emanuele carvalheira de maupeou captivite et quotidien dans un milieu rural brésilie

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L'Ordinaire des Amériques 215 (2013) Représentations des esclavages dans les Amériques ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Emanuele Carvalheira de Maupeou Captivité et quotidien dans un milieu rural brésilien : le Sertão du São Francisco – Pernambouc (1840-1888) ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Emanuele Carvalheira de Maupeou, « Captivité et quotidien dans un milieu rural brésilien : le Sertão du São Francisco – Pernambouc (1840-1888) », L'Ordinaire des Amériques [En ligne], 215 | 2013, mis en ligne le 11 juillet 2014, consulté le 29 octobre 2015. URL : http://orda.revues.org/485 Éditeur : Université de Toulouse 2 - Le Mirail; Institut pluridisciplinaire pour les études sur les Amériques à Toulouse (IPEAT) http://orda.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://orda.revues.org/485 Document généré automatiquement le 29 octobre 2015. © Tous droits réservés

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Page 1: EMANUELE CARVALHEIRA de MAUPEOU Captivite Et Quotidien Dans Un Milieu Rural Brésilie

L'Ordinaire des Amériques215  (2013)Représentations des esclavages dans les Amériques

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Emanuele Carvalheira de Maupeou

Captivité et quotidien dans un milieurural brésilien : le Sertão du SãoFrancisco – Pernambouc (1840-1888)................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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Référence électroniqueEmanuele Carvalheira de Maupeou, « Captivité et quotidien dans un milieu rural brésilien : le Sertão du SãoFrancisco – Pernambouc (1840-1888) », L'Ordinaire des Amériques [En ligne], 215 | 2013, mis en ligne le 11 juillet2014, consulté le 29 octobre 2015. URL : http://orda.revues.org/485

Éditeur : Université de Toulouse 2 - Le Mirail; Institut pluridisciplinaire pour les études sur les Amériques à Toulouse(IPEAT)http://orda.revues.orghttp://www.revues.org

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Emanuele Carvalheira de Maupeou

Captivité et quotidien dans un milieu ruralbrésilien : le Sertão du São Francisco –Pernambouc (1840-1888)I/ Introduction

1 Les estimations sur le total d’esclaves arrivés dans les ports brésiliens entre le XVIe et leXIXe siècle sont très variables. La difficulté à déterminer un nombre plus au moins exactprovient principalement d’une pratique largement répandue, celle du trafic illégal, qui aperduré jusqu’en 1850, date définitive de la fin de la traite atlantique au Brésil. Cependant,même si la précision reste problématique, plusieurs historiens avancent le chiffre de quatremillions d’esclaves débarqués au Brésil tout au long des trois siècles d’existence de la traite,1

ce qui fait de la traite brésilienne la plus importante de la période moderne. De surcroît, dansun pays où la pratique esclavagiste s’était infiltrée dans toutes les régions et dans tous lesdomaines de la société, une traite interne au pays a repoussé l’abolition de l’esclavage à lafin du XIXe siècle.

2 En effet, l’abolition de l’esclavage au Brésil a été un long processus. Entre la pressioninternationale pour l’émancipation des esclaves et l’attachement des élites nationales àl’utilisation de cette main-d’œuvre, le pays a choisi une abolition graduelle à partir d’une sériede lois promulguées pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Parmi les principales, il estpossible de citer la loi Eusébio de Queirós qui a interdit la traite Atlantique en 1850 ; la loi ditedu « Ventre Libre » de 1871, qui a déclaré libres tous les enfants de parents esclaves nés à partirde la date de promulgation ; la loi du « Sexagénaire » de 1885 qui a affranchi tous les esclavesde plus de soixante ans ; et finalement la « Lei Áurea » qui a libéré tous les captifs du pays en1888. Par cette stratégie, le Brésil a pu retarder l’abolition définitive jusqu’en 1888, ce qui luia valu le titre navrant de dernier pays indépendant de toute l’Amérique à interdire l’esclavage.

3 C’est précisément après l’abolition que l’étude de l’esclavage au Brésil a débuté. Tout au longdu XXe siècle, le sujet a été traité selon différentes approches. Le regard des chercheurs avarié et a été marqué par le contexte politique et social du pays, mais aussi par les grandesécoles théoriques d’interprétation en sciences sociales présentes dans les milieux intellectuelsdu pays. C’est ainsi que, tout au long du XXe siècle, des modèles d’interprétation de l’esclavagese sont successivement imposés dans les universités du pays.

4 Dans les années 1980, dans le contexte de la célébration du centenaire de l’abolitionde l’esclavage, le dernier grand tournant méthodologique a eu lieu dans l’historiographiebrésilienne de l’esclavage.2 Ce courant historiographique ne se présente pas comme un couranthomogène, mais se définit plutôt par sa diversité et par le fait qu’il a remplacé de grandsmodèles d’analyse par l’affirmation de la nécessité d’introduire des nuances dans l’étude del’esclavage. Si, auparavant, une question était toujours placée au centre des préoccupationshistoriographiques, les historiens fuient désormais les grands modèles d’analyse. La nécessitéde privilégier un lieu précis pour les recherches devient donc une contrainte inévitable,notamment dans le contexte d’une histoire sociale qui a contribué à l’émergence du sujet etdans laquelle la valorisation du récit de la vie quotidienne de l’esclave occupe désormais uneplace importante.

5 Par conséquent, ces nouvelles démarches ont offert à l’historiographie plusieurs voies. Eneffet, l’esclavage est longtemps resté attaché à des représentations stéréotypées de l’esclave.Ainsi, il existait trois modèles d’esclavage : celui des mines, celui des plantations caféières etcelui des moulins à sucre. Les trois se situaient dans un milieu qui correspond à l’ensemble duSudeste et du littoral du Nordeste. Or, le Brésil esclavagiste recouvre un espace géographiqueet socioculturel beaucoup plus étendu que ces deux régions.

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6 Durant les dernières décennies, les historiens ont mis en lumière le fait que plus de troissiècles d’esclavage avaient permis une adaptation du système aux sociétés les plus diverses duterritoire. Ainsi, les recherches ont montré que les esclaves étaient présents partout : dans lesvilles comme dans les campagnes, dans les grandes exploitations agricoles comme dans lesmines, mais aussi au service du travail domestique, de l’élevage ou de la production vivrière. Àtout moment, un esclave pouvait être loué, vendu, prêté ou acheté pour exercer les activités lesplus variées. Il était présent là où la force physique était nécessaire, dans l’exploitation agricole,mais aussi dans la sphère domestique, comme c’était le cas, par exemple, de la nourrice du filsdu maître. L’esclave pouvait aussi exercer des activités spécialisées (artisan, infirmier, etc.) ouquotidiennes, plus banales, comme porter l’eau ou préparer les repas. On le voit donc, le rôlede l’esclave dans la société brésilienne débordait largement la simple relation économique.

7 Ainsi, dans les deux dernières décennies, on a assisté à une transformation de la représentation-même de l’esclave, celle-ci mettant désormais en avant la pluralité des situations rencontréespar les individus soumis à cette condition, sans pour autant nier la cruauté de l’esclavage en tantqu’institution. Jusqu’au XIXe siècle, la société brésilienne était fondamentalement organiséeautour de l’institution esclavagiste, et il n’existait pas de modèle uniforme sur l’ensembledu territoire de ce pays aux dimensions continentales, mais plutôt une variété de pratiquesadaptées aux réalités concrètes des différentes régions et des différents secteurs du pays. Bienqu’elle fût unique, la condition d’esclave empruntait donc plusieurs formes et était soumise auxexigences de chaque secteur où elle était mise en œuvre. En effet, l’esclavage s’est modifié,diversifiant les modèles de travail, induisant des différences dans les conditions de vie desesclaves et produisant des distinctions dans les relations entre maîtres et esclaves. Dans cettepluralité, l’esclave est désormais perçu comme un individu qui, tout en étant « adapté » à sontemps, reste unique. Ainsi, il n’est plus considéré uniquement comme une victime passive d’unsystème, mais aussi comme un sujet qui cherche à mieux vivre malgré sa condition servile.

