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  • 7/28/2019 etlittellniquaangot.pdf

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    Chaque anne, les ennemis de la littrature qui constituent le milieulittraire ont besoin dun seul auteur et dun seul livre pour leur rentre demerde. Le tube est format ds le mois de juin pour devenir lexclusif suc-cs de lautomne. Lan dernier, ctait Houellebecq. Lanne davant, Beigbe-der; lanne davant encore: Angot. On tourne en gros sur trois noms. Cettefois, ctait au tour dAngot, elle avait tout prpar dans sa petite tte de gar-onnet fbrile et soupe au lait. Sre delle, lAngot! Ctait jou: sinon le Gon-court dans la poche, le Renaudot les doigts dans son nez la Louis XI.

    Ce qui me frappe, moi qui ai bien connu ce petit monde-l du temps ojtais crivain , cest sa navet stratgique... Ces gens sont toute la journe comploter, dresser des plans sur leur comte, se croire joueurs excep-tionnels dchecs, de go ou de petits chevaux, mais ils nont aucun sens de lalogique sotrique des choses. Il tait vident que Christine Angot, deve-

    nue aussi mauvaise crivaine que mauvaise calculatrice (a va souvent ensem-ble), allait se ramasser la gueule; mme sans larrive de l outsider quonsait. Pareil pour le Houellebecq 2005. Comment un garon intelligent commeMichel a-t-il pu croire tre enfin couronn du prix des prix ( puisque cesta, incomprhensiblement, quils cherchent tous!) et la fois obtenir autantde succs public quil en escomptait, en passant de Flammarion ( sic) Fayard(sic) aprs une campagne si mal orchestre dannonces cyniques et de rodo-montades capitalistes? Linstitution des Lettres franaises ne se plait finale-ment qu redorer limage dpinal de lartiste plein dpines, cest--direcelle dun messie fantasm, dsargent, hostile toute mdiatisation, et quiarriverait sans crier gare... Surtout ne pas consacrer un laborieux best-sellerde la glauquitude qui se la joue grand crivain maudit ! Il est bien tempsaprs de pleurnicher sur lpaule de son blog, ou comme Angot de cracherdans la soupe tendue, comme une prisonnire travers ses barreaux, parLe Journal du dimanche... Quel manque de dignit et quelle incohrence sur-tout. Voil des auteurs qui demandent tellement le beurre et largent dubeurre quon finit par leur donner la misre et lhuile de la misre. Toutelittrature doit tre crite contre la rentre littraire dit celle qui na faitqucrire des livres pour les rentres littraires... Culot? Btise? Prtention?Tout cela la fois, mais avant toute chose: infantilisme. On a dj remarquque lcriture franaise contemporaine (et si peu moderne) tait inspire parlinfantilisme, mais il faut savoir que cest ldition tout entire et ses fonc-tionnaires qui sont infantiles dans leurs pratiques de bambins paspropres.

    Comment une Angot a-t-elle pu tre assez bte pour quitter Stock (m-me si elle navait aucune chance dyobtenir un prix) et suivre chez Flamma-rion une ditrice considre par les autres mafieux, au mieux comme uneindlicate, au pire comme une tratresse? Ctait couru que la directricedorigine italienne, dont je ne vois pas pourquoi je citerais le nom puisquellema ignor pendant les dix ans o elle trnait rue Sbastien-Bottin, allaitessuyer la vengeance terrible de Gallimard et des jurs qui le composent,tous dchans pour infliger cette arrogante la leon quelle mritait.

    Et quelle leon! Terrible, en effet... Dabord, aucun de ses livres nesest retrouv sur les listes qui comptent. Pas un Flammarion en lice. Quellehumiliation! Fabriquer de toutes pices les auteurs qui donneront le plusau public l illusion quils sont crivains, a ne marche plus. Croire que sur-

    vendre la publication dun roman aussi rat que Rendez-voussuffit instal-ler un snobisme qui va impressionner les parrains du Milieu relve de lamgalomanie la plus pathtique. Faire la gueule la une des Inrockuptibles,a fait surtout bien rire les dix incorruptibles de chez Drouant.

