droit processuel appliqué aux propriétés intellectuelles

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Chroniques PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JANVIER 2017 / N°62 57 I. Droit processuel français 1. Requête fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile A. Les expertises de tri Droit à la preuve – Secret des affaires – Expertise de tri – Secret professionnel des avocats • Cass. 1 re civ., 25 février 2016 pourvoi n° 14-25729 publié au Bulletin 1 L’avocat du requérant d’une mesure d’instruction ne doit pas assister au tri des pièces confidentielles saisies Comme on l’a vu l’année dernière, le droit à la preuve de tout plaideur, d’une part, et le droit au secret des affaires, d’autre part, sont tous les deux des droits fon- damentaux, si bien que lorsqu’ils s’opposent, il faut les concilier pour trouver un juste équilibre in situ 2 . Certes, il est bien clair que le secret ne saurait faire obstacle à l’obtention de preuves pertinentes pour le litige, mais l’atteinte à ce secret des affaires deviendrait disproportionnée si des preuves étaient collectées ou sai- sies alors qu’elles étaient sans rapport avec le litige. Ce conflit est particulièrement tendu quand les preuves sont obtenues en exécution d’une ordonnance obtenue unilatéralement (sans contradiction possible), comme une ordonnance rendue sur requête et fon- dée sur l’article 145 du CPC ou une ordonnance de saisie-contrefaçon. Quant aux mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du CPC, s’est développée alors depuis quelques années une pratique (systématiquement sui- vie au tribunal de commerce de Paris) qui consiste à imposer d’abord une mise sous séquestre provisoire de Droit processuel appliqué aux propriétés intellectuelles CHARLES DE HAAS AVOCAT AU BARREAU DE PARIS TANGUY DE HAAN AVOCAT AU BARREAU DE BRUXELLES toutes les pièces saisies, à charge pour le requérant d’assi- gner son ou ses adversaires en référé pour ordonner une mesure de tri et permettre ainsi de faire contradictoire- ment le départ entre les pièces méritées par le requérant et les autres. À peu près la même chose est possible par applica- tion de plusieurs textes du Code de la propriété intel- lectuelle en matière de saisie-contrefaçon 3 . Dans l’affaire dont la Cour de cassation a eu à connaitre, c’est le juge des référés qui a procédé lui- même à ce tri nécessaire alors qu’il est si douteux que ce tri relève bien de son office qu’on préconisera plutôt de recourir pour ce faire à un expert judiciaire. Quoi qu’il en soit, la question s’est alors posée de savoir qui, en dehors du juge qui s’y est collé, peut assister à cette mesure de tri. Jusqu’à cet arrêt de février 2016 de la Cour de cassation, bien peu d’entre nous doutait que les conseils en propriété industrielle ou les avocats de toutes parties le pouvaient 4 . De façon surprenante, l’ar- rêt condamne au contraire l’assistance de l’avocat du requérant de la mesure, car « le secret professionnel des avocats ne s’étend pas aux documents détenus par l’ad- versaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires ». En d’autres termes, la présence de l’avocat du requérant risquerait trop de compromettre le secret 1. Note de P. Théry in RTD Civ., avr.-juin 2016, p. 439 s. 2. CJUE, 16 juil. 2015, aff. C-580/13 et nos obs. dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 105 s. 3. Notam. par les art. R. 521-5, R. 615-4, R. 622-6, R. 623-53-1, R. 716-5 et R. 722-5 du CPI et pour une description plus détaillée de cette mesure spéciale en matière de saisie-contrefaçon de brevet, lire la 3 e édition de l’ouvrage de P. Véron, La saisie-contrefaçon, § 133.23, p. 118 et 119. 4. En ce sens : P. Véron, La saisie-contrefaçon, 3e éd., § 133.23, p. 118 et 119.

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Chroniques

P R O P R I É T É S I N T E L L E C T U E L L E S , J A N V I E R 2 0 1 7 / N ° 6 2 57

I. Droit processuel français

1. Requête fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile

A. Les expertises de tri

■■ Droit à la preuve – Secret des affaires – Expertise de tri – Secret professionnel des avocats

• Cass. 1re civ., 25 février 2016 pourvoi n° 14-25729 publié au Bulletin1

L’avocat du requérant d’une mesure d’instruction ne doit pas assister au tri des pièces confidentielles saisies

Comme on l’a vu l’année dernière, le droit à la preuve de tout plaideur, d’une part, et le droit au secret des affaires, d’autre part, sont tous les deux des droits fon-damentaux, si bien que lorsqu’ils s’opposent, il faut les concilier pour trouver un juste équilibre in situ2.

Certes, il est bien clair que le secret ne saurait faire obstacle à l’obtention de preuves pertinentes pour le litige, mais l’atteinte à ce secret des affaires deviendrait disproportionnée si des preuves étaient collectées ou sai-sies alors qu’elles étaient sans rapport avec le litige.

Ce conflit est particulièrement tendu quand les preuves sont obtenues en exécution d’une ordonnance obtenue unilatéralement (sans contradiction possible), comme une ordonnance rendue sur requête et fon-dée sur l’article  145 du CPC ou une ordonnance de saisie-contrefaçon.

Quant aux mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du CPC, s’est développée alors depuis quelques années une pratique (systématiquement sui-vie au tribunal de commerce de Paris) qui consiste à imposer d’abord une mise sous séquestre provisoire de

Droit processuel appliqué aux propriétés intellectuelles CHARLES DE HAASAVOCAT AU BARREAU DE PARIS

TANGUY DE HAANAVOCAT AU BARREAU DE BRUXELLES

toutes les pièces saisies, à charge pour le requérant d’assi-gner son ou ses adversaires en référé pour ordonner une mesure de tri et permettre ainsi de faire contradictoire-ment le départ entre les pièces méritées par le requérant et les autres.

À peu près la même chose est possible par applica-tion de plusieurs textes du Code de la propriété intel-lectuelle en matière de saisie-contrefaçon3.

Dans l’affaire dont la Cour de cassation a eu à connaitre, c’est le juge des référés qui a procédé lui-même à ce tri nécessaire alors qu’il est si douteux que ce tri relève bien de son office qu’on préconisera plutôt de recourir pour ce faire à un expert judiciaire. Quoi qu’il en soit, la question s’est alors posée de savoir qui, en dehors du juge qui s’y est collé, peut assister à cette mesure de tri. Jusqu’à cet arrêt de février 2016 de la Cour de cassation, bien peu d’entre nous doutait que les conseils en propriété industrielle ou les avocats de toutes parties le pouvaient4. De façon surprenante, l’ar-rêt condamne au contraire l’assistance de l’avocat du requérant de la mesure, car « le secret professionnel des avocats ne s’étend pas aux documents détenus par l’ad-versaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires ». En d’autres termes, la présence de l’avocat du requérant risquerait trop de compromettre le secret

1. Note de P. Théry in RTD Civ., avr.-juin 2016, p. 439 s.2. CJUE, 16 juil. 2015, aff. C-580/13 et nos obs. dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 105 s.3. Notam. par les art. R. 521-5, R. 615-4, R. 622-6, R. 623-53-1, R. 716-5 et R. 722-5 du CPI et pour une description plus détaillée de cette mesure spéciale en matière de saisie-contrefaçon de brevet, lire la 3e édition de l’ouvrage de P. Véron, La saisie-contrefaçon, § 133.23, p. 118 et 119.4. En ce sens : P. Véron, La saisie-contrefaçon, 3e éd., § 133.23, p. 118 et 119.

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des affaires attaché à des pièces ou des informations sans rapport avec le litige alors que rien n’interdit à cet avo-cat de communiquer ces informations à son client. Le même raisonnement devrait sans doute être appliqué aux conseils en propriété industrielle de la requérante. La violation du principe du contradictoire est flagrante, mais la préservation proportionnelle du secret des affaires est à ce prix.

Le tri ne peut donc se faire qu’en présence de l’avocat ou du conseil de la partie dont les pièces ont été saisies (qu’il soit défendeur au fond ou non) ou bien, à défaut même de cette présence, par l’expert, voire le juge, tout seul et l’on ne voit pas pourquoi il faudrait appliquer une autre solution en matière de saisie-contrefaçon.

Tel est donc le nouvel équilibre in situ dicté par la Cour de cassation qui, lors de ces délicates opérations de tri, concilie sans doute mieux aujourd’hui qu’hier une meilleure préservation du secret des affaires et le droit à la preuve, guère compromis pour autant.

Une petite question perfide vient à l’esprit pour finir  : si le conseil en propriété industrielle peut bien (tout comme un avocat) transmettre toutes les informa-tions secrètes à sa cliente, y compris celles qui seraient même sans rapport avec le litige, cela ne le discrédite-t-il pas à nouveau5 son assistance en qualité d’expert à toute saisie-contrefaçon ?

C. DE HAAS

B. Délimitation des pouvoirs du juge de la rétractation

■■ Compétence d’attribution – Pouvoirs du juge de la rétraction – Vices consécutifs à l’exécution de la mesure

• Cass. 2e civ., 17 mars 2016 pourvoi n° 15-12456 publié au Bulletin

Qui peut rétracter ne peut annuler !

L’arrêt rapporté est consécutif à l’exécution d’une mesure d’instruction ordonnée unilatéralement sur le fondement de l’article 145 du CPC. Les modalités de cette exécution étaient contestées, car l’ordonnance n’autorisait que l’assistance d’un huissier et d’experts alors que d’autres personnes avaient assisté aux opéra-tions (des stagiaires et un clerc de l’huissier).

On verra un peu plus loin que ce vice n’est pas, tant s’en faut, toujours sanctionné6, mais la question posée ici est tout autre, car, curieusement, le défendeur avait cru pouvoir saisir le juge de la rétractation pour s’en plaindre. Le juge des requêtes saisi en référé lui accordait pourtant la rétractation qui était même confirmée en appel, mais la Cour de cassation refuse la manœuvre, car  : «  pour rétracter l’ordonnance […], l’arrêt [d’ap-pel] se fonde uniquement sur un grief relatif à l’exé-cution de l’ordonnance […] alors que le contentieux

de l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article  145 du Code de procédure civile, qui n’affecte pas la décision ayant ordonnée cette mesure, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétracta-tion, la cour d’appel, qui n’a pas statué sur les mérites de la requête, a violé les textes susvisés [soit les articles 496 alinéa 2 et 497 du CPC] ». Pour se plaindre d’un vice tenant à l’exécution de la mesure, il faut donc réclamer la nullité du procès-verbal au juge du fond sans saisir le juge de la rétractation qui n’a pas le pouvoir d’en connaitre.

La solution n’est pas nouvelle7 et elle est aussi logi-quement consacrée en matière de saisie-contrefaçon8, car le problème s’y pose exactement dans les mêmes termes. En revanche, comme on l’a vu l’année dernière, le juge du fond peut lui-même – sans évidemment rétracter l’or-donnance - annuler les opérations d’exécution pour des motifs tirés de l’ordonnance dont l’exécution resterait autrement irréprochable9.

Si cette dernière contorsion appelle bien des réserves10, la rigueur renouvelée de la Cour de cassation en présence de la figure inverse ne peut qu’être approuvée.

C. DE HAAS

5. On se souviendra qu’après quelques hésitations, la jurisprudence s’était finalement fixée sur la possibilité de faire assister en qualité d’expert le conseil en propriété industrielle habituel de la requérante (depuis en par-ticulier : Cass. com., 8 mars 2005, pourvoi n° 03-15871 et nos obs. dans cette revue : Propr. intell. n° 17, p. 457)6. V. infra.7. Cass. 1re civ., 13 juil. 2015, pourvois n° 05-10519 et 05-10521.8. CA Douai, 4 févr. 2002, PIBD n° 741, III, 206 et TGI Paris, ord. réf. (3), 8 juill. 2011, RG n° 11/08209, 11/08210 et 11/08211.9. V. la jurisprudence commentée dans cette revue  : Propr. intell. n° 58, p. 104 et 105.10. Ces réserves sont exprimées dans notre comm. préc.

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C. Ouverture du recours en rétractation

■■ Recours en rétractation – Ouverture au défendeur seulement potentiel

• Cass. 2e civ., 1er septembre 2016 pourvoi n° 15-1979911 publié au Bulletin

Tout défendeur potentiel, fût-il distinct de la personne qui subit la mesure d’instruction, peut exercer le recours en rétractation contre une ordonnance unilatérale fondée sur l’article 145 du CPC.

Une mesure d’instruction ordonnée unilatéralement sur le fondement de l’article 145 du CPC est exécutée dans les locaux d’une première société A pour faire la preuve de faits de concurrence déloyale reprochés aussi à d’autres personnes, y compris à une seconde société B du même groupe ainsi qu’à d’anciens salariés de la requérante ayant rejoint ce groupe.

La société A fait un recours en rétractation puis la société B et les anciens salariés de la requérante inter-viennent volontairement à titre principal. Sont-ils recevables en leur intervention ?

La cour d’appel de Douai avait répondu par la négative à cette question, mais la Cour de cassation la censure pour ne pas avoir recherché si ces intervenants avaient « la qualité de défendeurs potentiels à l’action au fond envisagée, ce qui leur aurait conféré un droit propre à intervenir à titre principal ».

Si, un défendeur potentiel dispose de ce droit propre à intervenir à titre principal (c’est-à-dire de façon auto-nome), il ne fait guère de doute qu’il peut aussi exer-cer seul et séparément le même recours, ce qui pourrait compliquer singulièrement la procédure en multipliant ces recours pendant fort longtemps (le recours en rétrac-tation n’étant enfermé dans aucun délai)12.

Il est vrai que l’article 496 du CPC ouvre ce recours en rétractation à «  tout intéressé  ». Pourtant, comme on l’a vu l’année dernière, la copie de la requête et de l’ordonnance ne doit finalement être laissée qu’à la personne qui subit l’exécution de la mesure13, ce qui retarde l’information des autres défendeurs potentiels aussi bien que leurs éventuels propres recours.

Surtout, comme on l’a vu aussi l’année dernière, les juges du fond peuvent désormais annuler les opé-rations pour des motifs tirés de l’ordonnance14. Cette ouverture de la nullité a été reconnue en matière de saisie-contrefaçon, mais on ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas jouer en matière de mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du CPC, le problème se posant bien dans les mêmes termes.

