editorial - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf...

29
N° 28 - AVRIL 1995 REDACTION Directeur de la publication : F. VENNAT Comité de rédaction : - Rédacteur en chef : J. Cazenave - Membres : D. Diman, R. Hardy- Dessources, F. Vennat - Fabrication : Ch. Rénia, M-F. Jannot MONTAGE IMPRESSION PRIM - Z.I. de Jarry ISSN : 097-4216 COMMISSION PARITAIRE : 2082 AD EN COUVERTURE Pierre Naturelle N.M.G. 26.91.41 Photo : Alain AMESLON Maquette : IMAGE DE MARQUE ABONNEMENT : REVUE TRIMESTRIELLE : Prix au n° : 28 F ABONNEMENT : 100 F Antilles-Guyane 125 F Autres destinations Paiement par chèque à l'ordre du Régisseur des recettes de l'INSEE DIFFUSION : • DIRAG : Tour Secid - B.P. 300 97158 Pointe-à-Pitre Cédex Tél. 91.59.80 • S.R. GUADELOUPE : Avenue P. Lacavé - B.P. 96 97102 Basse-Terre Cédex Tél. 81.42.50 • S.R. MARTINIQUE : B.P. 7212 97274 Schoelcher Cédex Tél. 61.61.49 • S.R. GUYANE 1 rue Maillard Dumesle - B.P. 6017 97306 Cayenne Cédex - Tél. 31.61.00 • ANTIANE-ECO est disponible en kiosques et librairies. EDITORIAL EDITORIAL E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE Jacques CAZENAVE es chiffres du chômage sont souvent source de contestation. «Qui comptez-vous comme chômeurs ?» est la question inévi- table que suscite toute statistique en la matière. La poser est en soi légitime tant il est impossible de délivrer un comptage incontestable pour une réalité mouvante et difficile à cerner. Le statisti- cien s’est trouvé dès le départ confronté au problème d’inventer un instrument de mesure du chômage. La règle choisie est forcément ambi- valente. D’une part, elle transcrit des usages sociaux existants car aucune règle n’est posée sans référence. Une définition, nécessaire, n’est donc pas immuable : l’appréciation du chômage aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était il y a cinquante ans ou au début du siècle. La relation au travail et à l’entreprise, la législation sociale ont changé entre temps. D’autre part, la règle adoptée devient un modèle de représentation de la réalité : c’est par elle que l’on va essayer de comprendre la réalité du chômeur. Il y a donc un écart entre le phénomène mesuré et le phénomène réel. Cette ambivalence explique la récurrence de la question de la mesure du chômage, depuis la fin du XIXème siècle, époque où un comptage a été entrepris au niveau national. L’écart se creuse par le jugement que chacun porte sur la (plutôt sa) réalité du chômage. Pour certains, les chiffres la sous-estiment : par exemple, en contestant que les stagiaires rémunérés soient comptés avec l’emploi. Pour d’autres, les statistiques vont au-delà du chômage réel, avec souvent une mise en cause à peine voilée des vrais- faux chômeurs. Pour s’en tenir à la mesure, même les comparaisons internationales avec des taux harmonisés sont délicates. Elles donnent des indications, des ordres de grandeur. Mais on sait que le comptage à la base est plus restrictif aux Etats-Unis et au Japon qu’en France ou en Italie. Rien n’est donc simple et la mesure du chômage provoque interprétation y compris parmi les économistes. Elle n’est cependant pas une jungle inextricable réservée aux spécialistes. Pour les Antilles-Guyane, les travaux récents de l’Insee ont été guidés par un souci pédagogique de replacer plusieurs approches du phénomène. Trois représentations sont utilisées. Au centre, le chiffre «officiel», au sens de la définition internationale, aux critères restrictifs précisant recherche et démarches effectives. De manière plus large, une perception plus subjective, avec le total des personnes qui se considèrent sans emploi : c’est la représentation du recensement de la population. A côté des deux, le comptage ANPE, soumis à l’intérêt que peuvent avoir les individus à s’y inscrire, lié au caractère attractif du traitement social du chômage. Alors, bien sûr, il n’y a pas un chiffre unique, chose qui déroute nombre d’utilisateurs. Mais avec un minimum de précautions pour identifier le chiffre utilisé, on peut se livrer à des comparaisons dans le temps ou dans l’espace. Souvent renouvelées, ces explications ne sont pourtant pas convaincantes pour tous. Certains contradicteurs minimisent le chômage parce qu’ils nient, au gré de leurs observations personnelles, à nombre de chômeurs la pertinence de s’afficher comme tels. C’est supposer qu’il y aurait une sphère d’activités enviables à côté de l’économie intégrée. Des cas avérés d’ingéniosité et d’évolution astucieuse dans les rouages du système - dont les chômeurs n’ont certes pas l’apanage - ne suffisent pas pour expliquer des masses d’individus à la recherche du seul statut attirant à leurs yeux : celui de l’emploi salarié avec contrat de travail. Il convient de préciser au passage, que le nombre de chômeurs est très loin d’épouser celui des Rmistes. Regarder le phénomène au travers d’un tel prisme, conduit surtout à ignorer le message essentiel délivré par l’analyse du chômage. La moitié des chômeurs sont des moins de trente ans. Le chômage s’identifie à un problème majeur d’insertion professionnelle avec malgré toute l’action des professionnels de la formation, une déficience de l’appareil d’insertion. C’est d’abord un problème de société puisqu’il pénalise les forces vives montantes. L

Upload: others

Post on 04-Aug-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

N° 28 - AVRIL 1995

REDACTIONDirecteur de la publication : F. VENNATComité de rédaction :

- Rédacteur en chef : J. Cazenave- Membres : D. Diman, R. Hardy-

Dessources, F. Vennat- Fabrication : Ch. Rénia, M-F. Jannot

MONTAGE IMPRESSIONPRIM - Z.I. de JarryISSN : 097-4216COMMISSION PARITAIRE : 2082 AD

EN COUVERTUREPierre Naturelle N.M.G. 26.91.41Photo : Alain AMESLONMaquette : IMAGE DE MARQUE

ABONNEMENT :REVUE TRIMESTRIELLE :Prix au n° : 28 FABONNEMENT :100 F Antilles-Guyane125 F Autres destinationsPaiement par chèque à l'ordre duRégisseur des recettes de l'INSEE

DIFFUSION :• DIRAG :Tour Secid - B.P. 30097158 Pointe-à-Pitre CédexTél. 91.59.80

• S.R. GUADELOUPE :Avenue P. Lacavé - B.P. 9697102 Basse-Terre CédexTél. 81.42.50

• S.R. MARTINIQUE :B.P. 721297274 Schoelcher CédexTél. 61.61.49

• S.R. GUYANE1 rue Maillard Dumesle - B.P. 601797306 Cayenne Cédex - Tél. 31.61.00

• ANTIANE-ECOest disponible en kiosques et librairies.

EDITORIALEDITORIAL

E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

Jacques CAZENAVE

es chiffres du chômage sont souvent source de contestation.«Qui comptez-vous comme chômeurs ?» est la question inévi-table que suscite toute statistique en la matière. La poser est ensoi légitime tant il est impossible de délivrer un comptage

incontestable pour une réalité mouvante et difficile à cerner. Le statisti-cien s’est trouvé dès le départ confronté au problème d’inventer uninstrument de mesure du chômage. La règle choisie est forcément ambi-valente. D’une part, elle transcrit des usages sociaux existants car aucunerègle n’est posée sans référence. Une définition, nécessaire, n’est donc pasimmuable : l’appréciation du chômage aujourd’hui n’est plus ce qu’elleétait il y a cinquante ans ou au début du siècle. La relation au travail et àl’entreprise, la législation sociale ont changé entre temps. D’autre part, larègle adoptée devient un modèle de représentation de la réalité : c’est parelle que l’on va essayer de comprendre la réalité du chômeur. Il y a doncun écart entre le phénomène mesuré et le phénomène réel. Cetteambivalence explique la récurrence de la question de la mesure duchômage, depuis la fin du XIXème siècle, époque où un comptage a étéentrepris au niveau national. L’écart se creuse par le jugement que chacunporte sur la (plutôt sa) réalité du chômage. Pour certains, les chiffres lasous-estiment : par exemple, en contestant que les stagiaires rémunéréssoient comptés avec l’emploi. Pour d’autres, les statistiques vont au-delàdu chômage réel, avec souvent une mise en cause à peine voilée des vrais-faux chômeurs.Pour s’en tenir à la mesure, même les comparaisons internationales avecdes taux harmonisés sont délicates. Elles donnent des indications, desordres de grandeur. Mais on sait que le comptage à la base est plus restrictifaux Etats-Unis et au Japon qu’en France ou en Italie. Rien n’est doncsimple et la mesure du chômage provoque interprétation y compris parmiles économistes. Elle n’est cependant pas une jungle inextricable réservéeaux spécialistes. Pour les Antilles-Guyane, les travaux récents de l’Inseeont été guidés par un souci pédagogique de replacer plusieurs approchesdu phénomène. Trois représentations sont utilisées. Au centre, le chiffre«officiel», au sens de la définition internationale, aux critères restrictifsprécisant recherche et démarches effectives. De manière plus large, uneperception plus subjective, avec le total des personnes qui se considèrentsans emploi : c’est la représentation du recensement de la population. Acôté des deux, le comptage ANPE, soumis à l’intérêt que peuvent avoir lesindividus à s’y inscrire, lié au caractère attractif du traitement social duchômage. Alors, bien sûr, il n’y a pas un chiffre unique, chose qui déroutenombre d’utilisateurs. Mais avec un minimum de précautions pouridentifier le chiffre utilisé, on peut se livrer à des comparaisons dans letemps ou dans l’espace.Souvent renouvelées, ces explications ne sont pourtant pas convaincantespour tous. Certains contradicteurs minimisent le chômage parce qu’ilsnient, au gré de leurs observations personnelles, à nombre de chômeursla pertinence de s’afficher comme tels. C’est supposer qu’il y aurait unesphère d’activités enviables à côté de l’économie intégrée. Des cas avérésd’ingéniosité et d’évolution astucieuse dans les rouages du système - dontles chômeurs n’ont certes pas l’apanage - ne suffisent pas pour expliquerdes masses d’individus à la recherche du seul statut attirant à leurs yeux :celui de l’emploi salarié avec contrat de travail. Il convient de préciser aupassage, que le nombre de chômeurs est très loin d’épouser celui desRmistes. Regarder le phénomène au travers d’un tel prisme, conduitsurtout à ignorer le message essentiel délivré par l’analyse du chômage.La moitié des chômeurs sont des moins de trente ans. Le chômages’identifie à un problème majeur d’insertion professionnelle avec malgrétoute l’action des professionnels de la formation, une déficience del’appareil d’insertion. C’est d’abord un problème de société puisqu’ilpénalise les forces vives montantes.

L

Page 2: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

TENDANCESTENDANCES

2E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

Il y a eu 355 défaillances d’entreprises en 1993 aux Antilles-Guyane. C’est le niveau le plus élevé enregistré depuis 1989.Ramené au nombre total d’entreprises, le taux de défaillance peut paraître faible si on le compare au taux national (moinsd’1 % contre 3,4 % en métropole). La forte présence de la petite et même de la micro entreprise dans le tissu domienl’explique en partie. Pour qu’il y ait défaillance, c’est-à-dire dépôt de bilan, l’entreprise doit être un minimum constituéeet organisée. Il ne faut pas, par ailleurs, confondre défaillance et cessation d’activité. La seconde notion est plus vaste etrenseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut.Par département, l’année 1993 a marqué un record sauf en Martinique. En Guadeloupe, le BTP (33 défaillances), l’hôtellerie-restauration (18) et l’immobilier (15) ont subi en 1993 de sérieux revers. Plus modeste, à l’image du secteur, le chiffre del’industrie hors IAA (16 dépôts de bilan) a été néanmoins près de deux fois supérieur au niveau annuel des trois annéesprécédentes. En Martinique, 1993 a sanctionné un retour au résultat global de 1990, loin des maximums de 1991 et 1992(165 et 167). Le BTP explique une bonne part de cette diminution après avoir traversé une mauvaise passe sur trois ans de1990 à 1992 avec 110 dépôts de bilan au total. Le commerce a aussi été moins perturbé (37 défaillances), après le pic de1992 (50). Les services aux entreprises ont cependant enregistré 21 défaillances, comme en 1992. En Guyane, 1993 a établi

un sommet (62 défaillances) en doublant le nombre de procéduresouvertes en 1992. Avec une quinzaine de dépôts de bilan chacun,le BTP, le commerce (équipement du foyer et gros alimentaire entête) et les services (surtout aux entreprises et transports) onttraversé cette année-là dans la tourmente.

1989 1990 1991 1992 19930

50

100

150

200

1989 1990 1991 1992 19930

50

100

150

200

1989 1990 1991 1992 19930

10

20

30

40

50

60

70

355 défaillances d'entreprises en 1993

Guadeloupe

Guyane

Années

Source : BODACC

Défaillances d'entreprises

Nom

bre

d'en

trep

rise

sN

ombr

e d'

entr

epri

ses

Nom

bre

d'en

trep

rise

s

39

Martinique 165 167

15

122

155

60

102113

137

Une statistique des dépôts de bilanUne entreprise est en situation de défaillance à partir dumoment où une procédure de redressement judiciaire estouverte à son encontre. Une telle procédure doit être déclen-chée dès que l’entreprise se trouve en état de cessation despaiements (elle n’est plus en mesure de faire face à son passifexigible avec son actif disponible). L’entreprise est alors tenuede déposer son bilan au greffe du tribunal compétent. Les deuxtermes de dépôt de bilan ou de défaillance désignent de façonéquivalente la situation de l’entreprise à la suite du jugementprononçant l’ouverture du redressement judiciaire. Commetous les jugements, celui-ci doit faire l’objet d’une publicationdans un journal officiel (le Bodacc ou Bulletin officiel desannonces civiles et commerciales). Le traitement de ces an-nonces sert de base à l’élaboration de la statistique de dé-faillances : elle comptabilise l’ensemble des dépôts de bilan,que l’entreprise soit finalement redressée (par continuationou reprise) ou liquidée.Enfin, les défaillances ne concernent qu’une faible part descessations d’activité. D’autres événements peuvent conduireà la disparition de l’entreprise en dehors de toute procédurecollective : simple fermeture, scission (éclatement en plu-sieurs unités), fusion acquisition (absorption par une autreentreprise). Le répertoire des entreprises SIRENE, géré parl’INSEE, enregistre les mouvements économiques et légauxaffectant toutes les unités. La statistique sur les cessations n’estcependant guère utilisable. Elle donne une réalité plus admi-nistrative qu’économique. De nombreuses entreprises ne si-gnalent pas leur disparition et celle-ci sera connue plus oumoins longtemps après.

62

136

30

138

Années

Années

Secteur tertiaire Secteur secondaire

Page 3: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

EMPLOIEMPLOI

3E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

E tre chômeur à l’aubede l’an 2000, c’estd’abord se sentir ex-clu, exclu d’une cer-

Ainsi naquit le chômage,puis il se développa...

En 1950, un peu plus d’unsiècle après l’abolition del’esclavage, se déclarer autravail est la règle. On répugneà se considérer commechômeur.Quarante ans après, le chômageest une réalité tangible. Il s’estinstitutionnalisé et saperception, comme celle del'emploi, a changé.

taine consommation, d’un cer-tain bien-être, d’une certaine joiede vivre... D’aucuns considèrentmême le chômage comme unnouveau critère de différencia-tion sociale. Les privilégiés se-raient ceux qui ont un emploi ; lesautres seraient défavorisés. En1990, environ 30 % des Antillaiset 24 % des Guyanais "se décla-rent chômeurs". En réalité, ils nele sont pas tous, mais se perçoi-vent comme tels. En général parcequ’ils ont une activité qu’ils neconsidèrent pas comme un vraitravail. Dorénavant, avoir unemploi, c’est avoir un travail ré-gulier correctement rémunéré,avec un contrat, de préférence àdurée indéterminée. Cette con-ception restrictive de l’emploi,amène a contrario une concep-tion extensive du non-emploi,donc du chômage. De plus, ledéveloppement du chômage et saprise en charge sociale progres-sive ont contribué à le rendre plusacceptable. D’où une moindrerépugnance à se déclarer chô-meur.Jusqu’au milieu des années 70,les activités agricoles ont joué unrôle important dans les économies

des DOM. Par leur nature, ellesont beaucoup contribué à ali-menter le sous-emploi et la pluri-activité de subsistance. La pertede vitesse de l’agriculture a faitbasculer dans l’inactivité et lechômage nombre d’ouvriers etd’exploitants agricoles. Entre 1970et 1980, chômage et inactivité sedéveloppent au détriment du sous-emploi.

