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Georges Dumas (1866-1946) MEMBRE DE L'INSTITUT ET DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE PROFESSEUR HONORAIRE DE PSYCHOLOGIE PATHOLOGIQUE À LA SORBONNE (1948) LE SOURIRE Psychologie et physiologie Avec 17 figures dans le texte Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel: mailto:[email protected] Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,  professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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  • Georges Dumas (1866-1946)MEMBRE DE L'INSTITUT ET DE L'ACADMIE DE MDECINE

    PROFESSEUR HONORAIRE DE PSYCHOLOGIE PATHOLOGIQUE LA SORBONNE

    (1948)

    LE SOURIREPsychologie et physiologie

    Avec 17 figures dans le texte

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvoleProfesseure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec

    et collaboratrice bnvoleCourriel: mailto:[email protected]

    Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"dirige et fonde par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 2

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole,professeure la retraie de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubeccourriel: mailto:[email protected] web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

    partir de :

    Georges Dumas (1866-1946)

    Le sourire. Psychologie et physiologie.Avec 17 figures dans le texte. (1948)

    Une dition lectronique ralise du livre de Georges Dumas (1846), Lesourire. Psychologie et physiologie. Avec 17 figures dans le texte. Paris : LesPresses universitaires de France, 2e dition, 1948, 128 pp. CollectionBibliothque de philosophie contemporaine. Premire dition, 1906.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 20 mai 2004 Chicoutimi, Qubec.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 3

    Table des matires

    Table des figures

    Chapitre I. Le nerf facialChapitre II. Physiologie du sourireChapitre III. Pathologie du sourireChapitre IV. Psychologie, du sourireChapitre V. La loi du sourire et l'expression des motions

    Conclusion

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 4

    Table des figures

    Figure 1: Nerf facialFigure 2: Muscles de la faceFigure 3: Une malade de service, CarolineFigure 4: La photographie de DenyseFigure 5: La photographie de Marie, une autre malade de serviceFigure 6: Une autre photographie de MarieFigure 7: La mlancolique EugnieFigure 8: Le mlancolique AlbertFigure 9: Justine, une infirmire de service du Pr Joffroy, atteinte depuis lge

    de quatre ans dune paralysie faciale gauche priphrique, la suitedune lsion traumatique du rocher qui a dtermin la sectioncomplte du facial.

    Figure 10: Deuxime photo de JustineFigure 11: Jean, un malade de Sainte-Anne qui a t atteint de paralysie faciale

    droite la suite dune tentative de suicideFigure 12: Deuxime photo de Jean.Figure 13: Une malade de 27 ans atteinte dhmiplgie gauche totale et

    absolue la suite dune embolie.Figure 14: Un homme de 41 ans atteint dhmiplgie droite avec contracture

    de quatre ans. Il marche en fauchant, mais au membre suprieur laparalysie et la contracture empchent tout mouvement.

    Figure 15: Cline, une jeune fille de 16 ans, avec un hmisphre de la face.Figure 16: Une grimaceFigure 17: Dans la figure 17, lon distingue trs nettement tous les caractres

    dun hmisphre facial des plus prononcs.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 5

    Georges DumasMdecin et psychologue franais

    Le sourire. Psychologie et physiologie.Avec 17 figures dans le texte. (1948)

    Paris : Les Presses universitaires de France, 1948, 2e dition, 128 pp.Collection Bibliothque de philosophie contemporaine.

    Premire dition, 1906, Flix Alcan.__

    Retour la table des matires

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 6

    Autres ouvrages de M. Georges Dumas______

    Bibliothque de philosophie contemporaine

    Les tats intellectuels dans la mlancolie, 1 vol. in-12 (puis).

    La Tristesse et la joie, 1 vol. in-8. (Couronn par l'institut et l'Acadmie deMdecine.)

    Psychologie de deux messies positivistes. Saint-Simon et Auguste Comte, 1vol. in-8.

    Traduction franaise de Les motions, par le Pr LANGE, 1 vol. in-12 (2e dit.).Traduction franaise de La Thorie de l'motion, par William JAMES, 1 vol. in-

    12.

    Le Surnaturel et les dieux dans les maladies mentales, Paris, PressesUniversitaires, 1946.

    Trait de psychologie, 2 tomes, Paris, Presses Universitaires, 1946.

    Nouveau Trait de psychologie, en 9 vol., Paris, Alcan, 1931, en cours depublication pour les 2 derniers tomes (1'un et l'autre trait avec de nombreuxcollaborateurs).

    Sous presse :

    La Vie affective, Presses Universitaires de France.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 7

    BIBLIOTHQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINEFONDE PAR FLIX ALCAN

    __________________________________________________________________

    LE

    SOURIREPSYCHOLOGIE, ET PHYSIOLOGIE

    PAR

    GEORGES DUMASMEMBRE DE L'INSTITUT ET DE L'ACADMIE DE MDECINE

    PROFESSEUR HONORAIRE DE PSYCHOLOGIE PATHOLOGIQUE LA SORBONNE

    AVEC 17 FIGURES DANS LE TEXTE

    Ceux qui savent pourquoi cette espce de joiequi excite le ris retire vers les oreilles le musclezygomatique, l'un des treize muscles de labouche, sont bien savans.

    (VOLTAIRE,Dict. phil., art. Rire.)

    PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE____

    1948

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 8

    Javais ddi mon cher et regrett matre Thodule Ribot

    la premire dition de ce livreet ddie la seconde sa mmoire

    G. D.

    2e dition, 3e trimestre 1948.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 9

    Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948)

    Chapitre ILe nerf facial

    Retour la table des matires

    La plupart des expriences que je rapporte et des explications que je propose ausujet du sourire, supposant connues les fonctions, l'origine, le trajet et les subdivisionsdiverses du nerf facial, je crois utile de rappeler d'abord, sous une forme succincte, lesconnaissances que nous avons l'heure actuelle sur l'anatomie et la physiologie de cenerf.

    Le facial nat du bulbe, dans la fossette sus-olivaire par deux racines, l'une interne,l'autre externe.

    La racine interne, la plus grosse, constitue le facial proprement dit ; la racineexterne, qui prend naissance entre la prcdente et celle du nerf auditif constitue l'in-termdiaire de Wrisberg qui se continue, travers le ganglion gnicul, par la cordedu tympan, se distribue la langue, aux glandes sous-maxillaire et sublinguale et,vasodilatateur pour ces trois organes, est scrteur pour les deux glandes et gustatifpour la langue. L'opinion qui prvaut est que ce nerf de Wrisberg, racine sensitive dufacial, est un faisceau erratique de la IXe paire (les glosso-pharyngiens) ; et comme il

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 10

    ne peut concourir directement, par aucune de ses fonctions, l'expression motrice dusourire, nous ne nous en occuperons pas ici.

    Reste le facial proprement dit dans lequel on peut distinguer, pour la commoditde l'analyse, un trajet extrabulbaire et un trajet intrabulbaire.

    Fig. 1 Nerf facial

    1. Tronc du nerf facial sortant de l'aqueduc de Fallope, 2. Nerf auriculaire postrieur. 3.Rameau du digastrique. 4. Rameaux temporaux. 5. Rameaux frontaux. 6. Rameaux palpbraux. 7. Rameaux nasaux. 8. Rameaux buccaux. 9. Rameaux mentonniers. 10. Rameaux cervicaux. 11. Nerf temporal superficiel. 12. Nerf frontal. 13. Rameau sous-orbitaire du maxillairesuprieur. 14. Rameau buccal du maxillaire suprieur. 15. Rameaux mentonniers du nerf dentaireinfrieur. 16. Branche postrieure de la deuxime paire cervicale. 17. Rameau auriculaire du plexuscervical. 18, 19. Rameaux mastodiens du plexus cervical. (D'aprs Debierre, Trait lmentairedanatomie.)

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 11

    Dans son trajet extrabulbaire, le facial, parti de la fosse sus-olivaire, se porte enhaut, en avant et en dehors pour gagner le conduit auditif interne, o il chemine avecle nerf auditif et l'intermdiaire de Wrisberg. Arrivs au fond du conduit, ces troisnerfs se sparent ; le facial et le nerf de Wrisberg pntrent dans l'aqueduc de Fallopeet se dirigent, sur un trajet de 4 ou 5 millimtres, perpendiculairement l'axe durocher ; l le nerf de Wrisberg se perd dans le ganglion gnicul, d'o partent lesfibres qui s'accolent au facial pour s'en sparer plus loin sous le nom de corde dutympan 1.

    Au del du ganglion, le facial s'inflchit, devient parallle l'axe du rocher, etaprs un trajet de 1 centimtre de longueur, se recourbe de nouveau et, se dirigeantpresque verticalement vers le bas, sort du crne par le trou stylo-mastodien. Il s'infl-chit alors une fois de plus pour gagner obliquement et, en bas le bord parotidien de lamchoire o il s'immerge dans la parotide et s'y subdivise en deux branches, lesbranches temporo-faciale et cervicofaciale (figure 1). Ces deux branches plonges, leur origine, dans l'paisseur de la parotide se subdivisent leur tour en un trs grandnombre de filets terminaux.

    La premire donne naissance un certain nombre de filets dont les noms seulsindiquent nettement la terminaison. Ce sont :

    a) Des filets temporauxb) Des filets frontaux ;c) Des filets palpbrauxd) Des filets nasaux ou sous-orbitaires;e) Des filets buccaux suprieurs.

    La branche cervicale, suivant la direction du tronc dont elle mane, se porteobliquement en bas et en avant, et, arrive l'angle du maxillaire infrieur, se partageen rameaux divergents o l'on distingue trois groupes :

    a) Des filets buccaux infrieursb) Des filets mentonniers ;c) Des filets cervicaux.

    Indpendamment de ces branches terminales, le facial fournit, soit l'intrieur,soit l'extrieur du rocher, plusieurs branches collatrales parmi lesquelles six sedistribuent des muscles. Nous aurons l'occasion de reparler de quelques-unes bien

    1 En ralit, le ganglion gnicul peut tre considr comme un ganglion crbro-spinal qui joue,

    par rapport la partie sensitive du facial, le mme rle que les ganglions des racines sensitives dela moelle jouent par rapport la partie sensitive des nerfs rachidiens. Les neurones qui le consti-tuent mettent des prolongements priphriques qui cheminent avec le facial et des prolongementscentraux qui vont se mettre en rapport avec un noyau gris du bulbe.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 12

    qu'elles soient trs loin d'avoir, dans l'expression du sourire, la mme importance queles branches terminales.