8 Dans cette perspective, une des voies de recherche développées par les historiens s’intéresseà la présence d’esclaves dans des régions ou des secteurs de la société non directement liésà la grande exploitation agricole exportatrice. Les chercheurs se sont rendus compte que lapratique esclavagiste s’était développée même dans des régions plus pauvres et reculées dupays, le Sertão du Nordeste étant l’une de ses régions par excellence. Il faut donc inscrireles recherches actuelles sur l’esclavage dans le Sertão parmi celles qui s’intéressent au vaste« monde rural brésilien ».3 Ces espaces de grandes étendues sont souvent décrits comme deszones d’arrière-garde, d’approvisionnement ou de passage, qui ont toujours existé à l’ombred’un centre d’exportation. Néanmoins, l’historiographie la plus récente attribue à ces régionsune plus grande autonomie. On s’est aperçu que les populations de ces régions, caractériséespar la possession d’un nombre réduit d’esclaves, avaient des comportements démographiqueset sociaux qui ne se limitaient pas à une simple extension des sociétés de cultures exportatrices.Dans ces régions, on constate un meilleur équilibre homme/femme parmi les asservis, ainsiqu’une prédominance de propriétaires ayant un nombre réduit d’esclaves.4

9 À partir de ces considérations, il est intéressant de démontrer, à travers un cas concret,comment cette accommodation de l’institution esclavagiste se manifestait au quotidien. Cetarticle5 entend ainsi présenter la manière dont un grand système de domination – l’esclavagemoderne – s’est adapté à une réalité particulière du territoire brésilien – celle du Sertão, plusprécisément d’une partie du Sertão du São Francisco, en Pernambouc, entre 1840 et 1888.6 Eneffet, l’intérêt est de montrer comment, lors de la crise finale du système esclavagiste brésilien,une société pauvre, elle-même plongée dans une crise économique profonde, a su s’adapterpour maintenir l’esclavage au quotidien.

10 Toutefois, une telle approche n’oppose pas l'espace particulier à l'espace global mais, aucontraire, considère qu’une réalité sociale peut être perçue à diverses échelles. L’analyse dumicro n’exclut pas celle du macro mais, bien au contraire, ces deux analyses s’articulent(Revel, 1996). Ce que la réduction d'échelle offre à l'analyse historiographique n'est pas uneversion atténuée ou partielle des réalités macro-sociales, mais une version différente. Elleinvite à une autre lecture du social qui privilégie l’approche de la réalité historique dans toutesa variété.

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II/ Le Sertão du São Francisco au XIXe siècle11 L’économie de la région du Sertão du São Francisco se fondait, au XIXe siècle, sur l’élevage

et la production de coton. Le bétail, élevé en liberté dans les fazendas où les terres étaientabondantes mais peu fertiles, était destiné à fournir les moulins à sucre de la côte. La productionlocale dépendait donc de la région de culture de la canne à sucre et subissait les crises decelle-ci – ce qui fut le cas pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Le coton, deuxièmeproduit d’importance pour la région, était aussi très dépendant du marché international et avait,pour cette raison, une production très irrégulière. En grand essor au moment de la guerred’Indépendance des États-Unis, il était cultivé, au Brésil, pour l’exportation et la fabricationdes vêtements d’esclaves. Cependant, il a rapidement décliné, la distance des ports et lemonopole étasunien empêchant un plus grand développement de sa culture au Brésil.

12 La population, en grande majorité rurale, vivait dans des fermes éloignées les unes des autres.Dans ce monde rustique, le village incarnait bien plus un lieu de marché et d’échanges, ouencore de rassemblement religieux, qu’un lieu d’habitation à proprement parler. Le monderural impliquait une population dispersée et un faible niveau d’urbanisation. D’ailleurs,souvent, les différents héritiers des anciennes fazendas de bétail vivaient les uns à côté desautres dans la grande propriété, cette stratégie permettant d’éviter la fragmentation de la grandepropriété dans une société appauvrie.7 Ainsi, plusieurs propriétaires vivaient dans la mêmefazenda, avec leurs familles et leurs esclaves. Ces fazendas étaient en grande partie autonomes,possédant leurs propres moulins pour préparer la farine de manioc, leurs corrals et leursmachines à tisser. Outre le coton, des denrées alimentaires y étaient également cultivées. Il estimportant de souligner, dans cette présentation, la forte présence d’Indiens dans la région.8

13 La deuxième moitié du XIXe siècle a été marquée par la crise finale du système esclavagisteau Brésil. Ce contexte offre un cadre d’intérêt tout à fait particulier, notamment quand ons’intéresse au maintien de l’esclavage dans une société plongée elle-même dans une criseinterne. Dans les années qui ont suivi la fin de la traite atlantique (1850), le prix de l’esclavea beaucoup augmenté, d’autant plus que l’esclavage brésilien ne procédait quasiment que dela traite africaine et très peu de la reproduction naturelle. Ainsi, les esclaves déjà présentsau Brésil avant 1850 ont-ils fait l’objet d’une traite interne. Le Sudeste du Brésil, où lamonoculture du café était alors en plein essor, drainait les esclaves des régions les plus pauvresou en crise, à commencer par le Sertão. La pression internationale et une forte campagnepour l’abolition ont contribué au développement d’un climat d’opposition à l’esclavage danstout le pays. Toutefois, face à ce contexte défavorable, il est possible d’observer dans lesdifférentes régions du pays9 un fort attachement au maintien de l’esclavage au quotidienjusqu’à l’abolition définitive.

14 Dans les périodes de crise, le climat semi-aride du Sertão et les sécheresses régulièresdevenaient plus difficiles à supporter. C’est d’ailleurs dans la deuxième moitié du XIXe siècleque, pour la première fois, une grande sécheresse (1877-1879) a été remarquée à l’échelonnational. Elle ne serait demeurée qu’une des innombrables sécheresses qui touchaient la régionsi elle n’avait pas eu lieu en pleine crise économique. La sécheresse de 1877-1879 a été lapremière à provoquer la faillite de grands et moyens propriétaires terriens. Ce fait, ajoutéau développement de la presse et de la photographie, a occasionné, pour la première fois, ladiffusion d’images de la misère provoquée par la sècheresse et de ses effets tragiques.

15 Le contexte décrit ci-dessus présente un ensemble de conditions tout à fait défavorables à laprésence d’esclaves dans le Sertão. Pourtant, ils y étaient bel et bien présents. En effet, uneanalyse de sources primaires – comme le recensement de 1872,10 les inventaires après décès,les chartes d’affranchissement, les registres de vente d’esclaves, les registres de baptêmes,matrimoniaux et de sépultures d’esclaves11 – montre la présence d’hommes, de femmes etd’enfants qui y ont vécu en captivité jusqu’à l’abolition définitive de l’esclavage. Le Sertãoest une société qui, au XIXe siècle, vivait dans le système esclavagiste depuis plusieurs siècles.En effet, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, les conditions spécifiques de la régionn’y ont pas empêché la présence de l’esclavage.12 Il s’y est développé tout en s’adaptant aux

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particularités locales, modifiant, de fait, les conditions de vie des esclaves et provoquant desdistinctions dans les relations qu’ils entretenaient avec leurs maîtres.

