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L’Irlande, figure de proue de la compétitivité européenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES. Pour rendre la haute fonction publique plus attractive, Jean-Paul Delevoye veut réformer la formation de ses cadres p. VII b Les entreprises exigent la maîtrise de l’anglais, même s’il est peu utilisé P. VIII FOCUS EMPLOI OFFRES D’EMPLOI DUBLIN de notre envoyée spéciale E lle est tellement à l’ouest, cette petite île, que l’on aurait tendan- ce à l’oublier. Et voilà qu’à la faveur de la pré- sidence tournante de l’Union européenne (UE) l’Irlan- de se retrouve aux commandes du Vieux Continent jusqu’au 30 juin, sous les feux d’une actua- lité bien chargée. L’Europe s’es- souffle économiquement et politi- quement. La reprise se fait atten- dre tandis que les négociations sur la future Constitution à vingt- cinq Etats membres sont au point mort. Personne n’attend de la verte Erin des miracles. En revanche, les yeux se posent sur elle chaque jour de façon un peu plus intense, pour mieux regarder les bienfaits de l’air du large. La Suède et son modèle social-démocrate en difficulté ne fas- cinent plus. L’Irlande, en revanche… Il y a de quoi, en effet. Comment imaginer que ce pays, le plus pau- vre de la Communauté lorsqu’il y adhère, en 1973, ait décroché le titre de champion de la croissance dans les années 1990 ? Son pro- duit intérieur brut a progressé de 8,6 % par an, en moyenne, sur la période 1996-2000 contre… 2,3 % pour l’Europe. Pied de nez monu- mental à son voisin, mais néan- moins ennemi, anglais : son niveau de vie par habitant a rejoint aujour- d’hui celui des Britanniques. On connaît le secret du Tigre cel- tique : l’ouverture. Privée de res- sources naturelles, l’Irlande n’a eu d’autre solution que de jouer la car- te des investissements étrangers. Les aides européennes ont évidem- ment joué un rôle fondamental dans ce pari, permettant surtout le développement des infrastructures technologiques. Sans oublier, bien sûr, une politique fiscale à la limite du dumping – le taux de son impôt sur les sociétés (12,5 %) est, de loin, le plus attrayant de l’UE – mais tolé- rée par Bruxelles, qui y voit une juste compensation à son éloigne- ment géographique. Autant de cadeaux qui ont rendu plus d’un économiste sceptique sur la capaci- té irlandaise à se maintenir à flot, dès lors que la manne communau- taire allait se tarir et la concurrence fiscale, notamment avec l’arrivée des dix nouveaux adhérents, se ren- forcer. Erreur. Si le Tigre celtique a beau- coup souffert du ralentissement mondial de ces deux dernières années, il a su retomber agilement sur ses pattes, et devrait, selon l’Or- ganisation de coopération et de développement économiques (OCDE), parvenir à une croissance de 3,6 % en 2004, contre 1,9 % pour l’UE. Ce n’est donc pas un hasard si, depuis deux ans, les nouveaux pays adhérents multiplient les mis- sions à Dublin pour aller toucher de plus près la réalité de ces diables d’Irlandais. Et s’en inspirer… A ses dépens, d’ailleurs. Ironie du sort, le printemps 2004 sera en effet celui des dégrève- ments fiscaux : la Pologne va dimi- nuer son impôt sur les sociétés de 27 % à 19 %, la Hongrie de 18 % à 16 %, la Lettonie de 19 % à 15 % ; la République tchèque propose, elle, de passer, d’ici à 2006, de 28 % à 24 %. L’Irlande se retrouve donc concurrencée par les nouveaux adhérents – prompts à suivre son exemple – qui attirent les investis- seurs étrangers à coups de bas salai- res et d’impôts au rabais. Pour autant, les raisons d’une identifica- tion avec ce petit pays pauvre deve- nu riche ne se cantonnent pas à soutenir son refus de toute harmo- nisation fiscale au sein de l’Union. L’attirance est plus profonde. A entendre ce diplomate slovène, « l’île Verte a réussi à maintenir sa propre identité au sein de l’Euro- pe », ou cet officiel letton : « Peu d’habitants, une diaspora importan- te, et cette volonté de s’en sortir… » Pendant six mois, ils sont fiers d’avoir l’Irlande comme porte- voix, elle qui a annoncé qu’elle pri- vilégiera la solidarité entre les Vingt-Cinq et s’opposera à la créa- tion d’un « noyau dur » les petits n’auraient pas vraiment droit de cité. « Les Irlandais ont compris que leur survie dans les années à venir passait par le maintien de leur com- pétitivité », explique Erik Egnell, chef de la mission économique française à Dublin. Pour y parvenir, ils parient sur leur pragmatisme. Leur modèle mélange donc pêle- mêle l’ode à la libre entreprise, le consensus social fondé sur le dialo- gue et le partenariat, ou encore l’en- chevêtrement des politiques publi- ques et privées. Mais, surtout, il se projette dans l’avenir en misant sur une ressour- ce considérée comme prioritaire par le gouvernement, le patronat ou les organisations syndicales : l’éducation et la qualification, pre- nant à la lettre les objectifs de Lis- bonne destinés à faire de l’Europe l’« économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici 2010 ». A l’heure où les universités fran- çaises crient famine, Dublin est déci- dé à mettre le paquet budgétaire sur les filières décrétées les plus pro- metteuses. Après avoir développé dans les années 1980 les formations techniques tournées vers les techno- logies de l’informatique – l’Irlande est encore le premier exportateur mondial de logiciels –, l’accent va être mis sur Internet afin de devenir la plate-forme européenne du com- merce électronique. Ce n’est pas tout. Les biotechnologies et les nanotechnologies sont aussi dans le collimateur de l’Agence de dévelop- pement et d’investissement (IDA), qui compte, grâce aux géants de la pharmacie installés sur le sol irlan- dais, réussir à faire travailler ensem- ble chercheurs privés et chercheurs publics. Bourses, subventions aux équipes de recherche, tout est lancé pour attirer les cerveaux étrangers, qui devront immanquablement venir en aide à un pays jeune (38 % de la population a moins de 25 ans) et qualifié : 60 % d’une classe d’âge décroche un diplôme universitaire. Il s’agit bien, en réalité, pour l’Ir- lande de réfléchir aux prochaines années. De garder toujours cette petite longueur d’avance qui lui a permis de conserver son indépen- dance. « Dans quelques années, rap- pelle avec satisfaction ce haut fonc- tionnaire, notre pays sera un contri- buteur positif au budget communau- taire… » L’Irlande n’a pas fini de surprendre. Marie-Béatrice Baudet Lire le dossier pages II et III Selon les prévisions de la Coface, l’un des leaders mondiaux de l’assurance-crédit, les risques-pays diminuent dans le monde. De quoi rassurer les investisseurs p. V la petite île qui assure la présidence de l’union jusqu’en juin est devenue un modèle pour les pays de l’est DOUBLE VALIDATION : TITRE ISEG BAC+5 ET MBA ACCRÉDITÉ. CONCOURS PRISM www.concours-prism.com ou contacts Centralisation Concours Prism - 1, rue de Montevidéo - 75116 Paris ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PREMIER RÉSEAU D’INSTITUTS SUPÉRIEURS DE MANAGEMENT (PRISM) 1 CONCOURS NATIONAL COMMUN À 7 ÉCOLES DE COMMERCE ET DE MANAGEMENT EN 5 ANS APRÈS BAC 3 SESSIONS EN 2004 17 mars - 21 avril - 15 mai ISEG SUP PARIS • ISEG SUP BORDEAUX • ISEG SUP LILLE • ISEG SUP LYON ISEG SUP NANTES • ISEG SUP STRASBOURG • ISEG SUP TOULOUSE Olivier Blanchard, professeur au Massachusetts Institute of Technology, plaide pour que les entreprises paient les coûts sociaux et psychologiques des licenciements p. VI b Dirigeants b Finance, administration, juridique, RH b Banque, assurance b Conseil, audit b Marketing, commer- cial, communication b Santé b Indus- tries et technologies b Carrières inter- nationales b Multipostes b Collectivi- tés territoriales p. IX à XIV TRIBUNES Dublin se projette dans l’avenir en misant sur une ressource considérée comme prioritaire par le gouvernement, le patronat ou les organisations syndicales : l’éducation et la qualification LE TIGRE CELTIQUE EST ENCORE VAILLANT UN CHAMPION DE LA CROISSANCE -2 0 2 4 6 8 10 12 05 04 03 02 01 00 99 98 97 96 95 94 93 92 91 90 Irlande UE Etats-Unis France PIB, en volume (Pourcentages de variation parrapport à l'année précédente) Source : OCDE ECONOMIE MARDI 27 JANVIER 2004

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Page 1: ECONOMIE - medias.lemonde.frmedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_040126.pdf · L™Irlande, figure de proue de la compØtitivitØ europØenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

L’Irlande, figure de prouede la compétitivité européenne

b SPÉCIAL COLLECTIVITÉSTERRITORIALES. Pour rendrela haute fonction publique plus attractive,Jean-Paul Delevoye veut réformerla formation de ses cadres p. VIIb Les entreprises exigent la maîtrisede l’anglais, même s’il est peu utilisé P. VIII

FOCUS EMPLOI OFFRESD’EMPLOI

DUBLINde notre envoyée spéciale

Elle est tellement àl’ouest, cette petite île,que l’on aurait tendan-ce à l’oublier. Et voilàqu’à la faveur de la pré-sidence tournante de

l’Union européenne (UE) l’Irlan-de se retrouve aux commandesdu Vieux Continent jusqu’au30 juin, sous les feux d’une actua-lité bien chargée. L’Europe s’es-souffle économiquement et politi-quement. La reprise se fait atten-dre tandis que les négociationssur la future Constitution à vingt-cinq Etats membres sont au pointmort.

Personne n’attend de la verte Erindes miracles. En revanche, les yeuxse posent sur elle chaque jour defaçon un peu plus intense, pourmieux regarder les bienfaits de l’airdu large. La Suède et son modèlesocial-démocrate en difficulté ne fas-cinent plus. L’Irlande, en revanche…

Il y a de quoi, en effet. Commentimaginer que ce pays, le plus pau-vre de la Communauté lorsqu’il yadhère, en 1973, ait décroché letitre de champion de la croissancedans les années 1990 ? Son pro-duit intérieur brut a progressé de8,6 % par an, en moyenne, sur lapériode 1996-2000 contre… 2,3 %pour l’Europe. Pied de nez monu-mental à son voisin, mais néan-

moins ennemi, anglais : son niveaude vie par habitant a rejoint aujour-d’hui celui des Britanniques.

On connaît le secret du Tigre cel-tique : l’ouverture. Privée de res-sources naturelles, l’Irlande n’a eud’autre solution que de jouer la car-te des investissements étrangers.Les aides européennes ont évidem-ment joué un rôle fondamentaldans ce pari, permettant surtout ledéveloppement des infrastructurestechnologiques. Sans oublier, biensûr, une politique fiscale à la limitedu dumping – le taux de son impôtsur les sociétés (12,5 %) est, de loin,le plus attrayant de l’UE – mais tolé-rée par Bruxelles, qui y voit unejuste compensation à son éloigne-

ment géographique. Autant decadeaux qui ont rendu plus d’unéconomiste sceptique sur la capaci-té irlandaise à se maintenir à flot,dès lors que la manne communau-taire allait se tarir et la concurrencefiscale, notamment avec l’arrivéedes dix nouveaux adhérents, se ren-forcer.

Erreur. Si le Tigre celtique a beau-coup souffert du ralentissementmondial de ces deux dernièresannées, il a su retomber agilementsur ses pattes, et devrait, selon l’Or-ganisation de coopération et dedéveloppement économiques(OCDE), parvenir à une croissancede 3,6 % en 2004, contre 1,9 % pourl’UE. Ce n’est donc pas un hasardsi, depuis deux ans, les nouveauxpays adhérents multiplient les mis-sions à Dublin pour aller toucherde plus près la réalité de ces diablesd’Irlandais. Et s’en inspirer… A sesdépens, d’ailleurs.

Ironie du sort, le printemps 2004sera en effet celui des dégrève-ments fiscaux : la Pologne va dimi-nuer son impôt sur les sociétés de27 % à 19 %, la Hongrie de 18 % à16 %, la Lettonie de 19 % à 15 % ; laRépublique tchèque propose, elle,de passer, d’ici à 2006, de 28 % à24 %. L’Irlande se retrouve doncconcurrencée par les nouveauxadhérents – prompts à suivre sonexemple – qui attirent les investis-seurs étrangers à coups de bas salai-res et d’impôts au rabais. Pourautant, les raisons d’une identifica-tion avec ce petit pays pauvre deve-nu riche ne se cantonnent pas àsoutenir son refus de toute harmo-nisation fiscale au sein de l’Union.L’attirance est plus profonde. Aentendre ce diplomate slovène,« l’île Verte a réussi à maintenir sapropre identité au sein de l’Euro-pe », ou cet officiel letton : « Peud’habitants, une diaspora importan-te, et cette volonté de s’en sortir… »Pendant six mois, ils sont fiersd’avoir l’Irlande comme porte-voix, elle qui a annoncé qu’elle pri-vilégiera la solidarité entre lesVingt-Cinq et s’opposera à la créa-tion d’un « noyau dur » où lespetits n’auraient pas vraiment droitde cité.

« Les Irlandais ont compris queleur survie dans les années à venirpassait par le maintien de leur com-pétitivité », explique Erik Egnell,chef de la mission économiquefrançaise à Dublin. Pour y parvenir,ils parient sur leur pragmatisme.Leur modèle mélange donc pêle-mêle l’ode à la libre entreprise, leconsensus social fondé sur le dialo-gue et le partenariat, ou encore l’en-chevêtrement des politiques publi-ques et privées.

Mais, surtout, il se projette dansl’avenir en misant sur une ressour-ce considérée comme prioritairepar le gouvernement, le patronatou les organisations syndicales :l’éducation et la qualification, pre-nant à la lettre les objectifs de Lis-

bonne destinés à faire de l’Europel’« économie de la connaissance laplus compétitive du monde d’ici2010 ».

A l’heure où les universités fran-çaises crient famine, Dublin est déci-dé à mettre le paquet budgétairesur les filières décrétées les plus pro-

metteuses. Après avoir développédans les années 1980 les formationstechniques tournées vers les techno-logies de l’informatique – l’Irlandeest encore le premier exportateurmondial de logiciels –, l’accent vaêtre mis sur Internet afin de devenirla plate-forme européenne du com-merce électronique. Ce n’est pastout. Les biotechnologies et lesnanotechnologies sont aussi dans lecollimateur de l’Agence de dévelop-pement et d’investissement (IDA),qui compte, grâce aux géants de lapharmacie installés sur le sol irlan-dais, réussir à faire travailler ensem-

ble chercheurs privés et chercheurspublics. Bourses, subventions auxéquipes de recherche, tout est lancépour attirer les cerveaux étrangers,qui devront immanquablementvenir en aide à un pays jeune (38 %de la population a moins de 25 ans)et qualifié : 60 % d’une classe d’âge

décroche un diplôme universitaire.Il s’agit bien, en réalité, pour l’Ir-

lande de réfléchir aux prochainesannées. De garder toujours cettepetite longueur d’avance qui lui apermis de conserver son indépen-dance. « Dans quelques années, rap-pelle avec satisfaction ce haut fonc-tionnaire, notre pays sera un contri-buteur positif au budget communau-taire… » L’Irlande n’a pas fini desurprendre.

