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Départ sans destination. Annemarie Schwarzenbach, photographe 18.09.20–03.01.21 Guide d’exposition Fondée par Maurice E. et Martha Müller et les héritiers de Paul Klee

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Départ sans destination. Annemarie Schwarzenbach, photographe18.09.20–03.01.21

Guide d’exposition

Fondée par Maurice E. et Martha Müller et les héritiers de Paul Klee

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Sommaire

1 « L’amour de l’Europe » 7

2 « Petites rencontres » 12

3 Une « nouvelle terre » 15

4 « Au-delà de New York » 21

5 « Entre les continents » 28

6 « La vallée heureuse » 31

Biographie 36

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Plan de la salle

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LOUNGE

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Écrivaine, journaliste, photographe, voyageuse : Annemarie Schwarzenbach est l’une des figures les plus brillantes et les plus contradictoires de l’histoire culturelle moderne en Suisse.

Schwarzenbach se considérait avant tout comme une écrivaine. Mais dans son pays, elle était aussi une pionnière de la photographie de reportage. Quelque 300 textes d’elle sont parus, de son vivant, dans des revues et des journaux suisses. À partir de 1933, ces textes sont de plus en plus souvent accompagnés de ses propres photos. Mais comme la plupart de ses photographies est restée inédite, la qualité et l’étendue de son travail de photographe sont encore peu connues.

La grande majorité de ces photographies ont été prises lors de voyages qui ont conduit Schwarzenbach au Proche-Orient et en Asie centrale, aux USA, en Europe, en Afrique centrale et en Afrique du Nord, entre 1933 et 1942. Ayant une activité de journaliste, et étant par ailleurs issue de la haute bourgeoisie et femme de diplomate, elle a bénéficié d’une liberté, exceptionnelle pour l’époque, dans ses déplacements jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale.

Ses images et ses textes sont étroitement liés et documentent les violents bouleversements, tensions et conflits de son temps, avant la Seconde Guerre mondiale : répercussions de la crise économique de 1929, espoirs mis dans le progrès social, conséquences de la modernisation et de l’industrialisation, menace du fascisme et fasci-nation de l’Europe pour l’« Orient ».

Dans ces images se reflètent aussi des thèmes plus personnels, tels que le déracinement, la vie en exil, l’homosexualité ou la rup-ture avec les rôles traditionnels des sexes. Mais ces photos révèlent également la passion jamais démentie de Schwarzenbach pour les

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voyages eux-mêmes, ainsi que sa quête de l’inconnu – le « départ sans destination » comme expérience existentielle.

Cette exposition a été réalisée à partir de la succession d’Annemarie Schwarzenbach, qui compte environ 7000 photographies ; conser-vés aux Archives littéraires suisses à Berne, les documents de cette succession sont accessibles au public.

Dans le guide de l’exposition vous trouverez également une biogra-phie d’Annemarie Schwarzenbach ainsi que des citations et des pas-sages extraits du texte de l’exposition.

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1 « L’amour de l’Europe »

C’est en 1933 qu’Annemarie Schwarzenbach commence à travailler comme photojournaliste itinérante dans le cadre d’un voyage en Espagne. Sa compagne, la photographe allemande Marianne Breslauer, est chargée des photos, tandis que Schwarzenbach se voit confier l’écriture des articles. Cette année-là cependant, la prise de pouvoir des nationaux-socialistes empêche rapidement Marianne Breslauer, journaliste juive, de poursuivre son travail. Par la suite, Schwarzenbach assume elle-même le double rôle de photographe et de journaliste.

Contrairement à l’esprit nationalist de son temps, Annemarie Schwarzenbach se conçoit comme Européenne et cosmopolite. Face au nationalisme rampant, elle craint pour l’héritage culturel et intel-lectuel du continent : liberté, humanisme et tolérance spirituelle. Et pourtant les photographies des voyages de Schwarzenbach à travers l’Europe – en particulier celles de la Scandinavie, mais aussi celles de la Suisse – offrent une image étonnamment paisible de l’époque.

Le contraste entre les images idylliques de l’Europe et les menaces politiques présentes en arrière-plan révèlent le dilemme auquel Schwarzenbach est confrontée en tant qu’écrivaine : d’une part elle cherche, en écrivant, à résister au fascisme. De l’autre, en tant que Suisse et non-juive, elle jouit de privilèges qui lui permettent de continuer à circuler librement en Europe et d’échapper aux menaces immédiates.

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1.1 « Et puis, enfin, la Suisse, les amis, le pays natal, Sils. Vous n’imaginez pas à quel point j’aspire à retrouver tout cela, après tant d’ailleurs et d’inconnu, au sens extérieur du terme. »Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Annigna Godly, 24 avril 1942

1.2 « Nous y étions déjà habitués : cela faisait le troisième jour qu’il pleuvait. En ville, cela n’avait aucune importance ; dans les mon-tagnes, avec de la bonne volonté, cela pouvait rendre notre situation plus romantique. Et quelles montagnes ! Nous nous trouvions dans les Pyrénées occidentales, à l’écart du monde – ni village ni station essence, ni aucune autre voiture. La route [...] s’écoulait sous nos roues, argileuse et jaunâtre. […] Après avoir roulé plusieurs heures dans le gris du brouillard, nous étions à bout de patience et prêts à prendre des initiatives. Nous avons alors vu un village. […] Et c’est là qu’une petite fille, une fleur dans la bouche, nous a découverts ; et les maisons étrangement mortes, les murets en ruine et les portes qui s’écroulent, les cours pleines de bric-à-brac et les fenêtres vides se sont révélées habitées. »Extrait de : «Fremdlinge dringen in ein Pyrenäendorf» (Des étrangers pénètrent dans un village des Pyrénées), 1933

1.3 Au cours de l’année 1933, lorsque les nationaux-socialistes prennent le pouvoir en Allemagne, toute la presse est « mise au pas » et « aryanisée ». On interdit aux journalistes juifs comme Marianne Breslauer d’exercer leur profession. L’agence photogra-phique allemande « Akademia », qui a envoyé Breslauer en Espagne en 1933, l’informe à son retour que ses photos ne pourront plus être publiées que sous le nom d’« Annelise Brauer », pseudonyme à consonance aryenne. Au dos de ces photos est imprimé le nom de « M. Brauer », qui a été corrigé à la main en « M. Breslauer », – très certainement par Marianne Breslauer elle-même.

