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C H R I S T I A N I S M E et I N V A S I O N S * * * * * * * * * * * * * * * - » « - * - K - - X - - X - * * - J « - ^

CHRISTIANISME ***********

I l y a v a i t deux siècles environ que l e s Gaules vaincues reposaient en paix à l'ombre des ai g l e s romaines ; l e i^orvan lui-même, dépeuplé, presque désert, s'était depuis longtemps soumis à l'empire des Césars, lorsque com­mença à poindre l'aurore d'une ère nouvelle. Le moment fixé par l a Providen­ce pour d i s s i p e r l e s ténèbres de l'idolâtrie qui, depuis tant de siècles, en­veloppaient nos montagnes, a r r i v a e n f i n . Déjà Rome et l ' I t a l i e étaient p l e i ­nes de chrétiens ; déjà Arles s'était réveillée à l a voix puissante de Trophime ; Lyon lui-même comptait par m i l l i e r s l e s adorateurs du C h r i s t ; mais Autun et tous l e s pays de sa dépendance avaient à peine entendu p a r l e r du christianisme et des vertus sublimes q u ' i l s a i t i n s p i r e r . Tout à coup, au l o i n rivage, on v o i t aborder de nouveaux apôtres ; ce sont Andoche, Bénigne, Andéol et Thyrse, tous quatre d i s c i p l e s de Saint-Polycarpe, tous quatre p l e i n s de zèle et de charité, de dévouement et de courage.

A peine o n t - i l s posé l e pied sur l e s o l de l a Gaule, q u ' i l s se mettent à l'oeuvre et prêchent l'Evangile sur l e s bords du Rhône, où l'un d'eux, Andéol, f i x e l e siège de son apostolat. Quant à Andoche, Bénigne et Thyrse, n'écoutant que l'ardeur du zèle qui l e s presse, i l s s'avancent plus avant dans l e s t e r r e s , parcourent l e s pays r i v e r a i n s de l a Saône, en annonçant l a bonne nouvelle, et a r r i v e n t e n f i n à Autun.

D'Autun, où i l s avaient f a i t b r i l l e r l e flambeau de l a f o i e chrétienne, nos t r o i s ouvriers évangéliques, poussés par l e désir de porter plus l o i n l a lumière du s a l u t , marchent à de nouvelles conquêtes ; tandis que Bénigne se rend à Dijon, Andoche et Thyrse, son diacre fidèle, à l a prière de Fauste, noble sénateur de l a v i l l e d'Autun, se di r i g e n t vers Saulieu, dont i l était seigneur. Arrivés dans cette p e t i t e v i l l e , tout enorgueillie de son fameux temple du S o l e i l , nos deux héros chrétiens se mettent aussitôt à prêcher l'Evangile, e t , à le u r v o ix, une multitude d'idolâtres renoncent à l ' e r r e u r et demandent l e baptême. Les prêtres païens, menacés de v o i r l e u r s idoles abandonnées, en conçoivent un naturel ombrage. Ameutant donc l a populace, q u ' i l s soulèvent par l a cra i n t e de l a colère des dieux, i l s e x citent contre Andoche et Thyrse une sédition formidable, dans laq u e l l e i l s enveloppent a u s s i Félix, honnête marchand, qui l e s a v a i t reçus dans sa maison.

S a i s i s par une troupe de forcenés, ces hommes vertueux, dont tout l e crime était d'avoir voulu éclairer de misérables aveugles, sont abreuvés