L’ouverture en plus du recours en rétractation aux défendeurs au fond est-elle utile alors que leurs inté-rêts sont déjà bien suffisamment protégés par cette ouverture de la nullité  devant le juge du fond ? De façon générale, et pas seulement vis-à-vis de ces défen-deurs potentiels, il apparaitrait bien plus souhaitable de reconnaitre que dès que le juge du fond est saisi,

la faculté d’obtenir de lui la nullité des opérations pour des motifs tirés de l’ordonnance exclut pour tout défendeur au fond un quelconque intérêt à agir encore en rétractation15.

C. DE HAAS

2. Saisie-contrefaçon

■■ 1. Saisie-contrefaçon – Exécution de l’ordonnance – Présentation préalable de la minute

• TGI Paris 3e ch. 2e sect., 11 mars 2016 RG n° 13/12818 PIBD n° 1053, III, 536• CA Paris, pôle 5-2, 18 décembre 2015 RG n° 13/23093

Porter n’est pas présenter, mais suffirait quand même.

Certains plaideurs n’en démordent pas pour continuer à invoquer ce nouveau vice qui résulterait du défaut de présentation préalable de la minute (c’est-à-dire de l’original) de l’ordonnance alors qu’elle a pourtant bien été signifiée. Ce nouveau vice a déjà été sanctionné quelques fois ces dernières années16.

Dans les deux affaires ici rapportées, la défense invo-quait donc ce nouveau vice, mais il est écarté au même motif qu’il aurait été établi que l’huissier était «  por-teur » de cette minute.

Dans la première affaire, cette circonstance est curieusement déduite de la signification préalable (d’une copie) de l’ordonnance, pourtant bien réalisable sans disposer de l’original de l’ordonnance. Dans la seconde affaire, le fait était bien établi par le procès-ver-bal lui-même qui vaut, notamment sur ce point, jusqu’à inscription de faux. Établi ou pas, le fait devrait au contraire rester inopérant. L’alinéa 2 de l’article 495 du CPC dispose que l’ordonnance « est exécutoire au seul vu de la minute » et il ne fait guère de doute que pour réaliser cette condition, il faut présenter aux personnes

11. Comm. par M. Jéhannin : D. 2016, n° 39, p. 2320 s.12. Ce risque de complexification de la procédure est dénoncé par M. Jéhannin dans sa note préc.13. Cass. 2e civ., 4 juin 2015, pourvoi n° 14-16647 et nos comm. dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 101 et 102.14. Cass. com., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-15862, PIBD n° 1027, III, 335 et nos comm. dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 104 et 105.15. L’art. 497 du CPC qui dispose que « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire » (nous soulignons en italiques) conserverait néanmoins encore un sens, mais seulement par rapport au recours en rétractation de la personne qui subit la mesure quand elle n’est pas elle-même attraite au fond.16. CA Paris pôles 5-1 et 4-8, 29 mai 2013 et 3 juil. 2014, RG n° 11/19182 et 14/05909.

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sur place17 l’original de l’ordonnance, faute de quoi, il ne saurait être vu. Il est, certes, nécessaire que l’huissier soit porteur de cette minute, mais pas suffisant.

Il existe pourtant une possibilité d’interpréter cette condition comme supplétive et donc superflue dès que l’ordonnance a bien fait l’objet d’une signification, car c’est bien cette dernière formalité qui permet en droit commun de rendre exécutoire toute décision selon l’ar-ticle 503 du CPC18.

En attendant, se contenter de relever que l’huissier était porteur de la minute apparait bien insuffisant.

C. DE HAAS

■■ 2. Saisie-contrefaçon – Exécution de l’ordonnance – Délai raisonnable entre la remise de l’ordonnance et le début de son exécution

• CA Paris pôle 5-2, 23 octobre 2015 RG n° 14/06720• TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 11 décembre 2015 PIBD n° 1046, III, 269• TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 17 décembre 2015 PIBD n° 1046, III, 263

Un délai raisonnable aussi contestable qu’inconsistant.

L’année dernière, nous avions observé que la jurispru-dence était partagée quant à l’exigence de ce nouveau délai raisonnable entre la remise de l’ordonnance et le début de son exécution après avoir relevé six décisions dans ce sens mais six autres en sens contraire19.

Dès la toute première apparition de cette exigence, il y a un peu plus de sept ans20, ce sont « les droits de la défense  » qui avaient été avancés pour la fonder, mais ces droits ne se conçoivent précisément qu’à partir du moment où le procès est engagé et non pas avant, alors qu’un effet de surprise est essentiel pour rétablir un juste équilibre entre celui qui veut collecter des preuves des faits qu’il soupçonne et la personne visée qui, si elle était déjà avertie de l’éventualité du procès, pourrait facile-ment les dissimuler.

Ce nouveau délai raisonnable a donc été imposé contra legem puisque l’ordonnance est réputée exécutoire au seul vu de la minute21, sinon à compter de sa signi-fication22 et donc sans aucun délai à compter de l’une ou l’autre de ces formalités. Comme la Cour de cassa-tion venait de nier cette exigence23, les trois décisions des juges du fond ici rapportées, toutes rendues à la fin de l’année  2015 et la consacrant encore, surprennent même si, pour diverses raisons toute nullité est écartée. Dans la première affaire, c’est pour défaut de démonstra-tion d’un grief que la nullité est écartée, mais s’il s’agit de sanctionner une atteinte aux droits de la défense, le grief devrait pouvoir être déduit de ce seul fait. Dans la seconde affaire, un délai de cinq minutes est jugé suffisant et dans la troisième, le fait que, selon le procès-verbal, la personne sur

place réponde aux questions de l’huissier démontrerait que le délai a été suffisant. Est-il alors bien utile de maintenir cette exigence si discutable en théorie alors qu’il est si facile de passer outre ou de la satisfaire en pratique ?

C. DE HAAS

■■ 3. Saisie-contrefaçon – Exécution de l’ordonnance - Assistance de tiers non prévue par l’ordonnance

• Cass. com., 3 mai 2016 pourvoi n° 13-23416 inédit• CA Paris pôle 5-2, 23 octobre 2015 RG n° 14/06720• TGI Paris 3e ch., 3e sect., 10 juin 2016 RG n° 13/1694724

L’assistance aux opérations de saisie-contrefaçon de personnes non expressément prévues par l’ordonnance tolérée.

Dans la première affaire rapportée, l’ordonnance autorisait un seul huissier instrumentaire à se faire accompagner par un représentant de la force publique, par un mandataire de la requérante « pris en dehors de ses préposés » et par un photographe. Il y aurait beaucoup à dire sur cette assis-tance autorisée de la force publique et d’un mandataire de la requérante25, mais la question n’est pas là. La question posée ici est de savoir si l’assistance de trois autres huissiers non prévus par l’ordonnance viciait les opérations.

Dans les deuxièmes et troisièmes affaires, la même question se posait à ceci près que, c’était une équipe de six personnes non identifiées, d’une part, et la secrétaire de l’huissier, d’autre part, qui assistaient respectivement aux opérations alors que l’ordonnance ne le prévoyait pas.

Dans les trois affaires, la saisie-contrefaçon n’est pourtant pas jugée nulle au motif essentiel que l’or-donnance n’interdisait pas l’assistance de toutes ces per-sonnes même non prévues, la chambre commerciale de la Cour de cassation et le tribunal de Paris relevant aussi qu’aucun grief n’avait été démontré.

17. De même qu’il faut remettre aux mêmes personnes sur place la copie de l’ordonnance en application de l’alinéa suivant (3) du même art. 495 du CPC (v. sur ce point précis nos explications dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 101 s.).18. Pour une démonstration de ce caractère supplétif, lire nos explications plus détaillées dans cette revue : Propr. intell. n° 53, p. 446 s.19. Cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 102.20. TGI Paris, 6 oct. 2009, PIBD n° 909, III, 29.21. Par application de l’al. 2 de l’art. 495 du CPC.22. À supposer qu’on puisse aussi appliquer l’art. 503 du CPC comme on le préconise un peu plus haut.23. Cass, 1re civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 13-25311 (publié au Bulletin).24. PIBD, n° 1061, III, 926.25. Sur ces points, v. ce que nous en disons dans le J.-Cl. Marques – Dessins et modèles, fasc. 3470 (saisie-contrefaçon), § 98 et 100 à 105.

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La jurisprudence n’a pas toujours été aussi laxiste. L’an-née dernière, on l’a vu, le fait qu’un tiers non identifié assiste aux opérations a, tout au contraire, été jugé devoir emporter la nullité de la saisie-contrefaçon, et ce, pourtant en l’absence de tout grief, la nullité étant même qualifiée de nullité de fond26, cela même si, l’excès de pouvoir de l’huis-sier aurait sans doute mieux justifié cette nullité sans grief. En tout cas, l’ordonnance s’analysant bien comme une mesure intrusive exceptionnelle, une interprétation stricte des autorisations s’imposait bien. Auparavant, toutefois, la jurisprudence avait fait preuve du même laxisme en voyant là encore une cause de nullité de forme pour admettre néanmoins la validité de la saisie-contrefaçon à défaut de la démonstration d’un grief27. Quand la mesure d’instruction est ordonnée sur le fondement de l’article 145 du CPC, cette assistance de personnes pourtant non auto-risées parait même tolérée sans la moindre réserve28.

C’est donc, sur ce point encore, un principe d’incer-titude qui domine et, en dépit de ce mouvement laxiste dominant et par sécurité, on recommandera néanmoins de veiller à ce que seules des personnes autorisées et expressément identifiées comme telles assistent effecti-vement aux opérations de saisie-contrefaçon.

C. DE HAAS

3. Retenues et saisies douanières

■■ Saisies douanières – Constatation nécessaire du caractère contrefaisant par les Douanes

• CA Paris pôle 5-7, 13 septembre 2016 RG n° 15/1385829

Pour saisir les marchandises suspectées de contrefaçon, les Douanes ne peuvent pas se contenter des déclarations des titulaires, mais doivent constater elles-mêmes leur caractère contrefaisant.

Voilà une décision importante, car elle condamne une pratique habituelle, mais néanmoins inadmissible en droit et la cour de Paris y met enfin bon ordre !

La procédure était pourtant la plus ordinaire en la matière. À la suite d’un contrôle (le 4 février 2015), les Douanes mettent en retenue des marchandises soupçon-nées de contrefaire plusieurs marques et modèles. Sol-licités, les titulaires de ces marques et modèles confir-ment aussitôt que selon eux, il s’agit bien de contrefaçons. Le 17 février 2015, les Douanes notifient au détenteur de ces marchandises l’infraction douanière de contrebande et procèdent à leur saisie, le tout au seul motif de ce qu’elles dénomment l’« expertise » des titulaires. Un mois plus tard, le détenteur assigne en référé les Douanes essentiellement pour réclamer la mainlevée de la saisie et la restitution des mar-chandises ce que lui refuse le président du TGI de Bobigny30. Mais la cour de Paris réforme l’ordonnance pour ordonner la mainlevée de la saisie, la restitution des marchandises et même condamner les Douanes à payer une provision sur les dommages et intérêts outre une indemnité au titre de l’ar-ticle 700 du CPC. Deux vices étaient dénoncés :

- d’abord, aucune action en justice n’avait été intro-duite dans le délai de dix jours à compter de la mise en retenue du 4 février 2015 pour pouvoir maintenir cette retenue conformément aux articles L. 521-14 et L. 716-8 du CPI de sorte que sa mainlevée s’imposait de plein droit au terme de ce délai ;- ensuite, pour procéder bien plus tard (le 17 février 2015) à la saisie des mêmes marchandises en application d’autres textes du Code des Douanes31, les Douanes se sont fondées exclusivement sur les déclarations des titu-laires des droits.

La cour constate le premier vice, mais, fort curieuse-ment, elle oublie de le sanctionner ce qui fait que même si elle ordonne par ailleurs la mainlevée de la saisie, la retenue, quant à elle, n’est pas levée. Comme la cour ordonne cependant la restitution des marchandises, on peut néanmoins penser qu’elle a voulu ordonner aussi la mainlevée de la retenue (sans laquelle la restitution ne serait pas permise) ce que pourrait corriger une requête en omission de statuer par application de l’article 463 du CPC (si, comme on l’espère, l’appelant avait bien fait cette demande) sinon, une requête en interprétation par application de l’article 461 du CPC.

Mais l’arrêt est surtout intéressant en ce qu’il admet que les Douanes ne peuvent pas se fonder exclusivement sur les déclarations des titulaires de droits pour saisir les mêmes marchandises, car cette saisie suppose que le délit douanier de contrebande ait été constaté. On sait en effet que l’article 38 du Code des Douanes assimile ce qu’il dénomme si mal des « marchandises de contrefaçon »32 aux marchandises les plus dangereuses dont l’importation est le plus durement prohibées comme les drogues, les organes humains, certaines armes, les médicaments dan-gereux ou les images pédophiles pour leur appliquer un régime extrêmement sévère (indépendamment de toute retenue) avec, notamment, cette faculté qui est donnée aux Douanes de les saisir immédiatement par précaution et sans procès, avant même de les détruire33.

À l’évidence, ce régime aussi sévère ne peut se déduire exclusivement des déclarations des titulaires des

26. Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, pourvoi n° 14-11.853 et notre comm. dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 102.27. CA Paris, 18 avr. 1984, PIBD 1984, n° 355, III, 245 ; TGI Paris, 12 sept. 1990, PIBD 1991, n° 491, III, 7 et CA Paris, 15 janv. 1997, PIBD 1997, n° 639, III, 517.28. Cass. 1re civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 15-12456.29. PIBD, n° 1060, III, 894.30. Ordo. de référé du président du TGI de Bobigny du 11 mai 2015, n° 2015/00712.31. Code des Douanes, art. 38, 38-4, 215, 215 bis, 323, 414 et 419.32. Alors que la contrefaçon est un comportement, cette qualification étant même suspendue au défaut de consentement du titulaire et pouvant même s’appliquer à une marchandise authentique.33. Sur ce régime, v. notre article : Retenues douanières, rien ne sert de les maintenir quand on peut faire saisir, Com., com. électr., juil.-août 2011, FP, § 11.