    Ainsi constitu dans sa partie extrabulbaire et considr surtout dans ses branchesterminales, le facial prside la plupart des mouvements de la face dont il innerve lesmuscles ainsi que tous les muscles peauciers de la tte et du cou ; c'est cause de cesfonctions qu'un certain nombre de physiologistes le dsignent parfois sous le nom denerf de la physionomie ou de nerf de l'expression, mais ces dsignations, impliquantune conception finaliste de l'expression, peuvent prter des malentendus ou donnernaissance des erreurs. Le nom de facial a cela de bon qu'il dsigne un nerf de la faceet rien de plus.

    Dans le bulbe, le noyau d'origine du facial est situ aux limites de la protubranceet du bulbe ; il fait partie de la colonne grise qui continue vers l'encphale le groupecellulaire antro-externe de la corne antrieure de la moelle. Les fibres qui en sortentse dirigent d'abord en arrire et en dedans, descendent ensuite verticalement le longdu plancher du quatrime ventricule, puis, se recourbant, se dirigent en bas, en avantet en dehors pour merger dans la fossette sus-olivaire, ct et en dedans du nerf deWrisberg.

    On dcrivait encore, il y a quelques annes, un noyau du facial suprieur, c'est--dire un noyau spcial pour les fibres qui innervent le muscle frontal, le sourcilier etlorbiculaire des yeux, et l'on appuyait cette distinction sur certains faits cliniques quela physiologie des centres nerveux semblait confirmer. Tout porte croire aujour-d'hui, d'aprs les travaux de M. Marinesco 1 et de M. Van Gehuchten 2, que cettedistinction n'tait pas fonde anatomiquement ; c'est tout au plus si l'on peut admettreque le noyau du facial suprieur forme un segment distinct dans le noyau commun etconserve, de ce fait, une certaine autonomie.

    Le noyau d'origine du facial est en relations anatomiques et physiologiques avecun centre cortical situ au niveau de la partie infrieure de la zone rolandique, au-dessus du centre de l'hypoglosse. La voie motrice centrale, cortico-protubrantielle,forme par les prolongements cylindraxiles des cellules du centre cortical, forme avecles fibres homologues de l'hypoglosse et du masticateur le faisceau gnicul ; lesfibres du facial passent donc, avec ce faisceau, par le genou de la capsule interne etsuivent avec lui le pdoncule crbral ; arrives l'tage ventral de la protubrance,elles franchissent la ligne mdiane au niveau de la partie moyenne et viennent seterminer dans le noyau protubrantiel du ct oppos.

    D'aprs une opinion rpandue, l'existence d'un noyau, ou tout au moins d'un seg-ment nuclaire, distinct pour le facial suprieur impliquerait l'existence d'un centrecortical galement distinct. Mais M. Marinesco n'admet pas plus l'existence de ce

    1 Revue gnrale des Sciences, 1898, p. 775 et Revue de Mdecine, 1899, p. 285.

    2 Revue Neurologique, 1898, p. 553.

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    centre que l'existence d'un noyau suprieur et M. Wertheimer fait remarquer 1 qued'aprs la topographie des centres corticaux de Beevor et Horsley, on sait depuislongtemps dj 2 que le centre de l'occlusion des paupires se trouve dans la mmergion que le centre des autres muscles de la face. Il n'y a donc trs vraisemblable-ment qu'un seul centre cortical comme il n'y a qu'un seul noyau.

    En mme temps que, par son centre cortical, le facial reoit les excitations sen-sitives apportes par le trijumeau dans la zone rolandique, il est galement en rela-tions, par son noyau bulbaire, avec les fibrilles affrentes des noyaux sensitifs dutrijumeau, et il constitue de ce chef, avec ce dernier nerf, ce qu'on a trs justementappel l'arc sensitivo-moteur de la face. L'influence de la sensibilit sur le mouvementest un fait bien connu et l'on peut voir les nerfs rachidiens excits ou paralyss dansleurs fonctions motrices suivant qu'ils reoivent ou ne reoivent pas les impressionssensitives que leur racine postrieure doit leur transmettre normalement ; mais lerapport des deux phnomnes ne se manifeste jamais pour la moelle avec une nettetparfaite, parce que les diverses rgions du corps reoivent leur sensibilit de sourcesmultiples et qu'en sectionnant une ou deux racines postrieures on ne supprime pasncessairement pour une rgion donne toutes les voies d'excitation. Dans la face, aucontraire, qui tire toute sa sensibilit du trijumeau, le rapport de l'excitation et dumouvement se marque avec une prcision particulire et si, la suite d'une blessure,d'une section exprimentale ou d'une anesthsie, le trijumeau ne conduit plus lesexcitations sensibles, le facial prsente des troubles moteurs qui rappellent de trsprs la paralysie faciale ordinaire. La clinique mdicale, la clinique chirurgicale etl'exprimentation s'unissent sur ce point pour nous prsenter un trs grand nombre defaits analogues et pour lesquels s'impose la mme interprtation 3.

    Enfin, bien que les autres connexions sensitives du noyau du facial soient beau-coup moins connues que les prcdentes, M. Testut admet que ce noyau reoit desfibrilles de la voie sensitive centrale qui lui apportent les impressions sensibles del'organisme tout entier, ainsi que des fibrilles de la voie optique et de la voie acous-tique qui, du tubercule quadrijumeau antrieur, descendent dans la bandelettelongitudinale postrieure 4. Les voies anatomiques par lesquelles s'oprent les autresassociations rflexes du facial sont ignores.

    Aprs avoir parl du facial, il resterait dire un mot des diffrents muscles qu'ilinnerve et parmi lesquels un trs grand nombre participent l'expression du sourire,mais nous devrons numrer ces muscles et les classer quand nous ferons l'analysephysiologique du sourire et c'est pourquoi nous ngligerons ici des indications qui ontleur place marque un peu plus loin. Nous nous bornons, pour rendre ces indicationsplus claires, reproduire ici une planche de la musculature de la face (figure 2).

    1 Dictionnaire de Physiologie, par Charles Bichet, 1902, article Facial, t. V, p. 914 (Paris, Flix

    Alcan).2 Depuis 1890.

    3 Voir en particulier les expriences de Claude Bernard, Leons sur le systme nerveux, II, 70.

    4 Testut, Anatomie humaine, II 2, 869.

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    Fig. 2. Muscles de la face

    1. Muscle peaucier. 2. M. frontal. 3. M. pyramidal. 4. M. auriculaire antrieur. 5. M.auriculaire suprieur. 6. M. orbiculaire des paupires. 7. M. triangulaire du nez. 8. M. lvateurcommun de l'aile du nez et de la lvre suprieure. 9. M. lvateur propre de la lvre suprieure. 10.M. grand zygomatique. 11. M. petit zygomatique. 12. M. triangulaire des lvres. 13. M. carr dumenton. 14. M. de la houppe du menton. 15. M. orbiculaire des lvres. 16. M. buccinateur. 17.M. masster. 18. M. Sterno-cleido -mastodien. (D'aprs Debierre, Trait lmentaire d'anatomie.)

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 15

    Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948)

    Chapitre IIPhysiologie du sourire

    I

    Retour la table des matires

    On s'accorde d'ordinaire considrer le sourire comme un rire attnu, un rire quis'arrte en commenant et l'expression mme du sourire ne signifie pas autre chose.

    Darwin, lorsqu'il tudie le rire, y distingue trois degrs : le sourire, le rire modret le fou rire 1. Piderit classe le sourire parmi les degrs faibles du rire 2 et Littr ledfinit un rire sans clat . Je n'ai rien dire, en principe, contre une assimilation dece genre condition toutefois qu'on y joigne une distinction trop souvent ngligeentre le rire qui traduit l'excitation gnrale du plaisir et le rire qui traduit le sentimentspcial du comique.

    On peut rire en effet sans prouver le sentiment du comique et tout simplementparce qu'on prouve une excitation agrable ; on rit par exemple au cours d'une joie,

    1 De l'Expression des motions, p. 227 (trad. Pozzi et Benoit). 1877.

    2 La Mimique et la Physiognomonie, p. 148, trad. Girot (Paris, Flix Alcan).

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 16

    et dans ce cas, le rire a la mme signification que les cris, les paroles et tous les mou-vements par lesquels le systme nerveux se dcharge ; comme on l'a souvent remar-qu, le rire de ce genre se manifeste d'autant mieux que l'excitation est plus intense ouplus brusque, tel le rire de l'enfant qui l'on montre un jouet tout coup ou que l'onsurprend avec une caresse.

    Nous rions d'autres fois sous l'influence de l'excitation qui se produit dans notrecerveau quand nous saisissons un de ces rapports imprvus qui sont la base ducomique et dans ce cas le rire prend une signification trs particulire et trs distinctede la signification prcdente bien qu'il traduise toujours le plaisir.

    Il y a donc au moins deux espces de rires, ou plutt un genre et une espce que,faute de terminologie plus prcise, on peut appeler le rire du plaisir et le rire du comi-que ; et il y aura de mme un genre et une espce de sourires, le sourire du plaisir et lesourire du comique dont il convient de parler sparment.

    Je parlerai d'abord et surtout du sourire du plaisir, le plus gnral des deux.

    *

    * *

    Ce n'est pas seulement la bouche qui sourit mais les joues, le nez, les paupires,les yeux, le front, les oreilles, et si l'on veut bien comprendre la nature et la significa-tion du sourire, il importe de ne ngliger aucune des parties du visage par lesquelles ils'exprime.

    La bouche s'largit plus ou moins dans le sourire, taudis que les commissures deslvres sont tires fortement en arrire et lgrement vers le haut. Cette expressionbien connue, est due l'action

    12

    combine de plusieurs muscles. Le buccinateur 1 attire en arrire les commissuresdes lvres ; l'lvateur de l'aile du nez et de la lvre suprieure ainsi que l'lvateurpropre de la lvre suprieure exercent l'action indique par leur nom, le petit zygo-matique 2 attire en haut et lgrement en dehors la partie de la lvre suprieure

    1 Pour savoir quels muscles concourent au sourire et dans quelle mesure je me suis servi soit de la

    vue, soit du toucher, soit des deux sens la fois ; et pour la connaissance gnrale de leursfonctions, je me suis aid du Trait d'Anatomie humaine de M. Testut.

    2 Il est juste d'ajouter ici que Duchenne de Boulogne (Mcanisme de la physionomie humaine, p. 81

    sqq.) considre le petit zygomatique, l'leveur de la lvre suprieure et l'leveur commun de l'ailedu nez et de la lvre suprieure comme les muscles du pleurer et du pleurnicher. Il est fort pos-sible en effet qu'ils donnent cette expression en combinant leurs contractions lorsque les musclesvoisins sont au repos ; mais dans l'expression gnrale du sourire ils ne restent pas inactifs comme

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 17

    laquelle il s'insre, le grand zygomatique attire en haut et en dehors la commissurelabiale et le risorius de Santorini l'attire en arrire.

