en quÊte de la justice 1946 - chronique de la shoah...ces conquêtes placèrent un nombre...

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1946 EN QUÊTE DE LA JUSTICE Ce Juif, rescapé de la Shoah, ancien prisonnier immatriculé B-12077, trouva un travail utile en Palestine. ALORS qu’une tempête de neige faisait rage, un jour de fin novembre 1946, une femme juive du nom de Gerda Weissmann Klein ren- trait chez elle après avoir fait ses courses à l’épicerie de Buffalo, dans l’État de New York. Ces courses à l’épicerie revêtaient pour elle une grande importance. Les mots et les images figurant sur les produits l’aidaient à apprendre l’anglais. Les étagères bien approvisionnées la rassuraient ; leur profusion, semblait-il intarissable, signifiait qu’elle ne serait plus jamais minée par la faim. Après avoir déballé ses provisions, Gerda prit le pain qu’elle venait d’ache- ter, s’assit près d’une fenêtre dans sa salle de séjour et – en observant les bourrasques – se mit à manger. Si frais fût-il, le pain devint bientôt salé et humide, les larmes coulant sur son repas. Rescapée de la Shoah, Gerda Klein, dont la remarquable histoire devint le sujet d’un documentaire primé intitulé One Survivor Remembers, rapporte cet épisode dans son récit All But My Life. Tandis qu’elle mangeait, sa mémoire lui dit qu’elle avait tort. « Pendant les longues années de privations, se souvient-elle, j’avais rêvé de manger à ma faim dans un endroit chaud, en paix, mais je n’ai jamais pensé que je mangerais mon pain seule. » Mariée à Kurt Klein, un ancien lieutenant de l’armée américaine, Gerda n’était pas seule, fin novembre 1946 – et pourtant… Née en 1924, Gerda Weissmann avait assisté à l’occupation par les Allemands de sa ville natale, Bielitz (Pologne), en 1939. Elle avait passé plusieurs années dans les camps de travail nazi, subi les terribles marches de la mort en 1945 avant l’arrivée des soldats américains, parmi eux, Kurt Klein, qui la libéra, début mai, à Volary, en Tchécoslovaquie. Après s’être rencontrés à Volary et être tombés amoureux l’un de l’autre, Kurt et Gerda se marièrent. Ils s’installèrent à Buffalo en septembre 1946 et commencèrent ensemble une longue vie réussie. Cependant, ce que Gerda appelle « des souvenirs lancinants » ou « une solitude envahissante » l’affec- tent toujours, parce qu’elle a perdu la plupart des membres de sa famille et de nombreux amis dans la Shoah. Tandis que Gerda Klein était en proie à sa douleur, le général américain Telford Taylor s’efforçait de traduire en justice les assassins nazis. Juriste che- vronné, Taylor avait fait partie de l’équipe réunie l’année précédente par Robert H. Jackson, le juge de la Cour suprême américaine qui était alors le principal procureur américain au Tribunal militaire international (TMI). Comprenant des représentants de France, de Grande-Bretagne et d’Union soviétique, ainsi que des États-Unis, le TMI avait passé douze mois à engager des poursuites contre 24 dirigeants nazis. 639

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Page 1: EN QUÊTE DE LA JUSTICE 1946 - Chronique de la Shoah...Ces conquêtes placèrent un nombre considérable de Juifs européens sous la domination nazie et permirent aux Einsatzgruppen

1946EN QUÊTE DE LA JUSTICE

Ce Juif, rescapé de la Shoah, ancien prisonnierimmatriculé B-12077, trouva un travail utile en Palestine.

ALORS qu’une tempête de neige faisait rage, un jour de finnovembre 1946, une femme juive du nom de Gerda Weissmann Klein ren-trait chez elle après avoir fait ses courses à l’épicerie de Buffalo, dans l’État deNew York. Ces courses à l’épicerie revêtaient pour elle une grande importance.Les mots et les images figurant sur les produits l’aidaient à apprendre l’anglais.Les étagères bien approvisionnées la rassuraient ; leur profusion, semblait-ilintarissable, signifiait qu’elle ne serait plus jamais minée par la faim.

Après avoir déballé ses provisions, Gerda prit le pain qu’elle venait d’ache-ter, s’assit près d’une fenêtre dans sa salle de séjour et – en observant lesbourrasques – se mit à manger. Si frais fût-il, le pain devint bientôt salé ethumide, les larmes coulant sur son repas.

Rescapée de la Shoah, Gerda Klein, dont la remarquable histoire devint lesujet d’un documentaire primé intitulé One Survivor Remembers, rapportecet épisode dans son récit All But My Life. Tandis qu’elle mangeait, samémoire lui dit qu’elle avait tort. « Pendant les longues années de privations,se souvient-elle, j’avais rêvé de manger à ma faim dans un endroit chaud, enpaix, mais je n’ai jamais pensé que je mangerais mon pain seule. »

Mariée à Kurt Klein, un ancien lieutenant de l’armée américaine, Gerdan’était pas seule, fin novembre 1946 – et pourtant… Née en 1924, GerdaWeissmann avait assisté à l’occupation par les Allemands de sa ville natale,Bielitz (Pologne), en 1939. Elle avait passé plusieurs années dans les campsde travail nazi, subi les terribles marches de la mort en 1945 avant l’arrivéedes soldats américains, parmi eux, Kurt Klein, qui la libéra, début mai, àVolary, en Tchécoslovaquie.

Après s’être rencontrés à Volary et être tombés amoureux l’un de l’autre,Kurt et Gerda se marièrent. Ils s’installèrent à Buffalo en septembre 1946 etcommencèrent ensemble une longue vie réussie. Cependant, ce que Gerdaappelle « des souvenirs lancinants » ou « une solitude envahissante » l’affec-tent toujours, parce qu’elle a perdu la plupart des membres de sa famille etde nombreux amis dans la Shoah.