Marie-Béatrice Baudet

Lire le dossier pages II et III

Selon les prévisionsde la Coface, l’undes leaders mondiauxde l’assurance-crédit,les risques-paysdiminuent dans lemonde. De quoi rassurerles investisseurs p. V

la petite îlequi assurela présidence del’union jusqu’enjuin est devenueun modèle pourles pays de l’est

DOUBLE VALIDATION : TITRE ISEG BAC+5 ET MBA ACCRÉDITÉ.

C O N C O U R S P R I S M

www.concours-prism.com oucontacts Centralisation Concours Prism - 1, rue de Montevidéo - 75116 Paris

É T A B L I S S E M E N T S P R I V É S D ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R

PREMIER RÉSEAU D’INSTITUTS SUPÉRIEURS DE MANAGEMENT (PRISM)

1 CONCOURS NATIONAL COMMUN À 7 ÉCOLES DE COMMERCE ET DE MANAGEMENT

EN 5 ANS APRÈS BAC

3 SESSIONS EN 200417 mars - 21 avril - 15 mai

ISEG SUP PARIS • ISEG SUP BORDEAUX • ISEG SUP LILLE • ISEG SUP LYON

ISEG SUP NANTES • ISEG SUP STRASBOURG • ISEG SUP TOULOUSE

Olivier Blanchard,professeur auMassachusetts Instituteof Technology, plaidepour que les entreprisespaient les coûts sociauxet psychologiquesdes licenciements p. VI

b Dirigeantsb Finance, administration,juridique, RH b Banque, assuranceb Conseil, auditb Marketing, commer-cial, communication b Santé b Indus-tries et technologies b Carrières inter-nationales b Multipostes b Collectivi-tés territoriales p. IX à XIV

TRIBUNES

Dublin se projette dans l’avenir en misantsur une ressource considérée comme prioritaire

par le gouvernement, le patronatou les organisations syndicales : l’éducation

et la qualification

LE TIGRE CELTIQUE EST ENCORE VAILLANT

UN CHAMPION DE LA CROISSANCE

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PIB, en volume(Pourcentages de variation par rapport à l'année précédente)

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ECONOMIEMARDI 27 JANVIER 2004

Page 2: ECONOMIE - medias.lemonde.frmedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_040126.pdf · L™Irlande, figure de proue de la compØtitivitØ europØenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Martins Lacis, l’homme de la Lettonie à DublinDUBLIN

de notre envoyée spéciale ’ : les meubles,

pas encore livrés ; l’entretien qui doit se faire dans lehall d’entrée de l’ambassade, entre machine à caféet photocopieuse ; et le petit stock de cartes de visitedéjà épuisé… Martins Lacis s’installe. Il y a un mois, ila remis au gouvernement irlandais ses lettres decréance, ce qui a fait de lui le premier ambassadeurletton à Dublin. L’homme se sait en retard. Pas aurendez-vous de ce petit matin pluvieux. Mais à celuirythmé par l’horloge économique européenne. Sonpays est parmi les derniers des nouveaux adhérentsà prendre officiellement pied sur l’île Verte. Tous lesautres sont déjà là, à l’exception de Malte. La Litua-nie et son ambassadeur sont eux aussi dans les car-tons, juste arrivés pour Noël.

Le fait que Dublin soit aux commandes de l’Unioneuropéenne jusqu’en juillet a évidemment précipitéce mouvement migratoire, mais Martins Lacis confir-me que l’attirance est beaucoup plus ancienne :« Nous avons déjà mené plusieurs missions en Irlandepour observer de près ce petit pays que nous considé-rons comme l’une des plus belles réussites européen-nes. » Un modèle possible ? « La Nouvelle-Zélande

aussi nous intéresse. Pour autant, il est hors de ques-tion de faire du copier-coller. L’Irlande est une sourced’inspiration, mais nous devons définir notre proprestratégie de développement. »

« »Inspirations au pluriel, en réalité. Sur la petite

table dans l’entrée, plusieurs prospectus verts à lagloire de « The Latvian Development Agency » (LDA)– l’agence de développement de Lettonie – qui recen-se toutes les raisons pour lesquelles un investisseurétranger aurait intérêt à s’installer dans l’Etat balte.« Nous avons créé une sorte de guichet unique qui évi-te beaucoup de tracasseries administratives et juridi-ques, totalement au service du nouvel arrivant. » Bref,une petite sœur jumelle de l’IDA, sirène irlandaisedont les chants séduisent depuis 1969 nombre demultinationales. Inspiration encore après l’annoncefin décembre par le gouvernement de Riga que letaux d’impôt sur les sociétés serait ramené, pour2004, de 19 % à 15 %. Certes, encore un peu plus hautque les 12,5 % irlandais, mais le ton est donné.

Depuis 1991, Martins Lacis est devenu à 55 ans l’undes VRP de la Lettonie : attaché commercial à Wash-ington, ouvertures d’ambassades au Canada puis en

Grèce. Et depuis à peine un mois, il réalise une plon-gée en eaux profondes à Dublin. Il connaît sa nouvel-le mission : étudier d’encore plus près les secrets etles ressorts du Tigre celtique. Mais pas seulement…Le 15 janvier, le quotidien Irish Independent faisaitsa « une » sur la décision de Philips Electronics deredélocaliser ses services comptables en Pologne,abandonnant la ville irlandaise de Leopardstownaux coûts salariaux désormais trop élevés. « Qu’est-ce que vous voulez, je n’ai qu’une chose à dire, souritMartins Lacis : l’ambassadeur polonais a été meilleurque moi. A ma décharge, on peut considérer qu’il est àDublin depuis plus longtemps… »

La compétition est lancée, et comme il le rappelleimmédiatement, « elle est libre, non ? »… Lui aussi vadonc partir faire le tour des entreprises implantéesdans l’île afin de vanter les mérites de la Lettonie etdécrocher ainsi quelques implantations. L’idée d’af-fronter dans ce combat l’un des meilleurs, voire lemeilleur des Etats membres, l’Irlande, ne l’effraiepas. Quelques téléphones supplémentaires, de nou-veaux prospectus et l’homme est prêt à prendre laroute.

M.-B. B.

BRUXELLESde notre bureau européen

Pour les partisans de l’in-tégration européenne,c’est un chantier pres-que de la même ampleurque la création del’euro : l’harmonisation

fiscale est une ambition délicate àmettre en œuvre, puisqu’elle tou-che aux ressources financières desEtats membres. Elle est d’ailleursloin d’être atteinte, malgré quelqueslaborieuses tentatives. Pour lemoment, il n’existe ni politique com-mune ni coordination à l’intérieurde l’Union européenne (UE), dansun domaine où les pays demeurenten première ligne. Plusieurs d’entreeux, dont l’Irlande, qui tire degrands bénéfices de cette lacune,

s’opposent au moindre change-ment d’envergure. Ce qui constitueun obstacle quasi impossible à sur-monter, car les décisions en matièrefiscales doivent être prises à l’unani-mité.

L’UE essaie pourtant de limiter lacasse. La Commission européenne aproposé, en octobre 2001, d’impo-ser les entreprises sur la base d’uneassiette consolidée de l’impôt surles sociétés, couvrant l’ensemble deleurs activités communautaires. SiBruxelles se garde pourtant d’évo-quer la perspective d’un taux mini-mal communautaire, la discussionse poursuit, sans résultat pour le

moment. En attendant des progrèsplus significatifs, un « code de bon-ne conduite » a été élaboré. Il pré-voit en particulier « que les Etatsmembres s’engagent à s’abstenir d’ins-taurer toute mesure fiscale domma-geable [“gel”] et à modifier les lois oupratiques réputées préjudiciables enappliquant les principes du code[“démantèlement”] ».

Ce code porte sur les mesures fis-

cales « qui ont ou peuvent avoir uneincidence notable sur l’implantationdes entreprises dans l’UE », selon laCommission, comme un niveaud’imposition effective nettementinférieur au niveau général du paysconcerné, les facilités réservées auxnon-résidents, ou le manque detransparence. Néanmoins, « l’UE estclairement entrée dans une phase deconcurrence fiscale intense, spéciale-ment après l’élargissement », notecependant l’économiste en chef duCDC-Ixis, Patrick Artus. Les dispari-tés sont du même ordre en matièred’impôt sur le revenu et de taxationdes gains en capital.

Toutefois, des progrès ont été réa-lisés ces dernières années dans cer-tains domaines. Des modalités d’im-position des intérêts sur les place-

ments d’épargne transfrontaliersversés à des particuliers doivent êtreappliquées dès le 1er janvier 2005,bien que les négociations avec lespays tiers, comme la Suisse etMonaco, restent délicates.

En matière de taxe sur la valeurajoutée (TVA) par exemple, lesefforts d’harmonisation existent.Mais les négociations actuelles surla définition d’une nouvelle liste deproduits pouvant bénéficier de tauxréduits, illustrent la difficulté de cegenre d’exercice, à quinze comme àvingt-cinq. A l’instar des Britanni-ques pour les vêtements, chacun atendance à vouloir préserver lesdérogations dont il bénéficie. Lavolonté du gouvernement françaisde baisser la TVA sur la restaurationbute sur le refus très ferme des Alle-mands. L’impasse est telle que leministre français des finances, Fran-cis Mer, en appelle désormais auconcept de subsidiarité pour espé-rer tenir un jour cette promesse élec-torale de Jacques Chirac.

Par ailleurs, les Quinze se sontmis d’accord sur des niveaux mini-mum d’accises pour des produitscomme le carburant et le tabac. Làaussi, les efforts d’harmonisationdonnent lieu à de longs pourparlers.Après avoir augmenté les taxes sur

le tabac, la France – encore elle ! –vient de réclamer le relèvement desaccises minimales sur les cigarettes– fixées en 2002 à un niveau de60 euros, puis 64 euros en 2006pour un panier de 1 000 cigarettes.Aux yeux des dirigeants français, ils’agit, afin de rassurer les buralistesmécontents des dernières haussesde prix, de limiter le « tourisme fis-cal », selon M. Mer, qui voit avecregret les grands fumeurs aller s’ap-provisionner dans des pays où lesprélèvements sont plus faibles : l’Es-pagne, la Belgique, le Luxembourget l’Italie.

La Commission n’est pas prête àfaire de nouvelles propositionsavant l’entrée en vigueur complètede ce qui a été laborieusement négo-cié voici deux ans. Dans ce domaineaussi, l’élargissement devraitd’ailleurs rendre plus subtils encoreles efforts de rapprochement : afind’éviter une hausse trop brutale etimpopulaire du tabac, les nouveauxadhérents ont négocié des délais detransition. La Pologne a jusqu’au31 décembre 2008 pour adopter lestandard minimal communautaire.

Philippe Ricard

La concurrence fiscale va s’accentuer avec l’élargissementl’harmonisationdes niveauxd’impositionreste un vœu pieuxde la commission

D O S S I E R

DUBLINde notre envoyée spéciale

Le ralentissement mondialn’a pas épargné l’Irlande.Tigre celtique en 2000,avec un taux de progres-sion de son produit inté-rieur brut (PIB) à deux

chiffres (11,5 %), le voilà chat desalon en 2003 avec une croissancequi devrait se borner à 2,5 %. L’îleVerte paie un lourd tribut à sonouverture internationale, seule voiepossible pour ce petit pays à la péri-phérie de l’Europe et aux ressourcesnaturelles si faibles. Le commerceextérieur représente 118 % de sonPIB et ses principaux partenairessont hors zone euro, qu’il s’agissedes Etats-Unis ou de la Grande-Bre-tagne. « Bref, constate Erik Egnell,chef de la mission économique fran-çaise à Dublin, l’Irlande est très expo-sée aux caprices du dollar. Et la pour-suite de la hausse de l’euro, monnaiequ’elle a fait sienne, peut peser lourdsur sa compétitivité. »

Ce n’est pas la seule menace. Lequasi-plein emploi – le taux de chô-

mage est cantonné en dessous des5 % – a créé des tensions salarialesimportantes qui ont ranimé la crain-te de l’inflation. Sans parler d’unebulle immobilière inquiétante.

Mais un autre souci agite lesIrlandais. Certaines multinationa-les qui avaient choisi il y a dix ouquinze ans de s’installer sur l’îleVerte, pour sa politique fiscale trèsincitative et ses bas coûts salariaux,cèdent désormais aux charmes despays de l’Est, de la Chine ou de l’In-de, où la main-d’œuvre estmeilleur marché. En 2003, Schnei-der a fermé deux usines d’assembla-ge, l’une redélocalisée au Mexique,l’autre en République tchèque. Onrecensait 1 054 entreprises étrangè-res (dans les secteurs de l’industrieet des services non financiers) à lafin 2003 contre 1 094 à la fin 2002,pour une perte nette de2 500 emplois.

Alors, définitivement chat de

salon ? Pas vraiment. Ce seraitsans compter sur le caractère irlan-dais, mélange de patriotisme exa-cerbé et de farouche volontaris-me. « Que nous soyons syndicalis-tes, patrons, fonctionnaires, hom-mes politiques, explique BrendanJ. Halpin, chargé du marketing àl’Investment development agency(IDA), nous savons tous que l’Irlan-de ne doit compter que sur elle-même pour réussir. L’isolementsignifierait, comme par le passé,une mort certaine. Notre salut,notre futur, ce sont les investisse-ments étrangers. » « Bien sûr quenous allons continuer à perdre,

dans les cinq ans à venir, nos jobsles moins qualifiés, admet TonyMoriarty, chargé de recherche ausyndicat Amicus. Mais à nous dereprendre l’avantage en proposantdes qualifications supérieures, enaméliorant encore nos services auxclients, nos chartes qualité… »

Ce consensus permet de rassem-bler les énergies en cas de danger.Alors que le dernier accord trien-nal salariés-patronat – le « Pro-gramme for Prosperity and Fair-ness » – garantissait des haussesminimales de salaire de 7,5 %, en2001, ces dernières ont été, enmoyenne, de 12 %. Tony Moriartyconvient aujourd’hui que l’heure« est à la modération salariale »afin de calmer les tensions infla-tionnistes « synonymes, à terme,d’une baisse de compétitivité etdonc de pertes d’emploi ». Ainsi,alors que l’on craignait pour 2004de mauvaises performances pourl’indice des prix, le ministère desfinances irlandais parie sur uneinflation entre 1 % et 2 % pour cet-te année. « L’Irlande a souffert de laconjoncture internationale, reprendErik Egnell, mais elle devrait être lapremière à bénéficier de la repriseaméricaine. Nous avons affaire àune petite économie très flexible,capable de redémarrer vite. » Touten pensant à son avenir, donc aumaintien du niveau des investisse-ments directs étrangers (IDE).

En 2002, ceux-ci ont représenté25,9 milliards d’euros (pour un PIBde 129 milliards d’euros). Unniveau quasiment équivalent àcelui de l’an 2000. Pas question depaniquer, car si des usines d’assem-

blage quittent le pays, de nou-veaux acteurs s’y installent : en2003, Google a choisi Dublin plu-tôt que Zurich comme siège socialeuropéen ; eBay, la firme Internet,a préféré l’Irlande aux Pays-Bas età l’Ecosse pour y installer son sitede commerce et d’enchères enligne. En réalité, le gouvernementa redéfini les missions de l’IDA,chargée désormais de promouvoirles industries à forte valeur ajoutéeainsi que la R & D. Concernant lestechnologies de l’information et dela communication, le pays souhai-te pousser son avantage et devenirla plate-forme européenne du com-merce électronique. Amazon.comest ainsi en négociations pour ins-taller son centre européen d’activi-tés à Dublin. Autre piste : les bio-et les nanotechnologies, dévelop-pements futurs des nombreuses fir-mes pharmaceutiques implantéesen Irlande.