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d'outrages, traînés par l e s rues et déchirés à grands coups de verges et de cordes nouées. Puis, l e s membres en lambeaux et l e s mains attachées par der­rière, i l s sont suspendus en l ' a i r pendant toute une journée, a f i n d'épou­vanter, par l a vue do ces tourments, ceux qui seraient tentés d'abandonner l e c u l t e des dieux du pays. Comme i l s v i v a i e n t encore lorsqu'on l e s descen­d i t , on appliqua sur leu r s membres meurtris des charbons ardents, et l e s bourreaux l e s achevèrent à coups de l e v i e r s , l e 24 septembre 178 ou 179. Alors l e s fidèles, q u ' i l s avaient s i douloureusement enfantés à Jésus-Christ, r e c u e i l l i r e n t l e u r s restes mortels et l e s inhumèrent, dans l'endroit de l e u r supplice, sous l a d i r e c t i o n de Fauste, l e u r seigneur, accouru d'Autun tout exprès. Une chapelle ayant été construite sur l e l i e u où reposaient leurs corps, i l s'y f i t , dans l a s u i t e , un concours considérable de pèlerins. Los aumônes qu'on y déposait devinrent s i abondantes, qu'on songea, au sixième siècle, à y élever une abbaye pour l e s moines chargés de v e i l l e r sur l e tom­beau des martyrs. Ce monastère f u t sécularisé vers l'an 1127.

Le sang des glorieux apôtres du Morvan f u t , pour l a contrée, une semen­ce féconde de chrétiens. Néanmoins, l e paganisme, bien qu'agonisant au 4e siè­c l e , dans toutes l e s Gaules, conservait encore, dans nos montagnes, des sanctuaires vénérés et des sectateurs extrêmement entêtés de ses dogmes su­p e r s t i t i e u x . Hais n u l l e part l e culte des idoles n'était plus enraciné et plus f o r t qu'au Beuvray.

Au temps du paganisme, cette montagne, s i e l l e ne f u t pas l e siège de l'antique Bibracte, était au moins l e sanctuaire des dieux de l a Gaule ; là, au s e i n des forêts et du s i l e n c e , devaient avoir l i e u l e s assemblées l e s plus solennelles et l e s cérémonies l e s plus pompeuses de l a r e l i g i o n . C'est sur son vaste plateau, souvent enveloppé de l a foudre et des éclairs, que devaient se rendre l e s Eduens, tantôt pour adorer l ' E t r e suprême, entendre prêcher l a haute morale ou l a profonde philosophie de leu r s pontifes ; tan­tôt pour discut e r , dans l e s assemblées ÎDUtiques du printemps ou de l' a u ­tomne, ou dans quelque autre grande occasion, l e s intérêts publics l e s plus graves. I l dut être même, pour l a Celtique, ce qu'était pour Rome l e Capitu­l e , une sorte de forteresse où l e s femmes, l e s enfants et l e s v i e i l l a r d s trouvaient un a s i l e sûr en cas d'invasion.

Sous l e s Romains, son plateau reçut l e s cohortes chargées de t e n i r en échec l e s t r i b u s insoumises du ïiorvan ; l e s dieux de l a Grèce et de Rome y reçurent des hommages. F l o r e , ï'iaïa, l'une déesse des f l e u r s et l'autre dées­se de l a jeunesse, Mercure, l e dieu des Marchands, et jusqu'à l'impudique Vénus, y eurent l e u r s a u t e l s .

La jeunesse gauloise, bientôt corrompue par l e s doctrines d'une r e l i ­gion li c e n c i e u s e , s'y rendait en foule dans l e s beaux jours du printemps pour célébrer l e s fêtes de ces divinités impures. A i n s i se formèrent ces concours périodiques qui amenèrent s i longtemps, au sommet de l a montagne sainte du Mc-rvan, une foule immense de peuple. Les voies i n d e s t r u c t i b l e s que, dans l e u r s moments de l o i s i r , l e s soldats romains avaient construites l e long de ses f l a n c s , en f a v o r i s a i e n t d ' a i l l e u r s l'accès.

