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SECTION FRANÇAISE COMMISSION DE LA COOPERATION ET DU DEVELOPPEMENT Avant-projet de rapport M. Mansour Kamardine, Rapporteur, section française L’impact de la révolution numérique sur l’emploi : Enjeux et perspectives dans l’espace francophone

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SECTION FRANÇAISE

COMMISSION DE LA COOPERATION ET DU DEVELOPPEMENT

Avant-projet de rapport

M. Mansour Kamardine, Rapporteur, section française

L’impact de la révolution numérique sur l’emploi :

Enjeux et perspectives dans l’espace francophone

SOMMAIRE

I. QUELS SONT LES TERMES DU DÉBAT ? .................................................... 7

A. LES ACTEURS DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE ....................................... 7

B. LES MÉTIERS DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE ........................................ 8

II. L’IMPACT SUR L’EMPLOI EST SUJET À CONTROVERSES ...................... 9

A. LA GRANDE INCERTITUDE DES DESTRUCTIONS D’EMPLOIS ............. 9

B. LA GRANDE INCONNUE DES CRÉATIONS D’EMPLOIS ....................... 12

C. L’IMPACT SUR LA « SITUATION DE TRAVAIL » .................................... 16

D. L’IMPACT SUR LA LOCALISATION DE L’EMPLOI ................................. 20

ANNEXE I : QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX SECTIONS ............ 23

–– 5 ––

CHER(E)S COLLEGUES,

En à peine vingt ans, notre monde en est à sa troisième révolution

numérique. Après celle de la recherche d’informations (search) engendrée par les

moteurs de recherche, puis celle des réseaux sociaux due aux téléphones

intelligents (smartphones), la troisième est en cours et connaît une accélération

phénoménale avec la convergence des entreprises plates-formes, des objets

connectés, dont le nombre dépassera 20 milliards en 2020 nous dit-on, de la

robotisation, de l’intelligence artificielle, du traitement des données de masse (big

data), des imprimantes 3D…

La digitalisation -ou plutôt devrait-on dire la transformation digitale, car il

s’agit bien d’une disruption, d’une innovation par la rupture- apparaît irréversible.

Elle touche à la fois les personnes physiques, nos concitoyens, et les personnes

morales, nos institutions comme nos entreprises, qui les emploient. Elle offre

d’innombrables opportunités et perspectives, qui peuvent donner le vertige.

Il s’ensuit un rapport ambivalent au digital, entre attrait et répulsion. Ainsi

de nombreuses peurs sont agitées, parfois un peu facilement pour ceux qui

estiment qu’il ne faut pas prendre le numérique pour plus qu’il n’est, c’est-à-dire

un outil au service de l’homme. A cet égard, il est frappant d’apprendre que

l’intelligence artificielle, que l’on présente comme la nouveauté actuelle est en

réalité un vieux concept de presque soixante ans. En outre, il n’y a pas de

définition intangible de la digitalisation, qui dépend essentiellement des usages

que l’on en fait. David Lacombled, auteur de Digital Citizen et président du

groupe de réflexion La Villa Numeris, juge par ailleurs que « le numérique n’est

pas en lutte contre le réel mais en est au contraire partie intégrante ».

Si les Français considèrent à 65 % que le numérique est davantage une

chance qu’une menace, qu’il rend leur vie meilleure, selon Brice Teinturier,

directeur général délégué d’Ipsos, dans de nombreux pays ce taux est supérieur à

80 %. Puisque l’on en est aux comparaisons internationales, ajoutons également

qu’en mars 2017, la Commission européenne plaçait la France à la 16e place de

l’Union européenne (UE) dans un classement relatif à l’économie et la société

numériques, notamment en raison du retard pris par ses entreprises dans l’adoption

des outils spécifiques. Selon la Direction générale des entreprises (DGE), le taux

–– 6 ––

d’intégration des technologies numériques-clés dans les entreprises françaises

(facturation électronique, informatique en nuage, identification électronique, vente

sur Internet…) est inférieur à la moyenne de l’UE. Dans l’UE, trois PME sur

quatre sont présentes sur Internet, contre deux sur trois seulement en France.

Le doute cartésien continue d’imprégner la culture française si bien qu’au

moment de diffuser des innovations, les Français pèsent les risques. Ainsi, un

Français sur deux pense que le numérique va raréfier le travail, 7 % d’entre eux

seulement pensent qu’il va en créer ! Ce rapport ambivalent au digital qui

s’observe donc également dans le monde du travail traduit un paradoxe entre, d’un

côté, la nécessité de la transformation numérique pour que tout un chacun profite

des bienfaits du digital, en particulier en matière d’autonomie et de mobilité, et, de

l’autre, cette fluidité nouvelle qui oblige plus que jamais à la performance.

Consacrer un rapport à l’étude de l’impact de la révolution numérique sur

l’emploi revient in fine à explorer plusieurs pistes. En voici quelques-unes.

Quel est l’impact sur le volume de l’emploi, en termes de disparitions mais

aussi de créations ?

Quel est l’impact sur la structure de l’emploi ? Quels sont les métiers et les

secteurs les plus concernés ? Quels types d’entreprises sont concernés (PME-PMI,

TPE-TPI, grands groupes, jeunes pousses ou startups) ?

Comment les métiers sont-ils appelés à évoluer ? Quels types de

compétences seront à l’avenir privilégiés ? Quels sont les risques psycho-

sociaux ? Quels sont les enjeux pour la sphère éducative et de formation ?

Quel est l’impact sur la localisation de l’emploi, à l’échelle nationale et

internationale ? Quelles pourraient être les zones d’emploi les plus concernées ?

Les technologies pourraient-elles favoriser un mouvement de relocalisation

géographique des emplois ?

Dans l’espace francophone, comment réagissent les autres pays membres ?

