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En vieillissantles hommes pleurent

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DU MÊME AUTEUR

La Nuit dépeuplée, Plon, 2001.Le Sacre de l’enfant mort, Plon, 2004.

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Jean-Luc Seigle

En vieillissantles hommes pleurent

suivi de

L’Imaginot

roman

Flammarion

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© Flammarion, 2012.ISBN : 978-2-0812-8130-1

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à Alexis LahellecPour m’avoir rouvert le chemin vers les années 1960

à Jeanne et UlyssePour m’avoir accueilli dans leur vie comme leur enfant

à Françoise VernyPour lui avoir si longtemps désobéi

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« Un ouvrier c’est comme un vieux pneu,Quand y’en a un qui crève,

On l’entend même pas crever. »

Jacques Prévert, Citroën. 1933,poème en soutien à la Grève des ouvriers

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9 juillet 1961

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LE LEVER DU JOUR

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Il faisait déjà une chaleur à crever. Nu, écrasé surson lit, les yeux grands ouverts, Albert Chassaingappuya sur le bouton du ventilo en plastique bleuposé sur la table de nuit. Une impression d’air et defraîcheur. La sueur se refroidissait sur son visage, surson torse et sur ses cuisses. Il respirait enfin. Alberttravaillait « au noir » chez Michelin, à la gomme despneus, la gomme en fusion qui venait des hévéas del’Indochine perdue, qui puait et qui les étouffait lesuns après les autres ; l’air brassé par le ventilo venaità son secours, mais, à force de vibrer sur sa peau, ilfinit par lui rappeler l’existence de son corps. C’étaitinsoutenable. Ce corps que Suzanne ne sollicitaitplus depuis longtemps. De toute façon, il n’arrivaitmême plus à bander. En finir le libérerait de toutça. Albert ne pensait pas à mourir, il avait juste ledésir d’en finir. Mourir ne serait que le moyen.

Ce n’était pas la première fois qu’il se réveillaitavec cette idée en tête. Y avait-il plus de raisons dele faire que les autres jours, ou seulement quelque

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chose de plus apaisant ce matin à se laisser envahirpar cette idée ? Quand ça avait-il commencé ? Yavait-il eu un temps dans sa vie où ça n’avait pasété en lui ? Peut-être, après la mort de son pèrequand il s’était retrouvé seul avec sa mère et sa petitesœur. C’était si loin. Il avait quinze ans. C’était en1923. Et nous étions en 1961. Des joies, Albert enconnaissait encore, des petits bonheurs de rien dutout, des impressions fugaces et impartageables. Larosée qui exhale l’odeur de la terre. Il n’aimait rienplus que cette odeur préhistorique quand il rentraitde l’usine le matin très tôt après une nuit dans l’enferdes pneus. Le chant des oiseaux ressuscités aprèsl’hiver dans le cerisier, ou encore cette façon que levent a de transformer un champ de blé en houlejaune et sèche. Il aimait tous ces minuscules plaisirset d’autres encore que Suzanne n’aimait pas, avoirles ongles noirs, transpirer comme un bœuf et sentirl’odeur des vaches et du fumier. C’était la premièrefois qu’il pensait au bonheur en même temps qu’àl’idée d’en finir. Peut-être parce que ce désir de lafin était ancré en lui depuis très longtemps, commeune balle qui se serait logée dans son corps sans letuer. Il avait connu un gars, Armand Delpastre, quiavait longtemps vécu avec une balle allemande dansle cerveau et qui disait tout le temps « Moi, le métal,ça me connaît ! », puis il partait d’un grand éclat derire laissant apparaître toutes ses dents en or. Unmarrant, ce Delpastre. Tout alla bien jusqu’au jouroù la balle, en temps de paix, acheva sa trajectoire ;un seul millimètre suffit pour le tuer dans son

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sommeil. Chez Albert, la balle imaginaire s’étaitlogée tout près du cœur.

La photographie de son mariage accrochée aumur, en face du lit, l’aida à fixer son attention. Danssa robe blanche qui tombait autour d’elle en colonne,Suzanne ressemblait à une vierge ancienne avec sapetite gerbe de glaïeuls blancs et d’asparagus qu’elletenait comme un enfant dans ses bras. Vingt-deuxans plus tard, elle dormait encore profondément àcôté de lui, peut-être même qu’elle rêvait. Le jourse levait à peine. Ça sentait encore la nuit. Il pensaà sa vieille mère dans la chambre, de l’autre côté dumur qui avait encore passé une nuit blanche. Il pensaà Gilles qui s’était sûrement endormi sur un livre,repu de lecture, comme un nourrisson sur le sein desa mère. Il ne pensa pas à son fils aîné en Algérie.

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Albert faisait partie de ces ouvriers qui vivaientencore dans les villages, aux alentours de Clermont,ceux qui prenaient le car tous les soirs ou tous lesmatins pour aller chez Michelin ; tous nés paysans,mais qui n’avaient pas eu d’autre choix que d’aban-donner leurs terres pour gagner un peu mieux leurvie et celle de leur famille à l’usine. Ça avait nourrileurs ancêtres pendant des siècles, mais ça ne lesnourrissait plus, eux. C’était un mystère. Il restaitmalgré tout un paysan, et avait toujours tenu à mar-quer cette différence. C’était pour ça qu’il partageaitbien volontiers son casse-croûte avec les copains àl’heure de la pause, surtout la charcuterie qu’il avaitfaite lui-même. Son jambon était réputé dans toutel’usine, et les félicitations qu’il recevait, à chaquefois, valaient tous les compliments de son contre-maître sur sa cadence. Après ses huit heures d’usine,Albert n’avait pas de plus grande satisfaction que deredevenir un paysan et cela même si le travail dela terre rognait sur ses heures de sommeil. L’hiver,quand le froid et le mauvais temps l’empêchaient

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d’être dehors, il réparait des réveils dans un petitatelier qu’il s’était installé dans son garage, unappentis qu’il avait construit sur le côté de la maison.Sa passion pour l’horlogerie venait d’un phénomènequi le fascinait depuis toujours, à savoir qu’unemontre ou une horloge arrêtée ou même cassée don-nait, au moins deux fois par jour, la bonne heure.D’après lui, seule l’horlogerie était capable d’un telprodige, à la différence de n’importe quel autremécanisme qui, une fois endommagé, ne servait plusà rien.

Il pensait qu’un homme devait tout savoir faire :réparer, construire, cultiver son champ de pommesde terre, s’occuper de son jardin dans lequel il faisaitpousser, aux côtés des légumes, des dahlias jaunes etdes glaïeuls rouges pour que sa femme puisse fairedes bouquets ; élever des bêtes pour les manger, sur-tout un cochon, même si cette année il n’en avaitpas élevé puisqu’il restait encore deux jambonsentiers qui séchaient toujours dans le grenier, depuisque Suzanne leur préférait le jambon blanc qu’elleachetait à la charcuterie de Saint-Sauveur. C’étaitrien, cette histoire de jambon blanc, mais pourAlbert ce fut le premier signe de résistance quesa femme opposa au principe qu’il avait toujoursdéclaré : la nourriture, ça s’achète pas.

Et même si la cuisinière à bois avait été reléguéeau fond du garage et ne servait plus qu’à faire cuireles conserves, Albert coupait encore plusieurs stèresde bois par an. On ne sait jamais ! Il suffirait d’unenouvelle guerre mondiale dont il craignait encore

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Noédition : L.01ELJN000403.N001Dépôt légal : janvier 2012