    Non, le livre dAngot ntait pas son meilleur, car la pontifiante don-neuse de leons sur la vrit en littrature y ment sur ce quil y a de pire:le sentiment. Lex-chroniqueuse de Campus, qui croyait que travailler pourla tl favoriserait son travail pour le roman ( encore un mauvais calcul ),sait maintenant que cest ce mensonge littraire quelle doit son chec.Dans les choux, la chouchoute! Son Prix de Flore ( avoir le Prix de Flore 45 ans, aprs quinze livres! ), remis par son confrre en collaboration tl-visuelle et en dbcle littraire Beigbeder, ne la consolera pas au-del desquelques larmes ridicules que a lui a tir. En effet, il ne restait plus lAngotqu tre mue... mue par un prix de Flore!

    Et puis Zorro est arriv ! Sous la forme dun fluet jeune homme de 38ans, blondinet ple, et souriant sournoisement davance de tout ce quilallait dclancher. Les paules tombantes, le costard triqu juste ce quil

    faut, la cravate nase, lanneau loreille...Tout pour plaire! Bravo, JonathanLittell ! Sincrement, profondment, fraternellement bravo ! Je naime pasbeaucoup ce que vous faites, mais ce que vous avez dfait, jadore!

    Niquer ce point tout un systme qui se croyait aussi immuable quin-destructible, et dun seul coup, cest a lexploit. Plus que davoir crit un ro-man de 900 pages directement en franais! La loi est tombe...Attention!Un carton peut en cacher un autre. Celui dAngot ne faisait pas le poids:

    petit roman damour larvs ( lamour et le roman) dune crivaine trop con-nue, trop chiante, trop gocentrique, trop puante, trop mdiatise, trop avidede reconnaissance. Celui quAntoine Gallimard et Richard Millet ont fabri-qu comme un monstre de Frankenstein tait parfait. Lauteur: un inconnu,travaillant dans lhumanitaire, habitant ltranger, mprisant les magouil-les parisianistes. Le livre? Les mmoires imaginaires sur fond de documen-tation dun officier SS, nvros, pd, raffin, qui raconte sans chichis lescamps de la mort... Littell ne pouvait que gagner: cest mathmatique. Onrsume: Jeune + Yankee + Juif + roman + crit en franais + sur les nazis+ avec un titre facile et mou (Les Bienveillantes) + chez Gallimard en collec-tion blanche+ grand format + 25 euros = triomphe total !

    Et plus que total car le livre de Littell aurait pu se contenter dtre leplus remarqu, ou mme le plus vendu de la rentre, mais cette fois, et cest

    nouveau, il la t lexclusion de tous les autres! Mme aux grandes heures deHouellebecq ou de Beigbeder, les best-sellershabituels gardaient leur cote.Ici, cest le crack Littell! Il a empch les lecteurs normaux dacheter unautre livre que le sien, tous genres confondus.

    Littell est responsable de leffondrement du march un point de gra-vit quil est trop tt pour mesurer... Dsastre tous les tages! Les diteursdposent le bilan au bord de lautoroute. Les critiques littraires, ne pou-vant pas faire dix articles sur le Littell par semaine, nont plus qu rangerpoignards et bouquets. Et les suicides de libraires sont en constante aug-mentation! Car mme les mmres nont plus achet, comme ctait prvu,le Nothomb djant, le Zeller charmant, le Mauvinier sportif , leDantec psychdlique, le Shan Sa exotique, le dOrmesson patantque sais-je encore... Jusquaux livres de cuisine, pour gosses, ou les atlas etle guide du routard... RIEN NE SE VEND. Bernard Werber lui-mme a desfourmis dans les jambes. MarcLevya lair encore plus triste que dhabitude!Ce nest mme plus en retours quon parle, cest en rapatriements !