    On peut distinguer une infinit de degrs dans le sourire de la bouche suivant lacontraction plus ou moins forte des muscles ; quelquefois mme il y a sourire sanscontraction apparente. Chez quelques sujets en effet, les fibres du risorius n'arriventpas toutes au coin des lvres o elles doivent normalement s'insrer ; quelques-unesse fixent la peau des joues et creusent une petite fossette pour une contraction lgreque le coin des lvres ne trahit pas encore ou trahit peine ; c'est le sourire de labouche le plus faible et le plus gracieux peut-tre, car il en dforme peine la ligneondule.

    Les joues remontent pour sourire ; la partie moyenne du visage s'largit ainsi, elles'panouit suivant l'expression courante et le visage tout entier semble diminuer delongueur. Cette ascension des joues dtermine au-dessus et au-dessous deux sillonscaractristiques ; le premier, le sillon labio-nasal, va de l'aile du nez au coin des l-vres, le second s'tend sur le bord infrieur de l'orbite pour se terminer du ct ext-rieur par de petits plis horizontaux appels patte d'oie, et ces sillons, commel'ascension qui les provoque, sont le sourire des joues.

    Un assez grand nombre de muscles concourent produire cette expression.Quelques-uns nous sont dj connus ; ce sont l'lvateur propre de la lvre suprieure,le petit et le grand zygomatique qui ne peuvent se contracter sans tirer en haut lamasse charnue des joues et ce sont aussi, quoique d'une faon moins apparente, laplupart des muscles masticateurs.

    Le temporal se contracte lgrement et bien que sa contraction ne modifie passensiblement l'expression du visage, elle concourt maintenir le maxillaire infrieurcontre le maxillaire suprieur et par suite arrondir les joues. Le masster exerce lamme action et, de plus, traduit sa contraction par un renflement de la partie post-rieure et infrieure des joues.

    Il est assez difficile de savoir si le ptrygodien interne, insr en haut dans lafosse ptrygode et en bas sur la partie interne et postrieure du maxillaire, concourtpendant le sourire, avec les deux muscles prcdents, lever cet os. Dans tous lescas, il ne pourrait gure, tant invisible, exercer dans l'expression qu'une action indi-recte.

    Le nez sourit plus ou moins suivant les sujets, mais toujours d'une faon trsmarque ; chez tout le monde il parat prominer davantage, s'allonger en bas et enavant, tandis que de chaque ct les narines se dilatent; chez quelques personnes il secouvre, pendant les forts sourires, de rides verticales situes sur le dos, prs de la

    on peut s'en convaincre par le toucher et par la vue ; leurs contractions sont seulement plus lgreset comme fondues avec les contractions voisines. D'ailleurs Piderit (op., cit., p. 147) n'a pas hsit compter parmi les muscles du rire le petit zygomatique et l'lvateur de la lvre suprieure.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 18

    racine. Cette dernire expression (les rides verticales du nez) est en gnral noteparmi les caractristiques du rire, mais elle n'en est pas moins frquente dans lesourire et on la trouve assez souvent reproduite dans le sourire des masques comiquesauxquels elle donne facilement, pour peu qu'elle soit marque, un aspect grimaant.

    Si le nez s'allonge et s'effile, c'est d'abord cause du retrait des joues en arrire eten haut, mais c'est aussi par la contraction du muscle transverse dont les faisceauxantrieurs attirent vers le dos du nez des tguments sur lesquels ils s'insrent et c'estcette mme contraction, qui, lorsqu'elle est assez forte, dtermine la formation desrides verticales. C'est donc surtout par les faisceaux antrieurs transverses que le nezsourit.

    Le sourire des yeux est aussi important dans l'expression totale du visage quecelui de la bouche et il est presque aussi compliqu. On y doit distinguer des contrac-tions musculaires et des modifications dans l'clat du regard.

    Les contractions musculaires viennent toutes de lorbiculaire des paupires quientourent l'orifice palpbral la manire d'un anneau elliptique aplati, large et mince.Leur rsultat est de diminuer plus ou moins la grandeur apparente du globe oculairejusqu' masquer parfois de faon complte le blanc de la sclrotique. La partie colorede l'il apparat ainsi toute seule et comme l'iris est, suivant les sujets, bleu, noir ouchtain, le regard semble plus individuel et plus vif.

    Piderit 1 pense, et il parat bien avoir raison, que les contractions de lorbiculaireet des muscles des joues exercent sur la capsule membraneuse l'il une pressionsuffisante pour augmenter la tension et l'clat du contenu liquide.

    Le front sourit, et, pour sourire, il se dride, il sagrandit, il se lisse et sembles'claircir 2, tandis que les sourcils s'arquent lgrement ; c'est l'expression que traduitfort bien le latin exporrigere frontem.

    Cette expression bien connue s'explique assurment, comme le veut Darwin, parune contraction lgre du frontal, mais le jeu de ce muscle est loin d'tre simple dansla physionomie humaine et demande quelques explications.

    Quand le frontal se contracte isolment il attire en avant l'aponvrose picrnien-ne, vaste lame fibreuse qui recouvre, la manire d'une calotte, la convexit du crne,et, dans ce cas, il n'exprime aucun moment la joie, mais les divers degrs de laproccupation et de l'attention. Si l'aponvrose picrnienn est pralablement tenduepar la contraction de l'occipital, le frontal prend alors sur elle son point fixe et, pour

    1 Op. cit., p. 240.

    2 Cf. Racine, Iphignie, acte II, scne II.

    Nclaircirez-vous point ce front charg dennuis ?

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 19

    une contraction lgre, lisse la peau du front et arque les sourcils. C'est ce qui arrivedans le sourire du front.

    Il faut donc que dans le sourire le muscle occipital qui occupe toute la partie pos-trieure de la tte se contracte comme les prcdents, et c'est encore une contractionqu'il est trs facile de constater chez la plupart des sujets bien qu'elle ne contribue quetrs indirectement modifier l'expression du visage.

    Enfin on peut affirmer, sans forcer les faits, que chez bien des gens, et enparticulier chez lauteur de cette tude, loreille participe au sourire. Dans ce cas il estpossible que les faisceaux les plus externes de l'occipital qui s'insrent parfois jusquesur la convexit de la conque, la tirent lgrement en arrire et leurs contractions nefont d'ailleurs que se joindre celle de l'auriculaire postrieur qui agit dans le mmesens.

    La consquence de cette premire description c'est que le sourire est une expres-sion trs gnrale laquelle un grand nombre de muscles participent plus ou moins.Duchenne (de Boulogne) avait cru pouvoir conclure de ses fameuses expriencesd'lectrisation musculaire, que certaines motions de l'me trouvaient leur expressionnaturelle dans le jeu d'un muscle dtermin, c'est ainsi qu'il attribuait l'attention lefrontal, la rflexion le palpbral suprieur, la douleur le sourcilier 1 ; et quand lesfaits l'ont oblig d'admettre que plusieurs muscles concourent l'expression d'unemotion, il a toujours considr que ces muscles s'associaient en nombre restreint ;l'ironie, par exemple, n'avait besoin que du buccinateur et du carr du menton, latristesse que du triangulaire des lvres et du contracteur des narines, la joie que dugrand zygomatique et de lorbiculaire infrieur des paupires. Les physiologistes del'expression n'ont pas eu de peine montrer qu'une motion s'exprime le plus souventpar une association complexe des muscles ; c'est le cas de la satisfaction qui se traduitspontanment par le sourire, et nous aurons l'occasion de voir plus tard que lesmuscles du corps tout entier ne, restent pas indiffrents l'motion agrable que ceuxde la face traduisent plus particulirement.

    Bornons-nous constater pour le moment qu' part le menton toutes les parties duvisage sont affectes plus ou moins par le sourire. Donner l'explication de cetteexpression gnrale ce sera nous dire pourquoi tous les muscles que nous venons deciter y participent.

    *

    * *

    1 Mcanisme de la physionomie humaine, p. 42.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 20

    Une premire mthode consisterait prendre une une les diffrentes contrac-tions qui constituent le sourire et les expliquer tant bien que mal par les diffrentsprincipes psychologiques qui gouvernent depuis Darwin et Wundt l'expression desmotions. Darwin qui a tudi le sourire en mme temps que le rire, a procd de lasorte autant qu'il a pu. Les coins de la bouche se rtractent et la lvre suprieure serelve ; c'est, dit-il, parce que, dans la joie, on pousse naturellement des cris, que lecri exige la bouche ouverte et que la bouche ouverte exige son tour les contractionsen question qui se reproduisent l'tat faible dans le sourire 1. De mme lesorbiculaires qui se contractent nergiquement pendant le fou rire pour protger lesyeux contre l'afflux du sang artriel ou veineux, se contractent encore lgrement etsans utilit dans le sourire, en vertu d'une association ou d'une habitude analogue. Lesautres contractions que Darwin est loin de voir dans leur totalit, seraient, pour laplupart, des consquences de ces contractions principales.

    Darwin a donn beaucoup trop d'explications de ce genre et son tort n'est passeulement d'abuser de l'hypothse mais encore de vouloir tout expliquer par lefameux principe de l'Association des habitudes utiles sans se demander au pralablesi la physiologie toute simple, la mcanique du corps humain, ne tient pas en rserveune explication qu'il va chercher si loin. Le grand naturaliste a qui la zoologie doittant ne s'est pas toujours montr physiologiste bien inform, dans son livre delExpression des motions ; il a ainsi considr isolment des contractions muscu-laires dont le caractre capital tait d'tre simultanes et physiologiquement lies ; il amultipli, pour les expliquer, les hypothses historiques, et finalement il a passsouvent, sans les bien voir, ct de lois biologiques qui lui auraient expliqu, desgroupes entiers de phnomnes. Nous ne nous arrterons pas plus longtemps sur sonexplication du sourire.

    Bien que la mthode de Wundt, soit diffrente dans le dtail, elle donnerait lieuaux mmes critiques si on voulait appliquer ici les principes psychologiques surlesquels elle se fonde.

    Suivant le principe de l'Association des sensations analogues, les dispositions del'esprit qui ont une analogie avec certaines impressions sensorielles se traduisent de lamme manire. Si les muscles des joues se contractent lgrement dans le sourire,c'est, nous dira Wundt parce que la pression de ces muscles se rgle videmmentd'aprs la qualit du sentiment qui se manifeste. Ainsi, nous voyons le mouvementmimique varier de bien des faons, entre le tiraillement douloureux de ces partiesdans les motions pnibles, la pression bienfaisante du sentiment de soi-mme satis-fait et la tension fixe des dispositions nergiques de lme 2. Suivant le principe duRapport des mouvements avec les reprsentations sensorielles, les mouvements mus-

    1 Op. cit., p. 224.

    2 Wundt, lments de psychologie physiologique, II, p. 481, trad. Bouvier (Paris, Flix Alcan).

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 21

    culaires d'expression se rapportent des objets imaginaires. La bouche s'entr'ouvreainsi dans le rire comme si tous les sens devaient recevoir l'impression joyeuse 1.

