-
La jeunesse de Rimbaud
la jeunesse de Rimbaud
j'ai eu envie de parler de Rimbaud jeune parce qu'il y a de nombreux poèmes de cette période que j'aime
particulièrement
et puis on sait que Rimbaud a été un poète jeune parce qu'il a commencé à écrire vers 1870 alors qu'il avait une
quinzaine d'années; et il a cessé assez tôt d'écrire, sans doute déçu par ce à quoi il était parvenu (objet sûrement du
second exposé)
puis je me suis prise au jeu de la jeunesse de Rimbaud et j'ai fini par me demander dans quelle mesure sa jeunesse
avait pu influer sur son écriture
sa jeunesse a-t-elle été un frein ou un moteur à sa poésie? à sa célébrité (?)
donc bien sûr on se demande: qu'est-ce qu'on associe à la jeunesse? Voici ce qui m’est venu à l’esprit :
les péchés de jeunesse, les erreurs de la jeunesse, l'inconscience de la jeunesse, la naïveté de la jeunesse, la
spontanéité de la jeunesse (on fait les choses par pulsion), la fraîcheur de la jeunesse, l'audace, l'insolence de la
jeunesse
et j'ai essayé de construire une réflexion à partir de ces "préjugés"
j'ai volontairement limité mon observation aux poèmes de 1870, de ce que l’on nomme le Cahier de Douai, ou
Recueil Demeny ; c’est un ensemble de vingt-deux poèmes que Rimbaud a recopiés dans un cahier lors de son séjour à
Douai en septembre-octobre 1870, à l’intention de Paul Demeny à fin de publication. Ils sont rassemblés en deux
liasses différentes de 15 et 7 poèmes : dont dans le Premier cahier, Le Forgeron, Le Mal , et dans le Deuxième Cahier,
L'Éclatante Victoire de Sarrebrück, Ma Bohème
J’ai ajouté à ce corpus un poème écrit en 1871-1872, Voyelles et quelques extraits de lettres écrites à Yzambard, son
professeur, et à Demeny un ami de celui-ci.
Je n’évoquerai pas les poèmes en prose par exemple les recueils Illuminations, Une Saison en enfer, même si à cette
époque (vers 1873-75) Rimbaud était encore très jeune.
1- la jeunesse de Rimbaud
né en 1854, à Charleville-Mézières, dans l'est de la France, une ville de garnison
élevé par une mère autoritaire qu’il appellera la mother ou la Daromphe ; nourrissent sa haine de la famille
enfermante, de l'armée, de la société conservatrice et contraignante, hypocrite aussi
commence ses premiers poèmes vers 1870; très bon élève au lycée, reconnu pour ses prix en écriture collectionnant
les prix d'excellence en littérature, version et thème latins… Il rédige en latin avec aisance, des poèmes, des élégies,
des dialogues.)
contacts : proche de son professeur de rhétorique, Georges Izambard, qui va l'encourager à lire, à écrire, avec lequel
il échangera une correspondance, l’hébergera même lors de fugues dont il sera coutumier ; correspondance
également avec un ami Delahaye, et Paul Demeny, un vieil ami de son hôte. Celui-ci est codirecteur d’une maison
d’édition : La Librairie artistique, où il a fait paraître un recueil de poésies (Les Glaneuses) et qu’il sollicitera donc pour
publier ses propres poèmes
Ses ambitions :
-
non seulement écrit mais réfléchit très tôt sur l'écriture et en particulier sur la poésie, car Rimbaud est
essentiellement un poète
Le 24 mai 1870, Arthur Rimbaud, alors âgé de quinze ans et demi, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de
Banville. Dans cette lettre, il transmet ses volontés de : « devenir Parnassien ou rien » et se faire publier. Pour cela, il
joint trois poèmes : Ophélie, Sensation et Credo in unam. Banville lui répond, mais les poèmes en question ne
paraîtront pas dans la revue. ce rattachement de Rimbaud au Parnasse montre son détachement de la poésie
lyrique et le soin pris à travailler la forme poétique
Désir d’être publié
Mais très vite aussi un sens aigu de l’exigence de son écriture : Le 10 juin 1871, Rimbaud écrira à Demeny : «… brûlez
tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai » sans doute peut-on y voir l’orgueil
de la jeunesse. Et peut-être une des erreurs ou péchés de jeunesse est lié à cet orgueil qui a pu voir disparaître des
poèmes de Rimbaud. Rimbaud parviendra toutefois à publier dans Le Progrès des Ardennes du 25 novembre 1870, un
récit satirique, Le Rêve de Bismarck, sous le pseudonyme de Jean Baudry.