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droits. Pourquoi ne pas s’en tenir à l’inverse aux déclara-tions des détenteurs des marchandises, tant qu’on y est ? Certes, les statistiques dont les Douanes sont si fières chuteraient, mais la pratique inverse n’en serait pas plus choquante en droit.

Le moins qu’il faille donc exiger, c’est que les Douanes prennent leur responsabilité en constatant elles-mêmes la commission de ce délit douanier. C’est ce qu’affirme logi-quement cet arrêt qu’il faut saluer, car il condamne une pratique aussi répandue que juridiquement inadmissible.

À l’avenir, il faut même espérer que les Douanes ne se contenteront pas d’insérer des formules toutes faites dans leurs procès-verbaux pour satisfaire seulement for-mellement l’exigence. Une constatation d’un caractère contrefaisant digne de ce nom commande en effet de procéder à une bien délicate appréciation, en matière de marque, d’un risque de confusion dès que la marque litigieuse se distingue un tant soit peu de la marque enregistrée en examinant aussi, si elle est discutée, la question du caractère distinctif ou frauduleux du dépôt de la marque première34 ou, en matière de dessin ou modèle, d’une même impression visuelle globale ou, en matière de droit d’auteur, de la reproduction de formes au fondement d’une originalité ou encore, en matière de brevet, de la reproduction de caractéristiques pro-prement revendiquées. Cette appréciation est si délicate que les juges spécialisés sont souvent critiqués quand ils y procèdent eux-mêmes et elle ne saurait donc être sérieusement accomplie par des douaniers néophytes. Une réorganisation des Douanes s’impose donc pour que ses agents les mieux rompus à ces subtiles questions puissent y procéder dès avant toute saisie douanière35.

Si les Douanes n’en sont pas capables ou si, au terme d’une telle appréciation sérieuse, elles ont encore le moindre doute, mieux vaudrait alors qu’elles s’abstien-nent de saisir, le système des retenues préservant encore proportionnellement beaucoup mieux les intérêts des titulaires des droits dans l’hypothèse.

C. DE HAAS

4. Compétence juridictionnelle

■■ 1. Compétence d’attribution du tribunal de commerce – Questions touchant à la propriété intellectuelle

• Cass. com., 16 février 2016 pourvoi n° 14-25340 publié au Bulletin• Cass. com., 16 février 2016 pourvoi n°  14-24295 publié au Bulletin36

Si, dans un litige entre commerçants, aucun droit de propriété intellectuelle n’est visé ou invoqué par les demandes principales, le tribunal de commerce reste bien compétent.

On sait que la loi attribue une compétence matérielle exclusive aux TGI spécialisés en matière de propriété intellectuelle37, notamment au seul TGI de Paris en matière de brevet.

On sait aussi que l’article L. 721-3 du Code de com-merce attribue compétence au tribunal de commerce pour connaitre des litiges ordinaires entre commerçants, c’est-à-dire aux litiges se rapportant à leurs activités commerciales38.

Comment articuler ces dispositions ? Si l’on inter-prète largement les premières, le domaine des attribu-tions du tribunal de commerce va s’en trouver restreint et si, au contraire, les dispositions spéciales à la propriété intellectuelle sont interprétées strictement, les attribu-tions du tribunal de commerce s’en trouveront d’autant élargies. C’est en particulier certaines affaires de concur-rence déloyale qui présentent le plus de proximité avec les questions relatives à la propriété intellectuelle qui peuvent faire hésiter. Tel était précisément le cas des deux affaires dont la Cour de cassation était saisie.

Dans la première, on se situait au stade préliminaire des mesures d’instruction in futurum de l’article 145 du CPC avec une requête soumise au président du tri-bunal de commerce visant la constatation de faits de concurrence déloyale, mais les mêmes faits pouvaient

34. Comme vient de l’exiger la Cour de cassation : Cass. crim., 19 mai 2016, pourvoi n° 14-86971, PIBD n° 1052, III, 501.35. Ce qui ne parait pas impossible tant la Direction générale (en parti-culier la SD-ED) ou l’agence chargée des poursuites judiciaires à Paris (qui a une compétence nationale) ont pu acquérir une solide expérience en la matière.36. Avec une note de C. de Haas au JCP G 2016, n° 15, 468.37. En particulier : CPI, art. L. 331-1, en matière de propriété littéraire et artistique ; CPI, art. L. 521-3-1, en matière de dessins ou modèles natio-naux ; CPI, art. L. 522-2 en matière de dessins ou modèles communau-taires, CPI, art. L. 615-17 en matière de brevets ; CPI, art. L. 716-3, en matière de marques nationales ; CPI, art. L. 717-4, en matière de marques européennes ; CPI, art. L. 722-8, en matière d’indications géographiques, etc.38. V. sur ce point les explications plus détaillées in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Droit et Action, 2013, § 124.271 et s.

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cumulativement mériter la qualification de contrefa-çon de brevet et la personne visée y voyait alors une «  saisie-contrefaçon déguisée  » relevant de la compé-tence exclusive du président du TGI de Paris39 Dans la seconde affaire, le tribunal de commerce était saisi au fond d’une demande en concurrence déloyale du fait de la commercialisation d’un modèle particulier de bunga-low, mais la société défenderesse soutenait que des bre-vets (3) appartenant à son dirigeant couvraient ces actes de sorte que les questions induites par ces brevets com-manderaient la compétence exclusive du TGI de Paris.

Dans les deux affaires, la Cour de cassation confirme la compétence d’attribution des juridictions consulaires, car  les demandes au fond envisagées (dans la première affaire) ou déjà formées (dans la seconde affaire) n’étaient que des demandes en concurrence déloyale, l’essentiel étant que la propriété intellectuelle ne fût point invo-quée. De la même façon, si, en matière de marque ou de dessin ou modèle, un titre national est exclusive-ment invoqué, le TGI de province reste bien compé-tent même si un enregistrement communautaire de la même marque ou du même dessin ou modèle existe aussi, pourvu qu’il ne soit point lui-même invoqué40.

Jusqu’à ces deux arrêts, dans des circonstances com-parables, la jurisprudence hésitait. Le plus souvent, elle avait statué dans le même sens, aussi bien en droit des brevets41 qu’en droit des dessins ou modèles42 et en droit d’auteur43, mais, tout récemment, la solution contraire a été doublement consacrée en droit des marques44.

Les deux arrêts rendus cette année confirment alors encore plus nettement l’orientation majoritaire stricte et c’est donc seulement si un titre de propriété intellec-tuelle est invoqué ou visé par une demande principale que le litige relève bien exclusivement des attributions du TGI.

La prorogation exclusive d’attribution prévue encore par tous les textes instaurant la compétence (matérielle) exclusive du TGI en droit de la propriété intellectuelle pour l’étendre en cas de « question connexe de concur-rence déloyale » n’y change rien, car, dans cette éventua-lité, il est toujours nécessaire qu’existe déjà (au moins) une demande principale relative à un titre de propriété intellectuelle pour pouvoir concevoir une éventuelle connexité45.

Cette orientation stricte ainsi nettement confirmée doit être approuvée, car elle est conforme à la sécurité des plaideurs puisque s’il ne fallait pas s’en tenir aux demandes telles qu’elles sont formées, il serait impos-sible en pratique de déterminer avec certitude si, plus tard, telle ou telle autre question de propriété intellec-tuelle pourra apparaitre ou pas.

C. DE HAAS

■■ 2. Prorogation des juridictions spécialisées en propriété intellectuelle – Demande en concurrence déloyale connexe

• Cass. com., 6 septembre 2016 pourvoi n° 15-16108 publié au Bulletin46

La prorogation de compétence exclusive des juridictions spéciali-sées en propriété intellectuelle ne s’applique qu’à des demandes en concurrence déloyale stricto sensu, mais cette prorogation en cache une autre, quant à elle non exclusive et plus large.

Le TGI doit seul connaître des demandes en concur-rence déloyale connexes à des demandes soulevant des questions de propriété intellectuelle dont il est simultané-ment saisi. La règle est commandée en matière de dessins ou modèles communautaires par l’article L. 522-2 du CPI.

L’arrêt ici rapporté le confirme en précisant que ces demandes en concurrence déloyale doivent s’en-tendre stricto sensu et cette précision doit certainement être étendue à tous les autres titres de propriété intel-lectuelle compte tenu du fait que les autres textes qui s’appliquent pour ces autres titres sont construits exac-tement comme l’article L. 522-2 du CPI47. Ainsi, cette prorogation d’attribution exclusive au TGI ne devrait pas s’appliquer à des demandes fondées sur un abus de dépendance économique ni sur une rupture brutale des relations commerciales établies qu’il faudrait donc bien distinguer de la concurrence déloyale48.

39. C’est au terme d’un improbable jeu de piste avec l’application combi-née de pas moins de cinq articles différents du CPI et du COJ, soit les art. L. 615-5, L. 615-17, R. 615-2 et D. 631-2 du CPI et D. 211-6 du COJ, que l’on peut enfin comprendre que seul le président du TGI de Paris peut ordonner une saisie-contrefaçon en matière de brevet.40. Comme vient de le juger en matière de marque la Cour de cassation : Cass. com., 6 sept. 2016, pourvoi n° 2015/29113, PIBD n° 1058, III, 805.41. Cass. com., 7 juin 2011, pourvoi n° 10-19.030, Propr. industr. 2011, comm. 77, A.-C. Chiariny-Daudet.42. CA Lyon, 8e ch., 19 avr. 2011, RG n° 09/07917, Propr. industr. 2012, chron. 8, J. Larrieu.43. Cass. com., 23 nov. 2010, pourvoi n° 09-70859, Juris-Data n° 2010-022058.44. Cass. com., 28 mai 2013, pourvoi n° 12-19748 (pour une procédure au fond) et Cass. com., 20 nov. 2012, pourvoi n°  11-23216, Juris-Data n° 2012-026530 (pour une procédure in futurum de l’art. 145 CPC).45. V. cependant en sens contraire l’arrêt de la cour d’appel de Paris pôle  1-8, 4 nov. 2016, RG n°  15/18508 dont la motivation plus que sommaire sur ce point ne peut convaincre.46. PIBD 2016, n° 1058, III, 823, Comm. com. électr. 2016, comm. 79, C. Caron et étude 20, C. de Haas.47. En particulier CPI, art. L. 331-1, en matière de propriété littéraire et artistique ; CPI, art. L. 521-3-1, en matière de dessins ou modèles natio-naux ; CPI, art. L. 522-2 en matière de dessins ou modèles communautaires ; CPI, art. L. 615-17 en matière de brevets ; CPI, art. L. 716-3, en matière de marques nationales ; CPI, art. L. 717-4, en matière de marques européennes ; CPI, art. L. 722-8, en matière d’indications géographiques, etc.48. L’arrêt n’est qu’implicite sur ce point, car il se contente de relever qu’il était insuffisant pour les juges du fond de relever une connexité, mais on peut raisonnablement le déduire sinon, au lieu d’une cassation, c’eût été une confirmation par substitution (ou précision) de motif qui se serait imposée.

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Mais l’arrêt occulte une autre question qui se posait pourtant et qui est de savoir si le TGI peut encore connaître, cette fois sans exclusivité, de ces mêmes demandes principales fondées sur des pratiques anti-concurrentielles relevant normalement du tribunal de commerce, et ce, à raison de leur connexité aux autres demandes qui relèvent des attributions exclusives du TGI.

La question se pose, car le TGI a une plénitude de juridiction et même une compétence partagée avec le tribunal de commerce en matière de pratiques anti-concurrentielles (selon que le litige oppose ou non des commerçants)49.

Si d’ailleurs, des demandes additionnelles présentant un lien suffisant (lui-même entendu à peu près comme la connexité50) sont présentées ultérieurement au TGI, les articles 51 et 70 du CPC permettent bien au TGI d’en connaitre. De même encore, si des demandes ont été formées devant le tribunal de commerce, une par-tie peut solliciter et obtenir leur renvoi au TGI du fait de leur connexité aux demandes soumises par ailleurs au même TGI, et ce, par application de l’article  101 du CPC. Logiquement, la jurisprudence a admis aussi que le TGI pouvait bien être saisi d’emblée de telles demandes connexes à titre principal51.

Comme le précise expressément l’article 51 du CPC en matière de demandes incidentes (y compris donc de demandes additionnelles), la seule restriction au jeu de cette prorogation non exclusive d’attribution est qu’elle ne doit pas faire échec à une règle de compétence d’at-tribution exclusive. La même restriction a été consa-crée en matière de connexité quand deux juridictions différentes ont été simultanément saisies pour interdire aussi dans la même hypothèse le jeu de l’article 101 du CPC52. Il faut donc certainement faire la même réserve dans le cas où des demandes connexes ont été présentées d’emblée ou à titre principal au TGI.

Or, compte tenu de la plénitude de juridiction généralement reconnue au TGI, il est déjà bien douteux que le tribunal de commerce ait en matière de litige commercial ordinaire une compétence d’attribution exclusive53. Surtout, précisément en matière de pra-tiques anticoncurrentielles et compte tenu de la com-pétence partagée reconnue au TGI, la compétence attri-buée simultanément au tribunal de commerce n’est pas considérée comme étant exclusive54.

La prorogation d’attribution exclusive prévue spé-cialement par le CPI en cas de demande connexe en concurrence déloyale n’étant pas de même nature que la prorogation non exclusive de droit commun, les deux prorogations devraient pouvoir jouer distribu-tivement au regard de demandes connexes différentes. En présence d’une demande en concurrence déloyale connexe aux demandes fondées sur la propriété intel-lectuelle il faut ainsi faire jouer la première (exclusive) et en présence de demandes encore connexes fondées sur des pratiques anticoncurrentielles et simultanément présentées, le TGI peut encore faire jouer la seconde

(non exclusive). Les deux prorogations étant ainsi com-patibles, l’on ne devrait pas pouvoir interpréter l’arrêt commenté comme signifiant que la prorogation spéciale du CPI (en l’espèce de l’article L. 522-2 du CPI) déroge au droit commun de la connexité.

Le seul visa de l’article L. 522-2 du CPI était en tout cas bien insuffisant pour justifier la cassation interve-nue puisque du fait de la connexité relevée par la cour d’appel et pour toutes ces raisons, une prorogation d’at-tribution non exclusive au TGI paraissait encore bien possible et fondée en droit.