16 Pour comprendre les relations esclavagistes dans ce Sertão, les résultats présentés ici ont étédivisés en deux parties. Tout d’abord l’esclavage est présenté du point de vue des maîtres.Ainsi, sont dévoilées les stratégies utilisées par ceux-ci pour le maintien de l’esclavage auquotidien dans une période peu favorable. En deuxième lieu, les esclaves eux-mêmes sontétudiés, l’intérêt étant de savoir qui étaient ces hommes et femmes et comment ils ont vécu encaptivité dans le Sertão jusqu’à la veille de l’abolition.

III/ Stratégies adoptées pour le maintien de l’esclavage dansune société en crise

17 Dans une société appauvrie, la possession d’esclaves représentait un effort, un luxe même,dans le contexte de la deuxième moitié du XIXe siècle. Outre leur prix d’achat, il fallaitles nourrir, les loger, sans compter que forte était la tentation de la vente, stimulée par latraite interprovinciale. De plus, le nombre de paysans sans terre, disponibles pour travailler,augmentait avec l’appauvrissement de la région et la multiplication des affranchissements dansles trois décennies précédant l’abolition définitive de l’esclavage. Malgré cela, les propriétairesne choisissaient pas toujours de se défaire de leurs esclaves. La deuxième moitié du XIXe siècleest donc une période particulièrement intéressante pour analyser le degré d’enracinement del’esclavage dans une société. A ce moment-là, face au prix élevé de l’esclave et aux difficultésinternes et externes d’accès à la main-d’œuvre servile, plusieurs sociétés ont adopté despratiques alternatives qui ont permis le maintien local de l’esclavage.

18 Ces stratégies donnent une couleur particulière à l'esclavage dans les différentes régions etconfirment la multiplicité des pratiques et l'adaptation du système aux besoins locaux. Ainsi, ilest intéressant d’examiner la façon dont les maîtres ont réagi, dans le Sertão, à la réduction del'offre de main-d’œuvre servile, à l’augmentation du prix des esclaves et aux avantages offertspar le transfert d’esclaves vers d'autres régions du pays. En effet, la fin de la traite atlantique etl'augmentation du prix des esclaves qu’elle a induite, a empêché l’arrivée de nouveaux esclavesdans le Sertão. Par conséquent, les maîtres, incapables d'acheter de nouveaux esclaves, ontadopté d'autres moyens permettant d'assurer le maintien de l'esclavage dans leur quotidien.L’adoption de ces stratégies est ici analysée à partir de cinq aspects qui marquent la pratiqueesclavagiste dans le Sertão : le prix, la copropriété, la reproduction naturelle, la traite interneet la soumission d’Indiens à l’esclavage.

1. La valeur économique19 La valeur d’un esclave dans le Sertão était très élevée par rapport à tout autre bien qui pouvait

être déclaré chez le notaire (terres, maisons, bétail, mobilier, bijoux, métaux et équipement detravail).13 En effet, bien que la quantité et le prix des esclaves aient été nettement inférieurs àceux pratiqués sur le littoral, ils étaient tout sauf négligeables pour la réalité locale du XIXe

siècle. En général, la possession d’esclaves représentait une grande partie du total des biensdéclarés, autant dans le milieu des grandes fortunes que chez les humbles éleveurs. Malgré leurprix élevé, la grande majorité des propriétaires déclarait la possession d’au moins un esclave.14

20 Ainsi, on constate la présence d’esclaves chez les propriétaires les plus riches comme chezles plus pauvres. Seule la quantité varie. Si rares sont les maîtres qui arrivaient à avoirplus de quinze esclaves, la propriété de deux ou trois était très courante. Pour les richespropriétaires, la possession d’esclaves était systématique. Leurs fortunes se caractérisaientaussi par une quantité importante de terres et de bétail. Cependant, malgré l’extension notablede la terre, les esclaves continuaient à avoir une valeur supérieure à celle-ci. Dans ce petitgroupe des catégories supérieures, un total de 33 esclaves est le maximum déclaré par unmême propriétaire dans toute la documentation consultée.15 Ce chiffre n’est pas extraordinairecomparé à celui des grandes propriétés de production de sucre ou de café, mais pour la réalitédu Sertão, c’est énorme. D’ailleurs, la somme de la valeur des 33 esclaves correspond presqueà la moitié du montant total du patrimoine déclaré par le riche propriétaire.

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21 Chez les propriétaires les plus modestes, posséder des esclaves avait des conséquencespatrimoniales bien plus importantes. C’est le cas, par exemple, de Rufina Gomes de Sá16 qui,au moment de sa mort, possédait trois esclaves : Benedicto, âgé de 36 ans, Pulquéria, âgéede 24 ans, et Maria, âgée de 4 ans. La valeur des trois esclaves correspondait à 650.000 réis,alors que le patrimoine total déclaré était de 939.160 réis. Les 289.160 réis de différence secomposaient de trois « parts de terre », d’une maison, d’un oratoire avec des images, d’unlit, de trois caisses couvertes de cuir, de 18 bœufs, de deux chevaux, de deux bêches et dedeux haches. Aucun signe de richesse ou de luxe n’est présent dans l’inventaire. Il s’agit, aucontraire, d’un foyer de petits éleveurs qui cultivaient également des denrées alimentaires.Malgré ce patrimoine modeste, trois esclaves ont été recensés dans cette maison, ce qui suggèreun attachement particulier à la pratique. C’était également le cas de ceux qui n’avaient plusles moyens d’entretenir des esclaves.

2. La copropriété22 Dans un contexte d’appauvrissement, les partages successifs des biens entre les descendants

de quelques anciennes familles de colons avaient provoqué un morcellement du patrimoinefamilial. Ces personnes étaient dans l’impossibilité de préserver leur richesse familiale enpériode de crise et utilisaient des stratégies pour le maintien, sinon de leur richesse, du moinsd’un statut élevé dans la société.

23 Dans cet état d’esprit, la pratique de la possession d’esclaves en copropriété s’est développée,afin d’éviter la disparition de l’esclavage du quotidien des familles appauvries. L’analyse dupartage des biens montre comment on divisait parfois la valeur d’un esclave entre plusieurshéritiers. Dans une société où les transactions commerciales n’étaient pas essentiellementbasées sur l’argent, il était souvent désavantageux de vendre un esclave qui pouvait servir àtoute une famille. Ainsi, il est devenu courant, au moment de la réalisation d’un inventaireaprès décès, de léguer des « parts » d’un même esclave aux différents héritiers. Dans ce cas,l’esclave n’était pas vendu, mais « partagé » entre plusieurs personnes dans un système decopropriété. Dans la pratique quotidienne, le partage se traduisait par l’exploitation d’un mêmeesclave par plusieurs maîtres, selon les besoins et la valeur de la part héritée par chacun.Souvent, plusieurs héritiers n’habitaient pas loin les uns des autres, sur les terres des anciennesfazendas. De cette façon, il était possible pour l’esclave de circuler sur la propriété et de servirplusieurs maîtres, ce qui, du point de vue de l’esclave, n’était pas nécessairement un avantage.

24 D’autres sources confirment la pratique de la copropriété. Dans les lettres d’affranchissementet les registres d’achat et de vente d’esclaves, la commercialisation et la libération de partsd’esclaves étaient courantes. Ainsi, la copropriété était une stratégie qui bénéficiait auxmaîtres, mais qui pouvait allonger, pour l’esclave, le chemin à parcourir dans sa quête dela liberté. Il arrivait ainsi que certains esclaves soient en partie libre et en partie esclave.Juridiquement le statut de semi-libre n’existait pas, toutefois, dans la pratique, il était possiblequ’un esclave ayant des parts affranchies ait des jours de liberté. En tout cas, la notionde liberté restait floue et dépendait beaucoup de la volonté des maîtres, d’autant que,de manière générale, la copropriété rendait plus complexes les démarches juridiques pourl’affranchissement.