Tandis que Gerda Klein était en proie à sa douleur, le général américainTelford Taylor s’efforçait de traduire en justice les assassins nazis. Juriste che-vronné, Taylor avait fait partie de l’équipe réunie l’année précédente parRobert H. Jackson, le juge de la Cour suprême américaine qui était alors leprincipal procureur américain au Tribunal militaire international (TMI).Comprenant des représentants de France, de Grande-Bretagne et d’Unionsoviétique, ainsi que des États-Unis, le TMI avait passé douze mois à engagerdes poursuites contre 24 dirigeants nazis.

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Page 2: EN QUÊTE DE LA JUSTICE 1946 - Chronique de la Shoah...Ces conquêtes placèrent un nombre considérable de Juifs européens sous la domination nazie et permirent aux Einsatzgruppen

Au cours des procès organisés dans la ville allemande de Nuremberg, leTMI présenta quatre chefs d’inculpation contre les accusés : 1. crimescontre la paix ; 2. crimes de guerre ; 3. crimes contre l’humanité ; et 4.complot en vue de commettre l’un des crimes précités. Ne mentionnant nil’Holocauste, ni la Shoah – ces termes n’étaient pas encore répandus – cesinculpations n’identifiaient pas spécifiquement ce qui était arrivé aux Juifsou aux autres populations civiles persécutés par les nazis et leurs collabo-rateurs. Cependant, l’article 6 de la Déclaration constitutive du TMI défi-nissait ainsi les crimes contre l’humanité : « l’assassinat, l’extermination, laréduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commiscontre toute population, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécu-tions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux… »

Taylor mena le procès contre le haut commandement allemand – lesgénéraux et amiraux qui dirigèrent les conquêtes militaires de l’Allemagnenazie. Ces conquêtes placèrent un nombre considérable de Juifs européenssous la domination nazie et permirent aux Einsatzgruppen, aux SS et à l’ar-mée allemande elle-même de mener une « guerre contre les Juifs ». Taylorn’avait pas pour mission de montrer que les membres du haut commande-ment allemand avaient eux aussi perpétré la Shoah ; il avait pour objectif defournir les preuves que les militaires de carrière de l’Allemagne nazie avaientmené la guerre de façon criminelle.

Lorsque les verdicts furent rendus, le 1er octobre 1946, 19 des accusésde Nuremberg – y compris Martin Bormann, chef de la chancellerie duparti nazi, jugé par contumace – furent reconnus coupables. Trois hommesfurent acquittés : Hjalmar Schacht, ancien ministre de l’Économie ; Franzvon Papen, premier vice-chancelier du gouvernement nazi ; et HansFritzsche, chef du département de la Radio au ministère de la Propa-gande. Taylor atteignit cependant son objectif lorsque des verdicts de cul-pabilité furent prononcés contre des chefs militaires nazis : WilhelmKeitel, chef d’état-major du haut commandement de la Wehrmacht, etAlfred Jodl, chef des opérations de la Wehrmacht.

Sept accusés furent condamnés à des peines de prison, de dix ans à laperpétuité. Douze accusés – dont Keitel et Jodl – furent condamnés à êtrependus. Dix exécutions eurent lieu aux premières heures du matin du 16octobre 1946. Absent, Bormann avait été jugé par contumace. Peu avantd’être pendu, Hermann Göring, le commandant en chef de la Luftwaffe,évita l’échafaud en se suicidant avec du cyanure.

La quête de la justice à Nuremberg ne prit pas fin lorsque le TMI ter-mina ses travaux en automne 1946. Des milliers de procès pour crimes deguerre nazis eurent lieu dans plusieurs pays, avant et après ceux du TMI.Commencés en décembre 1946 et terminés en avril 1949, les 12 procès deNuremberg qui suivirent se déroulèrent sous l’autorité judiciaire desÉtats-Unis. Désormais avocat général de l’accusation, Telford Taylor jouaun rôle-clé dans ces procès qui portèrent finalement sur 185 nazis : méde-cins, juristes, industriels, militaires et dirigeants SS (y compris lesmembres des Einsatzgruppen), ainsi que des experts et des fonctionnaires.Les actes d’accusation mentionnaient divers crimes : expériences médi-cales contraires à l’éthique et participation au programme d’euthanasie del’Allemagne nazie, exploitation du travail d’êtres réduits en esclavage,administration des camps de concentration et meurtres en masse.

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1946

Andrew Klein (à droite), rescapéd’Auschwitz, est accueilli à NewYork par son frère, William.

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Sur les 142 accusés reconnus coupables, 25furent condamnés à mort, mais 12 seulementfurent exécutés, dont Otto Ohlendorf, chef del’Einsatzgruppe D. En 1941-42, son escadron de lamort, qui était attaché à la 11ème armée de l’Alle-magne nazie, assassina 90 000 hommes, femmes etenfants, pour la plupart juifs, en Ukraine, en Cri-mée et dans d’autres régions du secteur sud dufront de l’Est. Témoin à charge dans les premiersprocès de Nuremberg, Ohlendorf avait déclaréqu’il était « inconcevable qu’un chef d’un grademoins élevé n’exécute pas les ordres donnés par les dirigeants de l’État. »

Condamné à mort en avril 1948, Ohlendorf passa plus de trois ans enprison avant d’être pendu dans la prison de Landsberg, le 8 juin 1951. Àcette époque, plus de la moitié des 142 accusés reconnus coupables aucours des seconds procès de Nuremberg avaient été libérés et d’autresavaient bénéficié de réductions de peines, le nouveau climat politique dela Guerre froide incitant à renforcer l’Allemagne de l’Ouest pour contenirl’expansion soviétique. Nombre d’anciens accusés, notamment les indus-triels et certains experts, reprirent leur carrière et reçurent des pensionsde retraite.

Même si toutes les sentences prononcées contre les criminels de guerrenazis avaient été pleinement exécutées, la justice et les procès ne seraientpas parvenus à poursuivre et à punir tous les responsables, tous ceux quisont à l’origine des souvenirs lancinants et de la solitude envahissante queconnaissent des rescapés comme Gerda Weissmann Klein. La justice n’au-rait pas pu non plus faire revenir les millions de personnes massacréesdurant la Shoah.

