erick gokalsing au service de la santÉ mentalele psychiatre : il découvre alors la victimologie,...

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BIO EXPRESS 1969 : naissance à Saint- Denis, île de La Réunion 1997 : thèse en médecine à la faculté de Nice 2003 : thèse de sciences à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg 2005 : mutation à l’EPSM de La Réunion 2013 : membre de l’équipe Ipsom 2015 : psychiatre référent de la CUMP océan Indien 2017 : lancement de l’étude Apsom 2018 : responsable de la CARSM-OI (EPSM Réunion) 4 LE CONCOURS MÉDICAL _ TOME 141 _ FÉVRIER 2019 portrait ERICK GOKALSING AU SERVICE DE LA SANTÉ MENTALE Référent d’une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), coordinateur du projet de recherche Apsom, président-fondateur de l’association Réuni-Psy, le Dr Érick Gokalsing s’engage pour faire reconnaître la santé mentale comme un enjeu de santé majeur à La Réunion. PAR CAMILLE ROSENBLATT E rick Gokalsing tombe très tôt dans le milieu médical : sa mère est infirmière générale à l’hôpital Gabriel-Martin (Saint-Paul, Île de La Réunion), et tous les soirs, à la sortie de l’école, il la retrouve sur son lieu de travail. Le jeune garçon apprécie « la gravité et la profondeur propres aux blouses blanches », et c’est tout naturellement qu’il choisit, quelques années plus tard, de rejoindre un cursus en médecine, à l’université de Montpellier. « Au départ, j’étais très intéressé par le système nerveux, et je pensais m’orienter vers la neurologie », confie-t- il. Mais à 22 ans, un stage au sein d’un service dédié aux suici- dants le marque profondément : « Rencontrer des personnes qui ont tenté de mettre fin à leurs jours renvoie à quelque chose de très personnel, surtout quand on a de l’empathie. » Un autre stage au Samu l’interpelle également en raison du nombre d’in- terventions auprès de suicidants. Ces expériences réveillent chez lui le désir de s’engager sur le terrain, sur des situations d’urgence : pensant se spécialiser en anesthésie-réanimation, son classement au concours de l’internat le pousse finalement à choisir une autre spécialité. Ce sera la psychiatrie, domaine qui fait le lien entre son intérêt initial pour le système nerveux et sa volonté de s’engager auprès de personnes en souffrance mentale. Il effectue son internat au CHU de Nice : « Les visions étaient novatrices, intégrant par exemple une vision biologiste de la psychiatrie sans bannir pour autant la psychanalyse. » À l’issue d’un DEA de psychopathologie à Paris et de sa thèse de médecine, il engage une nouvelle thèse de sciences, sur les fonctions cognitives dans la schizophrénie. Une théma- tique qu’il approfondit jusqu’au début des années 2000, à la fois comme chercheur, mais aussi dans le cadre de ses fonctions : chef de clinique au CHU de Nice, puis praticien hospitalier au CH Sainte-Marie de Nice, établissement de santé privé d’intérêt collectif, où il est en charge d’une unité d’hospitalisation. Il y fonde entre autres l’association Erahsm (Étude recherche as- sociation hospitalière Sainte-Marie), qui vise à fédérer les pra- ticiens répartis sur les cinq sites des hôpitaux Sainte-Marie, par des activités de recherche en réseau. Une initiative qui permet- tra de décloisonner les approches, et d’impulser de nouvelles méthodes de prise en charge du pa- tient schizophrène ou bipolaire, dont psychoéducatives : « Je garde, de cette période, un sentiment ancré : celui d’une psychiatrie plus proche du patient, plus humaniste qu’aujourd’hui. » RETOUR À LA RÉUNION En 2005, un événement familial contraint Erick Gokalsing à rentrer au pays. Île de La Réunion-métropole, le contraste est saisissant : « D’un milieu hospitalo-universitaire, j’ai rejoint un territoire où il n’existait même pas en- core de CHU ! Seulement une première année de médecine, gérée par la faculté de sciences. » Sa spécialité, la psychia- trie, n’est pas considérée comme prio- ritaire face à d’autres domaines comme l’infectiologie ou les pathologies mé- taboliques ou cardiovasculaires. Fin 2007, il intègre l’unité d’urgences psy- chiatriques de l’hôpital Gabriel-Martin, où il côtoie de nombreux cas de tentatives de suicide (TS) : « Les causes TS peuvent être liées à des pathologies psychiatriques ou provenir d’une souffrance en lien avec des événements de vie, à des violences subies », explique-t-il. C’est sur ce point que se penche le psychiatre : il découvre alors la victimologie, et décide de s’y former en suivant un DU sur le sujet. « Sur le plan clinique, j’étais quotidiennement confronté à des victimes : un lien évident entre victimologie et suicide s’est imposé », se souvient Erick Gokalsing. En 2014, l’ARS océan Indien lui confie la mission de réali- ser un état des lieux de la prise en charge des victimes à l’île