Le chômage commence às’institutionnaliser avec l’implan-tation de l’ANPE en 1977. Pasencore d’indemnisation (lesASSEDIC sont instaurées en 1980),mais les agences ANPE entrentpeu à peu dans les moeurs : lieuxoù la demande et l’offre de travailpeuvent se rencontrer.Entre 1980 et 1990, le chômageexplose ; le nombre des inactifs,lui, ne progresse que modérément.Ces évolutions sont le signe d’unemodification du comportementdes Antillais face au travail et aunon-travail. L’aversion pour lesalariat s’est estompée. La miseen place de la sécurité sociale(vieillesse en 1948, maladie en

Eléments de bibliographie:Historial Antillais : sous la direction deR. Suvelor - Société Dajani 1980.“Histoire économique de la Guadeloupe et dela Martinique” - A-P Blérald - Karthala 1986.“Esclave = facteur de production ; l’économiepolitique de l’esclavage” (Quinze spécialistesréunis par S. Mintz) - Dunod 1981.“Les esclaves aux Antilles Françaises” -G. Debien - Sociétés d’Histoire de la Guade-loupe et de la Martinique 1975.“La Guadeloupe - G. Lasserre - Union fran-çaise d’impression 1961.“Le code noir ou le calvaire de Canaan” -L. Sala-Molins - PUF 1987.

L'aversion pour lesalariat s'est

estompée

Page 4: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

EMPLOIEMPLOI

4 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

1955) n’y est pas étrangère. Acette époque, pouvoir bénéficierde l’assurance sociale est unavantage apprécié à sa juste me-sure dans une population sous-alimentée, en proie aux maladiesinfectieuses et parasitaires. Avoirun salaire décent rend le tableauidyllique, d’où l’engouement pourla fonction publique dans les an-nées 1950/60. Le mythe de lafonction publique ne fait ques’amplifier après l’extension de laprime de vie chère aux fonction-naires locaux. Par la suite, lesemplois se sont développés dansles services (hors administrations),et le salariat est, depuis les an-nées 90, la forme dominante derapport au travail. Perception dutravail et perception du chômagesont très liées, et ont évolué depair au cours des siècles.Très vite, au tout début de la colo-nisation européenne dans la

Caraïbe, il est apparu que le sys-tème de grandes propriétés né-cessaire à l’approvisionnement ensucre, café, épices... des puis-sances coloniales, ne pouvait sesatisfaire de la force de travail descolons, et des quelques “enga-gés” (1) qui se risquaient à traver-ser l’Atlantique. Très vite donc,l’esclavage des noirs d’Afrique,d’abord pratiqué par les Portugaiset les Espagnols, s’imposa aussicomme la forme la plus généraled’organisation du travail dans lescolonies françaises de la Caraïbe.La traite des nègres a-t-elle étéinstaurée pour les besoins del’économie de plantation, ou cettedernière a-t-elle seulement bé-néficié d’un commerce déjà bienétabli ? (2). Ce commerce a en toutcas fourni aux grandes plantationsune offre de travail élastique.L’économie des grandes planta-tions a soutenu et développé latraite. Ses conséquences sur lerapport au travail dans les socié-tés domiennes ne peuvent êtrenégligées.“Le fouet, en un mot, est l’expres-sion du travail aux Antilles” . Cecommentaire de V. Schoelcher (3),résume à lui seul les conditionsde travail des esclaves sur lesplantations. Le maître cherche àextorquer le surtravail maximum.Le Code Noir promulgué par LouisXIV en 1685 lui en donne lesmoyens. Les journées de travailsont longues (au delà de 18hquelquefois, selon le bon vouloirdu maître). Les conditions sanitai-res sont souvent déplorables et lanourriture minimale. En principele Code Noir réglemente de ma-nière très stricte les conditions devie des esclaves et prévoit desamendes pour les maîtres qui neles respecteraient pas. En réalité,ces derniers aménagent la régle-mentation. Ainsi V. Schoelchersignale-t-il le non-respect du di-manche. Il stigmatise “les défen-seurs de la religion” qui en Francene veulent pas qu’on travaille le

dimanche ; “ aux Antilles, ils veu-lent qu’on travaille pour rien cejour-là” (4).

L’abolition de l’esclavage jeta ungrand trouble dans la plantocratiequi craignait qu’elle n'entraîneune abolition du travail. Il y eutbien cessation partielle de travailde la part des anciens esclaves,mais surtout, désorganisationcomplète de la production sur lesplantations. Le système avait lui-même engendré des potentialitésde résistance. Par mesure d’éco-nomie, et pour éviter toute éven-tuelle oisiveté de leurs esclaves,certains maîtres mettaient à leurdisposition des lopins de terre àcultiver en cultures vivrières. Lesvoilà en partie libérés de l’obli-gation faite par le Code Noir denourrir leurs esclaves. Des escla-ves ont acquis ainsi un savoir-faire en tant que cultivateur.D’autres ont été initiés à des mé-tiers de l’artisanat.La rupture du lien de propriétéentre maître et esclave va entraî-ner un formidable exode, versd’autres zones rurales ou vers lesbourgs, et l’émergence de tra-vailleurs indépendants. La loiMackau de 1845, en rendantpossible l’accès des affranchis àla propriété, va permettre le dé-veloppement d’une petitepaysannerie indépendante.Parallèlement, un véritable mar-ché du travail s’instaure dans lescampagnes. Les anciens esclaves,devenus mobiles, vont chercher àvendre leur force de travail auplus offrant, et en argent ! Plusquestion d’accepter un paiementen nature. L’organisation du tra-vail sur les plantations devientalors problématique.L’abolition de l’esclavage mar-

Depuis 1974, montée parallèlede l'emploi et du chômage

(1) Au début de lacolonisation, les“engagés” sontd’origine euro-péenne et signentun contrat d’enga-gement de 36 moisau service du co-lon, à charge pource dernier de pren-dre à son compte lecoût de leur trans-port.

(2) Voir sur ce point“Esclave = facteurde production, l’é-conomie politiquede l’esclavage”,sous la direction deS. Mintz - Dunod1981.

(3) Cité par A-PBlérald. Histoireéconomique de laGuadeloupe et dela Martinique.

(4) Blérald, ibid.

Un marché du travails'instaure dans les

campagnes

Source : INSEE - Recensements de la popuulation

0

50000

100000

150000

200000

250000

300000 Guadeloupe

Population 15 ans et +

Pop. active occupée

Nbre de chômeurs

0

50000

100000

150000

200000

250000

300000Martinique

Pop. active occupée

Population 15 ans et +

Nbre de chômeurs

1954 1961 1967 1974 1982 1990

1954 1961 1967 1974 1982 1990

Page 5: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

EMPLOIEMPLOI

5E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

que une rupture importante : ac-cès à la propriété d’une part, in-tervention de l’argent dans lesrelations de travail, d’autre part.Cette situation était devenue toutà fait intolérable pour les grosplanteurs qui obtiennent deNapoléon III en 1852, un régimed’obligation au travail plus pro-che de l’esclavage que du salariat.La règle est l’engagement, pour aumoins un an ; l’engagé reçoit unlopin de terre et une case, ce quiaccroît sa dépendance vis à vis deson patron. Il fournit une presta-tion en travail contre une rému-nération qui peut prendre des for-mes diverses. Il doit être munid’un livret visé tous les mois parle patron. Le passeport intérieurvient compléter le dispositif, enpermettant aux autorités de sui-vre les déplacements de tous (saufles notables semble-t-il).

Tout individu, sans livret ni pas-seport et sans preuve d’un travailpour son propre compte, estconsidéré comme vagabond. Il estpassible d’amendes, payables enjournées de travail. SelonJ. Adélaïde-Merlande, “la situationpotentielle de vagabondage (pasde moyen de subsistance, pas demétier ni profession habituels)crée en quelque sorte l’obligationpour échapper à la répression duvagabondage de contracter unengagement de travail”. Riend’étonnant alors que ces con-damnations touchent surtout destravailleurs indépendants.Dans ces conditions, le travail estcoercitif. Le travail pour autrui estsynonyme d’assujettissement,mais est un mal nécessaire si l’onveut échapper au délit de vaga-bondage.Les travailleurs subissent plusqu’ils n’acceptent les contraintesliées au travail. Le seul moyen de

résister à l’embrigadement du tra-vail forcé est de travailler libre-ment pour soi. Dès la période del’esclavage, la pratique du jardin-nègre ou jardin-case, ancêtre dujardin créole s’est développée surcertaines habitations. Espace deliberté, d’autonomie, il arrangebien les maîtres, car il procure desvivres. Mais avec cette pratique,les esclaves, outre leur savoir-faire de cultivateur, se familiari-sent avec le maniement de l’argentquand ils peuvent vendre unepartie de leur production.Après l’abolition de l’esclavage,l’attribution de lopins de terre auxsalariés agricoles va dans le mêmesens. Les “gens casés” sont atta-chés à l’habitation, de même queleurs enfants, et une bonne partde leur rémunération est englou-tie dans la boutique de l’habita-tion. Les “gens étrangers” sontouvriers agricoles occasionnels,le plus souvent petits planteurs oucolons partiaires (5). Pour ceux-ci,on met à leur disposition de la

terre, en général mal située, qu’ilscultivent en canne à sucre ; leproduit de la récolte, fourni àl’usine de l’habitation, est diviséen trois parts, 2/3 allant au pro-priétaire... En d’autres termes, qu’ilsoit esclave, “gens casé”, colonpartiaire, petit planteur, le tra-vailleur ne doit sa survie qu’àl’exercice d’une “autre activité”. Iltravaille, en général très dur, maisson “activité principale” ne suffitpas à la reproduction de sa forcede travail. Il est en sous-emploi...mais n’en a pas conscience. Etpour cause ! Sa journée dans sonactivité principale est déjà fortlongue. Son sous-emploi est “invi-sible” (6). Sa pluri-activité est desubsistance : elle s’intègre ainsidans la culture et les comporte-ments antillais face au travail.Dans les décennies 1950/70, lesous-emploi est la forme la pluscourante du mal-emploi. L’en-quête emploi menée en Guade-loupe en 1969-1970 indique que50 % des salariés du privé et 80 %

D’où vient le chômage ?“Nous n’aurons à définir le chômage que le jour où nous aurons à lui appliquer unremède”. Ainsi s’exprimait, au cours d’un débat en 1910, Lucien March, chef duservice du recensement. Cette déclaration, dont la pertinence a été ô combienvérifiée dans les faits, n’a pas empêché ce statisticien et beaucoup d’autres des’interroger sur la définition du chômage.Le chômage, une création des statisticiens ? En 1891, le recensement crée lacatégorie “population non classée”, ni active, ni inactive ; les chômeurs neconstituent pas une catégorie spécifique, ni à l’intérieur des “sans profession”, nià l’intérieur de la “population non classée”. En 1896, la catégorie statistique dechômeur émerge, parce que la question du chômage “est devenue socialementpertinente”. Le chômage est déterminé par différence, par éliminations succes-sives. On détermine d’abord ceux qui ont une profession rémunérée. Parmi ceux-ci, on distingue ceux qui “dépendent” d’un établissement ; ce sont des ouvriers etemployés. C’est là que se trouvent les chômeurs pour le statisticien. Les “sans-emploi” sont les ouvriers et employés qui appartiennent habituellement à unétablissement, mais qui n’ont pas indiqué le nom et l’adresse de leur entreprise.Pour passer des sans-emploi aux chômeurs, on a recours à l’âge (âge limite fixé à65 ans) et à la durée de la suspension de travail. Au fil des recensements, la duréede suspension a été précisée, jusqu’en 1936 où on arrive à une durée minimale dehuit jours. La recherche des causes de la suspension de travail permet de distinguerles chômeurs des autres “sans ouvrage”. On parlait déjà de séparer les “véritableschômeurs” de la masse des sans-emploi. Ce débat est donc ancien, mais il prendplus d’acuité quand il est question d’indemniser le chômage.Source : “L’invention du chômage” R. Salais, N. Baverez, B. Reynaud - PUF 1986.

Echapper au délit devagabondage

(5) Colon par-tiaire : qui partagela récolte avec lepropriétaire.

(6) Le sous-em-ploi invisible dé-finit la situationde celui qui bienque travaillant unnombre d’heuressuffisant, ne tirepas de son acti-vité des moyensfinanciers per-mettant une viedécente. Le sous-emploi visibledéfinit la situationde ceux qui netravaillent pas unnombre d’heuressuffisant.

Page 6: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

EMPLOIEMPLOI

6 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

010203040506070

54 61 67 74 82 90

chômeurs. L’inactivité (7) (au sensd'avant 1974) perd ses droits, lemarché du travail s’élargit avec lacroissance du chômage. Certes, ils’agit de chômeurs “déclarés” (leschiffres, fournis par les enquêtesemploi, de chômeurs au sens duBureau International du Travail,BIT, sont un peu plus modestes (8)).

Néanmoins, se déclarer chômeura un sens. Tout d’abord, le chô-mage a un véritable statut social.Le chômeur est reconnu, codifié,analysé, traité... Il n’y a plus dehonte à se dire chômeur (celan’exclut pas qu’individuellementun tel sentiment puisse exister).On est loin du schéma des années50 et de la présomption de vaga-bondage. Ensuite, la conceptiondu travail a elle aussi évolué. Avoirun emploi n’est plus comme en1950/60 avoir un moyen de sub-sistance : c’est avoir une activitérégulière et rémunératrice (il n’estpas exclu que, crise aidant, cetteconception évolue elle-même trèsvite).Aujourd’hui, parmi ceux qui seconsidèrent et donc se déclarentchômeurs, certains ont peut-êtreune activité, mais elle ne corres-pond pas à la conception qu’ilsont de “avoir un travail”. Elle n’ena ni le statut, ni les avantages, nile plus souvent le niveau de ré-munération acceptable. Ce nesont pas des chômeurs au sensstrict défini par le BIT. Ceci con-tribue à alimenter la polémiquesur les “faux chômeurs”. Ainsiest-on passé, en quarante ans,d’un chômage restreint, voireinexistant, à un chômage étendu.La conception du chômage achangé.

des indépendants sont en sous-emploi. Ces proportions sont plusimportantes pour les femmes quepour les hommes. L’agriculture etles services domestiques fournis-sent de gros bataillons de sous-employés. En réalité, la sphère del’activité est toujours très étendue(emplois normaux, sous-emploi,jobs...), tandis que la sphère duchômage est très réduite. Les en-quêtes emploi donnent un tauxde chômage de 16,5 % en Guade-loupe (1969) et 14,6 % en Marti-nique (1971). La sphère del’inactivité, plus importante, de-meure limitée (35 à 40 %).

Pendant des années, le problèmedu chômage n’a pas eu d’exis-tence avérée. Le rapport au tra-vail était tel que tous ceux quiphysiquement en étaient capa-bles, travaillaient ; les autresétaient inactifs (femmes au foyer,

malades, vieillards, invalides...).Dans les recensements, la ques-tion n’a vraiment été abordéequ’en 1974. Entre les années 50et 70, la conscience sociale duchômage existe : des chantiersde chômage ont été ouverts dès1956 et les fonds de chômage misen place en 1971. Mais tout aulong des décennies 50 et 60, toutle monde ou presque est en acti-vité, ne serait-ce qu’une partie del’année.En 1954, le taux d’activité est del’ordre de 65 % en Guadeloupe et62 % en Martinique, contre 58 %dans l’Hexagone. On travaillejusqu’à un âge avancé, les loissociales étant encore balbutiantes.En 1954, 44 % des plus de 60 anstravaillent. Mais la conception dutravail est très extensive. L’acti-vité saisonnière est très répandue(canne, banane...). Donc, onconsidère travailler, même quandon n’exerce une activité que demanière ponctuelle. Faire desjobs, c’est travailler, car c’estcomme cela qu’on subvient à sesbesoins. Il y a honte à ne pas êtreoccupé - le spectre du vagabon-dage est encore vivace. On tra-vaille, mais on évite de le fairepour les autres, et encore moinsquand, c’est la canne des autres.Mais se mettre à son compte,comme agriculteur par exemple,est acceptable. En 1954, l’agri-culture emploie 45 % des actifsoccupés. Même si on est souventagriculteur plus autre chose (arti-san, charron, ouvrier agricole,pêcheur, maçon, petit commer-çant de lolo...).Cependant, le statut du travailévolue à la faveur des lois socia-les et aussi du développement dumouvement syndical. Le travailest revendiqué comme un droit. Ilest donc important d’être présentsur le marché de l’emploi. Résul-tat, entre 1982 et 1990, la popu-lation active a augmenté de 26 %,sous l’action de ses deux compo-santes, personnes occupées et

Un recul de "l'activité",surtout pour les plus âgés

Source : INSEE - Recensements de la population

Taux d'emploi en %(personnes ayant un emploi sur population)

Guadeloupe *

* Profil très voisin pour la Martinique

DelileDIMAN-ANTENOR

Dans lesrecensements laquestion n'est

abordée qu'en 1974

(7) Avec notam-ment aux Antilles,une progression del'activité (emploi ouchômage) fémi-nine.