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1.4 « Je me demande seulement – et cela devient chaque jour plus pressant – si les gens se rendent vraiment compte de la gravité des événements – à savoir qu’ici, non seulement une tendance détestable prend temporairement le dessus, mais aussi que tout un peuple, pourtant très talentueux, un peuple que l’on ne saurait rayer de l’histoire culturelle de l’Europe […] s’engage pour plusieurs années dans cette voie. […] Se détourner reviendrait à renoncer à ses convictions et à se suicider. Nous devons continuer à vivre, nous qui appartenons à la culture allemande. […] S’opposer, ce ne serait donc ni fuir ni renoncer […], mais continuer à cultiver les valeurs spirituelles auxquelles on croit, jusqu’à ce que viennent des jours meilleurs. »Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Klaus Mann, 8 avril 1933

1.5 « Le château de Gripsholm a fêté ses quatre cents ans. Et en juin, ‹ mois du solstice d’été ›, les Suédois […] ont su organiser à Gripsholm tout ce que l’on est en droit d’attendre d’un gigantesque jubilé populaire. […] Les étrangers qui ont assisté à la fête ont été surpris de la voir se dérouler dans une atmosphère aussi paisible et unanime, sans aucune dissonance – de constater que les sociaux-démocrates suédois ont vraiment l’esprit patriote, que le roi ne craint pas d’être entouré de syndicalistes rouges, sans garde du corps ni agent de renseignement, que les fanfares des régiments sont extrêmement populaires et que la mentalité, qui s’exprime dans les textes du festival, est résolument pacifiste. Bref, qu’en Suède tous les antagonismes qui sont aujourd’hui, partout, source d’âpres querelles et de vives divisions semblent surmontés de la façon la plus naturelle […]. »Extrait de : «Vierhundertjähriges Jubiläum in Gripsholm» (Le quatre centième anniversaire de Gripsholm), 1937 (typoscript non publié)

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Citations

Vous savez que je n’aime pas le national-socialisme ; en revanche, j’aime cette culture qui est commune à tous les Euro-péens. Où peut-on encore la trouver aujourd’hui, si ce n’est dans ses fondements ? Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Claude Bourdet, Potsdam, 4 juillet 1932

Chaque fois que je faisais mes adieux à l’Europe, cela me sem-blait être un moment crucial et, d’une manière ou d’une autre, décisif. Parfois, je fêtais un nouveau départ ; j’étais décidée à tout laisser derrière moi […]. Parfois, je vivais un cauchemar. «Nach Westen» (Vers l’Ouest), 1940 (publié à titre posthume)

Et je ne voulais rien savoir de la guerre, mais cela ne m’avançait guère : les choses se sont passées ainsi ; nous, notre monde, avons été mis devant le fait accompli, nous n’avons pas d’autre alternative. Et tant qu’il en sera ainsi, mon âme ne pourra trouver le repos, même au Tibet […].Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Arnold Kübler, Nantucket Island, 16 septembre 1940

Je veux comprendre les racines profondes de notre crise euro-péenne et chercher la source de la force dont nous aurons vraiment besoin, pendant et après cette guerre terrible, pour développer en chacune de nos âmes la capacité à résister non seulement contre le fascisme, mais aussi contre tous les démons

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et toutes les formes de « vie mauvaise » qui l’ont provoqué.Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Ella Maillart, à bord du SS « Quanza », 18 mars 1942

En Europe, les sanatoriums traitant les maladies nerveuses sont surpeuplés.Les militaires sont armés. La jeunesse est disciplinée. Les machines fonctionnent. Le progrès est en marche. Et des peuples entiers sont atteints de psychoses. Il y en a certains que l’on soigne grâce à une « thérapie par le travail » et que l’on parvient à ramener à la vie normale. La vie normale … jusqu’où plonge-t-elle encore ses racines ? À quelles sources se nourrit-elle ?«Das glückliche Tal» (La vallée heureuse), 1940

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2 « Petites rencontres »

Le fonds photographique d’Annemarie Schwarzenbach contient de nombreux portraits. Ils révèlent les qualités dont elle fait preuve pour approcher les gens, nouer des relations avec eux et gagner leur confiance. Elle photographie des amis et des membres de sa famille, mais aussi des paysans, des mineurs, des étudiants, des vendeurs, hommes et femmes, rencontrés sur les marchés, des artistes de cirque, des voyageurs et de nombreux enfants.

En tant que journaliste, Schwarzenbach ne s’intéresse pas seule-ment à l’image des individus mais aussi à leurs histoires. Dans les années 1930, ses reportages se basent sur un principe auquel elle a souvent recours : ils prennent la forme de « petites rencontres » avec des gens ayant des expériences et des visions du monde très diffé-rentes. Les points de vue souvent contradictoires portés sur les évé-nements dévoilent les profonds conflits de l’époque.

Si, en Europe et aux États-Unis, Schwarzenbach réalise surtout des portraits photographiques d’individus isolés, au Proche-Orient et en Asie centrale, elle photographie principalement des groupes de per-sonnes. Cela est sans doute dû, pour l’essentiel, aux barrières lin-guistiques et culturelles. Le regard qu’elle porte avec son appareil sur ses amies, comme Erika Mann et Barbara Hamilton-Wright par exemple, n’en est que plus personnel. Ses photos dessinent l’image voluptueuse d’une féminité moderne et sûre d’elle-même. Dans certaines d’entre elles, on perçoit un homoérotisme latent plus ou moins visible.

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2.1 « (‹Sharecropper›) [Les métayers] reçoivent du propriétaire de la plantation une parcelle de terre, une mule, des outils, une hutte et un crédit pour leur magasin. La moitié de la récolte est censée leur revenir. Mais ils n’obtiennent presque jamais rien. […] Un ‹ Share-cropper › – surtout s’il est noir –, qui se permettrait de contrôler son compte, serait chassé de la plantation ou arrêté par la police sous n’importe quel prétexte – à moins qu’il ne soit tout simplement lynché. Ce système […] est un moyen trouvé par la classe dirigeante des aristocrates anglo-saxons pour remplacer l’esclavage après la défaite de la guerre civile. »Extrait de : «…um die Ehre der amerikanischen Südstaaten» (… pour l’honneur du Sud américain), 1938