–– 7 ––

I. QUELS SONT LES TERMES DU DÉBAT ?

A. LES ACTEURS DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

En France, l'Observatoire du numérique souligne que l’économie

numérique recouvre des réalités très différentes selon les auteurs et que cette

dénomination a évolué au cours des années : nouvelles technologies, nouvelle

économie, technologies de l’information et de la communication, économie

électronique…

Dans la statistique publique, l’économie numérique est assimilée aux

technologies de l’information et de la communication (TIC), et en particulier aux

secteurs producteurs. Pour l’Institut national de la statistique et des études

économiques (Insee), le secteur des TIC regroupe les entreprises qui produisent

des biens et services supportant le processus de numérisation de l’économie,

c’est-à-dire la transformation des informations utilisées ou fournies en

informations numériques (informatique, télécommunications, électronique).

L’économie numérique englobe le secteur des « télécommunications, notamment

l'Internet, le haut débit et les mobiles, ainsi que la convergence entre les secteurs

de radiotélédiffusion et du câble, et les services de télécommunications plus

traditionnels ». Pour le syndicat professionnel Syntec numérique, le secteur

regroupe les entreprises de services du numérique, les anciennes sociétés de

services en ingénierie informatique (SSII), le conseil en technologie, les éditeurs

de logiciel et les entreprises du Web. L’Organisation pour la coopération et le

développement en Europe (OCDE) y ajoute les fabricants, réparateurs et

commerçants de TIC. Pour l’Association de l'économie numérique (ACSEL), la

notion d'économie numérique est transversale. L'économie numérique « n'est pas

l'apanage de quelques secteurs qui produisent ou qui sont basés sur les TIC, mais

aussi les secteurs qui les utilisent. L'économie numérique comprend le secteur des

télécommunications, de l'audiovisuel, du logiciel, de l'Internet et les secteurs qui

les utilisent en tant que cœur ou support de leur activité ».

Au moment où l’économie numérique connaît une forte expansion, elle ne

saurait se limiter à un secteur d’activité en particulier et il convient de prendre en

compte l’ensemble des secteurs qui s’appuient sur les TIC, producteurs et

utilisateurs. Certains secteurs sont apparus avec le développement technologique

et ne recouvrent pas simplement des activités qui utilisent les nouvelles

technologies dans le seul but d’accroître leur productivité : il en est ainsi du

commerce électronique et des services en ligne qui sont des acteurs centraux de

l’économie numérique. Il en est également ainsi de l’industrie, le terme

« industrie 4.0. » résumant tous les processus permettant de faire fonctionner des

usines digitalisées.

–– 8 ––

Ainsi on distingue communément les quatre catégories d’acteurs

économiques suivants :

1. Les entreprises des secteurs producteurs des TIC au sens de l’OCDE ou

de l’Insee, dont les activités s’exercent dans les domaines de l’informatique, des

télécommunications et de l’électronique.

2. Les entreprises dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services

en ligne, jeux vidéo, e-commerce, médias et contenus en ligne…).

3. Les entreprises qui utilisent les TIC dans leur activité et gagnent en

productivité grâce à elles (banques, assurances, automobile, aéronautique,

distribution, administration, tourisme…).

4. Les particuliers et les ménages qui utilisent les TIC dans leurs activités

quotidiennes, pour les loisirs, la culture, la santé, l’éducation, la banque, les

réseaux sociaux…

B. LES MÉTIERS DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Si de très nombreux métiers se digitalisent, il faut distinguer les métiers

« cœur » du numérique et les métiers qui sont des utilisateurs des technologies.

Plusieurs catégories peuvent être constituées :

1. Les métiers « noyau dur » qui produisent les technologies numériques

(informatique, télécommunications, électronique).

2. Les nouveaux métiers apparus par et pour le numérique et que l’on

retrouve dans tous les secteurs d’activité (community manager, data-scientist,

data-analyst…).

3. Les métiers impactés et nécessitant une adaptation des compétences

(dans la production audiovisuelle ou industrielle par exemple).

4. Les métiers pour lesquels les technologies numériques constituent de

nouveaux outils sans toutefois les bouleverser radicalement.

5. Les métiers qui pourraient disparaître.

Au regard de ces considérations, les perspectives futures oscillent entre

création, transformation et destruction d’emplois pour lesquelles différentes

projections quantitatives sont proposées.

–– 9 ––

II. L’IMPACT SUR L’EMPLOI EST SUJET À CONTROVERSES

Les effets de la digitalisation sur l’emploi, en termes de volume, de

structure et de localisation, suscitent de nombreux débats et de fortes inquiétudes

dont deux ressortent particulièrement. La première crainte est d’ordre quantitatif et

porte sur la réduction de la quantité de travail et d’emplois provoquée par les gains

de productivité induits par la numérisation. Il faut le dire, la crainte d’un chômage

technologique, d’un futur sans emploi existe bel et bien. La deuxième crainte est

d’ordre qualitatif et anticipe une transformation de la nature des emplois. Le

travail indépendant se substituerait au travail salarié, provoquant une

« ubérisation » du travail et de la société, notamment avec le développement des

plates-formes numériques.

A. LA GRANDE INCERTITUDE DES DESTRUCTIONS D’EMPLOIS

Depuis quelques années, plusieurs études prospectives, essentiellement

étrangères, ont tenté d’estimer la part des emplois actuels qui pourraient

disparaître avec l’automatisation et conclu à des effets potentiels significatifs,

voire massifs, sur le volume de l’emploi. Certains prédisent la fin du travail,

d’autres jugent que l’émergence de nouveaux produits et services et leur

production nécessiteront un travail de plus en plus qualifié. Nul ne s’accorde sur

l’ampleur de ce risque.

