...] ce commandement de lamour de ltranger qui vit lintrieur de tes portes, est comme je le disais un commandement rpt de nombreuses fois dans la Torah. Et il est impratif que quiconque se

    dfinissant comme fidle aux valeurs, aux lments magnifiques et progressistes de la

    Torah dIsral prenne ceci comme une relle opportunit de faire preuve de loyaut envers ces valeurs

    61.

    En comparaison avec lusage prcdent, la Bible nest pas ici invoque comme un livre retraant lhistoire du peuple juif, mais comme un guide de valeurs incluant entre autres le respect des trangers tandis que le judasme est considr comme un

    ensemble de principes humanistes. Un dput sioniste laque de gauche exprimait

    explicitement cette vision du judasme durant les dbats concernant loctroi par Isral du statut de rfugis quelques centaines de demandeurs dasile venus du Darfour : Des rfugis dont les familles ont t assassines en raison de leur couleur de peau

    et de leur origine ethnique sont venus nous. Ils demandent lasile. Lide de les expulser est une ide vaine. Cest un acte immoral qui va le c re es valeurs fondamentales de la culture uni erselle e sur u le c re es valeurs de la culture juive

    62.

    61 Dput Khenin, Hadash, Loi sur lInfiltration, 9 janvier 2012. 62 Dput Cohen, Meretz, Dbat la Knesset sur les rfugis du Darfour, 27 janvier 2007.

  • 18

    Contrairement ce qui pourrait sembler, le lien entre judasme et humanisme

    ne relve pas uniquement des dputs manant de la gauche et de lextrme gauche. Au contraire, cet usage apparait galement dans le discours de dputs laques de

    droite comme la dclaration suivante au cours de ces mmes dbats lillustre : Cette discussion [...] comme je la conois, dpasse les frontires et les idologies des partis,

    et touche au dnominateur commun du juif isralien, lhumain. Nous parlons de gens qui sont rfugis [...] peu importe qui tue qui. Lorsque les rfugis arrivent nos

    frontires, nous sommes dtermins prendre soin deux. Nous ne pouvons en aucun cas les expulser

    63.

    Cet usage de la religion est galement enfin prsent, bien que plus rarement,

    dans les discours des dputs religieux proclamant que la Torah dIsral dfend ltre humain, sa libert, sa dignit et sa proprit 64. Ainsi, lors des dbats sur le sort des rfugis du Darfour, un dput ultra-orthodoxe exprimait ce point de vue de

    la manire suivante : Bien sr, la Torah a t donne uniquement Isral, mais

    nanmoins, chacun dans le monde a t cr limage de Dieu et nous devons agir avec lui. De nombreuses lois du Chulkhan Arukh dictent des rgles sur la manire de

    traiter la race humaine [...] Cest pourquoi je pense que nous ne pouvons pas ignorer cette obligation morale dans notre relation lhomme en tant quhomme 65.

    En comparaison avec les deux autres usages de la religion qui ont t tudis,

    linterprtation de la religion comme ensemble de valeurs recoupe donc plus largement le spectre politique. Non seulement cette utilisation noppose pas religieux dun ct et laques de lautre, mais lquation entre judasme et certains principes universels apparat dans le discours de dputs juifs de tous les partis politiques, y

    compris des partis laques et cette fois, antisionistes. Malgr cela, ce discours reste

    toutefois marginal si on le compare aux deux premiers usages de la religion. Dans

    bien des cas, cet usage gnre mme des affrontements avec lun des autres usages : linterprtation de la religion comme marqueur de nation. Valeurs humanistes et protection du peuple juif sont en effet parfois mises face face comme deux ralits

    incompatibles. Sexprimant sur les enfants de travailleurs migrants sur le point dtre expulss dIsral, le Premier ministre Netanyahu formulait cette opposition en ces termes: La question [des enfants des travailleurs migrants] relve de deux choses:

    lune est lhumanit, et lautre est un Etat juif et sioniste 66. Et dans ce cas prcis, cest le second aspect qui lemporta sur linterprtation du judasme comme ensemble de valeurs universelles.

    63 Dput Eitan, Likoud, Dbat la Knesset sur les rfugis du Darfour, 27 janvier 2007. Il est noter

    que malgr cette position sur le cas des rfugis du Darfur, les partis de droite se sont opposs

    lintgration des autres demandeurs dasile dAfrique arrivs entre 2006 et 2012 et ont au contraire promu leur expulsion. 64 Dput Levi, Parti National Religieux, Dbat sur la Loi Fondamentale sur la dignit humaine, 17

    mars 1992. 65 Dput Ravitz, Yahadut Hatorah, Dbat sur les rfugis du Darfour, 27 janvier 2007. Tout en

    affirmant la ncessit daccueillir les rfugis du Darfour, le mme dput exhortait les Nations Unies simpliquer dans la gestion des rfugis. De mme que pour les partis de droite, il faut galement noter qu part pour les rfugis du Darfour, les partis religieux ont adopt une position dexclusion vis--vis des demandeurs dasile africains. 66 Premier ministre Netanyahu, 25 juillet 2010, cit par B. Ravid, D. Weiler-Polak, Netanyahu: We

    want to adopt migrant workers children, but retain Jewish majority , Haaretz, 25 juillet 2010.