(8) Le rapport entrele chômage BIT etle chômage “dé-claré” (déclarationspontanée de l’in-dividu) était enmars 1993 de 79 %en Guadeloupe,74 % en Martiniqueet 83 % en Guyane.Voir “Aux frontiè-res de l’emploi” -Antiane-Eco n° 27 -INSEE.

Taux d'activité d'ensemble (15 ans ou plus)

Taux d'activité des 60 ans ou plus

Avant 1974 : emploi = activitéDepuis 1974 : emploi = activité moins chômage

1954 1961 1967 1974 1982 1990

Le chômage a unstatut social

Page 7: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

7E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

vement : les fonctionnaires marti-niquais de métropole sont 1,6 foisplus nombreux que leurs homo-logues en poste au pays. Pour lesfemmes, en revanche, l’émigra-tion vers la métropole n’a pris del’ampleur qu’après 1965. Les op-portunités d’investir le secteurpublic ont été plus limitées. Peude différences existent entre lessituations guadeloupéenne etmartiniquaise. L’emploi publicdes «Antillaises de l’autre bord» (3)

ne dépasse que de 6 % celui deshomologues restées sur place.

A partir des années 80, sous l’in-fluence de la crise de l’emploi, onassiste à un renversement com-plet de situation. D’une part, lamétropole n’attire plus autant etles flux migratoires vont peu àpeu se réduire. D’autre part, l’em-ploi public se contracte et, enparticulier, n’ouvre plus les brasaux migrants des DOM. Cepen-dant, les fonctionnaires travaillantoutre-atlantique sont plutôt jeu-nes (avec 61 % de moins de qua-rante ans), à l’image de la popu-lation totale des natifs des Antilles

DOM a conduit en métropole unnombre sans cesse croissantd’Antillais, à la recherche d’untravail. Jusqu’à la fin des années70, la nature des besoins en main-d’oeuvre outre-atlantique leur afacilité un accès massif dans lesservices publics (1).Aujourd’hui, le constat est là :parmi les fonctionnaires d’Etat (2)

natifs des Antilles, il y en a plus enposte en métropole que dans leurDOM d’origine. Ainsi, en fin 1990,on comptait environ 28 500fonctionnaires natifs des Antilleset exerçant en métropole, alorsqu’à la même date 22 747 Antillaisétaient fonctionnaires dans leurdépartement d’origine et 2 134ailleurs (autre DOM-TOM ouétranger).A la faveur de la politique mise enplace au début des années 60 -notamment la création du BUreaudes MIgrations pour les DOM - ,l’émigration-travail a surtout con-cerné les hommes. D’où un désé-quilibre bien plus sensible chezces derniers : les salariés publicsen métropole sont 46 % de plusqu’aux Antilles. Et singulièrementpour les natifs de Martinique, dontles départs avaient initié le mou-

Fonctionnaires domiens :là-bas, plus qu'ici

ntamé à la fin des an-nées cinquante, lemouvement d’émigra-tion au départ des

Il y a davantage defonctionnaires d'Etat natifs desAntilles en poste en métropoleque dans leur DOM d’origine,et surtout des jeunes. Parmi lesfonctionnaires en poste surplace, une large majorité estnée dans le DOM , enparticulier chez les plus de 50ans.

E

(1) Voir «La nouvelle île de France», Antiane-Eco N° 19. INSEE, enparticulier encadré p. 14.

(2) on fait référence ici à tous les agents rémunérés directement sur lebudget de l’Etat en 1990, non compris la Défense et à l’exception dupersonnel enseignant des établissements privés sous contrat et despersonnels propres aux établissements publics nationaux.

(3) Voir «Familles antillaises de l’autre bord», Antiane-Eco N° 24.INSEE.

EMPLOI PUBLICEMPLOI PUBLIC

Eventuels retoursdes domiensde métropole

Page 8: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

EMPLOI PUBLICEMPLOI PUBLIC

8 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

28 500 fonctionnaires antillais en métropole

83 % des fonctionnaires en posteen Martinique et 76 % en Gua-deloupe. En outre, plus on monteen âge, et plus l’emprise des lo-caux s’accentue. Entre les moinsde trente ans et les plus de 50, lapart des originaires grimpe d’unedizaine de points en Martinique(77 à 86 %) comme en Guade-loupe (71 à 80 %). Cette pyramidedes âges très particulière est lerésultat, d’une part, desrecrutements importants opéréssur place après les années 50. Elleprovient, d’autre part, d’un re-nouvellement par mutations-re-tours, qui s’est opéré avant toutselon le principe de l’anciennetéde la demande. Plus le tempspasse, plus les files d’attente ris-quent de s’allonger pour le retourdes «expatriés», en particulier lesjeunes. Cette réalité est de plus enplus ressentie par les compatrio-tes installés dans l’Hexagone,comme l’ont montré de récentsmouvements sociaux de fonc-tionnaires domiens de la régionparisienne, portant précisémentsur ce problème. Pire, le senti-ment d’être «lâché» par ceux res-tés au pays est bien réel, surtoutpour ceux qui avaient accepté departir en échange d’une titularisa-tion, avec l’espoir de revenir unjour.En Guyane, la faiblesse en fonc-tionnaires originaires reste im-

portant, puisque ces derniers nesont que 45 % du total des agentsde l’Etat. Ce chiffre doit cepen-dant être rapproché de la partminoritaire (39 %) prise par lesnatifs parmi tous les emploisguyanais. Quoi qu'il en soit, cettesous-représentation est très sensi-ble entre 40 et 50 ans, où près desix fonctionnaires sur dix ne sontpas Guyanais. Pourtant, les deuxtiers de tous les fonctionnairesnatifs sont employés sur place.Compte tenu d’un développementplus récent de l’appareil de for-mation orientant vers la fonctionpublique, la Guyane ne s’est pastrouvée en demeure d’expatrierses originaires, comme ce fut lecas pour les Antilles. Cette inca-pacité à pourvoir tous les postesdisponibles se prolonge, accruepar le fait que la forte augmenta-tion de population a depuis dixans créé nombre d’emplois. Ducoup, indépendamment des pro-blèmes d’adaptation et d’intégra-tion, cette région offre des op-portunités réelles aux fonction-naires originaires des autres dé-partements français d’Amérique,spécialement dans l’éducation.

Aux Antilles-Guyane, les princi-paux employeurs des natifs sont,dans l’ordre, l’Education Natio-nale, La Poste, l’Economie et lesFinances et enfin le Ministère del’Intérieur. Pour la Guyane, letroisième est simplement sup-planté par l’Equipement, comptetenu de l’importance des travauxd’aménagement réalisés. Maiscette hiérarchie n’est pas respec-tée pour les fonctionnaires natifsen poste en métropole, où lespostiers sont plus nombreux queles enseignants.Ainsi, sept fonctionnaires antillo-

recensés en métropole en 1990(63 % de 15 à 39 ans). Cela posede façon cruciale le problèmed’éventuels retours, dans leur«pays natal», de jeunes fonction-naires domiens aujourd’hui enposte en métropole. Sans comp-ter une volonté - même limitée -de retour aux sources qui pourraitse manifester au sein des origi-naires, cette fois issus des nou-velles générations nées en mé-tropole. Le retour devient entout cas plus hypothétique. Aupoint qu’ils ne sont pas rares,jeunes ou moins jeunes (et sansqu’on puisse chiffrer ce phéno-mène) à «tout lâcher» pour venirchercher «n’importe quoi» dansleur DOM d’origine.

Sur place aux Antilles, le déve-loppement de la fonction publi-que a pris son essor à partir deslois de départementalisation de1946. Au fil des ans, le recrute-ment local s’est développé, afinde remédier à la relative sous-administration des DOM. Il a été,par ailleurs, alimenté par l’exten-sion du système éducatif.Aujourd’hui, les natifs du DOMsont très majoritaires parmi lesagents de l’Etat : ils représentent

7 sur 10 soitenseignants, soit

postiers

Fonctionnaires d'Etat hors Défense par lieu de travail et sexe au 31.12.1990

Source : Agents de l'Etat - INSEE

(*) Y compris ceuxen service dans lesautres DOM-TOMou à l'étranger.

(**) Y compris ceuxnés en dehors duDOM.

Aux Antilles,l'emprise des locaux

Lieu de travail des natifs Ensemble Total fonctionnairesMétropole Dom des natifs (*) dans le DOM (**)

GUADELOUPEHommes 6 939 5 122 12 338 6 956Femmes 5 888 5 544 11 780 7 151

MARTINIQUEHommes 8 719 5 574 15 021 6 852Femmes 6 920 6 507 14 208 7 740

GUYANEHommes 462 1 017 1 542 2 414Femmes 452 1 105 1 643 2 255

Page 9: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

9E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

Le marché du cône sud

Le 1er janvier 1995 est entré en vigueur leMercosur (Mercado comun del sur oumarché commun du sud) un an aprèsl’ALENA, l’accord de libre-échange nordaméricain entre les Etats-Unis, le Canada etle Mexique. Né le 26 mars 1991 à Asuncion(Paraguay), il regroupe le Brésil (156 millionsd’habitants), l’Argentine (33 millions), leParaguay (4,5) et l’Uruguay (3,1). Avecenviron 200 millions d’habitants, il devientainsi le 4ème espace commercial au mondederrière l’ALENA (380 ), l’Union européenneà 15 (370) et le Forum de coopération Asie-Pacifique ou APEC (320). Le Chili (13 mil-lions d’habitants) pourrait rejoindre dansles années à venir ce marché du cône sudaméricain.

Sources : Le Monde, Le Monde diplomatique, Quid.

guyanais sur dix sont soit ensei-gnants, soit postiers. Mais la si-tuation est très différente entreces deux ministères. Près des deuxtiers des enseignants natifs tra-vaillent dans leur DOM, 70 %dans le cas de la Guyane. Lespostiers, en revanche, ont toujoursconstitué de gros bataillons demigrants : plus des trois quartsdes Antillais n’ont trouvé leuremploi qu’en métropole. C’estdans cette branche que la questiondu retour est la plus brûlante.Pour les Guyanais, elle l’est unpeu moins, puisque 58 % despostiers originaires travaillentchez eux.A l’image de ces deux secteurs,les emplois locaux de fonction-naires ont été largement investispar les femmes, à mesure que letaux d’activité de ces dernièresaugmentait. Aujourd’hui, ellessont majoritaires au sein des ori-ginaires sur place (52 % en Gua-deloupe et Guyane, 54 % enMartinique). La raison est qu’ellesont gagné des positions depuis

(*) Y compris ceux en service dans les autres DOM-TOM ou à l'étranger.

peu, parmi les jeunes générations.La féminisation ne domine en ef-fet qu’avant 45 ans, avec jusqu’àdeux tiers de femmes chez lesfonctionnaires de moins de trenteans. Dans ce domaine, elles ré-coltent les fruits d’une meilleurescolarité et, grâce aux concours,elles accèdent plus nombreusesau secteur public d’Etat.Le prestige de la fonction publiquen’est sans doute plus ce qu’il était.Les privilèges des fonctionnaires(prime de 40 %...) se sont diffusésà d’autres catégories, en particu-lier aux cadres du secteur privé.Les «anciens» conservent le sou-venir d’une époque où le statut dufonctionnaire permettait une dif-férenciation sociale avantageuse.Retraités, les fonctionnairesredeviennent des salariés ordi-naires. Il n’en reste pas moins,comme le montre l’exemple desfemmes, que la sécurité de l’em-ploi demeure un argument attractifde poids.

Claudine BOULARD

Enseignants ou postiersFonctionnaires d'Etat hors Défense, nés dans le DOM

par lieu de travail et principaux ministères au 31.12.1990

Source : Agents de l'Etat - INSEE

EMPLOI PUBLICEMPLOI PUBLIC ECHOSECHOS

ECONOMIE MONDIALE - ECONOMIEMONDIALE - ECONOMIE MONDIALE

L'Union passe a quinze

Au 1er janvier 1995, l’Union européenneest passée de douze à quinze avec l’arrivéede trois nouveaux Etats membres : l’Autriche,la Finlande et la Suède. La population des15 croît ainsi de 6,2 %. Avec 370 millionsd’habitants, l’UE a une population supérieurede 40 % à celle des Etats-Unis et est trois foisplus peuplée que le Japon. Dans le mêmetemps, le revenu moyen par habitant a crûde 1 % car l’Autriche et la Suède sont plusriches que la moyenne européenne. Pourun revenu moyen par habitant à 100 pourl’Europe des 15, le Luxembourg se situe à168, le Danemark à 140, l’Allemagne à126, l’Autriche à 122, la France à 117, laSuède à 114, l’Italie à 91, la Finlande à 88et le Royaume Uni à 87. Le Produit intérieurbrut total des 15 (5 837 milliards d’Ecus), enhausse de 7 % avec les trois nouveaux,dépasse désormais celui des Etats-Unis de10 % et celui du Japon de 64 %.

Source : Eurostat.

EUROPE - EUROPE - EUROPE - EUROPEEUROPE - EUROPE - EUROPE - EUROPE

,

Lieu de travail EnsembleMétropole DOM des natifs (*)

GUADELOUPE Education 3 198 6 435 10 012PTT 5 949 1 845 7 890Economie Finances 1 073 802 1 910Intérieur 928 607 1 568Equipement 330 430 787Total 11 478 10 119 22 167

MARTINIQUE Education 3 029 7 266 11 100PTT 7 137 1 964 9 313Economie Finances 1 999 945 3 094Intérieur 1 702 662 2 498Equipement 404 649 1 111Total 14 271 11 486 27 116

GUYANE Education 292 899 1 280PTT 293 416 720Economie Finances 97 125 233Intérieur 79 185 272Equipement 59 381 448Total 820 2 006 2 953

,

Page 10: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

ANTIANE-ECHOSANTIANE-ECHOS

N° 28 - AVRIL 199510E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

PRIX - PRIX - PRIX - PRIX - PRIXPRIX - PRIX - PRIX - PRIX - PRIX

L’explosiondes échanges

De 1947 à 1992, les échanges inter-nationaux (services exclus) sontpassés de 57 milliards de dollars à3 650 milliards. Soit une multipli-cation par 64 ! En volume, ils ontprogressé environ 40 % plus viteque la production. Le commercedes produits manufacturés a suiviune évolution plus rapide que celledes produits agricoles ou miniers.En 1993, sa part a atteint le niveaurecord de 75 % de la valeur totaledes exportations mondiales de mar-chandises. Le commerce interna-tional des services a eu un rythmede progression quatre fois plus ra-pide dans les années 70 que celuides marchandises. Les services(1 030 milliards de $ en 1993) re-présentent ainsi une fraction crois-sante du commerce mondial. L’es-sentiel de tous les échanges s’opèreau sein du monde industriel (70 %).Les 4/5 des échanges internatio-naux ont pour origine ou destina-taire (ou les deux) l’un des pôles dela «triade» : Amérique du Nord,Union européenne, Japon. Deuxidées reçues. La première est queles pays en voie de développement(PVD) seraient pour l’essentiel ex-portateurs de matières premières.Depuis le début des années 90, lesPVD sont devenus, d’abord expor-tateurs de biens manufacturés, ycompris dans leurs relations avecles pays industrialisés. Vrai pourl’ensemble des PVD, ce processusest cependant encore localisé : unedizaine de «nouveaux pays indus-trialisés» réalisent 85 % des expor-tations manufacturières des PVD.La seconde idée reçue est que lesexportations de matières premièresseraient l’apanage des PVD. Audébut des années 90, on ne compteque deux PVD parmi les 15 premiersexportateurs de matières premières(pétrole exclu).

Source : «Le commerce mondial, un panorama». LesCahiers français N° 269 («L’économie mondiale»).

PAYS EN DEVELOPPEMENTPAYS EN DEVELOPPEMENT

REVENUS - REVENUS - REVE-NUS - REVENUS - REVENUS

Le Tiers mondeexiste-t’il encore ?

Quarante ans après la création duconcept par Alfred Sauvy, le «Tiersmonde», et sa principale caracté-ristique le sous-développement,soulèvent de nombreuses interro-gations. Le second monde (l’exbloc de l’est) est en transition versl’économie de marché. Le Tiersmonde éclate entre des nouveauxriches et des nations de plus enplus prolétarisées. Les intégrationsen grands marchés (Mercosur, ad-hésion du Mexique à l’Alena...)témoignent d’une nécessité derester accroché au train du premiermonde. Certains parlent déjà «desTiers mondes» en les scindant entrois groupes. D’abord, les pays enmesure de maîtriser leur devenir :pays pétroliers à faibles popula-tions et nouveaux pays industriali-sés (NPI) d’Asie. Ensuite, plusieurssous-groupes capables de sur-monter leurs difficultés immé-diates : les trois pays continentaux(Chine, Inde, Brésil), les grandspays régionaux (Indonésie, Afriquedu Sud, Nigeria, Mexique) et despetits et moyens pays ayant suéquilibrer leur développement.Enfin, le groupe immense des pays«promis à toutes les difficultés et àtoutes les misères» compte tenude leurs problèmes économiques(misère, famine, malnutrition) oupolitiques (guerres, dictatures, bu-reaucratie). Au-delà d’une classi-fication, toujours imparfaite, cequi relie encore le ou les Tiersmondes est le problème des poli-tiques de développement (écono-mique et humain). Avec la ques-tion : la dépendance par l’adhé-sion au premier monde est-ellefatale ? Ou y a-t’il d’autres straté-gies pour aboutir à un mondeunique, mais non uniforme ?