C. DE HAAS

■■ 3. Compétence d’attribution des juridictions spécialisées en propriété intellectuelle – Exclusion des mesures portant atteinte à un ouvrage public

• T. confl., 5 septembre 2016 aff. n° 406955 M. Jean N. c/association Philharmonie de Paris

Le juge judiciaire exclusivement compétent en matière de pro-priété intellectuelle n’a néanmoins pas le pouvoir d’ordonner des mesures réparatrices portant atteinte à un ouvrage public.

Comme on le sait, la loi attribue une compétence exclu-sive pour connaitre des litiges en matière de propriété intellectuelle à un nombre limité de TGI56 et toutes ces dispositions du Code de la propriété intellectuelle ont été jugées logiquement exclusives de la compétence

49. Le tribunal de grande instance est compétent pour appliquer le droit de la concurrence, au moins dès que l’un des plaideurs n’est pas commer-çant et certains tribunaux de grande instance sont même alors spéciale-ment compétents en matière de pratiques anticoncurrentielles par appli-cation de l’article R. 420-4 du Code de commerce et aussi et précisément pour statuer sur l’art. L. 442-6 du même Code par application de l’art. D. 442-4 dudit Code.50. V. sur ce point les explications de Loïc Cadiet qui cite Guinchard, Chainais et Ferrand in « Connexité », Répertoire de Procédure civile, § 13.51. Cass. civ., 16 janv. 1924, DP 1925, I, p. 13 et, plus récemment : CA Paris pôle 1-3 du 3 oct. 2012, RG n° 2011/03448.52. Cass. soc., 11 mars 2003, n° 00-45.856, publié au Bulletin, Juris-Data n°  2003-018193 ; Dr. Soc., 2003, p. 669 obs. Boulmier ; JCP G, 2009, n° 43, 369, commentaire Jeuland et aussi Cass. com., 7 avril 2009, n° 08-16.884, Juris-Data n° 2009-047784 ; Bull. civ. 2009, IV, n° 51, JCP G 2003, IV, 1855.53. Dans ce sens, lire P. Théry in RTD civ. 2009, p. 775.54. Dans ce sens, lire le J.-Cl. Concurrence consommation, fasc. 316, sect. III Compétence, § 136, par R. Amaro.55. Juris-Data n° 2016-018210 et comm. C. Caron in Comm. com. électr. 2016, n° 10, comm. § 79.56. En particulier CPI, art. L. 331-1, en matière de propriété littéraire et artistique ; CPI, art. L. 521-3-1, en matière de dessins ou modèles natio-naux ; CPI, art. L. 522-2 en matière de dessins ou modèles communautaires ; CPI, art. L. 615-17 en matière de brevets ; CPI, art. L. 716-3, en matière de marques nationales ; CPI, art. L. 717-4, en matière de marques européennes ; CPI, art. L. 722-8, en matière d’indications géographiques, etc.

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des juridictions administratives même lorsque l’État ou ses démembrements sont les demandeurs ou même les défendeurs57.

La décision ici rapportée le confirme, mais l’une de ces dispositions, en l’espèce, l’article L. 331-1 du Code la pro-priété intellectuelle, « ne saurait être interprétée comme donnant compétence aux juridictions de l’ordre judiciaire pour ordonner des mesures de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité d’un ouvrage public. ». Certes, la juridiction de l’ordre judiciaire est bien la seule compétente pour trancher les questions de droit de la propriété intellectuelle, notamment pour dire et juger si une atteinte et un préjudice ont été causés, mais « la juri-diction administrative est seule compétente pour statuer, le cas échéant, sur la demande tendant à la réparation de ce préjudice par la réalisation de travaux sur l’immeuble ». Pour voir ordonner une telle mesure de réparation tou-chant à l’intégrité d’un ouvrage public, il faut donc saisir en plus la juridiction administrative.

La nécessité de cette double saisine des juridictions judiciaires et administratives est-elle limitée à ce type de réparation bien particulier consistant en une des-truction ou un aménagement d’un ouvrage public ou faut-il l’étendre à toutes les mesures de destruction ou de confiscation, voire même aux mesures de réparation indemnitaire ? La question est délicate, mais il n’est pas interdit de penser que les autres mesures de réparation ne sont pas concernées par l’exigence si lourde du recours cumulatif aux deux ordres de juridiction. Il a été ainsi jugé il y a quelques années par le même tribunal des conflits qu’en présence d’un acte administratif déjà jugé illicite, le juge judiciaire avait bien le pouvoir de répa-rer le préjudice causé par la voie de fait en ordonnant des mesures de réparation, à l’exclusion précisément du déplacement ou de la suppression d’un ouvrage public (un transformateur électrique en l’espèce)58. Si donc, le juge judiciaire des voies de fait peut ordonner ces autres mesures de réparation, on ne voit pas pourquoi le juge judiciaire de la propriété intellectuelle ne le pourrait pas.

Sinon, mieux vaudrait en revenir, comme par le passé, à la compétence des juridictions administratives pour le tout et faire encore complètement exception aux attributions exclusives des juridictions de l’ordre judiciaire spécialisées en propriété intellectuelle.

C. DE HAAS

5. Nullité de l’assignation et charge de la preuve

■■ Défaut de description de l’œuvre revendiquée – Nullité de l’assignation – Originalité prétendue non prouvée

• Cass. 1re civ., 17 mars 2016 pourvoi n° 14-27990 inédit• CA Paris pôle 5-1, 19 janvier 2016 RG n° 14/1067659

• TGI Paris 3e ch. 1re sect., 11 février 2016 RG n° 14/0981860

• TGI Paris 3e ch. 1re sect., 25 février 2016 RG n° 14/1607061

• TGI Paris 3e ch. 1re sect., 29 septembre 2016 RG n° 14/1812462

La jurisprudence continue à exiger du demandeur en contrefaçon d’une œuvre une description à peine de nullité de l’assignation ou de défaut de preuve de l’originalité, mais l’exigence est bien discutable en théorie tandis qu’en pratique, personne ne sait com-ment il faut décrire l’œuvre exactement pour pouvoir prospérer.

Dans la première affaire, l’assignation est annulée avec la bénédiction de la Cour de cassation pour défaut d’iden-tification et de description de l’œuvre revendiquée. En réalité, comme la lecture du pourvoi le démontre, l’œuvre avait pourtant bien été identifiée et même, certes sommai-rement, décrite avec un renvoi à un site internet dont les pages avaient été communiquées. Cette identification et cette description par renvoi à des pièces proprement pro-duites n’en sont pas moins jugées insuffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 56 du CPC. Certes, le 3° de cet article commande logiquement de préciser dans l’assigna-tion « l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit », et ce, « à peine de nullité », mais si l’œuvre est bien identifiée et si une demande en contrefaçon de cette œuvre est bien formée, on devrait pouvoir en déduire que les exigences de cet article 56 du CPC sont satisfaites. En revanche, quand le demandeur vise quatre logiciels dans ses écritures, mais ne prouve que l’existence d’un seul (par un enregistrement à l’Agence pour la protection des pro-grammes), n’en décrit que deux et entretien une confusion entre une demande en contrefaçon (mal définie) et une

57. Comme l’a confirmé le tribunal des conflits en droit des brevets, des marques, des dessins ou modèles ou encore en matière de droits d’auteur (v. cette jurisprudence du tribunal des conflits cités par C. Caron dans son comm. préc.).58. T. confl., 6 mai 2002, n° 02-03287, Rec. CE 2002, p. 544.59. Déjà comm. par P. de Candé dans cette revue : Propr. intell. n° 59, p. 240 s.60. PIBD n° 1048, III, 395.61. Déjà comm. par P. Massot dans cette revue : Propr. intell. n° 59, p. 239 s.62. PIBD n° 1061, III, 931.

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demande en responsabilité civile, la sanction de la nullité de l’article 56 du CPC s’impose bien63.

Dans la seconde affaire, l’identification des œuvres n’était pas discutée et c’est la question de la prétendue nécessité de prouver leur originalité qui était soulevée. Selon la cour, sur ce terrain, il faudrait, non pas démon-trer, mais « caractériser » cette originalité par une des-cription obligatoire et, en l’espèce, une description plu-tôt objective lui donne satisfaction64.

Mais, dans les troisièmes et quatrièmes affaires, sur ce même terrain de la preuve de l’originalité, le tribunal n’est même pas satisfait par des descriptions objectives.

Et dans la cinquième affaire, le même tribunal se contente cette fois d’une description objective, car elle est assortie de quelques explications complémentaires se référant à une attestation de la créatrice, soit à une pièce faite à soi-même.

Cette exigence d’une description à géométrie et à sanction variables n’est pas nouvelle65 et, par les temps qui courent, elle est si souvent consacrée que, même si elle reste bien discutable en théorie, tout demandeur serait fort imprudent d’en faire l’économie.

Comment faut-il alors décrire ? Faut-il comme certains plaideurs, parfois avec succès (mais pas toujours), émailler la description objective de chaque élément constituant l’œuvre invoquée de formules toutes faites comme « … manifestant une recherche esthétique empreinte de la per-sonnalité de l’auteur » ou de toute autre pure affirmation du même genre ? Le désarroi est tel que certains se demandent même s’il ne faudrait pas faire de la poésie66 alors que c’est l’œuvre et non sa description qui doit être originale.

Tout cela n’a guère de sens. En réalité, l’originalité ne se prouve pas, car ce n’est pas un fait ; c’est une qualification juridique qui se plaide, soit l’opération purement intellec-tuelle qui consiste à rattacher un fait prouvé à une caté-gorie juridique prévue, définie et sanctionnée par la loi67. Le fait qu’il faut prouver, c’est l’œuvre telle qu’elle doit être produite en justice et la qualification qu’il faut plaider, c’est l’opération qui consiste à rattacher cette œuvre à la caté-gorie des œuvres originales qui sont seules appropriables.

Il reste alors à convaincre le juge que l’œuvre invo-quée coïncide bien avec une œuvre originale parce qu’elle exprime la personnalité de son auteur. Le juge n’est évi-demment pas lié par cette proposition de qualification, quels que soient les arguments développés à l’appui et la meilleure description ne devrait rien y changer, l’article 12 du CPC faisant logiquement obligation au juge « de don-ner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Sur ce terrain de la qualification, une partie peut donc se tromper ou mal s’y prendre sans être pour autant irrecevable ou mal fondée et le tribunal a donc bien tort d’affirmer que «  seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identi-fier les éléments traduisant sa personnalité »68. Peu importe au contraire que, comme souvent, l’auteur n’ait aucune conscience de l’expression de sa personnalité ni, encore plus fréquemment, de l’alchimie mystérieuse qui a produit

cette expression de sa singulière personne ! Ce qui compte seulement, c’est qu’on puisse la percevoir69 et dès que cette prétention est faite à partir d’une œuvre proprement pro-duite en justice, le juge doit en juger.

Très souvent d’ailleurs, le juge reconnait l’originalité sans difficulté et même sans la moindre description, au moins dès que l’expression de la personnalité de l’auteur lui parait manifeste comme en matière musicale ou littéraire et, plus généralement, en présence de la plupart des œuvres relevant des beaux-arts. C’est souvent en matière d’art appliqué que la qualification devient extrêmement délicate, précisément parce que l’originalité est alors bien douteuse. Faut-il donc s’étonner que les demandeurs peinent tant à convaincre de la réalité de l’expression d’une personnalité aussi dissi-mulée ? Le principe de l’unité de l’art interdit en tout cas d’exiger plus en matière d’art appliqué qu’ailleurs. Com-ment faire alors pour emporter la conviction du juge si une description est inopérante ? Un test satisfaisant, mais jamais pratiqué a déjà été proposé sans aucun succès70, mais ce qui est certain, c’est qu’une description, quelle qu’elle soit, n’est pas utile, ni nécessaire, ni, moins encore, obligatoire.

C. DE HAAS

63. CA Paris pôle 5-1, 27 sept. 2016, RG n° 16/08121.64. Deux motifs de dentelle étaient revendiqués et l’arrêt les décrit en ces termes (on le suppose, en reprenant la description proposée par le deman-deur) : « motif floral de style baroque, représentant des fleurs de lys, dont certaines sont à peine ouvertes et dont le pétale supérieur dépasse et est bordé de quatre petits bourgeons recroquevillés ; que la fleur plus à plat présente cinq pétales dont l’un est plus clair et présente de petits trous ; que sont accolés sur le pétale opposé trois petits bourgeons recroquevillés ; que la dentelle est parsemée de gros pois pleins, souvent regroupés par deux ou trois ; que des contrastes apparaissent, deux à trois tissages diffé-rents étant utilisés pour chaque élément floral ; qu’un fil délimite chaque élément et permet de contraster avec le fond » et ensuite « (motif floral) de style baroque consistant en un tissage quadrillé sur lequel sont apposés des motifs en forme d’arabesque ainsi que des petites fleurs à six pétales ; qu’un premier motif est composé de deux arabesques, lesquelles se re-joignent par une petite fleur à six pétales, cette petite fleur se poursuivant par un motif en forme de U arrondi, avec un petit point en son centre ; que plusieurs autres arabesques et petites fleurs composent le fond ajouré ; qu’à côté de ce fond, se distingue un dessin de forme arrondie, composé en son centre de la même petite fleur à six pétales, du motif en forme de U arrondi ainsi que d’un motif en forme de feuille de chêne à trois trous ; que sont intégrés au dessin différents points de différentes tailles  ». La Cour juge ces deux motifs de dentelle protégeables par le droit d’auteur, les combinaisons ci-dessus décrites reflétant, du fait de «  leur caractère arbitraire et purement esthétique […]  la créativité et la personnalité de l’auteur ».65. V. la jurisprudence rapportée et déjà critiquée dans cette revue : Propr. intell. n° 45, p. 468 et 469.66. En ce sens, lire P. Massot dans sa note préc. (dans cette revue : Propr. intell. n° 58, p. 239) 67. V. dans ce sens la définition de la qualification proposée par le Lexique des termes juridiques, Dalloz, 10e éd., 1993, p. 447.68. Affirmation faite régulièrement et notamment dans la troisième dé-cision ici rapportée.69. Ou qu’au moins l’amateur normalement cultivé dans le domaine dont l’œuvre relève (pris comme référent) le puisse comme on le propose dans notre article L’imprévisible droit d’auteur : Propr. intell. n° 43, § A.2, pp. 219 et 220.70. Lire encore sur ce point notre article L’imprévisible droit d’auteur  : Propr. intell. n° 43, § A.2, pp. 219 et 220.