    Malgr le grand nom de Wundt, ou ne saurait croyons-nous, se mettre trop engarde contre les explications de ce genre. Tout l'heure Darwin nous faisait le romanhistorique du sourire, Wundt nous en fait maintenant le roman psychologique pouraboutir l des hypothses o la pure et simple mtaphore se trouve transforme enexplication. Ce n'est pas, ajoutons-le, que les principes de Darwin et de Wundt soientstriles pour l'explication de toutes les expressions motionnelles ; ils ont rendu aucontraire de trs grands services dans la psychologie de la mimique ; mais pourl'explication spciale du sourire ils paraissent assez vains, et l'on m'accordera bienqu'ils le sont tout fait si la physiologie nous donne tout l'heure une explicationvraisemblable de ces contractions multiples qu'ils expliquent si pniblement.

    la vrit ni Wundt ni Darwin ne s'en sont tenus, pour l'expression des motions,aux principes prcdents ; l'un et l'autre ont invoqu, sous le nom de principe delAction directe du systme nerveux ou de la Modification directe de linnervation,une grande loi physiologique, d'aprs laquelle l'intensit des mouvements vasculaires,scrtoires et musculaires dpend de l'intensit des excitations nerveuses. Ainsis'expliqueraient, en dehors de toute psychologie, la plupart des dsordres physiquesqui accompagnent et qui caractrisent l'motion.

    Le malheur est que ni l'un ni l'autre ne se sont assez proccups de faire rendre ce principe toutes les explications de dtail qu'il pouvait contenir en germe ; 'a tl'tiquette dont ils ont couvert toutes les expressions qu'ils jugeaient inexplicablesbien plus qu'un principe fcond capable de nous apprendre pourquoi telle ou telleexpression se produit. Bien qu'ils l'aient formul tous les deux avec la mme nettet,ils l'ont jug infcond pour les explications de dtail et se sont tourns vers lesexplications psychologiques o leur fantaisie a pris libre jeu.

    La voie leur avait t indique cependant par Spencer qui, ds 1855, dans sesPrincipes de psychologie, allait chercher ses explications de l'expression dans laphysiologie mcanique, loin des hypothses faciles et peu vrifiables. Servi sur cepoint par sa philosophie dterministe de la force, il aboutissait dj une thorieprofonde.

    Tout sentiment, pense-t-il, s'accompagne d'une dcharge motrice diffuse propor-tionnelle son intensit et indpendante de sa nature agrable ou pnible. Du lgerfrmissement caus par un attouchement chez une personne endormie, jusqu'auxcontorsions de l'angoisse et aux bondissements de la joie, il y a une relation reconnueentre la quantit de sentiment et la somme de mouvement engendr. Si nous ngli-geons pour un moment les diffrences nous voyons que, en raison des dcharges

    1 Ibid., p. 484.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 22

    nerveuses qu'ils impliquent tous, les sentiments ont le caractre commun de causerune action corporelle dont la violence est en proportion de leur intensit 1.

    De plus, la dcharge diffuse qui se rpand dans l'organisme, conformment auxlois de la mcanique, affecte les muscles en raison inverse de leur importance et dupoids qu'ils ont soulever. Les gros muscles qui ne peuvent manifester leur excitationqu'en faisant mouvoir les jambes ou d'autres masses pesantes resteront immobilespour une dcharge modre, tandis que les petits muscles qui peuvent se mouvoirsans avoir vaincre une rsistance considrable, rpondront de faon visible auxondes les plus faibles. C'est pour cette raison que les muscles de la face, en gnraltrs petits et insrs sur les parties trs mobiles, sont, en dehors de toute autre raisonpsychologique ou sociale, de si merveilleux instruments d'expression. Une contrac-tion trs lgre de ces muscles, ajoute Spencer, avec un plissement des anglesextrieurs des yeux, jointe peut-tre un mouvement peine perceptible des musclesqui allongent la bouche, implique une onde faible de sentiment agrable que leplaisir augmente, le sourire se dessine et, s'il continue crotre, la bouche s'entr'ouvre,les muscles du larynx et des cordes vocales se contractent ; et, les muscles relative-ment tendus qui gouvernent la respiration tant mis en jeu, le rire apparat 2.

    Tout ceci nous explique assez bien pourquoi l'excitation du sourire se traduitsurtout sur la face ; reste nous dire pourquoi l'excitation agrable n'affecte pas lesmmes muscles que l'excitation pnible, pourquoi elle se rpartit seulement dans leszygomatiques, lorbiculaire des paupires, les muscles du sourire et non le pyramidalet le sourcilier qui sont aussi petits et nous paraissent aussi mobiles ; or sur ce dernierpoint Spencer est muet, et quand il a voulu, pour d'autres motions que la joie, expli-quer comment la dcharge diffuse se spcialise et se restreint tels muscles dtermi-ns, il s'est finalement embarrass dans des explications historiques trs analogues celles de Darwin. ct de la dcharge diffuse, il distingue en effet une dchargerestreinte qui dpend non de l'intensit du sentiment mais de sa qualit et qui est due aux rapports tablis, dans le cours de l'volution, entre des sentiments particuliers etdes sries particulires de muscles mis ordinairement en jeu pour leur satisfaction .

    C'est, sous une forme bien obscure, l'bauche du Principe des habitudes utiles deDarwin et nous savons ce que Darwin en a tir pour le cas particulier du sourire.

    *

    * *

    L'explication du sourire peut cependant tre donne par la seule physiologiemcanique, et, pour l'aborder avec, prcision et avec fruit, nous numrerons d'abord

    1 Principes de psychologie, II, 564, trad. Ribot-Espinas Paris, Flix Alcan).

    2 Ibid., p. 567.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 23

    non seulement les muscles qui y concourent, mais ceux qui s'y opposent dans le jeude la physionomie humaine. Expliquer physiologiquement le sourire, ce sera propre-ment dire pourquoi les premiers se contractent, tandis que les seconds ne se contrac-tent pas.

    Nous connaissons dj, avec quelque dtail, les muscles qui participent ansourire ; ce sont le temporal, le masster, le ptrygodien externe, le frontal, l'occipi-tal, lorbiculaire des paupires, le transverse du nez par ses faisceaux antrieurs, ledilatateur des narines, le buccinateur, l'lvateur de l'aile du nez et de la lvre sup-rieure, l'lvateur propre de la lvre suprieure, le petit et le grand zygomatique, lerieur, l'auriculaire postrieur, soit quinze muscles.

    D'autre part un certain nombre de muscles sopposent au jeu des muscles prc-dents et sont les antagonistes du sourire.

    Le ptrygodien externe tend porter la mchoire infrieure en avant ou de ct,mouvement assez compliqu et qui suppose soit un repos du masster et du temporal,soit une contraction de ces deux muscles combine avec celles du ptrygodienexterne et plus complexe que leur contraction simple. Le mylo-hyodien et le ventreantrieur du digastrique tendent abaisser la mchoire infrieure et sont les antago-nistes des lvateurs.

    Le sourcilier attire en dedans et en bas la peau du sourcil qui se ramasse en ridesverticales dans la rgion intersourcilire et cette contraction n'est possible que si lefrontal, insr sur laponvrose picrnienne, ne tire pas le sourcil vers le haut, enlissant la peau du front.

    Le pyramidal, qui prend son point d'insertion fixe sur les os et les cartilages dunez et qui tire en bas la peau de la rgion intersourcilire, est, plus nettement encoreque le prcdent, l'antagoniste du frontal contract par le sourire.

    Le myrtiforme qui abaisse l'aile du nez et rtrcit les narines est l'antagoniste desfaisceaux antrieurs ou peauciers du transverse, et du dilatateur.

    L'orbiculaire des lvres ou sphincter buccal est l'antagoniste manifeste de tous lesmuscles qui tirent sur, la lvre suprieure ou sur, les commissures.

    Le canin qui attire en haut et en dedans la commissure labiale est par ce derniertrait, en opposition avec les zygomatiques.

    Le triangulaire des lvres, qui abaisse la commissure, est l'antagoniste du grandzygomatique, du petit et du releveur ; enfin le carr du menton et le muscle de lahouppe du menton s'opposent d'une faon moins prcise l'action du grand zygoma-tique et l'ascension totale des joues.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 24

    Il rsulte de cette analyse qu'un sourire assez marqu partage, pour ainsi dire, lesmuscles de la face et du crne en deux camps, celui des muscles favorables et celuides muscles antagonistes.

    La question de plus en plus prcise est de savoir pourquoi les muscles de lapremire catgorie se contractent tandis que les seconds ne se contractent pas.

    Pour y rpondre, et sans anticiper encore sur aucune thorie psychologique, rap-pelons que pour tous les psychologues qui ont parl du sourire, comme pour le senscommun, cette expression de la physionomie est corrlative d'une excitation modre.Nous verrons plus tard reprendre cette ide d'une excitation modre, la vrifier et l'claircir ; pour le moment constatons que, si elle est exacte, les muscles qui secontractent pendant le sourire doivent traduire, par leur contraction, cette excitationmodre.

    Il s'agit donc de savoir, sans sortir de la mcanique, pourquoi une excitation mo-dre qui, en principe, devrait affecter galement tous les muscles de la face, n'enaffecte que quelques-uns.

    On ne peut songer reprendre simplement, en poussant ses applications, le prin-cipe mme de Spencer que les muscles se contractent en raison inverse de leurimportance et des poids qu'ils ont soulever ; ce principe facile vrifier quand onoppose les muscles des lvres aux gros muscles de la jambe ou du tronc, ne se vrifiepas avec la mme vidence quand on oppose les uns aux autres les muscles lgers dela face et en particulier les muscles peauciers. C'est que, sous la forme mme oSpencer le prsente, ce principe est assez incomplet. Sans doute, les muscles secontractent d'autant plus facilement qu'ils soulvent des poids plus lgers mais ils secontractent aussi d'autant mieux qu'ils se trouvent, par leurs contractions, d'accordavec les contractions des muscles voisins ou qu'ils ont moins de muscles antagonistes vaincre.

    En d'autres termes, on doit complter le principe de Spencer en disant qu'unmuscle se contracte d'autant mieux qu'il trouve dans l'organisme plus d'allis et moinsd'adversaires. C'est toujours de la mcanique, mais elle est un peu plus compliqueque celle de Spencer et tout aussi conforme la loi de la direction du mouvementdans le sens de la moindre rsistance.