25 La copropriété, en multipliant le nombre de maîtres, augmentait aussi la complexité desrelations esclavagistes. Bien entendu, dans la pratique quotidienne, cette obligation légalese traduisait par l’exploitation d’un seul esclave par plusieurs personnes. Cependant, cettecomplexité a permis à la propriété d'esclaves de continuer à être courante dans le Sertão. Ainsi,confrontés aux difficultés de la seconde moitié du XIXe siècle, les maîtres ont su éviter que lapropriété d'esclaves ne devienne le privilège de quelques-uns et ils ont été capables d'adapterla pratique à la réalité de la crise, en exploitant la main-d'œuvre servile selon les possibilitésdont ils jouissaient.

3. La reproduction naturelle26 L’historiographie a toujours considéré que l’esclavage brésilien était dépendant de la traite,

initialement atlantique puis, ensuite, interne. Toutefois, des études plus récentes ont démontré

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que,17 même si cette source d’approvisionnement était essentielle, il est nécessaire derelativiser son importance dans certaines régions du pays et de prendre en compte lareproduction naturelle dans le maintien de l’esclavage. Dans des régions éloignées des portset d’un intérêt économique moindre, l’arrivée d’Africains était moins fréquente et leur valeurmarchande n’était pas toujours adaptée à la réalité locale. Si ces régions avaient des difficultésà l’époque de la traite atlantique, à partir de 1850, elles ont cessé définitivement d’attirer de lamain-d’œuvre et sont devenues des fournisseurs d’esclaves pour les régions les plus prospères.

27 La production naturelle n’a pas entièrement remplacé la traite mais elle a fonctionné commealternative viable à la survie du système esclavagiste dans ces sociétés. Si elle n’est pasparvenue à maintenir l’esclavage au même niveau qu’à l’époque de la traite, elle a évité sadisparition dans ces zones reculées, à une période où l’offre de main-d’œuvre esclave diminuaitdans tout le pays.

28 Dans cette société, la quasi-inexistence d’un commerce d’esclaves et le taux élevé de femmeset d’enfants parmi eux confirment bien que la population esclave se reproduisait naturellement.D’ailleurs, c’est dans ce contexte que la pratique de la copropriété prend tout son sens. Alliée àla reproduction naturelle, elle a permis à une même famille de rester propriétaire d’une mêmefamille d’esclaves pendant plusieurs générations. Il faut donc inclure la favorisation de lareproduction naturelle dans les stratégies esclavagistes adoptées par les maîtres dans le Sertão,stratégie qui n’était pas nécessairement négative du point de vue de l’esclave, puisqu’elle luioffrait une réelle possibilité de fonder une famille.

29 Il est donc possible d’affirmer que, sur ces terres, l’héritage – et la reproduction naturelle desesclaves – est resté la façon la plus courante de posséder des esclaves. Cependant, cela n’a pasempêché les maîtres de vendre certains esclaves à des régions plus riches. En effet, en jouantsur deux intérêts opposés, les propriétaires cherchaient à profiter de la traite interne prospère,sans pour autant se priver des esclaves dans le quotidien.

4. La traite interne30 À la fin de la traite atlantique, un commerce interne d’esclaves s’est mis en place dans tout

le Brésil. Des commerçants circulaient dans les différentes régions du pays pour acheter desesclaves des régions les plus pauvres et les vendre dans les régions plus riches. Le Sertãon’était pas exclu de ce commerce lucratif.

31 Par le biais de procurations18 pour la vente d’esclaves dans d’autres régions du pays, ilest possible d’identifier la présence d’au moins un réseau de négociants. Ces procurationssuivaient un même modèle et mandataient presque toujours les mêmes personnes pour vendreles esclaves dans d’autres provinces du pays. Elles n’indiquaient pas la valeur de l’esclave, nile nom de l’acheteur, mais le nom des différents bénéficiaires d’une procuration dans les villesde Tacaratu, Penedo, Maceió, Recife, Salvador de Bahia, Rio de Janeiro et São Paulo. Par lafaçon dont elles étaient rédigées, ces procurations indiquent qu’il s’agissait bien d’un réseaude commerce d’esclaves présent dans plusieurs régions du pays. En effet, partant de la villede Tacaratu, ces commerçants transportaient les esclaves dans les villes les plus importantesqui fonctionnaient comme des centres de redistribution. Ce n’étaient donc pas seulement lesrégions de production de café qui attiraient les esclaves en provenance des lieux les pluspauvres. Le Sertão et le Sudeste représentaient les deux pôles opposés d’une logique fondéesur l’offre et la demande. La traite interne d’esclaves suivait des routes qui parcouraient le paysdu Nord au Sud. Ainsi, les esclaves étaient achetés et vendus tout au long du chemin selonles opportunités qui se présentaient. La vente n’était donc pas uniquement interprovinciale,mais aussi régionale, dans un mouvement qui commençait dans le Sertão, passait par la côteproductrice de canne à sucre et arrivait finalement dans la région du café. La ville de Penedoapparaît comme le centre de vente d’esclaves dans le Sertão, tandis que sur la côte, Recife,Bahia et Alagoas centralisaient les transactions de l’économie sucrière. Finalement, Rio deJaneiro et São Paulo attiraient les acheteurs dans la région plus riche, consacrée à la productionde café.

32 Dans tout le pays, les jeunes hommes et les enfants de sexe masculin attiraient prioritairementl’intérêt de ces négociants, ce qui semble se confirmer dans le Sertão. La majorité des esclaves

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nommés dans les procurations consultées étaient de sexe masculin, et plusieurs d’entre euxétaient très jeunes, généralement âgés de huit à dix-sept ans. Les femmes les plus jeunesintéressaient également les commerçants d’esclaves, bien que dans une moindre mesure. Au-delà de trente ans, en général, elles prenaient de la valeur lorsqu’elles étaient accompagnées deleurs enfants, esclaves ou affranchis par la loi du Ventre-libre. Dans ces conditions, les enfants,qui ne pouvaient plus être séparés de leurs mères, intéressaient les acheteurs d’esclaves.

5. Des esclaves indiens33 Une dernière stratégie identifiée est la soumission d’Indiens métis à l’esclavage. Il est admis

que, dans la période coloniale, les terres semi-arides étaient peuplées de colons aux faiblesressources, incapables d’importer une grande quantité d’esclaves noirs. Ainsi, la pratiquede l’esclavage des Indiens était courante, malgré l’opposition de l’Église Catholique etl’interdiction officielle, comme le confirment les sanglantes guerres menées pour les capturer.En outre, plusieurs tribus du Sertão, localisées dans des zones d’accès difficile, abritaientnon seulement des indigènes chassés par les colons, mais également des esclaves fugitifs.Lors d’expéditions menées à la poursuite des esclaves en fuite, toutes ces populationsétaient capturées, indépendamment de leurs origines ethniques. D’ailleurs, pour justifier uneexpédition punitive dans la région on accusait les tribus « de regrouper des esclaves fugitifs,d’autres Indiens non moins criminels et d’autres qualités d’hommes ».19

34 La documentation notariale a volontairement privilégié un classement vague de la couleurde peau des esclaves, afin de dissimuler l’esclavage indigène. L’interdiction de ce typed’esclavage empêchait l’utilisation de termes comme Indien pour caractériser les esclaves dansles documents officiels comme les inventaires après décès ou le recensement national.20 Maisl’existence d’esclaves indiens est attestée par l’utilisation de la désignation Indien dans desdocuments où la question juridique n’était pas en jeu, comme les registres de baptême ou demariage.