2.2 « Mary […] doit passer en justice lundi matin. Elle est accusée d’avoir blessé un policier avec un rasoir. Mary est une petite fille tranquille, qui répond à chaque regard par un gentil sourire. Son amie Aline, qui doit comparaître au procès comme témoin, m’explique amèrement : ‹ […] Je sais comment ils font. Ils achètent des témoins. Et ils me demanderont : ‹ Pouvez-vous jurer que Mary D. n’avait pas caché de rasoir dans sa chaussure ? › – Si je réponds : ‹ Oui, je le jure ›, ils diront : ‹ Est-ce que vous vous êtes penchée, dans la rue, pendant la bagarre, pour voir si votre amie Mary cachait un rasoir dans sa chaussure ? › – Et si je réponds : ‹ Je ne peux pas le jurer […] ›, alors ils diront : ‹ Vous admettez donc qu’il est possible que Mary ait utilisé un rasoir […]. › »Extrait de : «Holzfäller, Bergarbeiter, Bauern und ein Farmhaus in den Bergen von Tennessee» (Bûcherons, mineurs, paysans et une ferme dans les montagnes du Tennessee), 1937

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2.3 « Les gens de Petschur […] ont rarement l’occasion de se dis-traire : en semaine, le bar ‹ zum schwarzen Kater › (Au chat noir) ; le dimanche, la messe […]. Et une fois par an, la venue du cirque ambulant qui monte […] sa tente de toile légère ; pas besoin d’éclai-rage, les nuits d’été sont claires ici, dans le nord ; le gars qui a conduit le camion toute la journée joue une marche sur son accor-déon ; le clown qui, il y a un instant, enfonçait les piquets et ten-dait les cordes, est assis à la caisse avec un maquillage coloré – la fête peut commencer. Il n’y a pas de sièges pour les spectateurs, […] et la femme serpent se promène, portant comme un effroyable ornement l’élu de son cœur enroulé autour des épaules […]. Puis la musique s’arrête, le grand moment est arrivé, la sensation de toute la soirée : les lions sont lâchés ... Le lendemain matin, les ‹ Dra-kooni › ont disparu. Mais à Petschur les gens continueront encore longtemps à parler des lions, des singes, du serpent venimeux et des artistes intrépides aux noms exotiques […]. »Extrait de : «Die ‹Drakooni› kommen nach Petschur!» (Les ‹ Drakooni › arrivent à Petschur !), 1937

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3 Une « nouvelle terre »

La relation entre nature et culture dans le contexte de la mécani- sation et de l’industrialisation est un motif que l’on retrouve fré-quemment dans les photographies d’Annemarie Schwarzenbach. Aux États-Unis, en Union soviétique, en Turquie ou en Iran, Schwarzenbach est témoin de gigantesques projets de moderni- sation, d’industrialisation, d’urbanisme et d’infrastructure, dont elle rend compte dans ses reportages.

Le concept de « nouvelle terre » fait référence à un film du docu-mentariste néerlandais Joris Ivens. Les images dramatiques de son film Nieuwe Gronden (Nouvelle Terre, 1933) montrent comment l’on en vient à assécher certaines parties de la mer des Wadden pour récupérer des terres. À l’automne 1934, Schwarzenbach se rend au congrès des écrivains soviétiques à Moscou et assiste à la projection du film. Le projet visionnaire et l’impact politique des images l’im-pressionnent vivement.

Schwarzenbach se situe dans un rapport ambivalent vis-à-vis du progrès technique. D’une part, elle est fascinée par les possibili-tés qu’il offre d’améliorer la vie des gens. De l’autre, elle critique la foi dans le progrès telle qu’elle est répandue aux USA ou en Union soviétique, le manque de respect fréquent des modes de vie tra-ditionnels et l’exploitation illimitée des ressources naturelles. Des photographies d’épaves de voitures, de paysages défigurés par l’extraction du charbon ou des territoires désolés de cités ouvrières, hostiles à l’homme, la font douter d’un progrès respectant l’humain.

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3.1 « Mais là où finissent les villes, les usines, les lignes aériennes, commence l’étendue désolée d’une terre morte, corrompue, maré-cageuse, couverte de ferraille. Quelque part de jeunes chômeurs se sont mis à défricher et à nettoyer, à assainir le sol et à planter de l’herbe ou des arbres ; un projet gouvernemental, plus désespéré que ce qu’imaginaient les Grecs : nettoyer des écuries, rouler un rocher au sommet d’une montagne ou décapiter un monstre. »Extrait de: «Jenseits von New York» (Loin de New York), 1937

3.2 « Cette terre est une plaine, un bassin peu profond, un champ de ruines. La couleur est celle de du fer et de la fumée, d’un gris et d’un noir bleuté ; ici et là de l’eau, marécage ou inondation, flaques sombres, réfléchissantes, putrides. On voit apparaître les batte-ries de cheminées d’usines, des gerbes d’étincelles monter et des-cendre comme des étoiles filantes, des traînées de fumée former des nuages et se déplacer avec le vent. Mais entre les cheminées et l’eau stagnante il y a des zones habitées, des baraques noircies, des rangées de logements ouvriers, une façade en bois délavée, des fenêtres aveugles ; derrière, des cours enserrées de murs en briques ou de palissades. Du linge y est suspendu, des pots de plantes chétives y sont posés, des enfants jouent là. Où pourraient- ils jouer sinon ? »Extrait de : «Jenseits von New York» (Loin de New York), 1937

3.3 « Il faut se rendre dans les districts miniers et les zones indus-trielles de Suède pour connaître le secret de la prospérité sué-doise. Ce ne sont pas des colonies minières, des villes industrielles au sens habituel du terme ; ces territoires font presque penser aux terres des paysans, tant les mineurs suédois sont enracinés dans le terroir, établis là depuis des siècles et exerçant le même métier de génération en génération. […] Dans les anciens districts miniers

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du centre de la Suède, dans la région de Norberg, Dannemura et Falun, où l’on extrait le minerai depuis des siècles selon une tradi-tion ininterrompue, il arrive de tomber sur une hutte ou sur l’entrée d’une mine abandonnée, dans la forêt – tandis que, non loin de là, retentit le grondement d’une nouvelle fonderie. »Première partie : «Erz aus Schweden» (Minerai suédois), 1937 (typoscript non publié) Deuxième partie : Inscription au dos de la photo « Mine de Dannemora près d’Uppsala, Suède », 1937 (A-5-17/217)