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6. Obligation d’utiliser la langue française

■■ Obligation d’utiliser la langue française – Actes de procédures - Pièces

• Cass. 1re civ., 22 septembre 2016 pourvoi n° 15-21176 publié au Bulletin

L’obligation d’utiliser la langue française est limitée aux actes de procédure et ne s’étend pas aux pièces, mais mieux vaut quand même systématiquement tout traduire.

Il est fréquent que des plaideurs produisent de nom-breuses pièces rédigées en langue étrangère, en parti-culier dans les affaires de brevet. Faut-il alors toutes les traduire en français ? Les articles 110 et 111 de l’ordon-nance de Villers-Cotterêts de 1539 imposent l’usage de la langue française pour tous les actes officiels, y com-pris tous les actes de procédure, mais non pas pour les pièces produites à l’appui d’un acte de procédure. Ces dispositions n’ont jamais été abrogées depuis le XVIe

siècle. Bien au contraire, l’article 2 de notre constitu-tion confirme que : « La langue de la République est le français  ». C’est sur ces fondements qu’une juris-prudence désormais bien établie confirme que l’obli-gation d’employer le français ne vise que les actes de procédure et non pas les pièces produites à leur appui71.

Mais encore fallait-il, pour permettre au juge de se fonder sur de tels documents non traduits, qu’il en pré-cise lui-même la signification dans son jugement72, et ce, nécessairement en français puisqu’il s’agit alors d’un acte de procédure73. Si, toutefois, le juge ne peut pas ou ne veut pas considérer le sens de la pièce non traduite, il lui était néanmoins reconnu la faculté (mais non l’obliga-tion), non pas de la rejeter, mais de lui dénier toute force probante pour défaut de traduction en français74.

Nous voilà bien avancés ! Même si l’on connait bien la formation de jugement qui a pour habitude d’admettre la force probante de documents en langue étrangère que se passe-t-il si son président polyglotte tombe malade ou est brutalement nommé ailleurs ? Un risque de voir la pièce non traduite finalement improductive existera toujours et la manœuvre consiste finalement à reprendre sur le ter-rain de la force probante ce que l’on venait de donner sur celui de la recevabilité.

L’arrêt du 22 septembre dernier ne modifie pas fon-damentalement cette mauvaise donne même s’il parait assouplir encore davantage les conditions de la receva-bilité d’une pièce rédigée en langue étrangère. En l’es-pèce en effet, le juge du fond n’avait pas, semble-t-il, précisé le sens de la pièce (un certificat CE) produite seulement en anglais et pourtant, la Cour de cassation lui reconnait le pouvoir souverain « d’apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis ». On relè-vera toutefois que la signification d’un EC Certificate est plutôt évidente de sorte que la portée de l’arrêt sur ce point reste incertaine, car il est bien possible qu’il ne s’agisse que d’un arrêt d’espèce.

Ce qui est certain en tout cas, c’est que l’arrêt ne remet nullement en question la faculté (et non l’obliga-tion) accordée au juge de dénier toute force probante à une pièce non traduite. En somme, il faut toujours tout traduire et cette recevabilité des pièces non traduites, fût-elle-même élargie, reste un cadeau empoisonné.

C. DE HAAS

II. Droit processuel européen devant l’EUIPO, le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne

1. Autorité de la chose jugée et principe d’autonomie

■■ 1. Procédure d’opposition – Autorité de la chose jugée d’une décision d’un tribunal des marques de l’Union européenne (non)

• CJUE, 21 juillet 2016 aff. C-226/15P, EU:C:2016:582 Apple and Pear Australia Ltd et Star Fruits Diffusion c/ EUIPO – Carolus (English Pink)

Une décision définitive d’un tribunal des marques de l’Union européenne reconnaissant la contrefaçon d’une marque anté-rieure de l’Union européenne n’a pas l’autorité de la chose jugée à l’égard de l’EUIPO75 statuant sur une opposition entre les mêmes parties à propos des mêmes marques.

Les titulaires de la marque antérieure de l’Union euro-péenne Pink Lady, laquelle est renommée dans l’Union européenne pour des fruits et, en particulier, des pommes, ont introduit deux procédures contre le dépo-sant belge de la marque de l’Union européenne English Pink couvrant des produits identiques. La première est une procédure d’opposition devant l’EUIPO, la seconde est une action en interdiction d’usage du signe English Pink devant le tribunal belge des marques de l’Union européenne.

71. Cass. 1re civ., 22 oct. 2009, pourvoi n° 08-17525, Droit et Procédure, 2010, 101.72. Cass. crim., 4 mars 1986, pourvoi n° 85-96523, GP 1986, 2. 598, note Doucet et Cass. 2e civ., 11 janv. 1989, pourvoi n° 87-13860, RTD civ. 1989. 619, obs. Perrot.73. Même la courte citation dans sa langue originale d’une pièce en an-glais a entraîné la nullité de l’arrêt : Cass., 1re civ., 25 juin 2009, Contrats conc. consom. oct. 2009, § 241, p. 20.74. Cass. com., 27 nov. 2012, pourvoi n° 11-17185, Dalloz Actu., 14 déc. 2012, obs. X. Delpech.75. L’EUIPO est l’acronyme usuel de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, nouvelle dénomination de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles), OHMI, (RMUE, art. 2).

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Alors que la procédure d’opposition était toujours en cours devant la chambre de recours de l’EUIPO, le tribunal des marques de l’Union européenne jugea que le signe English Pink portait atteinte aux droits sur la marque de l’Union européenne Pink Lady, tant sur la base de l’article  9, § 2, b (risque de confusion) que sur celle de l’article 9, § 2, c (atteinte à la marque renommée) du règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE)76. Le jugement fit interdiction au titulaire de la marque English Pink d’en faire usage sur tout le territoire de l’Union européenne. Le juge-ment devint définitif et non susceptible de recours. Il fut alors produit devant la chambre de recours de l’EUIPO, avec l’argument qu’ayant été rendu en application du RMUE entre mêmes parties, à propos des mêmes droits, contre le même signe, l’EUIPO était lié par la décision définitive, comme le serait au demeurant tout juge national dans l’Union européenne devant statuer sur pareil conflit entre les mêmes signes (en application du règlement n° 44/2001, devenu le règlement [UE] n° 1215/2012).

La chambre de recours de l’EUIPO rendit sa déci-sion, mais dans laquelle, de manière incompréhensible, elle n’évoqua même pas l’existence du jugement défini-tif rendu par le tribunal des marques de l’Union euro-péenne. Elle adopta une décision diamétralement oppo-sée à celle jugée par le tribunal et estima qu’il n’y avait aucune atteinte aux droits sur la marque Pink Lady.

Les titulaires de la marque Pink Lady portèrent l’af-faire devant le Tribunal. Ils demandèrent, à titre principal, la réformation77 de la décision au motif que l’EUIPO a violé le principe de l’autorité de la chose jugée et, à titre subsidiaire, l’annulation de la décision pour diffé-rents motifs, dont celui de la violation du principe de bonne administration et l’obligation de motivation. Le Tribunal refusa de réformer la décision et jugea que l’EUIPO n’était pas lié par la décision définitive du tri-bunal des marques de l’Union européenne78. Toutefois, il accueillit l’argumentation subsidiaire quant à la violation du principe de bonne administration et de l’obligation de motivation ; il annula la décision de la chambre de recours au motif que celle-ci, bien que n’étant pas liée par le jugement, avait négligé d’en tenir compte, alors qu’il constituait prima facie un élément de fait pertinent.

Les titulaires de la marque Pink Lady saisirent ensuite la Cour de justice en sollicitant toujours la réformation de la décision de l’EUIPO pour violation du principe de l’autorité de la chose jugée. La Cour rappela tout d’abord « l’importance que revêt, tant dans l’ordre juri-dique de l’Union que dans les ordres juridiques natio-naux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridiction-nelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause »79. La Cour refusa toutefois de considérer que

ce principe s’appliquait à l’égard de l’EUIPO chargé de se prononcer dans le cadre d’une procédure d’opposi-tion : « En effet, eu égard à la compétence exclusive des instances de l’EUIPO pour autoriser ou refuser l’enre-gistrement d’une marque de l’Union européenne, toute procédure devant l’EUIPO relative à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne ou à l’opposition à cet enregistrement a nécessairement un objet différent de toute procédure se déroulant devant une juridiction nationale, même lorsque ladite juridiction agit en tant que tribunal des marques de l’Union européenne ». Dès lors que les procédures avaient des objets distincts, l’une visant à obtenir un ordre d’interdiction d’usage du signe, l’autre visant à s’opposer à l’enregistrement de ce signe, une des conditions cumulatives nécessaires à l’applica-tion du principe de l’autorité de la chose jugée faisait défaut.

Cet arrêt est à tout le moins surprenant dans la mesure où il permet à l’EUIPO de prendre une décision dont le résultat serait contraire à celui jugé définitivement par un tribunal des marques de l’Union européenne entre mêmes parties à propos des mêmes droits. L’avocat géné-ral avait, à ce titre, fustigé l’attitude de l’EUIPO dans des termes durs : « la présente affaire n’est certainement pas un bon exemple de coopération sincère et loyale dans l’Union en général et dans le système de la marque de l’Union européenne en particulier, sauf à considérer que le principe du manque de considération réciproque doit se substituer au principe de coopération mutuelle »80…

T. DE HAAN

76. Le règl. (CE) n° 207/2009 sur la marque de l’Union européenne (« RMUE »), tel que modifié par le règl. (UE) n° 2015/2424 du 16 déc. 2015.77. L’exercice du pouvoir de réformation est limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (CJUE, GC., 5 juil. 2011, aff. C-263/09P, EU:C:2011:452, Edwin c/ OHMI (Elio Fiorucci), point 72 ; T.  de  Haan, Droit processuel appliqué aux propriétés intellectuelles : Propr. intell. 2016, n° 58, p. 115.78. TUE, 25 mars 2015, T-378/13, EU:T:2015:186, note A. Folliard-Mon-guiral, Arrêt English Pink : portée des jugements nationaux, Propr. industr., mai 2015, p. 27 ; note N. Bouche, Un an de droit international privé de la propriété industrielle, Propr. industr., avr. 2016, p. 38.79. CJUE, 21 juil. 2016, aff. C-226/15P, EU:C:2016:582, Apple and Pear Australia Ltd et Star Fruits Diffusion c/ EUIPO – Carolus (English Pink), point 51.80. M.  Bobek, conclusions du 13 avr. 2016, aff. C-226/15P, EU:C:2016:250, point 72.

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■■ 2. Procédure de nullité – Défaut de caractère distinctif – Principes d’autonomie et d’indépendance

• TUE, 18 mars 2016 aff. T-501/13, EU:T:2016:161 Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou)

En vertu des principes d’autonomie et d’indépendance du sys-tème de la marque de l’Union européenne, les instances de l’EUIPO ne sauraient être liées par des décisions judiciaires nationales ayant reconnu le défaut de caractère distinctif d’un signe au niveau national.

Dans l’affaire Winnetou, le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours de l’EUIPO qui avait inva-lidé la marque de l’Union européenne Winnetou pour défaut de caractère distinctif. Le motif d’annulation tient dans la manière dont la chambre de recours a motivé sa décision.

En l’espèce, il était acquis que le Bundesgerichtshof (juridiction suprême allemande) et le Bundespatentge-richt (cour fédérale des brevets) avaient jugé que le signe Winnetou était descriptif en Allemagne, car il évoquait, pour le consommateur allemand, le nom du chef indien fictif, noble et bon, et que le consommateur « suppose-rait simplement qu’il s’agit de produits ou de services avec Winnetou ou sur le thème de Winnetou ».

La chambre de recours de l’EUIPO avait certes rap-pelé qu’elle n’était pas liée par la jurisprudence natio-nale, mais avait néanmoins souligné dans sa décision que « dans la mesure où une juridiction nationale suprême avait estimé que le terme Winnetou était descriptif en Allemagne », la marque de l’Union européenne Winne-tou devait également être refusée en vertu de l’article 7, § 2, RMUE. Le Tribunal a vu dans cette motivation un défaut d’analyse autonome. Selon le Tribunal, «  la chambre de recours a accordé aux décisions des juridic-tions allemandes non pas une valeur indicative en tant qu’indices dans le cadre de l’appréciation des faits de la cause, mais une valeur impérative quant au caractère enregistrable de la marque contestée  »81. Ceci justifie l’annulation de la décision de l’EUIPO. Certes, rap-pelle le Tribunal, il appartient à l’EUIPO de prendre en considération les décisions nationales dans le cadre de l’appréciation des faits de la cause et de «  s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens », mais l’EUIPO et le Tribunal lui-même «  ne sauraient être liés par les décisions des autorités ou des juridictions nationales »82.

T. DE HAAN

■■ 3. Autorité des décisions de l’EUIPO (non) – Obligation de les prendre en considération (oui)

• TUE, 23 octobre 2015 aff. T-597/13, EU:T:2015:804 Calida Holding c/ OHMI – Quanzhou Green Garments (Dadida)• TUE, 9 septembre 2016 aff. T-159/15, EU:T:2016:457 Puma c/ EUIPO – Gemma Group (félin bondissant)

Des décisions définitives de chambres de recours reconnaissant à une marque antérieure un caractère distinctif accru par l’usage n’ont pas l’autorité de la chose jugée à l’égard d’instances de l’Office appelées à statuer dans le cadre de procédures distinctes. En revanche, l’Office ne peut s’écarter de sa pratique décision-nelle sans expliquer les raisons qui l’ont amené à s’écarter des constats antérieurs.