Il n’en demeure pas moins que les procès – ceux de 1946 comme ceuxqui suivirent – revêtent une signification pour les raisons soulignées parTelford Taylor, le 9 décembre lorsqu’il ouvrit le « procès des médecins », lepremier de la deuxième série des procès de Nuremberg. « C’est fonda-mentalement une obligation envers tous les peuples du monde, déclara-t-il, de montrer pourquoi et comment ces choses se sont produites. Il nousincombe de présenter avec la plus grande précision les idées et les moti-vations qui déterminèrent ces accusés à traiter leurs semblables demanière pire que des animaux. » Il cita ensuite le juge Jackson : « Lesactes que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédités, simauvais et si dévastateurs que la civilisation ne peut pas tolérer qu’ilssoient ignorés, parce qu’elle ne pourrait pas survivre à leur répétition. »

Tandis que Taylor prononçait ces mots, la vie de Gerda Klein, à Buffalo,dans l’État de New York, continuait. Près d’un demi-siècle plus tard, elleretourna à Volary, en Tchécoslovaquie, l’endroit où elle avait été libérée.« Je me suis arrêtée, écrivit-elle dans All But My Life, sur les tombes desamis que j’ai tant aimés, qui n’eurent jamais le privilège de connaître lajoie de la liberté, l’assurance de disposer d’un pain, ou le bonheursuprême de tenir un enfant dans les bras. » Le souvenir qu’elle garde desmorts de la Shoah, ajoute-t-elle, « soulève la question sans réponse quime hante depuis le jour où je les ai quittés ici : Pourquoi ? »

Comme aucune quête de la justice ne pourra jamais y répondre, cettequestion – pourquoi ? – continuera à être posée chaque fois que la Shoahsera évoquée.

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Ceux qui furent accusés de crimesde guerre furent souvent extradés.Cet avion conduit en Polognediverses personnes accusées decrimes de guerre.

Dorothy Levy de l’American JointDistribution Committee porte unepetite fille dans le camp de Berlin-Duppel pour les Juifs déplacés.

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1946•1946 : Suicide du géopoliticienallemand Karl Haushofer, dont les théo-ries sur l’espace territorial comme compo-sant essentiel de la puissance d’unenation, furent adoptées et déformées parles nazis. • L’ancien ministre de la Justicedu Reich, Otto Thierack se suicide àNuremberg (Allemagne) avant d’être jugépour crimes de guerre. • Vojtech Tuka,ancien premier ministre de Slovaquie,

meurt de mort naturelle avant d’être exé-cuté pour les déportations de Juifs dansles camps de la mort. • 96 000 anciens SSdéclarent sous serment qu’ils n’étaientpas au courant des atrocités perpétréescontre les Juifs et d’autres personnes.

• Les Juifs évadés du camp deconcentration de Maly Trostinets(Biélorussie) six jours avant sa libéra-

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Le sionismeLe mouvement national du peuple juif est

appelé sionisme. L’objectif premier du mouve-ment sioniste est la création d’une patrie natio-nale pour les Juifs. Bien que des progrès aientété enregistrés avant 1939, la nécessité decréer une nation juive revêtit une plus grandeurgence après la Shoah.

Durant la guerre, l’immigration juive enPalestine était strictement limitée par laGrande-Bretagne, puissance mandataire dansce territoire. Cependant, en Europe, les sio-nistes travaillèrent fébrilement pour introduireclandestinement leurs frères en Palestine, etplusieurs milliers de réfugiés juifs réussirent àéchapper aux Britanniques.

Après la guerre, les militants sionistes serendirent dans les camps de personnes dépla-cées établis pour la plupart en Allemagne pourhéberger les réfugiés juifs. Ces militants encou-ragèrent les rescapés de la Shoah, comme le

couple pho-tographiéici, à immi-grer enPalestine.Ils se mon-trèrentconvain-cants,arguant queseule une

nation juive pouvait assurer la sécurité dupeuple juif. La Grande-Bretagne refusait tou-jours d’ouvrir les portes à l’immigration desréfugiés juifs et renvoya en Europe la majeurepartie des 65 bateaux de réfugiés. Le sort desJuifs renvoyés des rivages de Palestine contri-bua à l’instauration d’un consensus parmi lespuissances du monde sur la nécessité de fairede la Palestine un État juif. Par la suite, le mili-tantisme juif sioniste et le soutien des Nationsunies conduisirent à l’indépendance de l’Étatd’Israël en 1948.

Marga (àdroite), la femmed’Heinrich Himm-ler, et sa filleGudrun (àgauche) furentarrêtées après laguerre. Il futd’usage, après laguerre, de placeren garde à vuedes membres dela famille des diri-geants nazis. Bienque la plupartn’aient jamais étéaccusés de crimes, ils étaient cependant susceptibles deconnaître l’endroit où se cachaient des pères et desmaris dont les Alliés souhaitaient s’emparer. Margasavait probablement peu de choses sur Heinrich qui nelui prêtait guère attention. Il avait une maîtresse, de vingtans sa cadette, qui lui donna deux enfants.

Dans bien des cas, les Alliés furent contraints, après laguerre, d’utiliser les anciens camps de concentration pourabriter les personnes déplacées. Les habitants des campsde personnes déplacées s’adonnaient souvent à l’artisa-nat pour s’occuper. Cette photographie montre une cartede Rosh Hashana confectionnée par Josef Lipnicki dans lecamp de personnes déplacées de Bergen-Belsen, en Alle-magne.

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tion par l’Armée rouge en juin 1944,sont libérés d’un camp de détentionsoviétique en Sibérie. • Les Alliés etla Suisse acceptent de restituer lesbiens pillés par les nazis dans les tré-sors des nations conquises. Rien n’estprévu pour la restitution des biensvolés aux individus ; voir mai 1996.

• 3 février 1946 : Friedrich Jeckeln,

ancien SS-Obergruppenführer enUnion soviétique et dans lesRépubliques baltes, est pendu dansl’ancien ghetto de Riga (Lettonie)après avoir été reconnu coupable decrimes de guerre.

• 5 février 1946 : Des antisémitespolonais assassinent quatre Juifs dansla forêt de Parczew, en Pologne.