En 2013, l’étude menée par les chercheurs Frey et Osborne1 a estimé les

effets de l’automatisation sur l’emploi américain sur vingt ans en décomposant les

emplois américains en activités élémentaires (connaissances, compétences et

capacités requises) et fait apprécier la probabilité d’automatisation de celles-ci par

un panel d’experts, à l’aune des tendances technologiques perceptibles à

moyen-long terme. Ils ont conclu que deux emplois sur cinq aux Etats-Unis seront

« fortement affectés par l’automatisation », sans être forcément tous supprimés.

En 2014, le cabinet Roland Berger2 a transposé cette méthode à la structure de

l’emploi en France pour arriver à un résultat similaire : deux emplois français sur

cinq présentent une probabilité d’automatisation élevée.

D’autres travaux ont suivi, dont les résultats sont moins alarmistes. Tout

d’abord, ils ont porté sur des données françaises, ensuite ils ont adopté une analyse

individuelle et non plus par métier dans la mesure où les individus eux-mêmes

déclarent les tâches qu’ils exercent, alors que dans la méthode adoptée par Frey et

Osborne les experts ont raisonné à partir d’une liste de taches prédéterminées pour

1 Frey C. B., Osborne M. A., 2013, « The future of employment: How susceptible are jobs to computerisation », Oxford Marin School. 2 Roland Berger, 2014, « Les classes moyennes face à la transformation digitale », octobre.

–– 10 ––

chaque métier, supposant ainsi que l’ensemble des personnes effectuant le même

métier effectuent le même type de tâches. Or, dans la réalité, les tâches sont

hétérogènes au sein d’une même profession. La Fabrique de l’Industrie

laboratoire d’idées, a publié une synthèse de ces travaux plus récents réalisés par

l’OCDE en 20161, par France Stratégie en 2016 également2 et par le Conseil

d’orientation pour l’emploi (COE) en 2017. Le tableau suivant est tiré de cette

synthèse :

Etude Date

Niveau

d’analyse

retenu

Données Horizon

Part des

emplois à

risque élevé

Roland Berger 2014 Métiers

Structure de

l’emploi

française

(Insee 2013)

Moyen à long

terme (10-20

ans)

42 %

Arntz, Gregory, Zierahn

(OCDEa) 2016

Individus

(tâches)

Enquête PIAAC

(2012)

Moyen à long

terme (10-20

ans)

9 %

Le Ru

(France Stratégie) 2016

Individus

(conditions de

travail)

Enquête

conditions de

travail de la

DARES (2013)

Futur proche 15 %

COE 2017

Individus

(conditions de

travail)

Enquête

conditions de

travail de la

DARES (2013)

Futur proche 10 %

Dans l’étude menée par la DARES pour le compte de France Stratégie

(Le Ru), on considère que les emplois exigeant de répondre vite à une demande

extérieure avec une certaine marge de manœuvre sont peu automatisables, alors

qu’à l’inverse, les travaux bien spécifiés dont le rythme n’est pas déterminé par

une demande extérieure aléatoire le seraient. En croisant ces deux critères, on

compte, en 2013, 9,1 millions d’emplois peu automatisables en France, et ce

nombre a augmenté de 33 % en quinze ans, passant de 6,9 millions en 1998 à

9,1 millions en 2013. Par ailleurs, 3,4 millions d’emplois seraient automatisables,

soit 15 % des emplois, avec une tendance décroissante. De 1998 à 2013, on

compte 200 000 emplois automatisables de moins. Entre les deux, il y aurait

10,5 millions d’emplois dits « hybrides » qui satisfont un seul des deux critères.

En outre, les risques diffèrent entre les secteurs de l’industrie et des services. Une

part importante des emplois industriels (25 %) apparaît automatisable contre 13 %

pour les métiers de services, parce qu’ils sont plus fréquemment en relation avec

le public.

1 OCDE, 2016a, « Automatisation et travail indépendant dans une économie du numérique ». 2 Le Ru N., 2016, « L’effet de l’automatisation sur l’emploi : ce qu’on sait et ce qu’on ignore », Note d’analyse de France Stratégie.

–– 11 ––

Pour le COE, environ 10 % des emplois, appelés « emplois exposés »,

présentent un risque élevé d’automatisation, et donc risquent de disparaître, et un

emploi sur deux (50 %) verra son contenu évoluer fortement -ce sont des

« emplois dont le contenu est susceptible d’évoluer ». Parmi ces emplois les plus

« exposés », les métiers proportionnellement les plus représentés par rapport à leur

part dans l’emploi salarié total sont le plus souvent des métiers manuels et peu

qualifiés, notamment dans l’industrie : dans les industries de process, la

manutention, le second œuvre du bâtiment, la mécanique, les agents d’entretien,

les caissiers. Quelques métiers qualifiés peuvent être concernés : dans la

mécanique et les industries de process. Parmi les emplois les plus « susceptibles

d’évoluer », les métiers proportionnellement les plus représentés par rapport à leur

part dans l’emploi salarié total sont aussi souvent des métiers manuels peu

qualifiés, mais ils relèvent plus du secteur des services que les métiers les plus

« exposés » : conducteurs, caissiers, agents d’exploitation des transports, employés

et agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration, aides à domicile et aides

ménagères…

Enfin, selon l’OCDE, 9 % des emplois en France présentent un « risque

élevé de substitution » par des robots, soit 2,4 millions d’emplois. A cet égard,

France Stratégie, se basant sur des données Destatis, note que l’industrie

automobile allemande, l’une des plus robotisées au monde, employait encore plus

de 800 000 salariés en 2015, soit autant qu’il y a dix ans et 100 000 de plus qu’il y

a vingt ans.