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BIO EXPRESS1969 : naissance à Saint-Denis, île de La Réunion1997 : thèse en médecine à la faculté de Nice2003 : thèse de sciences à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg2005 : mutation à l’EPSM de La Réunion2013 : membre de l’équipe Ipsom2015 : psychiatre référent de la CUMP océan Indien2017 : lancement de l’étude Apsom 2018 : responsable de la CARSM-OI (EPSM Réunion)

4 LE CONCOURS MÉDICAL _ TOME 141 _ FÉVRIER 2019

portrait

ERICK GOKALSINGAU SERVICE DE LA SANTÉ MENTALE Référent d’une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), coordinateur du projet de recherche Apsom, président-fondateur de l’association Réuni-Psy, le Dr Érick Gokalsing s’engage pour faire reconnaître la santé mentale comme un enjeu de santé majeur à La Réunion.

PAR CAMILLE ROSENBLATT

Erick Gokalsing tombe très tôt dans le milieu médical : sa mère est infirmière générale à l’hôpital Gabriel-Martin (Saint-Paul, Île de La Réunion), et tous les soirs, à la sortie de l’école, il la retrouve sur son lieu de travail. Le jeune garçon apprécie « la gravité et la profondeur propres aux blouses blanches », et c’est tout naturellement qu’il choisit, quelques années

plus tard, de rejoindre un cursus en médecine, à l’université de Montpellier. « Au départ, j’étais très intéressé par le système nerveux, et je pensais m’orienter vers la neurologie », confie-t-il. Mais à 22 ans, un stage au sein d’un service dédié aux suici-dants le marque profondément : « Rencontrer des personnes qui ont tenté de mettre fin à leurs jours renvoie à quelque chose de très personnel, surtout quand on a de l’empathie. » Un autre stage au Samu l’interpelle également en raison du nombre d’in-terventions auprès de suicidants. Ces expériences réveillent chez lui le désir de s’engager sur le terrain, sur des situations d’urgence : pensant se spécialiser en anesthésie-réanimation, son classement au concours de l’internat le pousse finalement à choisir une autre spécialité. Ce sera la psychiatrie, domaine qui fait le lien entre son intérêt initial pour le système nerveux et sa volonté de s’engager auprès de personnes en souffrance mentale. Il effectue son internat au CHU de Nice : « Les visions étaient novatrices, intégrant par exemple une vision biologiste de la psychiatrie sans bannir pour autant la psychanalyse. »

À l’issue d’un DEA de psychopathologie à Paris et de sa thèse de médecine, il engage une nouvelle thèse de sciences, sur les fonctions cognitives dans la schizophrénie. Une théma-tique qu’il approfondit jusqu’au début des années 2000, à la fois comme chercheur, mais aussi dans le cadre de ses fonctions : chef de clinique au CHU de Nice, puis praticien hospitalier au CH Sainte-Marie de Nice, établissement de santé privé d’intérêt collectif, où il est en charge d’une unité d’hospitalisation. Il y

fonde entre autres l’association Erahsm (Étude recherche as-sociation hospitalière Sainte-Marie), qui vise à fédérer les pra-ticiens répartis sur les cinq sites des hôpitaux Sainte-Marie, par des activités de recherche en réseau. Une initiative qui permet-tra de décloisonner les approches, et d’impulser de nouvelles

méthodes de prise en charge du pa-tient schizophrène ou bipolaire, dont psychoéducatives : « Je garde, de cette période, un sentiment ancré : celui d’une psychiatrie plus proche du patient, plus humaniste qu’aujourd’hui. »

RETOUR À LA RÉUNIONEn 2005, un événement familial contraint Erick Gokalsing à rentrer au pays. Île de La Réunion-métropole, le contraste est saisissant : « D’un milieu hospitalo-universitaire, j’ai rejoint un territoire où il n’existait même pas en-core de CHU ! Seulement une première année de médecine, gérée par la faculté de sciences. » Sa spécialité, la psychia-trie, n’est pas considérée comme prio-ritaire face à d’autres domaines comme l’infectiologie ou les pathologies mé-taboliques ou cardiovasculaires. Fin 2007, il intègre l’unité d’urgences psy-chiatriques de l’hôpital Gabriel-Martin,

où il côtoie de nombreux cas de tentatives de suicide (TS) : « Les causes TS peuvent être liées à des pathologies psychiatriques ou provenir d’une souffrance en lien avec des événements de vie, à des violences subies », explique-t-il. C’est sur ce point que se penche le psychiatre : il découvre alors la victimologie, et décide de s’y former en suivant un DU sur le sujet. « Sur le plan clinique, j’étais quotidiennement confronté à des victimes : un lien évident entre victimologie et suicide s’est imposé », se souvient Erick Gokalsing.