3.4 « Vue de l’extérieur, la relocalisation du gouvernement à Ankara représente déjà une admirable victoire sur cette autre Turquie que le Ghazi [Mustafa Kemal Atatürk] est bien décidé à réformer radi-calement. Si l’on emprunte les voies du chemin de fer anatolien, il faut dix-huit heures pour arriver là-haut après avoir traversé des terres stériles et aussi désertiques que la steppe. Au milieu des col-lines se déploie la nouvelle capitale, réfutation la plus forte et la plus objective de l’idée même d’impassibilité orientale. Avec ses anciennes tours et ses murs, le château seljuk couronne toujours la colline de la ville ; à ses pieds quelques vieilles ruelles, semblables à celle d’un village, et le quartier du temple d’Auguste. Mais à côté, la nouvelle ville se développe, conquérant le site : dans les rues on creuse d’énormes tranchées, on pose des rails, de nouvelles zones résidentielles voient le jour, des banques, des bâtiments commer-ciaux, des rues entières qui s’animent comme en Europe. Partout on entrevoit encore des parcelles non construites, partout, comme des langues de terre qui s’étirent, lambeaux du sol pauvre et aride de l’Anatolie. »Extrait de : «Türkei: zwei Hauptstädte: Ankara und Istanbul» (Turquie : deux capitales : Ankara et Istanbul), 1933 (typoscript non publié)

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3.5 « Ces derniers jours, on nous a […] montré de nouveaux films. Ivens, un jeune réalisateur néerlandais, a projeté son film ‹ Nouvelle Terre › […]. Il s’agit d’un documentaire sur l’assèchement du Zuider- see. Les prises de vue sont d’une grande beauté. Ce travail défend l’idée qu’il est bon d’aimer la technique quand elle réalise de tels ouvrages. Une fois la mer domptée, on voit la ‹ nouvelle terre ›, encore lourde et humide, encore stérile, comme si elle avait émergé de la mer primitive. Le premier homme marche au crépuscule sur les mottes de terre qui s’enfoncent. Au bout de dix ans de travail, on rentre la première récolte ; des maisons s’élèvent en bordure de champs sans limites. On entasse des gerbes, de larges moisson-neuses passent à travers les céréales qui bruissent. »Notes d’Annemarie Schwarzenbach pour le premier congrès de l’Union des écrivains soviétiques, Moscou, 1934

3.6 « Aujourd’hui, on sent à chaque pas un sol nouveau, partout on est frappé par ce qui vient d’être créé ; mais il manque encore l’environ-nement, le cadre voulus, on serait tenté de se croire dans un uni-vers cinématographique où, du jour au lendemain, apparaissent des façades extraordinaires, des rues aux vitrines luxueuses, asphal-tées sur quelques centaines de mètres et formant de larges et magnifiques artères pour finir soudain en terrain désertique. »Extrait de : «Gegensätze: vier Bilder aus Anatolien» (Contrastes : quatre images de l’Anatolie), 1933

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Citations

[…] En Amérique j’ai appris avec horreur ce que nous, Euro-péens, pouvons faire d’une belle terre, quand les possibilités qui s’offrent à nous n’ont pas de limites. En Amérique il ne m’a pas fallu tout réapprendre ; j’ai simplement ressenti de la tristesse, comme un adulte qui songe à l’innocence de l’enfance.«Nach Westen» (Vers l’Ouest), 1940 (publié à titre posthume)

Là, ce n’est plus l’homme qui recherche du charbon, c’est le charbon qui a pris le contrôle de l’homme et de la région. Les terrils dominent un horizon plat, le vent est chargé d’une odeur de charbon et de soufre, et le ciel porte un voile de poussière de carbone.«Reise nach Pittsburgh» (Voyage à Pittsburgh), 1937

L’Amérique était un vaste territoire vierge, inhabité, comme aban-donné. Au sud, il semblait que la fertilité du sol soit inépuisable, personne ne prit la peine de le préserver. Le nord possédait de gigantesques forêts, personne ne se souciait d’en augmenter la surface. Les vastes plaines du Midwest semblaient offrir suffi- samment de pâturages et de terres arables pour de nombreuses générations. Quel que soit l’endroit où l’on commençait à les exploiter, les ressources du sol, les puits de pétrole, les gise-ments de charbon et de fer, ainsi que l’or faisaient la fortune d’aventuriers entreprenants qui devenaient millionnaires.«Amerika kämpft um den Bestand der Demokratie» L’Amérique lutte pour préserver la démocratie), non daté (typoscript non publié)

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Le jeune optimisme des Soviétiques, qui a quelque chose de beau et d’admirable, me rend triste. Ils construisent un monde nouveau et, surtout, ils éduquent des hommes nouveaux, ce qui importe bien plus. […] C’est la seule chose, aujourd’hui, qui occupe l’esprit de l’écrivain. Quant à moi, ce monde me fait peur, et je crois que l’écrivain ne peut que s’opposer à la face lumi-neuse de la réalité […].Notes d’Annemarie Schwarzenbach pour le Congrès des écrivains, Moscou, 25 août 1934

Le spectacle était époustouflant : […] coke, pierre calcaire et fonte brute cuisent dans des fours ouverts, ce mélange est puri-fié par de l’air comprimé envoyé par jets successifs qui projettent de puissantes gerbes d’étincelles dans toute la salle. Puis le four bascule, et l’acier liquide jaillit dans un énorme chaudron sous la forme d’un jet clair comme de l’eau.«Reise nach Pittsburgh» (Voyage à Pittsburgh), 1937

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4 « Au-delà de New York »

Invitée par la photographe américaine Barbara Hamilton-Wright, Annemarie Schwarzenbach se rend pour la première fois aux États-Unis en 1936. Elle y découvre, un peu partout, une société encore marquée par la crise économique de 1929. Le chômage y est lar-gement répandu et la population rurale, en particulier, souffre des conséquences des sécheresses et du déclin de l’industrie du coton.

À Washington, Schwarzenbach s’intéresse aux archives de la Farm Security Administration. Depuis 1935 les autorités chargent des photographes de documenter l’impact social de la crise. Ces images sont censées contribuer à renforcer de manière significative le soutien de la population à la politique sociale du gouvernement. Schwarzenbach s’identifie à cette mission politique.

Schwarzenbach espère que ses voyages à travers les États-Unis lui permettront de concilier son engagement politique avec son travail d’écrivain et de photographe. Elle porte son attention sur les preuves vivantes du déclin économique : chômeurs, enfants des rues, sans-abri et autres laissés-pour-compte du système. Schwarzenbach met en évidence les différences spectaculaires entre riches et pauvres, mais aussi entre blancs et noirs. Elle montre que la promesse de liberté faite par l’Amérique est illusoire ; elle attribue la prospérité à l’exploitation impitoyable de l’homme et de la nature.