    Le sourire n'est pas autre chose qu'un cas particulier de la loi de Spencer ainsicomplte.

    Considrons, en effet, les muscles du premier groupe : nous verrons qu'ils sontnaturellement d'accord pour la plupart et forment, par l'association de leurs contrac-tions, de vritables synthses musculaires.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 25

    L'occipital et le frontal s'unissent, pour ainsi dire, dans une mme contraction laquelle participe l'auriculaire postrieur.

    L'orbiculaire des paupires, d'autre part, ne peut se contracter dans sa partieinfrieure, sans tirer vers le haut la lvre suprieure, et cette connexion est si mani-feste qu'elle est signale par Darwin, pourtant orient vers des explications d'un genrebien diffrent. Henle, dit-il, avait dj remarqu ce propos, que lorsqu'un hommeferme exactement l'un des deux yeux, il ne peut s'empcher de rtracter la lvresuprieure du mme ct ; rciproquement, si aprs avoir plac son doigt sur la pau-pire infrieure, on essaye de dcouvrir, autant que possible, les incisives suprieures,on sent, mesure que la lvre se soulve nergiquement que les muscles des paupi-res entrent en contraction 1. Cette connexit est due non seulement l'existence defibres d'anastomose entre les orbiculaires des paupires et le petit zygomatique, mais ce fait que tous les muscles qui relvent la lvre suprieure et les commissures sontles congnres naturels des orbiculaires des paupires ; toute contraction des unsfacilite celle des autres.

    Il y a donc association mcanique entre les divers muscles des yeux et de labouche, et l'ascension des joues, comme la prominence du nez, sont les rsultats deces contractions combines.

    Le transverse du nez, quand il entre en jeu, ne fait, par ses faisceaux antrieurs,qu'agir dans le mme sens de cette ascension gnrale qui prpare et facilite sa proprecontraction.

    Quant aux muscles masticateurs, comme le temporal ou le masster, ils partici-pent par leur contraction lgre la mme ascension qu'ils favorisent du mme coupparce qu'elle exige, pour s'excuter facilement, le rapprochement des mchoires.

    Nous nous trouvons donc en prsence de deux expressions parallles du sourire,l'expression occipito-frontale avec trois muscles, l'expression oculo-malaire avecdouze ou treize muscles, et ces deux expressions, dont la seconde est de beaucoup laplus importante, ne se gnent nullement dans leur mcanisme.

    Considrons maintenant les muscles du camp adverse, les antagonistes du sou-rire ; nous pouvons constater qu'ils ne forment pas d'associations et de synthsesnaturelles.

    Dans l'expression de l'oreille, l'auriculaire suprieur et l'auriculaire antrieur sontdes muscles faibles, non congnres et qui ne peuvent rien contre les contractionscombines de l'occipital et de l'auriculaire postrieur.

    1 Op. cit., pp. 219-220.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 26

    Le ptrygodien externe et les muscles abaisseurs de la mchoire s'opposent bienau temporal et au masster, mais outre qu'ils sont beaucoup plus faibles, ils nes'associent nullement au canin, au sourcilier, au pyramidal et aux autres musclesantagonistes du sourire ; de mme le pyramidal s'oppose aux contractions du frontalque nous avons dcrites, mais il ne s'associe qu'au sourcilier parmi tous les musclesantagonistes du sourire. Nous avions affaire tout l'heure deux synthses dont l'unetait faite de nombreux lments bien coordonns ; nous n'avons affaire ici qu' desoppositions isoles. Bien mieux, dans beaucoup de cas les muscles antagonistes dusourire luttent entre eux et s'affaiblissent d'autant ; tels sont les muscles triangulaireset carrs du menton par rapport lorbiculaire des lvres ; non seulement nousn'avons pas de synthses musculaires mais nous avons des divisions et des luttesparmi les muscles antagonistes du sourire.

    Il est possible de se reprsenter maintenant ce qui doit se passer lorsqu'uneexcitation lgre se propage depuis centres nerveux par le facial jusqu'aux muscles dela face et du crne et par les fibres motrices du trijumeau jusqu'aux muscles mastica-teurs. En principe, l'excitation devrait se propager uniformment, mais en fait il setrouve que les seuls muscles qui ragissent sont ceux qui forment naturellementsynthse, tandis que les autres se neutralisent rciproquement ou sont neutraliss parles muscles qui se contractent. C'est ainsi que l'excitation se manifeste seulement dansles muscles qui coordonnent leurs contractions.

    Tout cela revient dire que si le sourire s'excute pour une excitation modre,c'est qu'il est le mouvement le plus facile de la face. Si les muscles du camp opposavaient conditionn l'expression la plus aise au lieu de conditionner l'expression laplus difficile, nous souririons par le triangulaire des lvres ou par le carr du menton,comme nous sourions par le rieur ou les zygomatiques.

    Il n'y avait aucune prdestination dans l'expression du sourire, en dehors des loistrs simples de mcanique auxquelles cette expression obit.

    *

    * *

    Mais il est toujours facile de dclarer quun mouvement musculaire qui s'excutedevait ncessairement s'excuter, et de pareilles dclarations demandent treappuyes non seulement par des considrations thoriques, mais par des preuvesexprimentales et cliniques. dfaut de preuves exprimentales compltes, voici aumoins quelques rsultats qui en constituent le commencement.

    Duchenne (de Boulogne), persuad qu'un seul muscle et tout au plus deux ou troissont ncessaires pour les expressions motionnelles les plus compliques, a toujoursprocd dans ses expriences d'lectrisation musculaire d'une faon trs analytique ;

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 27

    c'est--dire qu'il a lectris isolment les muscles du visage en appuyant l'lectrodesur des points qu'il appelait des points d'lection et qui correspondaient l'endroit ole nerf pntre dans la masse musculaire. En lectrisant une branche nerveuse qui sedistribue plusieurs muscles, on n'obtenait, pensait-il, aucune expression motion-nelle, mais une simple grimace et, de fait, la figure 6 de son album, o la branchetemporo-faciale de la VIIe paire a t lectrise avant sa subdivision, semble justifierson opinion.

    Aprs avoir tudi le jeu et les combinaisons des muscles du sourire, j'tais d'uneopinion tout fait contraire et persuad contre Duchenne qu'une excitation lgreporte sur le facial devait se rpartir dans les muscles du visage suivant la loi de lamoindre rsistance et provoquer le sourire.

    Pour vrifier cette ide assez vraisemblable mais prconue, je me suis livr pen-dant quelques mois, en collaboration avec le Dr Dupont 1, chef du laboratoired'lectricit la clinique Sainte-Anne, des expriences d'lectrisation dont je publieici les rsultats.

    Nous avons opr avec un courant faradique pour provoquer une excitation per-manente et des contractions musculaire, susceptibles d'tre reproduites par la photo-graphie. L'un des rhophores constitu par une plaque de plomb de 20 x 10 recouverted'une peau humide, tait appliqu sur le dos des sujets entre les deux omoplates ;l'autre, petit, galement recouvert d'une peau humide tait appliqu au-dessous dulobule de l'oreille de telle faon que l'excitation pt atteindre le facial aprs sa sortiedu trou stylo-mastodien et avant son immersion dans la parotide ; dans ce cas l'exci-tation pouvait se porter dans les deux branches temporo-faciales et cervico-facialesqui ne sont pas encore spares du tronc et si elle tait lgre elle devait, pensions-nous, n'affecter que les muscles du sourire, conformment la loi de la moindrersistance.

    Nos premiers essais ont t trs loin de nous satisfaire, car beaucoup de nos sujetsprsentaient des contractions douloureuses qui se superposaient, en les masquant, auxcontractions plus simples que nous voulions produire ; nous avons d chercher dessujets capables de supporter avec impassibilit l'excitation lectrique.

    Mme chez ceux-l l'exprimentation ne va pas sans difficult ; trop lgre, l'exci-tation ne produit rien ou ne produit que des contractions trop faibles pour tre photo-graphies ; trop forte, elle se rpand uniformment dans tous les muscles du visagequ'elle contracte et tord. Nous avons d, avec chaque sujet, ttonner longtemps pour

    1 Nous avions d'abord employ un courant galvanique de 3 milliampres, mais les contractions

    obtenues tant intermittentes, nous avons d recourir au courant faradique pour dterminer uneexcitation permanente et une contraction susceptible d'tre reproduite par la photographie. Le cou-rant faradique a t gradu aussi faible que possible et augment progressivement pour chaquesujet jusqu'au moment o une bauche de contraction du zygomatique et de lorbiculaire des yeuxdevenait apprciable, alors que le triangulaire des lvres restait encore absolument au repos. DrMaurice Dupont.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 28

    trouver l'excitation lgre qui affecte les muscles du sourire et n'affecte que ceux-l.Enfin, nous avons choisi de prfrence des femmes pour viter les inconvnients de labarbe et des moustaches.

    La premire photographie est celle d'une malade du service, Caroline (figure 3) ;nous avons souvent obtenu avec elle des sourires trs nets mais beaucoup trop fugitifspour pouvoir tre photographis. L'expression que nous avons reproduite est videm-ment trs dfectueuse.

    Fig. 3

    Dans la photographie de Denyse (fig. 4) on peut distinguer une expression serapprochant beaucoup plus que la prcdente de celle du sourire. On retrouve destraits caractristiques dans le bas du visage en particulier, dans les commissureslabiales et les joues ; mais, par suite de la contraction de quelques fibres du palpbral,l'il droit est compltement ferm et le gauche en a fait autant par une sorte deconsensus volontaire. L'expression du visage n'en est pas moins celle de la joie outout au moins de l'agrment.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 29

    Fig. 4

    On y distingue cependant l'expression malaire, et, bien que les paupires soientbaisses, l'expression oculaire qui, avec la prcdente, nous a paru caractriser anato-miquement le sourire humain ; on peut galement constater que les muscles antago-nistes du sourire restent au repos.

    La troisime photographie est celle de Marie, une autre malade du service (figures5 et 6) ; la contraction du zygomatique, de lorbiculaire des yeux et mme desreleveurs de la lvre suprieure y est visible. Le sourire qui en rsulte est le plus francet le plus naturel que nous ayons russi photographier.

    Et sans doute on pourrait contester non seulement la figure 3 mais mme auxfigures 5 et 6 le nom de sourire, si l'on pose en principe que tout sourire, pour mriterson nom, doit ncessairement tre ais et gracieux ; mais il est bien difficile dereproduire artificiellement des qualits aussi naturelles et aussi fugitives que l'aisanceet la grce ; si mme elles sont ralises quelquefois par l'excitation lectrique, ellesne durent qu'un instant, et ce qu'on photographie, dans la plupart des cas, c'est leschma du sourire plus que le sourire lui-mme.