Pour tenir ces objectifs, les Irlan-dais n’ont pas oublié l’atoutmajeur que représente leur main-d’œuvre qualifiée. De nouveauxprogrammes de formation ont étélancés afin d’orienter les jeunes demoins de 24 ans (39 % de la popula-tion) vers les filières ad hoc. Desfinancements publics accompagne-ront ces choix. Comme par le pas-sé. En 1960, la part du budgetconsacré à l’éducation nationaleétait de 4 % du PIB ; en 1990, elleen représentait 8 %. Depuis, ellecontinue à augmenter régulière-ment. Le Tigre celtique n’a en rienperdu de son agressivité.

Marie-Béatrice Baudet

1Quels sontles principesde la politique fiscale

irlandaise ?

Le premier régime fiscal préféren-tiel remonte à 1956 avec la créa-tion de l’Export Profits Tax Relief(EPTR), qui autorise une réductionde 50 % de l’impôt sur les sociétés(IS) pour les entreprises exportatri-ces. Ce dégrèvement passe à100 % en 1958.En 1978, l’EPTR est supprimé etremplacé par un taux de l’IS à 10 %pour la période 1981-2000. En1987, la loi créant le centre de servi-ces financiers internationaux(IFSC) institue également pour cesactivités un taux d’IS de 10 % jus-qu’en 2005. En 1990, le gouverne-ment prolonge le taux de 10 % jus-qu’en 2010.En 1998, l’Irlande, montrée dudoigt pour sa politique fiscale assi-milée à une forme de dumping,passe un accord avec la Commis-sion européenne, qui prend encompte la situation périphériquedu pays et estime qu’une compen-sation « fiscale » est nécessaire.Cet accord institue un taux géné-ral de l’IS de 12,5 % à partir du1er janvier 2003. Les engagementspris au taux de 10 % seront hono-rés jusqu’en 2010.La panoplie fiscale irlandaise ne seréduit pas néanmoins au seul tauxde l’IS. Il existe d’autres disposi-tions (accords bilatéraux avec despays tiers pour éviter la doubletaxation des dividendes et des inté-rêts, crédit d’impôt sur les paie-ments de taxes à l’étranger, etc.)

2Qu’est-ce quel’Investmentand Development

Agency (IDA) ?

Dès 1949, l’Irlande comprend quel’isolement lui serait fatal et déci-de de créer l’Industrial Develop-ment Agency qui peut être considé-rée comme l’ancêtre de l’IDAactuelle, dont le statut d’autono-

mie totale remonte à 1969 : l’Agen-ce recrute son propre personnel etdépense librement son budget,rendant simplement compte augouvernement de son activité.L’IDA offre un service de guichetunique (« one stop shop ») à l’in-vestisseur étranger. Elle intervientpour lui auprès des différentsministères et des autorités locales.Elle joue également le rôle de« promoteur immobilier ». Elleacquiert des terrains, les viabiliseet construit des usines-relais. Elledispose aujourd’hui d’un parc de80 à 90 zones industrielles acqui-ses et équipées. L’IDA indiquequ’elle réussit à installer totale-ment un investisseur étranger enun an, en moyenne. Ce délai estde plus en plus rapide – il arrivequ’en six semaines un dossier soitbouclé !L’IDA peut apporter une aide à laformation, y compris lorsque celle-ci se déroule dans les usines de lamaison mère. Elle prend en chargeles salaires des employés pendantla formation, ainsi que leurs dépla-cements.

3Quelles entreprisesétrangèressont implantées

en Irlande ?

Le rapport annuel 2002 de l’IDA,qui ne recense que les implanta-tions des multinationales, avancele chiffre de 1 094 compagniesétrangères installées en Irlande,employant plus de 133 000 sala-riés. Pour l’essentiel, 46 % d’entreelles sont américaines (Pfizer,General Electric furent les premiè-res à franchir l’Atlantique), 13,5 %allemandes, 11,8 % anglaises, 20 %pour le reste de l’Europe, et 5 %pour l’Extrême-Orient.Les secteurs les plus représentéssont l’électronique et l’ingénierie,les services financiers et l’industriepharmaceutique. Autant d’entre-prises qui réalisent des margesimportantes et qui sont donc atti-rées, entre autres, par le faibletaux de l’impôt sur les bénéfices.

les aléas de lamondialisationconduisentà privilégierla formationet la recherche

POUR EN SAVOIR PLUS

QUESTIONS-RÉPONSES

AttractivitéLe Tigre celtique fait ses griffespour les vingt prochaines années

> Perspectives économiques del’OCDE. Dossier spécial : politiqueset institutions budgétaires (volumeno 74, décembre 2003, 282 p., 61 ¤).> Inside the Celtic Tiger. The IrishEconomy and the Asian Model,de Denis O’Hearn (ContemporaryIrish Studies, Pluto Press, 59,95 $).> www.dree.org/irlande,site de la mission économiquefrançaise en Irlande.> www.idaireland.com,site de l’agence de développementet d’investissement.

Taux d'impôt sur le bénéfice des sociétésen%

UNE ÉCHELLE DE 1 À 2

Source : EY Law

35,4 35

34,5

33,99

33

30

28

28

25

19 19

16

12,5

Allem

agne

Irlande

Belgique

Espagne

Rép.tchèque

France

HongrieIta

lie

SlovaquiePa

ys-Bas

Pologne

Roy.Uni

Suède

UNSOUTIEN EUROPÉENDÉCISIF

Aides perçues Contributions au budget communautaireEnmillions d'euros

Source : Forfas 2002 * estimations

0

500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

3 500

01*009998979691868073

II/LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004

Page 3: ECONOMIE - medias.lemonde.frmedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_040126.pdf · L™Irlande, figure de proue de la compØtitivitØ europØenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

L’Agence pour l’investisse-ment et le développement (IDA),dont la mission est d’attirer lesinvestisseurs étrangers en Ir-lande, a pour nouvel objectif de« construire une économie de laconnaissance ». Comment allez-vous y parvenir, alors que leratio irlandais d’investissementsdans la connaissance, ramené auproduit intérieur brut (PIB), estfaible, d’un point inférieur à lamoyenne européenne, selon l’Or-ganisation de coopération et dedéveloppement économiques(OCDE) ?

Nous n’avons pas assez investien recherche et développement(R & D), ayant affecté une grandepart de nos ressources au dévelop-pement d’une base industrielle,dans plusieurs secteurs : technolo-gies de l’information et de la com-munication (TIC), pharmacie,finance et logiciels professionnels.Depuis vingt-cinq ans, c’est vrai,nous avons négligé la recherche.Notre niveau actuel est donc trèsfaible. Mais le gouvernement adécidé d’investir 2,5 milliardsd’euros en R & D pour la période2001-2006, c’est-à-dire dix fois plusque les années précédentes.

Ce budget est-il destiné à déve-lopper une recherche publiqueou à stimuler la recherche pri-vée, menée par les entreprises ?

Les deux. Cet argent va êtredépensé via trois canaux.

Primo, un montant de 0,5 mil-liard d’euros est affecté aux structu-res universitaires, afin de construiredes centres de recherche dans lepays et de financer recherches debase et recherches appliquées.

Deuxio, depuis deux ans, le gou-vernement finance des program-mes de recherche pour un montantde 700 millions d’euros, via notreFondation pour la science (ScienceFoundation Ireland – SFI), dans lesmêmes domaines prioritaires (TICet biotechnologies). La SFI estentièrement financée sur fondspublics mais est gérée de façonindépendante. Son conseil d’admi-nistration est composé de scienti-fiques, irlandais ou étrangers, tra-vaillant pour des organismespublics et privés. La SFI fonctionnedepuis deux ans, mais n’a été crééeformellement que depuis six mois.

Tertio, le gouvernement a aussidécidé d’aider la recherche indus-trielle, de deux façons. Via l’IDA,pour les aides destinées aux entre-prises étrangères installées en Irlan-de ; et via Enterprise Ireland, pouraider les entreprises irlandaises,des PME essentiellement, à investirdans la recherche.

Nous ne souhaitons pas commu-niquer les budgets affectés à cetobjectif. Les subventions accor-dées sont les plus élevées possible,dans les limites autorisées par laCommission européenne. Parexemple, en 2003, l’IDA a contri-bué à la création d’un centre derecherche Intel en Irlande.

Mais l’investissement n’est pasque financier. L’IDA travaille avecle gouvernement irlandais pouraugmenter le nombre d’étudiantsformés et celui des laboratoires derecherche.

Vous dites vouloir vous déve-lopper dans les sciences de lavie. Mais la recherche pharma-ceutique est particulièrementfaible en Irlande. N’est-ce pascontradictoire ?

Nous voulons accroître notreeffort de R & D dans ce secteur,car nous pensons que les opportu-nités y sont énormes. Au début, ils’agira essentiellement de recher-che sur les processus industriels.

Si nous estimons qu’il va y avoirun fort besoin de nouvelles capaci-tés industrielles dans le domainedes biotechnologies, nous savonsaussi que nous serons en concur-rence avec de nombreux pays pourattirer ces investissements. Pouraméliorer notre offre, nous propo-

serons des infrastructures derecherche calées sur les besoinsréels des sociétés. Or, nous pen-sons qu’un des principaux problè-mes à venir sera de faire baisser lescoûts de process actuellement trèsélevés, ce qui explique les investis-sements publics consentis dans cedomaine.

Et que faites-vous en directiondes PME ?

Nous avons adopté le mêmetype de mesures que pour les mul-tinationales (subventions, avanta-ges fiscaux, infrastructures). Enoutre, le gouvernement investitdans le capital de start-up irlandai-ses en prenant des participationsminoritaires. En cas de succès,l’Etat dégage ainsi un retour surinvestissement. Nous avons aussiétendu les avantages fiscauxaccordés aux particuliers quiinvestissent dans des « jeunespousses ».

Mais il semble pourtant quevous n’ayez, pour l’instant, aucu-ne politique fiscale particulièrepour inciter les entreprises à fai-re de la recherche…

En décembre, le gouvernement adécidé de créer un crédit impôt

recherche qui sera mis en œuvredès le mois d’avril. Je ne peux, pourl’instant, donner aucune précisionsur cet avantage fiscal. Il ne sera nimeilleur, ni pire qu’ailleurs. Il sesituera dans la moyenne. Mais déjàles entreprises peuvent tirer partidu fait qu’en Irlande le taux d’im-pôt sur les sociétés (12,5 %) est par-ticulièrement bas. Les recettes liéesà la propriété intellectuelle, com-me les revenus de licence, sont ain-si moins imposés qu’ailleurs.

Le nombre de chercheurs enIrlande est l’un des plus bas despays de l’OCDE. Quelle politiqueallez-vous mettre en œuvrepour accroître rapidement leurnombre ?

Nous voulons aussi créer unréservoir de talents. La ScienceFoundation a un programmed’aide aux scientifiques de haut

niveau afin de faire venir des cher-cheurs étrangers ou des équipes derecherche. Le scientifique reçoitune aide minimum de 1 milliond’euros, qui peut aller jusqu’à 5 ou6 millions d’euros, voire plus pourune « vedette ». Nous avons ainsipu accueillir David Parnas, un spé-cialiste canadien d’ingénierie dulogiciel qui va créer une équipecomposée d’Irlandais et de cher-cheurs étrangers. Chris Dainty, spé-cialiste de l’optique qui travaillait àl’Imperial College à Londres, estaussi venu, ainsi que John Pethica,un spécialiste en nanotechnologiesde l’université d’Oxford. Cinqautres chercheurs (irlandais etétrangers) vont se joindre à lui.Chacun sera financé individuelle-ment. Une aide est aussi prévuepour le programme de recherche.

L’IDA collabore avec la SFI pourinciter les entreprises à participer àce genre de projets de rechercheacadémique. Ainsi, Intel va finan-cer une partie des recherches deJohn Pethica. Certains chercheursdu fabricant de microprocesseurstravailleront dans le laboratoire dePethica et réciproquement. Nousvoulons accroître les liens entre

recherche publique et privée. Unprogramme du même type existedans le domaine de l’ingénierie destissus humains.

Nous souhaitons créer des cen-tres d’excellence, c’est-à-dire desregroupements de chercheurs dehaut niveau, collaborant dans desinstitutions différentes sur dessujets communs, et dont 20 % dufinancement viendra de l’industrie.

Dans les équipes mixtes publi-ques-privées, comment se négo-cient les droits de propriétéintellectuelle ?

Au cas par cas ! Plus une entre-prise investit, plus ses droits aug-mentent. L’Irlande a réussi grâce àson approche flexible et agile. Nouscontinuerons dans cette voie.

Propos recueillis parAnnie Kahn

LODZde notre envoyé spécial

Ce n’est encore qu’unparking balayé par levent et la neige, situéen face d’une ancien-ne usine textile en bri-que rouge reconver-

tie en centre commercial. Maisd’ici quelques mois s’élèvera sur ceterrain du centre-ville de Lodz (à130 km au sud-ouest de Varsovie)la nouvelle unité de comptabilitépour l’Europe de Royal PhilipsElectronics.

Cette information partageaitrécemment la « une » des jour-naux locaux avec une nouvellemoins réjouissante : la fermetured’un atelier de confection. La socié-té de textile concernée délocalisesa production vers une unité deRoumanie, meilleur marché, sup-primant le travail de 600 petitesmains. A l’inverse, Philips fermeson unité de comptabilité installée

en Irlande depuis une dizaine d’an-nées pour la transporter en Polo-gne, où elle promet la création d’icià 2006 de 500 emplois à de jeunescomptables et financiers polonais.Ainsi va le cycle de la globalisationéconomique à Lodz, ville moyennedu centre de la Pologne.

A la wojewodie de Lodz (équiva-lent polonais d’une préfecture),Krzysztof Makowski veut surtoutretenir l’installation de Philips. Lejeune préfet savoure cette victoiresur l’emploi, négociée pendant desmois au plus haut niveau du gou-vernement. Il faut dire que la cour-be du chômage dans cette région,dont le premier ministre LeszekMiller est originaire, a sombré dansle rouge depuis le début de la tran-sition économique.

Fleuron textile de la Pologneentre les deux guerres puis à l’épo-que communiste, « cette ville ouvriè-re a subi et continue de subir de pleinfouet la concurrence internationale etla délocalisation vers d’autres pays del’Est (Roumanie, Moldavie, Ukraine,Macédoine) ou vers la Chine », obser-ve Eric Salvat, homme d’affairesfrançais installé depuis des années àLodz. Résultat : plus de 20 % de lapopulation active sont aujourd’huisans emploi. Les façades ravalées etles boutiques illuminées de la rueprincipale de Lodz ne font pas illu-sion. « Les jeunes diplômés de l’uni-versité de Lodz n’ont guère d’autresperspectives que de quitter la ville »,

confirme Tomasz Michalowicz, jour-naliste économique à l’édition loca-le de Gazeta Wyborcza, le premierquotidien du pays.

Du coup, le préfet KrzysztofMakowski se prend à rêver d’unereconversion de la région dans lahaute technologie et les services.« Philips Electronics est un excellentambassadeur pour notre bassin », ditle préfet, qui rappelle que la villeaccueille déjà les centres d’appelsnationaux des trois opérateurs detéléphonie mobile du pays.