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4.1 « New York sombre : vision d’une gigantesque Babylone, dont les tours poussent hors de la mer. Ce n’est pas un hasard si des ferries fantomatiques, glissant lentement dans la brume de l’Hudson, ou le tunnel sous-marin nous en font sortir et passer au-delà ; ce n’est pas un hasard si tout cela évoque une atmosphère de rêve plus ou moins diffuse – ce n’est pas là-bas, à Jersey, Hoboken et Newark, que New York prend fin, et la sortie n’est pas une libération : de l’autre côté se trouvent les coulisses, la ceinture, l’épouvantable réalité de cette vision d’une ‹ ville surhumaine ›, celle que l’on peut avoir de New York si l’on décide de la considérer sous un angle esthétique. »De : «Jenseits von New York» (Loin de New York), 1937

4.2 « La petite ville dans laquelle nous arrivons, tard dans la soirée, s’appelle – ironiquement – ‹ Mount Pleasant ›. […] Mount Pleasant se trouve au beau milieu de la riche zone d’extraction du charbon de Westmoreland – région particulièrement touchée par la crise. […] Lorsque certaines mines ont dû être fermées, en 1932, les ouvriers n’ont pas eu à quitter leur logement et on leur a accordé des prêts […]. Depuis, la crise […] a été surmontée – mais la Frick Company est partie s’installer dans le sud-ouest, où de nouvelles mines ont été ouvertes, à la fois moins coûteuses et plus faciles à exploiter. L’entreprise a transféré une petite partie des travailleurs vers les nouveaux sites, mais un bon nombre de gens est resté sur place. Ces dernières années, le terrible sort de ces ‹ mineurs abandonnés › a interpellé les autorités de Washington. »Extrait de : «Die Reise nach Pittsburgh» (Le voyage à Pittsburgh), 1937

4.3 « La vision d’une vie meilleure, ce rêve américain auquel on a si longtemps cru, s’assombrit au fur et à mesure que l’on descend vers le sud. Le pays est desséché par la chaleur de l’été et rouille dans la bruine de soixante-dix ans de pauvreté. Dans la large vallée

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du Tennessee resplendit en automne le feuillage rouge des arbres, accrochés aux collines, et la terre rouge se détache des profondes crevasses que le vent et l’eau ont creusées dans les versants. Les forêts qui protégeaient autrefois la région ont disparu ; des souches d’arbre noires et des pierres blanches sont éparpillées dans la terre aride et maigre des champs qui ont donné un peu de maïs, de pommes de terre et de canne à sucre – trop peu pour nourrir le fermier et sa famille. La rivière s’écoule lentement vers la plaine de l’Ohio ; le long de ses rives, on suit les traces des destructions causées à la saison des pluies et des inondations : murs de fermes comprimés, cadres de fenêtres vides, poteaux enfoncés, clôtures cassées et pâturages transformés en friches. »De : «Auf der Schattenseite von Knoxville» (La face sombre de Knoxville), 1937

4.4 « Ces derniers temps, en Amérique, j’avais vu beaucoup de pri-sons […]. J’avais assisté à la révolte de prisonniers désespérés et entendu leurs cris qui ne tardaient pas à s’étouffer, parce qu’ils résonnaient en vain et violaient les règles, entraînant de nouvelles représailles et de nouveaux tourments. J’avais pu constater que, subissant un tel malheur, privés de toute dignité et de toute res-ponsabilité, les hommes, les femmes et même les enfants avaient perdu tout élan du cœur et tout désir d’amour. Je les avais vus, méfiants, se terrer dans leur coin, chacun pour soi, et s’endurcir pour finalement ignorer les cris et les larmes de leur frère, à côté d’eux […]. »Extrait de : «Die weissen Ebenen» (Les plaines blanches), 1941

4.5 « Pate frappa à la porte. Madame Jacobs ouvrit, ses bras libérèrent soudain une demi-douzaine d’enfants aux cheveux ébouriffés, vêtus d’étranges guenilles. Rien que des filles. Pendant que Mrs. Jacobs nous parlait, elles s’accroupirent dans l’escalier, faisant des

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remarques impertinentes qui mettaient leur mère mal à l’aise, mais elles se laissaient patiemment photographier. […] Elle ne se plai-gnait pas. Semblait ne pas savoir qu’elle et ses enfants étaient condamnés à végéter comme des animaux – ni pourquoi. […] Nous prenions des photos, c’était gênant d’utiliser toute cette misère comme ‹ sujet ›. Mais Pate expliqua à Mrs. J.: ‹ They do it for the right purpose, it’s going to help. › La ‹ photographie documentaire › c’est comme ça que ça s’appelle, réalité, preuve – mais quel sens cela a-t-il si les gens eux-mêmes n’ont pas conscience de leur situation ? » Extrait de : «Lumberton», 1937

4.6 Dorothea Lange et Walker Evans sont deux photographes qui, dans le cadre du «New Deal», ont été chargés par le gouvernement amé-ricain de documenter, par la photo, la vie de la population rurale américaine appauvrie. L’agence, qui leur a confié cette mission pho-tographique, s’appelait Farm Security Administration (Administra-tion de la sécurité agricole). Elle fut fondée après la grave crise éco-nomique des années 1930 et aujourd’hui elle est surtout connue pour son patrimoine photographique.

4.7 « Quand je suis […] arrivée en Amérique pour la première fois et que j’ai […] essayé de découvrir quelque chose comme une ‹ vision du monde › américaine, cela m’a semblé relativement simple. On m’a dit […] que les Américains étaient foncièrement optimistes et que cette qualité, chez eux, était […] innée. […] C’était une croyance traditionnelle, une croyance issue de l’expérience historique. Car l’Histoire de l’Amérique est l’histoire […] d’une exploitation sans précédent des richesses existantes, des terres et des forêts, qui semblaient inépuisables, des mines d’or, des gisements miniers, des industries en pleine expansion, et donc de la main-d’œuvre. […] tout le monde avait sa chance, […] son ‹ opportunity › […] – il suffisait

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de faire du bon travail, de ne pas être trop scrupuleux et, bien sûr, d’être optimiste. […] mais aujourd’hui, on a […] exploité le marché et l’industrie n’est plus en mesure d’employer tous les demandeurs d’emploi, qui ont eux-mêmes peu de chances de devenir million-naires ou même de gravir le prochain échelon de l’échelle sociale. »Extrait de : «Das Ende des amerikanischen Optimismus» (La fin de l’optimisme américain), 1936

4.8 « Depuis des générations, tous les efforts politiques de la classe blanche dirigeante visent à préserver la suprématie des blancs sur les noirs. De ce fait, c’est maintenant un prolétariat dégénéré qui vit sur les champs détruits, dans les zones industrielles pauvres, et qui va être exploité une seconde fois par la vague d’industrialisation. »Extrait de : «…um die Ehre der amerikanischen Südstaaten» (... pour l‘honneur du Sud américain), 1938