En 2014, l’ARS océan Indien lui confie la mission de réali-ser un état des lieux de la prise en charge des victimes à l’île

FÉVRIER 2019 _ TOME 141 _ LE CONCOURS MÉDICAL 5

C.R.

en outre-mer) est lancé quelques mois plus tard. Le programme duplique en partie une étude déjà effectuée en métropole par le Pr Vaiva de Lille (Algos), et propose d’en prolonger certains axes. Parmi les objectifs : observer si une plus grande implication du médecin généraliste auprès du patient ayant tenté de se suicider peut réduire le risque de réitération suicidaire, mais aussi identi-fier les facteurs et les publics-cibles propres à chaque territoire ultramarin investi.

Tout en assurant son rôle de référent-coordinateur d’Ap-som pour La Réunion, le Dr Gokalsing poursuit aujourd’hui d’autres recherches sur le suicide en tant que responsable de la CARSM-OI (Cellule d’appui à la recherche en santé mentale océan Indien), parallèlement à son activité de responsable zo-nal de la CUMP de l’océan Indien : « Il est important pour moi d’être engagé sur le terrain tout en poursuivant mes activités de recherche. J’ai cette envie de découvrir, pour innover, améliorer les choses, et nourrir ma pratique. » Parmi ses autres engage-ments, il préside l’association Réuni-Psy, qu’il fonde en 2009 pour promouvoir la recherche, la formation, et l’information des professionnels de santé sur les questions de santé men-tale à La Réunion. « Notre congrès annuel est ouvert à tous les professionnels de santé, et éligible au titre du développement professionnel continu (DPC) », note-t-il. Sous ses multiples cas-quettes, le Dr Gokalsing vise à créer un dynamisme au niveau de l’océan Indien sur les questions psychiatriques : « Tout est à faire, en particulier à La Réunion, un territoire sous-doté en psychiatres. Il est essentiel que les décideurs soutiennent nos projets, que des postes soient créés… mais aussi que les profes-sionnels travaillent en suivant une valeur fondamentale : le don de soi. »

* L’île de La Réunion occupe la troisième place des régions les plus touchées par les violences conjugales, après la Guyane et la Corse, rapporte l’Observatoire réunionnais des violences faites aux femmes.

Le médecin psychiatre a fondé, en 2009, l’association Réuni-Psy pour promouvoir la recherche, la formation, et l’information des professionnels de santé sur les questions de santé mentale à La Réunion.

de La Réunion, pour mieux identifier et coordonner les acteurs concernés, en particulier au niveau sanitaire. Les observations qu’il développe sont fortes : « J’ai remarqué une réticence de la psychiatrie à aborder la question des victimes, probablement pour des questions de manque de formation, et parfois d’une peur de se confronter à la souffrance psychologique de la victime. » Ses recherches l’amènent également à identifier certains types de violences spécifiques vécues ou ressenties par les Réunion-nais, comme la violence conjugale dont le taux sur le territoire est élevé par rapport à la métropole*. Il formule aussi certaines hypothèses fondées sur la psychogénéalogie et l’épigénétique : « La société réunionnaise s’est bâtie sur des bases violentes, à commencer par l’esclavage. Pour moi, l’héritage de ce passé se ressent encore aujourd’hui, d’une certaine manière, dans cer-taines souffrances ressenties par la population. »

« NOURRIR MA PRATIQUE PAR LA RECHERCHE »En 2013, le médecin psychiatre intègre l’Ipsom (Impact du

psychotraumatisme et suicide outre-mer), une équipe de l’Ins-titut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) composée de chercheurs psychiatres ultramarins (couvrant la Guadeloupe, la Guyane, Tahiti, la Martinique, et La Réunion), sous la responsabilité du Pr Louis Jehel. Afin d’en fédérer les membres, le projet d’études Apsom (Algorithme de prévention du suicide

« Rencontrer des suicidants renvoie à quelque chose de très personnel »