-’ Un peu plus au sud de Lodz, l’an-

cienne capitale royale de Pologne,Cracovie, a, elle, réussi à attirerLufthansa, qui y a établi son centrede comptabilité pour l’Europe.« Plusieurs études confirment quel’avenir du développement de notrepays repose en partie sur les sociétésde services partagés », souligneSebastien Mikosz, vice-présidentde la PAIZ, l’agence polonaisepour l’information et les investisse-ments étrangers.

La Pologne compte pour cela surune main-d’œuvre abondante(pour cause de chômage), qualifiéeet bon marché. « Un ingénieur infor-maticien polonais coûte 25 % duprix de son équivalent en Francepour une formation quasiment éga-le, et il est encore moins cher à Lodzqu’à Varsovie », affirme M. Mikosz.C’est incontestablement ce qui a

poussé Philips à délocaliser soncentre de comptabilité d’Irlande.La multinationale piochera dans leréservoir des quelque 120 000 étu-diants de la ville. Comme ilemploiera surtout des jeunes diplô-més, le groupe bénéficierad’exemptions de charges socialeset de frais de formation profession-nelle, assumés par l’Etat polonais.Des avantages qui compenserontle différentiel de fiscalité entre l’Ir-lande et la Pologne, où l’impôt surles sociétés vient d’être ramené de27 à 19 % contre 12,5 % dans l’Ileverte.

L’expérience de Philips en Polo-gne a aussi pesé dans les négocia-tions. La multinationale connaîtbien le marché local, où elle figureparmi les plus grands investisseursétrangers avec 400 millions d’euroset 6 600 employés répartis dans sixunités de fabrication. « Les autori-tés locales ne sont pas toujours coo-pératives, mais il est difficile de refu-ser quelque chose à une société com-me Philips », souligne un investis-seur étranger. De plus, la nature desa dernière implantation lui per-met d’échapper aux principauxhandicaps du pays : les sociétés deservices ne sont pas confrontéesaux problèmes d’infrastructure(autoroutes, trains obsolètes) aux-quels doivent faire face les usinesde production.

Christophe Châtelot

CHRONIQUE

Back-office

l’électroniciendélocaliseson centrede comptabilitéà lodz

Enda Connolly, directeur éducation et recherche à l’IDA

« Nos investissements en R & D vont êtremultipliés par dix d’ici à 2006 »

f 2004 Diplômé de l’University College

de Dublin, Enda Connolly, 50 ans,

est directeur Education et recherche

à l’Agence irlandaise pour

le développement et l’investissement

(IDA), où il a fait toute sa carrière.f De 1996 à 2001, il a dirigé le bureau

de l’Agence pour l’Amérique du Nord,

à New York.

par Serge Marti

ENDA CONNOLLY

Philips quitte l’Irlande pour la Pologne

« » :c’est ainsi que Christian de Bois-sieu, président délégué duConseil d’analyse économique(CAE), explique les changementsintervenus à la mi-janvier parmiles personnalités siégeant danscet organisme créé en 1997 par lepremier ministre de l’époque, Lio-nel Jospin, afin d’affiner laréflexion du gouvernement.

Dans la liste des vingt-neufnoms publiés au Journal officieldu 17 janvier (« Le Monde Econo-mie », daté 20 janvier), on remar-que parmi les nouveaux venusune forte présence d’économistesreprésentant le monde bancaireet financier, avec Olivier Garnier(Société générale), William Butler(WB Finances), Gilles Etrillard(Revue française d’économie), Jac-ques Delpla (Barclays Bank) etJean-Paul Betbeze (Crédit agri-cole), qui est aussi universitaire, àl’instar de Roger Guesnerie, Chris-tian Saint-Etienne, Jean-Pierre Ves-pirini, Michel Godet et Antoined’Autume. A noter également leretour de Jean Pisani-Ferry, quiavait cédé la fonction de prési-dent délégué du CAE à ChristianSaint-Etienne.

Les sortants sont au nombre dehuit : Robert Boyer, directeur derecherche au CNRS/Cepremap,Michel Aglietta, professeur à l’uni-versité Paris-X, Alain Lipietz, maî-tre de conférences à Polytechni-que et député européen, Cathe-rine Mills, chercheuse au Cred-hess, Dominique Plihon, profes-seur à l’université Paris-XIII, Jac-ques Valier, professeur à l’universi-té Paris-X, Fiorella Kostoris PadoaSchioppa, professeure à l’universi-

té de Rome La Sapienza (Italie), etDaniel Gros, directeur du CEPS(Belgique). Certains d’entre euxavaient fait savoir qu’ils ne souhai-taient pas renouveler leur man-dat, ce qui devrait contribuer àlever le soupçon de chasse aux sor-cières que pourrait susciter ledépart de Robert Boyer et MichelAglietta, « régulationnistes » etkeynésiens, d’Alain Lipietz, ledéputé Vert, et de Dominique Pli-hon, compagnon de route d’Attac.

Il reste que la main de Mati-

gnon n’est pas étrangère à cerééquilibrage en faveur d’écono-mistes libéraux. Par ailleurs, onpeut regretter que ce renouvelle-ment, totalement masculin, n’aitpas permis de faire appel à deséconomistes femmes dont, à com-pétences égales, la professionn’est pas totalement dépourvue.

Cette nouvelle équipe va rencon-trer, le 9 février, Jean-Pierre Raffa-rin pour lui remettre deux rap-ports, le premier sur les délocalisa-tions, piloté par Patrick Artus etGilbert Sète, le second sur la créa-tion d’emplois dans les services,sous l’égide de Michèle Debon-neuil et Pierre Cahuc.

Il restera ensuite à Christian deBoissieu à atteindre les deux objec-tifs qu’il s’est fixés : conforter laplace du CAE au sein d’un disposi-tif qui englobe d’autres organis-mes tels que le Plan ; développerles passerelles internationalesavec des institutions qui, bien quedifférentes là où elles existent(Etats-Unis, Royaume-Uni, Allema-gne, Italie, Japon), ont la réflexionéconomique en partage.

D O S S I E R

« Les recettes liées à la propriétéintellectuelle, comme les revenus de licence,

sont ainsi moins imposés qu’ailleurs.Nous voulons aussi créer un réservoir

de talents »

LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004/III

Page 4: ECONOMIE - medias.lemonde.frmedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_040126.pdf · L™Irlande, figure de proue de la compØtitivitØ europØenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

En accueillant, du 21 au25 janvier, les « puis-sants » de ce monde, leForum de Davos n’estpas fait pour changerl’image d’une Suisse

riche et prospère, grâce à ses mon-tres, ses chocolats et ses banquiers.La réalité du pays est moins idylli-que. Certes la Confédération conti-nue à se situer tout en haut du clas-sement de la richesse mondiale :son produit intérieur brut (PIB) parhabitant la situe au troisième rangderrière les Etats-Unis et le Luxem-bourg. Mais l’économie helvétiquen’échappe pas aux cycles, et ellevient de traverser une période trèsdifficile, avec pas moins de deuxrécessions en deux ans. « La Suissea été plus fortement touchée que lamajorité des autres pays de l’Organi-sation de coopération et de dévelop-pement économiques (OCDE) parl’affaiblissement de la conjonctureinternationale », relèvent lesexperts de l’Organisation.

Avec + 0,9 % seulement de pro-gression du PIB en 2001, + 0,2 % en

2002 et 0,3 % de recul en 2003, laSuisse a été victime, explique-t-on àl’OCDE, « de la détérioration de l’en-vironnement extérieur, qui a été forte-ment marquée dans les secteurs où laSuisse est spécialisée, comme la finan-ce, les biens d’équipement et le touris-me, alors que l’appréciation du francsuisse jusqu’au printemps 2003 a frei-né les exportations. Un fléchissementprononcé de la demande intérieure aaussi été enregistré sous l’effet durecul des investissements et des stocks,alors que la consommation privée,bien que plus résistante, s’est affaiblieavec l’effritement de la confiance desménages ».

Là encore, l’image d’un îlot pré-servé des turbulences extérieures necorrespond guère aux faits. La santééconomique de la Suisse dépendtrès directement de celle de l’Unioneuropéenne (UE). Selon les calculsqu’avaient pu effectuer les écono-mistes du Crédit agricole, les varia-tions de la croissance helvétique de1992 à 2000 s’expliquent à hauteurde 61 % par les fluctuations de lacroissance de l’Union économique

et monétaire (UEM). Rien de vrai-ment étonnant compte tenu del’étroitesse des liens commerciaux.En 2000, 62,6 % des exportationssuisses étaient à destination del’Union et 79,7 % des importationsprovenaient de cette même zone.

De surcroît, les exportations suisseslaissent une part importante auxbiens d’investissement – les machi-nes et matériels de transport repré-sentent 31 % du total – qui sont par-ticulièrement sensibles à la conjonc-ture. « Quand l’UEM prend froid, laSuisse est grippée », résument les éco-nomistes du Crédit agricole.

Selon ce principe, la situation éco-nomique a commencé à s’amélioreren Suisse à la fin de l’année 2003, en

phase avec l’embellie observée dansle reste de l’Europe. Après trois tri-mestres consécutifs de contraction,le PIB suisse a progressé de 1 % parrapport au trimestre précédent et entaux annualisé. « Ce retournement asurpris par sa consistance, car ce sontà la fois les exportations et les investis-sements qui se sont redressés pour sou-tenir la consommation qui constituaitjusqu’à présent le seul moteur de l’éco-nomie », note Jean-Louis Ruat, de lamission économique de la directiondes relations économiques extérieu-res (DREE) à Berne. La progressiondes exportations a été très nette(+ 5,3 %), comme le redémarragedes investissements (+ 2,9 %), lacomposante biens d’équipementaugmentant même de 4,5 % aprèsavoir reculé pendant… dix trimes-tres consécutifs ! La consommation,enfin, a changé de contenu. Aprèsavoir été essentiellement dirigée surla santé et le chauffage, la demandesupplémentaire s’est étendue à l’ali-

mentation, au logement et aux loi-sirs. « Deux secteurs ont freiné la pro-gression du PIB : le tourisme et laconstruction », note M. Ruat. « L’éco-nomie suisse devrait continuer sur lavoie de l’amélioration ces prochainsmois, confirme Jean-Pierre Roth,gouverneur de la Banque nationalesuisse (BNS). Nous tablons sur uneévolution toujours favorable des expor-tations, évolution qui s’accompagne-ra d’une augmentation robuste des

investissements en biens d’équipe-ment. Ainsi la reprise économique enSuisse reposera sur une base plus lar-ge et se raffermira. » La BNS misesur une croissance d’un peu plus de1,5 % en 2004, mais se veut pruden-te. « La situation reste difficile dansplusieurs branches. Le redémarragede notre économie court toujours lerisque de s’avérer peu durable »,note M. Roth. Les experts del’Union de banques suisses (UBS) semontrent plus optimistes que laBNS, avec 1,9 % de croissanceescompté en 2004.

« L’horizon se dégage. L’indicateurdu baromètre KOF, qui annonce l’évo-lution du PIB à six/neuf mois, conti-nue de s’améliorer depuis le prin-temps 2003 et à un rythme soutenu :cette amélioration vaut pour les prisesde commandes comme pour les car-nets de commandes, plus particulière-ment pour les produits intermédiai-res », note M. Ruat, qui ajoute que« la politique économique continuerade soutenir l’activité ». La politiquede taux zéro devrait être maintenue(le taux directeur de la BNS s’établità 0,25 % depuis le 6 mars 2003),grâce à l’absence de tensions infla-tionnistes (0,5 %).

Quant au franc suisse, son affai-blissement vis-à-vis de l’euro pour-rait se poursuivre, ce qui favoriseraitles exportations helvétiques à desti-nation de l’UE. Enfin, selon l’OCDE,« l’orientation budgétaire devrait êtrelégèrement expansive du fait d’unebaisse prévue des cotisations d’assu-rance-chômage et de l’évolution desfinances cantonales et communales,de sorte que le déficit total pourraitdépasser 2,5 % du PIB ». Un vrai trau-matisme dans une Suisse plus habi-tuée aux excédents budgétaires !

Pierre-Antoine Delhommais

Derniermoisconnu

LES INDICATEURS FRANÇAIS

Source : Insee, Douanes

*Solde de réponses, CVS, en % ** en glissement

Consommation desménages

Taux d'épargne

Pouvoir d'achat desménages

(en millions d'euros)

Créations d'entreprises

16,8%(T3/03)

Variationsur un an

– 2,8%(nov. 03)

+ 1,4%

– 0,8%(T3/03 - T4/02)

3 335(juillet 03)

+ 8%**25 621(nov. 03)

+ 2,6 %**

411(nov. 03)

66,6 %

1,0%(T3/03)

– 1%(T3/03 - T4/02)

Enquête mensuelle sur le moraldesménages * – 30

(déc. 03)– 12

Enquête mensuelle dans l'industrie *Opinion des chefs d'entreprise

sur les perspectives générales de production

+ 8(déc. 03)

– 45%(entre juil. 03et déc. 03)

Défaillances d'entreprisespar date de publication

Commerce extérieur

europe

innovation

après deux annéesdifficiles,la confédérationhelvétiqueretrouvela forme, grâce,notamment,à ses exportations

UN CHIFFRE

300 000c’est le nombre

de réfrigérateursde plus vendus

en 2003par rapport à 2002

pays émergents

UE 15

Production industrielle(octobre 2003, en%) :

PIB en volume(3e trimestre 2003, en%) : sur un an

sur troismois

Prix à la consommation(novembre 2003, en%) : sur un an

sur unmois

EURO 12 ALL. BELG. ESPAGNE FRANCE ITALIE PAYS-BAS ROY.-UNI E.U. JAPON

sur un an

sur unmois

Solde budgétaire (en%)

2002

Dette publique/PIB (en%)

2002

LES INDICATEURS ÉCONOMIQUES INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT

Investissement (FBCF)(3e trimestre 2003, en% ) :

sur troismois

Solde commercialextracommunautaire

(en milliards d'euros)

* provisoire, **estimations,

2,2* 1,3 1,8 2,9 2,5* 2,8* 2,0* 1,3 1,8 0,0

0,1* – 0,2 0,2 0,3 0,1* 0,3* – 0,4* – 0,3 – 0,3 0,0

0,9 1,1 – 4,8

– 1,0

0,9 1,4 0,4 – 1,3 1,1 n. d.

1,1 2,4 1,0 1,3 0,0 1,7 0,9 n. d.

n. d.

n. d.

0,3 – 0,2 0,7 2,4 – 0,2 0,5 – 1,1 2,0 3,5 2,3

0,4 0,2 0,5 0,7 0,4 0,5 0,1 0,7 2,0 0,6

– 2,2 – 3,5 0,1 0,1 – 3,1 – 2,3 – 1,6 – 1,5 – 3,2**

69 60,8 105,8 53,8 59 106,7 52,4 38,5 60,3** 141,9**

5,0 10,8 1,2 – 3,8 0,3 2,7 3,3 – 7,3 – 47,2 5,0

– 0,5 – 0,9 1,1 1,6 0,3 – 1,4 – 0,1 1,3 2,7 5,9

(juillet 03) (juillet 03)

– 8,0**

2,0*

0,1*

0,9

1,0

0,6

0,4

– 1,9

62,3

– 2,7

– 0,6

(2e trimestre2003)

(2e trimestre2003)

(2e trimestre2003)

(2e trimestre2003)

(oct. 03) (oct. 03) (oct. 03) (oct. 03) (oct. 03) (oct. 03) (nov. 03)(nov. 03)(nov. 03)

(oct. 03)

(oct. 03)

En raison de la canicule,nombre de ménages ont dûremplacer leurs réfrigérateursou leurs congélateurs exté-nués. Les ventes ont augmentéentre 2002 et 2003 de 12 % et de5 %, pour atteindre respective-ment 2,485 millions de réfrigéra-teurs et 800 000 congélateurs.