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Citations

La vision d’une vie meilleure, ce rêve américain auquel on a cru si longtemps, s’assombrit au fur et à mesure que les routes descendent vers le sud.«Auf der Schattenseite von Knoxville» (La face sombre de Knoxville), 1937

Sur le versant escarpé il y a des maisons sans lumière et sans vie, comme un décor, des cheminées sans feu, des portes fer-mées. Personne n’habite ici, pourrait-on penser – personne ne peut habiter ici. Mais entretemps on a découvert que les rues de cette ville lumineuse, Knoxville, […] ne font que se métamorpho-ser, qu’elles deviennent grises et sombres, ne sont plus ni pla-nes ni goudronnées, et qu’ainsi, honteusement voilées pour ainsi dire, elles mènent en pente abrupte dans l’obscurité humide de la rivière.«Auf der Schattenseite von Knoxville» (La face sombre de Knoxville), 1937

Et pourtant, on dit que l’Amérique est un nouveau territoire et un pays d’avenir, comparée à une Europe ancestrale, devenue sceptique. Je ne pense pas que les choses soient aussi simples.«Nach Westen» (Vers l’Ouest), 1940 (publié à titre posthume)

« Portez des vêtements discrets. Ne gardez pas sans arrêt le viseur de votre Leica collé à l’œil. Ne faites pas laver votre Ford trop souvent ! » – Voilà les dernières instructions que j’ai reçues à

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Washington avant de partir pour […] l’immense centre sidér- urgique des États-Unis, la « cité de fer » de Pittsburgh.«Die eiserne Stadt» (La cité de fer), 1937 (typoscript non publié)

Un homme marchait sur la voie ferrée, un sac sur le dos. Quand il est passé devant moi, je l’ai pris en photo. Il s’est arrêté, a regardé mon appareil et a demandé : « Si je comprends bien, vous venez de me photographier ? » « Oui », ai-je dit, « j’ai pris une photo. » « La prochaine fois que vous voudrez prendre mon visage en photo, il se pourrait bien que votre appareil se casse », a déclaré l’homme en poursuivant son chemin.«Reise nach Pittsburgh» (Voyage à Pittsburgh), 1937 

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5 « Entre les continents »

Heimatlosigkeit – absence de port d’attache, déracinement, départ et quête d’espoir à l’étranger sont des motifs qui traversent l’œuvre d’Annemarie Schwarzenbach comme un fil rouge et la relient à la tradition littéraire moderne. Cette thématique permet également d’établir un lien entre ses textes journalistiques et littéraires et ses photographies.

Bon nombre de ses photos reflètent de manières diverses les joies et les épisodes éprouvants d’une vie passée sur les routes. Ces images fixent des moments et des lieux situés dans l’intervalle entre départ et arrivée. Elles reflètent la nostalgie d’un monde lointain et d’une rencontre avec l’Étranger. Des lieux intermédiaires tels que les rues, les ports ou le pont d’un bateau deviennent les lieux d’une communauté passagère – aussi pour les êtres qui ont perdu leur pays natal en raison de circonstances historiques et politiques. Ce sont également des endroits où se jouent de douloureuses scènes d’adieux ou de nouveaux départs porteurs d’espoir.

La vie même de Schwarzenbach est marquée par une forme extra- ordinaire de vagabondage. Pour elle, l’expérience du voyage est véri-tablement une image concentrée de l’existence – une école de vie, attrayante et romantique, mais souvent impitoyable et douloureuse. Il lui faudra se rendre à l’évidence : ses voyages, qui s’apparentent à une fuite, ne lui permettent pas de laisser ses problèmes derrière elle.

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5.1 « Sur une jetée du vieux port de Lisbonne, un chien est couché devant le paquebot américain ‹ Siboney › et surveille le hublot d’une cabine derrière lequel le visage de son maître a disparu. »Extrait de : «Keinen Platz für Tyras» (Pas de place pour Tyras), 1942

5.2 « Aujourd’hui, personne ne voyage pour son plaisir, et il est rare de trouver des aventuriers parmi les passagers, mais quand on écoute l’histoire de chacun, on se demande si on se trouve sur un bateau fantôme ou si la somme des destins, ici, peut donner une image fidèle du destin qui a mis définitivement fin à la vie d’autrefois en Europe, ce vieux monde civilisé et réglementé, qui nous était fami-lier, destin qui a aboli toutes les lois, détruit toute certitude. »Extrait de : «Eine Stunde vor Funchal» (À une heure de Funchal), 1941

Citations

Qu’est-ce qui me pousse à repartir sans cesse ? Qu’est-ce que je cherche à savoir ? Quelque chose d’essentiel.Brief von Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Anita Forrer, Yverdon, Clinique Bellevue, 4 décembre 1938

Nous avons roulé très longtemps. Finalement, j’ai demandé à Sibylle où elle voulait aller. « Où donc ? » a-t-elle dit. « Je ne le sais pas non plus. Pourquoi avons-nous besoin de le savoir ? »«Lyrische Novelle» (Nouvelle lyrique), 1933

« Notre vie ressemble à un voyage …» par conséquent, le voyage me semble être moins une aventure et une incursion dans des espaces insolites qu’une image concentrée de notre existence […].«Die Steppe» (La steppe), 1939

Voyager, c’est partir sans destination, on ne peut saisir tout un village, toute une vallée que d’un regard fugace, et ce que l’on aime le plus, on l’aime déjà avec la douleur de la séparation.«Ankunft in Mallorca» (Arrivée à Majorque), 1936

Pourquoi quittons-nous le plus beau pays du monde ?Note manuscrite au dos de la photo « Jeune fille aux fleurs, col du Simplon, Suisse », 1940

Quels sont les gens qui ont encore un passeport, aujourd’hui ? – Quels sont les gens qui peuvent encore voyager, – partir, faire leurs adieux, revenir quand bon leur plaît ? – Et quels sont les gens qui en ont encore envie ? «Ein Artikel über die Schweiz» (Un article sur la Suisse), 1940

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6 « La vallée heureuse »

Aujourd’hui Annemarie Schwarzenbach est surtout connue pour ses voyages en voiture au Proche et au Moyen-Orient. Dans les années 1930, elle voyage à quatre reprises à travers la Turquie, la Pales-tine et la Syrie, l’Irak, l’Iran et, pour finir, en Afghanistan et en Inde, empruntant à chaque fois des itinéraires différents. Elle cherche refuge dans cet Orient réputé féerique pour y trouver un monde qui se situerait à l’opposé d’une Europe secouée par les crises.