    Ce schma suffirait cependant lui seul pour la thse que je soutiens, mme sinous n'avions pas obtenu des photographies de sourires aussi acceptables commesourires que la photographie de Denyse et celle de Marie. Le schme nous montre, eneffet, que l'excitation du facial, quand elle se propage dans les branches temporo-faciale et cervico-faciale, n'affecte, si elle est lgre, que les muscles du sourire etlaisse les autres indiffrents.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 30

    L'exprience vient donc confirmer, dans une assez large mesure, les explicationsthoriques que nous avions tires de l'tude des muscles du visage et de leurs fonc-tions antagonistes ou associes ; le sourire peut, semble-t-il, recevoir une explicationmcanique ; c'est la raction la plus facile du visage toute excitation lgre dufacial ; nous n'avons pas besoin de faire appel encore des hypothses psycholo-giques puisque les lois de l'quilibre, de la direction du mouvement dans le sens de lamoindre rsistance et autres lois analogues nous suffisent.

    Fig. 5

    dire vrai, notre exprimentation n'a pas t complte ; elle aurait d porter, enmme temps que sur le facial, sur le nerf maxillaire infrieur, branche motrice dutrijumeau, qui innerve les muscles leveurs et les muscles abaisseurs de la mchoire ;nous aurions vu alors si une lgre excitation lectrique du nerf provoque seulementles contractions des releveurs qui nous ont paru jouer un rle accessoire, mais un rle,dans l'expression du sourire ; mais on

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 31

    Fig. 6

    ne peut songer pratiquement, atteindre le tronc du maxillaire infrieur sa sortiedu crne par le trou ovale, et l'exprimentation n'aurait de valeur que si on pouvaitl'atteindre l, avant qu'il se subdivise en un grand nombre de filets moteurs. Noussommes donc obligs de renoncer la vrification exprimentale de notre thse pource qui concerne les muscles masticateurs. Nous ferons remarquer toutefois fillel'occlusion des mchoires traduit la plupart du temps l'excitation, tandis que la chutede la mchoire infrieure traduit gnralement la dpression ; il est donc probablequ'une lgre excitation lectrique du nerf maxillaire infrieur aurait agi plus forte-ment sur le groupe synergique des gros muscles releveurs que sur les deux musclesabaisseurs de la mchoire, le mylo-hyodien et le ventre antrieur du digastrique. ces rserves prs, nous croyons avoir rendu thoriquement et pratiquement vraisem-blable notre ide que l'expression du sourire est de pure mcanique, et qu'elle rsulted'une excitation lgre des nerfs moteurs de la face.

    II

    Retour la table des matires

    Mais si le sourire, ainsi dfini, n'est pas autre chose qu'une raction mcanique unpeu complique, toutes les causes capables d'augmenter la tonicit des muscles de laface devront tendre le produire, et c'est en effet une loi que l'exprience vrifieencore. Et tout d'abord le tonus musculaire, le simple tonus, dans la mesure o il est,

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 32

    sous la dpendance du facial et des fibres motrices du trijumeau, nous rapproche djdu sourire.

    C'est un fait bien connu que le muscle au repos n'est pas en rsolution complte etqu'il possde une certaine tonicit 1. Les excitations sensitives inconscientes et conti-nues qui proviennent du contact de l'air avec la surface cutane, du contact de la paroiinterne des vaisseaux avec le sang, des changements chimiques interstitiels des tissuset qui sont transmis l'axe crbro-spinal par les nerfs sensitifs, reviennent sousforme d'excitation motrice par les nerfs moteurs correspondants et entretiennent cons-tamment dans les muscles une tonicit qu'on expliquait autrefois par l'automatismedes centres. Bien qu'on ne soit pas encore bien fix sur l'influence que l'tat descentres nerveux exerce sur les manifestations du tonus, l'origine priphrique en a tdmontre par Brondgest qui, en sectionnant tous les nerfs sensitifs d'une rgion dontles muscles sont en parfait tat de tonicit, a vu cette tonicit disparatre et lesmuscles s'affaisser.

    Quand la tonicit disparat, les joues s'effacent ou se creusent, la mchoire inf-rieure pend, les yeux s'largissent dmesurment par suite de la paralysie des orbicu-laires, moins qu'ils ne se ferment tout fait par suite de la paralysie des releveursdes paupires. C'est l'expression bien connue de la dpression, de la tristesse et de lamort. Au contraire, pour un tonus normal, les joues s'arrondissent, la mchoireremonte, les yeux s'ouvrent sans excs, et le visage se rapproche du sourire par sonexpression, sans toutefois l'exprimer rellement. Dans ce cas, les excitations trslgres qui, partant des diffrentes parties du visage, sont transmises aux centres parles fibres sensitives du trijumeau, reviennent aux muscles par les fibres motrices dumme trijumeau et du facial, mais ne sont pas assez intenses pour provoquer unerupture d'quilibre au profit des muscles du sourire ; cependant elles tendent naturel-lement produire cette rupture et c'est pourquoi la tonicit normale, l'expressionpropre de la vie, est dj voisine du sourire.

    Que le tonus vienne augmenter sous l'influence dexcitations priphriques plusintenses, et nous allons voir le sourire apparatre en vertu de la loi qui gouvernel'nergie des rflexes dans ses rapports avec l'intensit des excitations. On a souventconstat, par exemple, que le froid fait sourire, et j'ai pu faire cette constatation surmoi-mme, un matin d'hiver o je remontais le boulevard Saint-Michel par unetemprature de 5. Une glace m'ayant par hasard renvoy l'image de mes traits, jeme suis aperu que mes zygomatiques et mes releveurs de la lvre suprieure taientfortement contracts, tandis que les orbiculaires de mes yeux se fermaient demi.videmment ce sourire provoqu par le froid avait quelque chose de forc, et serapprochait un peu du rictus ; mais c'tait cependant un sourire, et la cause en taitsans doute dans les excitations de l'air froid qui taient venues se joindre auxexcitations normales des tissus.

    1 Cf. sur la question du tonus, Physiologie et Pathologie du tonus musculaire, des rflexes et de la

    contracture, par J. Crocq. Journal de Neurologie, 5 et 20 aot 1901.

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    J'ai essay depuis de reproduire ce sourire en badigeonnant la figure d'un sujetbnvole avec une solution rfrigrante de menthol, mais il a ressenti une cuisson trspnible, surtout du ct des yeux, et je n'ai observ sur son visage que des expressionsd'agacement ou de douleur.

    Je ferai remarquer cependant, que, sous une forme galement dure, le sourire seproduit souvent dans des conditions assez analogues aux conditions prcdentes. Lesmanations d'un bain de pied la moutarde peuvent le provoquer par les picotementsqu'elles dterminent sur la peau du visage ; une immersion du visage dans l'eau chau-de ou froide a souvent la mme consquence, et c'est apparemment par la seuleaugmentation priphrique du tonus qu'agissent les excitations de ce genre.

    Dans bien d'autres circonstances le tonus croit et le sourire se dessine sans qu'onpuisse dire avec certitude si le tonus est augment par des excitations priphriquesou favoris par une excitabilit plus grande des centres moteurs. Nous avons alorsaffaire des rflexes moins simples que les prcdents o l'tat des centres nerveuxjoue peut-tre un grand rle. C'est par exemple un fait d'exprience courante qu'unbon dner rjouit la face, l'arrondit, et provoque une expression trs voisine du sou-rire, quand ce n'est pas le sourire lui-mme. Que se passe-t-il dans ce cas ? Faut-iladmettre que les extrmits sensibles des nerfs cutans et musculaires, mieux nour-ries, transmettent des excitations plus intenses aux centres nerveux ? Ne peut-on paspenser que ces centres restaurs par une bonne nutrition envoient des impulsionsmotrices plus fortes, pour une excitation priphrique qui reste la mme ?

    Chacune de ces hypothses est soutenable en elle-mme et toutes les deux peu-vent tre vraies la fois. Ce qui est manifeste c'est que, sous l'influence de l'excita-bilit des centres ou des excitations priphriques, la tonicit du muscle s'accrot ettend de plus en plus vers le sourire, conformment aux lois d'quilibre que nous avonsindiques.

    Avec les excitations modres des sens qui provoquent le plaisir physique, nousnous rapprochons des causes proprement psychologiques du sourire, mais nousn'avons pas encore besoin de faire appel un mcanisme nouveau. Une excitationlgre du got, de l'odorat, de l'oue ou de la vue peut provoquer sinon le sourirecomplet, du moins le demi-sourire, et cette action s'explique sans doute par ce que laphysiologie nous enseigne des effets toniques qui caractrisent le plaisir. Noussavons, en effet, que dans les cas de ce genre, l'excitation des sens est tonique parrapport au systme musculaire, et, d'autre part, si le plaisir acclre, comme le veutMeynert 1, la circulation crbrale, il n'est pas impossible que des causes centralespuissent ici, comme tout l'heure, favoriser le rflexe du tonus.

    1 Les Maladies du cerveau antrieur, p. 84.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 34

    Dans tous les cas, c'est un fait tabli par les expriences de M. Fr 1 et par biend'autres que le plaisir est dynamogne et que sa dynamognie se traduit surtout parune augmentation de l'nergie musculaire.

    Le sourire qui apparat alors, traduit tout simplement un accroissement du tonuset, relve comme tous les sourires prcdents, de la mcanique.

    Pour les sourires qui expriment la joie morale, la question est loin d'tre aussisimple et toute la suite de cette tude aura justement pour objet de la simplifier et delclaircir. Ce qu'on peut dire, abstraction faite de toute thorie, c'est que, dans ce cas,le sourire peut tre tantt spontan, tantt volontaire. Un homme qui vient de faire ungros hritage, ou de gagner un gros lot, ou d'apprendre une bonne nouvelle sourit deplaisir, et, si vous rencontrez un ami dans la rue, vous souriez aussi pour le saluer,bien que sa vue vous ait laiss parfaitement indiffrent ; le premier sourire est uneexpression naturelle de joie, le second est une expression voulue de politesse.

    Nous retrouverons tout l'heure ce second sourire et autres analogues et nousverrons les expliquer par des principes nouveaux ; mais le premier ne nous apparatpas comme diffrent, par sa nature et par ses causes, de tous les sourires que nousvenons d'analyser. La joie morale est un des toniques les plus puissants pour la viephysiologique 2 ; elle acclre la respiration, la circulation, les scrtions, elle activeles combustions, et, dans l'ordre musculaire elle s'exprime par une exagration dutonus qui aboutit naturellement au sourire pour les muscles de la face.