Dans l’affaire Dadida, la requérante reprochait à la décision de la chambre de recours d’avoir méconnu le caractère distinctif élevé de sa marque antérieure, lequel avait pour-tant été reconnu par deux décisions antérieures d’une autre chambre de recours. Le Tribunal rejette l’argument et juge que « la reconnaissance par la chambre de recours de l’éventuel caractère distinctif élevé de la marque ver-bale antérieure ne saurait dépendre de la reconnaissance dudit caractère distinctif dans le cadre d’une procédure distincte concernant des parties ainsi que des éléments juridiques et factuels différents »83. « Il appartient donc à toute partie qui se prévaut du caractère distinctif élevé de sa marque antérieure de démontrer, dans le cadre circonscrit de chaque procédure dans laquelle elle est partie et sur la base des éléments factuels qu’elle estime les plus appro-priés, que ladite marque a acquis un tel caractère distinctif, sans pouvoir se contenter de prétendre rapporter cette preuve par la reconnaissance d’un tel caractère distinctif, y compris pour cette même marque, dans le cadre d’une procédure administrative distincte »84.

Cette sévérité semble avoir été quelque peu nuan-cée dans l’arrêt Puma ultérieur. Alors que le titulaire de la célèbre marque de vêtements représentant la silhouette d’un félin bondissant invoquait la renommée de sa marque

81. TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou), point 42, note A. Fol-liard-Monguiral, Arrêt Winnetou : motifs absolus et portée des jugements nationaux, Propr. industr., mai 2016, p 37.82. TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou), points 36, 37 et 45.83. TUE, 23 oct. 2015, aff. T-597/13, EU:T:2015:804, Calida Holding c/ OHMI – Quanzhou Green Garments (Dadida), point 43, note A. Fol-liard-Monguiral, Arrêt Dadida : preuve de la réputation et décisions anté-rieures, Propr. industr., déc. 2015, p 41.84. TUE, 23 oct. 2015, aff. T-597/13, EU:T:2015:804, Calida Holding c/ OHMI – Quanzhou Green Garments (Dadida), point 45.

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telle que constatée par plusieurs décisions rendues tant au niveau nationales que par l’EUIPO, ainsi que par un arrêt du Tribunal lui-même, la chambre de recours avait décidé qu’elle pouvait s’affranchir librement de ces décisions et constater que les preuves soumises en l’espèce étaient insuffisantes pour établir la prétendue renommée. Le Tri-bunal juge que si une chambre de recours n’est certes pas liée par une décision d’une autre chambre de recours (a fortiori rendue entre le titulaire de la marque antérieure et un tiers), il lui incombe néanmoins de « prendre en consi-dération les décisions déjà prises sur des demandes simi-laires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu de décider dans le même sens »85. Eu égard à l’obligation de motivation des décisions (v. infra), la chambre de recours aurait dû fournir des explications « quant aux raisons qui l’ont amenée à considérer que les constats de fait sur la renommée des marques antérieures, effectués dans ces décisions, ne seraient pas ou plus perti-nents. En effet, la chambre de recours ne fait aucunement état d’une diminution de cette renommée depuis les déci-sions récentes susmentionnées, ni d’une éventuelle illégalité de cette pratique décisionnelle »86.

Le Tribunal annule dès lors la décision Puma en rai-son notamment de la violation du principe de bonne administration, en particulier de l’obligation de l’EUIPO de motiver ses décisions.

T. DE HAAN

2. Contrôle de légalité par le Tribunal

■■ 1. Éléments de preuve soumis pour la première fois devant le Tribunal – Irrecevabilité

• TUE, 2 février 2016 aff. T-169/13, EU:T:2016:56 Benelli c/ OHMI – Demharter (Moto B)• TUE, 18 mars 2016 aff. T-501/13, EU:T:2016:161 Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou) précité• TUE, 16 juin 2016 aff. T-614/14, EU:T:2016:357 Fútbol Club Barcelona c/ EUIPO – Kule (Kule)

Des faits et preuves non invoqués devant les instances de l’EUIPO ne peuvent l’être pour la première fois au stade du recours devant le Tribunal.

Une des caractéristiques essentielles du contrôle exercé par le Tribunal sur les décisions des chambres de recours de l’EUIPO est qu’il s’agit d’un contrôle de légalité87. Dès lors, «  la fonction du Tribunal n’est pas celle de réexa-miner les circonstances de fait à la lumière des preuves présentées pour la première fois devant lui. Il s’ensuit que des faits non invoqués par les parties devant les instances

de l’[EUIPO] ne peuvent plus l’être au stade du recours introduit devant le Tribunal  »88. L’admission de telles pièces serait contraire à l’article  188 du règlement de procédure du Tribunal qui fait interdiction aux parties de modifier l’objet du litige qui était soumis à la chambre de recours89.

Ainsi, la production d’une déclaration écrite sous serment du maire de la commune italienne de Pesaro a été déclarée irrecevable devant le Tribunal, car n’ayant pas été produite au stade de la procédure administrative devant l’Office90. En outre, la requérante aurait pu sol-liciter, dès le stade de la procédure devant l’Office, une déclaration analogue.

Il en va de même pour des extraits du magazine Brandfinance Football 50 qui classait le FC Barcelone à la quatrième place parmi les cinquante plus grands clubs de football. Le Tribunal a écarté ces documents comme irrecevables, car déposés pour la première fois devant lui, sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante91.

Dans l’affaire Winnetou92, le Tribunal a opéré une dis-tinction parmi les éléments présentés pour la première fois devant le Tribunal. Ainsi, les résultats de recherches effectués dans les registres de l’EUIPO, de même qu’un article de presse, ont été jugés irrecevables. En revanche, des éléments tirés de la législation, de la jurisprudence ou de la doctrine nationales ne sont pas irrecevables, « dès lors qu’il ne s’agit pas de reprocher à la chambre de recours de ne pas avoir pris en compte des éléments de fait dans un arrêt national précis, mais d’invoquer des jugements ou de la doctrine à l’appui d’un moyen tiré de la mauvaise application par la chambre de recours d’une disposition du [RMUE] ». De même, il est permis de déposer les directives de l’EUIPO : celles-ci ne consti-tuent pas des preuves proprement dites, mais concernent la pratique décisionnelle de l’EUIPO à laquelle une par-tie a le droit de se référer.

T. DE HAAN

85. TUE, 9 sept. 2016, aff. T-159/15, EU:T:2016:457, Puma c/ EUIPO – Gemma Group (félin bondissant), points 20 et 34, note A. Folliard-Mongui-ral, Arrêt Puma : preuve de la renommée et pratique décisionnelle, Propr. industr., nov. 2016, p. 31.86. TUE, 9 sept. 2016, aff. T-159/15, EU:T:2016:457, Puma c/ EUIPO – Gemma Group (félin bondissant), point 34.87. CJUE, 26 avr. 2007, aff. C-412/05P, EU:C:2007:252, Alcon c/ OHMI – Biofarma (Travatan), point 44 ; T. de Haan, Droit processuel appliqué aux propriétés intellectuelles : Propr. intell. 2016, n° 58, p. 111-112.88. TUE, 2 févr. 2016, aff. T-169/13, EU:T:2016:56, Benelli c/ OHMI – Demharter (Moto B), point 23.89. Ancien art. 135, § 4, du règlement de procédure de 1991 ; CJUE, 7 févr. 2013, aff. C-266/12P, EU:C:2013:73, Majtczak c/ Feng Shen – OHMI, point 45.90. TUE, 2 févr. 2016, aff. T-169/13, EU:T:2016:56, Benelli c/ OHMI – Demharter (Moto B), points 24 et 25.91. TUE, 16 juin 2016, aff. T-614/14, EU:T:2016:357, Fútbol Club Barce-lona c/ EUIPO – Kule (Kule), points 19 et 20.92. TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou), points 16 à 19.

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■■ 2. Demande d’injonction – Irrecevabilité• TUE, 16 juin 2016 aff. T-614/14, EU:T:2016:357 Fútbol Club Barcelona c/ EUIPO - Kule (Kule) précité

Il n’incombe pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO.

Dans le cadre d’un recours devant le Tribunal contre une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, conformément à l’article  65, § 6, RMUE, de prendre les mesures que comporte l’exé-cution de l’arrêt du Tribunal, c’est-à-dire de « tirer les conséquences du dispositif et des motifs » de l’arrêt.

Il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonc-tions à l’EUIPO. « Partant, les conclusions de la requé-rante tendant à ce que le Tribunal ordonne à l’EUIPO de rejeter la demande d’enregistrement [de la marque de l’Union européenne contestée] sont irrecevables »93.

T. DE HAAN

■■ 3. Obligation de motivation par l’EUIPO (RMUE, art. 75) – Moyen nouveau devant le Tribunal – Soulevé à l’audience (oui)

• TUE, 2 février 2016 aff. T-169/13, EU:T:2016:56 Benelli c/ OHMI – Demharter (Moto B) précité

Un moyen nouveau tiré de la violation de l’obligation de mo-tivation de la décision de l’EUIPO peut être soulevé même au stade de l’audience devant le Tribunal.

L’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO contenue à l’article 75 RMUE a la même portée que celle consacrée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE94. Elle répond au double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision95. Partant, une insuffisance de motivation de la décision de nature à méconnaître l’article 296, deu-xième alinéa, TFUE relève de la violation des formes substantielles (au sens de l’article 263 TFUE) « et consti-tue d’ailleurs un moyen pouvant, voire devant, être sou-levé d’office96 par le juge de l’Union »97.

Dans ces conditions, un requérant peut soulever, pour la première fois lors de l’audience devant le Tri-bunal, un nouveau moyen tiré de la violation de l’obli-gation de motivation de la décision de l’EUIPO. En l’espèce, le nouveau moyen, tiré de l’absence de motiva-tion concernant l’insuffisance des preuves relatives à la notoriété des marques antérieures invoquées, a été rejeté au motif que les considérations contenues dans la déci-sion étaient suffisamment précises pour permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles les

pièces étaient insuffisantes aux fins de démontrer ladite notoriété et au Tribunal d’exercer son contrôle de léga-lité de la décision attaquée98.

T. DE HAAN

■■ 4. Obligation de motivation par l’EUIPO (RMUE, art. 75) – Contexte procédural

• CJUE, 17 mars 2016 aff. C-252/15P, EU:C:2016:178 Naazneen Investments c/ OHMI – Energy Brands

Une motivation implicite, créée par la confirmation de la déci-sion de la division inférieure, peut être suffisante.

L’obligation de motivation qui incombe à l’EUIPO en vertu de l’article 75 RMUE peut être satisfaite sans qu’il soit nécessaire de répondre expressément et de manière exhaustive à l’ensemble des arguments avancés par un requérant99.

Dès lors qu’une décision d’une chambre de recours confirme l’analyse faite par la division d’annula-tion, selon laquelle la preuve de l’usage sérieux de la marque attaquée en déchéance n’est pas rapportée (ce qui équivaut, à tout le moins, à un rejet implicite des arguments du demandeur en déchéance sur ce point),

93. TUE, 16 juin 2016, aff. T-614/14, EU:T:2016:357, Fútbol Club Barce-lona c/ EUIPO – Kule (Kule), point 16.94. CJUE, 14 avril 2016, aff. C-480/15P, EU:C:2016:266, KS Sports IPCo c/ EUIPO – Alex Toys (Alex), point 32 ; aff. TUE, 12 mai 2016, T-590/14, EU:T:2016:295, Zuffa c/ EUIPO (Ultimate Fighting Championship), point 16.95. CJUE, 17 mars 2016, aff. C-252/15P, EU:C:2016:178, Naazneen In-vestments c/ OHMI – Energy Brands, point 29 ; CJUE, 6  sept. 2012, aff. C-96/11P, EU:C:2012:537, Storck c/ OHMI, point  86 ; CJUE, 10 mai 2012, aff. C-100/11P, EU:C:2012:285, Helena Rubinstein et L’Oréal c/ OHMI, point  111 ; TUE, 9 sept. 2016, aff. T-159/15, EU:T:2016:457, Puma c/ EUIPO – Gemma Group (félin bondissant), point  19 ; TUE, 12 mai 2016, aff. T-590/14, EU:T:2016:295, Zuffa c/ EUIPO (Ultimate Fighting Championship), point  17 ; TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou), point 53.96. Dans l’affaire Winnetou, le Tribunal a soulevé d’office le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation, et a interrogé les parties par des mesures d’organisation de la procédure. Le Tribunal a écarté les com-pléments de motifs que l’EUIPO avançait « en cours d’instance » et a, au final, jugé que la décision de l’EUIPO était entachée d’une insuffisance de motivation qui justifiait, à elle seule, son annulation (TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, points 48, 61 et 80).97. CJUE, GC, 10 juil. 2008, aff. C-413/06P, EU:C:2008:392, Bertels-mann et Sony c/ Impala, point 174 ; CJUE, 20 févr. 1997, aff. C-166/95P, EU:C:1997:73, Commission c/ Daffix, point 24.98. 98. TUE, 2 févr. 2016, aff. T-169/13, EU:T:2016:56, Benelli c/ OHMI – Demharter (Moto B), point 35.99. CJUE, 17 mars 2016, aff. C-252/15P, EU:C:2016:178, Naazneen In-vestments c/ OHMI – Energy Brands, point 34 ; CJUE, 6  sept. 2012, aff. C-96/11P, EU:C:2012:537, Storck c/ OHMI, point  88 ; CJUE, 10 mai 2012, aff. C-100/11P, EU:C:2012:285, Helena Rubinstein et L’Oréal c/ OHMI, point 112.

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on peut considérer que «  la motivation de la division d’annulation fait partie du contexte dans lequel la déci-sion litigieuse [de la chambre de recours] a été adoptée, contexte qui était connu d[u titulaire de la marque atta-quée] et permettait au juge d’exercer pleinement son contrôle de légalité »100.

Pour que le moyen tiré de l’insuffisance ou de l’ab-sence de motivation de la décision de la chambre de recours puisse avoir une chance d’être accueilli par le Tribunal, le requérant aurait dû identifier spécifique-ment les arguments auxquels la chambre de recours n’aurait pas répondu et aurait dû démontrer en quoi la prétendue absence de motivation aurait affecté l’exer-cice de son droit de recours101.

T. DE HAAN

■■ 5. Obligation de motivation par l’EUIPO (RMUE, art. 75) – Motivation globale – Produits de merchandising (non)

•TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161 Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou) précité• TUE, 12 mai 2016 aff. T-590/14, EU:T:2016:295 Zuffa c/ EUIPO (Ultimate Fighting Championship)

Une motivation globale pour une série de produits ou services n’est admise que si ceux-ci présentent une homogénéité suffi-sante et si la motivation peut être appliquée indifféremment à chacun des produits et services concernés.