    Littell est le seul crivain rellement gnocidaire de notre poque. Il amis en uvre une solution finale romanesque pour dtruire les crivains,les diteurs, les journalistes, les libraires et mme les lecteurs. Car acheter sonlivre dispense de le lire. Llite lit mais la masse est somme dacheter. TirelireLittell! Chaque fois que les 25 euros tombent dans sa poche (il sest rservtous les droits trangers, cet encul!), a fait un livre non-lu de plus, et doncun lecteur de vraie grande littrature en moins, quoi quen disent les lar-bins extasis de la critique qui osent voir en lui un nouveau Tolsto (ce quile gne lui-mme) ou un fils deThomas Mann (alors quil est celui de RobertLittell ). Beaucoup dplorent cet tat de fait, moi je men flicite: Les Bien-veillantessont peut-tre le dernier produit littraire de tout un cycle de mar-chandisation du livre qui a fait son temps. Ctait celui quil fallait crire etpublier, en apothose !...

    Les Bienveillantessont avant tout un attentat dirig contre les crivainsminables du Septime arrondissement qui taient encore dans lillusiondcrire des livres importants qui se vendent... Tous la casse! Houellebecqen avait rv; Littell la fait. Personne, jamais, dans le secteur du livre, na ex-cut aussi mchamment ses confrres. Et je vois dans le sujet mme du ro-man de Littell une des raisons de ce carnage. Il na pas seulement mis beau-

    coup de lui dans son personnage de nazi, il est lui-mme lexterminateurdes 680 romans de la rentre! Sans tat dme, faisant son boulot, sansremords et appliqu, exactement comme son narrateur SS qui massacre les

    gens en coutant du Couperin et en relisantLEducation sentimentale. Tu par-les dun sentimental! Est-ce parce que ce SS est demi-franais quil a tous lesvices? Homo superpervers, matricide, beau-parricide, incestueux, scatologi-que, pourquoi pas pdophile et zoophile? Il ne manque plus qu son hrosdaller manger des cadavres, ou de se taper son berger allemand devant lesfours crmatoires ! Parfois, dans son roman, on nest pas loin du clich dunazi hardcoreet nanmoins trs cultiv, connaissant tout de la culturefranaise, et rien de la germanique. Littell ignore la langue allemande etmultiplie les erreurs, les approximations, comme les lapsus dans ses raresinterventions radiophoniques, au point que ses dtracteurs le souponnentdavoir eu un Ngre, un Ngre en collection blanche...

    Quimporte! Pour le coincer, a va tre difficile: il reste invisible... Com-ble du dandysme, Littell se la joue situationniste ! Mi-Gracq ( les journalis-tes vieille cole adorent) mi-Debord (ce sont les jeunes qui en raffolent ). La

    littrature nappartient pas la socit du spectacle. lance-t-il entre deuxautres dclarations bien mprisantes sur le petit monde parisien qui leglorifie. Le Prix Goncourt et Grand prix de lAcadmie Franaise 2006 est-ilbien certain dtre hors-spectacle lorsque, sur son nom et son livre, les maga-zines multiplient les numros spciaux sur le nazisme avec DVD en bonus( il y a eu Les Damnssous cellophane; on attend Portier de Nuit! ) ? De mau-vaise langues ont pu voir dans cette attitude antimdiatique une stratgie

    par Marc-douard Nabe

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    finement commerciale. En effet, plus un livre est mdiatis, moins il se vend:cest prouv,et les diteurs et crivains continuent se persuader du contrai-re! Chaque mission grand public laquelle participe un crivain venu ven-dre son navet le fait aussitt descendre de plusieurs points dans les classe-ments. Littell la compris : il est arriv en douce, sans tambour et encoremoins de trompettes, et voil le rsultat: le seul livre qui ne passe pas la tl,cest celui qui se vend le plus!

    Il ne faut plus passer la tl pour parler de ses livres et accepter denrpondre devant des procureurs. Il faut y aller seulement pour dire quonny va pas. Bref, pour y faire des trous afin que la lumire crue de la ralitse glisse dans linterstice, par surprise, un instant.