La façon dont Schwarzenbach représente la région à travers ses photos et ses écrits donne une image du Proche-Orient qui évoque un paysage intemporel de portée biblique. Cette représentation aux connotations romantiques correspond pour une bonne part aux conventions de son époque. Mais Schwarzenbach cherche aussi à témoigner d’une perception différenciée des lieux. Ses photogra-phies révèlent également l’entrée de la Turquie dans la modernité ou la vie urbaine à Bagdad. En 1939, lors du dernier voyage en Asie, qu’elle entreprend avec la photojournaliste et ethnographe gene-voise Ella Maillart, c’est finalement la vie de la population locale qui est mise en lumière.

Elle écrit en Iran son œuvre littéraire sans doute la plus connue : Das glückliche Tal (La vallée heureuse, 1940). Le paysage aride des hauts plateaux iraniens y devient un lieu où s’expriment questions et abîmes existentiels. Ce livre est le reflet de la profonde crise qu’elle traverse : l’espoir d’une vie meilleure loin de son pays natal ne se réalise pas ; sa solitude et sa dépendance aux drogues ne font que s’aggraver.

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6.1 « Baalbek fait partie de ces noms héroïques, qu’on ne prononce pas à la légère – des évocations, des invocations dans le désert de nos doutes. […] J’avais, comme tout le monde, vu des photographies de Baalbek. Mais on ne peut pas photographier les dimensions et l’on ne peut que transmettre imparfaitement les expériences de beauté et de perfection.»Extrait de : «Winter in Vorderasien» (Hiver au Proche-Orient), 1934

6.2 « Il me reste peu de temps. L’été touche à sa fin et, à ces hauteurs, cela implique un départ irrévocable. Maintenant, le niveau dʼeau de notre rivière est si bas que nous ne pouvons plus pêcher que de tout petits poissons. Les traînées blanches sur le cône du Demawend sont minces et usées, la terre volcanique brûlée menace de s’étendre. Mais bientôt la neige tombera et la pyramide se présen-tera de nouveau dans son vêtement à l’éclat surnaturel, et nous, dépassés par ce spectacle grandiose, en comprendrons le signe. »De : «Tod in Persien» (La mort en Perse), 1935 (publié à titre posthume)

6.3 « Nous appelons parfois cette vallée ‹ fin du monde ›, car elle est située très haut au-dessus des plateaux du monde et ne peut guère mener plus haut, si ce n’est dans le supraterrestre, sphère inhumaine qui touche le ciel – si ce n’est jusqu’au cône lisse du géant. Il bloque la sortie de la vallée, mais quand on se rapproche de lui et de ses traînées de neige, c’est un spectacle magnifique, bien qu’aussi éloigné que la lune. »De : «Tod in Persien» (La mort en Perse), 1935 (publié à titre posthume)

6.4 Ce film a été reconstruit à partir de matériel filmique d’Ella Maillart (1903–1997). Ella Maillart était une sportive suisse origi-naire de Genève, également écrivaine voyageuse, ethnographe et photographe. En 1939 elle entreprend avec Annemarie Schwarzen-

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bach un voyage en Afghanistan. La narration du film contient des extraits des lettres de Maillart et de son livre Der bittere Weg (La Voie cruelle, 1952).

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Citations

Mais qui sait vraiment où mènent les routes, et qui connaît les noms des villes – ancestrales, englouties, ressuscitées ?«Winter in Vorderasien» (Hiver au Proche-Orient), 1934

Ici, la nature a une telle force qu’elle vous anéantit. Il faudrait cesser d’être un humain, déterminé par sa condition d’humain. Il faudrait pouvoir devenir un morceau de désert et un morceau de montagne, et une bande de ciel nocturne. Il faudrait se confier à la terre et s’y dissoudre. «Fast dasselbe Leiden» (Presque la même souffrance), non daté (publié à titre posthume)

Le lointain n’existe pas ; car nous ne pouvons nous élever plus haut, pas assez haut pour porter notre regard au-delà de la vallée et au-delà des rochers et des éboulis qui la bordent. «Das glückliche Tal» (La vallée heureuse), 1940

Tous les chemins que j’ai pu parcourir, ou ceux que j’ai pu éviter, se sont terminés ici, dans cette « vallée heureuse » d’où il n’y pas d’issue, et qui doit donc déjà ressembler au lieu où l’on meurt.«Tod in Persien» (La mort en Perse), 1935/36 (publié à titre posthume)

Ici, le paysage se révèle d’un dénuement tout asiatique, d’une grandeur tout asiatique. Un paysage de steppe, vallonné, mono-tone, avec de la pierre grise, un sol jaune, sans arbre, fouetté par le vent, aux contours purs, découpant leur silhouette à perte de

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vue. Chez nous, en haute montagne, à une heure très matinale, on ressent parfois la pureté austère de ces contours baignés de lumière.«Gegensätze: vier Bilder aus Anatolien» (Contrastes : quatre images de l’Anatolie), 1933

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Biographie

1908 Annemarie Schwarzenbach naît le 23 mai dans une riche famille d’industriels zurichois. Elle est le troisième enfant du fabriquant de textiles Alfred Emil Schwarzenbach et de Renée Schwarzenbach-Wille, fille du Général Ulrich Wille.

1927– Étudie l’histoire, la philosophie et la psychologie à Zurich 1931 et Paris. Soutient une thèse sur L’histoire de la Haute-

Engadine au Moyen Âge et au début de l’ère moderne en avril 1931, à l’âge de 23 ans.

1931 Déménage à Berlin et rejoint la Bohème littéraire, notam-ment le cercle de Klaus et Erika Mann. Publie son pre-mier roman Freunde um Bernhard (Les amis de Bernhard). Schwarzenbach participe activement à la vie nocturne de Berlin et entre pour la première fois en contact avec les drogues.

1933 Effectue son premier voyage en tant que journaliste : part en Espagne avec la photographe Marianne Breslauer. Cette année-là, Annemarie Schwarzenbach entreprend un voyage en voiture et passe par la Turquie pour se rendre en Syrie, en Irak et finalement en Iran, où elle par-ticipe à des fouilles archéologiques et travaille pour la première fois comme photographe. Publication de son livre Lyrische Novelle (Nouvelle lyrique).