L’EUIPO ne peut adopter de motivation globale à l’égard de produits de merchandising qui « présentent entre eux des différences telles, tenant à leur nature, à leurs carac-téristiques, à leur destination et à leur mode de com-mercialisation, qu’ils ne peuvent être considérés comme constituant une catégorie homogène »102. Si tel est le cas, le Tribunal pourra annuler la décision de l’EUIPO pour violation de son obligation de motivation.

À l’inverse, le Tribunal validera la décision de la chambre de recours si l’ensemble des considérations de fait et de droit qui constituent la motivation de la déci-sion attaquée, d’une part, explicite à suffisance le raison-nement suivi pour chacun des produits appartenant à une catégorie et, d’autre part, peut être appliqué indiffé-remment à chacun d’eux103.

T. DE HAAN

3. Preuves devant l’EUIPO

■■ 1. Procédure d’opposition – Preuves tardives – article 76, § 2, RMUE

• CJUE, 21 juillet 2016 aff. C-597/14P, EU:C:2016:579 EUIPO c/ Grau Ferrer• TUE, 28 janvier 2016 aff. T-335/14, EU:T:2016:39 José-Manuel Davó Lledó c/ OHMI – Administradora y Franquicias América et Inversiones Ged• TUE, 12 mai 2016 aff. T-322/14 et T-325/14, EU:T:2016:297, mobile.international c/ EUIPO – Rezon• TUE, 16 juin 2016 aff. T-614/14, EU:T:2016:357 Fútbol Club Barcelona c/ EUIPO – Kule (Kule) précité

La portée de l’article 76, § 2, RMUE est horizontale et s’ap-plique indépendamment de la nature de la procédure concernée.

Une question procédurale récurrente posée devant le juge de l’Union consiste à déterminer dans quelle mesure la chambre de recours de l’EUIPO pouvait ou devait tenir compte de preuves présentées tardivement.

L’article 76, § 2, RMUE dispose que « [l]’Office peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile  ». En précisant que l’Office « peut » déci-der de ne pas tenir compte de faits et de preuves tardi-vement invoqués ou produits, l’article 76, § 2, RMUE l’investit d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre ceux-ci en compte104.

100. CJUE, 17 mars 2016, aff. C-252/15P, EU:C:2016:178, Naazneen In-vestments c/ OHMI – Energy Brands, point 31 ; CJUE, 30 mai 2013, aff. C-357/12P, EU:C:2013:356, Wohlfahrt c/ OHMI – Ferrero (Kindertaum), point 43.101. CJUE, 17 mars 2016, aff. C-252/15P, EU:C:2016:178, Naazneen In-vestments c/ OHMI – Energy Brands, point 35.102. TUE, 18 mars 2016, aff. T-501/13, EU:T:2016:161, Karl-May-Verlag c/ OHMI – Constantin Film Produktion (Winnetou), points 70 à 72, note A. Folliard-Monguiral, Arrêt Winnetou  : motifs absolus et portée des juge-ments nationaux, Propr. industr., mai 2016, p. 37. Dans cette affaire, l’EUI-PO avait regroupé sous le terme « merchandising » de nombreux produits relevant de onze classes différentes, incluant notamment la parfumerie, les métaux précieux, l’horlogerie, le papier, les cannes, la chapellerie, les jeux, les machines à calculer, les peignes et éponges, les articles de bureau, le poisson, les confitures, la confiserie, etc.103. TUE, 12 mai 2016, aff. T-590/14, EU:T:2016:295, Zuffa c/ EUIPO (Ultimate Fighting Championship), points 25 à 32, note A. Folliard-Mongui-ral, Arrêt Ultimate Fighting Championship : acquisition du caractère distinc-tif et public spécialisé, Propr. industr., juil.-août 2016, p. 33.104. CJUE, GC, 13 mars 2007, aff. C-29/05P, EU:C:2007:162, OHMI c/ Kaul et Bayer, point 42.

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En 2013, la Cour de justice avait jugé que, lorsqu’aucune preuve de l’usage de la marque concernée n’est produite dans le délai imparti par l’Office, le rejet de l’opposition doit être prononcé d’office. En revanche, lorsque des éléments de preuve ont été produits dans le délai imparti par l’Of-fice, la production de preuves supplémentaires demeure pos-sible105. Il faut toutefois que l’Office justifie que les éléments tardivement produits soient « de prime abord susceptibles de revêtir une réelle pertinence  » en ce qui concerne le sort de la demande formée devant lui, et que le stade de la procédure auquel intervient cette production tardive et les circonstances qui l’entourent ne s’y opposent pas106.

La Cour confirme et élargit cet enseignement en jugeant que la règle contenue à l’article 76, § 2, RMUE «  est dotée d’un rôle horizontal dans le système du règlement, en ce qu’elle s’applique indépendamment de la nature de la procédure concernée »107. Elle vaut donc aussi pour ce qui est de la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de la marque.

Ainsi, dans une procédure en nullité d’une marque de l’Union européenne pour dépôt de mauvaise foi, le Tribunal a validé la décision de la chambre de recours ayant accepté que le demandeur en nullité verse pour la première fois au stade de la procédure devant la chambre de recours des pièces complémentaires à celles déposées devant la division d’annulation. En l’espèce, il s’agis-sait de différentes pages de sites Internet annonçant les intentions du demandeur de faire usage de la marque en Europe, avant que le titulaire ne le prenne malicieu-sement de vitesse108. Ces pages corroboraient et s’ajou-taient aux éléments auxquels le demandeur se référait pour démontrer que le titulaire avait une connaissance effective de sa marque, mais que la division d’annulation avait estimés « insuffisants » pour établir la mauvaise foi du titulaire.

Il en va de même dans le cadre d’une procédure en nullité fondée sur un risque de confusion entre une marque de l’Union européenne et une marque bul-gare antérieure. Le Tribunal accepte que le demandeur en nullité ait pu compléter, pour la première fois au stade de la procédure devant la chambre de recours, sa démonstration selon laquelle la marque nationale avait fait l’objet d’un usage sérieux par la production de 81 factures (toutes traduites dans la langue de procédure devant l’EUIPO)109.

Cependant, le Tribunal a par ailleurs aussi pu confir-mer la décision opposée d’une chambre de recours, lorsque celle-ci avait estimé que des éléments présentés tardivement ne pouvaient être accueillis, car ils « n’ap-portaient aucune indication du lieu, de la durée et de l’importance de l’usage des marques antérieures au regard des produits en cause et n’étaient, par conséquent, pas susceptibles de revêtir une réelle pertinence »110.

T. DE HAAN

■■ 2. Valeur probante – Wikipédia• TUE, 21 janvier 2016 aff. T-75/15, EU:T:2016:26 Rod Leichtmetallräder c/ OHMI – Rodi (Rod)• TUE, 3 mars 2016 aff. T-778/14, EU:T:2016:122 Ugly c/ OHMI – Group Lottuss (Coyote Ugly)• TUE, 16 juin 2016 aff. T-614/14, EU:T:2016:357 Fútbol Club Barcelona c/ EUIPO – Kule (Kule) précité• TUE, 6 juillet 2016 aff. T-97/15, EU:T:2016:393 Mozzetti c/ EUIPO – di Lelio (Alfredo’s Gallery)

Un extrait de Wikipédia constitue une information incertaine.

Le Tribunal confirme sa méfiance à l’égard d’une source d’information aussi répandue que Wikipédia : « il est de jurisprudence constante qu’un extrait de Wikipé-dia constitue une information incertaine, dès lors qu’il est tiré d’une encyclopédie collective établie sur Inter-net dont le contenu est modifiable à tout moment et, dans certains cas, par tout visiteur, même anonyme »111. « La fiabilité du contenu de cette encyclopédie [doit] être considérée avec prudence »112.

« L’imprimé en question, étant issu de Wikipédia, ne dispos[e] que d’une faible valeur probante »113.

T. DE HAAN

105. CJUE, 18 juil. 2013, aff. C-621/11P, EU:C:2013:484, New Yorker SHK Jeans c/ OHMI, points 28 et 30 ; CJUE, 26 sept. 2013, aff. C-610/11P, EU:C:2013:593, Centrotherm Systemtechnik c/ OHMI – centrothem Clean Solutions, points 86 et 88.106. CJUE, 18 juil. 2013, aff. C-621/11P, EU:C:2013:484, New Yorker SHK Jeans c/ OHMI, point 33.107. CJUE, 21 juil. 2016, aff. C-597/14P, EU:C:2016:579, EUIPO c/ Grau Ferrer, point 27.108. TUE, 28 janv. 2016, aff. T-335/16, EU:T:2016:39, José-Manuel Davó Lledó c/ OHMI – Administradora y Franquicias América et Inversiones Ged.109. TUE, 12 mai 2016, aff. T-322/14 et T-325/14, EU:T:2016:297, mo-bile.international c/ EUIPO – Rezon, point  44. Un pourvoi est pendant contre cet arrêt (aff. C-478/16P).110. TUE, 16 juin 2016, aff. T-614/14, EU:T:2016:357, Fútbol Club Bar-celona c/ EUIPO – Kule (Kule), point  29 ; Y. Basire : Propr. intell. 2016, n° 60, p. 370.111. TUE, 6 juil. 2016, aff. T-97/15, EU:T:2016:393, Mozzetti c/ EUIPO – di Lelio (Alfredo’s Gallery), point 38 ; TUE, 16 juin 2016, aff. T-614/14, EU:T:2016:357, Fútbol Club Barcelona c/ EUIPO – Kule (Kule), point 47 ; TUE, 16 juin 2015, aff. T-229/14, EU:T:2015:384, Norma Lebensmittelfi-lialbetrieb c/ OHMI – Yorma’s (Yorma Eberl), point 47 ; TUE, 16 oct. 2014, aff. T-444/12, EU:T:2014:886, Novartis c/ OHMI – Tenimenti Angelini (Linex), point 47 ; Y. Basire : Propr. intell. 2016, n° 60, p. 371.112. TUE, 21 janv. 2016, aff. T-75/15, EU:T:2016:26, Rod Leichtmetallräder c/ OHMI – Rodi (Rod), point 55.113. TUE, 3 mars 2016, aff. T-778/14, EU:T:2016:122, Ugly c/ OHMI – Group Lottuss (Coyote Ugly), point 38.

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4. Délais, formalités et langue de procédure devant le Tribunal et la Cour

A. Délais

■■ 1. Cas fortuit – Manque de diligence – Irrecevabilité

• CJUE, 12 juillet 2016 aff. C-399/15P, EU:C:2016:786 Vichy Catalán c/ EUIPO

Le requérant ne peut déroger aux délais de procédure au motif de l’existence d’un cas fortuit s’il a négligé d’informer sans délai le Tribunal de l’existence probable du cas fortuit.

Les délais de recours sont d’ordre public. Il ne peut y être dérogé « que dans des circonstances tout à fait exception-nelles, de cas fortuit ou de force majeure »114. La notion de « cas fortuit » comporte un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à l’opérateur, et un élément subjectif, tenant à l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anor-mal en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs. En particulier, l’opérateur doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus115.

En l’espèce, une requérante espagnole avait adressé sa requête au Tribunal par courrier électronique le 26  mai 2015. L’original signé devait parvenir dans les dix jours au greffe du Tribunal (art. 43, § 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal). Le vendredi 29 mai 2015, la requé-rante a voulu envoyer sa requête par la poste, mais en raison d’un dysfonctionnement des services postaux espagnols, elle a dû reporter l’envoi au lundi 1er juin 2015. Celui-ci n’est parvenu au greffe du Tribunal que le 8 juin 2015, soit hors délai.

Avertie, le 15 juin 2015, que le greffe du Tribunal esti-mait le recours tardif, la requérante a contesté, le lende-main, l’interprétation prétendument trop stricte que faisait le greffe, sans toutefois évoquer la question de l’existence d’un cas fortuit. Le 17 juin 2015, la requérante obtint du directeur du bureau de poste d’expédition un certificat reconnaissant que le pli contenant la version papier aurait dû, selon le délai contractuel de livraison, parvenir au greffe le 5 juin 2015 et que, pour des raisons inconnues, il a été livré le 8 juin 2015. La requérante n’a cependant pas informé le Tribunal de l’existence de ce certificat.

C’est dès lors sans commettre d’erreur que le Tribu-nal a pu décider, le 25 juin 2015, que le recours était tar-dif et manifestement irrecevable116. Alors qu’elle disposait, dès le 17 juin 2015, d’un document qui lui permettait de supposer qu’un événement anormal et indépendant de sa volonté avait indûment retardé la livraison, la requérante a négligé d’en informer le Tribunal. Elle ne s’est partant pas prémunie avec suffisamment de diligence contre les consé-quences de l’événement anormal. Elle aurait dû attirer l’at-tention du Tribunal sur l’existence probable du cas fortuit en lui transmettant le document en question « sans délai

et en tous cas avant le 25 juin 2015, date du prononcé de l’ordonnance »117. « En n’expédiant pas la version papier de sa requête immédiatement après l’envoi de sa copie élec-tronique, [la requérante] a [en outre] augmenté le risque que sa requête parvienne tardivement au Tribunal et n’a pas fait preuve de la diligence attendue d’un requérant norma-lement avisé en vue de respecter les délais »118.

T. DE HAAN

■■ 2. Force majeure – Appréciation factuelle échappant à la Cour

• CJUE, 4 mai 2016 aff. C-603/15P, EU:C:2016:332 Monster Energy Company c/ EUIPO

La question de savoir si une personne qui invoque la force majeure a pris des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs correspond à une appréciation de nature factuelle, pour laquelle la Cour n’est pas compétente.

La notion de « force majeure » en cas d’expiration des délais de recours doit être entendue dans le sens de cir-constances étrangères à l’opérateur, anormales et impré-visibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées. Cette dernière condition, qui correspond à l’élément subjectif du cas fortuit ou de force majeure, implique l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs. Une diligence suffi-sante présuppose un comportement actif continu, orienté vers l’identification et l’évaluation des risques potentiels, ainsi que la capacité de prendre des mesures adéquates et efficaces afin de prévenir la réalisation de tels risques119.