–– 12 ––

Un emploi a priori automatisable n’est pas nécessairement automatisé :

l’exemple des caisses automatiques dans la distribution

Les caisses automatiques ont été mises en service en France à partir de 20041, conduisant

le client à réaliser lui-même les tâches habituellement dévolues au caissier. En 2012,

environ 35 % des terminaux de caisse en grande distribution étaient des caisses libre-

service2. L’employé doit dorénavant gérer plusieurs postes de caisses automatiques mais

aussi accueillir plusieurs clients ; il est ainsi mobilisé dans plusieurs interactions à la fois 3.

Au cours des dix dernières années sont également apparus le drive et la livraison à

domicile.

Et pourtant le nombre d’emplois de caissiers n’a diminué que d’environ 10 % en dix ans,

passant de 205 000 à 185 0004. Les caisses automatiques ne sont que l’une des causes de la

baisse du nombre de caissiers et ne se sont pas totalement substituées aux emplois de

caissiers.

B. LA GRANDE INCONNUE DES CRÉATIONS D’EMPLOIS

Même si de nombreuses études rétrospectives, aux approches et méthodes

différentes, ont montré que les progrès technologiques des trente dernières années

avaient eu un effet favorable sur l’emploi, dans la mesure où l’introduction

d’innovations a été globalement bénéfique à l’emploi, les évaluations chiffrées se

révèlent tout aussi difficiles à établir en matière de créations d’emplois.

1. Les emplois directs

L’automatisation est d’abord susceptible de créer des emplois directs :

dans la recherche et développement (R&D), la conception, la production, la

commercialisation ou la maintenance d’automates. Pour le COE, le potentiel de

création d’emplois directs est significatif dans le numérique, secteur où la

dynamique devrait rester soutenue dans les prochaines années, et plus mesuré dans

la robotique, compte tenu principalement de la faible taille du secteur actuellement

en France.

1 LSA Commerce & Consommation (2014), “Il y a dix ans, les caisses automatiques arrivaient”.

2 Benoît-Moreau F., Bonnemaizon A., Cadenat S. et Renaudin V., « Le consommateur et les caisses

automatiques : pour une compréhension du processus d’adoption », travaux menés dans le cadre d’un

contrat de recherche avec l’enseigne Auchan. 3 Ba A. et Vignon C. (2013), « Mieux gérer les incidences de l’automatisation des services : le cas des caisses libre-servive », Gestion, vol. 38.

4 Source : Insee, enquête Emploi, calculs France Stratégie.

–– 13 ––

Le syndicat professionnel Syntec numérique prévoyait entre 2013 et 2018

une croissance de 15 800 emplois dans la filière numérique et de 20 900 emplois

dans les autres secteurs connexes, soit plus de 36 000 emplois. Or ces prévisions

ont été atteintes en deux ans et demi.

La Commission européenne a estimé la pénurie de compétences dans le

numérique en Europe à environ 900 000 emplois à l’horizon 20201. Le volume de

l’emploi pour ces profils a connu en Europe une augmentation moyenne de 4 %

par an, dix fois plus rapide que l’évolution de l’emploi total au cours des années

récentes. Une pénurie croissante de compétences expertes dans les nouvelles

technologies est évaluée à 80 000 emplois d’ici 2020 pour les seules TIC, hors

secteurs liés aux nouvelles technologies. Pour la Commission européenne, le

numérique créerait 100 000 nouveaux emplois entre 2012 et 2020 en France.

En 2017, Pôle Emploi chiffre à 58 % les projets d’embauche dans les

familles de métiers de l’informatique considérés comme « difficiles » en raison de

l’importance des créations d’emplois et de l’offre insuffisante de compétences. En

France, on dénombre 310 000 ingénieurs en informatique et télécoms de plus

qu’au début des années 1980, alors que la baisse du nombre d’emplois de

secrétaire a débuté au milieu des années 1990 avec le déploiement de

l’informatique2. Il y a presque autant d’ingénieurs en informatique et télécoms que

de secrétaires.

1 Commission européenne, 2014, « E-skills for jobs in Europe: Measuring Progress and Moving Ahead ».

2 Selon les travaux de Frey et Osborne (2013), le métier de secrétaire et d’assistant administratif a une probabilité de 96 % d’être

automatisé.

–– 14 ––

Cuisines Schmidt :

des effectifs multipliés par trois grâce à la robotisation et à la numérisation1

Schmidt groupe est allé très loin dans la robotisation et la numérisation de son activité avec

son projet lancé il y a dix ans : une cuisine fabriquée en un jour, livrée au bout de dix jours

avec une qualité 100 %. Le vendeur crée virtuellement une cuisine avec les clients, la

commande est traitée par échange de données informatiques et la fabrication est robotisée.

Une commande standard peut être réalisée presque sans intervention de l’homme et les

délais de fabrication sont passés de sept jours à une journée.

Concrètement, l’automatisation a permis de maîtriser la qualité des produits mais aussi de

réduire la pénibilité du travail et, surtout, d’éviter la délocalisation. Il est vrai que

l’automatisation peut conduire à supprimer certains postes dans un premier temps. Mais

Schmidt a conquis de nouveaux clients en France et en Europe, ce qui a créé des emplois

malgré un recours de plus en plus important aux robots. En 60 ans, le groupe a construit

quatre sites de production, le cinquième ouvrira en 2019. Il y a trois fois plus de salariés

qu’avant dans l’entreprise (+ 1 500). Les anciens ouvriers ont été formés, ils se sont

convertis en opérateurs et en pilotes d’installations complexes. Schmidt recrute aujourd’hui

une centaine de profils qualifiés par an.

2. Les emplois indirects

Il est généralement admis que les entreprises utilisant les technologies

numériques gagnent en compétitivité et accroissent ainsi leur chiffre d’affaires,

voire conquièrent de nouveaux marchés, et donc développent l’emploi. Dans les

entreprises industrielles par exemple, l’automatisation et la numérisation de la

production peuvent, dans un premier temps, supprimer des emplois. Mais dans un

second temps, en renforçant sa compétitivité, l’entreprise peut gagner de nouvelles

parts de marché, augmenter sa production et embaucher de nouveaux salariés.