35 Aujourd’hui, l’historiographie reconnait que l’esclavage d’Indiens, même interdit, a toujoursexisté au Brésil. Les Indiens apparaissent, plus ou moins, selon les périodes, comme esclavesou comme main-d’œuvre de réserve utilisée dans les périodes de crise.21 Même si leur statutjuridique n’a pas varié, dès la période coloniale, une législation contradictoire a ouvert despossibilités à l’esclavage de ces populations.

36 Ainsi confondues légalement, les populations noires et indiennes étaient aussi liées dans lequotidien. Elles partageaient les mêmes espaces de travail et d’habitation et entretenaient desliens affectifs et familiaux. En effet, elles vivaient souvent dans les mêmes conditions à lafin du XIXe siècle, comme l’indique bien le rapport d’une commission chargée d’examiner,en 1870, la situation des indigènes du Pernambouc : « la plupart des Indiens qui reçoiventdans cette province l’appellation d’Indiens sont une race déjà dégénérée  ; les Noirs, lesPardos,22 plus ou moins foncés, vivent comme des Indiens, ils sont également connus souscette dénomination ».23

37 Malgré la crise, donc, une partie de la population du Sertão est restée esclave jusqu’à ladisparition de l’institution. Historiquement, la quantité d’esclaves dans le Sertão a toujours étéinférieure à celle de la côte, même dans des périodes de prospérité. En général, pour entretenirune grande fazenda de bétail, en moyenne quinze à vingt travailleurs étaient nécessaires(Gorender, 412). Ainsi, même si la deuxième moitié du XIXe siècle est une période de déclinde l’esclavage dans le Sertão, il faut comprendre qu’il s’agissait d’une société plongée dans lapratique de l’esclavage depuis plusieurs siècles. Si la transition vers l’utilisation de la main-d’œuvre libre était déjà en cours, l’héritage esclavagiste continuait à dicter des comportementset des pratiques sociales.

IV/ Qui étaient ces esclaves?38 Comprendre qui étaient ces esclaves permet de mettre en lumière leur mode de vie et la manière

dont ils agissaient dans la société de l’époque. Identifier d’où ils venaient, leurs principalesactivités et leurs lieux d’habitation peut aussi en dire beaucoup sur leur quotidien, la possibilité

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qu’ils avaient de former une famille et les rapports qu’ils établissaient avec les autres membresde la société.

1. Des hommes, des femmes et des enfants39 Tout d’abord, ces esclaves étaient, pour la plupart, nés dans le Sertão. Même avant la fin de la

traite atlantique, la référence aux Africains est rare dans la documentation locale et correspondà des esclaves d’âge avancé. En effet, l’appauvrissement de la société, allié à l’augmentationdu prix des esclaves, a compromis le commerce dans la région, occasionnant le développementd’un cadre démographique différent de celui des régions d’économie exportatrice où, grâceà la traite, la présence masculine était prédominante. Dans le Sertão il y avait non seulementune grande majorité d’esclaves nés dans la région, mais aussi un meilleur équilibre homme/femme, ainsi qu’une prédominance de propriétaires ayant un nombre réduit d’esclaves.

40 Malgré l’équilibre quantitatif, en ce qui concerne le travail, les espaces réservés à ces hommeset ces femmes étaient clairement démarqués dans cette société patriarcale. Tout d’abord, leshommes circulaient dans les propriétés rurales pour l’entretien du bétail. Dans ce domaine,le métier le plus respecté était celui de responsable du troupeau du propriétaire absent (levaqueiro). À l’inverse des autres travailleurs ruraux, le vaqueiro bénéficiait d’une plus grandemobilité sociale puisqu’il avait toujours droit à quelques bœufs sous sa responsabilité. Ainsi,grâce à ces conditions moins difficiles, il s’affranchissait plus facilement.

41 C’est ce qui explique que la majorité des hommes encore esclaves dans le Sertão à la fin dusystème esclavagiste étaient des agriculteurs ou des responsables des « services généraux ».Ces activités, qui ne bénéficiaient pas de la reconnaissance sociale du vaqueiro, requéraientpourtant une grande habileté de la part de l’esclave. Ces hommes étaient responsables del’entretien de la propriété rurale, ce qui impliquait des activités telles que la constructiond’enclos et d’étables, l’agriculture et le soin des chèvres. De plus, ils étaient entièrementsoumis aux ordres impromptus des propriétaires.

42 Si la vie d’un homme esclave était difficile dans le Sertão, celle d’une femme esclave ne l’étaitpas moins. D’une manière générale, le rôle fondamental d’une femme, indépendamment desa condition sociale, était d’avoir de nombreux enfants, si possible de sexe masculin, et de lesélever. La capacité à se reproduire pour une femme correspondait à une réelle attente sociale.Cette remarquable importance de la natalité s’explique par un fort taux de mortalité, surtoutchez les enfants, dans les premières semaines de vie.

43 Par ailleurs, l’espace de la femme, qu’elle soit riche ou pauvre, se limitait à l’intérieur despropriétés rurales et, de préférence, à l’intérieur des maisons. Bien que le travail féminin soittrès mal vu dans cette société, il faisait partie du quotidien d’une femme pauvre, libre ouesclave. Les femmes esclaves étaient d’ailleurs très utiles et extrêmement rentables pour lespropriétaires. Tout d’abord, elles étaient responsables de l’alimentation à tous les niveaux.Pour ce qui est des cultures vivrières, elles pouvaient travailler aux côtés des hommes,tout comme dans la production de la farine de manioc. En revanche, le service domestiqueleur était réservé. Ensuite, elles devaient aussi s’adapter aux activités les plus variées de cemonde rural : laver le linge au bord des rivières, porter les seaux d’eau sur la tête, aider lorsd’un accouchement ou bien s’occuper des personnes malades et des enfants. Finalement, laproduction textile était un domaine presque exclusivement féminin. Elles s’occupaient descultures du coton, dénouaient la fibre, produisaient le fil, pour finalement fabriquer le tissu.Les machines à filer exigeaient une agilité manuelle acquise dès l’enfance. En compagnie deleur mère, les filles apprenaient à manier ces équipements de toute sorte.

44 En effet, avant même d’apprendre à marcher, les enfants esclaves accompagnaient leursparents dans leurs activités quotidiennes et ils travaillaient dès leur plus jeune âge, quel que soitleur sexe. À cet âge, ils n’étaient pas répertoriés dans une profession définie, mais considéréscomme aptes au travail ou capables d’exercer des travaux légers. Par contre, à partir de six ousept ans, ils étaient considérés comme des travailleurs à part entière et étaient catégorisés aumême titre que les adultes. D’ailleurs, les enfants nés en captivité pouvaient être séparés trèstôt de leurs parents. La pratique de donation d’enfants esclaves à des enfants de la famille dupropriétaire était assez courante. De même, les enfants plus grands pouvaient être vendus pour

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travailler dans d’autres provinces de l’Empire. En effet, à partir de douze ou treize ans, leurprix s’élevait puisqu’ils avaient survécu à tous les risques de mortalité infantile et entraientdans la période la plus productive de leur vie.