• Mars 1946 : Les survivants d’unorchestre juif d’un camp de concen-tration exécutent quelques morceauxet chants des ghettos pour lesmembres du tribunal de Nurembergà l’opéra de la ville.

• 12 mars 1946 : Reconnu coupablede crimes de guerre, Ferenc Szálasi,l’ancien chef du gouvernement

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L’un des objectifs majeurs des nazis était d’anéantir entièrement laculture des Juifs d’Europe, et les rescapés furent déterminés à ne pas donnerà Hitler une victoire posthume dans ce domaine. Ici, des enfants du campde personnes déplacées de Landsberg, en Allemagne, étudient un texte reli-gieux en hébreu. La plupart de ces enfants déplacés n’avaient jamais reçuune telle instruction, parce que les nazis l’interdisaient et exécutaient tousceux qui tentaient d’enseigner le judaïsme.

Ferenc Szálasi, mort. Dirigeant dumouvement des Croix fléchées, il fut àla tête d’un gouvernement fasciste enHongrie durant la dernière année dela guerre. Il organisa un coup deforce contre le gouvernement del’amiral Miklós Horthy lorsque ce der-nier tenta de conclure une paix avecles Soviétiques durant l’automne1944. Proche allié des Allemands, legouvernement de Szálasi persécutaviolemment la population juive deHongrie. Szálasi fut exécuté le 12mars 1946.

Un grand nombre de personnesdéplacées s’installèrent aux États-Unisen vertu de l’acte d’immigrationadopté en décembre 1945 par leprésident Harry Truman. Ici, une per-sonne déplacée, passagère à borddu Marine Flasher, arrive à NewYork. À l’instar de quelques autresimmigrants de l’après-guerre, cettefemme a apparemment de la familleet des amis qui vivent déjà aux États-Unis. De tels contacts aidaient lesnouveaux arrivants à s’adapter à leurnouveau pays.

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1946fantoche contrôlé par les nazis enHongrie, est exécuté ; voir 22 mars1946.

• 14 mars 1946 : À Varsovie, desvoyous polonais arrêtent une voitureofficielle arborant un drapeau britan-nique. Ils font sortir quatre passagersqu’ils soupçonnent d’être juifs et lesabattent.

• 19 mars 1946 : Haïm Hirszman, l’un des22 survivants du camp de la mort de Bel-zec, est assassiné par des antisémites polo-nais à Lublin (Pologne) après avoir donnéson témoignage pendant une journée surles horreurs auxquelles il avait assisté.

• 22 mars 1946 : Döme Szojay, ancienpremier ministre du gouvernementfantoche contrôlé par les nazis en Hon-

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Pendant plusieurs années, les nazis avaient interdit l’observance desrites, aspect déterminant du judaïsme se traduisant souvent par un repaspris en commun, notamment le séder de Pâque. Ici, des enfants du camp depersonnes déplacées de Landsberg, en Allemagne, participent au séder.Pour nombre d’entre eux, c’était une première.

En tant que directeur général del’UNRRA,Fiorello LaGuardia,ancien maire de New York, dirigeal’action menée par les Nationsunies en faveur des personnesdéplacées d’Europe. Il fait ici undiscours dans le camp de DP deSchlachtensee. LaGuardia, dont lamère était juive, s’exprima en yid-dish, ce que l’assistance appréciacertainement.

Ce document, rédigé par le com-mandant du camp, Rudolf Höss,daté du 14 mai 1946, atteste, ences termes, du nombre de Juifs assas-sinés à Auschwitz : « Par laprésente, je déclare sous sermentqu’au cours des années 1941 à1943, alors que j’étais commandantdu camp de concentration d’Ausch-witz, deux millions de Juifs furent misà mort par gazage et environ undemi million par d’autres moyens. »Les historiens ont depuis lors concluque le nombre de victimes mortes àAuschwitz s’échelonnait entre 1,1 et1,6 million.

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grie, est exécuté après avoir étéreconnu coupable de crimes de guerre.

• 28 mars 1946 : Des dirigeants juifsse rendant de Cracovie à Lodz, enPologne, sont torturés et assassinéspar des antisémites polonais.

• 21 avril 1946 : Cinq Juifs rescapés descamps de concentration, conduisant

près de Nowy Targ, en Pologne, sontarrêtés à un faux barrage de police etabattus. La victime la plus âgée avait 35ans, une autre 25 et les trois autres 22ans ; voir 24 avril 1946.

• 24 avril 1946 : Cinq mille Juifs, quiassistent à l’enterrement des cinqJuifs assassinés trois jours plus tôt pardes Polonais à Nowy Targ (Pologne),

sont insultés et raillés depuis les toitset les fenêtres par des antisémites ;voir 30 avril 1946.

• 30 avril 1946 : Sept Juifs sont assas-sinés par des Polonais antisémites àNowy Targ, en Pologne, très près del’endroit où cinq autres Juifs avaientété abattus, le 21 avril ; voir 2 mai1946.

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1 9 4 6 • E N Q U Ê T E D E L A J U S T I C E

HONGRIE

POLOGNE

mer duNord

mer BaltiqueN

PAYS-BAS

BELGIQUE

LUXEMBOURG

SUISSE

TCHÉCOSLOVAQUIE

ALLEMAGNE

FRANCE

ITALIE

Zones d’occupation

États-Unis

Grande-Bretagne

France

Union soviétique

0 150 miles

0 150 kilomètres

�Neustadt

Berlin�

Belsen�

Hambourg�

Lichtenau�

Base aérienned’Eschwege�

Bad Salzschlirf�Bamberg�

Zeilsheim�

Lampertheim�Bensheim�

Fürth�Stuttgart

�Heidenheim�Deggendorf

�St.Ottilien

�Munich�Landsberg�

Gabersee� Linz

�Wels

�Salzbourg�

Hallein�Saalfelden�

Bad Reichenhall� Ebensee�

Badgastein�

Judenbürg�

Admont�

Vienne�

Ulm�

CAMPS DE PERSONNES DÉPLACÉES, 1945-1946

Après la guerre, plus d’un million et demi d’Européens – dont deux centcinquante mille Juifs – ne souhaitaient pas ou ne pouvaient pas retournerchez eux. Ils demeurèrent temporairement dans des camps de personnesdéplacées gérés par les pays alliés. En 1951, plus des deux-tiers despersonnes déplacées juives avaient émigré en Israël.