    Ah! a sest bien dchan autour desBienveillantes... Les pour (Le Point,les Figaro, Paris Match, Le Nouvel Obs, France Inter) ; les contre (Les Inrocks,Marianne, Le Canard, Libration,Canal +, France 2). Les pires attaques vien-nent bien sr des confrres ulcrs... Il fallait voir lAngot, pour une foisbien baise, cumant de rage la tl contre Littell... Un Juif na pas ledroit de se mettre dans la peau dun bourreau! Ah bon? Et dans celle dunsoldat isralien dans la bande de Gaza, il peut? Non, ce quelle voulait dire,cette pure crivaine dcidment bien moralisatrice quand il sagit de fairele procs dun confrre plus bankablequelle, cest que Littell navait pas ledroit de la niquer. Surtout quelle est frigide depuis son Inceste...

    Quant son grand ami, le petit Moix, il explose littralement ( dfautde le faire littrairement) de haine douloureuse chaque fois quon lui parle,toujours la tl, de lnorme livre qui a russi lenculer travers sonPanthon... Il faut dire que, tremblant si fort quon dcouvre quil se lit unepage deBagatelles pour un massacretous les matins au petit djeuner, Moixstait dj empress de traiter Cline dordure et de dnonciateur de Juifsdevant 3 millions de tlspectateurs dans une autre mission bas de gamme...

    Mme Claude Lanzmann a du mal cacher que a lui fait mal aux seinsde voir avant de mourir quun jeune con dAmricain est venu lui piquerson exclusivit sur la Shoah, en faisant lui aussi un chef duvre ( dixitLe Nouvel Obs) sur la question. Le vieux bouledogue des Temps Modernesnen dcolre pas et il se console ( difficilement ) en dcidant que lui seul,Lanzmann, peut comprendre le livre de Littell... On nimagine pas sans fr-mir ce que Lanzmann leur aurait pass si Les Bienveillantesnavaient pas tcrites par un Juif !... quoi a tient tout de mme ! Et si lauteur staitappel Jean Petit , comme il en avait l intention avant dtre refus parplusieurs diteurs, et quil ait publi son roman chez Robert Laffont, tra-duit de lamricain, ou bien encore quil porte sur le Rwanda ou la Bosnie,personne ne se serait retourn sur son passage...

    Dautres critiques lui ont reproch davoir mlang le vrai et le faux ... Docu-fiction ! Sacrilge pour les historiens, mais aussi sacrilge pour lesromanciers. Depuis la libration du camp dAuschwitz en 1945, un taboufictionnel sest mis en place. Elie Wiesel la dcrt: Si cest un roman, ilne doit pas parler dAuschwitz ; si cest un livre sur Auschwitz, a ne peutpas tre un roman. Le roman rend libre? Enfermons-le! quand la loi qui

    interdira dcrire quoi que ce soit de fictif aprs lHolocauste? Ce qui sestpass rellement Auschwitz est impossible imaginer, donc on ne doitplus pouvoir rien imaginer dautre ! Auschwitz est situ un tel degr deralit quil provoque une sorte de haine de limagination. Les fanatiques duculte mmoriel ont tellement peur quon transforme leur ralit en mytho-manie quils en arrivent remettre en question le phnomne transposi-tionnel mme de lart...

    Theodor Adorno tait mme all plus loin : On ne peut plus penseraprs Auschwitz. En ce sens, Littell a transgress un tabou. Rien que poura, il a toute ma sympathie. Mais si on veut comprendre ce qui a provoqutoutes ces atrocits, il ne faut pas raconter la Shoah, pas plus du point devue du bourreau que de celui de la victime, mais analyser la place des Juifsdans la socit allemande depuis la fin de la guerre de 14 jusqu lavne-ment dHitler... Le roman (document! ) qui reste faire est celui des li-tes juives allemandes, et pas des lites nazies.Tout le secret est l... Littell aeu lintelligence de sen tenir au sujet qui tait dans ses cordes. Cest--dire lhistoire dun nazi interchangeable qui ne fait quobir aux ordres, et dont

    on ne sait toujours pas, au bout de900 pages, ce qui la fait adhrer au parti.Contrairement La Chute, qui tait un film allemand sur Hitler dans sonbunker bond de personnages hors du commun, Les Bienveillantessont unlivre crit en franais sur lextermination raconte par un seul homme banal...