Source : «Le concept de Tiers monde à l’épreuve dutemps». Problèmes économiques N° 2.411.

Inégalités inégales

Aux Etats-Unis, l’inégalité a dimi-nué de 1929 à 1969 pour remonterpar la suite. En 1992, les 20 % desménages les plus riches recevaient11 fois plus de revenus que les 20 %les plus pauvres (contre 7,5 en1969). En Grande-Bretagne en 1977,le revenu des 20 % les plus richesétait quatre fois supérieur à celuides 20 % les plus pauvres. Ce mul-tiplicateur est passé à 7 en 1991.Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, jamais ces inégalités n’ontété aussi fortes depuis les années30. La plus élevée historiquement,l’inégalité américaine est aussi laplus marquée parmi les pays déve-loppés. Après les Etats-Unis vien-nent l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse. Le ratio précé-dent se situe entre 8,5 et 10. LeJapon et l’Allemagne figurent parmiles sociétes les plus égalitaires avecdes ratios de 4 et 5,5. Le Canada, leRoyaume-Uni et la France entre 6 et7 sont entre les deux groupes.

Source : «Les origines et les conséquences de la crois-sance des inégalités de revenus». Problèmes économi-ques N° 2. 413.

COMMERCE INTERNATIONALCOMMERCE INTERNATIONAL

Prix au reposEn 1994, les prix ont augmenté de1,7 % en Guadeloupe, de 1,8 % enMartinique, de 1,9 % en Guyane etde 1,6 % en métropole (décembre1994 comparé à décembre 1993).En métropole, c’est la variation laplus faible enregistrée depuis 1956,année où les prix étaient contrôlés.Aux Antilles-Guyane, c’est aussipour chaque département la plusfaible variation depuis 1967, pre-mière année où les évolutions deprix ont été mesurées, hormis l’ex-ception guadeloupéenne de 1986(1,3 %) et l’exception guyanaise de1991 (1,7 %).Source : Premiers Résultats et Annuaires. INSEE.

Page 11: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

SOCIETESOCIETE

11E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

Babel en Guyane

E n Guyane, dans l’ensei-gnement secondaire,l’anglais est enseigné enpremière langue étran-

Une bonne quinzaine delangues sont parlées auquotidien en Guyane. Cettemosaïque est le reflet de ladiversité de peuplement de larégion. L’enseignement deslangues est en revanche trèsresserré et en majorité centrésur l’anglais et l’espagnol.

gère à presque tous les élèves (1).Environ 40 % des élèves étudientaussi une seconde langue, le plussouvent l’espagnol, plus rarementle portugais. Enfin, une franged’élèves du secondaire choisit unetroisième langue et on retrouved’abord le portugais, puis en partminoritaire l’espagnol et une fai-ble proportion d’allemand. L’of-fre scolaire de langues en Guyaneest en fait très en phase avec l’en-seignement national de ces ma-tières. Elle est même encore plustypée - ceci est vrai aussi pour lesAntilles - avec une prédominancerenforcée de l’anglais en premièrelangue et de l’espagnol en se-conde (2).Ce constat scolaire uniforme ap-paraît en décalage par rapport à lasituation géographique de laGuyane. Ses plus proches voisins(mais pas partenaires économi-ques) ne sont-ils pas le Surinamoù la langue officielle est lenéerlandais et le Brésil où l’onparle portugais ? Le décalage estsurtout manifeste quand on com-pare l’uniformité scolaire à la di-versité des populations im-plantées en Guyane. Le paysagelinguistique guyanais est à l’image

de la mosaïque de populationsqui, au fil du temps, sont venuess’y installer.

La scène linguistique peut êtreséparée en deux principaux grou-pes. Le premier est celui des lan-gues véhiculaires, le second celuides langues vernaculaires. Lespremières permettent de commu-niquer entre populations de lan-gues différentes, les secondes ausein de chaque communauté.Dans les premières, il y a d’abordbien sûr le français, langue natio-nale, première langue pour unepartie des natifs et pour les métro-politains ou seconde langue ac-quise pour beaucoup de Créoles,pour les Amérindiens ou pour desimmigrés plus récents. A partirdes populations recensées, onpeut estimer qu’environ 60 % dela population guyanaise le parle (3).L’autre langue véhiculaire est lecréole (guyanais), souvent pre-mière langue de la communautécréole (environ 45 % de la popu-lation). Il reste pour cela la languevernaculaire la plus répandue.Avec le développement de l’en-seignement du français puis lacroissance de la population et sa

(1) Cet article est composé à partir d’un mémoire de maîtrise :«Langues et politique linguistique en Guyane française» sous ladirection de M. Dennis Philps.

(2) Au niveau national (métropole et DOM), l’anglais est choisi à 87%en première langue dans le secondaire (public et privé) et l’espagnolà 52% en seconde langue.

(3) Il est difficile de savoir combien de personnes parlent le français.Ce chiffre, établi à partir des nationalités recensées et des communau-tés estimées, donne un ordre de grandeur.

Langues véhiculairesou vernaculaires

Page 12: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

SOCIETESOCIETE

12 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

diversification, il laisse de plus enplus au français le rôle de princi-pale langue inter-communautés,rôle que le créole assumait jus-qu’aux années 70 parmi les diversgroupes ethniques (hormis lesmétropolitains). La troisième lan-gue véhiculaire est le sranan-tongo (4). Créole anglo-néerlan-dais, c’est, après le néerlandais,la seconde langue officielle duSurinam. Le sranan-tongo estdevenu, avec l’arrivée massivedes Surinamiens (plus de 13 000recensés par l’INSEE en 1990), lapremière langue de communica-tion près du Maroni, y rendant lecréole minoritaire. Il existe de-puis longtemps comme langued’échanges et d’affaires entre lesdiverses communautés implan-tées de part et d’autre du fleuve.Autour du sranan-tongo, languemère, se sont développées denombreuses variantes. On peutisoler le taki-taki, langue du fleuveet de la forêt et le wakanan-tongo,langue utilisée dans les villes etsur la côte.Les langues vernaculaires s’op-posent aux langues véhiculairespar une utilisation restreinte àchaque communauté. Les sixgroupes amérindiens -les premiershabitants du continent- présentsen Guyane (environ 5 000 per-sonnes selon la revue CIMADE)se répartissent en trois familleslinguistiques (5) : langues kalinapour les Galibi et Wayana, lan-gues arawak pour les Arawak etPalikour, langues tupi guaranipour les Wayampis et Emerillons.Encore aujourd’hui, certainsAmérindiens de la forêt sont mo-nolingues. Sur la côte, ils utilisentle créole, le sranan-tongo ou lefrançais comme seconde languepour les contacts hors commu-

nauté. La langue arawak est laseule à être menacée, parlée seu-lement par les personnes âgées.Elle est supplantée (la commu-nauté arawak comprend environ400 membres) par le créole ou lesranan-tongo en première langueou par le français en seconde.

Les langues des Bushinenge sontdes variantes du sranan-tongo, lecréole surinamien. Ces popula-tions, issues des esclaves qui ontfui les plantations du Surinam duXVIIème au XIXème siècle, vi-vent autour du Maroni. Les quatregroupes Bushinenge présents enGuyane (environ 7 000 person-nes (6)) peuvent être divisés endeux groupes linguistiques. LesSaramaka ont comme languematernelle un créole à baselexicale portugaise. Les Ndjuka,les Boni et les Paramaca parlentun créole anglo-néerlandais. LesBushinenge s’expriment donc àla fois dans leur langue natale, ensranan-tongo (souvent le taki-taki)et de plus en plus en français.Les autres langues vernaculairesde Guyane sont des langues im-portées et certaines ont une toutautre stature, nationale voire in-ternationale, dans leur pays d’ori-gine. Il s’agit d’abord du portu-gais parlé par les Brésiliens vivanten Guyane (5 600 recensés parl’INSEE en 1990). S’il n’est pasencore langue véhiculaire, il estenseigné dans le secondaire. Deplus en plus d’entreprises et d’ad-ministrations sont demandeurs enformation dans cette langue pourles contacts avec leurs administrésou pour amorcer des échangesavec le Brésil.Tout autre est le statut du chinois(en fait le cantonais), parlé uni-quement au sein de la commu-nauté chinoise (environ 800 per-sonnes) fermée et très unie. Cer-

(4) Sranan provient de «Surinam» et tongo signifie langue.

(5) Ces familles linguistiques ne se limitent pas à la Guyane mais concernent toute l’Amazonie.

(6) Cette estimation est citée par la Revue CIMADE même s’il est difficile de dénombrer les personnes résidant côté français,le Maroni ne représentant pas une frontière pour ces populations, souvent éclatées de part et d’autre du fleuve.

Anglais et espagnolLangues enseignées dans l'enseignement

secondaire en Guyane (1992-1993)

1ère langue vivante : 100 % des élèves

2ème langue vivante : 40 % des élèves

3ère langue vivante : 7 % des élèves

espagnol (33,8 %)

allemand (5,1 %)

portugais (0,8 %)

espagnol (0,1 %)

allemand (0,5 %)

anglais (98,6 %)

portugais (18,6 %) anglais (1,3 %)

allemand (2,3 %)

Source : Inspection académique Guyane

portugais (61,1 %)

espagnol (77,8 %)

La stature duportugais

Page 13: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

SOCIETESOCIETE

13E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

(7) Le créole saint-lucien est surtoutparlé par les pre-miers immigrantsdu temps de la dé-couverte de l’or àSaül, Saint-Elie etMaripasoula.

(8) Institut univer-sitaire de forma-tion des maîtres(IUFM).

(9) «L’exigence duplurilinguisme»,Le Monde du 11février 1995.

forcément la meilleure garantied'intégration. Cette adaptation seheurte aussi à un déficit d’ensei-gnants maîtrisant les différenteslangues. La dispersion des parlersamérindiens et bushinenge est parexemple un handicap, accru parle fait que certaines langues n’ontpas de forme écrite. Les futurs ins-tituteurs ont à l’IUFM (8) l’obligationd’étudier une langue : 40 % choi-sissent le créole, 32 % l’anglais et28 % le portugais. Pour l’instant,seul l’enseignement de l’anglaisou du créole est abordé dans leprimaire.

tains adultes, dont les plus âgés,parlent peu ou pas le français. Lesautres parlent français (surtout lesjeunes), créole à Cayenne ousranan-tongo pour ceux installésà Saint-Laurent.D’implantation récente (1977), lacommunauté Hmong a apportéune autre touche d’originalité dansle paysage linguistique guyanais.Les Hmongs (autour d’un millier)parlent une langue sino-tibétaine,langue à tons qui rend l’acquisi-tion du français ou du créole dif-ficile. La plupart des adultes neparlent ainsi que quelques mots.Cet apprentissage est d’autant plusdifficile, qu’à leur arrivée, denombreux Hmongs étaient anal-phabètes. L’écriture hmong n’a,en effet, été créée qu’en 1953.Toutefois, des associations d’en-seignement du français et duhmong ont été mises en place,permettant ainsi à cette populationd’apprendre à lire et à écrire dansces langues. Les enfants, scolari-sés dans leur village (Cacao etJavouhey) pour le primaire, puis àCayenne, Mana ou Saint-Laurentpour le secondaire, acquièrentplus facilement l’usage du fran-çais.

Les autres langues vernaculairesreprésentées sont les différentscréoles. Il y a intercompréhensionentre les locuteurs des créoles àbase lexicale française comme lecréole haïtien (8 900 Haïtiens re-censés en 1990), ceux de Guade-loupe et de Martinique et de façonplus marginale celui de Sainte-Lucie (7), et les locuteurs du créoleguyanais. Ce n’est pas le cas pourles immigrés venant du Guyana(1 650 recensés en 1990) qui par-lent un créole britannique. Ceux-ci parlent aussi l'anglais, notam-ment sur les bateaux de pêche surlesquels ils travaillent. L’anglais

est aussi utilisé comme languevernaculaire par quelques mem-bres originaires de pays anglo-phones (îles de la Caraïbe, GrandeBretagne...). C’est de plus un outillinguistique nécessaire dans ledomaine professionnel, notam-ment dans le secteur spatial.L’arabe est aussi parlé en Guyaneau sein de la communauté liba-naise (environ 300 personnesprésentes surtout à Cayenne)même si la seconde générationest d’abord éduquée en françaiset ne parle l’arabe qu’en secondelangue. Enfin, le secteur spatialconduit à la présence en Guyaned’autres petits groupes étrangers,Européens qui s’expriment entreeux dans leur langue (en particu-lier allemand et italien).Cette mosaïque linguistique sou-lève le problème de l’enseigne-ment des langues en Guyane etde l’intégration des élèves non-francophones dans le systèmeéducatif. D’après les statistiquesde l’Education nationale, 22 %des élèves (primaire et secon-daire confondus) sont d’origineétrangère. En comptant les élèvesguyanais, dont le français n’estpas la langue maternelle, on peutainsi estimer qu’environ 30 % dela population scolaire n’a pas lefrançais comme première langue.Ces élèves sont intégrés dansl’école par le biais des classesd’initiation dans le primaire ou àl’aide des classes d’accueil lin-guistique et des classes de soutienscolaire dans le secondaire.Néanmoins, quelle que soit laclasse, l’enseignement est prodi-gué en français comme languematernelle plus que comme lan-gue étrangère.Adapter l’enseignement (parexemple, enseignement bilinguefrançais et langue maternelle) estcoûteux et difficile à mettre enpratique. Cela demanderait, enparticulier, d'éclater des classesmultilingues par communautéd'origine, procédé qui n'est pas

22 % des élèvesd'origine étrangère

Terrain propice à une diver-sification linguistiqueSociété plurilingue, la Guyane ne devrait-elle pas mieux utiliser son potentiellinguistique ? D’une part, pour préserverson patrimoine et de l’autre, pour ce qui estdes langues non vernaculaires, pourdévelopper ses relations (économiques etculturelles) avec le monde extérieur. Sur cesecond point, dans une analyse récente auniveau européen (9), Claude Hagège,professeur au Collège de France, insistaitsur le fait que le plurilinguisme serait unbesoin professionnel dans le vaste marchéeuropéen en construction. Il préconisait,d’une part, que les langues ne soient plusconsidérées comme des matières au mêmetitre que les autres, mais que l’enseignements’opère en partie en une autre langue que lalangue nationale. D’autre part, il suggéraitque l’anglais, langue nécessaire, de grandediffusion et bien implantée, ne soitenseignée qu’à partir du secondaire. Celalaisserait, avec l’obligation d’apprendre unepremière langue étrangère dès le primaire,davantage de possibilités aux autres langues.Tout individu serait ainsi trilingue et auraitmême l’opportunité d’apprendre unetroisième langue «étrangère», qui pourraitêtre régionale ou nationale. Aussi, grâce àsa pluralité ethnique, la Guyane pourraitêtre un terrain propice à l’application d’unepolitique de diversification linguistique.

Muriel BRIUUniversité de Toulouse-Le Mirail

Page 14: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

REVENUS F ISCAUXREVENUS F ISCAUX

14 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

C haque année, au moisde février, les ména-ges sont appelés à ef-fectuer leur déclara-

la rémunération plus faible desautres actifs, en particulier, le tauxmoins élevé du SMIC. Par ailleurs,la part des revenus d’activité estplus importante qu’en métropoleau détriment des pensions et re-traites, en raison du vieillissementmoins prononcé de la popula-tion. Des différences du mêmeordre s’observent entre la Guyaneet les Antilles.