Ces achats ont cependant étéeffectués aux dépens d’autreséquipements, puisque les ven-tes d’appareils ménagers n’ontfinalement progressé que de1 % en 2003, pour atteindre8,5 milliards d’euros de chiffred’affaires pour les distributeurs(en prix public de vente auconsommateur), et 4,07 mil-liards pour les fabricants (enprix de vente aux distributeurs).

Autre avantage économiqueimprévu de l’épisode caniculai-re, le remplacement d’appareilsanciens par du matériel neuf aégalement permis de diminuerla consommation d’énergie dece type d’équipement.

Selon le Groupement inter-professionnel des fabricantsd’appareils d’équipementménager (Gifam), ces écono-mies d’énergie représente-raient « l’équivalent de laconsommation annuelle d’uneville de 60 000 habitants ».

LES BANQUES DU GOLFE, INVESTISSEURS INTERNATIONAUX

Source : CDC-IXIS

Actif en devisesmoins passif en devises, rapporté au PIB, en %

80

60

40

20

0

91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03

E.A.U Arabie OmanKoweïtBahreïn

a EN 2001, près de deux millions de personnes ont été diplômées de l’ensei-gnement supérieur dans l’Union européenne (UE) – soit en moyenne40 diplômés pour 1 000 habitants âgés de 20 à 29 ans –, dont un quartdans le domaine des sciences et/ou de l’ingénierie. L’Irlande et la Franceenregistraient les pourcentages les plus élevés de diplômés en sciences(respectivement 20 % et 15 %), pour une moyenne européenne de 11 %,contre 5 % au Portugal et aux Pays-Bas. La part des diplômés en ingénie-rie était de 20 % au moins en Suède, Autriche et Finlande, contre environ10 % au Royaume-Uni et aux Pays-Bas et 15 % en France, proche de lamoyenne.a LA PART DES FEMMES dans le nombre total de diplômés de l’enseigne-ment supérieur est plus importante que celle des hommes, mais la situa-tion est inverse dans le domaine des sciences et de l’ingénierie, où l’onobserve une majorité d’hommes dans la plupart des Etats membres.

Livraison de micro-ordinateurs (PC, portables et serveurs), en milliers au4e trimestre 2003 et taux de croissance année sur année

LES VENTES DE PC REDÉCOLLENT EN FRANCE

Source : IDC France

45 52(+16

%)

603(+47

%)

142

1(+15%)

(+23

%)

412

123

7 169

4

4e trim. 2002 4e trim. 2003

207

6

Serveurs Portables PC Ensemble

Même la Suisse subit la conjoncture mondiale

B O U S S O L E

a LES BANQUES DES PAYS DU GOLFE participent activement au financementde l’économie locale. Par conséquent, leur liquidité est souvent en corré-lation avec l’état des finances du gouvernement : elle diminue lorsquebaissent les prix des hydrocarbures et que le gouvernement emprunteplus massivement ; elle augmente dans le cas contraire.

a CEPENDANT, L’ABONDANCE DES LIQUIDITÉS permet à ces banques de placerd’importants excédents sur les marchés internationaux de capitaux. A ladifférence des établissements financiers des autres régions, l’actif en devi-ses des banques du Golfe est plus important que leur passif en devises.

* Données 2000Source : Eurostat

DEUX MILLIONS DE DIPLÔMÉS DU SUPÉRIEUR EN 2001Diplômés de l'enseignement supérieur en 2001

Nombre de diplômés... ... dont sciences et ingénierie

0

100

200

300

400

500

600

Allem

agne

Belgique

Danemark*

Finlande*

Autriche

Espagne

France*

Italie*

Pays-Bas

Portugal

Irlande

Suède

Royaume-U

ni

(UE-15 : 1 963 415 diplômésdont 25,7 % en sciences et ingénierie)

En milliers

a LA CROISSANCE DU MARCHÉ FRANÇAIS DES PC (ordinateurs individuels) en2003 (+ 16,8 % en volume) a été supérieure à la croissance moyenneeuropéenne (+ 14,8 %) et mondiale (+ 15,2 %), selon la société d’étudesIDC. Les ventes se sont particulièrement redressées au dernier trimestre(+ 23 %). La baisse des prix (– 25 % en moyenne en Europe) explique enpartie cette augmentation de la demande.

a Cette logique se vérifie en particulier pour les assistants personnels,dont les ventes ont augmenté de 40 % en Europe, tandis que leur prixchutait de 30 %.

« La situation reste difficile dans plusieursbranches. Le redémarrage de l’économie court

toujours le risque de s’avérer peu durable »- ,

L'ÉCONOMIE A ATTEINT LE CREUX DE LA VAGUE

Source : Minefi-DREE/Trésor*Le baromètre KOF fournit une indication

sur l'évolution du PIB avec 6 à 9 mois d'avance

2

1

0

-1

-2

4,5

(variation par rapport à l'année précédente, échelle de droite)(échelle de gauche)

3

1,5

0

-1,5

98 99 00 01 02 03

PIB réel PIB provisoireBaromètre KOF*

IV/LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004

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Au moment oùs’ouvrait à Bombay leForum social mon-dial, une mission d’in-formation parlemen-taire présidée par

Edouard Balladur a rendu public,lundi 14 janvier, son « rapport pourune mondialisation équitable ».

Ce texte, qui a pour ambition deconvaincre des bienfaits de la mon-dialisation, attribue aux carencesdes instances de régulation interna-tionale l’origine de la contestationde ce modèle de croissance. La mis-sion parlementaire, créée par laCommission des affaires étrangè-res de l’Assemblée nationale, pro-pose donc plusieurs options concrè-tes visant à restructurer l’architec-ture institutionnelle et le rôle desorganisations internationales.

Dans son avant-propos, M. Bal-ladur, revendiquant une appro-

che économique résolument« libérale », rappelle que « la mon-dialisation est un phénomène posi-tif, qui génère un surcroît de crois-sance et un processus de moderni-sation pour l’ensemble du mon-de ». Elle est un facteur d’enrichis-sement global pour les pays déve-loppés comme pour les pays lesmoins avancés, à la condition,pour ces derniers, d’être pleine-ment associés aux échanges inter-nationaux. Toutefois, le présidentde la mission d’information recon-naît que la « mondialisation estporteuse de certaines dérives. Ellepeut être à l’origine d’injustices etde désordres ».

Mais selon l’ancien chef de gou-vernement, cette ambivalence estliée à l’incapacité des institutionsinternationales à jouer efficace-ment leur rôle de régulateurs. « Lamondialisation des faits n’a pas cor-respondu avec une mondialisationdes structures, des autorités », com-mente l’ancien premier ministre. Ilconvient donc, selon lui, de réfor-mer au plus vite ces structures,afin de leur insuffler plus de légiti-mité et d’efficacité dans le règle-ment des problèmes posés par lamondialisation. En d’autres ter-mes, imposer à l’échelle mondialela logique de responsabilité quidoit présider à toute action dupouvoir politique.

Pour cela, la mission d’informa-tion prône la création d’« unconseil international élargi », quirecouvrirait idéalement la struc-ture administrative du Conseil desécurité de l’Organisation desNations unies (ONU) et seraitchargée de chapeauter toutes les

organisations internationales ain-si que « d’arbitrer les conflits denormes » entre celles-ci.

Aujourd’hui, rappelle la mis-sion, seule l’Organisation mon-diale du commerce (OMC) disposed’un organe de règlement des dif-férends lui conférant un réel pou-voir de coercition vis-à-vis de sesEtats membres. L’Organisationinternationale du travail (OIT),dans le cadre de laquelle ont étésignées cinq conventions relativesau droit du travail, ne dispose pasd’un tel pouvoir juridique contrai-gnant. Dans le domaine de l’écolo-gie, la situation est rendue encoreplus délicate « du fait de l’absenced’une véritable organisation inter-nationale chargée de la protectionde l’environnement », souligne lerapport.

« »En conséquence, les pays mem-

bres de l’OMC sont tentés derégler dès qu’ils le peuvent leursconflits dans le cadre de cetteseule organisation économique.La mission parlementaire déplo-re que « le droit international com-mercial bénéficie de facto d’uneprimauté par rapport aux autresbranches du droit international ».Cette primauté pose évidemmentproblème dès qu’un différendentre pays ne relève plus unique-ment de la logique commerciale.

La question de la diffusion desmédicaments génériques, parexemple, recoupe le champ decompétence de l’Organisationmondiale de la santé (OMS),mais aussi celui de l’OMC dans lamesure où elle a des effets sur la

législation des brevets. A défautd’être traitée dans le cadre del’OMS, cette question a donc étérésolue provisoirement dans l’en-ceinte de l’OMC. La missionregrette ainsi qu’une questionmajeure de santé publique setrouve finalement réglée dans uncadre de décision inadapté.

De nombreux autres problè-mes issus de la mondialisation,notamment dans le domaine envi-ronnemental, ne trouvent aujour-d’hui pas de réponses satisfaisan-tes du fait de « la logique secto-rielle » qui assigne à chaque orga-nisation un domaine de compé-tence autonome et ne permet pasl’expression d’une volonté politi-que harmonisée.

Mais dans l’hypothèse de l’attri-bution au Conseil de sécurité del’ONU d’un nouveau rôle de coor-dination de toutes les organisa-tions internationales, M. Balla-dur a reconnu à la fin de sonintervention qu’« un problèmedemeure non réglé : celui de laréforme du Conseil de sécurité ».On peut en effet s’interroger surla nature des critères à retenirpour recomposer le Conseil desécurité, afin de rendre celui-ciplus légitime. Le choix doit-ilêtre fait à partir d’un critère éco-nomique, auquel cas l’Allemagneet le Japon trouveraient leurplace parmi les membres perma-nents du Conseil ? Ou à partird’un critère de représentativitédes continents, qui impliqueraitla présence de l’Inde et du Bré-sil…

Mathilde Bereni

HISTOIRE DE L’ÉCONOMIE

Henri Fayol,théoricien

du management

un rapportparlementaireaffirme quela globalisationest un phénomènepositif autantpour les paysdéveloppés quepour les autres

Comment, lorsqu’onest dirigeant, choisirses cibles d’exporta-tion ? Où investir àl’étranger ? Avec lesentreprises de quels

pays travailler ? Comment identifierles risques financiers, économiquesou politiques ? C’est pour répondreà ces questions que, mardi 27 jan-vier, pour la huitième année d’affi-lée, la Compagnie française d’assu-rance pour le commerce extérieur(Coface) organise à Paris un collo-que consacré au panorama mondialdes risques-pays.

La Coface, l’un des leaders mon-diaux de l’assurance-crédit, suit enpermanence 144 pays au traversd’une série d’indicateurs : facteurspolitiques, pénurie de devises, capa-cité de l’Etat à faire face à ses enga-gements vis-à-vis de l’étranger, pro-babilité de dévaluation en cas deretraits brutaux de capitaux, soliditédu secteur bancaire, aléa de conjonc-ture et comportement de paiementdes opérations payables à court ter-me.

Pour évaluer le risque, la Coface amis au point une échelle de notes,qui évalue le niveau moyen de ris-que d’impayés à court terme présen-té par les entreprises d’un pays don-né. « C’est là l’originalité de notreméthode de notation, souligne SylviaGreisman, responsable du départe-ment risque-pays et études écono-miques à la Coface. Elle ne mesurepas le risque de défaut de paiementd’un Etat, mais la santé financière

moyenne des entreprises d’un pays,leur solvabilité à court terme dans destransactions commerciales. » LaCoface s’appuie pour cela sur sonexpertise microéconomique, à tra-vers le suivi de 44 millions d’entrepri-ses, et sur ses soixante ans d’expé-rience des défauts de paiement destransactions qu’elle garantit. « Lesdonnées historiques dont nous dispo-sons permettent de nous projeter dansl’avenir, explique Mme Greisman.Notre connaissance des incidents depaiement nous situe aussi très enamont par rapport aux faillites. »

La note attribuée indique dansquelle mesure un engagement finan-cier d’une entreprise du pays concer-né est influencé par les perspectiveséconomiques, financières et politi-ques de ce pays. Cependant, commeon le rappelle à la Coface, « les opé-rateurs du commerce internationalsavent qu’il peut y avoir de bonnesentreprises dans de mauvais pays, etde mauvaises entreprises dans debons pays ; et que le risque global estfonction à la fois des spécificités del’entreprise et de celles du pays danslequel elle opère ». Si les notationspays établies sont réactualisées enfonction des évolutions économi-ques ou politiques, « nous évitonsd’être surréactifs », souligneMme Greisman.

Quelles sont les tendances lesplus marquantes attendues pourl’année 2004 ? La Coface relève unedécrue sensible du risque-pays àl’échelle mondiale (- 17,6 %, à113 points), la baisse la plus forte

concernant les pays industrialisés(– 26,2 %, à 78 points), seule l’Afri-que enregistrant une progression(+ 0,2 %, à 315 points).

« La qualité des risques s’amélioresignificativement au nord du conti-nent américain. La vigueur de l’activi-té aux Etats-Unis s’est accompagnéedu redressement de la rentabilité etde la solvabilité des entreprises. Cette

situation qui devrait perdurer en2004 a conduit au reclassement de lanote du pays en catégorie A1. » Car,aussi surprenant que cela puisseparaître, les Etats-Unis ne bénéfi-ciaient pas jusqu’à présent de lameilleure notation. La Coface semontre moins optimiste sur l’Améri-que latine dont le risque reste élevé(285) et baisse peu (- 5,3 %). « Laprogression attendue de l’activitédevrait rester modérée et la qualitédu risque de la région demeure infé-rieure à la moyenne des pays émer-gents. » Seul le Chili, dont la note A3

a été placée sous surveillance positi-ve, s’en sort honorablement, alorsque des économies importantescomme le Venezuela ou l’Argentine(notées D) « présentent toujours desrisques élevés ».

En Asie, le dynamisme de la crois-sance conforte la solvabilité desentreprises, selon la Coface, qui aréévalué les notes de Singapour etTaïwan dans la catégorie A1 et missous surveillance positive celles deHongkong (A2) et de l’Indonésie(C). Ce dynamisme régional profiteau Japon, dont la note A2 a été pla-cée sous surveillance positive, maisn’a pas été relevée, en raison « del’atonie de la consommation qui pèsesur la rentabilité des entreprises orien-tées sur le marché domestique, tandisque le processus de réduction descréances douteuses détenues par lesbanques n’est pas achevé ».

Et l’Europe ? Selon la Coface,« après une année 2003 marquée parl’atonie de l’activité et une fréquenceencore élevée des incidents de paie-ment des entreprises, la croissancedevrait progressivement reprendre ».Ce qui permettrait une poursuite del’amélioration de la qualité des ris-ques de la région. Toutefois, « leniveau des risques reste encore supé-rieur à celui atteint en 2000 », note laCoface. Et, malgré l’existence de lazone euro, la santé financièremoyenne des entreprises varieselon les pays. Les Pays-Bas, parexemple, restent mieux notés que laFrance et l’Allemagne, elles-mêmesmieux classées que l’Italie (A2 soussurveillance négative). « Les inci-dents de paiement des entreprises ita-liennes sont toujours fréquents et net-tement plus nombreux que la moyen-ne européenne », souligne la Coface,une opinion que le scandale Parma-lat aura sans doute conforté.