    On dirait que seule la normalit du monstre nazi peut expliquer cequi ce qui a pouss les Allemands planifier lHolocauste! La banalit dubourreau, cest Hannah Arendt qui la invente, et non pas dcouverte...Beaucoup dhistoriens et dintellectuels juifs la dtestent ou ladulent poura. Les uns trouvent bon quon puisse considrer tout homme mdiocrecomme un nazi potentiel ( parce que a veut dire quau fond tout nazi estun mdiocre); les autres lui en veulent car depuis elle, on peut croire quunnazi est un homme comme les autres, alors que cest faux: tout le mondene peut pas tre Himmler, Heydrich, ou Eichmann qui lui a servi de cobayelors de son reportage au fameux procs de Jrusalem. Or, on na pas compristout de suite que Hannah Arendt, en banalisant Eichmann, couvrait lhommequelle aimait: Martin Heidegger ! Le philosophe dtre et Tempsest, encoreaujourdhui, considr comme le plus impardonnable penseur du XXe si-

    cle pour avoir t nazi toute sa vie(quoi quen disent ses blanchisseurs) etjusque dans sa philosophie... Arendt tait sa secrtaire et sa matresse, et elleprojeta sur Eichmann ce quelle aurait aim quon dise de son Heidegger: que

    ctait juste un pur idaliste noy dans la masse, inconscient de sa culpabi-lit, un petit rouage sans importance du systme Hitler... Exactement commele hros desBienveillantes!

    Et cest bien ce qui manque au livre de Littell, la rponse la questionprincipale: quest-ce qui peut bien convaincre un SS de devenir un meur-tier?. Les aptres du Christ ne rechignaient pas dire pourquoi Jsus les fai-sait kiffer; dans aucun livre sur le Troisime Reich, en particulier ceux critspar des Juifs, on ne cherche expliquer ce que les nazis trouvaient de gnialdans les ides du Fhrer... a reste un mystre. Mystre qui nen est pas undailleurs. Quand on voit les connards de trente ans de notre poque, onna aucune peine imaginer qu la fin des annes vingt en Allemagne dau-

    tres trentenaires aient pu trouver dans le nazisme une nouvelle faon depenser et dagir...Qui peut savoir comment nous nous serions comports lpoque?

    rptent en chur les pseudo- intellos qui adorent se donner du frisson r-trospectif... Eh bien, moi je sais: trs mal ! Je connais beaucoup dantinazisdaujourdhui qui auraient fait dexcellents SS dhier... Quand on assiste tous ces dbats striles o quinze sociologues, crivains, psychanalystes,historiens, tmoins, politiques sinterrogent sur la raison qui a fait que lenazisme a pu tre possible, on a envie de leur dire en faisant un tour detable: Mais cest cause de vous! Pour linstant, on ne peut pas aller plusloin. Tout le monde sait, mais personne ne peut le dire. Cest encore troptt pour rpondre clairement la vraie question:pourquoi cela sest-il pro-duit. Soixante ans aprs, on en est toujours au comment cela a-t-il pu trepossible. Le comment a bon dos! Il permet tous ceux qui bandent ensecret pour le nazisme, tous les voyeurs dAuschwitz, les refouls de lexter-mination, les amoureux de la mort, de se planquer derrire la volont decomprendre.