Selon Bruno Bonnell, chef de file du programme robots de l’Industrie du futur, en

France 90 % des bénéficiaires des aides RobotStartPME, qui permettent à une

PME d’acheter un premier robot, ont vu leur emploi croître dans les trois ans qui

ont suivi l’achat du robot.

Deux thèses s’opposent actuellement sur l’ampleur des gains de

productivité à attendre des TIC au niveau macroéconomique. Pour certains experts

(Erik Brynjolfsson et Andrew McAffee, chercheurs au MIT), le progrès

technologique, étant exponentiel, numérique et combinatoire, sera source de forts

gains de productivité. Pour Robert Gordon, économiste, l’épuisement des

1 Extraits de « Automatiser en renforçant le rôle de l’homme », Elisabeth Bourguinat, compte rendu du séminaire « Aventures

industrielles » de l’Ecole de Paris du management consacré au témoignage d’Anne Leitzgen (Cuisines Schmidt), 15/11/2016.

–– 15 ––

bénéfices des innovations passées comme la machine à vapeur, l’électricité, le

moteur à explosion, la chimie, etc., laisse augurer de moindres gains de

productivité de la part du numérique, dans la mesure où son développement ne

transformera pas aussi profondément l’économie que ne l’ont fait ces innovations.

De plus, les fournisseurs de ces entreprises peuvent profiter

automatiquement de cette croissance d’activité et d’autres acteurs économiques

également indirectement, dans d’autres secteurs et d’autres territoires. Certaines

études estiment que chaque emploi créé dans le secteur de la haute technologie

entraîne la création d’environ cinq emplois complémentaires1. D’autres montrent

que pour 100 emplois créés dans le secteur exposé à la concurrence internationale,

64 emplois abrités supplémentaires sont créés dans la même zone d’emploi et 25

dans d’autres entreprises du secteur exposé2. S’agissant des emplois induits,

beaucoup peuvent être créés à l’étranger. Il apparaît donc que les effets du

numérique sur l’emploi national dépendent de la compétitivité de l’offre française.

3. Les futurs nouveaux métiers

La digitalisation permettrait aussi de développer des activités nouvelles

(divertissements, voyages, santé, apprentissages…) créant ainsi de nouveaux

métiers et donc de nouveaux emplois qui n’existaient pas jusqu’alors. Cette

mutation engendre la création d’emplois directs et d’emplois induits. Alfred Sauvy

a nommé ce mécanisme le « déversement »3 citant l’exemple des porteurs d’eau à

Paris, au XIXe siècle, qui étaient environ 20 000 et dont les emplois ont été

détruits par l’installation des canalisations, ce qui a créé des emplois dans d’autres

activités. Le COE relève que 149 nouveaux métiers sont apparus depuis 2010,

dont 105 appartiennent au domaine du numérique. En 2013, Wagepoint, un

cabinet d’études canadien, a noté qu’aucun des dix métiers les plus recherchés en

2010 n’existait en 2004. En extrapolant à partir de ce constat, ses experts ont

conclu que 65 à 70 % des métiers que les enfants actuellement scolarisés en

maternelle exerceront dans vingt ans n’existent pas encore. Il cite en exemple le

cas du smartphone dont les applications spécifiques actuelles ont créé des emplois

qui n’existaient pas il y a douze ans, époque où nous utilisions des téléphones

mobiles ancienne génération.

1 Moretti E., 2010 « Local Multipliers », American Economic Review. Papers and Proceedins, No. 100, pp. 1-7 ; Goos, M., J. Konings and

M. Vandeweyer, 2015, « Employment Growth in Europe: The Roles of Innovation, Local Job Multipliers and Institutions», Utrecht

School of Economics Discussion Paper Series, Vol. 15, No. 10. 2 Frocrain P., Giraud P.-N., 2016, « Dynamique des emplois exposés et abrités », Les Notes de la Fabrique, n°17, Presses des Mines. 3 Sauvy, Alfred (1980), La Machine et le chômage, Dunod.

–– 16 ––

Il est certain que la demande d’emploi dans le numérique va croître, selon

l’Observatoire des télécommunications qui prévoit « une croissance phénoménale

des usages et des besoins du marché des entreprises […] ainsi que sur le marché

du grand public ». Les nouvelles technologies qui présentent les plus forts enjeux

en termes d’emploi sont les objets connectés et l’Internet des objets, le traitement

massif des données, l’informatique en nuage (cloud computing), la cybersécurité

et la protection des données personnelles, la réalité virtuelle ou augmentée, la

robotique avancée, la fabrication additive, les techniques de communication

enrichie comme les formations en ligne ouvertes à tous (FLOT), les

biotechnologies et les nanotechnologies.

En définitive, il est très difficile de tirer un bilan net des nombreux effets

de la numérisation des entreprises et des nouvelles opportunités économiques liées

à la digitalisation en général.

C. L’IMPACT SUR LA « SITUATION DE TRAVAIL »

Si établir un bilan net entre les emplois détruits et les emplois créés

apparaît périlleux, il semble acquis que le numérique transforme le travail dans sa

nature, ses formes, sa structure, son contenu et son organisation. Ursula Huws

parle de « cybertariat »1. Le COE parle de « situation de travail », concept qui

englobe toutes les dimensions de la notion comme les conditions de travail au sens

classique du terme, la qualité de vie au travail, le contenu du travail, les

compétences nécessaires pour l’effectuer.