Enfin, si en Europe centrale, laqualité des risques s’améliore sensi-blement grâce aux perspectives d’ad-hésion de nombreux pays, ce n’estpas le cas de l’ensemble de la Com-munauté des Etats indépendants(CEI) regroupée autour de la Russie,qui demeure « à un niveau de risquetoujours sensiblement supérieur à lamoyenne des pays émergents ».

Pierre-Antoine Delhommais

, Henri Fayol(1841-1925) n’a pas de chance. Ingé-nieur des Mines de formation, il estaujourd’hui oublié des scientifi-ques. Sa théorie des « deltas », quiexplique la formation géologiquedes houillères dès 1881, a beau avoirété primée par l’Académie des scien-ces, on en attribue pourtant lapaternité à l’Américain G. K. Gilbert.Il s’est surtout distingué pour sestravaux sur le management desentreprises. Mais ils ont été éclipséspar ceux de l’un de ses contempo-rains : Frederick Winslow Taylor, sibien qu’aujourd’hui on parle plusde taylorisme que de fayolisme…

Lorsque Fayol prend les rênes del’entreprise métallurgique de Com-mentry-Fourchambaux, en 1888, lasituation est préoccupante. Un plande fermeture des usines, alors enpleine crise, est prévu, avec licencie-ments à la clé. Persuadé que les pro-blèmes se situent au niveau de ladirection, Fayol se met en tête desauver les emplois. Il refond intégra-lement l’organisation de l’entreprise,innove, n’hésitant pas à aller à l’en-contre des idées reçues. Pour lui, lerôle du PDG n’est pas technique,mais administratif. C’est ainsi qu’ilmet en place dans l’entreprise desorganigrammes avec une descrip-tion précise des postes. Il mise surla prévision, la fixation d’objectifset le contrôle de gestion, mais aussisur la formation du personnel.

Théoricien de la hiérarchie et dela compétence des chefs, la trans-mission de l’information dans l’en-treprise est pour lui un élément-cléde son outillage administratif. Fayolrésume sa théorie dans la formule« Administrer c’est prévoir, organi-ser, commander, coordonner etcontrôler » (POCCC). De nombreuxchefs d’entreprise sont actuelle-ment adeptes du fayolisme sansmême le savoir.

Il mettra à profit son expériencepour élaborer sa théorie en organi-sation industrielle. En tant que chefd’entreprise, il expérimente diffé-rentes méthodes pour augmenterla productivité et abaisser les coûtsde production. La démarche d’HenriFayol est inductive : elle repose prin-cipalement sur l’expérience. En bonscientifique, il publie chacune deses découvertes et les communiquelors de conférences, permettant àses concurrents d’en bénéficier gra-cieusement ! Ses principaux résul-tats sont recueillis dans son ouvra-ge Administration industrielle etgénérale, publié pendant la premiè-re guerre mondiale, en 1916. Appa-remment écœuré par les revers del’armée française au début duconflit, Fayol entend bien mettre saversion de l’organisation du travaildans l’entreprise au service du com-mandement des armées.

Dans une partie du livre, Fayols’emploie à critiquer Taylor. Lesdésaccords entre eux sont multi-

ples, et dus principalement au lieuoù leur théorie a été expérimentée.Taylor était ingénieur dans uneentreprise de machines-outils. Letravail des ouvriers exige une multi-tude de tâches et est réalisé à l’inté-rieur d’un atelier. On peut alors envi-sager de diviser le travail, le chrono-métrer et d’exercer une surveillan-ce par des contremaîtres. Principesqui forment la base de l’Organisa-tion scientifique du travail. Le tra-vail dans une mine se situe quant àlui à l’opposé de ce type d’organisa-tion. Il est assujetti à des contrain-tes techniques comme la sécurité,un rythme variable en fonction de

la résistance de la roche ainsi qu’untravail réalisé en équipe, impossibleà surveiller. On peut ajouter unedimension sociale, la force des syn-dicats et l’esprit de solidarité entreles mineurs. Ainsi les principes deTaylor peuvent difficilement êtreappliqués dans les mines. Un autremode d’organisation doit être envi-sagé. Le taylorisme ne s’avère pasêtre universel. Mais l’oppositionentre les deux gestionnaires ne rési-de pas seulement dans leur expé-rience. Taylor se concentre sur le tra-vail de l’ouvrier, alors que Fayol privi-légie l’organisation de l’entreprise.

Toutefois, la théorie de Fayol com-porte de nombreuses lacunes. Dansses écrits, il met en avant les réussi-tes de son entreprise et se les appro-prie systématiquement. Il omet eneffet les éléments externes qui ontcontribué au rétablissement de sasociété, comme les prix, le marché…Avide de reconnaissance, il a fâcheu-sement tendance à oublier seséchecs. Cette démarche peu scienti-fique ne démontre pas les raisonsd’un succès comme d’un revers.L’approche inductive atteint alorsses limites. La théorie n’est pasexpérimentée, elle se trouve prison-nière de son cadre d’étude. Le moded’organisation proposé par Fayolest peut-être adapté à une mine decharbon de la fin du XIXe siècle,mais rien ne démontre son efficaci-té dans un autre contexte.

Aujourd’hui Taylor est considérécomme le père des théories dumanagement. Ses travaux ontocculté ceux de Fayol. Si l’on conser-ve certains principes de l’ingénieurfrançais, on a oublié le nom de soninventeur. Peu étudié dans les uni-versités, même si on fait indirecte-ment appel à ses travaux, sévère-ment critiqué par nombred’auteurs, Fayol a tendance à som-brer dans l’oubli. Triste fin pour uninventeur recherchant la postérité.

Jacques-Marie Vaslin est maîtrede conférences à l’Institut d’admi-nistration des entreprisesd’Amiens et chercheur au Criisea.Pour en savoir plus : Henri Fayol,inventeur des outils de gestion,sous la direction de Jean-LouisPeaucelle, éd. Economica 2003.

un panoramarévèle unedécrue sensibledes risques-paysà l’échellemondiale, surtoutdans les étatsindustrialisés

Les pistes d’Edouard Balladur pour régulerles conflits nés de la mondialisation

F O C U S

par Jacques-Marie Vaslin

« L’ingénieur des Mines a mis

en place dans l’entreprise

des organigrammes,

avec une description précise des

postes. Il mise sur la prévision, la

fixation d’objectifs et le contrôle

de gestion, mais aussi

sur la formation du personnel »

Moins de mauvais payeursdans le monde en 2004

« Nous ne mesuronspas le risque de défaut

de paiement d’unEtat, mais la santé

financière desentreprises d’un pays »

,

DES RISQUES PAYS INÉGALEMENT PARTAGÉS

Les notes de solvabilités'échelonnent de A1,pour la meilleure, à D

R

R

Amérique du Nord

Pays industrialisés

Monde

JaponUnion européenne

Pays émergents d'Asie

Europe centralePays émergentsProche et Moyen-Orient

Amérique latineCEI

Afrique subsaharienne

Source : Coface

A1

A2

A3

A4

B

C

D

LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004/V

Page 6: ECONOMIE - medias.lemonde.frmedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_economie_040126.pdf · L™Irlande, figure de proue de la compØtitivitØ europØenne b SPÉCIAL COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

LIVRES

Le quotidiendu peuple

> À L’ÉCOUTE DES GENS ORDINAIRES : COMMENT ILS TRANSFORMENTLE MONDE, d’Alain de Vulpian (éd. Dunod/l’Ami public, 384 p., 25 ¤).

Le chiffre fait tourner latête : selon le dernier rap-port du Bureau interna-tional du travail (BIT),intitulé Tendances mon-diales de l’emploi, le nom-

bre de chômeurs dans le monde aatteint 185,9 millions en 2003. Unrecord. Ce chiffre, qui représente6,2 % de la population active totale,n’est toutefois qu’en très légère aug-mentation par rapport aux 185,4 mil-lions de 2002.

Premières victimes du chômage,les jeunes de 15 à 24 ans, qui repré-sentent 88,2 millions de sans-emploi et connaissent un taux dechômage de 14,4 %. En revanche,les femmes sont un peu mieuxloties que les hommes. Ces derniersont vu leur effectif grossir de600 000 entre 2002 et 2003, pouratteindre 108,1 millions, alors que,sur la même période, le chômageféminin a légèrement baissé, pas-sant de 77,9 millions en 2002 à77,8 millions en 2003. Maigre conso-lation, note le rapport, « bien quel’économie informelle, qui regroupedes personnes sans emploi fixe, ait

continué de se développer dans lespays à faible croissance, le nombre de“travailleurs pauvres”, c’est-à-direceux qui gagnent 1 dollar ou moinspar jour, est resté stable en 2003(550 millions de personnes selon lesestimations) ».

D’un point de vue géographique,le Moyen-Orient et l’Afrique duNord concentrent les taux de chô-mage les plus élevés. Avec 12,2 %,ces deux zones détiennent le recordmondial en la matière. Une situa-tion qui tient, selon le BIT, à la fois àune restructuration en profondeurde l’emploi dans le secteur public età la forte progression de la popula-tion active. A ces deux causes s’enajoute une troisième pour les paysd’émigration de cette zone, qui ont

subi les conséquences des effortsentrepris par plusieurs pays du Gol-fe pour remplacer les travailleursétrangers par des nationaux. Cettesituation inquiétante ne devrait pass’améliorer. La dépendance vis-à-visdes cours du pétrole, la médiocritédes institutions publiques, la pauvre-té élevée dans certains de ces payspourraient continuer de plomberleur marché du travail.

Dans le reste du continent afri-cain, la légère baisse du chômageenregistrée cette année ne doit paspour autant cacher une situation

catastrophique, selon le BIT. Lesconséquences de l’épidémie de sidaet l’exode des cerveaux, notam-ment, constituent les principauxfreins pour sortir de la spirale de lapauvreté.

La situation est un peu moinssombre dans le reste du mondemais l’avenir reste incertain,d’autant que croissance ne rime pasautomatiquement avec baisse duchômage. La conjoncture dans cer-tains pays industrialisés en est lapreuve. Aux Etats-Unis, par exem-ple, soulignent les experts du BIT,« la croissance n’a pas réussi à com-penser la faible création d’emploi et lechômage élevé, qui est resté autour de6 % ». A l’inverse, l’Union européen-ne a enregistré de bons résultats sur

les marchés du travail de certains deses pays membres, malgré un tauxde croissance de 1,5 % seulement.

Pour le BIT, le taux de chômagedes pays industrialisés pourraitcependant baisser si deux condi-tions sont réunies, d’une part unecroissance créatrice d’emplois auxEtats-Unis, d’autre part un tauxd’emploi de la population active enaugmentation.

La situation est tout aussi contras-tée en Asie. Malgré une forte crois-sance de plus de 7 %, l’Asie de l’Est(Chine, Corée, etc.) a vu son chôma-

ge augmenter. En Asie du Sud-Est,en revanche, ce dernier a baissé sen-siblement en 2003 tandis que le tauxd’activité progressait. En Asie duSud enfin, le chômage est resté sta-ble malgré une hausse de 5,1 % duproduit intérieur brut (PIB). Les tra-vailleurs pauvres y restent nom-breux et l’emploi informel a progres-sé. De leur côté, l’Amérique latine etles Caraïbes, très touchés par leralentissement de l’économie mon-diale en 2001, ont réussi néanmoinsà limiter les pertes. Le taux de chô-mage y a diminué de 1 %, grâce à lareprise en Argentine et au ralentisse-ment de la croissance de la popula-tion active.

Pour l’avenir, le BIT préfère jouerde prudence. « Il est trop tôt pourdire que le plus dur est passé, a com-menté Juan Somavia, son directeurgénéral. Toutefois, si les estimationsactuelles de la croissance mondiale etde la demande intérieure se confir-ment ou sont dépassées au cours del’année à venir, l’emploi mondialpourrait connaître une embellie en2004. »

Le BIT souligne par ailleurs que lacroissance ne suffira pas à résorberles poches de non-emploi et à attein-dre les objectifs du Millénaire fixéspar l’ONU en 2000, à savoir unediminution de moitié de la pauvretémondiale d’ici à 2015. « Pour que lacroissance économique fasse progres-ser l’emploi en 2004 et au-delà, il fau-dra aussi que les décideurs accordentune priorité élevée à la politique del’emploi, à égalité avec la politiquemacroéconomique », a déclaréM. Somavia. Un vœu pieux ?

C. Ro.

Peu d’institutions dumarché du travail sontplus controverséesque la réglementationde la protection del’emploi.

Les entreprises se plaignent nonseulement du coût direct, maisplus encore de l’incertitude, desdélais introduits par une procédurequ’ils perçoivent comme lourde,complexe, et souvent arbitraire. Laprotection de l’emploi, affirment-elles, les empêche de réagir effica-cement aux ajustements technolo-giques et aux changements dedemande qui caractérisent une éco-nomie moderne. Cela, en retour,diminue leur compétitivité et dis-suade la création d’emplois.

Les travailleurs, pour leur part,insistent sur le coût humain du chô-mage. La protection de l’emploi estnécessaire, affirment-ils, pour obli-ger les entreprises à tenir comptede ce coût, que ce soit quand ellesenvisagent de licencier un tra-vailleur ou de fermer une usine.

Pris entre l’enclume des entrepri-ses et le marteau des travailleurs,les gouvernements européens ontagi timidement, recherchant desréformes politiquement accepta-bles. Dans la majorité des pays,ces réformes ont pris la formed’une extension de la place descontrats temporaires, contrats àl’issue desquels les règles de sépa-ration sont simples et relative-ment peu coûteuses.

Cette solution semble à premièrevue habile, tant politiquementqu’économiquement. Politique-ment, elle maintient un haut niveaude protection pour les travailleursen place, et donc ne provoque pasnécessairement leur opposition.Economiquement, la facilitation durecours aux contrats temporairesoffre aux entreprises davantage desouplesse dans l’ajustement auxconditions changeantes du marché.

Mais, après presque deux décen-nies d’expérimentation dans diffé-rents pays d’Europe, les effets deces réformes semblent beaucoupmoins favorables qu’on ne pouvaitl’espérer. L’existence de deux clas-

ses de travailleurs (ceux souscontrat permanent et ceux souscontrat temporaire) a débouché surun marché du travail de plus enplus dual et inégal.

Les entreprises sont peu dispo-sées à garder les travailleurs à lafin de leur contrat temporaire, carcela impliquerait de changer leurstatut et de leur accorder une pro-tection d’emploi élevée. Le résul-tat, bien visible dans les chiffres,est que les nouveaux arrivants surle marché du travail passent parune série d’emplois sans perspecti-ves d’avenir et entrecoupés depériodes de chômage avant dedécrocher un emploi stable. Uneexpérience qui n’est certainementpas la meilleure façon d’entamersa vie professionnelle. D’un pointde vue politique, le haut niveau deprotection dont continuent debénéficier la majorité des tra-vailleurs et la souplesse accruedont disposent les entreprises dimi-nuent la pression pour une réfor-me cohérente et systématique.

Quelle forme prendrait une telleréforme ? La réponse est simple.Lorsqu’elle envisage de licencier unemployé, une entreprise devraitprendre en compte les coûtssociaux d’une telle mesure,c’est-à-dire en particulier les alloca-tions que la caisse d’assurance-chô-mage devra verser à l’employé. Etpuis, au moins pour les travailleursprésents depuis longtemps dansl’entreprise, cela implique égale-ment de considérer les coûts psy-chologiques associés à la perte d’unemploi longue durée.