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T e l l e était, sous l e rapport r e l i g i e u x , l a s i t u a t i o n des choses au Beuvray, lorsque Saint-Martin, ce glorieux apôtre des Gaules, cet athlète s i redoutable au culte des faux dieux, f i t , en 376, son entrée dans Augustodunum. S i i a p l i c i u s , connu lui-même par son zèle contre l e c u l t e des id o l e s , en était évêque. Ce vertueux pontife, malgré ses constants e f f o r t s , n'était pas encore parvenu à purger tout son diocèse des restes du paganis­me, tant i l y a v a i t jeté de profondes racines ! On s a i t que sous l e s murs mêmes d'Augustodunum i l e x i s t a i t a l o r s un temple fameux que ï'artin e n t r e p r i t de démolir, et un chêne sacré q u ' i l renversa au grand péril de sa v i e . Sur l'emplacement de ce dernier, on éleva d'abord une chapelle, puis une vaste abbaye qui porta, jusqu'à nos j o u r s , l e nom du s a i n t évêque de Tours. Après cette périlleuse v i c t o i r e , remportée sur ce puissant foyer de l ' e r r e u r , l e pieux prélat p o u v a i t - i l l a i s s e r debout, au sommet du Beuvray, qui se dres­s a i t devant l u i , l e s autels et l e s statues des deux du paganisme ? L'aspect sombre de l a montagne, l a réputation de cruauté des peuples des environs, r i e n ne peut l'arrêter. I l prend donc son humble monture, e t , vêtu d'une Ion gue tunique et d'un manteau noir en t i s s u de p o i l , i l s'avance vers ce nou­veau champ de b a t a i l l e sans autre escorte que quelques guides, sans autres armes que l a prière et sa confiance en Dieu.

Que se p a s s a - t - i l sur l a montagne ? On c r o i t que là i l f a i l l i t être l a ­pidé par des païens ameutés, et q u ' i l n'échappa à l a mort que par miracle. Tout porte à penser, en e f f e t , que l e Beuvray est l'un des deux endroits de l'Autunois où sa v i e courut l e s plus grands dangers. Sa présence y était a t ­testée j a d i s par un ancien oratoire élevé en son honneur, et par une f o n t a i ­ne pour l a q u e l l e l e s fidèles des environs professent une grande dévotion. I l se f a i s a i t a u t r e f o i s , aux deux fêtes du s a i n t , un grand concours à cet ora t o i r e , que desservait un moine du prieuré de Saint-Symphorien d'Autun, dont l e s r e l i g i e u x reconnaissaient Saint-Martin comme le u r père.

Le pieux évêque, après a v o i r accompli sa s a i n t e , mais dangereuse mis­sion au Beuvray, en descendit par l'autre versant. Le grand nombre d'abbayes de prieurés, d'églises et de chapelles placés sous son invocation, en Morvan sont peut-être un autre témoignage de l a v i s i t e de cet i l l u s t r e thaumaturge des Gaules dans nos montagnes. Quelque temps après, en 417, l e pays f u t t r a ­versé, du nord au sud, par Saint-Amâtre, évêque d'Auxerre ; i l se rendait à Autun pour s o l l i c i t e r du gouverneur l'admission du comte Germain dans son clergé. Au s e i n des forêts, entre Quarré-les-Tombes et Saint-Brisson, i l ren contra de pauvres bûcherons qui, l'ayant reconnu pour évêque au p e t i t r e l i ­quaire q u ' i l p o r t a i t à son cou, coururent se j e t e r à ses pieds, l e priant de l e s bénir et de guérir un des leurs que l e c i e l , d i s a i e n t - i l s , a v a i t j u s ­tement puni. Le pieux prélat se rendit à le u r s voeux et obtint de Dieu l e miracle q u ' i l s demandaient. I l s en furent s i reconnaissants, q u ' i l s se mi­rent à réparer l e s chemins par où i l devait passer et voulurent l u i s e r v i r d'escorte.

Un peu plus l o i n , 1'évêque v i t accourir un noble citoyen d'Alise, Soffronius, poursuivant, avec ses gens, des voleurs qui avaient enlevé son argenterie. Ces coupables étaient-ils des habitants du Morvan ? On l'ignore. Seulement l a d i r e c t i o n q u ' i l s avaient p r i s e porte à l e c r o i r e . Quoi q u ' i l

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en s o i t , déjà Soffronius l e s a v a i t a t t e i n t s et s'apprêtait à t i r e r une rude vengeance du crime, lorsque Amâtre implora l e s a l u t des ra v i s s e u r s ; i l f i t tant par sa charité et l'autorité de sa parole, que l e seigneur mandubien se contenta q u ' i l s jurassent sur l e tombeau de Saint-Andoche q u ' i l s chan­geraient de v i e .