Donc jeunesse par l’âge c’est indéniable, peut-être aussi narcissisme lié à l’âge qui lui commande d’être publié =
conscience de la qualité de ses écrits ; mais dernier critère pas propre à la jeunesse…
2- ses erreurs? Ses naïvetés ?
Bien sûr des vers qui semblent bien écrits par un jeune homme
« Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! » dans Ma Bohême
+ dans le Forgeron quand il s’adresse au roi : « Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises. » Familiarité amusante
L'éclatante victoire de Sarrebruck
remportée aux cris de Vive l'Empereur !
Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, - car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Piton remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms !
A droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : " Vive l'Empereur !!! " - Son voisin reste coi...
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : " De quoi ?... "
une scène naïve, des termes enfantins, (mais une critique politique) Terme enfantin accentué par l’enjambement Idem Comparaisons opposées et inattendues qui dévalorisent la personne de l’empereur Figures familières et naïves des soldats, occupés à des activités peu guerrières
Comme une scène d’enfance, à une vision d’enfance
Mais cela peut-il compter pour des erreurs ? marque simplement le poète, sans doute son amusement
-
Mais ressemble davantage à un jeu ; la poésie de Rimbaud est ailleurs
3-son insolence (par la critique) la révolte contre la mère, la société, la religion, les injustices
LE FORGERON (extrait) - Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire ! « Oh je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire, Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau Qu'un homme vienne là, dague sous le manteau, Et me dise : « Maraud , ensemence ma terre ! » Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre, Me prendre mon garçon comme cela, chez moi ! - Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, Tu me dirais : Je veux !.. - Tu vois bien, c'est stupide. Tu crois que j'aime à voir ta baraque splendide, Tes officiers dorés, tes mille chenapans, Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons : Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles Et nous dirions : C'est bien : les pauvres à genoux ! Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous ! Et tu te soûlerais, tu fera i s belle fête. - Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête ! « Non. Ces saletés-là datent de nos papas ! Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière
Conscience politique L’empereur est désigné par homme, ce qui montre l’irrévérence, mais aussi la capacité à prendre de la distance par rapport à l’image du pouvoir Opposition qui traduit la conscience de sa propre valeur en tant qu’homme, plus forte que son statut d’artisan inférieur à l’empereur La critique devient plus explicite : progression ascendante des termes de baraque à officiers chenapans et à palsembleu bâtards qui touche à l’intimité et donc blesse davantage Revendication sociale Conscience de classe
Le Mal Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie épouvantable broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; - Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !… – Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; Qui dans le bercement des hosannah s'endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir ! Rimbaud, Poésies, 1870
Parallèle Roi/Dieu mis dans le même sac de l’indifférence à l’égard du malheur des hommes irrévérence à l’égard du pouvoir et de la religion Du nombre à l’unité + la métonymie (écarlates ou verts = soldats réduits à la couleur de leur uniforme) guerre = destruction totale de l’homme Seule la nature est associée à la sainteté, considérée comme mère ; invocation qui sert à condamner l’action des hommes irrespectueux du don de la vie que nous fait la nature
Donc sans doute une violence, une audace dans les propos liées à ses haines, ses dégoûts de la société
contemporaine, propre à la jeunesse prompte à éprouver des sentiments violents
Ses provocations également comme dans l’Album Zutique écrit vers 1872, avec par exemple Le Sonnet du Trou du cul
qui décrit l’anus après le coït (blason, contre blason sans doute écrit en collaboration avec Verlaine. Mais peut-on
-
parler de provocation de la jeunesse ? Après tout Verlaine était plus âgé que lui et nombre d’auteurs restent
provocateurs bien après l’adolescence.