Après leur libération, les Juifseuropéens étaient déterminés à résister à toutes les formes de persé-cutions fort répandues dans l’Europed’après-guerre, notamment enPologne. Ces Juifs manifestent enfaveur d’un partenariat judéo-polonais appelant les deux groupesà œuvrer ensemble pour reconstruireleur pays après les terribles annéesde l’occupation nazie. Environ 2,8millions de Juifs polonais avaient péridurant la Shoah.

Aucune partie de l’Europe occu-pée ou du Reich de la Grande Alle-magne ne fut épargnée par laShoah et ses conséquences. Cesenfants, pour la plupart vraisembla-blement orphelins pendant lesannées de guerre, furent transférésdans un camp de personnes dépla-cées à Salzbourg, en Autriche. Lesenfants dont les parents avaientpéri n’avaient nulle part où alleraprès la guerre. Ils durent attendred’être adoptés par des famillesattentionnées.

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1946• Mai 1946 : Eliyahou Lipszowicz,ancien chef de partisans juifs et offi-cier de l’Armée rouge, est assassinépar un Polonais antisémite à Legnica,en Pologne. • Oswald Pohl, anciengénéral SS chargé des travaux dansles camps et des objets de valeurvolés aux détenus, est découvert dansune cachette et arrêté.

• 1er mai 1946 : La recommandationde la commission d’enquête anglo-américaine d’autoriser 100 000 Juifsdéplacés à pénétrer en Palestine estrejetée par le gouvernement britan-nique, puissance mandataire enPalestine.

• 2 mai 1946 : À Cracovie, enPologne, organisation d’un office

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Le bateau Josiah Wedgewood tenta d’acheminer enPalestine des immigrants clandestins. Mais il fut surprispar le bâtiment britannique, le Venus, et ses passagersfurent emmenés dans le camp de détention d’Athlit, enPalestine. Ici, quelques passagers du JosiahWedgewood dansent la hora sur le pont du bateau.

Le bateauHaviva Reik,qui avait trans-porté en Pales-tine desimmigrantsclandestins, futarraisonné parle destroyerbritanniqueSaumarez, enjuin 1946. LesBritanniquesremorquèrentle bateau dansle port deHaïfa et lespassagersfurent ensuitedétenus dansle camp de détention d’Athlit (Palestine). Lorsque lebateau pénétra dans le port, les passagers, entonnèrentl’hymne national juif et déroulèrent une bannière surlaquelle était inscrit en hébreu : « Laissez les portesouvertes ; nous ne sommes pas les derniers. »

Si horribles qu’aient été lescamps nazis, la vie reprit pour lesdétenus qui avaient survécu. Cettephotographie montre plusieurscouples qui s’étaient rencontrésdans l’un des camps d’Hitler ets’étaient mariés au cours d’unecérémonie de groupe organisée àStockholm (Suède), le 14 juin1946. Plusieurs milliers demariages unirent des personnesdéplacées dont bon nombreavaient perdu leur premier conjointpendant la Shoah.

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funèbre pour les sept Juifs assassinésle 30 avril par des bandes antisémitesà Nowy Targ.

• 7 mai 1946 : Le dirigeant néerlan-dais Anton Mussert, collaborateurnazi reconnu coupable de crimes deguerre, est pendu, un an jour pourjour après son arrestation.

• 25 mai 1946 : La Suisse signe l’accordde Washington en vertu duquel le gou-vernement suisse accorde de plein gré58,1 millions de dollars en or à la com-mission alliée constituée pourcontribuer à reconstruire l’Europe. LesAlliés sont conscients du fait que cesfonds proviendront des stocks d’orvolés aux Juifs et autres victimes despersécutions nazies, et entreposés en

Suisse. À cette époque, la Suisse détientde l’or pillé pour un montant de 300 à400 millions de dollars ; voir 1951.

• 29 mai-1er juin 1946 : Dix anciensmembres du personnel du camp de Natz-weiler, en Allemagne, sont jugés à Rastadt,en Allemagne. L’un est condamné à mort,cinq doivent purger des peines de prison,quatre sont acquittés.

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Le pogrom de KielceLes préjugés et la haine envers les Juifs ne

prirent pas fin avec la défaite des nazis. Peu deJuifs polonais survécurent aux camps de la mortnazis et pourtant, même eux furent souvent enbutte à une violente hostilité lorsqu’ils rentrè-rent chez eux.

Avant la guerre, la ville de Kielce, situéedans le sud-est de la Pologne, comptait quelque15 000 Juifs pour une population totale d’envi-ron 60 000 habitants. En 1946, 200 Juifs, à peuprès, vivaient à Kielce, attendant pour la plu-part d’immigrer en Palestine. Pour certainsPolonais de la ville, toute présence juive dansla ville était inopportune.

Les braises de la haine s’enflammèrent lors-qu’un enfant chrétien disparut. Les habitantsde la ville accusèrent les Juifs de meurtrerituel, affirmant que l’enfant chrétien avait étéenlevé pour que son sang puisse être utilisédans un rituel satanique. Une vague de vio-lence antisémite meurtrière déferla avant quel’enfant (qui se trouvait avec un ami) ne soitretrouvé. Quarante-deux Juifs furent massa-crés, plusieurs dizaines d’autres, dont ceux dela photo, blessés. Les agresseurs comprenaientdes policiers et même un prêtre catholique.

Lorsque la nouvelle des tueries se diffusa,les Juifs s’enfuirent, terrorisés, choqués d’avoirsurvécu aux camps nazis, pour être massacrés,de retour chez eux, par des Polonais antisé-mites.

Cet homme était l’un des rescapés du pogrom deKielce. En convalescence à l’hôpital, il déclara : « J’aiété à Oswiecim [Auschwitz] pendant trois ans. C’étaitatroce ; mais, ici à Kielce, c’était encore pire. Tout res-pirait la haine. Les corps des personnes assassinéesont été écrasés, piétinés. » De toute évidence, la fin dela Shoah n’a pas mis fin à l’antisémitisme en Europe.