    Comment les nazis sy sont pris, cest une discussion de chef de gare.Se fasciner pour la bureaucratie qui a permis le gnocide, cest encore resterau degr zro de lHistoire et de la Vrit. Travail de gratte-papiers et darchi-vistes ! En ce sens, rvisionnistes borns et mmorialistes hystriques sontdans le mme panier de crabes. Le pourquoi les Allemands en sont arri-vs l ? impliquerait trop de descentes dans lenfer des socits occidenta-les du XXe sicle (et du dbut du XXIe ), et pourtant il faudra bien quon yvoie clair une bonne fois pour toutes. Sans lclaircissement dfinitif de ceproblme, le monde ne pourra plus avancer, car cest de a, et de rien dau-tre, que souffrent les mes culpabilises; cest a qui bouche laccs au bon-heur depuis 1945 : la non-rponse cette question : pourquoi les nazisvoulaient dtruire les Juifs? Et a, ni Poliakoff, ni Hilberg, ni Littell aujour-dhui ny rpondent. Leur silence est si fort quon pourrait mme rajouter unsecond pourquoi ? au premier, mais, comme chacun sait, ici il ny a pasdeux pourquoi...

    De leur ct, les mdias font semblant de se demander pourquoi le pu-blic se fascine pour le nazisme... Comme sils ne savaient pas! Ce sont euxqui imposent, et dune faon totalement goebbelsienne, le retour des ima-

    ges hitlriennes foison et sans risque daccusation de complaisance puis-que cest charge, soi-disant... Le systme totalitaire du Troisime Millnairesait trs bien comment tait fabriqu celui du Troisime Reich, car le pre-mier est entirement calqu sur le second : dans sa structure, sa logistique,ses mcanismes, ses dispositifs de manipulation des masses... Le public naplus qu obir ce nazisme soft quest le spectacle mdiatique outrance,construit de faon peut-tre encore plus perverse que celui du Fhrer. Il nemanquait plus la dictature spectaculaire quun Mein Kampfobligatoire,que tout le monde doit possder chez soi, pour potasser le programme...Cette bible du fascin par le mal malgr lui , cestLes Bienveillantesdontlachat permet dassouvir pour linstant le dsir de nazisme des Franais.

    Oui! La France a un dsir de nazisme, il ny a mme que a qui la fassejouir. Grce un Juif amricain, les Franais ( tous antismites et antiamri-cains ) vont pouvoir se branler leur guise sur une fresque-compil porno-nazi et sans en avoir honte, avec lalibi de la littrature de Littell, autantdire la littellrature !

    Les Franais, car ce livre a t crit en franais pour des Franais, en ont

    marre quon ne leur ait jamais expliqu pourquoi ils ont collabor avec destypes qui cherchaient se dbarasser physiquement des Juifs, ni ce qui les apousss entre 40 et 44 faire du zle dans ce sens-l, bref : quel est le pro-blme de la France avec les Juifs depuis lAffaire Dreyfus, et mme avant? Enparler franchement ne serait pas une justification des pires crimes, mais un

    geste de dtente, un soulagement dans la socit daujourdhui qui restetouffe par a sans le savoir.

    Littell surgit une poque o les gens cherchent dans la fiction des r-ponses leur angoisse au sujet de la Shoah. Pourquoi? Parce que la ralitde lHolocauste finit par devenir abstraite tellement elle est rendue floue etreste inexplique par les gardiens du Temple de la mmoire. Il fallait quequelquun lui restitue une forme de ralisme, mme si cest un ralismeromanesque... Les Bienveillantesvieilliront-elles bien ? Rien de moins sr,mais Jonathan Littell aura russi faire franchir ce pays de collabos questla France une tape de plus dans sa longue marche pour se dculpabiliser.

    Seuls les crivains rats ne lont pas compris, trop aveugls par leurjalousie. Tous clops, casss, en lambeaux, sur des bquilles aprs cette

    rentre qui a ressembl la bataille de Stalingrad, ils nont plus qu refor-muler la phrase clbre peut-on crire aprs Auschwitz ? en peut-oncrire aprs Littell?

    Marc-douard Nabe, 23 Novembre 2006. http://marc.edouard.nabe.free.fr

    Texte imprim et distribu gratuitement.