Les déclarations fiscales de reve-nus présentent un caractère trèsinégalitaire. La moitié des ména-ges des Antilles-Guyane disposeseulement de 20 % de l’ensembledes ressources soumises à décla-ration, contre 30 % pour les 10 %des ménages à hauts revenus. C’estun reflet des inégalités de revenus,sans prétendre pour autant lescerner par ces seuls chiffres. Carles déclarations au fisc n’incluentpas les prestations sociales et l’ef-fet redistributif des transferts so-ciaux atténue sans doute un peuces inégalités. De plus, on peutestimer qu’environ 30 % des mé-

Revenus déclarés :fortesinégalités

tion des revenus de l’année civileprécédente. Ils la soumettent auxservices fiscaux afin d’établirl’impôt sur le revenu. Le total desrevenus annuels déclarés pourl’année 1990 aux Antilles-Guyanes’est élevé à 20,6 milliards defrancs, soit 81 500 francs parménage. En moyenne, les ména-ges déclarent des revenus plusfaibles en Guadeloupe (72 000F)qu’en Guyane (87 000F) et Marti-nique (89 500F) et nettementmoins élevés qu’en France mé-tropolitaine (147 500F).La différence entre la métropoleet les Antilles-Guyane est due à lanature des activités exercées etau montant déclaré de leur rému-nération. Même si, dans les Dé-partements Français d’Amérique,le nombre moyen d’actifs occu-pés par ménage est identique àcelui de la métropole, les situa-tions de sous-emploi y sont plusfréquentes et les catégories socio-professionnelles à hauts revenus(cadres, professions intellectuel-les supérieures) un peu sous re-présentées. En particulier, les«primes de vie chère» distribuéesà certaines catégories sociales nesemblent pas suffire à compenser

En 1990, les ménages ontdéclaré des revenus nettementmoins élevés dans les Antilles-Guyane qu’en métropole. Lesdéclarations fiscales de revenusrévèlent des inégalités trèsimportantes. Les jeunes, lespersonnes seules et les famillesmonoparentales sont les plusdéfavorisés, mais sans douteque les transferts sociauxatténuent ces écarts deressources.

Antilles- MétropoleGuyane

Traitements et salaires 75,8 63,8Autres revenus d'activité 9,3 9,8Pensions et retraites 10,7 20,8Autres revenus 4,2 5,6

Ensemble 100,0 100,0

Les 3/4 des revenus déclarésen traitements et salaires

Structure du revenu déclaré (en %) en 1990

Source : Direction générale des impôts

Les 10 % desménages à hauts

revenus disposent de30 % des revenus

déclarés

Page 15: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

REVENUS F ISCAUXREVENUS F ISCAUX

15N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

nages antillo-guyanais n’ont pasdéclaré leurs revenus (fussent-ilsnégligeables) en février 1991. Cephénomène ajoute une incerti-tude aux résultats obtenus. Parmiles déclarants, 10 % des ménagesfont même état d’un revenu néga-tif ou nul. Cette singularité tient àla prise en compte des déficits(agricoles, fonciers, industriels,commerciaux et non commer-ciaux) dans les déclarations fisca-les, au fait que les revenus so-ciaux (prestations familiales,...) nesont pas soumis à l’impôt sur lerevenu et, sans doute, à l’impor-tance des ressources non décla-rées.La répartition des revenus décla-rés ne présente pas le même ca-ractère inégalitaire selon la pro-fession de la personne de réfé-rence du ménage. Elle est pluséquitablement répartie pour lesménages «cadres». A l’opposé,les déclarations fiscales se parta-gent de façon très inégalitaire ausein des ménages où la personnede référence est inactive ouagricultrice (1). Au sein des ména-ges «inactifs», les déclarationsdiffèrent selon que la personne deréférence est retraitée ou non, et,si c’est le cas, selon son ancienneactivité. Des effets de patrimoinejouent aussi : 7 % des ménagesdont la personne de référence estinactive détiennent 60 % des re-venus fonciers déclarés par l’en-semble des ménages.

Malgré ces écarts, la catégoriesocio-professionnelle (de la per-sonne de référence du ménage)est le facteur qui influence le plusla répartition des ressources dé-clarées. Le revenu déclaré moyendes ménages varie de 1 à 9 selonqu’elle est ouvrière ou cadre. Le

nombre moyen de personnes parménage étant plus élevé quandelle est ouvrière, les répartitionspar personne et par unité de con-sommation (2) sont même un peuplus dispersées (l’écart va de 1 à10). Les ménages «cadres» décla-rent plusieurs types de revenus :en plus de revenus d’activité im-portants, ils monopolisent laquasi-totalité des déclarations deplus-values (cession de biens so-ciaux, plus-values mobilières etimmobilières) et déclarent de fortsrevenus fonciers. A l’inverse, lesrevenus d’activité semblent êtrela seule source de revenus soumisà déclaration des ménages où lapersonne de référence estouvrière.Les revenus perçus étant souventcroissants avec l’âge, on n’est passurpris de constater de fortes va-riations de revenus déclarés enfonction de celui-ci. Le rapportest de 1 à 7 selon que la personnede référence du ménage est unjeune (moins de 26 ans) ou unquadragénaire. Cependant, lenombre moyen de personnes parménage est plus réduit lorsque lapersonne de référence est jeune.Ce rapport n’est alors plus que de

Déclarations d’intérêtDans un domaine encore lacunaire commecelui des revenus, la source fiscale apportedes éclairages intéressants. Une enquête surles revenus fiscaux des ménages a été réali-sée pour la première fois dans les Antilles-Guyane en 1992. Elle concernait les revenusdéclarés pour l’année 1990. Cette enquêteprésentait un taux de sondage faible(l’échantillon exploitable comportait 550ménages). Elle a cependant permis d’analy-ser la répartition des revenus déclarés selondifférents critères socio-économiques. Deplus, les résultats obtenus ont été recalés enfonction des chiffres publiés par la DirectionGénérale des Impôts (Annuaire statistique1992 de la DGI) à l’issue de l’exploitationexhaustive des déclarations fiscales. Lesdonnées contenues dans l’enquête ne con-cernent que les revenus soumis à déclara-tion. En particulier, les transferts sociaux(prestations familiales,...) n’y figurent pas.

Un ménage-cadre déclare en moyennetrois fois plus qu'un ménage-employé

Source : INSEE - Enquête revenus fiscaux des ménages

Agricult. Artisans Cadres Prof.inter.

Employés Ouvriers Inactifs Ensemble0

50000

100000

150000

200000

250000

300000

350000

Revenu annuel moyenpar ménage selon la catégoriesocio-professionnelle en 1990

en francs

(1) Pour les ménages «agriculteurs», dont le nombre est réduit dansl’échantillon, le redressement a conduit à affecter le même revenu à ungrand nombre de ménages. Aussi, l’interprétation des écarts demeuredélicate.

(2) Le calcul du nombre d’unités de consommation par ménage est basésur l’attribution à chaque personne d’un poids en rapport avec sa partsupposée de la consommation du ménage (ici, 0,7 pour chaque adulte,0,5 pour chaque enfant de moins de 14 ans et on ajoute 0,3 pour lesdépenses indépendantes de la composition familiale).

Le revenu moyendéclaré varie de 1 à9 entre ouvriers et

cadres

Page 16: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

REVENUS F ISCAUXREVENUS F ISCAUX

16 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

1 à 4 pour le revenu par personneou par unité de consommation.Les corrélations entre la tranched’âge et la profession de la per-sonne de référence (par exemple,la relation entre l’âge et le statutde retraité) ainsi qu’avec lastructure du ménage, n’expliquentqu’en partie ces écarts. «Toutechose égale par ailleurs», il de-meure bien une différence signi-ficative selon l’âge (3).

La répartition des revenus s’effec-tue au bénéfice des ménagesconstitués d’un couple où aumoins un des membres est actif.En revanche, les personnes seulesou les familles monoparentales(surtout lorsque la personne deréférence est une femme inactive)en pâtissent. Pour les ménages

constitués d’une personne seule,l’écart entre la répartition des mé-nages et celle des revenus estsurtout à la défaveur des hommesactifs, car il s’agit souvent d’unepersonne jeune, et on retrouve icil’effet âge.On peut ainsi brosser le portrait-type des ménages les plus et lesmoins favorisés au regard des dé-clarations fiscales. Les plus aisés ?Ce sont les ménages constituésd’une famille où les deux mem-bres du couple sont actifs,l’homme étant cadre et âgé deplus de quarante ans. Les plusdéfavorisés sont formés par lesménages constitués d’une famillemonoparentale dirigée par unefemme inactive de moins de qua-rante ans.La place prise par les situationsdéfavorisées explique que 27 %des foyers déclarants ont été im-posés en 1990. Cette proportionest plus forte en Guyane (35 %)

qu’en Guadeloupe (29 %) etMartinique (24 %) et beaucoupplus faible qu’en métropole(52 %). Ces différences provien-nent du montant plus faible desrevenus déclarés et de l'abatte-ment fiscal accordé dans les Dé-partements d’Outre-mer (40 %d'abattement en Guyane, 30 %en Guadeloupe et en Martini-que).Par ailleurs, la qualité du recou-vrement est moins bonne auxAntilles. Sur ce dernier point, onpeut émettre, parmi d’autres, deuxhypothèses. D’une part, deschangements d’adresses fréquentsaccroissent le coût des contrôlesfiscaux. D’autre part, les fluctua-tions annuelles de revenus sontpeut-être plus grandes pour cer-tains déclarants. Ils seraient dansce cas, plus souvent qu’en métro-pole, incapables d’acquitter lepaiement de leur impôt.

Compte tenu des disparités desrevenus, la part des ménages im-posés et le montant moyen del’impôt sur le revenu varient selonla profession de la personne deréférence du ménage. Quand elleest ouvrière, seulement 5 % desménages sont imposés avec unimpôt moyen sur le revenu égal à2 000 francs, alors que cette pro-portion s’élève à 86 % quand elleest cadre avec un impôt moyensur le revenu s’élevant à 35 300francs.Particularité domienne : près de15 % des ménages ayant un re-venu fiscal supérieur à 150 000francs sont exemptés d’impôt. Ilfaut y voir l’une des conséquen-ces de la politique de défiscalisa-tion, mise en place dans les DOMpour favoriser l’investissement desménages en logement.

Au bénéfice descouples d'actifs

(3) Soit à catégoriesocio-profession-nelle de la personnede référence et àstructure du mé-nage données.

NOTE DE LECTURE :Le point A montre que 40 % des ménages "cadres" possèdent 25 % des revenus détenus par ces ménages.La distance entre la courbe et la première bissectrice mesure l'inégalité. Roger RABIER

Source : INSEE - Enquête revenus fiscaux des ménages

5 % des ménagesouvriers imposés

Courbe de concentration des déclarationsde revenus perçus en 1990

A

Répartition desménages (%)

Répartition desrevenus (%)

La moitié des ménages dispose de 20 % des revenus

Ensemble

Cadres

Inactifs

Page 17: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

ENTREPRISESENTREPRISES

17E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

L’agro-alimentaire en Martinique

A boire età manger

DAvec un cinquième desentreprises et un tiers del’emploi de tout le secteurindustriel, l’agro-alimentaire deMartinique rechercheaujourd’hui un second souffle.Car après un net regaind’activité entre 1990 et 1991,le secteur a connu en 1992 unralentissement sensible.

ébut 1994, l’agro-ali-mentaire comptait en-viron 1 010 entreprisesaux Antilles-Guyane

(490 en Guadeloupe, 420 enMartinique et 100 en Guyane) (1).Avec une structure dominée parla micro ou la petite entreprise(86 % d’unités de moins de 10salariés), le secteur employaitenviron 6 300 salariés.Cette acti-vité reste une pourvoyeuse d’em-plois non négligeable de l’écono-mie locale. Avec au total 3 200postes en Martinique (dont 2 850salariés), elle fournit le tiers desemplois du secteur industriel.Les 43 entreprises interrogées -parmi les plus importantes, et sui-vies de 1990 à 1992 - regrou-paient environ 1 900 salariés en1992. Dans l’ensemble, leurs ef-fectifs ont augmenté de l’ordre de+ 2 % en moyenne annuelle surla période : une progression à si-

gnaler dans un climat généraldégradé où l'on souligne l’extrêmeprudence des entreprises en ma-tière d’embauche. En 1992, ellestotalisaient un chiffre d’affairesglobal de 1,4 milliard de francs,en hausse de 6 % d’une année surl’autre. Estimées pour l’ensembledes IAA de Martinique, les ventesse montaient donc à un peu plusde 2 milliards. Dans le mêmetemps, leur masse salariale aug-mentait de + 6 % par an (2), tandisque l’évolution des charges so-ciales se situait aux alentours de+ 7 %. Malgré des rémunérationsmaintenues à des niveaux assezbas -du fait qu’une large majoritédes salariés (70 %) sont desouvriers, employés à la fabrica-tion ou au conditionnement desproduits-, le salaire mensuelmoyen est passé de 7 900 francsen 1990, à 8 200 en 91 et 8 500 en92, soit une évolution moyenneannuelle de + 4%.

La principale caractéristique dusecteur est une large diversité destructures et de situations. Les ac-tivités traditionnelles ont eu ten-dance à stagner. Si 1991 a été uneannée bénéfique pour le secteurdes «rhums et liqueurs», son acti-

43 IAA interrogéesPour les années 1990, 1991 et 1992, l’enquête sur les industries agro-alimentairesde Martinique a porté sur un échantillon de 43 entreprises de 10 salariés ou plus.L’ensemble du secteur des IAA totalise 419 unités (au 1/1/1994), la boulangerie-pâtisserie 275 à elle seule (dont 30 de 10 salariés ou plus).L’enquête a jusqu’ici été conduite par le service statistique de la Direction del’Agriculture et de la Forêt. En 1994, l’enquête portant sur l’exercice 1993 a étéréalisée par l’INSEE, dans le cadre des Enquêtes Annuelles d’Entreprise. Sesrésultats seront connus en fin de premier trimestre 1995.

(1) Y compris les activités de boulangerie-pâtisserie, faisant explicite-ment partie des IAA dans la nouvelle nomenclature des activités.

(2) En particulier, pour l’activité «viandes, conserves, plats cuisinés»,avec l’arrivée d’une nouvelle unité en 1992.

Large diversité

Page 18: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

ENTREPRISESENTREPRISES

18 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

vité a été plus modérée en 1992.La production de rhum est trèsconcernée : elle avait chuté de21 % entre 1990 et 91. L’aban-don de la fabrication des rhumslégers et la limitation de la pro-duction en sont les principalescauses. Sans compter que cetteactivité subit une tendance lourde,celle d’un rajeunissement de laclientèle, les jeunes consommantde plus en plus des «alcools desubstitution». Un importantécoulement des stocks a cepen-dant permis un accroissement desventes de rhum de 7,5 % entreces deux années (3).Dans le sous-secteur des «autresboissons» (bières, jus de fruits,eaux minérales naturelles et bois-sons non-alcoolisées élaborées),un ralentissement de la croissancea été observé en 1992. L’évolu-tion du chiffre d’affaires a étémoindre entre 1991 et 92(+ 5,5 %) que l’année précédente(+ 12,8 %). Les températuresélévées enregistrées en 1991 (4)

auraient, semble-t’il, contribué àstimuler la consommation. Parailleurs, l’apparition de nouvellesboissons destinées aux enfants,avec notamment de nouveauxconditionnements répondantmieux aux attentes des consom-mateurs, avaient dopé le marché.

Pour ce qui est des «lait, glaces»,et surtout des «viandes, conser-ves, plats cuisinés», la situations’est maintenue favorablement(+ 8 % suivi de + 11 % en 1991et 92), portée par la vague pro-fonde du changement des habi-tudes alimentaires des Martini-quais.

L’apparition de nouvelles gam-mes de produits allégés, plats àemporter, surgelés ; l’adaptationaux différents goûts de la clien-tèle (on veut parler, par exemple,des : laits fruités ou chocolatés,yaourts à boire, floups au lait,nouveaux parfums de sorbets, etc.,toutes choses désormais fabri-quées sur place) ; la diversificationdes produits : tous ces facteursont fait de cette branche l’une desplus actives des IAA. En outre, lavulgarisation de certains équipe-ments ménagers (congélateurs,fours à micro-ondes) laissent en-core entrevoir de belles perspec-tives de développement. Le sous-secteur des plats cuisinés, princi-pal concerné, a vu son chiffred’affaires s’accroître de 30 % en-

tre 1990 et 91. Le tonnage desananas traités en conserverie il-lustre aussi cette progression(+ 49 % sur la même période).Toutefois, cette croissance n’a pasété aussi soutenue en 1992, mal-gré l’arrivée d’une nouvelle en-treprise sur le créneau du poissonpréparé, il est vrai très concurrencépar les importations. Les ventesn’ont progressé que de 1,4 % en-tre 1991 et 92.Enfin, «l’alimentation pour le bé-tail» a connu quelques difficultésen 1992 (baisse du chiffre d’affai-res de 5,1 %), alors qu’entre 1990et 91, il s’était accru de 10,5 %.Forte baisse des prix, vu l’arrivéed’un nouveau concurrent en1992, ou marasme des affaires ?