Les rescapés de la Shoah qui cherchaient à pénétrer« illégalement » en Palestine et furent pris par lesBritanniques furent détenus dans plusieurs camps depersonnes déplacées. Des milliers de ces Juifs furentenvoyés à Chypre (photo) où ils endurèrent : nourriturepauvre et rationnée, pénurie d’eau, surpeuplement etconditions sanitaires déplorables. L’amère ironie de lasituation n’échappa guère aux Juifs du monde.

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1946• Juin 1946 : Après le meurtre dedeux Juifs à Biala Podlaska, enPologne, les autres Juifs de la villequittent le pays.

• 1er juin 1946 : Ion Antonescu, l’anciendictateur antisémite de Roumanie, estexécuté après avoir été reconnu coupablede crimes de guerre. Mihai Antonescu,l’ancien vice-premier ministre antisémite

de Roumanie, est exécuté après avoir étéreconnu coupable de crimes de guerre.

•4 juillet 1946 : Après la disparition d’unenfant chrétien à Kielce, en Pologne, unpogrom est perpétré contre les Juifs de laville. La foule fait irruption dans le centrecommunautaire juif et assassine 42 Juifs,dont deux enfants. (L’enfant chrétien dis-paru est retrouvé sain et sauf dans un vil-

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Acculés au désespoir par lesmanœuvres dilatoires de la Grande-Bretagne sur la question d’un Étatjuif, les groupes nationalistes juifsen Palestine firent campagne pourévincer les Britanniques et fonderl’État d’Israël. Le 22 juillet 1946,l’Irgoun tsevaï leoumi (Organisationmilitaire nationale), créée par desmembres dissidents de la Haganah,firent sauter une aile de l’hôtel KingDavid, le QG du gouvernement etde l’armée britanniques enPalestine. Soixante-dix personnes,Juifs, Arabes et Britanniques, furenttuées et des dizaines de personnesblessées. L’Irgoun déclara par lasuite avoir donné suffisammentd’avertissements pour l’évacuation ;les Britanniques le nient. En toutcas, cette explosion conforta les Bri-tanniques dans leur résolution d’em-pêcher la création d’un État juif.

Le visage de cet homme mort (àgauche) témoigne de la violence del’antisémitisme qui se déchaîna àKielce. Un Polonais, ou plusieurs, luiportèrent des coups à la tête et auvisage, le blessant mortellement.Regina Fisz et son enfant périrent euxaussi dans le pogrom de Kielce, enPologne.

Pendant la Shoah, les nazis détruisirent des milliers de rouleaux de laTorah dans l’ensemble de l’Europe occupée. Après la guerre, denombreuses communautés ne disposaient donc d’aucun rouleau de la Torahindispensable dans les offices juifs. Arthur Greenleigh (en uniforme), unreprésentant du Joint Distribution Committee, assiste à une cérémonie aucours de laquelle il remit 33 rouleaux offerts par des Juifs américains à lacommunauté juive de France.

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lage voisin). D’autres pogroms font rage àtravers la Pologne. Après ces violences,100 000 Juifs polonais partent pour laPalestine, les États-Unis, l’Amériquelatine, l’Australie, la Grande-Bretagne etl’Europe occidentale.

• 11 juillet 1946 : Un primatpolonais, le cardinal August Hlond,fait porter aux Juifs de Kielce, en

Pologne, la responsabilité du pogrommeurtrier perpétré contre eux le 4juillet.

• 20 juillet 1946 : Arthur Greiser,ancien Gauleiter de la région du War-thegau, en Pologne, est pendu à Poz-nan (Pologne) après avoir étéreconnu coupable de crimes deguerre.

• 22 juillet 1946 : Les membres juifsde l’Irgoun tsevaï leoumi (Etsel, orga-nisation militaire nationale) fontexploser une bombe à l’hôtel KingDavid de Jérusalem, QG des adminis-trateurs britanniques de Palestine.

• 26 juillet 1946 : Le procureur RobertH. Jackson présente un récapitulatifdes réquisitions à Nuremberg.

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Ces Juifs déplacés étaient membresd’une équipe de sport qui participa à des compétitions dans les camps de per-sonnes déplacées à Zeilsheim, en Alle-magne. De telles équipes, de même quedes clubs autres que sportifs, aidaient lesJuifs à reconstruire leur vie sociale et cul-turelle, en grande partie détruite par laShoah. Cependant, une commissiond’enquête présidentielle constituée fin1945 avec l’accord d’Harry Trumanrévéla que les conditions dans lesquellesles Juifs déplacés étaient détenus étaientinexcusablement rigoureuses. Les clubsde sport et autres associations dans lecamp ne compensaient pas le fait que« l’hébergement, les équipements médi-caux et récréatifs étaient insuffisants », etque « rien n’était fait pour améliorer laqualité de la vie… »

Des Juifs suspectés de terrorisme par les Britanniques s’en-tassent derrière des barbelés dans le camp de détention deLatrun, en Palestine. Afin de contrecarrer l’élan des Juifs versleur patrie, les autorités britanniques prirent des mesures rigou-reuses, renvoyant les bateaux comme l’Exodus et emprisonnanttoute personne suspectée d’appartenir au Mossad, les servicessecrets juifs.

Les dirigeants de nombreux ghettos étaient détermi-nés à conserver des traces de ce qui était arrivé auxJuifs d’Europe sous occupation nazie. Emanuel Ringel-blum, l’historien du ghetto de Varsovie, dissimula lestémoignages qu’il avait accumulés dans des bidons delait, afin que les générations suivantes sachent cequ’avait été la Shoah. Voici un endroit où quelquestémoignages de Ringelblum furent retrouvés. Plusieursbidons n’ont pas encore été découverts.

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1946•13 août 1946 : Les autoritésbritanniques ouvrent des camps de déten-tion dans l’île de Chypre pour les réfugiésjuifs empêchés d’entrer en Palestine parsuite des restrictions à l’immigrationimposées par la Grande-Bretagne.