Le fait d’automatiser et de numériser certaines tâches permet un

redéploiement des activités des personnes qui en étaient en charge, celles-ci

s’adaptant alors à cette nouvelle activité, allant parfois jusqu’à voir leur travail

profondément transformé. Les experts de l’OCDE estiment que près de 30 % des

travailleurs en France devront faire face à un changement de la nature de leur

travail. Pour le COE, 50 % des emplois français pourraient voir leur contenu

évoluer de façon importante dans un avenir proche.

1 Huws. U. (2001), « The Making of a cybertariat? Virtual work in a real world », Socialist Register 2001: Working Classes, Global

Realities, vol. 37.

–– 17 ––

L’adaptation continuelle du contenu des emplois parallèlement aux évolutions

technologiques : les métiers de la banque, un cas d’école

L’installation des distributeurs automatiques de billets (DAB) a profondément modifié les

besoins en main-d’œuvre dans le secteur bancaire, dont les salariés représentent 2,3 % de

l’emploi salarié privé en France.

De 5 000 DAB déployés sur le territoire français en 1983 nous sommes passés à près de

60 000 à fin 2013, ce qui a diminué le coût d’exploitation des agences bancaires et

augmenté leur nombre.

Puis, avec le développement des services de banque en ligne et l’apparition des modes de

paiement sans contact, qui limite les besoins en liquidité, le déploiement des DAB a été

stoppé et le nombre des agences bancaires a été réduit.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que ces évolutions technologiques ont provoqué une

baisse des effectifs d’employés de la banque.

Toutefois, les enquêtes sur les conditions de travail révèlent aussi que la nature de ces

métiers s’est modifiée. Désormais, 61 % de ces employés déclarent occuper un emploi

nécessitant une réponse immédiate à une demande extérieure et ne devant pas toujours

appliquer des consignes, contre 35 % en 2005. Ce profil d’emplois peu automatisables a

également augmenté parmi les techniciens (62 % contre 47 % en 2005) et, dans une

moindre mesure, chez les cadres (48 % contre 43 %).

Les plus récentes technologies numériques en cours et à venir sont susceptibles de modifier

une nouvelle fois les activités de services bancaires. Nul n’est en capacité d’en mesurer

l’impact exactement à l’heure actuelle.

Les experts ne s’accordent cependant pas sur les catégories d’emplois les

plus concernées. Le COE juge que « le progrès technologique continuerait à

favoriser plutôt l’emploi qualifié et très qualifié : parmi les métiers les plus

vulnérables, les métiers surreprésentés […] sont souvent des métiers pas ou peu

qualifiés ». De même, La Fabrique de l’industrie s’attend à une transformation du

travail et de son organisation en créant notamment une demande très forte en

profils qualifiés, conformément à ce qui a été observé en France depuis les années

1980. Les TIC seraient plutôt défavorables à l’emploi des travailleurs qui réalisent

des tâches manuelles et cognitives « routinières », en se substituant en quelque

sorte à ces employés, tandis qu’elles seraient plutôt favorables à l’emploi des

travailleurs qui réalisent des tâches « non routinières », en étant complémentaires

en quelque sorte. L’OCDE, quant à elle, observe un phénomène de polarisation

des emplois à l’échelle de l’Union européenne, du Japon et des Etats-Unis où entre

2002 et 2004, l’emploi peu qualifié et très qualifié a augmenté tandis que le

–– 18 ––

volume d’emplois intermédiaires routiniers y a diminué. Patrick Artus, directeur

de la recherche et des études de Natixis, parle lui aussi d’une bipolarisation de

l’emploi avec le développement de services domestiques peu qualifiés sous l’effet

de la robotisation alors que les postes les plus sophistiqués ne progresseraient plus.

D’aucuns considèrent d’ailleurs que la diffusion des TIC provoquerait une hausse

des inégalités, premièrement, en créant des emplois hautement qualifiés et

rémunérés, deuxièmement en contribuant au développement d’emplois peu

qualifiés dans les services, à faible productivité et donc mal rémunérés, et

troisièmement en raréfiant les métiers situés au milieu de la distribution des

revenus, les plus touchés par l’automatisation.

Les avis semblent converger sur le fait que toutes les activités impliquant

l’interaction entre les individus, de l’encadrement ou de la prise de décision

seraient épargnées (jardinier, plombier, garde d’enfants…). Les métiers non

routiniers seraient préservés, ceux qui mobilisent les compétences relationnelles et

l’empathie (les aidants, les soignants) et qui font preuve de sens artistique et

créatif (métiers d’art et d’artisanat). Dans certains secteurs, l’IA prendra de plus

en plus en charge les aspects techniques, l’avenir sera aux compétences

comportementales (softs skills), les aptitudes relevant du savoir-être, par

opposition aux compétences techniques, de la capacité d’adaptation, de la

motivation, du sens de l’initiative ou de l’organisation, mais aussi de l’intelligence

émotionnelle. Pour Patrick Albert, président du Hub France IA, « le sens de la

réalité est le grand absent de l’intelligence artificielle. Conscience et émotion ne

peuvent qu’être simulées par les machines ». Ce sont des traits profondément

humains. Les compétences sociales de haut niveau deviendront de plus en plus

précieuses. Ce sera le cas du secteur tertiaire qui, en France, représente

aujourd’hui 77 % des emplois contre 65 % au début des années 1980 ; les services

prendront encore plus de place à l’avenir à l’instar des relations commerciales où

les compétences relationnelles et l’attachement au client sont susceptibles de voir

leur importance croître.

Le COE a identifié les compétences de demain, qui sont en fait déjà celles

d’aujourd’hui :

– des compétences expertes dans la « Tech » elle-même et dans tous les

secteurs économiques utilisateurs de ces technologies, ces compétences étant liées

au développement, au déploiement et à la maintenance des technologies ;

– des compétences professionnelles nouvelles intervenant dans le contexte

de la transformation d’environ 50 % des emplois (soit des compétences

numériques, soit des compétences professionnelles nouvelles nécessitées par la

recomposition des emplois) ;

–– 19 ––

– et, pour tous les actifs, trois groupes de compétences transversales qui

recouvrent des compétences numériques générales dites de base, des compétences

sociales et situationnelles et des compétences cognitives liées à la maîtrise de

l’usage des chiffres (numératie) et des mots (littératie).