Avec des importations à hauteurde 1 557 millions de francs en1992, alors que les exportationsn’atteignaient que 251 millionsde francs, le taux de couvertureen produits des IAA ne s’établis-sait qu’à 16 % en 1992, en chutede deux points par rapport à 1990.La question, si souvent posée, dela compétitivité et de la protec-tion de la production locale restedonc entière. Pourtant, un boule-versement est en train de s’opérersur le contenu des exportations.Face à un marché local restreint,certaines entreprises du secteurse tournent de plus en plus vers lemarché extérieur : entre 1988 et1992, les exportations de produitsautres que sucre, rhum et alcoolont été multipliées par plus dedeux et leur part dans l’ensembleest passée de 35 à 57 % (5). Preuvequ’il existe des créneaux à ex-ploiter, pour des produits origi-naux et de qualité.

(3) Voir : «La filièrecanne-sucre-rhumdans les DOM»,IEDOM 1992, page24, sur les effets ducontingentement.

(4) Comparaisondes 23 points derelevés de tempé-rature entre juin1991 et juin 1992 :les maxima étaientpresque toujourssupérieurs de 1° en1991. Bulletinsclimatologiquesde la Martinique,Météorologie na-tionale.

(5) Passant de 67,8à 143,4 millions deF. Données Doua-nes ( base de don-nées Béatrice).

Source : Service de Statistique agricole.

L’agro-alimentaire de Martinique en 1992 en millions de F

1,4 milliard de chiffre d’affaires en 1992

MarcelleJEANNE-ROSE

Nouvelles gammesde produits

Entreprises Salariés Salaires Charges ChiffreSecteurs échantillon (unités) sociales d'affaires

HT

Sucre, rhum 14 739 78,0 33,5 401,1Autres boissons 5 312 42,8 17,4 403,0Boulangerie, pâtisserie ind. 5 123 7,8 3,0 36,1Lait, glaces 4 117 17,5 7,7 217,7Viandes, conserves, plats cuisinés 7 479 28,2 10,9 126,0Aliments du bétail 3 52 6,1 2,7 65,7Autres IAA 5 95 15,0 6,0 126,2

TOTAL échantillon 43 1 917 195,4 81,2 1 375,8

Vers le marchéextérieur

Page 19: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

MIGRATIONSMIGRATIONS

19E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

Migrants àdeux faces

P artir, revenir : nul douteque la plupart desAntillo-Guyanais ontdès leur départ vers la

des migrations avec l’Hexagone.Parmi les natifs des Antilles-Guyane âgés de 16 à 59 ans, pasloin d’un tiers vit en métropole.Pour ceux vivant dans le DOM,un quart a déjà habité en Francemétropolitaine. Au total, presquela moitié des Antillo-Guyanais deces âges-là vivent ou ont vécu enmétropole, en dehors des séjoursliés aux vacances (2).

Le fait migratoire a structuré lapopulation antillo-guyanaise entrois groupes : les migrants quivivent dans l’Hexagone, les mi-grants-retour qui habitent le DOMet ont déjà habité en métropole,au contraire enfin des non-mi-grants qui n’y ont jamais vécu.Observer les migrants et les mi-grants-retour ne renvoie pourtantpas deux images d’une même

Parmi les natifs des Antilles-Guyane aujourd’hui âgés de 16à 59 ans, près d’un sur deux vitou a déjà vécu en métropole.Une bonne part des résidentsde l’Hexagone y sont installésdepuis longtemps, conséquencedes fortes vagues migratoirespassées. Tout le contraire pourles migrants-retour : beaucoupn’ont habité outre-Atlantiqueque quelques années.

métropole nourri, à plus ou moinsbrève échéance, un désir de re-tour. La vie -et surtout la vie pro-fessionnelle- en a souvent décidéautrement. Parmi les natifs desAntilles-Guyane de 16 à 59 ansvivant dans l’Hexagone, pas loinde huit sur dix y résident depuisau moins dix ans. Au fil du temps,événements de l’existence aidant,le rêve de retour a pu perdre de saconsistance ou s’effilocher, carhors d’atteinte matériellement. Lesenfants nés en métropole, les dif-ficultés d’obtenir un emploi dansle DOM (surtout par mutation), leproblème du logement quand onn’y a pas pensé assez tôt peuventavoir raison des dernières velléi-tés de retour au pays natal (1).La question du retour est très pré-sente dans les migrations antillo-guyanaises car celles-ci se sontidentifiées à l’émigration-travail.Le problème central de l’emploi amarqué de son empreinte, danscette seconde moitié de siècle,ces communautés dans le DOMou au dehors. Cependant, les mi-grations avec la métropole ne selimitent pas aux seules raisons,certes dominantes, de l’emploi.Trois chiffres situent l’importance

Deux groupesdissemblables

Un aller ou un aller-retourNombre de migrations effectuées en %

Natifs des Antilles-Guyane de 16 - 59 ans

Source : INSEE - Enquête migrations 1991-92

* Résidant en métropole** Résidant dans le DOM et ayant vécu en métropole

Migrants * Migrants-retour **

Une 82,9 86,3Deux 12,9 11,0Trois et plus 4,2 2,7

Ensemble 100,0 100,0

(1) Voir : «A l’heure de la retraite : rentrer ourester», Antiane-Eco N° 25. INSEE.

(2) L’enquête «migrations» s’est déroulée en1991 aux Antilles-Guyane (environ 1 500 na-tifs interrogés) et en 1992 en métropole auprèsdes natifs des DOM résidant là-bas (environ1 200 natifs des Antilles-Guyane enquêtés). Lanotion de migration concerne un changementde résidence.

Page 20: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

MIGRATIONSMIGRATIONS

20 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

réalité, la seconde un peu vieilliepar le temps passé outre-Atlanti-que. On a affaire à deux groupesassez dissemblables. Leurs diffé-rences prennent source dans lesraisons de la migration. Tous ontcertes migré plutôt jeunes. Qu’ilssoient encore en cours de migra-tion ou qu’ils en soient revenus,deux sur trois sont partis vers lamétropole avant l’âge de 25 anset près de neuf sur dix avant 35ans. La différence, de taille, con-cerne la durée du séjour. Les mi-grants sont installés en métropoledepuis au moins cinq ans pourneuf sur dix d’entre eux. A l’in-verse, deux migrants-retour surtrois ne sont pas restés dansl’Hexagone plus de cinq ans. Pasétonnant, car près de la moitié

était partie pour une durée déter-minée pour cause de service na-tional ou d’études. Pour eux, l’hy-pothèque du retour s’est forcé-ment posée de manière moinsdouloureuse.Le service militaire expliqued’ailleurs une bonne part des dif-férences entre hommes et fem-mes. La proportion de natifs vivanten métropole est la même pourles deux sexes. Car plus mascu-line que féminine dans les pre-miers temps, la migration antillo-guyanaise s’est féminisée depuis1974 et surtout depuis 1982 pourles Guadeloupéennes (3). Il en vaautrement pour les natifs vivantdans le DOM : les hommes (pasloin d'un sur trois) ont plus habitél’Hexagone que les femmes (àpeine une sur cinq).

Les migrants-retour n’ont ainsi fait,pour une bonne part d’entre eux,qu’un court passage en métropole.Presque la moitié sont rentrés dansles deux ans suivant leur départ. Al’opposé, les migrants sont le fruitde l’histoire de la migration antillo-guyanaise en métropole, faite devingt ans (les années 60-70) d'af-flux d’immigrants. C’est un peuune opposition entre migrationscourtes et migrations longues.Parmi tous les natifs des Antilles-Guyane de 16 à 59 ans habitantou ayant habité la métropole, unsur trois est concerné par des sé-jours de plus de cinq ans. Dans85 % des cas, ceux-ci ne sont pasachevés : les personnes viventencore là-bas. Ils sont toujoursmigrants.Départs pour l’emploi avec delongs séjours pour les uns, dé-parts pour études ou service na-tional de faible durée pour lesautres. Le clivage est net mais nerésume pas tout. Parmi les mi-grants, quatre sur dix sont d’em-

blée partis pour prendre ou cher-cher un emploi. Pour un quart, aucontraire, la cause du départ étaitla poursuite des études ou lesobligations militaires. Mais ils nesont pas rentrés au terme de leurpremier «contrat», enchaînantpour la plupart sur leur vie pro-fessionnelle. Neuf sur dix habi-tent ainsi encore en métropole aumoins cinq ans après.Quelle que soit la raison premièredu départ, le problème de l’emploidans le DOM apparaît en filigrane.Moins du tiers de tous les migrants(et encore moins pour ceux partispour cause d’emploi) travaillaientdans leur DOM avant leur départ.Les autres étaient scolarisés ouplus souvent ne travaillaient pas,ou alors de façon intermittente.De l’autre côté, moins du tiers desmigrants-retour étaient partis pourraison d’emploi. Environ quatresur dix sont même restés plus dedix ans dans l’Hexagone. On re-trouve là, l’appendice de la mi-gration-travail antillo-guyanaisetelle qu’elle s’est fixée dans lesmémoires : une longue périoded’activité en métropole et un re-tour, en âge d’activité, auqueln’accède qu’une minorité.

Il y a cependant une part aussigrande (quatre sur dix) de mi-grants-retour partis pour l’emploiet revenus moins de cinq ansaprès. Ce nombre de migrantsrevenus après une durée assezcourte est pourtant très minori-taire. Rapporté à l’ensemble detous les départs pour emploi, re-tour accompli ou non, ce cas defigure ne dépasse guère un cas surdix. L’hypothèse d’un changementde la nature migratoire ne se vé-rifierait donc pas, ou plutôt pasencore. En clair, les départs, sou-vent à durée indéterminée du

Les uns installés en métropole,les autres y sont passés

en % des natifs des Antilles-Guyane de 16 à 59 ans

Durée de la Migrants * Migrants migration retour **

moins d'un an 0,2 5,3De 1 à 2 ans 0,6 40,8De 3 à 5 ans 7,6 16,9De 6 à 10 ans 14,0 17,5De 11 à 20 ans 49,5 16,9Plus de 20 ans 28,1 2,6

Ensemble 100,0 100,0

Un passage en métropole pourles études ou le service national

Source : INSEE - Enquête migrations 1991-92

en % des natifs des Antilles-Guyane de 16 à 59 ans

Source : INSEE - Enquête migrations 1991-92

* Résidant en métropole.** Résidant dans le DOM et ayant vécu en métropole.*** Suivre famille ou conjoint.

Afflux d'immigrants

Une hypothèsepas vérifiée

(3) Parmi les natifsde Guadeloupe,57 % des nouveau-installés en métro-pole entre 1982 et1990 sont desfemmes, 53 %pour la Martiniqueet 50,5 % pour laGuyane (source:recensements de lapopulation).

Cause première Migrants Migrants de la migration * retour **

Service national 7,7 20,5Etudes 15,9 27,7Occuper, chercher un emploi 40,0 29,8Autres raisons *** 36,4 22,0

Ensemble 100,0 100,0

Page 21: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

MIGRATIONSMIGRATIONS

21E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

passé ont-ils fait place de manièremassive à de courts séjours répé-tés ? Cette hypothèse prend ra-cine dans la crise de l’emploi etdans les plus grandes facilités devoyage au-dessus de l’Atlantiquedepuis une décennie. Le phéno-mène est trop récent pour se tra-duire par des effets sensibles surle profil des migrants-retour. Il estsans doute trop tôt (l’enquête datede 1991) pour déceler l’émer-gence de ces migrations dites cir-culaires, c’est-à-dire courtes etrenouvelées.En général, les périodes de diffi-cultés économiques ont tendanceà freiner les migrations. Cela s’estvérifié par les croissances de po-pulation aux Antilles depuis 1982.Les difficultés de l’emploi en mé-tropole ont limité, par rapport aupassé, les départs. La diminutionrelative du prix du billet d’avion,l’ampleur du chômage dans lesDOM, le développement del’emploi temporaire en métropoleont-ils pu être des facteurs derotations accrues entre les deuxcontinents ? Beaucoup le pensentet il faudra attendre quelquesannées pour en vérifier l’ampleur.

Pour l’instant, la photographieprise par l’enquête de 1991 con-firme que la très grande majoritédes migrants en cours ou revenusont réalisé une seule migration.Cette réalité varie peu selon l’âge.Les hommes sont en moyenne unpeu plus mobiles que les femmes,peut-être à cause du service na-tional (sorte de voyage offert) etmoins contraints par la chargedes enfants.A défaut de représenter une desti-nation rêvée -l’emploi n’y inciteguère-, la métropole reste un ho-rizon familier. Elle n’est pas unrepoussoir car l’opinion des mi-

La tentation du départInterrogés en 1991 sur leurs intentions éventuelles de partir en métropole d’ici1995, 35 % des natifs de 16 à 59 ans vivant aux Antilles-Guyane et n’ayantjamais migré déclaraient qu’ils partiraient, qu’ils essaieraient ou qu’ils n’enexcluaient pas la possibilité. A l’inverse, 45 % affirmaient le contraire et 20 %ne se prononçaient pas. En posant la même question à l’horizon 2000 (hormisles 9 % sûrs de partir avant 1995), la part des non-partants était identique et ily avait un glissement de sept points des départs envisagés vers les indécis. Endehors du subjectif qui entoure ce genre de question, une mobilité vers lamétropole est donc une hypothèse non rejetée par une majorité des personnes.Sans pour autant emporter une large adhésion. L’opinion est fonction de l’âge :un jeune de moins de 20 ans sur quatre pense qu’il ne partira pas contre troissur quatre au-delà de 50 ans. Pour les élèves-étudiants, un éventuel départ estenvisagé à 57 %, exclu à 19 %. Parmi les actifs, un sur trois admet unepossibilité de départ et un peu moins d’un sur deux en nie l’intention. Leschômeurs (en retrait de deux points vis à vis de la métropole et l’inverse pourle maintien sur place) semblent même un peu plus statiques que les actifsoccupés. Déjà en difficulté sur le marché du travail local - et souvent peudiplômés -, ils s’accordent peut-être moins de chances sur un marché extérieurtendu. De leur côté, les personnes ayant un emploi qui prévoient une destinationmétropole ou y songent, espèrent, pour certains, une promotion professionnelleou un meilleur emploi. Perspective qu’ils s’octroient tout en restant vague : unefaible minorité (19 %) pensent qu’ils auraient un travail de meilleure qualitédans l’Hexagone.

grants-retour est très voisine decelle des non-migrants (voir en-cadré) : seuls autour de quatre surdix ont renoncé à toute idée denouveau départ. Ils en perçoiventpourtant des inconvénients. Laplupart croient que la vie de tousles jours est plus facile ou lesconditions de logement plus aiséesdans le DOM. Mais, ils s’autori-

sent une porte de sortie dans leurvie même si elle s’exprime le plussouvent par un «peut-être» ou un«pourquoi pas ?» C’est l’âge, ouce qui revient au même, le tempspassé depuis le retour qui finit parmettre fin aux derniers songes denouveau départ.

Jacques CAZENAVE

Eventualité d'un départ en métropole à l'horizon 2000(natifs de 16 à 59 ans vivant aux Antilles-Guyane n'ayant jamais migré)

Ne partira pas

Ne sait pas

Départ sûr ouéventuel

Source : INSEE - Enquête migrations 1991.

Les jeunes, le pied à l'étrier

La métropole,horizon familier

%

16-19 ans 20-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50-59 ans0

20

40

60

80

100

Page 22: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

ANTIANE-ECHOSANTIANE-ECHOS

22E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

La concurrence des PVD a ses bons côtésLes pays en développement -surtout grâce à l’Asie- ont en 20 ans doublé leurpart dans le commerce mondial de produits manufacturés. Ils ont affirmé uneprédominance de plus en plus marquée dans quelques secteurs intensifs enmain-d’oeuvre, le textile et l’électronique en particulier. En contrepartie, lesparts de marché industrielles mondiales détenues par les pays développés ontdiminué, surtout dans les secteurs touchés par la concurrence des PVD. Lacompétitivité de ces pays réside dans leurs bas coûts salariaux. Mais, pour lesNouveaux Pays Industrialisés, se dessine un lent mouvement de convergencede leurs coûts salariaux vers les niveaux des pays industriels. En France,comme dans l'ensemble des pays développés, la concurrence des PVD afavorisé un déclin dans les secteurs industriels intensifs en main-d’oeuvre. Leseffets positifs, en particulier sur l’emploi, du commerce avec ces pays sontpourtant réels. Les ventes françaises s'y développent car les achats français àces pays créent une demande solvable.Source : «Les échanges avec les pays en développement et leurs conséquences sur l’emploi». Economie et StatistiqueN°279-280.