Le moyen qui est pris de la violation de l’article 45, second alinéa, du Statut de la Cour de justice de l’Union européenne relatif à l’incidence d’un cas de force majeure correspond à une appréciation de nature fac-tuelle, pour laquelle la Cour n’est pas compétente. L’ap-préciation portée à cet égard par le Tribunal ne peut être soumise à la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

T. DE HAAN

114. CJUE, 12 juil. 2016, aff. C-399/15P, EU:C:2016:786, Vichy Catalán c/ EUIPO, point 23 ; CJUE, 30 sept. 2014, aff. C-138/14P, EU:C:2014:2256, Faktor B.i W. Gesina c/ Commission, point 17.115. CJUE, 12 juil. 2016, aff. C-399/15P, EU:C:2016:786, Vichy Catalán c/ EUIPO, point 24 ; CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-426/10P, EU:C:2011:612, Bell & Ross c/ OHMI, point 48.116. TUE, 25 juin 2015, aff. T-302/15, EU:T:2015:443, Vichy Catalán c/ OHMI.117. CJUE, 12 juil. 2016, aff. C-399/15P, EU:C:2016:786, Vichy Catalán c/ EUIPO, point 27.118. CJUE, 12 juil. 2016, aff. C-399/15P, EU:C:2016:786, Vichy Catalán c/ EUIPO, point 30.119. CJUE, 4 mai 2016, aff. C-603/15P, EU:C:2016:332, Monster Energy Company c/ EUIPO, point 35.

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■■ 3. Restitutio in integrum – Non-respect du délai pour déposer un recours devant le Tribunal

• TUE, 8 juin 2016 aff. T-583/15, EU:T:2016:338 Monster Energy Company c/ EUIPO

Le système de la restitutio in integrum concerne les pro-cédures devant l’EUIPO, mais ne s’applique pas, dans son ensemble, aux procédures portées devant le juge de l’Union.

La requérante soutenait n’avoir pas reçu la notifi-cation par télécopieur de la décision défavorable de la chambre de recours de l’EUIPO rendue six mois plus tôt. L’EUIPO était, quant à lui, en mesure de produire le rapport de transmission comportant outre la date, l’heure et le numéro correct du destinataire, la mention « OK ».

La requérante déposa alors auprès de l’EUIPO une requête en restitutio in integrum au sens de l’article  81 RMUE, afin d’obtenir le rétablissement de ses droits à contester la décision devant le Tribunal (malgré le dépassement du délai de deux mois prévu à l’article 65 RMUE). Sa requête tendait, en d’autres termes, à rou-vrir un délai de recours devant le Tribunal. L’EUIPO rejeta cependant cette requête aux motifs que l’article 81 RMUE ne concernait que les délais applicables à l’égard de l’EUIPO et non les délais applicables à l’égard du Tribunal. Le Tribunal confirma la décision de ne pas faire droit à la requête : « Ce n’est donc pas l’article 81 [RMUE] sur la restitutio in integrum qui s’applique dans les circonstances où un recours porté devant le Tribu-nal contre une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO est susceptible d’être considéré comme tardif par le juge, mais ce sont les dispositions applicables au juge, c’est-à-dire, outre l’article 263 TFUE, l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, selon lequel “aucune déchéance tirée de l’expiration des délais ne peut être opposée lorsque l’in-téressé établit l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure”  »120. C’est donc à bon droit que l’EUIPO a considéré que l’article 81 RMUE ne saurait concerner des délais de recours devant le juge de l’Union.

T. DE HAAN

B. Signature par l’avocat

■■ Requête non signée par un avocat – Irrecevabilité

• CJUE, 19 octobre 2016 aff. C-313/16P, EU:C:2016:786 Médis c/ EUIPO

Le défaut de déposer dans le délai l’original d’une requête signée par un avocat affecte celle-ci d’un vice qui ne peut faire l’objet d’une régularisation et entraîne l’irrecevabilité du recours.

Devant le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne, la représentation par un avocat est obliga-toire. Celui-ci devra prouver qu’il est habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen121.

D’un point de vue formel, il est nécessaire que l’original de la requête contenant un recours devant le Tribunal soit déposé au greffe dans le délai et que cet original soit signé de la main de l’avocat. À défaut, le recours est irrecevable, car l’absence de signature de l’original n’est pas un vice pouvant faire l’objet d’une régularisation.

La Cour de justice a rappelé la sévérité de la sanction avec force dans l’affaire Médis122. En l’espèce, la version papier de la requête introductive de l’instance devant le Tribunal comportait non pas la signature manuscrite de l’avocat de la partie requérante, mais uniquement la signature scannée de celui-ci. Le recours fut déclaré irrecevable par le Tribunal123. La Cour rejeta le pour-voi contre l’arrêt du Tribunal, en rappelant qu’«  une requête non signée par un avocat est affectée d’un vice de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours à l’ex-piration des délais de procédure et ne peut faire l’objet d’une régularisation ».

T. DE HAAN

120. TUE, 8 juin 2016, aff. T-583/15, EU:T:2016:338, Monster Energy Company c/ EUIPO, point 45.121. Règl. de procédure du Tribunal, art. 51, § 2, et 177, § 5 ; règl. de pro-cédure de la Cour, art. 119, § 2 et 3.122. CJUE, 19 oct. 2016, aff. C-313/16P, EU:C:2016:786, Médis – Com-panhia portuguesa de Seguros de Saúde c/ EUIPO.123. TUE, 15 mars 2016, aff. T-774/15, EU:C:2016:175.

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C. Langue de procédure

■■ Changement de langue du pourvoi – Défaut d’autorisation préalable – Irrecevabilité

• CJUE, 14 janvier 2016 aff. C-500/15P, EU:C:2016:18 rectifié le 12 mai 2016, EU:C:2016:345 TVR Italia c/ TVR Automotive – EUIPO

Un pourvoi devant la Cour est irrecevable s’il est rédigé dans une autre langue que celle de la procédure devant le Tribunal et si ce changement de langue n’a pas été préalablement autorisé.

En vertu de l’article 37 de son règlement de procédure, la Cour peut autoriser que la langue du pourvoi soit différente de celle utilisée lors de la procédure devant le Tribunal. Cette autorisation peut être donnée, soit à la demande conjointe des parties, soit de l’une d’elles, les autres parties et l’avocat général entendus.

En l’espèce, une société italienne a unilatéralement « choisi » de rédiger son pourvoi en italien, sans l’accom-pagner d’une traduction anglaise, alors que la langue de procédure devant le Tribunal était l’anglais, et sans solli-citer – ni obtenir – l’autorisation de ce changement de langue. Il s’agit là d’un vice de procédure qu’il n’est pas possible de régulariser.

La Cour rejette le pourvoi comme manifestement irrecevable.

T. DE HAAN

D. Objet du pourvoi

■■ Pourvoi devant la Cour – Objet – Irrecevabilité

• CJUE, 14 avril 2016 aff. C-480/15P, EU:C:2016:266 KS Sports IPCo c/ EUIPO – Alex Toys (Alex)• CJUE, GC, 8 novembre 2016 aff. C-43/15P, EU:C:2016:837 BSH Bosch und Siemens Hausgeräte c/ EUIPO – LG Electronics (Kompressor)

Un pourvoi doit critiquer l’arrêt du Tribunal et non la décision de l’EUIPO. En outre, le pourvoi ne peut critiquer la violation du principe du contradictoire par l’EUIPO si celle-ci ne l’a pas été au stade de la procédure devant le Tribunal.

Dans la mesure où la partie requérante critique, dans son pourvoi, la décision litigieuse de la chambre de recours comme étant insuffisamment motivée, en parti-culier au regard d’un certain arrêt antérieur du Tribunal, «  il suffit de rappeler que les arguments d’un pourvoi qui critiquent non pas l’arrêt rendu par le Tribunal à la suite d’une demande d’annulation d’une décision, mais la décision dont l’annulation a été demandée devant le Tribunal, ne sont pas recevables »124.

De même, n’est pas recevable devant la Cour le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire

par la chambre de recours, alors que ce moyen n’était pas invoqué au stade de la procédure devant le Tribu-nal. En l’espèce, la chambre de recours avait manifeste-ment violé le principe du contradictoire en faisant droit à un recours incident introduit par le défendeur, sans laisser l’opportunité au demandeur devant la chambre de recours de faire valoir ses observations éventuelles sur ce recours incident. Toutefois, devant le Tribunal, le demandeur qui fut défavorisé à tort par la chambre de recours négligea d’adresser cette violation de ses droits procéduraux et limita son recours au seul moyen de fond relatif à l’absence prétendue de risque de confu-sion, lequel fut rejeté125. Il se ravisa devant la Cour, mais celle-ci rejeta le moyen de procédure, en l’absence de contestation sur ce point au stade de la procédure devant le Tribunal.

T. DE HAAN

III. Droit processuel international

■■ Exequatur - Opposition pour manquement aux droits de la défense - Épuisement des recours internes dans le pays d’origine

• CEDH, GC, 23 mai 2016 aff. n° 17502/02• CJUE 1re ch., 25 mai 2016 aff. C-559/14126

Pour pouvoir faire échec à l’exequatur d’une décision dans un État membre requis du fait de la violation des droits de la dé-fense dans le pays d’origine, il faut d’abord avoir épuisé toutes les voies de recours dans le pays d’origine.

Deux procédures d’exequatur simplifiées d’une décision rendue par une juridiction chypriote (dans la première affaire) et anglaise (dans la seconde affaire) sont enta-mées dans un État dit «  requis  » (la Lettonie dans les deux affaires), mais à chaque fois le défendeur s’y oppose pour violation des droits de la défense, le défendeur condamné par défaut n’ayant pas été informé du dérou-lement de la procédure chypriote (dans la première affaire) et la décision anglaise portant atteinte au droit de propriété de tiers à la procédure (dans la seconde affaire).

Dans les deux affaires la Cour EDH et la CJUE dénient toute possibilité de se prévaloir d’une atteinte aux droits de la défense consacrés par l’article 6 § 1 de

124. CJUE, 14 avr. 2016, aff. C-480/15P, EU:C:2016:266, KS Sports IPCo c/ EUIPO – Alex Toys (Alex), point 31 ; CJUE, 19 juin 2014, aff. C-670/13P, EU:C:2014:2024, Cartoon Network c/ OHMI – Boomerang TV (Boomerang), point 51 ; CJUE, 17 janv. 2013, aff. C-21/12P, EU:C:2013:23, Abbott Laboratories c/ OHMI, point 86.125. TUE, 4 déc. 2014, aff. T-595/13, EU:T:2014:1023, BSH c/ OHMI – LG Electronics (Kompressor).126. Ces deux arrêts ont déjà fait l’objet d’un commentaire par E. Bonifay in D. 2016, n° 27, p. 1636 s.

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la Convention EDH (dans la première affaire) aussi bien que par l’ordre public de l’État requis selon l’article 34 point  1 du règlement Bruxelles I (dans la seconde affaire), le requérant n’ayant pas d’abord épuisé toutes les voies de recours dans le for d’origine, à Chypre, d’une part et au Royaume-Uni, d’autre part.

Il faut donc avoir épuisé – évidemment sans succès – toutes les voies de recours dans le for d’origine pour pouvoir ensuite, et seulement ensuite, invoquer une vio-lation des droits de la défense pour faire échec à l’exe-quatur dans l’État requis où elle est initiée. La solution est une confirmation pour la CJUE127 et une première pour la Cour EDH. Elle n’était pourtant pas évidente en théorie dans les deux cas. Ainsi, la CJUE étend cette condition d’épuisement des voies de recours dans le for légitime expressément prévue par l’article  34 point  2 du règlement Bruxelles I au cas prévu par l’article 34 point 1 qui n’en dit pourtant rien tandis que, devant la Cour EDH, on observe une véritable duplication de la condition d’épuisement des voies de recours déjà pré-vue par l’article 35 § 1 de la Convention par rapport à la décision déférée128 de sorte qu’il faut non seulement avoir épuisé toutes les voies de recours contre la déci-sion accordant l’exequatur, mais aussi contre la décision d’origine, objet de l’exequatur.

En pratique toutefois, la solution n’apparait pas excessivement sévère puisque dans les deux cas d’espèce, en dépit du défaut d’information et de la situation de tiers par rapport à la procédure dans le for d’origine, les personnes concernées avaient bien pu y exercer des voies de recours, mais sans les épuiser jusqu’au bout.

Le nouveau règlement dit Bruxelles I bis (UE 1215/2012), entré en vigueur depuis janvier 2015 change-t-il alors cette donne ?

Certes, les décisions rendues dans un État membre sont désormais directement reconnues par tout autre État membre129, mais le défendeur peut encore agir en refus de reconnaissance ou d’exécution pour les mêmes motifs qui lui permettaient auparavant de s’opposer à l’exequatur simplifiée. Par conséquent, il est raisonnable d’en déduire que la même condition d’épuisement des voies de recours dans le for d’origine sera exigée de celui qui veut agir désormais en refus de reconnaissance ou d’exécution par application du nouveau règlement Bruxelles I bis.

Bien au-delà des droits de la défense, il est aussi per-mis de penser que la même condition d’épuisement des voies de recours dans le for d’origine sera encore exigée pour faire valoir une autre cause de refus de reconnais-sance ou d’exécution, le caractère inconciliable de la décision avec une autre préalablement rendue selon les articles 34, points 4 et 5 du règlement Bruxelles I et 45 § 1, c) et d) du règlement Bruxelles I bis130.

C. DE HAAS

127. CJUE, 1re ch., 16 juil. 2015, aff. C-681/13.128. Sur cette première condition de recevabilité des recours à la Cour EDH, voir le Guide pratique de la recevabilité de la Cour EDH, en ligne à : < http://www.echr.coe.int/Documents/Admissibility_guide_FRA.pdf >.129. L’art. 36.1 dudit règl. consacre la reconnaissance de toute décision rendue dans un État membre par tout autre État membre sans aucune formalité, mais l’art. 37 en subordonne encore l’exécution à la production d’une copie authentique et d’un certificat établi par la juridiction d’ori-gine conformément à l’article 53 et l’annexe 1 du même règl.130. Dans ce sens, lire la note préc. d’E. Bonifay.

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