• Septembre 1946 : Paul Touvier, unancien sympathisant du régime deVichy, adversaire des partisans fran-

çais, est condamné à mort par contu-mace pour trahison.

• 18 septembre 1946 : Découvertedans une maison en ruines située au68 rue Nowolipki à Varsovie d’unepartie du journal du ghetto de Varso-vie rédigé par Emanuel Ringelblumenterrée secrètement ; voir 1er

décembre 1950.

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Wilhelm KeitelWilhelm Keitel fut le chef

d’état-major du haut com-mandement des forcesarmées allemandes de 1938jusqu’à l’effondrement del’empire nazi. Sa servilité àl’égard d’Hitler et sa volontéde fermer les yeux sur lesmeurtres en masse furent lesraisons principales de sacondamnation à mort par letribunal de Nuremberg, enoctobre1946.

Soldatprofes-sionnelblessépendant laPremièreGuerremondiale, Keitel gravit leséchelons militaires dans lesannées 1920 et 1930, et par-vint au poste suprême de l’ar-mée allemande en février1938. Il fut nommé maréchalen juillet 1940.

L’obséquieux dévouementde Keitel envers Hitler et sonincapacité manifeste à le cri-tiquer influencèrent d’autresofficiers à obéir aveuglémentau Führer. Plus désastreux,cependant, furent les ordresdonnés par Keitel pour enté-riner les meurtres en masse,notamment le tristementcélèbre décret « Nuit etbrouillard » de décembre1941.

Rudolf Hess fut le secrétaire d’Hitler jusqu’à sacapture, en 1941. Il avait pris l’avion pour la Grande-Bretagne, pour une « mission de paix » décidée parlui-même. À Nuremberg, il feignit la démencependant la majeure partie des audiences. Il pré-tendit ne pas avoir été conscient de l’endroitoù il se rendait, déclara avoir perdu lamémoire et donc être inapte à être jugé.Dans la salle d’audiences deNuremberg, l’artiste Ed Vebell, enmission pour Stars and Stripes, lejournal de l’armée américaine,écrivit : « Hess apparut, lesjoues creuses et le cou amaigri.Il semblait ignorer les débats etgarda la tête baissée – absorbépar un livre. » Hess fut reconnu cou-pable de crimes contre la paix. Lesjuges le condamnèrent à la prison à vie. Ilpassa les 43 années suivantes dans laprison de Spandau, et pendant les 23dernières années, il fut le seul prisonnier de cetétablissement. Il se suicida en 1987, à l’âge de 93 ans.

À Nuremberg, lesprocureurs alliés utilisè-rent les témoignagesabondants laissés parle régime d’Hitler pourprouver la culpabilitéde ses dirigeants. Lesprocureurs fournirentau tribunal des massesde documents quipesèrent plus lourd queles dépositions destémoins. Cette photone montre qu’uneinfime partie despreuves concrètes présentées : une carte,quelques photo-graphies et quelquesobjets rappelant lesatrocités.

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• 1er octobre 1946 : Annonce des ver-dicts du premier procès deNuremberg. Acquittés : Fritzche,Schacht, Papen. Coupables : Hess,Speer, Raeder, Dönitz,Kaltenbrunner, Streicher, Frank,Funk, Schirach, Ribbentrop, Rosen-berg, Göring, Frick, Sauckel, Seyss-Inquart, Jodl, Keitel, Bormann (parcontumace).

• 11 octobre 1946 : Les avocats de ladéfense de Nuremberg sont informéspar le tribunal que les appels de tousles accusés reconnus coupables ontété rejetés.

• 15 octobre 1946 : Quelques heuresavant d’être pendu, Hermann Göringse suicide dans sa cellule àNuremberg en mordant une capsule

de cyanure, peut-être introduitesecrètement dans sa pipe.

•16 octobre 1946 : Après avoir été recon-nus coupables de crimes de guerre, sontpendus dans la prison de Nuremberg :l’ancien ministre nazi des Affairesétrangères, Joachim von Ribbentrop ; l’an-cien rédacteur en chef du Stürmer, JuliusStreicher ; le juriste nazi Wilhelm Frick ; le

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« [L’Allemagne] s’est laissée dépouiller de sa conscience et de sonâme. Les maîtres du mal sont venus réveiller ses passions primitiveset ont rendu possibles les atrocités que je viens de vous exposer. Envérité, le crime de ces hommes, c’est d’avoir provoqué la régressiondu peuple allemand de plus de douze siècles. »

— Le procureur français Charles Dubost, dans une déclaration au tribunal de Nuremberg, 1946

Nuremberg était une belle ville médiévale que les nazisadmiraient beaucoup pour sa « germanité ». C’estd’ailleurs là qu’ils choisirent d’organiser les rassemblementsannuels de leur parti. Pour ces raisons mêmes, les Alliésfirent de Nuremberg la ville des procès des principaux cri-minels de guerre du Troisième Reich. Cette photo montre unaspect de la splendeur médiévale de la ville, notamment lepalais de justice où se déroulèrent les procès. Si ce palaisde justice était demeuré intact, ce ne fut pas le cas pour unegrande partie de Nuremberg, la ville ayant subi d’intensesbombardements vers la fin de la guerre. De nombreuxmonuments dont les nazis étaient particulièrement fiers –certains datant de 1140 – s’écroulèrent.

Le tribunal militaire international deNuremberg passa en jugement lesprincipaux criminels de guerre, le 30septembre et le 1er octobre 1946. Laplupart des accusés affirmèrentn’avoir été que de simples subalternescontraints d’obéir aux ordres ; seul,Albert Speer, ministre de l’armement,admit nonchalamment avoir commisdes méfaits. Sur les 22 hommes jugésdans ce premier tribunal pour crimesde guerre – le plus important – 12furent condamnés à mort par pendai-son et 7 reçurent des peines deprison, de dix ans à la perpétuité(Martin Bormann fut jugé par contu-mace et Rudolf Hess, condamné à laprison à vie, ne se trouvait pas aubanc des accusés lorsque cette photofut prise).