SOCIETE FRANCAISESOCIETE FRANCAISE

EDUCATION - EDUCATIONEDUCATION - EDUCATION

Occasions manquées

Pour trouver des emplois, il fautsans doute d’abord exploiter toutesles possibilités qui existent. A larentrée 1994 en Guadeloupe, enseconde du second cycle profes-sionnel, il y avait 6 demandes en«techniques du toit» pour 15 pla-ces et 9 élèves finalement affectés.En «agent de maintenance en ma-tériel agricole», 6 demandes pour32 places et 27 affectations. Encarrosserie, 17 demandes pour 30places finalement pourvues. Lesdemandes «premier voeu» desélèves prouvent l’influence fami-liale ou sociale pour tel métier audétriment d’un autre. En partiecorrigées par les professionnels dela formation, elles restent tributai-res de choix guidés par la proximitéou la facilité d’accès des établisse-ments. D’où les difficultés de re-crutement de certains lycées (LP deBouillante par exemple) alors quele projet personnel devrait être lecritère majeur de choix pour l’ave-nir de l’élève.Outre l’absence préjudiciable decertaines filières (hôtellerie, BTP),des distorsions semblables existentpour les sections de technicien su-périeur. De nombreux jeunes,d’abord candidats en BTS, s’inscri-vent en faculté. Par crainte d'uneoption sur liste complémentaire nonconfirmée par la suite, ou par sim-ple attrait du plus grand prestige del'université. Un rapport de l’Edu-cation nationale de Guadeloupesouligne : «On retrouve malheu-reusement trop souvent sortant del’enseignement universitaire ce typede jeunes, qui auraient pu faired’excellents techniciens... Rejetés,après plusieurs années d’échecs,[ils sont] souvent déstabilisés, doncpeu aptes à aborder une insertionprofessionnelle efficace».

Source : «L’Education nationale en Guadeloupe». Pre-mière partie : état des lieux. 1994. Inspection acadé-mique de Guadeloupe.

Enfants d’immigrés

Les jeunes d’origine espagnole etportugaise, dès lors qu’ils sont nésen France, prennent leur autono-mie familiale et professionnellecomme les autres jeunes. Lorsqu’ilsont eux-mêmes immigré, leurémancipation est plus précoce. Lesenfants d’immigrés d’Algérie et duMaroc vivent plus longtemps queles autres chez leurs parents. Il estvrai qu’ils ont moins souvent unemploi. Les jeunes d’origine tur-que, s’ils se marient très tôt, tra-vaillent plus souvent, tout en res-tant hébergés par leurs parents. Ilsmaintiennent ainsi leur modèle fa-milial traditionnel. Les enfants desimmigrés d’Afrique noire sont pourla plupart venus en France en mêmetemps que leurs parents ou dans lecadre du regroupement familial. Ilsse distinguent de l’ensemble desjeunes de 20 à 29 ans par des tauxde scolarisation plus élevés que lamoyenne. Ces jeunes d’origine afri-caine, quand ils ne sont pas encouple, sont moins nombreux à vi-vre chez leurs parents. Les hommesse mettent fréquemment en couple.Source : «Les enfants d’immigrés». Insee PremièreN° 368.

Chères lucarnes

Les ménages et les entreprises«consomment» les services offertspar la télévision et la financent àpart presque égale. Les premiersinterviennent par la redevance etles abonnements, les secondes parl’achat d’espaces publicitaires. Lemontant de leurs dépenses (Franceentière) s’élève à plus de 30 mil-liards de F en 1993. Ces dépensesont été multipliées par 3,1 en francsconstants depuis 1980. Cela ré-sulte, pour les ménages, de l’appa-rition des chaînes sur abonnementset pour l’essentiel pour les entre-prises de la création de chaînescommerciales et de la privatisa-tion de TF1. Les chaînes hertzien-nes dominent le secteur de la té-lévision (93 % du chiffre d’affairesdu secteur). Il s’agit de TF1,France 2, France 3, Canal Plus, LaCinq jusqu’en 1992 et la Sept/Artedepuis septembre 1992, M6 etRFO. Les nouvelles formes de dif-fusion (le câble et le satellite) ontun poids économique encore trèsfaible.Source : «Les comptes du petit écran». Insee PremièreN° 358.

TELEVISION - TELEVISIONTELEVISION - TELEVISION

COMMERCE INTERNATIONAL - COMMERCE INTERNATIONALCOMMERCE INTERNATIONAL - COMMERCE INTERNATIONAL

Page 23: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

COMMERCECOMMERCE

23E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

Le plein de supers enMartinique

DDopé par la croissancedémographique, le commercemartiniquais a connu undéveloppement important. Avec16 000 emplois et 20% du PIBmarchand, c’est un secteur depoids. Mais surtout, l’évolutiondes structures commerciales estun fidèle reflet des mutationssociales.

ans toute micro-éco-nomie pourvue destructures industriellesencore peu diversi-

tout ce que cela suppose en ter-mes de renouvellement, aussi biendes hommes que des structurescommerciales.

De création récente, les grandessurfaces à dominante alimen-taire (3) sont les grandes gagnantesdu basculement de la Martiniquedans la société de consomma-tion. Le tissu commercial et leshabitudes de consommation sesont beaucoup transformés cesdernières années avec l’appari-tion des hypermarchés. A côtédes supermarchés à dominantealimentaire, les quatre points devente de plus de 2 500 m2, toussitués dans la conurbation Fort-de-France/Le Lamentin, attirentune clientèle toujours plus nom-breuse. Les grandes surfaces ac-caparent 54 % des dépenses ali-mentaires des ménages martini-quais (dont 38 % pour les seulshypermarchés), chiffres compa-rables à ceux de la métropole.Pourtant, l’implantation de gran-des surfaces est, ici, beaucoupplus faible (90 m2 pour 1000 ha-bitants contre plus de 200 m2).

fiées, de surcroît grande ouvertesur l’extérieur du fait de l’insula-rité, le commerce joue un rôleprépondérant. La Martiniquen’échappe pas à cette réalité (1).Début 1994, environ 4 700 com-merces de détail étaient enregis-trés dans le répertoire SIRENE (2).Selon l’Enquête Annuelle d’En-treprise menée par l’INSEE en1992, le secteur du commercedans son ensemble réalisait plusde 16 milliards de francs de chif-fre d’affaires (dont 47 % pour lecommerce de gros) et contribuaitpour 20 % au PIB marchand del’île. Sa place en termes d’em-plois est aussi importante : avecenviron 16 000 personnes occu-pées, dont 12 000 salariées, lecommerce représente 13 % detous les actifs qui ont un emploi.Certes, dans la dernière décen-nie, l’économie locale a été trèslargement «tirée» par la croissancedémographique et son corollaireimmédiat, la consommation desménages. Mais dans l’activitécommerciale, la situation n’a pasfini d’évoluer, si l’on considèreque près d’un commerçant surtrois a plus de 50 ans, et seul unsur quatre moins de 35 ans. Avec

Basculement dans lasociété de

consommation

(1) Cet article est issu d'un rapport réalisé dans le cadre de l'ODEC(encadré page suivante).

(2) Toutes les entreprises et leurs établissements sont immatriculésdans SIRENE. Ce répertoire est géré par l’INSEE, en aval des CFE(Centres de formalités des entreprises).

(3) Début 1995, 37 magasins de plus de 400 m2, dont 32 super-marchés (400 à 2 500 m2) et 5 hypermarchés (plus de 2 500m2)(source : Direction dép. de la concurrence, de la consommation et dela répression des fraudes).

Page 24: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

24 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

Réfrigé- Congé- Télé- Auto- Lave- Télé- Clima-rateur lateur phone mobile linge viseur tiseur

1982 71,2 12,2 33,6 nd 27,6 nd 3,11990 87,0 31,3 83,0 52,8 52,0 81,6 4,6

trouvent place entre la grande etla toute petite distribution. Leurpart de marché est presque équi-valente à celle des supermarchés(+ de 400 m2). Ces derniers sem-blent constituer le maillon faiblede la distribution alimentaire enMartinique. Ils sont peu implan-tés en commune et ne sont pas detaille à résister à la puissance deshypers autour de Fort-de-France.

En conséquence, les supermar-chés n’ont pas un poids concur-rentiel susceptible d’exercer unepression à la baisse sur les prix. Le«maxidiscompte» (4) jouera peut-être ce rôle à l’avenir, si l’on enjuge par sa montée en puissanceen métropole et ici.La vente ambulante est une autreforme de distribution qui émergedans le paysage de ces dernièresannées. De nombreux jeunes selancent dans ce type de ventes surles marchés, au bord des routes,pour offrir des fruits et légumesfrais, ainsi que divers produits derestauration rapide (sandwichs,boissons et autres pizzas, etc.).Enfin, par tradition, les commer-ces alimentaires spécialisés (bou-langeries, pâtisseries, boucheries,charcuteries, poissonneries, cré-meries...) sont peu présents dansle tissu commercial antillais. Ilexiste bien pourtant un marchépour les produits de qualité voire

de haut de gamme, auquels’adressent déjà certains rayonschoisis des grandes surfaces. Maisle développement du commercespécialisé ne semble pas s’an-noncer pour un avenir proche. Ilsuppose un volant de clientèlesuffisant -à la recherche de pro-duits, et surtout, de services dequalité-, qui fait encore défaut.

L’une des particularités du com-merce, en Martinique, est la fai-ble diversification des ventes deshypermarchés dans le non-ali-mentaire : ces produits ne repré-sentent qu’un quart de leur chiffred’affaires. Les marges commer-ciales seraient-elles plus attracti-ves dans le domaine alimentaire ?Toujours est-il que les hypermar-chés et supermarchés à dominantealimentaire représentent à peine10 % des ventes dans l’habille-ment et la chaussure. Leurs partsde marché sont encore moindresdans l’équipement du foyer.La structure de la distribution non-alimentaire est restée plus tradi-tionnelle, dominée par les petitscommerces. Cependant, le déve-loppement rapide des galeriesmarchandes et des grandes surfa-ces spécialisées (meubles, élec-troménager, sports, jardinage,bricolage...) promet d’affecter defaçon sensible l’ordre établi. Lamultiplication de ces commerces,le plus souvent à proximité deFort-de-France, risque aussi d’ac-centuer la concentration géogra-phique de l’offre.Pourtant, les profonds change-ments dans le paysage commer-cial de l’île n’obéissent pas qu’auxlogiques de modernisation d’en-treprises. Ils sont aussi et surtout,le reflet des mutations socialesimportantes connues par la société

La densité des commerces ali-mentaires reste néanmoins trèsforte en Martinique avec environun point de vente pour 250 habi-tants, contre un pour 2 000 enmétropole. C’est grâce aux petitscommerces d’alimentation géné-rale. Ils demeurent nombreux(environ deux pour 1 000 habi-tants) et disposent encore d’unepart de marché importante (23 %des ventes). Leur rôle dans la dif-fusion commerciale sur l’ensem-ble du territoire, dans le servicede proximité et dans l’offre deproduits locaux est alors essen-tiel.Les supérettes (+ de 120 m2)

L'équipement du foyer pas encore saturé

Taux d'équipement des ménages de Martinique en %

Source : INSEE - Recensements de la population.

Maîtriser l'implantation desgrandes surfacesL’Observatoire Départementald’Equipement Commercial (ODEC),naguère Observatoire Départementald’Urbanisme Commercial (ODUC), est issude la loi du 29 janvier 1993, relative à la«prévention de la corruption et à latransparence de la vie économique et desprocédures publiques». Placé sous laprésidence du Préfet, l’ODEC est chargéd’éclairer les décisions de la CommissionDépartementale d’Equipement Commercial(CDEC, anciennement CDUC). Elle réunitune fois par an des socio-professionnels,des élus locaux et des représentants del’Etat (7 membres, au lieu de 20 auparavant).La CDEC a pour fonction de se prononcersur l’autorisation d’ouverture oud’extension de surfaces commercialessupérieures à 400 m2.

(4) Discompte etmax id i scomptecorrespondent auxtermes anglo-saxons "discount"et "hard discount".

Le "maxidiscompte"monte en puissance

Concentrationgéographique

de l’offre

COMMERCECOMMERCE

Page 25: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

COMMERCECOMMERCE

25E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

martiniquaise. Observées dans denombreux domaines, elles ont enpartie transformé les comporte-ments d’achat de la population. Ils’agit, d’une part, de l’inversiondes flux migratoires. Le retour desémigrés et la venue de métropoli-tains, qui conservent leurs habi-tudes de consommation de mé-tropole, sont un moteur puissantdes changements de structurescommerciales. D’autre part,l’augmentation considérable dutravail des femmes est une autresource importante de l’adapta-tion de l’offre commerciale à lademande. Les femmes de Marti-nique sont un peu plus activesque leurs consoeurs de métropole,même si elles subissent un plusfort chômage (5). Sans que l’onpuisse avec certitude établirl’origine du processus, le déve-loppement du travail des femmes,l’élévation du pouvoir d’achat desménages et l’adoption de modesde consommation de type mo-derne (achats en grandes surfa-ces, achats de produits surgelés,de plats préparés...) se sont com-binés pour accélérer le mouve-ment.

L’appétit d’achat des Martiniquaisest surtout visible sur les biensdurables : les taux d’équipementdes ménages ont réalisé un bondces dix dernières années et sontvoisins de ceux de métropole. En1990, la télévision et le réfrigéra-teur, équipements de base duconsommateur moderne, sontdétenus par plus de huit ménagessur dix. Alors que les ménagesconsomment davantage, la fabri-cation domestique des alimentsrégresse. On confectionne parexemple, de moins en moins soi-même bon nombre de produitscourants (vêtements, ...).

Cette modernité ne s’est pas en-core généralisée à l’ensemble desfoyers. Certains biens, de diffu-sion récente, sont encore inégale-ment répandus selon les catégo-ries socio-professionnelles : lesouvriers et les agriculteurs sontainsi deux fois moins équipés enlave-linge que les cadres. Six ca-dres sur dix possédaient un con-gélateur en 1990, contre un tiersdes employés et agriculteurs ouun quart des ouvriers. A côté d’unedemande de renouvellement

Le tiers des commerçants a entre 35 et 44 ans

Source : INSEE - Enquête annuelle entreprise commerce 1991.

54 % du chiffre d'affaires de l'alimentaireaux grandes surfaces

Répartition des ventes alimentaires en Martinique en 1991

soutenue, la demande de premieréquipement reste donc importante.Les progrès en matière de condi-tion d’habitat ont été encore plusmarqués et rapides. Même si 18 %des logements étaient classés pré-caires ou très précaires en 1990,ils étaient 39 % huit ans aupara-vant. La généralisation du confortélémentaire (eau et électricité) ainsique l’accroissement du nombrede ménages propriétaires de leurlogement (61 % en 1990) ont dopéles ventes des commerces d’équi-

(5) Le taux d’acti-vité féminin s’élè-ve à 52 % (contre47 % en métro-pole) et, dans latranche d’âge 25-49 ans, les fem-mes sont actives(emploi ou chô-mage) à près de80 %.

Source : INSEE - Répertoire SIRENE

Pyramide des âgesdes commerçants au 1.01.1995

-25 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65-69 70 et +0

2

4

6

8

10

12

14

16

2

7

151616

13

9 9

6

43

âges

en %

Chiffre d'affaires en %(en millions de francs)

Hypermarchés 1 134 37,6Supermarchés 485 16,1Supérettes 526 17,4Commerces d'alimentation générale de proximité 691 22,9Commerces alimentaires spécialisés 182 6,0(hors boulangeries-pâtisseries)

TOTAL 3 018 100,0

Appétit d’achat surles biens durables

Page 26: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

26 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

Chiffre d'affaires en %(en millions de francs)

Grandes surfaces à dominante alimentaire 569 12,9Grands magasins 267 6,0Autres commerces non-spécialisés 52 1,2Commerce non-alimentaires spécialisés 3 538 79,9(hors pharmacies)

TOTAL 4 426 100,0

80 % des ventes hors alimentairepour le commerce spécialisé

Répartition des ventes hors alimentaire en Martinique en 1991

pement du foyer.Plus mobiles aussi, les Martini-quais n’hésitent pas à traverserl’île pour faire leurs achats. Sur-tout lorsqu’il existe, comme c’estle cas à Fort-de-France et auLamentin, une offre commercialedense et variée, concentrée surun petit périmètre.Face à l’évolution des modes devie, initiée ou relayée par lesstructures commerciales, la ques-

tion se pose de la survie du com-merce traditionnel. La concur-rence par les prix ne leur est plusguère possible avec les grandessurfaces, les galeries marchandeset, désormais, les discompteurs.Mais sur le créneau du serviceoffert (horaires d’ouverture, con-seil, livraisons à domicile), il existeencore des marges à conquérir.