45 En s’écartant du rapport au travail pour s’intéresser au lieu d’habitation, on constate que dansaucune des sources consultées n’est évoquée l’existence des senzalas, les grandes habitationscollectives d’esclaves très répandues dans les moulins à sucre et dans les fazendas de café.Les esclaves habitaient certainement dans de petites cabanes construites par eux-mêmes enbois et en pisé rouge, nommées « maison de taipa ». Ces maisons étaient les habitations lesplus courantes dans le Sertão, puisque seuls les plus fortunés avaient des maisons en brique.L’austérité des lieux d’habitation est donc un constat plus au moins marqué pour tous lesgroupes de la société de cette région. Les mêmes habitations servaient, d’ailleurs, aux esclaveset aux populations libres pauvres.

2. La famille esclave46 Le mode de vie décrit ici laisse entrevoir que la formation de familles d’esclaves était une

pratique très répandue dans le Sertão. Comme il a été démontré, la reproduction naturelleétait essentielle pour le maintien de l’esclavage. De même, l’habitation séparée, même simple,donnait à l’esclave plus d’intimité et donc de liberté pour la formation d’une famille que leshabitations collectives.

47 Finalement, en analysant les registres de baptême et de mariage, on note que la familleesclave pouvait être formée aussi bien par des mères célibataires que par des couples vivanten concubinage, ou même mariés à l’Église. Tout d’abord, dans les registres de baptême, lesenfants esclaves étaient classés comme légitimes (quand les parents étaient mariés à l’Église)ou enfants naturels (quand les parents vivaient en concubinage ou quand la mère élevait seuleson enfant).24 La grande majorité des enfants esclaves entraient dans la catégorie enfant naturelce qui montre que, dans le Sertão, la famille matrifocale prédominait.

48 Même s’il était peu fréquent, le mariage25 esclave était aussi possible. D’ailleurs, les registresexistants sont très significatifs des relations qui pouvaient s’établir, car on y retrouve desmariages entre esclaves d’un même maître ou de maîtres différents, mais aussi des mariagesentre une personne libre et un esclave et entre un esclave et un affranchi. Cette variété depossibilités existait grâce à l’organisation même de la société. Une telle organisation permettaità l’individu esclave de circuler dans les espaces communs de l’ancienne grande propriété,maintenant occupés par différentes familles de différents groupes de la société. D’ailleurs,le mariage entre personnes libres et esclaves confirme que d’autres travailleurs ruraux librespartageaient les mêmes espaces que la population servile.

3. Des esclaves parmi les pauvres49 Le nombre des habitants sans terre  a beaucoup augmenté dans la deuxième moitié du

XIXe siècle. Ces individus, qui ne constituaient pas un groupe homogène, étaient d’anciensesclaves affranchis, des blancs appauvris et des descendants d’Indiens. Ces personnes pauvresétaient juridiquement libres mais, dans la réalité quotidienne, elles étaient liées au réseaude dépendance d’un propriétaire terrien. Dans ces conditions, la précarité rassemblait etrapprochait esclaves et libres pauvres, de sorte que le travail des uns et des autres, tout commeles habitations, étaient communs.

50 Le contact direct entre ces travailleurs libres et esclaves créait des liens qui se traduisaient pardeux comportements contradictoires : la solidarité et le rejet. D’un côté, le rejet était fondé surl’affirmation de la différenciation soit de la condition et de l’ethnie, soit de l’activité exercéeet de la concurrence. En revanche, d’autres rapports se sont construits parallèlement à ceux-ci, privilégiant la solidarité et la parenté. Chez les personnes les plus pauvres, il était fréquentde trouver des familles formées par des personnes libres et des esclaves.

51 Ainsi, tous les habitants non-propriétaires, esclaves ou libres, étaient liés et soumis aux mêmesdifficultés. Une adaptation permanente aux conditions imprévues était nécessaire, chez lesuns comme chez les autres. Au sein de cette adaptation, vécue comme une transition vers unmonde meilleur, la liberté était l’objectif à atteindre, même si, souvent, elle ne se concrétisait

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pas. Chaque changement représentait une nouvelle possibilité de liberté, sur un chemin loinde la ligne droite. Ainsi, une personne libre pouvait être attachée, par des liens familiaux, àun propriétaire d’esclaves. Dans ce contexte, il faut comprendre la liberté comme un longprocessus et le projet collectif d’un groupe ou d’une famille.

52 L’esclave loyal avait toujours l’espoir d’un affranchissement gratuit, en récompense de safidélité. Toutefois, cette « récompense » n’était pas toujours un cadeau du maître, mais pouvaitdissimuler d’autres intérêts. C’est pour cette raison que les personnes âgées bénéficiaient enpriorité des affranchissements gratuits.

53 Acheter sa liberté restait un autre moyen de s’affranchir. Toutefois, cette solution dépendaittoujours de la volonté du maître et, dans le Sertão, souvent de plusieurs maîtres. Pouracheter leur liberté, les captifs faisaient, parallèlement à leurs obligations d’esclaves, de petitstravaux qui leur permettaient d’économiser de l’argent pour acheter leur liberté ou celle d’unproche. La liberté pouvait être le but de toute une vie, même si l’obtention de la charted’affranchissement ne représentait pas toujours la fin d’un projet de liberté. Souvent, desaffranchis continuaient à travailler pour acheter la liberté de leurs proches.

54 Ceux qui cherchaient à fuir cette logique de dépendance risquaient de perdre la liberté obtenue.Des Noirs affranchis qui vivaient dans des zones isolées risquaient d’être confondus avecdes esclaves en fuite et d’être ramenés vers la captivité. Dans une organisation sociale qui sefondait sur des réseaux relationnels construits entre les individus, chercher des alternatives devie autonome était risqué. Ainsi, même lorsqu’elles étaient libres, la majorité des populationspauvres continuaient à vivre sur les terres des propriétaires et à dépendre d’eux.

V/ Conclusion55 Il ressort de cette étude monographique sur une région spécifique du Brésil que la complexité

des relations de pouvoir dans une société esclavagiste dépasse de beaucoup la simpledimension économique. Les enjeux sociaux, le pouvoir symbolique et la culture de la servitudeont également des rôles importants dans l’explication de l’attachement porté à l’esclavage, auBrésil, au XIXe siècle.

56 Les résultats présentés ci-dessus montrent que la population esclave ne formait pas unecommunauté isolée, mais qu’elle était, bien au contraire, intégrée à la dynamique de la sociétéet construisait des liens avec les autres habitants de la région. Les esclaves ne formaientpas un groupe à part, ils partageaient les mêmes espaces d’habitation et de travail que lagrande majorité de la population libre. Cependant, le fait d’être intégré à la dynamique socialedominante ne représentait pas nécessairement un bénéfice pour l’esclave.

57 En effet, les propriétaires du Sertão ont su utiliser des stratégies qui garantissaient le maintiendes principes de base de l’esclavage. Une telle organisation sociale passait par l’existencede deux catégories d’êtres humains dans la sensibilité collective. D’un côté, les descendantsdes anciens colons qui, même appauvris et métissés, préservaient les symboles du pouvoir,tels le nom de famille, la propriété de parts de terre, de bétail et de quelques esclaves. Cescaractéristiques permettaient à ces personnes d’appartenir à la catégorie des « possédants »,soit d’une grande propriété foncière, soit d’un petit lopin de terre. À l’opposé de ce groupe,il existait une masse d’individus qui ne formaient pas une classe sociale, ni même un groupehomogène, composé de libres, d’affranchis et d’esclaves.

58 La crise et la pauvreté ont conduit à un plus grand rapprochement entre les individusappartenant à différentes catégories sociales et juridiques. Toutefois, du point de vuedes esclaves, la proximité vécue ne représentait pas nécessairement une amélioration desconditions de vie et de travail. Cette proximité quotidienne incitait les descendants des ancienscolons à chercher des alternatives qui les identifiaient en tant qu’élite et qui les différenciaientde la masse des esclaves et des travailleurs libres pauvres. Ainsi, dans un contexte peufavorable, les maîtres du Sertão ont utilisé des stratégies qui permettaient, en même temps, letransfert de la main-d’œuvre servile à d’autres régions du pays et le maintien de l’esclavagedans le quotidien local.