  • 19

    Conclusion

    Selon certains auteurs tenants de la thorie de la modernit multiple les

    diverses formes de la scularisation dans les socits occidentales nauraient pas compltement effac le rle de la religion. Malgr la baisse des pratiques religieuses,

    la religion serait reste une base constitutive de lidentit nationale et du nationalisme

    67 et donc une dimension significative des socits modernes. Le cas

    dIsral illustre cette coexistence entre de multiples interprtations de la religion, y compris par des groupes sautodfinissant comme laques. Cette tude a soulign quau moins trois usages de la religion sont en action au sein du parlement isralien.

    La premire utilisation de la religion conoit cette dernire comme source

    dautorit lgale. Cette interprtation est prsente uniquement parmi les dputs orthodoxes et ultra-orthodoxes et le blocage du processus constitutionnel qui a t

    dpeint dans cet article rvle que cette utilisation de la religion peut tre comprise

    dans une large mesure comme un affrontement classique entre modernit laque et

    religion . La rancur ne des privilges accords au secteur religieux vient encore renforcer ce clivage religieux-lac et conduit parfois des affrontements violents entre

    ces deux groupes.

    Nanmoins, la relation entre dputs laques et religieux est loin dtre en opposition constante. La seconde mobilisation de la religion comme marqueur de nation permet en effet de nombreuses convergences entre les groupes lacs et religieux. Parce que le rcit religieux du peuple juif ayant le droit (sacr) dexercer sa souverainet dans lEtat juif (premire forme) et sur ses terres (seconde forme) existe galement de manire quasi identique dans le discours laque, sa mobilisation par des

    dputs religieux gnre des contestations marginales entre dputs juifs. Les dbats

    sur la question dmographique et sur les compromis territoriaux tudis dans cet

    article rvlent ainsi que lutilisation de la religion comme marqueur de nation conduit des antagonismes qui traversent le clivage religieux-laques.

    La dernire faon dont la religion est utilise apprhende la religion comme un

    ensemble de valeurs universelles. Cet usage est celui qui est le plus transversal de

    tous. Tout comme lutilisation de la religion comme marqueur didentit, lutilisation de la religion comme un ensemble de valeurs nest pas ncessairement vecteur de conflits entre religieux et laques. La rfrence aux enseignements de la Bible pour

    justifier louverture lautre et linterprtation du judasme comme source de principes thiques sont en effet largement consensuelles. De plus, cet usage permet

    parfois des convergences limites entre religieux et laques de gauche et de droites sur

    certaines questions comme le sort des demandeurs dasile du Darfour. Enfin, non seulement linterprtation de la religion comme ensemble de valeurs nest pas conteste par les dputs laques, mais elle est aussi la seule tre directement utilise

    par les dputs lacs eux-mmes.

    67 W. Spohn, Multiple Modernity, Nationalism and Religion: A Global Perspective , Current

    Sociology, 51 (2003), p. 267.

  • 20

    Plus de soixante ans aprs la cration de lEtat dIsral, le lgislateur isralien nest pas encore parvenu mettre en place un document constitutionnel dterminant les contours du rgime isralien. Les lois fondamentales rgulent certes des matires

    institutionnelles importantes telles que les rgles lectorales, le rle du gouvernement

    ou de la justice, mais aucun document ne dfinit les objectifs et lessence du rgime. Reflet et consquence des multiples tensions et contradictions traversant le pays, cette

    absence de constitution symbolise surtout la difficult ou le refus dIsral se dfinir une fois pour toutes. La notion dEtat Juif et dmocratique inscrite dans plusieurs lois fondamentales du pays, fruit dun compromis entre religieux et laques na pas, loin sen faut, permis de prciser comment atteindre le difficile quilibre entre ces deux lments. Les deux premiers usages de la religion juive montrent en effet que

    bien souvent, principes dmocratiques et religion ne se renforcent pas mutuellement,

    voire mme sexcluent. Linterprtation de la religion comme source de valeurs humanistes est sans doute la plus apte, ou mme la seule qui permettrait de rendre ces

    notions compatibles. Reste voir si cet usage russira simposer dans lavenir.

  • 21

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