A cet égard, le COE souligne que la France souffre d’une pénurie de

compétences « Tech », avec 80 000 emplois vacants en 2020, que 8 % des actifs

français n’ont aucune compétence numérique de base et que 27 % d’entre eux

devraient progresser pour être plus à l’aise en la matière, que 13 % des actifs en

emploi n’ont pas les compétences cognitives de base (numératie et littératie) et

que 30 % devraient progresser en la matière. Et c’est sans compter les déficits en

nouvelles compétences professionnelles demandées dans le cadre de la

transformation des emplois.

Ce bilan est d’autant plus alarmant que les savoirs sont rapidement

périmés, y compris et surtout les savoirs numériques. Tout va très vite. On parle

d’une obsolescence accélérée des compétences. Dans un monde en perpétuelle

évolution, la créativité, cette capacité de l’homme à établir des liens entre des

réalités qui n’ont, a priori, aucun rapport entre elles, aura toute son importance.

On vante les 4 C pour créativité, esprit critique, communication et coopération

comme la solution. Si dans les années 1970 on pouvait envisager de faire toute sa

carrière à partir de sa formation de base, souvent même dans la même entreprise,

aujourd’hui on évoque des cycles de trois ans, voire même de six à dix-huit mois

dans l’informatique, selon Michel Barabel, professeur à l’Executive Mastère

spécialisé en ressources humaines de Sciences Po Paris. Les compétences et les

connaissances se périment très vite également pour Sandrine Aboubadra-Pauly,

experte à France Stratégie, qui estime que si le contenu des emplois va évoluer

vers plus de créativité, d’adaptabilité, de résolution de problèmes, « toutes ces

qualités s’appuient sur des compétences techniques de plus en plus pointues ».

Néanmoins, à l’instar de Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de

philosophie et professeur à la Sorbonne, il faut garder à l’eprit que « sans

acceptation sociale, tous les progrès technologiques ne seront pas saisis, même

quand ils entraînent un gain par ailleurs ». L’homme est attaché aux relations

humaines. Qui souhaite aller au restaurant sans serveurs, au supermarché sans

employés, regarder un match arbitré par la seule vidéo. « Un monde complètement

rationnel serait d’un ennui total ». Déjà dans un passé récent, l’arrivée des

technologies s’est heurtée à la réalité de certains métiers, à l’instar des salons de

coiffure où l’arrivée d’écrans permettant aux clients de choisir coupe et couleur de

cheveux n’a pas rencontré le succès escompté. Ce sont les clients qui refuseront le

remplacement des vendeurs par des robots dans le prêt-à-porter par exemple.

–– 20 ––

Néanmoins, difficile de faire plus qu’imaginer les métiers du futur. Pour le

World Economic Forum, ils n’existeraient pas encore. Il n’en demeure pas moins

que le capital humain reste un atout concurrentiel dans un monde incertain et

volatil. La tendance est déjà là : les emplois monocompétences déclinent, les

profils combinant différentes expertises ont la cote. Certaines dérives apparaissent

même. Depuis un an ou deux certains profils particuliers, aux « compétences

déviantes » (mad skills) sont recherchés. Ces individus sont aussi appelés

« corsaires », à distinguer des « rameurs » qui sont des clones, selon Michel

Barabel. Ainsi, dans la Silicon Valley, certains tricheraient sur leur CV en se disant

autistes, afin de décrocher un emploi.

Une certitude demeure : le progrès technologique n’est pas une option et la

rapidité d’adaptation est aussi un critère de succès dans un contexte mondialisé.

La grande majorité des actifs, quel que soit leur niveau de qualification, devra

suivre des transitions vers des emplois ou s’adapter aux nouvelles compétences

demandées, sous peine d’être « déclassés ». Celles-ci sont de différentes natures :

des compétences numériques, techniques, sociales (travail en équipe, capacité

d’écoute), cognitives (savoir résoudre des problèmes complexes, innover),

personnelles (adaptabilité, esprit d’initiative, empathie), selon Bidet-Mayer et

Toubal1. Différents moyens existent pour y parvenir comme la gestion

prévisionnelle des emplois (GPEC), la mise en place de formations adaptées, le

renouvellement des pratiques pédagogiques, l’organisation responsabilisante, plus

agile, plus souple, moins en silo et plus horizontale, des entreprises qui laisse plus

d’autonomie aux collaborateurs. L’outil numérique peut et doit permettre

d’inventer de nouveaux modèles productifs et organisationnels pour que la

transition permette le « reversement » des emplois menacés vers d’autres emplois

en extension. Le défi majeur qui se pose aux pouvoirs publics est d’anticiper et

accompagner ces mutations, en particulier en portant une attention accrue à la

formation initiale mais aussi continue.

D. L’IMPACT SUR LA LOCALISATION DE L’EMPLOI

1. Au plan international

En transformant les modes de production ou en réduisant les coûts de

coordination d’acteurs éloignés géographiquement, les innovations technologiques

peuvent modifier le poids attribué aux différents déterminants (taille et croissance

du marché local ; coûts de production dont coûts salariaux et coûts de transport ;

disponibilité en ressources naturelles ou en fournisseurs ou en travailleurs aux

1 Bidet-Mayer T., Toubal L., 2016, « Travail industriel à l’ère du numérique », Les Notes de La Fabrique, n°16, Presse des Mines.