59 Rapprochée au quotidien, l’ensemble de la population, déjà fortement métissée, finissait parêtre liée. Il ne faut donc pas envisager les deux groupes comme deux mondes à part, les maîtres

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d’un côté et les esclaves de l’autre, mais comme un ensemble d’individus liés par de grandsréseaux de dépendance. Ainsi, la dynamique sociale identifiait tous les individus au sein dece réseau qui unissait les habitants par des rapports de parenté, de parrainage et de solidarité,mais aussi de pouvoir et de dépendance. Dans ce système, les esclaves n’apparaissaient pascomme un groupe présentant une identité particulière, ils faisaient, au contraire, partie de cettepopulation fortement rurale. Toutefois, dans un contexte précaire, les classes libres sentaient lanécessité de s’identifier en tant que groupe aisé et d’affirmer leur distinction. Les conséquencesde l’appauvrissement étaient donc accentuées chez les plus faibles. Ainsi, par leur condition,les esclaves sont-ils restés, malgré tout, une population particulièrement exposée à la pauvretéau sein d’une société elle-même bien fragile.

60 Cette étude monographique est un exemple concret de la façon dont, dans les dernièresdécennies, l’image de l’esclave au Brésil s’est transformée, s’est élargie et est devenue pluscomplexe. En effet, la multiplication de ce genre de recherches plus ponctuelles met enavant l’existence d’une pluralité de pratiques au sein même de l’institution esclavagiste.Mettre en avant la pluralité de ces relations permet aux historiens une analyse plus complexedu phénomène qui prend en compte les différentes dimensions – économiques, sociales etculturelles – de l’institution esclavagiste dans un pays où la pratique s’était profondémentenracinée tout en s’adaptant aux différents contextes.

Bibliographie

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- Livre de registres de sépulture, Paroisse de Santa Maria da Boa Vista (1876-1902)

- Livre de registre de mariage, Tacaratu (1845-1853)

- Livre de registre de mariage, Tacaratu (1868-1889)

- Livre de registre de baptême, Floresta (1866-1881)

- Livre de registre de baptême, Floresta (1868-1881)

- Livre de registre de baptême, Floresta (1871-1876)

- Livre de registre de baptême, Floresta (1876-1881)

- Livre de registre de baptême, Santa Maria da Boa Vista (1872-1883)

- Livre de registre de baptême, Tacaratu (1845-1851)

- Livre de registre de baptême, Tacaratu (1860-1873)

- Livre de registre de baptême, Tacaratu (1872-1888)

- Livre de registre de baptême, Tacaratu (1880-1884)

- 7 Lettres d’affranchissement (1865-1869)

- 1 procès criminels d’esclave, Floresta 1870

- 28 registres de vente et d’achat d’esclaves (1868 à 1878)

- 14 lettres d’affranchissement, Tacaratu (1878-1884)

- 44 procurations pour vente d’esclave (1877-1880)

2. Sources en ligne - Recensement General du Brésil 1872, communes de Floresta (Paróquia do Senhor do Bom Jesus dosAflitos da Fazenda Grande) et de Tacaratu (Paróquia Nossa Senhora da Saúde de Tacaratu). InstitutBrésilien de Géographie et Statistique (IBGE) - http://biblioteca.ibge.gov.br/

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Notes

1 Voir par exemple Alencastro, 85. Voir également la notice Número de Escravos dans Moura, 290.2 Les divergences théoriques et méthodologiques sont parfois importantes et il existe une énorme variétéde recherches possibles, portant sur le social, l’économique, l’ethnique, et le juridique, entre autres. Etcela, avec des approches qui vont du quantitatif au culturel. L’objectif de cet article n’est pas d’analyserles contributions méthodologiques, ni les nouvelles voies de recherche ouvertes à partir des années 1980.D’ailleurs, plusieurs sont les auteurs qui ont fait un bilan de cette production historiographique. Voir,par exemple, le premier chapitre de Schwartz ; l’article de Queiróz; et la préface de la deuxième éditionde Mattoso, 1994.3 Sur la notion de “monde rural,” voir Del Priore et Venâncio. Plus particulièrement sur le Pernamboucvoir également Palacios qui analyse les petits producteurs de manioc, de tabac et de coton, qui ont obtenuune certaine autonomie dans les régions frontalières de celles de la production sucrière, tout au long duXVIII siècle. Dans ce travail, l’auteur montre d’autres possibilités d’organisation sociale, tournées versla subsistance et l’approvisionnement interne fondé sur la petite production et la petite propriété.4 Dans les zones de monoculture destinées à l’exportation de café ou de sucre, les propriétaires avaient,en général, une grande quantité d’esclaves et le déséquilibre homme-femme était toujours très prononcé.5 Les résultats présentés dans cet article sont issus notamment d’une partie de l’étude que j’ai réalisée surl’esclavage et le quotidien au Sertão du Pernambouc dans le cadre du Mestrado à l’Université Fédérale duPernambouc au Brésil (Maupeou, 2008). Pour une version en français, voir l’étude préliminaire réaliséedans le cadre du Master 1 (Maupeou, 2007).6 La documentation utilisée provient d’une région du Sertão du São Francisco, actuellement identifiéecomme la Microrégion de Itaparica en Pernambouc. Cet espace correspond à une zone approximative de9.590 Km2 formée d’un ensemble de sept communes : Belém do São Francisco, Carnaubeira da Penha,Floresta, Itacuruba, Jatobá, Petrolândia et Tacaratu.7 Sur les pratiques d’appropriation de terre dans la région voir Burlamaqui.

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8 Aujourd’hui encore, il existe au moins sept groupes de descendants des populations indiennes dans larégion. Ce sont les tribus Tikum, Kambiwá, Pankaiuká, Pankará, Pipipã, Truká et Pankararu.10 Il s’agit du premier recensement national. Les donnés des deux principales communes de la région,Floresta et Tacaratu, ont été consultées. Le recensement est disponible sur le site le l’Institut Brésiliende Géographie et Statistique (IBGE) : http://www.ibge.gov.br.11 Tous les résultats présentés dans cet article ont été obtenus à partir de l’analyse de la documentationnotariale et ecclésiastique du Sertão du São Francisco, localisée dans le fonds d’archives du Départementd’Histoire de l’Université Fédérale de Pernambouc (UFPE).12 Le Sertão était traditionnellement connu par l’historiographie comme économiquement inadapté autravail esclave. Cette vision reposait sur plusieurs arguments : l’isolement, la pauvreté et l’organisationdu travail dans la région. Ainsi, disait-on, l’élevage extensif des bovins ne permettait pas la surveillanceconstante du travailleur esclave, ce qui faisait obstacle à l’essor de l’institution dans cette région.13 Dans ce cas, les sources consultées correspondent à des registres de vente de terre et d’esclaves etsurtout aux inventaires après décès. Département d’histoire, UFPE, sans côte.14 Des esclaves sont cités dans plus de 70% des 151 inventaires après décès dépouillés, Départementd’histoire, UFPE, sans côte.15 Université Fédérale de Pernambouc, Departamento de História, Inventario de bens de TenenteCoronel José Francisco de Novais, 1850, sans côte. La désignation même de Tenente Coronel quiprécède le nom du riche propriétaire indique qu’il est une exception dans cette société appauvrie. Il figuredonc comme un notable rural qui se forge sa propre clientèle locale.16 Département d’histoire, UFPE, Inventaire après décès de Rufina Gomes de Sá, 1852, sans côte.17 Voir, par exemple la thèse de Solange Pereira da Rocha sur la Province de la Paraiba (Rocha, 2007).18 Livre de registre de notaire de Tacaratu de 1878, où sont registrées 44 procurations entre 1877 et1880. Département d’histoire, UFPE, sans côte.19 Lettre au Gouverneur datée du 27 octobre 1801 : “juntando-se à escravos fugitivos e outras qualidadesde índios não menos criminosos e outras qualidades de homens.” (Sampaio Silva, 81).20 Le classement de 1872 distingue, parmi les esclaves, les noirs (pretos) et les métis (pardos). 60,23%sont définis comme noirs, 39,76% comme pardos. Dans les inventaires après décès les termes employéssont plus variés, mais les deux termes le plus souvent employés sont criolo (noir né au Brésil) et cabra(qui est à l’évidence un métis, mais qui ne correspond pas à un type bien établi de métis).21 Muriel Nazzari, dans une étude sur la région de São Paulo au XVIe siècle, a remarqué que les Indiensoffraient des revenus et permettaient l'accumulation de capital dans les régions dont les ressources étaientinsuffisantes pour l'importation d’Africains (Nazzari, 2000).22 Le terme Pardo, littéralement « gris » en français, sert de manière générale à identifier un individumétis.23 “Maioria daqueles que, nesta Província recebem o nome de índios, já são uma raça degenerada, negros,pardos, mais ou menos escuros vivem como índios e são todos assim denominados” (Sampaio Silva, 83).24 Dans les neuf livres de baptême consultés, 740 enfants d’esclaves ont été identifiés.25 Dans les deux livres de registre de mariage consultés, il y avait 42 unions où au moins un des conjointsétait esclave.