Donc on peut sans doute rattacher certains écrits de Rimbaud à sa jeunesse, une certaine violence, des dégoûts de la
société, des rejets de l’impérialisme, mais on ne peut considérer que ces écrits sont uniquement le fait de la jeunesse
4-l'audace de sa recherche
recherche de ce que Baudelaire appelle la modernité, cf. Baudelaire, dans Curiosités esthétiques, où sont rassemblés
tous ses textes critiques, où il définit le bon artiste: celui qui cherche à exprimer son et non qui se contente de
réutiliser les recettes du passé
Baudelaire, Curiosités Esthétiques, Classiques Garnier, éd. de 1962
b- Page 466- IV. La modernité
Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il? A coup sûr, cet homme, tel que je l'ai dépeint, ce solitaire doué d'une
imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d'hommes, a un but plus élevé que celui d'un pur
flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il cherche ce quelque chose qu'on nous
permettra d'appeler la modernité; car il ne se présente pas de meilleur mot pour exprimer l'idée en question. Il
s'agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du
transitoire. Si nous jetons un coup d'oeil sur nos expositions de tableaux modernes, nous sommes frappés de la
tendance générale des artistes à habiller tous les sujets de costumes anciens. Presque tous se servent des modes et
des meubles de la Renaissance, comme David se servait des modes et des meubles romains. Il y a cependant cette
différence, que David, ayant choisi des sujets particulièrement grecs ou romains, ne pouvait pas faire autrement que
de les habiller à l'antique, tandis que les peintres actuels, choisissant des sujets d'une nature générale applicable à
toutes les époques, s'obstinent à les affubler des costumes du Moyen Age, de la Renaissance ou de l'Orient. C'est
évidemment le signe d'une grande paresse; car il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument
laid dans l'habit d'une époque, que de s'appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être contenue, si
minime ou si légère qu'elle soit. La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont
l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.
nécessité de renouveler l’inspiration poétique : l’accorder à l’expression de l’époque
nécessité de renouveler le langage poétique, opération commencée dès le début du XIXème siècle par des poètes
comme Aloysius Bertrand dans son recueil Gaspard de la nuit, évolution du langage poétique vers la prose
Critique du passé
Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille refus de la poésie lyrique; exemple de
Lamartine jugé comme un bon poète mais vieillissant, n'ayant fait aucune recherche sur la forme ; R. se rattache au
Parnasse (Banville)
Critique du sentimentalisme romantique : Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et
prises de visions, — que sa paresse d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla,
Ô Namouna, Ô la Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré (lettre à Demeny)
Refus de la poésie dite subjective, cf. lettre à Izambard : « Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie
subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, — pardon ! — le prouve ! Mais vous finirez toujours
comme un satisfait qui n’a rien fait, n’ayant rien voulu faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours
horriblement fadasse. » sûrement ici une liberté de ton proche de l’impertinence écolière
-
recherche sur la forme
renouveler la forme: (lettre à Demeny)
« Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il
rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue […]
Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et
tirant. » proche de l’idéal baudelairien (synesthésies : On pratique la synesthésie lorsqu'on fait appel, pour définir
une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d'ordre différent. Par exemple, lorsqu'on qualifie
certains sons (perception auditive) de perçants, ou d'aigus (sensations d'ordre tactile).)
Exemple dans « Ma Bohême » : « mes étoiles au ciel avaient un doux frou frou Et je les écoutais assis au bord des
routes »
recherche sur l’inspiration
déjà évoqué lettre à Izambard du 13 mai 1871, il affirme son rejet de la « poésie subjective ». C'est également dans
la lettre dite « du Voyant », adressée le 15 mai à Paul Demeny, qu'il exprime sa différence en exposant sa propre
quête de la poésie : les lettres du Voyant (audace, narcissisme) : lettre à Paul Demeny (dite lettre du voyant), 15 mai
1871
la remplace par l’attachement au Parnasse : L'art n'aurait pas à être utile ou vertueux et son but en serait
uniquement la beauté : le slogan « L'art pour l'art » de Théophile Gautier, considéré comme précurseur, est adopté.