Comment ce type de « comptabi-lité sociale » pourrait-il être mis enplace ? De nouveau, la réponse estsimple. Si une entreprise licencieun employé, elle devrait payer unimpôt sur les licenciements égal, aumoins en moyenne, aux allocations-chômage qui seront versées à l’em-ployé licencié ; pour compenser lescoûts psychologiques, elle devraitverser des indemnités de départproportionnelles à l’ancienneté del’employé.

En échange, si, sous ces condi-tions, une entreprise décide néan-

moins de licencier un employé, elledoit être libre de le faire. End’autres termes, si les entreprisestrouvent plus rentables de fermerun emploi ou une usine mêmeaprès avoir payé les coûts sociauxde leur décision, il n’y a pas de sensde garder cet emploi ou cette usineen activité.

Comment ces principes se compa-rent-ils à la protection de l’emploitelle qu’elle existe en pratique ? Laréponse varie d’un pays à l’autre,mais le cas de la France est repré-sentatif.

En France, les cotisations-chôma-ge sont payées par les entreprisespar le biais d’un impôt basé sur lamasse salariale, et non par unimpôt basé sur les licenciements.Cela signifie que les entreprises quilicencient un plus grand nombred’employés ne versent pas plus quecelles qui licencient peu. Cela est

une erreur : les entreprises qui licen-cient plus devraient payer plus.

En même temps, le processusjudiciaire joue un rôle très impor-tant. Les tribunaux du travail sontles juges ultimes du bien-fondéd’une décision de licenciement. Cet-te situation est également inaccep-table : non seulement elle débou-che sur un processus long et incer-tain, mais il n’y a aucune raison depenser que les juges aient la compé-tence économique et la connaissan-ce de l’entreprise nécessaires pourprendre les bonnes décisions.

Ainsi, la réforme de la protectionde l’emploi doit avoir deux volets,tous les deux essentiels. Elle doits’accompagner, d’une part, d’unchangement de financement (l’im-pôt sur les salaires devenant unimpôt sur les licenciements) et,

d’autre part, d’une diminution durôle joué par les juges. Les juges doi-vent s’assurer que les règles sont sui-vies, mais si une entreprise est prêteà satisfaire aux exigences adminis-tratives, à verser l’impôt sur leslicenciements et à payer les indem-nités de licenciement, ils nedevraient pas avoir le droit deremettre en question cette décision.

Le passage d’un impôt sur la mas-se salariale à un impôt sur les licen-ciements serait-il compliqué ? Ironi-quement, la réponse se trouve auxEtats-Unis, où le financement del’assurance-chômage est en effetassuré par des impôts sur les licen-ciements. La générosité du systèmeaméricain (et donc la charge desimpôts sur les licenciements) estlimitée. Les allocations et lesimpôts seraient plus élevés en Euro-pe, mais le système américain indi-que que cela peut être fait.

Une telle réforme est-elle politi-quement possible ? Je pense queoui. Des impôts plus élevés sur leslicenciements, qui obligeraient lesentreprises à y réfléchir à deux foisavant de licencier, seraient bienaccueillis par les travailleurs, tandisqu’une réglementation plus soupleet plus prévisible des relations detravail serait sûrement bienaccueillie par les entreprises. La rou-te politique est étroite, mais elleexiste. Et les effets favorables, à lafois économiques et sociaux,seraient substantiels.

Olivier Blanchard est professeurd’économie au MassachusettsInstitute of technology (MIT).

© Project Syndicate, janvier 2004.Traduit par Valérie Bellot.

à embarquerpour la grande aventurede nos mœurs et de nosmentalités… et ce enprès de 400 pages ?C’est cette croisièreenchantée que nous pro-pose Alain de Vulpian.Son livre retrace la sagainédite d’un demi-sièclede bouleversementssocioculturels. Ici, pas depremiers rôles, le casting est fait de« gens ordinaires », que l’auteur avu évoluer au travers de cinquanteans de données accumulées surtrois pays – France, Suède et Etats-Unis –, par son équipe d’ethnolo-gues de terrain.

L’idée de départ semble aujour-d’hui simple ; elle ne l’était pas en1954. Dans une France en pleinetransformation mais engoncéedans ses principes, Alain de Vul-pian, alors jeune étudiant fraisémoulu de Sciences-Po, a inventé« une façon de faire de la sociologieau service de l’action » en mettanten place des outils qui permettentd’« explorer les dispositions et lesmouvements des gens, les latenceset les dynamismes des ensemblessociaux ». La Cofremca était née.

L’ambition était d’offrir aux pou-voirs publics, aux entreprises, auxpartis ou encore aux syndicats lapossibilité d’intégrer la dimensionsocio-humaine dans la constructionde leur avenir et de leur stratégie,ou encore dans le pilotage de leurmanagement, de leur marketing,de leur image publique.

Les débuts furent douloureux et,pour s’imposer, les équipes de laCofremca durent prendre des che-mins détournés. « Presque toutesnos tentatives [auprès des pouvoirspublics, des partis politiques…] sesoldèrent par des échecs : ilscroyaient tout savoir, ils voulaientimposer leur volonté aux hommeset aux choses et n’étaient pas dutout conscients d’avoir besoin denous. » Quant aux entreprises, ellesse soucient à l’époque commed’une guigne d’être à l’écoute des

transformations de lasociété. En revanche, par-lez-leur de tirer lemeilleur parti des nou-veaux consommateurs,et leurs portes s’ouvrent.Ce sera dans cette brè-che que s’engouffrerontles ethnologues de laCofremca. Puis « le mar-ché s’est ouvert au coursdes ans, explique Alain

de Vulpian. Les gens ordinaires, nonseulement consommateurs maisaussi personnels et citoyens, ont visi-blement pris plus de poids ». En cin-quante ans, des centaines d’entre-prises, de L’Oréal à Renault en pas-sant par Usinor, et de nombreuxhommes politiques, comme MichelRocard, François Mitterrand ouEdouard Balladur, ont fait appelaux analyses de la Cofremca, rebap-tisée depuis 1998 Sociovision.

« »L’auteur ne se contente pas de

feuilleter avec nous cet album defamille et d’en rappeler les grandschapitres : des années 1950, débutde la société de consommation, à lagénération du « moi » et du rejetdes contraintes sociales des années1970, jusqu’à l’égocentrisme de lapériode plus récente. Il lance aussiun appel pour une plus grandeécoute des « gens ordinaires ».

Pour Alain de Vulpian, un déca-lage de plus en plus profond s’estcreusé depuis dix ans entre l’Etat,les politiques, les grandes entre-prises et la société ; la seule façond’y remédier passe par une plusgrande confiance en la capacitédes individus à trouver les solu-tions et les équilibres nécessaires.Les institutions doivent certess’ouvrir à la société, mais aussidépasser, selon lui, le cadre natio-nal. Bref, l’avenir devra être à lagouvernance « avisée » et « plané-taire ». Il sera intéressant de relirecette analyse dans quelquesdécennies, pour savoir si elle éma-nait d’un idéaliste naïf ou d’unvéritable visionnaire…

par Catherine Rollot

RAPPORT.pour le bit,l’emploi doit êtreaussi prioritaireque les politiquesmacroéconomiques

T R I B U N E S

Le chômage est la chosela mieux partagée au monde

Oui, les licenciementsdoivent être taxéspar Olivier Blanchard

L’Union a enregistré de bons résultatssur les marchés du travail de certains

de ses pays membres,malgré un taux de croissance de 1,5 % seulement

« Si les entreprises trouvent plus rentablesde fermer un emploi ou une usine même aprèsavoir payé les coûts sociaux de leur décision,

il n’y a pas de sens de garder cet emploiou cette usine en activité »

VI/LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004

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Vous avez ému en annonçantque vous souhaitiez réformer laformation des hauts cadres de lafonction publique et en créantun tronc commun pour les futursagents de l’Etat, des collectivitésterritoriales et de l’administra-tion hospitalière. Pourquoi ?

Je crois que cette émotion étaitexagérée. Certains ont cru qu’ils’agissait de permettre à l’Ecolenationale d’administration de met-tre la main sur la formation de l’en-semble des hauts fonctionnaires.Ceci n’a jamais été notre idée : j’aiproposé à André Rossinot, prési-dent du Centre national de la fonc-tion publique territoriale(CNFPT), et à Antoine Durrleman,directeur de l’ENA, la mission d’or-ganiser un temps commun de for-mation pour que les fonctionspubliques de l’Etat et des collectivi-tés locales cessent de s’ignorer.

Le nouveau cycle d’études del’ENA comportera quatre modu-les : les territoires, l’Etat, l’Europeet une « dominante » (finances,étranger…). C’est sur le champ dela formation territoriale que lespersonnels d’encadrement seretrouveraient. Il n’est pas ques-tion de fusionner l’ENA et l’Insti-tut national des études territoria-les (INET), même s’ils sont tousdeux installés à Strasbourg.

A terme, je souhaite des tempsde formation conjoints entre lesgrandes écoles de service public(Magistrature, Santé, Police...)

Quel est le but de ces réformes ?Il y a eu le temps pour les rap-

ports sur les réformes indispensa-bles de la fonction publique etcelui pour les discussions avec lesélus et les syndicats. Nous avonscompris que, sous le couvert del’unicité de la fonction publique,se dissimulait une multitude debesoins et donc de métiers, etqu’à côté des tâches traditionnel-

les d’accueil et de prestations deservice étaient apparues de nou-velles exigences en matière deprospective et d’ingénierie.

La puissance des territoires estdirectement liée à l’efficacité deleurs services publics, qui doi-vent s’adapter à ces nouvellesmissions. Tout ce qui resteraimmobile explosera.

De ce point de vue, l’administra-tion a bien commencé à intégrerla notion de client et de besoinsde proximité et à travailler parcontrats d’objectifs, sur les délaisde traitement notamment. Maisnous devons tendre vers plus deréactivité des administrations ettoujours plus de confort pour lesusagers, en assurant une égalitéd’accès au service public qui doit,pour moi, se regrouper en pôles

administratifs cohérents.Pour cela, il nous faut réussir le

défi de nos ressources humaines :en finir avec l’hypocrisie des pos-tes affichés…et déjà pourvus ; enfinir avec les frustrations desconcours où les surdiplômésraflent des postes où ils serontdévalorisés, au détriment des can-didats auxquels ces postes sontadaptés ; en finir avec l’immobili-té ; en finir avec les cloisonne-ments entre les fonctions publi-ques et entre la fonction publiqueet l’entreprise. De même, devons-

nous préparer les esprits à ce quel’on effectuera plusieurs métiersau cours de sa carrière ; cela impo-se motivation et formation conti-nue obligatoire.

Quand seront réalisées cesréformes ?

Nous avons déjà mis en place lanotion de performance et de méri-te, qui responsalisera les agents. Auprintemps 2004, je présenterai uneloi et les décrets sur les fonctionspubliques hospitalière, territorialeet d’Etat. En septembre, ce sera autour de l’ENA d’être réorganisée. Ily va de l’attractivité de la fonctionpublique qui sera confrontée dansles prochaines années à 800.000départs en retraite. Il y va du dyna-misme du secteur privé lui-même,qui ne prospérera pas sans un sec-teur public fort et modernisé.

Pensez-vous que la fonctionpublique territoriale soit capabled’une telle révolution culturelle ?

D’ores et déjà, elle a su doter noscollectivités d’une ingénierie finan-cière tout à fait remarquable. Dansles regroupements de communesen cours, elle sait travailler enréseau de façon à utiliser au mieuxet au meilleur coût les compétencesau profit des populations.

Mon grand-père disait « telpatron, tel ouvrier » et je crois à cetadage : si l’élu local devient un stra-tège, le fonctionnaire le sera aussi.Si l’élu est conservateur, l’agent secramponnera à des fonctionne-ments périmés. De même, quandnos administrations commettentune erreur, nous, les élus, en som-mes les vrais responsables, parceque nous n’avons pas su expliquernos choix politiques. En définitive,cela pose une question aussi crucia-le que celle que nous venons d’abor-der : celle de la formation des élus…

Propos recueillis parAlain Faujas

Branle-bas dans la formationdes hauts fonctionnaires

Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique

« L’ENA sera réforméeen septembre 2004 »

pour rendre lahaute fonctionpubliqueattractive,le ministreen chargede ce secteur,jean-pauldelevoye, veutfaire convergerles systèmesde formationdes cadresde l’étatet de la fonctionpubliqueterritoriale

Ils se sont mis à trois pourtenter de calmer le jeu. Lasemaine dernière, AntoineDurrleman, directeur del’Ecole nationale d’adminis-tration (ENA), Roger

Morin, directeur de l’Institut natio-nal des études territoriales (INET),et Jean-Robert Massimi, directeurde cabinet du président du Centrenational de la fonction publiqueterritoriale (CNFPT), se sont réu-nis pour étudier, à la demande deJean-Paul Delevoye, ministre de lafonction publique, les modalitésd’un rapprochement des forma-tions initiales de l’ensemble deshauts fonctionnaires, qu’ils tra-vaillent pour l’Etat ou les collectivi-tés territoriales.

A vrai dire, tout avait plutôt malcommencé. Le 22 octobre 2003,l’annonce en conseil des ministresque l’ENA serait chargée en toutou partie de la formation initialedes administrateurs territoriauxavait rouvert une vieille querelle.En effet, les 1 300 administrateursterritoriaux qui dirigent les servicesdes régions, des départements etdes grandes communes tiennent àleur formation spécifique au seinde l’INET. Celle-ci fait appel à despraticiens centrés sur les territoireset non sur la culture d’Etat ; elledure dix-huit mois (vingt-sept

mois pour l’ENA) et, surtout, ellene débouche pas sur un classementde sortie, à la différence de l’ENA.

Ce remue-ménage a été relancépour trois raisons. La première estl’éternel débat sur l’avenir del’ENA, qui n’a toujours pas atteintune masse critique suffisante faceaux autres grandes écoles françai-ses et étrangères.

La deuxième tient à la décentrali-sation et à l’impécuniosité del’Etat, qui limitent les besoins decelui-ci en fonctionnaires et qui

réclament une plus grande fluiditédans la gestion des personnels.

La troisième raison est la néces-saire collaboration entre les fonc-tions publiques dans la conduite dedossiers de plus en plus partagés :s’ils veulent travailler efficacementsur l’insertion sociale ou le dévelop-pement durable, sur la construc-tion de musées ou de routes qu’ils

seront appelés à superviser et àcofinancer, les hauts fonctionnai-res de l’Etat et des collectivités doi-vent apprendre à se connaître.

« Le débat a été d’autant plus dif-ficile que la communication duconseil des ministres faisait suite àla publication d’un rapport d’Yves-Thibault de Silguy qui proposait laformation des administrateurs terri-toriaux à l’ENA », explique Jean-Marc Legrand, directeur généraldes services du département deMaine-et-Loire et président de

l’Association des administrateursterritoriaux. « Nous sommes favora-bles au principe d’un tronc com-mun de formation, mais pas seule-ment avec les fonctionnaires del’Etat, ajoute-t-il. La décentralisa-tion nécessite le développementd’une culture territoriale un peugirondine ; l’INET doit donc conser-ver sa spécificité, car elle assure aus-

si notre formation continue. Aumoment où des critiques s’élèventsur les dangers d’un moule unique,il nous semble précieux de préserverl’émulation entre des formations dif-férentes à l’INET ou à l’ENA, toutcomme dans les écoles de la Santépublique, de la magistrature ou descommissaires de police. »

Pour apaiser la polémique, il aété garanti aux administrateursterritoriaux que la proximité del’INET et de l’ENA, tous deux ins-tallés à Strasbourg, ne préludaitpas à leur fusion. Un consensuss’est cependant établi sur lanécessité de développer dans tou-tes les fonctions publiques uneculture commune, de façon à ceque la décentralisation se renfor-ce sans porter atteinte à la cohé-rence et à l’homogénéité de l’ac-tion publique.