–– 21 ––

compétences adéquates ; contexte institutionnel lié à la fiscalité ou à la protection

des contrats et de la propriété intellectuelle ; environnement concurrentiel) qui

interviennent dans le choix d’implantation d’une entreprise.

En abaissant les coûts de la distance, les TIC ont pu favoriser des

délocalisations de certaines activités routinières industrielles et de services vers

des pays où le coût du travail est faible. Cette tendance qui est en cours depuis les

années 1980 pourrait s’atténuer voire s’inverser grâce en particulier aux

possibilités croissantes d’automatisation.

La diffusion des technologies numériques et robotiques, combinée à des

transformations de la demande, des hausses des coûts de production dans les pays

émergents et des coûts de transports, pourrait être favorable à des retours

d’activités préalablement délocalisés vers les pays émergents. Les nouveaux

modes de consommation, tendant à privilégier les circuits courts et plus qualitatifs

par exemple, pourraient conduire les entreprises à privilégier une localisation à

proximité de ceux-ci. Il faut ajouter à cela les réglementations environnementales

plus contraignantes.

Difficile cependant d’anticiper, au stade actuel, un mouvement de

relocalisation de grande ampleur, même s’il demeure, selon les experts, que ce

sont les entreprises intensives en technologie qui rapatrient le plus leurs activités.

Tout aussi difficile d’apprécier les effets de ces choix de localisation des

entreprises sur l’emploi domestique, faute notamment d’études existantes.

2. Au plan national

Il semble plus aisé d’escompter que les nouvelles technologies

contribueront à accroître la tendance à la concentration des activités en particulier

dans les grandes villes, ou du moins tant que tous les territoires ne bénéficieront

pas d’une couverture numérique de même qualité.

La diffusion actuelle et future des technologies numériques a des effets

différents sur l’emploi selon la composition sectorielle et le type de travailleurs de

la zone d’emploi considérée. D’une part, les territoires les plus susceptibles de

connaître des destructions d’emploi en raison de l’automatisation seraient ceux où

les secteurs industriels traditionnels faiblement intensifs en technologie

représentent une grande part de l’emploi, en particulier si ces territoires sont

spécialisés dans ces secteurs, mais aussi s’ils sont caractérisés par une forte

densité en travailleurs peu qualifiés et où les métiers intensifs en tâches routinières

pèsent beaucoup dans l’emploi local. D’autre part, les territoires qui pourraient

bénéficier de la diffusion des technologies seraient d’abord ceux capables d’attirer

–– 22 ––

des relocalisations notamment industrielles, ensuite, les aires urbaines où les

entreprises peuvent profiter d’économies d’agglomération et disposer de talents

dont les compétences sont complémentaires des nouvelles technologies.

Enfin, des effets plus indirects peuvent se faire sentir sur l’emploi local en

favorisant le développement d’emplois induits, notamment en créant des emplois

dans les services qualifiés et peu qualifiés au sein de la même économie locale. La

valeur de cet effet multiplicateur n’est pas encore précisément établie.

–– 23 ––

ANNEXE I : QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX SECTIONS

La troisième révolution numérique est en cours dans le monde

économique avec l’arrivée des plates-formes Internet, des objets connectés, de la

robotisation, de l’intelligence artificielle, du traitement des données de masse (big

data), des imprimantes 3D…

Dans les pays développés, l’économie numérique regroupe trois catégories

d’acteurs :

– Les entreprises des secteurs producteurs des technologies de

l’information et de la communication (TIC), dont les activités s’exercent dans les

domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique (les

opérateurs de télécoms, les équipementiers télécoms, les équipementiers

informatiques, les fabricants d’électronique grand public, les fabricants de

composants/systèmes électroniques, les éditeurs de logiciels, de logiciels de jeux,

les sociétés de services informatiques).

– La nouvelle économie, c’est-à-dire les entreprises dont l’existence est

liée à l’émergence des TIC (commerces et services en ligne, médias et contenus en

ligne, Internet à destination des consommateurs finaux –BtoC-…).

– Les entreprises des secteurs usagers, c’est-à-dire qui utilisent les TIC

dans leur activité et gagnent en productivité grâce à elles (banques, assurances,

automobile, aéronautique, distribution, administration, tourisme…).

Dans ces mêmes pays, une inquiétude se développe s’agissant de l’impact

de cette numérisation sur l’emploi et le travail. Au plan quantitatif, les

développements technologiques en cours vont-ils réduire la quantité de travail et

d’emplois, du fait des gains de productivité qui y sont associés ? Au plan

qualitatif, la technologie transforme-t-elle la nature, la structure, l’organisation du

travail et des travailleurs ?

1) Quel est le niveau de numérisation de l’économie de votre pays ?

Comment est perçue cette numérisation par les populations ?

2) Quels sont les différents acteurs de l’économie numérique dans votre

pays ?

3) Quelle est la situation de l’emploi dans votre pays au regard de la

numérisation de l’économie en cours ? L’introduction des TIC menace-t-elle les

emplois existants ? Ou le numérique offre-t-il plutôt des perspectives de créations

d’emplois ? Disposez-vous d’éléments chiffrés ?

–– 24 ––

4) L’introduction des TIC a-t-elle provoqué la disparition de certains

métiers ? A-t-elle provoqué la création de nouveaux métiers ? Citez des exemples.

5) Les conditions de travail, l’organisation du travail, le contenu du travail,

les compétences des travailleurs sont-ils impactés par la numérisation ? Citez des

exemples.

6) Quels sont les enjeux pour l’éducation et la formation dans votre pays ?

7) La diffusion des TIC dans les entreprises a-t-elle conduit à des

délocalisations, d’un territoire à l’autre au sein de votre pays, à l’extérieur de votre

pays ?

8) Les autorités politiques de votre pays ont-elles engagé des mesures

particulières pour réagir à ce phénomène, l’accompagner, le réguler ?