Ce mouvement réhabilite aussi le travail acharné et minutieux de l'artiste en utilisant souvent la métaphore de la
sculpture pour symboliser la résistance de la « matière poétique ». (proposition d’exposé plus tard dans l’année)
comment y parvenir : « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il
cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver »
« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. »
« Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes
d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les
quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous
le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! » cf
dernier poème des Fleurs du Mal
Un exemple
eh bien ce Rimbaud, jeune, donc audacieux, "sans complexe", il prétend renouveler le langage et l’inspiration
poétiques : le fait-il ? je prendrai le seul exemple d'un poème de 1871-72: Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons
d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Association voyelles/couleurs Associé chaque voyelle à un univers qui rappelle cette couleur -noir = mouche, ombre ; blanc=glaciers, rouge=sang, etc. Mais aussi associations de sonorités : A, noir ; E, candeur, vapeurs +blancs, tentes, lances = un univers de sonorités proches U vert mais caractérisé par le retour du i : vibrements, divins, virides, pâtis, rides, etc.
-
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -
Utilisation des sens : Vue bien sûr mais aussi ouïe : bombinent, rire, clairon, strideurs, silences Odorat : puanteurs Goût : sang craché ? Toucher : frissons, vibrements
chercher des correspondances: ici voyelles et couleurs; la recherche des images sans doute annonciatrices du
surréalisme, et dans Le Bateau Ivre
quels sont les moyens techniques utilisés par le poète pour suggérer ces correspondances : création d’univers autour
de chaque voyelle grâce aux sens, aux sonorités, à l’associations d’images
en définitive, ce poème est très classique sur le plan formel : il respecte parfaitement les règles du sonnet, il utilise
beaucoup les sonorités et les sens, ce qui est très classique en poésie ; mais très novateur sur le plan de l’inspiration.
On voit à quel point on est loin de la poésie que Rimbaud appelait « subjective ».
Rapport avec la jeunesse du poète ?
l’image le dit… Revue Les Hommes d'aujourd'hui n°318, 01-1888
Couverture du dessinateur Luque
5- la maîtrise de l'écriture
Quoi qu’il en soit, jeune ou non, avec sa parfaite maîtrise de l’écriture classique, je voudrais montrer que, même
dans les premiers poèmes, Rimbaud a déjà une parfaite maîtrise de son propos.
Ma Bohême: en apparence le poème d'un jeune fugueur < un poème sur la poésie
-
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! Arthur Rimbaud, Cahier de Douai (1870)
Verbes allais=départ, répétés Dès le début violence : les poings>les mains ; dans mes poches < dans mes poches crevées = revendication de son état précaire au nom de la liberté d’aller Sentiment du bonheur : que d’amours splendides j’ai rêvées- Mon auberge- Mes étoiles- Ces bons soirs de septembre Mais en réalité : ce qui transparaît dans le poème = un grand dénuement poches crevées- unique culotte- large trou- souliers blessés : pas de plaintes, juste suggéré Privations : auberge était à la Grande-Ourse- assis au bord des routes- je sentais des gouttes De rosée à mon front (enjambement)- ombres fantastiques- Sentiment d’abandon : Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course mais dissimulé par l’activité poétique Rôle de la poésie : J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal- , j’égrenais dans ma course Des rimes- rimant La poésie transfigure la réalité : les gouttes de rosée deviennent un vin de vigueur ; les élastiques de ses souliers deviennent des lyres (enjambement)
La jeunesse de Rimbaud lui a sans doute permis des incartades, des amusements poétiques mais aussi une certaine
audace, violence des idées, des rejets1. Du narcissisme2 sans doute mais qui est fécond, il lui a surtout autorisé ses
audaces mais en rien illustré une certaine mièvrerie3. Il refuse très tôt le sentimentalisme, le moindre lyrisme en se
rattachant au Parnasse. Surtout il se caractérise par le désir de pousser très loin le renouvellement poétique aussi
bien dans l’inspiration que dans le langage. Et en ces circonstances, on ne voit pas en quoi cette jeunesse a pu lui
nuire. Il a manifesté une grande maîtrise du langage poétique4 et le renouvellement5 de celui-ci tant dans la forme
que dans l’inspiration.