Pour citer cet article

Référence électronique

Emanuele Carvalheira de Maupeou, « Captivité et quotidien dans un milieu rural brésilien : le Sertãodu São Francisco – Pernambouc (1840-1888) », L'Ordinaire des Amériques [En ligne], 215 | 2013, misen ligne le 11 juillet 2014, consulté le 29 octobre 2015. URL : http://orda.revues.org/485

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Emanuele Carvalheira de MaupeouUniversité Toulouse 2-Le Mirail, laboratoire FRA.M.ESPA, [email protected]

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Résumés

 Le Brésil a été un des plus grand pays esclavagistes de toutes les Amériques. Après l’abolition,le regard sur l’esclavage, phénomène qui a marqué profondément la société brésilienne, s’estconstruit et s’est transformé, tout en accompagnant l’évolution historique du pays lui-même.À partir des années 1980, un contexte de renouvellement théorique et méthodologique apermis l’ouverture de différentes voies de recherche. Aujourd’hui, grâce à la multiplicationde recherches ponctuelles et régionalement localisées, les historiens ne considèrent plus laprédominance d’un modèle unique d’esclavage au Brésil, mais plutôt une variété de pratiquesqui se sont adaptées aux réalités concrètes des différentes régions et secteurs du pays. Une deces voies s’intéresse à la présence d’esclaves dans des secteurs et régions non directement liés àla grande exploitation agricole exportatrice. Le Sertão étant une de ces régions par excellence,l’objectif ici est de présenter les résultats d’une étude ponctuelle sur l’esclavage dans le Sertãodu Pernambouc au Brésil au XIXe siècle. En effet, maîtres et esclaves de cette région pauvreet reculée ont su adapter l’institution esclavagiste à leur réalité dans une période de crise et,de cette façon, ont donné un visage spécifique à l’esclavage du Sertão.

Captivity and Daily Life in a Rural Region of Brasil: The Sertão of SãoFrancisco – Pernambuco (1840-1888)Brazil was a major slave-holding country of the Americas, and slavery has left deep markson Brazilian society. From abolition to the present, the representation of slavery has beenelaborated and transformed, following the various historical moments experienced by thecountry itself. From the 1980s onwards, the context of theoretical and methodological renewalhas opened the possibility of various approaches. Today, thanks to the proliferation of specificand regionally localized research, historians no longer consider the existence of a singlemodel of slavery in Brazil, but a variety of practices adapted to the different realities of eachregion and social segment of the country. One of these approaches focuses on the presence ofslaves in sectors and areas not directly related to the large agricultural production destined forexportation. The Sertão corresponds precisely to this kind of region, and the objective of thispaper is to present the results of a punctual study on slavery in this backcountry area of theBrazilian state of Pernambuco during the 19th century. In fact, masters and slaves of this poorand remote region adapted the institution of slavery to their reality in a period of economicdifficulties, thus giving a specific form to slavery in Sertão.

Cautiverio y cotidianeidad en una zona rural brasileña: el Sertão deSão Francisco – Pernambuco (1840-1888)Brasil es el país esclavista más grande de todas las Américas. Después de la abolición, lamirada hacia la esclavitud, en tanto que fenómeno que marcó profundamente la sociedadbrasileña, se ha construido y modificado, sin dejar de acompañar la evolución histórica delpropio país. A partir de los años 1980, un contexto de renovación teoríca y metodológicapermitió la apertura de diferentes vías de investigación. Hoy en día y gracias a la multiplicaciónde investigaciones puntuales y regionalmente situadas, los historiadores ya no consideranel predominio de un único modelo de esclavitud en Brasil, sino antes bien una variedad deprácticas que se adaptaron a las realidades concretas de las distintas zonas y sectores del país.Una de estas vías se interesa en la presencia de esclavos en sectores y regiones no directamenterelacionados con la gran explotación agrícola exportadora. Siendo el Sertão una de estaszonas por antonomasia, la meta es presentar aquí los resultados de un estudio puntual sobre laesclavitud en el Sertão de Pernambuco, en el Brasil del siglo XIX. De hecho, amos y esclavosen esta región pobre y apartada supieron adaptar la institución esclavista a su realidad en unperiodo de crisis y, por lo tanto, dar una imagen específica a la esclavitud del Sertão.

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Cativeiro e cotidiano num ambiente rural brasileiro : o Sertão do SãoFrancisco – Pernambuco (1840-1888)O Brasil foi um dos grandes países escravista de toda a América. Depois da abolição, o olharsobre a escravidão, fenômeno que marcou profundamente a sociedade brasileira, construiu-see transformou-se acompanhando a evolução histórica do próprio país. A partir dos anos 1980,um contexto de renovação teórica e metodológica permitiu a abertura de novas possibilidadesde análise. Hoje, graças ao número crescente de pesquisas pontuais e regionais, os historiadoresnão consideram mais a predominância de um único modelo de escravidão no Brasil, maisaceitam a existência de uma variedade de práticas que se adaptaram às realidades concretas dasdiferentes regiões e setores do país. Uma destas linhas de pesquisa se interessa pela presençade escravos em setores e regiões não diretamente ligados à grande propriedade exportadora.Sendo o Sertão uma dessas regiões, o objetivo deste artigo é de apresentar os resultados de umestudo pontual sobre a escravidão no Sertão de Pernambuco no século XIX. De fato, senhorese escravos desta região pobre e distante adaptaram a instituição escravagista à realidade localem um período de crise e, deste modo, deram uma fisionomia particular à escravidão do Sertão.

Entrées d’index

Mots-clés : Brésil, esclavage, quotidien, Sertão, PernamboucKeywords : Brazil, slavery, everyday life, Sertão, PernambucoPalabras claves : Brasil, esclavitud, cotidianidad, Sertão, PernambucoPalavras chaves : Brasil, escravidão, quotidiano, Sertão, Pernambuco