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1934 En raison de sa participation financière à Die Sammlung (La collection), revue littéraire d’émigration fondée par Klaus Mann, le gouvernement national-socialiste inter-dit à Schwarzenbach tout séjour en Allemagne. Elle a désormais pour résidence permanente une maison à Sils-Baseglia. En août, se rend à Moscou au congrès de l’Union des écrivains soviétiques, avec Klaus Mann. Puis poursuit son voyage dans le sud de la Russie jusqu’à Téhéran.

1935 Deuxième voyage en Iran au mois de mai. Schwarzenbach épouse le diplomate français Claude Clarac et passe l’été dans une haute vallée près de Téhéran. La maladie et la consommation de drogues contraignent Schwarzenbach à rentrer en Suisse à l’automne.

1936 Voyage aux États-Unis. À Washington, Schwarzenbach visite les archives de la Farm Security Administration. Elle parcourt les zones industrielles de Pennsylvanie entre Washington et Pittsburgh en compagnie de la pho-tographe américaine Barbara Hamilton-Wright.

1937 Rentre des États-Unis. Durant l’été, Annemarie Schwar-zenbach traverse le Reich allemand, la Prusse orientale et les États baltes et va jusqu’à Moscou. En septembre, voyage aux USA. Traverse les zones rurales de Virginie, de Caroline du Nord et du Sud, de Géorgie, du Tennessee et de l’Ohio avec Barbara Hamilton-Wright.

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1938 Annemarie Schwarzenbach passe par l’Autriche pour se rendre à Prague, où elle assiste directement à la poli-tique d’expansion nationale-socialiste, qu’elle documente. Parution de son livre qui aura le plus de succès : Lorenz Saladin, ein Leben für die Berge (Lorenz Saladin, une vie pour les montagnes). Cet ouvrage est basé sur les docu-ments légués par l’alpiniste suisse, décédé peu de temps auparavant dans un accident.

1939 Accompagnée d’Ella Maillart, sportive, ethnographe et écrivaine genevoise, Annemarie Schwarzenbach voyage à travers les Balkans, la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan – jusqu’en Inde. Le voyage est assombri par les problèmes de drogue de Schwarzenbach. Leurs chemins se séparent à Kaboul.

1940 Nouveau voyage aux États-Unis. Annemarie Schwarzen-bach fait la connaissance de l’écrivaine Carson McCullers à New York. Publication du roman Das glückliche Tal (La Vallée heureuse). Après une dépression nerveuse Anne-marie Schwarzenbach est admise dans une clinique.

1941 Sortie de la clinique et retour en Suisse. Départ via Lisbonne pour le Congo belge où elle séjourne sur la plantation suisse de « Molanda », dans le bassin du Congo. Elle écrit le roman Das Wunder des Baums (Le miracle de l’arbre), qui n’est publié qu’à titre posthume.

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1942 Séjours au Maroc et au Portugal. En septembre, suite à un accident de vélo à Sils dans l’Engadin, Schwarzen-bach est gravement blessée à la tête. Elle meurt le 15 novembre dans des conditions qui n’ont jamais été totale-ment éclaircies.

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Führungen und Begleitprogramm

Platzzahl beschränkt. Programmänderungen und Einschränkungen vorbehalten (siehe www.zpk.org)

Sonntags 12:00Öffentliche Führungen

Dienstags 12:30 – 13:00Kunst am Mittag

Fremdsprachige FührungenFranzösisch, Englisch, Italienischsiehe www.zpk.org

Sonntag 15:0011. Oktober / 22. November / 06. Dezember 2020 / 03. Januar 2021Literarische FührungMichaela Wendt liest Texte von Annemarie Schwarzenbach und weiteren Autorinnen und Autoren.

Mittwoch 14. Oktober 2020 13:30Einführung für LehrpersonenMit Dominik Imhof, Leiter Kunstvermittlung ZPK

Sonntag 01. November 2020 15:00Kunst und Religion im Dialog Martin Waldmeier, Kurator ZPK, im Dialog mit Michael Braunschweig (Reformierte Kirchen Bern-Jura-Solothurn)

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Freitag 13. November 2020 16:00Fotografin und FotografierteDialogische Führung durch die Ausstellung mit Alexis Schwarzen-bach, Historiker und Kurator, und Martin Waldmeier, Kurator ZPK

Donnerstag 19. November 2020 18:00Freunde ZPKFührung für die Freunde ZPK mit dem Kurator Martin Waldmeier und Expertinnen und Experten des Hauses

Sonntag 29. November 2020 15:00Kontext Schweizer PressefotografieDialogische Führung durch die Ausstellung mit Nora Mathys, Kuratorin am Musée de l‘Elysée und ehemalige Leiterin des Ringier- Pressearchivs, und Martin Waldmeier, Kurator ZPK

Samstag 05. Dezember 2020 11:00Annemarie Schwarzenbach im Kongo Dr. Henri-Michel Yéré, Historiker, Franziska Jenni, Kuratorin, und Michèle Magema, Künstlerin, kommentieren Schwarzenbachs Fotografien von den schweizerischen Plantagen im Belgisch-Kongo.

Samstag 19. Dezember 2020 13:00Sinn-ReichEine alle Sinne ansprechende Führung für Gäste mit und ohne Behinderung. Mit Gebärdendolmetscherin und induktiver Höranlage

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Kunstvermittlung für Familien

06.09.20 – 24.01.21 Interaktive Ausstellung «Fernweh»Kreativer Brückenschlag von den Ateliers des Kindermuseum Creaviva in die Ausstellungen des ZPK

Dienstag bis Freitag 14:00 / 16:00Samstag und Sonntag 12:00 / 14:00 / 16:00Offenes Atelier im Kindermuseum Creaviva Stündige Workshops zu einem monatlich wechselnden Thema in Verbindung zu den Ausstellungen im ZPK

Sonntags 10:30 – 11:45Familienmorgen In der Ausstellung und im Atelier des Kindermuseum Creaviva für die ganze Familie

Samstags 09:30 – 11:45Kinderforum Der Creaviva-Kinderclub ab 7 Jahren zum Thema «Unterwegs mit Freunden»

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Avec le soutien de

RUTH & ARTHUR SCHERBARTH STIFTUNG

Zentrum Paul KleeMonument im Fruchtland 3 3006 BernTel +41 (0)31 359 01 [email protected] www.zpk.org

Horaires dʼouvertureMardi – Dimanche 10:00 –17:00

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Fondée par Maurice E. et Martha Müller et les héritiers de Paul Klee

Le Zentrum Paul Klee est accessible à tous et propose des manifestations inclusives.