Reste à trouver un équilibreentre des logiques différentes. « Cen’est pas insurmontable, préditPatrick Thüll, directeur général desservices du conseil régional de Lor-raine, sous-préfet en détachementet professeur à l’ENA et à l’INET. Acondition de ne pas traiter la coopé-ration en termes institutionnels,mais par le biais de la pédagogie.Après tout, nous possédons un espa-ce commun qui est la gestion territo-riale, et nous devrions arriver à par-

tager nos savoir-faire. Il existe à celadeux préalables : le rapprochementavec l’ENA, qui peut faire profiterl’INET de son réseau incontourna-ble ; l’abandon de toute supérioritéd’une catégorie de fonctionnairessur une autre : il nous faut mettrenos drapeaux dans la poche ! »

« Nous ne partons pas de zéro,renchérit Roger Morin, qui est aus-si président du réseau des écolesde service public. Notre proximitégéographique nous permet, dès cet-te année, d’organiser des formationscommunes de quatre semaines,notamment en matière d’affaireseuropéennes ou de négociations. »

Jean-Robert Massimi précisequ’avec les directeurs de l’ENA etde l’INET ils sont tombés d’accordsur une « démarche de sagesse ».Autrement dit, « pas question dechanger la maquette pédagogiquede chaque établissement (durée dela scolarité, système de sortie).Mais nous sommes convenus deconstruire des stages communs à l’in-térieur des différents modules d’en-seignement. Cela sera appliqué en2006 ».

Autrement dit, pas de révolu-tion, mais des premiers pas quidevraient permettre de faire tom-ber quelques préjugés.

Al. F.03-691 Presse ColRéf-Le monde 29/12/03 14:57 Page 1

Pour apaiser la polémique, il a été garantiaux administrateurs territoriaux

que la proximité de l’INET et de l’ENA,tous deux installés à Strasbourg,

ne préludait pas à leur fusion

« Il faut en finiravec les frustrations

des concoursoù les surdiplômés

raflent des postes oùils seront dévalorisés »

EMPLOI

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Les langues étrangèressont à l’honneur, maisqui le sait ? Après la Jour-née franco-allemandedans les écoles, le 22 jan-vier, dont la première édi-

tion a eu lieu, sans grand bruit, cetteannée, ce sera au tour de la Journéeeuropéenne des langues, le 26 sep-tembre. Elle est célébrée depuis2001 dans 44 pays, mais bien discrè-tement, du moins en France.

De même, qui connaît l’existencede la Maison des langues ? Inaugu-rée en 2002, elle est censée être« une vitrine du plurilinguisme »,avec l’objectif de « réconcilier l’opi-nion publique avec l’apprentissagedes langues », indique le rapport denovembre 2003 sur l’enseignementdes langues étrangères en Francedu sénateur (UMP) Jacques Legen-dre, qui juge d’ailleurs ses moyens« insuffisants ».

51 % des Français ne parlent queleur langue maternelle. Pas brillant,puisque la moyenne dans l’Unionest de 47 %, selon l’Eurobaromètrepublié en 2000 par la Commission

européenne. Internationalisationcroissante des entreprises oblige, ilest de plus en plus nécessaire, au tra-vail, de maîtriser une ou plusieurslangues étrangères. « Même parlerne suffit plus, constate Marion deVries, consultante en managementinterculturel du cabinet Sam Inter-national. Il faut aussi connaître laculture du pays. Les entreprises com-mencent à en prendre conscience…surtout après l’échec d’une fusion-acquisition. »

Implantée dans 130 pays, Alcatela fait de la pratique d’une langueétrangère un impératif. « Nous par-tons du principe que chaque salariéparle l’anglais, notre langue de tra-vail, car chacun peut être amené àtravailler avec un collègue à l’étran-ger », indique la direction. Les entre-prises ne sont cependant pas toutessur ce modèle. Selon l’Associationpour l’emploi des cadres (APEC),seul un tiers environ des offresd’emploi qu’elle reçoit mentionnentla maîtrise d’au moins une langueétrangère. Bizarrement, cette pro-portion, qui n’avait cessé de croîtredepuis 1993, marque une légèrebaisse depuis 2000, passant de 38 %

des offres à 33 % au premier semes-tre 2003. Un recul non significatif,selon Marie-Christine Portut, res-ponsable des relations internationa-les à l’APEC. « La nécessité deconnaître une langue étrangère estdevenue tellement implicite dans denombreuses fonctions de cadres queles employeurs ne l’indiquent mêmeplus », estime-t-elle.

Pour autant, quand une langue

étrangère est exigée, est-elle tou-jours utilisée ? « Lorsqu’il y a plé-thore de candidats, observe Marie-Christine Portut, des entreprisesajoutent des critères de sélection,par exemple la maîtrise d’une lan-gue, même si le cadre n’aura à pro-noncer que trois phrases en anglaisdans l’année. » Chez DaimlerChrys-ler, groupe germano-américain,l’anglais et l’allemand sont requispour les jeunes diplômés, mais laseconde langue ne sera pas sou-vent pratiquée au quotidien. Enrevanche, indique Magali Aubry,responsable de la gestion des res-sources humaines chez Daimler-Chrysler France, « l’allemand est

indispensable pour évoluer vers despostes très exposés à l’international.Le siège du groupe est en Alle-magne. Et la langue de ce pays nes’apprend pas à 35 ans. »

L’anglais conserve une positionultradominante (96 % des offresd’emploi APEC) et gagne même duterrain, selon Marie-Christine Por-tut. Mais pas partout. Chez Char-geurs, implanté dans 37 pays, « iln’y a pas de langue de référence,indique la direction. Notre groupeest très décentralisé et chaque filialedéfinit ses propres exigences ». EnEurope, les réunions de ce groupede textile ne se tiennent pas systé-matiquement en anglais. « Celapeut être le français car beaucoupde dirigeants le parlent. »

L’allemand se maintient endeuxième position, mais sa partrégresse : 11 % des offres d’emploiAPEC (en 2002) le mentionnent,soit deux fois moins qu’en 1993.Des postes difficiles à pourvoir :50 000 seraient vacants faute decandidats parlant cette langue,indiquent la chambre de commer-ce franco-allemande et l’ambas-sade d’Allemagne à Paris. Et celane va pas s’arranger : 14 % desélèves l’étudiaient en premièrelangue dans les années 1970 ; ilsne sont plus que 8 % actuellement,selon le rapport du sénateurLegendre.

D’autres langues semblent émer-ger, tel l’espagnol. Rompant avecla tendance, le salon Expolangues,qui ouvrira ses portes le 28 janvier,proposera un espace baptisé « Leslangues, un atout économique »,consacré aux langues vivantes lesmoins enseignées, comme l’arabe,le chinois, le portugais…

Francine Aizicovici

a D’APRÈS LES PREMIÈRES ESTIMATIONS DÉMOGRAPHIQUES pour 2003, l’Unioneuropéenne comptait 380,8 millions d’habitants au 1er janvier, soit une aug-mentation de 1 276 000 personnes sur l’année. Elle résulte d’un accroisse-ment naturel de + 0,8 ‰ et d’une migration nette de + 2,6 ‰, cette dernièreexpliquant donc plus des trois quarts de la croissance démographique.

a L’ACCROISSEMENT NATUREL de la population de l’Union (naissances vivan-tes moins décès) serait passé de + 309 000 en 2002 à + 294 000 en 2003. Lamigration nette devrait être aussi en recul, passant de + 1 260 000 en2002 à + 983 000 en 2003.

a CETTE ÉVOLUTION est conforme à celle des dernières années, mais restemodeste par rapport à l’augmentation de la population observée dansles années 1950 et 1960.

les entreprisesexigentla maitrîsede l’anglais,même lorsqu’ilest peu utilisédans le cadreprofessionnel

flash céreq /« le monde » flash sett/« le monde »

a CINQ ANS APRÈS LA FIN DE LEURS ÉTUDES, un quart des jeunes ne vivent pasdans leur région d’origine. Parmi ces « exilés », un tiers envisagent deretourner travailler dans cette région d’origine, que ce soit à court terme(10 %) ou à long terme (23 %).

a LES JEUNES SOUHAITANT « retourner au pays » sont plus souvent des hom-mes, résidant en Ile-de-France et sortant de l’enseignement supérieur.C’est également dans ces catégories que l’on trouve le plus souvent desjeunes amenés à quitter leur région au cours de leurs études ou à l’entréesur le marché du travail.

L'ATTRAIT DE LA RÉGION D'ORIGINE

Source : Céreq * IdF = Ile-de-France

Cinq ans après la fin de leurs études...

Hommes

Ensemble

Femmes

Vit en IdF*

Vit en

province

Niv.inf.

auBacBac

Sup.

auBac

Jeunes déclarant travailler hors de leur région d'origine, en %

Jeunes souhaitant retourner travailler dans leur région d'origine, en %

24

33

24

37

25 3

0

37 39

21

31

18

29

18

31

31 35

europe

Les Français toujours mauvaises langues

UN PAS EN AVANT, UN PAS EN ARRIÈRE

Evolution du nombre d'intérimaires (ETP*) en 2003,en pourcentage

L'INTÉRIM CADRES A REPRIS SA PROGRESSION EN 2003

Source : Syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT) / Ministère de l'emploi - Dares

* ETP : équivalent temps plein

Cadres Ensemble

1er trimestre

2e trimestre

3e trimestre

0– 2 2 4 6 8– 4– 6– 8

– 9,1

6,5

7,3

– 1,5

– 5,3

– 2,3

E M P L O I

(1) Personnes travaillant moins de 30 heures

Hommes + femmes

Moins de 25 ans

Part de l'emploi salarié

Part de l'emploi à temps partiel

Hommes + femmes (15-64 ans)

Hommes + femmes (55-64 ans)

Durée du travail salarié

à temps plein (h/semaine)

Evolution du coût du travail(en% sur un an - 1er trimestre 2003)

Taux de chômage( en%)

Part de chômage de plusd'un an ( en%)

LES INDICATEURS SOCIAUX INTERNATIONAUX « LE MONDE »/EUROSTAT

EURO 12 ALL. BELG. ESPAGNE FRANCE ITALIE PAYS-BAS ROY.-UNI E.-UNIS JAPON

Structure de l'emploi

Taux d'emploi (en%)

83,2 88,9 84,6 80,6 89,2 72,6 88,3 88,1 n. d. n. d.

16,5 20,8 19,4 8,0 16,2 8,6 43,8 24,9 13 (1) 23(1)

62,3 65,4 59,7 58,4 62,9 55,4 74,5 71,5 74 69

2,7 2,6 2,0 3,6 3,5 1,0 3,7 3,2 3,8 n. d.

16,6 9,7 19,8 22,4 20,7 26,5 6,7 12,3 12,1 n. d.

8,8 9,3 8,1 11,3 9,5 8,4 4,0 4,9 5,9 5,2

39,3 39,9 39,3 40,4 37,7 38,5 38,9 43,3 n. d. n. d.

2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2000 2000

20022002 2002 2002 2002 2002 2002

43,0 47,9 49,6 34,3 32,7 59,2 26,7 23,1 6 25

36,1 38,4 25,8 38,8 33,8 28,6 42,0 53,3 58 63

(oct. 03)(nov. 03) (nov. 03) (nov. 03) (nov. 03) (nov. 03) (nov. 03)(nov. 03)

2002 2002 2000 2000

(oct. 03) (sept. 03)(nov. 03)

84,4

18,1

64,2

2,7

15,6

8,0

40,0

40,2

2002

2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2000 20002002

2002 2002 2002

4e trim.2002

2002 2002 2002 2002 20022002

39,8

UE 15

Population, premières estimations démographiques, en millions d'habitants

380MILLIONS D'HABITANTS AU 1ER JANVIER 2004

Source : Eurostat

Allem

agne

France

Royaume Uni

Italie

Espagne

Pays-Bas

Grèce

Portugal

Belgique

Suède

Autriche

Danemark

Finlande

Irlande

Luxem.

59,90

59,52

57,48

40,98

16,26

11,05

10,48

10,40

8,98

8,09

5,40

5,22

4,02

0,45

82,54

Au Royaume-Uni, une étude de la Fondation Nuffield a révélé l’étendue dela crise : enseignement du français sur-représenté, déficit préoccupant de pro-fesseurs de langues, neuf jeunes Anglais sur dix incapables de s’exprimer dansune langue étrangère, « ce qui constitue à la fois un handicap et une hontenationale » pour nos voisins, écrit le sénateur Jacques Legendre dans son rap-port de 2003 sur l’enseignement des langues étrangères en France.

Ce sombre constat a poussé le gouvernement britannique à agir, certesmodestement : accroissement du nombre de « specialist languages col-leges », écoles de langues, mais qui restent réservées à une élite (126 établisse-ments en 2002, l’objectif étant d’atteindre 200 voire 300 dans les années àvenir) ; ou encore autorisation de l’apprentissage des langues dès l’entrée auprimaire. Une avancée torpillée… d’avance : une décision récente du gouver-nement britannique permet aux élèves de 14-15 ans d’abandonner l’étude deslangues s’ils le souhaitent.

a APRÈS AVOIR RÉGRESSÉ DÉBUT 2003, l’intérim cadre est reparti à la hausse,pour atteindre finalement un taux de croissance de 1,3 % sur les neuf pre-miers mois de 2003 par rapport à la même période de 2002, alors que letravail temporaire dans son ensemble était en repli de 3,1 %. Entre 1997et 2002, le nombre d’intérimaires cadres a été multiplié par quatre, soitune augmentation annuelle moyenne de 31 % sur la période.

a AU TROISIÈME TRIMESTRE 2003, le nombre de cadres intérimaires s’élève à10 757 équivalents temps plein, soit 2 % des effectifs intérimaires. 58 %des cadres intérimaires sont de sexe féminin et 75 % ont moins de 35 ans.

Derniermoisconnu

LE MARCHÉ DU TRAVAIL FRANÇAIS

Sources : Insee, Dares, CNAF, Unedic

Chômeurs de moins de 25 ans(en milliers)

Chômeurs de longue durée(en milliers)

Emplois précaires (en milliers) :

Intérim

Contrats en alternance

Femmes

Hommes

Horaire

Mensuel

Contrats aidés dans le secteurmarchand

Contrats aidés dans le secteurnon marchand (hors emplois-jeunes)

732,8 (nov. 03)

Variationsur un an

425,6 (nov. 03) + 7,2 %

+ 7,8 %

1 197 + 2,9 %

1 448 + 0,03 %

7,19 (juillet 03) + 5 %

1 215,11 (juillet 03) + 5 %

1 084 310 – 1,15 %

572,2 (nov. 03) – 5,3 %

627,5 (nov. 03) – 5,9 %

409,4 (nov.03) – 18,4 %

119,4 (nov. 03) – 25,4 %

Salaire netmédian (en euros constants) :

Allocatairesdu revenuminimum d'insertion

Smic (en euros )

VIII/LE MONDE/MARDI 27 JANVIER 2004