    Ce qu'il importe de marquer pour ce sourire spontan d'origine morale commepour les sourires d'origine physique, c'est qu'ils sont tous de nature purement rflexe,comme le tonus lui-mme, dont ils ne sont qu'une manifestation exagre ; toutes lesconditions qui peuvent accrotre le tonus deviennent par l mme, les conditions nor-males du sourire, sans qu'il soit ncessaire d'invoquer encore aucune loi de psycho-logie affective ou reprsentative. Par notre analyse des groupes musculaires du visageet de leurs fonctions, par nos expriences de faradisation, nous tions entrs pourainsi dire dans la mcanique du sourire, et par les explications que nous avonsdonnes des diffrents sourires naturels, nous avons tch de n'en pas sortir.

    *

    * *

    Mais une question reste encore rsoudre. Pourquoi le sourire se limite-t-il ousemble-t-il se limiter la face ? Que ce soit une expression toute mcanique, passe ;mais pourquoi et comment cette expression s'est-elle localise au visage puisqu'il

    1 Sensation et mouvement (Paris, Flix Alcan).

    2 Cf. Dumas, La Tristesse et la joie, p. 218 sqq. (Paris, Flix Alcan, 1900)

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    s'agit, en dfinitive, d'un fait trs gnral de tonicit qui ne paraissait apporter en lui-mme aucun lment de localisation prcise ?

    cartons d'abord les sourires provoqus par des excitations locales et pourlesquels l'explication est vraiment trop simple ; dans le sourire du froid, par exemple,le trijumeau joue par rapport au facial le rle d'une racine sensitive par rapport uneracine motrice, et les excitations qui partent par la voie sensitive reviennent par lavoie motrice, comme s'il s'agissait des deux racines rachidiennes d'un mme nerf.Mais beaucoup de sourires sont lis des conditions physiologiques trs gnralestelles que l'influence tonique du plaisir ou de la joie sur le systme musculaire et dslors on peut se demander en effet pourquoi ce jeu musculaire se localise la face.

    La rponse est partiellement indique dans ce principe dj cit de Spencer que ladcharge nerveuse affecte les muscles en raison inverse de leur importance et dupoids qu'ils ont soulever. La plupart des muscles de la face sont en effet des muscleslgers et particulirement mobiles de ce fait qu'ils prennent souvent l'une de leursinsertions et quelquefois toutes les deux dans la peau ; ils sont, ainsi plus aptes que lesmuscles du thorax ou de la cuisse traduire toutes les augmentations du tonusmusculaire, et sourient pour une excitation qui laisse indiffrents en apparencebeaucoup de muscles moins mobiles et plus gros.

    Mais la vrit c'est que le sourire, bien qu'il s'exprime particulirement la face,ne s'y localise pas uniquement et, sous forme de tonus, stend au corps tout entier ;c'est un fait bien connu que dans la joie d'origine physique ou morale le tonus de tousles muscles du corps est augment. L'exaltation fonctionnelle des muscles et desnerfs volontaires, dit Lange, fait que l'homme joyeux se sent lger comme tous ceuxdont les muscles sont puissants 1. De l les paroles, les cris, les chants, les va-et-vient, les sauts, l'attitude releve et presque dfiante qui caractrisent l'hommejoyeux. Darwin avait d'ailleurs crit bien avant Lange et dans le mme sens : Pen-dant un transport de joie ou de vif plaisir, il se manifeste une tendance trs marque divers mouvements sans but et l'mission de sons varis. C'est ce qu'on observechez les enfants dans leur rire bruyant, leurs battements de mains, leurs sauts de joie,dans les gambades et les aboiements d'un chien que son matre va mener lapromenade, dans le pitinement d'un cheval qui voit devant lui une carrireouverte 2.

    Il resterait dmontrer, pour gnraliser compltement notre thorie du sourire,que les mouvements excuts dans la joie sont toujours les mouvements les plusfaciles et que les muscles des bras, des jambes du larynx vont toujours, comme ceuxdu visage, dans le sens de la moindre rsistance ; mais cette dmonstration souffriraitquelque difficult. Nos reprsentations viennent en effet, pendant la joie s'associersans cesse nos mouvements pour les diriger, les compliquer et les transformer en

    1 Lange, Les motions, 2e dit., pp. 46-47, trad. G. Dumas (Paris, Flix Alcan).

    2 Op. cit. trad. Pozzi, pp. 80-81.

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    actes. Le joyeux ne se bornera pas crier il chantera, et il chantera telle chansondtermine il ne se bornera pas se mouvoir ; il dansera, il sautera, et il se livrera tel ou tel exercice particulier de gymnastique ; les mouvements seront ainsi plus oumoins coordonns en des associations idomotrices, o se compliquera extrmementla loi de mcanique qui les gouverne ; on voudra bien remarquer cependant que lesmouvements et les gestes isols qui traduisent la joie sont, en gnral, des mouve-ments simples qui s'excutent sans fatigue et comme d'eux-mmes sous l'influence del'excitation ; on fait claquer ses doigts, on tambourine sur la table, on parle pourparler ; mme les mouvements qui se coordonnent en acte ne donnent pas l'impres-sion de l'effort ; il semble bien que l'lvation du tonus se manifeste, comme dans lesourire, par les contractions les plus aises.

    Nous arrivons ainsi une thorie physiologique qu'on pourrait formuler de lasorte : Le sourire spontan est la raction la plus facile des muscles du visage pourune excitation modre ; il se manifeste particulirement dans ces muscles cause deleur extrme mobilit, mais en ralit la raction qu'il exprime est gnrale et paratse marquer plus ou moins dans le systme musculaire tout entier.

    Il rsulte de cette dfinition, appuye sur le raisonnement et sur l'exprience, quele sourire qui s'exprime chez l'homme sur la face, pourra tout aussi bien s'exprimer,suivant les espces et la mobilit des muscles, sur toute autre partie du corps.

    Chez le singe, nous le voyons encore se manifester sur la face et particulirementsur les lvres, comme Darwin l'a remarqu. Quand on chatouille un jeune orang,dit-il, il fait une grimace riante, et il produit un bruit de satisfaction ; ses yeux devien-nent en mme temps plus brillants. Aussitt que ce rire cesse, on voit passer sur saface une expression qui, suivant une remarque de M. Wallace, peut se comparer unsourire. J'ai observ quelque chose d'analogue chez le chimpanz. Le Dr Duchenne et je ne pourrais citer meilleure autorit m'a racont qu'il avait conserv chez lui,pendant un an, un singe parfaitement apprivois ; lorsque, au moment du repas, il luidonnait quelque friandise, il voyait les coins de sa bouche s'lever trs lgrement ; ildistinguait alors trs nettement sur la face de cet animal une expression de satisfactionressemblant une bauche de sourire, et rappelant celle que l'on observe souvent surle visage humain 1.

    Chez le chien on trouve encore l'quivalent du sourire facial dans une sorte derictus que Darwin 2, Ch. Bell 3 et bien d'autres observateurs ont signale, et, pour laplupart d'entre eux, ce rictus traduit bien une disposition d'esprit agrable ; il mesemble cependant que le vritable sourire du chien, celui qui exprime la joie la plussimple et la plus fugitive, consiste surtout dans les mouvements de la queue ; les

    1 Op. cit., p. 144.

    2 Ibid., p. 130.

    3 The Anatomy of expression, 1844, p. 140.

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    muscles lgers et particulirement mobiles de cet organe jouent ici le mme rle queles muscles de la face chez l'homme.

    J'ai cru constater chez plusieurs chats un commencement de sourire facial avecclignement des yeux trs marqu tandis que je les caressais, mais chez eux, commeplus haut chez le chien, la satisfaction s'exprimait particulirement par la queue quidevenait verticale, en ondulant lgrement au bout.

    Enfin la pie et, en gnral, les oiseaux m'ont paru sourire de mme avec les mus-cles rectiles des plumes de leur queue, organe naturellement trs mobile et d'autantplus apparent comme tel qu'il est plus long.

    Il n'y avait donc rien de moralement prdtermin dans le jeu des muscles parlesquels nous sourions ; c'est le hasard de notre organisation physique qui nous faitsourire avec nos zygomatiques et nos orbiculaires des yeux : nous souririons diff-remment, si les muscles de notre visage taient autrement associs ou autrementmobiles, et si, d'aventure, les contractions de la colre ou de la douleur eussent t lesplus faciles des contractions du visage, ce sont-elles assurment qui seraient le sourirehumain.

    Ni la psychologie ni l'esthtique n'ont rien voir avec la forme spontane dusourire ; c'est un rflexe au mme titre que l'ternuement ou que le larmoiement ; laphysiologie mcanique nous en donne elle seule une explication vraisemblable.

    Voltaire a crit propos du rire dans son Dictionnaire philosophique : Ceux quisavent pourquoi cette espce de joie qui excite le ris retire vers les oreilles le musclezygomatique, l'un des treize muscles de la bouche, sont bien savans. Nous n'avonsaucune prtention tre bien savant mais nous croyons savoir cependant pourquoi leszygomatiques se contractent dans le sourire et peut-tre en partant de l ne serait-ilpas difficile d'opposer une explication assez simple la phrase ironique de Voltaire.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 38

    Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948)

    Chapitre IIIPathologie du sourire

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    Dans le chapitre prcdent, je me suis efforc d'tablir, par l'analyse anatomo-physiologique et par l'exprimentation, que le sourire se produisait ncessairementpour toute excitation lgre du facial et pouvait recevoir une explication de pure m-canique. Je vais faire appel maintenant des considrations d'ordre clinique qui mepermettront de conclure dans le mme sens et que je n'ai rserves que pour la nettetde mon exposition.

    Si la thse que je soutiens est fonde, toutes les causes morbides qui diminuerontou supprimeront le tonus des muscles du visage, devront les loigner du sourire et lesrapprocher au contraire de l'expression oppose, celle de l'abattement. Inversementtoutes les causes morbides qui augmenteront le tonus des muscles du visage devronttendre produire le sourire ou le produire effectivement. Or ce sont l des consquen-ces que la pathologie nerveuse vrifie pleinement.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 39

    C'est un fait signal partout, et d'ailleurs facile vrifier, que dans la mlancoliepassive des alins le tonus musculaire est diminu pour tous les muscles du corps.Le dprim va lentement, il se trane les bras tombants, la tte penche sur la poi-trine ; il s'appuie, pour ne pas tomber, sur les objets qui l'entourent, il plie sur lesgenoux et s'effondre plus qu'il ne s'assied.

    Fig. 7

    Examinez ses muscles en dtail, aux bras, aux jambes, aux cuisses, vous serezsouvent frapps de leur flaccidit et de leur relchement ; vous les trouverez amolliset allongs, sans rsistance contre les mouvements passifs que vous imprimez auxmembres, lents reprendre leur situation et leur forme primitive si vous les en cartezen les tiraillant.