Laurent CONDETTE

COMMERCECOMMERCE ECHOSECHOS

Dur, dur, le discompte" [Le maxidiscompte] est une forme de distribution nouvelle, apparue en Francemétropolitaine en 1988, basée sur la recherche et la pratique de prix bas. Dansle concept initial, importé d’Allemagne, cette recherche de prix bas ne se réalisepas spécialement par la baisse de la qualité des produits, mais plûtot par ladisparition de l’accessoire, la chasse aux prix d’achat les plus bas, et larecherche constante de la meilleure productivité basée sur une forte implica-tion des salariés. [...] Si la progression a été relativement lente au départ, onassiste depuis trois ans en France à une véritable explosion... Depuis trois ans,en effet, il se crée environ un magasin par jour... Au nombre de 1 545 au 1erjanvier 1995, [ils] représentent 20 % du nombre total de supermarchés, contremoins de 5 % il y a 4 ans. Leur chiffre d’affaires, évalué à 26 milliards de francsen 1995, pourrait atteindre 75 milliards dans 4 ans... De magasins de crise,attirant une clientèle peu aisée, voire paupérisée, les [maxidiscomptes] sontdevenus des magasins bien implantés dans le paysage commercial français, quiattirent désormais toutes les couches de la population»...En Martinique, sont aujourd’hui implantés 7 maxidiscompteurs (6 du mêmegroupe, plus un exerçant en franchise), représentant 22 % des supermarchés.Ils totalisent 3 600 m2, soit 9 % de la surface globale de la grande distribution(17 % de la surface des supermarchés). Le développement rapide de ce type demagasins s’explique par le fait qu’ils ne sont pas soumis à autorisation préalable,en raison de leur faible taille ou de la reprise de commerces déjà existants.

Source : «La situation du hard-discount», DDCCRF, G. CHERRIER.

Source : INSEE - Enquête annuelle entreprise commerce 1991.

LECTURE - INFORMATIONLECTURE - INFORMATION

Quotidiens moroses

Depuis plus de vingt ans, lapresse française est confron-tée à une crise. Elle affecte defaçon plus ou moins marquéeles divers segments qui lacomposent. Le plus touchéest sans conteste celui desquotidiens nationaux d’infor-mation générale et politique,dont le tirage et la diffusionn’ont cessé de décroître de-puis 1968. De façon pluslarge, le tirage total de la«presse éditeur», c’est-à-direles quelque 3 000 titres quifont l’objet d’une véritablecommercialisation, est restéstable de 1982 à 1993 (envi-ron 6,5 milliards d’exemplai-res). Cette stagnation est àmettre en parallèle avec lahausse de près de 6 % de lapopulation durant la mêmepériode et celle encore plusmarquée du nombre de mé-nages (+ 13,5 %). Ce dernierpoint est important, vu que laconsommation de nombreu-ses publications se fait plus àce niveau qu’à celui de l’indi-vidu. Les causes, à défaut desremèdes, sont identifiées :concurrence de la radio et dela télévision, coûts de pro-duction élevés, système dedistribution onéreux et diffi-cile à modifier, baisse desrecettes publicitaires... Unautre handicap, qui découleen partie des trop faibles dif-fusions, est celui des prix devente dissuasifs. En particu-lier pour la presse quotidiennenationale, surtout en compa-raison des gros titres à l’étran-ger.Source : «Les causes économiques de la crisede la presse française». Problèmes économi-ques N° 2.414.

Page 27: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

TERRITOIRETERRITOIRE

27E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

La ville en clair-obscur

L’enquête «équipementsurbains» a permis de dresserl’inventaire des équipementsdisponibles dans les principalesagglomérations des Antilles-Guyane. Alors que la place dela ville et son influence se sontrenforcées, l’aménagement del’espace urbain devient plusdifficile. Car les problèmess’élargissent parfois plus viteque les capacités d’y répondre.

A l’extérieur, les Antilleset la Guyane sont van-tées, souvent auprès decitadins, pour leur na-

ture ou leur espace. La ville y estpourtant bien présente même sielle n’apparaît pas de prime abordtentaculaire. Son emprise s’estcependant accrue depuis quinzeans. Il suffit d’observer ces carac-téristiques urbaines essentiellesque sont la concentration de lapopulation et celle des activités.La vie régionale s’est ainsi affir-mée, dans les villes et autourd'elles, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Cayenne. Le dévelop-pement de Basse-Terre, la capi-tale administrative de la Guade-loupe ne se fait pas avec la mêmeampleur. Le tissu urbain s’est à lafois étendu et concentré. Exten-sion par l’habitat, à l’extérieur des

villes-centres au sein des agglo-mérations, mais aussi à la péri-phérie de celles-ci. Concentra-tion par l’activité économique quis’est renforcée dans les agglomé-rations, véritables poumons éco-nomiques de chaque région. Lavie est devenue plus urbaine, avecses avantages liés à l’activité deshommes et ses désagréments denuisances, d’embouteillages oude problèmes de déchets.

L’enquête «équipements urbains»vient à point nommé pour décrirel’espace urbain et essayer d’y de-viner l’intervention humaine. Ilen ressort que les impératifs ur-bains ont été pris en compte parles pouvoirs publics sans que sedessine une politique très origi-nale ou novatrice. Sans doute parcontrainte budgétaire, les actionsessentielles ou d’urgence étantprioritaires. Sans doute aussi parprise de conscience tardive chezles décideurs et dans la popula-tion des nouvelles nécessités dela ville. La croissance urbainerapide a produit des effets multi-ples, renforcés par l'exiguïté duterritoire. Il semble que le tempsait manqué à la réflexion pour en

14 communes urbainesUne unité urbaine multicommunale ou agglomération de population est constituéed’un espace bâti continu d’au moins 2 000 habitants sans rupture de plus de 200m. Quatorze communes urbaines ont fait l’objet de l’enquête équipements urbains(15 si on compte Saint-Martin, non incluse dans cet article). L’agglomération dePointe-à-Pitre/Abymes comprend ces deux communes plus Baie-Mahault et LeGosier. L’agglomération de Basse-Terre regroupe autour de celle-ci, Baillif,Gourbeyre et Saint-Claude. Cayenne et Remire-Montjoly forment l’agglomérationde Cayenne. Au sens strict de la continuité de l’habitat, on a en Martinique deuxunités urbaines : celle de Fort-de-France avec Schoelcher et Saint-Joseph et celledu Lamentin qui est une ville isolée. Par commodité dans cet article, le termeagglomération de Fort-de-France englobe ces quatre communes.

Impératifspris en compte

Page 28: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

TERRITOIRETERRITOIRE

28 N° 28 - AVRIL 1995E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

Forte concentration de l'emploi et des véhicules

Sources : IGN - INSEE - Recensement de la population 1990.Note de lecture :Pour la Guadeloupe, les Iles-du-Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélemy) ont été exclues. La part d'auto-mobiles concerne uniquement les véhicules des ménages. On a pris en compte les automobiles possédéespar les ménages vivant dans l'unité urbaine et ceux des personnes n'y habitant pas mais venant y travailler.Le tableau se lit ainsi : l'unité urbaine de Cayenne regroupe 46 % de la population et 52 % des emploisde la Guyane ; 71 % des automobiles des ménages guyanais y circulent un jour de travail (entrent, sortentou restent dans l'agglomération).

maîtriser les répercussions sur laqualité de la vie.Dans les priorités, on peut citer lanécessité d’améliorer l’habitat, larésorption de l’habitat insalubreétant encore une oeuvre de lon-gue haleine. Dans la décennieprécédant l’enquête, près de 1 720logements ont été réhabilités oudétruits à Pointe-à-Pitre, 1 400 àFort-de-France, 1 040 aux Aby-mes,190 à Remire-Montjoly,150au Gosier, 120 à Basse-Terre et50 à Gourbeyre. De manière plusgénérale, les quatorze commu-nes étudiées ont un plan d’occu-pation des sols et huit d’entreelles un service municipal d’ar-chitecture ou d’urbanisme.

Toutes sauf Cayenne et Le Gosieront aussi engagé une vision à pluslong terme avec des zones d’amé-nagement différé ou d’aménage-ment concerté.La première formule (présenced’une ZAD dans huit communes)permet la création de réservesfoncières en vue d’opérations ul-térieures d’aménagement ou derénovation (1). La seconde (dixcommunes ont une ZAC), auto-rise la réalisation d’un projet

aussi aux achats des ménages. Leshypermarchés des Antilles-Guyane et la plupart des super-marchés sont implantés à l’inté-rieur des agglomérations. Ils atti-rent, aux Antilles, bien au-delà decelles-ci et même des bassins ur-bains.L’un des problèmes majeurs po-sés à la ville d’aujourd’hui est laconfrontation à la civilisation ma-térielle. En première ligne sontl’automobile et tout ce qui estconsommé et générateur de dé-chets. Un seul chiffre, qui faitréfléchir : chaque jour de travail,60 % de toutes les voitures de laGuadeloupe «continentale» cir-culent dans l’agglomérationpointoise. Il ne s’agit que des vé-hicules des particuliers auxquelsil faut ajouter ceux des entrepri-ses ou des administrations, sur-tout présents là où il y a l’activitééconomique, donc encore l’ag-glomération.

Contenir l’envahissement del’automobile sera l’un des défisurbains des dix prochaines an-nées. Deux certitudes : l’équipe-ment des ménages en automobile(environ un ménage antillo-guyanais sur deux était équipé en1990) progresse et la populationcontinue d’augmenter même si lerythme de cette progression n'estpas connu à l'avance.Aujourd’hui, l’automobile estreine jusqu’à la moindre ruelledes centres villes. Les quatorzecommunes observées ne totali-sent que ... 800 m de rues piéton-nes en attendant quelques projetsprogrammés. Seules Baie-Mahault, Pointe-à-Pitre etCayenne ont réservé quelquesarpents aux piétons. Engorgementet difficultés de stationnement sontquotidiens malgré les efforts descommunes pour discipliner

d’aménagement d’ensemble dansle périmètre concerné (2). Dans lesdeux cas, la commune affiche lavolonté de maîtriser son espacepar des prescriptions d’urbanismeou d’équipements à réaliser.D’autres opérations ont été pro-grammées de 1984 à 1993 :création de secteurs piétonniers àBasse-Terre, Baie-Mahault,Pointe-à-Pitre, Le Lamentin etSaint-Joseph, réfection de trottoirsdans huit communes, installationde mobilier urbain ou de signalé-tique dans neuf communes.L’urbanisme reste cependant surune vision communale. Il n’y apas de charte intercommunale dedéveloppement et d’aménage-ment et encore moins de commu-nauté de communes. Ce manquede perspective globale ne facilitepas l’appréhension de phénomè-nes qui dépassent désormais lecadre même des agglomérations.La déconcentration de l’habitaten zone périurbaine a depuis dixans accéléré la constitution d’unbassin (ou d’un espace) pointoiset d’un bassin foyalais englobantchacun une dizaine de commu-nes (3). La concentration des acti-vités déverse chaque jour desmilliers de personnes dans les ag-glomérations et encore surtoutvers les villes-centres. Ces dépla-cements sont liés à l’emploi mais

(1) Une ZAD ouvrepour la communeun droit depréemption desterrains offerts à lavente et non cou-verts par un POSrendu public ouapprouvé. Le droits’exerce pour unedurée de 14 ans.

(2) Sur le périmè-tre d’une ZAC, lesconditions de réa-lisation des pro-grammes de cons-truction sont né-gociées avec lesconstructeurs etfont l ’objet deconventions.

(3) L'ampleur desdéplacements do-micile-travail ac-croche des com-munes hors ag-glomérations àcelles-ci. Se créeainsi "un bassin",bien plus vasteque l'aggloméra-tion. Voir «Deuxagglomérations aucrible». Antiane-Eco N° 25. INSEE.

Volonté demaîtriser l'espace

L'automobileest reine

En % de chaque département

NombreUnités urbaines de Superficie Population Emplois Automobiles

communes

Basse-Terre 4 5 11 14 16Pointe-à-Pitre/Abymes 4 11 35 51 60Fort-de-France/Lamentin 4 15 46 62 62Cayenne 2 1 46 52 71

Page 29: EDITORIAL - epsilon.insee.fr · renseignerait davantage sur la durée de vie des entreprises, sauf que les statistiques en la matière font défaut. Par département, l’année 1993

TERRITOIRETERRITOIRE

29E ECONOMIQUE DES ANTILLES GUYANE

N° 28 - AVRIL 1995

l’automobile. Parmi les capitalesantillo-guyanaises, seule Cayennen’a pas instauré un stationnementpayant. Des parcs de surface ouen ouvrage (Fort-de-France etPointe-à-Pitre) offrent un nombrede places déjà insuffisant. Les deuxvilles disposent d’une capacitéd’environ 4 000 places payanteschacune, à un tarif horaire (6 F)deux fois plus élevé à Fort-de-France. Il faut bien remarquer quel’indiscipline de l’automobilistel’incite à rechercher la place gra-tuite plutôt que tarifée, aggravantsouvent les encombrements desrues.Certains rêvent d’une reconquêtedu coeur des villes par le citadin.Elle renvoie à une révolution descomportements accompagnéed’équipements coûteux (parcssouterrains) et d’une autre organi-sation collective des transports.Pour l’instant, la préférence à lavoiture laisse peu de marges demanoeuvre à d’autres aménage-ments. Seule Fort-de-France dis-pose de couloirs réservés à lacirculation des bus. Aucune com-mune n’offre de voie réservée auxcyclistes. Contraint par la placeprise par l’automobile, le trans-port collectif souffre aussi d’im-perfections. Dans les quatorzecommunes, aucun car n’est dis-ponible après 21 heures et sou-vent après 19 heures. Dans lamoitié d’entre elles, les cars necirculent pas les jours fériés ou lesdimanches. Une seule (Les Aby-mes) déclare que des bus sontaccessibles aux handicapés.

Confrontées à des ordures et à desdéchets de toutes sortes toujoursplus volumineux, les communesont modernisé leur système decollecte. Toutes se sont dotées de

poubelles hermétiques ou de bacsroulants remplaçant les poubel-les individuelles traditionnelles.Dans seulement cinq communes,les ménages ont de plus accès àun dépôt en lieu fixe. Certainsobjets sont sujets à des traitementsspécifiques comme le verre qui,dans quatre communes, peut êtreapporté dans un dépôt. Plus géné-ralisée est la collecte des encom-brants. Dans onze communesexiste un ramassage périodique,dans toutes un ramassage sur de-mande. Ce système, à l'évidence,ne donne pas les mêmes résultatspartout. Dans aucune commune,le papier, les chiffons et tissus nefont l’objet d’une collecte pourrecyclage. Dans aucune non plus

Une radioscopie urbaineDe manière périodique, l’INSEE procède à des enquêtes sur l’équipement descommunes. Le dernier «inventaire communal» a eu lieu en 1988, le prochain estprévu fin 1996. La description des équipements en milieu urbain y est cependantlimitée. C’est la raison de l’enquête complémentaire «équipements urbains»menée au dernier trimestre 1993. Toutes les communes des agglomérations deplus de 30 000 habitants ou ayant une préfecture ont été enquêtées. Aux Antilles-Guyane, 15 communes ont été concernées et pour les plus grandes, des donnéespar quartier ont aussi été collectées. L’enquête s’est effectuée auprès desmunicipalités : une commission communale a été constituée sous la responsabilitédu maire, réunissant des personnes connaissant bien les équipements de lacommune (la date de référence est le 1er janvier 1994). Ces résultats collectésen mairie ont été complétés par des données issues de sources administratives :pour l’éducation (année scolaire 1992-93) et pour la santé (mi-1993). Un effortparticulier a été fait sur le nombre d’équipements concernés. Dans l’Inventairecommunal, 250 équipements étaient recensés; 600 dans Equipements urbains.Les équipements décrits sont regroupés autour de dix thèmes : les services et lescommerces, l’aménagement de la commune, les transports et déplacements, lasanté et l’action sociale, le sport, les loisirs et la culture, l’enseignement, lesmoyens de communication (bulletin municipal, radios locales...), les services auxentreprises, enfin les hôtels et campings.Les résultats seront disponibles à partir du deuxième trimestre 1995 sur différentssupports. Un fascicule par région traitera de manière statistique environ 160variables d’équipements. Des fiches restitueront les données des dix thèmesd’équipements pour chaque unité géographique de base (commune ou quartier).Ces fiches «équipements urbains» seront complétées par trois fiches «profil»donnant pour la commune des informations de géographie, de mouvementnaturel, d’attraction touristique, d’agriculture... et de population et logementpour la commune et chaque quartier. Pour un thème ou un équipement choisi,des «listes» de communes ou quartiers dotés d’un ou plusieurs équipementspourront être obtenues. Enfin, fiches et listes seront disponibles sur supportpapier ou informatique (disquette).

les déchets toxiques des ménages(huiles, batteries, piles, médica-ments...) ne sont récupérés pourdestruction ou traitement. L’éco-poubelle, qui existe ailleurs danscertaines communes n’est pas en-core au goût du jour aux Antilles-Guyane : elle consiste à doter lesménages d’une seconde poubellepour récupérer des matériauxvalorisables. Cette prise de cons-cience encore naissante du pro-blème des déchets n’incombe cer-tes pas qu’aux municipalités. Ceproblème est d'ores et déjà poséavec une consommation qui aug-mente sur des territoires antillaisexigus.

Laurent TUDEAU

Le problème desdéchets s'imposera

dans le futur proche