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1946« philosophe » nazi Alfred Rosenberg ; lechef du travail forcé, Fritz Sauckel ;l’ancien commissaire du Reich des Pays-Bas occupés, Arthur Seyss-Inquart ;l’ancien gouverneur général de la Pologne,Hans Frank ; l’ancien Generaloberst derWehrmacht et chef des opérations del’OKW (haut commandant des forcesarmées) Alfred Jodl ; l’ancien SS-Obergruppenführer et chef du RSHA,

Ernst Kaltenbrunner ; et Wilhelm Keitel,ancien maréchal et chef de l’OKW. Lescorps des pendus et celui d’HermannGöring sont brûlés dans les fours de l’an-cien camp de concentration de Dachau, enAllemagne. Les cendres sont dispersées enfin de journée dans les eaux de l’Isar.

• 20 octobre 1946 : Kurt Daluege,ancien SS-Obergruppenführer et

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Reconnu coupable de crimes deguerre par le tribunal deNuremberg, Hermann Göring sesuicida en avalant une capsule decyanure dans sa cellule étroitementsurveillée, le 15 octobre 1946,deux heures seulement avant lemoment prévu pour sa pendaison.On ignore s’il avait conservé lacapsule sur lui pendant des mois oùsi elle lui avait été transmise à ladernière minute.

Accusé de crimes de guerre,ainsi que de crimes contre l’huma-nité et contre la paix, Joachim vonRibbentrop fut reconnu coupablepour tous les chefs d’accusation parle tribunal de Nuremberg. Le 16octobre 1946, il fut le premier desdirigeants nazis à monter à l’écha-faud. Ribbentrop servit Hitler fidèle-ment, mais son influence sur legouvernement déclina pendant laguerre, la diplomatie ne répondantplus aux objectifs premiers d’Hitler.

Outre l’aide apportée aux nazispour annexer l’Autriche, ArthurSeyss-Inquart fut également Reichs-kommissar aux Pays-Bas.Fondamentalement opportuniste, ilpassa la majeure partie de sa car-rière nazie à se hâter de causerautant de dommages que possibleaux Juifs – principalement pourobtenir l’approbation d’Hitler.Seyss-Inquart fut reconnu coupablede crimes de guerre à Nuremberget condamné à mort. Cette photodu 16 octobre 1946 fut prise aprèssa pendaison.

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Reichsprotektor adjoint de Bohême etde Moravie, est pendu à Prague, enTchécoslovaquie, après avoir étéreconnu coupable de crimes deguerre.

• 25 octobre 1946 : Vingt-troisanciens médecins nazis sont jugés àNuremberg pour avoir mené desexpériences contraires à l’éthique sur

des détenus des camps. Entre autresexpériences : ingestion d’eau de mer,greffes d’os, exposition au gazmoutarde et autres atrocités. Ce futle « procès des médecins » ; voir 20août 1947.

• 13 novembre 1946-17 avril 1947 :Procès d’Erhard Milch, ancien maré-chal de la Luftwaffe.

• 11 décembre 1946 : L’Assembléegénérale des Nations unies confirmeles jugements rendus par le tribunalde Nuremberg.

• 1946-1949 : Dans douze tribunauxdistincts, 185 autres nazis accusés decrimes de guerre sont jugés à Nurem-berg.

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La spécificité dela Shoah

Le génocide consiste en la destruction d’unpeuple organisée par l’État du fait de ce que R.J. Rummel, spécialiste de sciences politiques,appelle « l’appartenance indélébile au groupe(race, ethnie, religion, langue). » De toute évi-dence, l’anéantissement des Juifs européenspar l’Allemagne nazie fut un génocide ; enquoi, cependant, la Shoah fut-elle unique ?

Les arguments démontrant la spécificité dela Shoah ne portent pas principalement sur lenombre de victimes juives ou sur la façon dontelles furent tuées. Comme le montre l’intellec-tuel Steven T. Katz, l’argument de la spécificitérepose sur « le fait que jamais auparavant unÉtat n’avait entrepris, par la mise en pratiqued’un principe, d’exterminer tout homme,femme et enfant appartenant à un peuple par-ticulier… Ce n’est que dans le cas des Juifs sousle Troisième Reich qu’un tel meurtre total, sansréserves, absolu, fut prévu. »

L’affirmation de la spécificité de la Shoahfait l’objet d’un débat. D’aucuns prétendent parexemple, que la façon dont l’Allemagne nazies’en prit aux Sintis et aux Roms (Tsiganes) nediffère pas fondamentalement du sort réservéaux Juifs. D’autres craignent que l’affirmationde la spécificité relègue d’autres génocides à unstatut inférieur non mérité. Les études sur cesquestions ne sont pas en passe de cesser dansun proche avenir, mais Yehouda Bauer, spécia-liste de la Shoah, qui défend la thèse de la spé-cificité de ce phénomène, fait un rappelimportant. « Les événements se produisentparce que c’était possible. Si cela a été possibleautrefois, c’est encore possible. En ce sens, laShoah n’est pas unique, mais un avertissementpour l’avenir. »

Le jeune homme à la tête bandée était un passagerdu bateau Knesset Israël qui transportait en Eretz Israël(Palestine) des immigrants clandestins juifs. Les Britan-niques, qui s’efforçaient d’empêcher ce peuplementnon autorisé, envoyèrent plusieurs bateaux s’emparerdu Knesset Israël. Pendant l’abordage, deux jeunesJuifs furent tués par balles et 57 furent blessés etenvoyés à l’hôpital. Les Britanniques expédièrent lespassagers du Knesset Israël dans un camp dedétention sur l’île de Chypre.

Les médecins nazis avaient commis des crimesatroces contre les détenus des camps, et les Alliésétaient déterminés à les en tenir pour responsables. En1946-47, 23 médecins furent jugés à Nuremberg pourcrimes contre l’humanité. Les quatre femmes représen-tées ici, toutes victimes d’« expériences » médicalesnazies, arrivèrent à Nuremberg le 15 décembre 1946pour témoigner contre les accusés. Le corps médicalallemand s’efforça de se remettre des horreurs perpé-trées par certains de ses membres.

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