    Les causes qui produisent cet hypotonus et qui l'entretiennent, ne sont pasconnues avec plus de prcision que les causes qui, dans la joie, produisent et entre-tiennent l'accroissement du tonus.

    Faut-il admettre que dans un organisme ou le sang circule lentement, o la nutri-tion profonde se fait mal, les extrmits sensibles des nerfs cutans, musculaires,viscraux, transmettent aux centres moteurs de la moelle et du cerveau des excitationsplus faibles qui se traduisent par un moindre tonus ? Doit-on penser que les centres

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 40

    eux-mmes, anmis, dnourris, rpondent par des impulsions motrices plus faibles des excitations qui sont restes les mmes ? Les deux hypothses sont soutenables, etl'on peut mme en concevoir une troisime qui les combine. Tout ce que nous savonsavec certitude, c'est que, dans la dpression, le tonus musculaire est trs diminu, etcette diminution va entraner sur le visage une expression non seulement diffrente decelle du sourire, mais exactement inverse, celle de la tristesse abattue. Le trait le plussaillant est la chute des joues qui s'aplatissent et s'effacent. En mme temps dispa-raissent les sillons labio-nasal et orbitaire qui sont toujours un peu marqus l'tatnormal, par suite du tonus. Le visage perd, en s'allongeant, ses reliefs caractristiques.

    Cette expression toute ngative dont, la mlancolique Eugnie et le mlancoliqueAlbert nous offrent un exemple assez net (figure 8) provient de l'atonie d'un trsgrand nombre de muscles que, nous connaissons bien : l'lvateur propre de la lvresuprieure, le petit zygomatique, le grand zygomatique, etc. Lorsqu'ils se contrac-taient, ils provoquaient le sourire dans la partie infrieure du visage, en se relchantils donnent l'expression oppose de la mlancolie.

    Fig. 8

    Quelquefois, lorsque le relchement des masticateurs est extrme, la mchoirepend en vertu de son poids et la bouche s'entr'ouvre plus ou moins, mais ce derniertrait est assez rare, mme chez les alins dprims, plus souvent, la bouche resteferme et la masse charnue des joues qui retombent, entrane lgrement vers le bas lacommissure des lvres 1. Le nez s'amincit par suite du relchement du muscle dilata-teur et semble s'allonger cause de l'effacement des joues.

    1 Notons en passant quil ne s'agit pas de cet abaissement actif de la commissure labiale qui rsulte

    de la contraction du triangulaire et que Darwin a trs justement signal dans la douleur morale.Nous parlons dans cette analyse de la mlancolie rsigne dont l'expression est toute passive et

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 41

    Les yeux sont quelquefois mi-clos cause de l'atonie du releveur des paupires ;d'autres fois ils sont grands ouverts et ternes parce que lorbiculaire est relch et qu'iln'exerce plus sur le contenu liquide de la capsule cette tension qui, normalement, faitson clat. Les sourcils, arqus l'ordinaire par une contraction lgre du frontal, sedtendent et s'allongent, tandis que leur queue se rapproche du rebord orbitaire.

    Il y aurait quelque difficult suivre avec plus de dtails la comparaison dusourire et de l'expression dpressive, pour la simple raison que cette dernire, tantpassive, ne peut se manifester avec la mme prcision et se rsume en dfinitive dansun relchement gnral, mais on m'accordera bien que, dans les grandes lignes,l'opposition est assez marque. Le visage tout entier s'allonge dans la mlancolie,tandis qu'il s'arrondissait dans le sourire, et bien des mtaphores populaires traduisentsous une forme triviale ces deux traits essentiels 1 et contraires. Il est donc manifesteque l'atonie des muscles du visage produit, dans le cas de dpression, une expressionqui s'oppose dans son ensemble l'expression du sourire, et c'est une premireconfirmation indirecte apporte par la pathologie la loi que nous avons formule.

    Mais il ne s'agit encore l que d'atonie musculaire ou plutt d'hypotonie, puisqueles muscles du visage sont toujours en relation avec les rameaux du facial ou du nerfmaxillaire infrieur qui les innervent et qui leur apportent encore quelques excita-tions. On pourrait concevoir une exprience plus dcisive o l'action du facial seraitcompltement annihile, et c'est justement cette exprience qui se ralise d'elle-mmedans la paralysie faciale. Dans cette affection bien connue et dont la psychologie del'expression n'a pas encore tir tout le parti possible, on peut distinguer plusieursformes, suivant que la lsion sige : 1 dans le cerveau, sur le centre cortical ou sur letrajet des fibres qui l'unissent au noyau bulbaire ; 2 dans le bulbe, sur le noyau ou surle trajet intrabulbaire du nerf, et enfin 3 sur le nerf lui-mme ; mais la paralysiebulbaire pouvant tre considre comme une simple varit de la paralysie du nerf, onne dcrit en gnral que deux espces de paralysies faciales, la paralysie priphriqueet la paralysie crbrale ou centrale.

    Dans la paralysie priphrique tous les muscles du ct ls ont perdu nonseulement leur tonus normal mais leur motilit volontaire ; ils sont dans un tat derelchement continu. La moiti paralyse du visage est comme tale et porte enavant par rapport la moiti saine ; celle-ci rabougrie, ride par la contraction de sesmuscles qui ne sont plus contre-balancs, est comme cache derrire l'autre et paratavoir moins d'tendue verticale.

    Les fonctions des muscles faciaux ne s'exerant plus dans la partie paralyse, onpeut y relever un certain nombre de troubles fonctionnels qui, dans la mesure o ils

    non de la souffrance tonique dont l'expression active obit des lois beaucoup plus compliques.Cf. La Tristesse et la Joie, chap. VIII (F. Alcan, 1900).

    1 Cf. l'expression : rigoler comme une tourte, faire une mine d'un pan de long, et bien d'autres

    expressions analogues de la langue populaire.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 42

    sont apparents, concourent modifier l'expression du sujet. La bouche, attire du ctsain par le tonus des muscles non paralyss, est dvie vers le haut et sa partiemoyenne ne correspond plus l'axe du corps.

    Les lvres tant paralyses d'un ct, l'air soulve passivement la partie devenueinerte lorsque l'expiration se fait par la bouche ; le malade a, comme on dit, l'air defumer la pipe.

    Les joues qui tombent par suite de la paralysie des zygomatiques forment autourde la commissure abaisse une sorte de bourrelet.

    L'aile du nez, au lieu de s'carter activement comme dans l'inspiration normale,est aplatie et inerte par suite de la paralysie du dilatateur et, sous la pression de l'airextrieur, se rapproche de la cloison chaque inspiration.

    L'il, largement ouvert, ne peut plus se fermer ; l'orbiculaire paralys laisse pr-dominer l'action du releveur de la paupire, et le clignement est impossible. La cornedcouverte est expose au contact de l'air et peut tre le sige d'inflammationsdiverses.

    Fig. 9

    Les larmes ne sont plus attires vers les points lacrymaux et le canal nasal par lacontraction tonique du muscle de Horner, et elles s'coulent continuellement sur lajoue. Sur le front, les rides s'effacent compltement du ct malade, par suite de laparalysie du frontal ; la peau se lisse et s'tale, et ce symptme faisait dire trs juste-ment Romberg que la paralysie faciale est le meilleur des cosmtiques pour fairedisparatre les signes de la vieillesse.

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    Cette description qu'on retrouve partout peut s'illustrer ici par le cas particulier deJustine, une infirmire du service du Pr Joffroy, atteinte depuis l'ge de quatre ansd'une paralysie faciale gauche priphrique, la suite d'une lsion traumatique durocher qui a dtermin la section complte du facial. Dans la photographie que j'enprsente (figures 9 et 10), on peut distinguer la plupart des caractres signals ci-dessus, le relchement des muscles, l'affaissement de la partie charnue du visage,l'allongement de la moiti paralyse, l'abaissement de la commissure labiale, ladiminution du calibre nasal, l'agrandissement apparent du globe oculaire, etc.

    Mmes remarques faire sur le cas de Jean (figures 11 et 12), un malade deSainte-Anne qui a t atteint de paralysie faciale droite la suite d'une tentative desuicide. La balle, qui a pu tre extraite, s'tait loge dans le rocher o elle avaitdtermin une hmisection du nerf moteur de la face ; d'o relchement des muscles,affaissement des traits, abaissement de la commissure labiale et autres symptmesdj connus.

    Fig. 10

    Or ces diffrents traits de la paralysie faciale en gnral et de la paralysie deJustine et de Jean en particulier, sont justement ceux que nous numrions plus hautcomme caractristiques de la mlancolie ou de la tristesse rsigne. Si vous endoutez, considrez les figures 9 et 11, o la partie saine du visage est cache par dunoir, et vous n'aurez plus devant vous, surtout avec la figure 11, que l'expressiond'une grande, tristesse, l'exagration de l'expression triste telle que nous l'avonsdcrite.

    Que conclure, sinon que la paralysie faciale quivalant dans l'espce la sectiondu nerf et l'interruption artificielle du courant sensitivo-moteur, elle ralise parl'atonie complte des muscles l'expression la plus oppose au sourire qu'il soit possi-ble de concevoir. Les muscles du visage, lorsqu'ils sont paralyss, s'loignent dusourire pour prendre, en vertu d'une simple loi de mcanique, l'expression de latristesse et de l'abattement.

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 44

    Fig. 11

    La paralysie faciale d'origine crbrale est une des manifestations les plusfrquentes de l'hmiplgie. La lsion qui la provoque peut siger, soit sur le centrecortical des mouvements volontaires de la face, dans la zone de Rolando, soit sur letrajet des fibres qui un unissent ce centre au noyau bulbaire ; ces fibres qui constituentune voie motrice descendante forment, avec les fibres homologues de l'hypoglosse etdu masticateur, le faisceau gnicul, et, comme elles franchissent la ligne mdiane l'tage ventral de la protubrance, c'est toujours sur le ct oppos de la face qu'unelsion provoque la paralysie. Quelquefois la face est seule frappe ; plus souvent, cause des connexions anatomiques des fibres faciales, une mme lsion donne lieu une paralysie de la face et une paralysie de la langue ou des membres.

    Fig. 12

    Pendant longtemps on a cru que le principal caractre des paralysies facialesd'origine crbrale tait de respecter lorbiculaire des paupires dans la majorit descas, et c'est mme sur cette constatation d'ordre clinique qu'on fondait la prtendue

  • Georges Dumas, Le sourire. Psychologie et physiologie (1948), 2e dition. 45

    distinction des deux centres corticaux du facial, mais un examen plus attentif amontr que le facial est frapp dans sa totalit par les hmiplgies ordinaires et faitjustice de cette distinction. En r