INVASIONS SUCCESSIVES H j U U m j l Y V W V V W " " M ,M I I " .V.

mnm i n n n n n n n n n n P i i A K R

Cependant l a puissance des maîtres du monde commençait à s ' a f f a i b l i r . Tant que Rome eut des ennemis à combattre et des provinces à conquérir, e l l e f u t grande, f o r t e et i n v i n c i b l e ; maîtresse de l'u n i v e r s , e l l e s'endormit dans une v i e molle e t voluptueuse. Tandis que l e courage de ses enfants s'énervait dans l e s douceurs d'une paix plus funeste pour e l l e qu'une guerre malheureuse, l a d i v i s i o n des chefs préparait sa ruine et amenait l a chute d'une grandeur acquise par des travaux immenses. L'empire, après de s i glo­rieuses v i c t o i r e s , de s i magnifiques conquêtes, chancelait sur sa base, dé­jà même i l c r o u l a i t de toutes p a r t s .

Enhardis par ce funeste état de choses, l e s barbares qui, jusque-là, n'avaient tenté que quelques incursions, plus ou moins heureuses, dans l e s Gaules, d'où il» avaient été, à chaque f o i s , rejetés dans l e s forêts de l a Germanie, reprennent courage. I l s se réunissent donc en foule, s'acheminent vers cette Gaule, objet de l e u r convoitise, et forcent de nouveau l e s f r o n ­tières de l'empire. Cette multitude innombrable, composée d'Alains, de Bur-gondes, de Gépides, de Goths, de Suèves e t de Vandales, passa l e Rhin, du côté de Kayence, l e dernier jour de l'année 406, et se mit à ravager l e pays, qu'elle parcourut en tous sens.

Les Burgondes, pacifiques, s'établissent entre l e J u r a et l a Saône. Leur chef, dont l'ambition c r o i s s a i t à mesure que l'empire s ' a f f a i b l i s s a i t , résolut de re c u l e r l e s l i m i t e s de son p e t i t royaume. Autun tomba bientôt en son pouvoir ; l e Morvan, a i n s i que l e s autres pays de l a dépendance de cette antique cité, f u t a l o r s compris dans ce premier royaume de Bourgogne.

Jaloux de partager une proie dévolue aux barbares, l e s Francs eux-mêmes, qui avaient déjà f a i t plusieurs t e n t a t i v e s sur l e s provinces gauloi­ses de l'empire, s'avancent de le u r côté et poussent l e u r s conquêtes j u s ­qu'aux montagnes du Morvan. L'Yonne, l a p r i n c i p a l e rivière de cette contrée, l i m i t a naturellement l e s possessions des deux peuples. De cette époque, qui était l'an 427, notre pays f i t p a r t i e de deux royaumes, sans cesser, pour c e l a , de r e s t e r sous l a j u r i d i c t i o n s p i r i t u e l l e des évêques d'Autun.

Pendant 66 ans, l e s choses en restèrent là. Mais "pour ce que l e s Bourguignons et l e s François estoient, chacun en sa conqueste, seigneurs souverains, ne reconnaissant r i e n de l'un de l ' a u t r e , f u t avisé que l a part du diocèse d'Ostun demeurée à l a conqueste des François, au r o i t un évesque

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et diocèse à part, e t f u s t e s t a b l i un siège épiscopal à Nevers, qui ne f u t pas attribué à l a province de Lyon, parce que cette v i l l e e s t o i t aux Bour­guignons, mais... à l a province de Sens, qui e s t o i t aux François". Dès l o r s , l a rivière d'Yonne sépara l e s deux nations au s p i r i t u e l comme au temporel.

Dans l e cours de ces divers événements, l e Morvan f u t visité par S a i n t -Germain, évêque d'Auxerre, prélat l e plus célèbre des Gaules après Sa i n t -Martin. Le grand nombre d'églises, placées sous son invocation, montre que son c u l t e était tout aussi répandu dans nos campagnes que c e l u i du pieux évêque de Tours. On t r o u v a i t , presque de l i e u e en l i e u e , des églises qui l u i étaient dédiées et que l a dévotion à ce s a i n t évêque était s i grande, qu'on y entretenait, l e jour et l a n u i t , des lampes ardentes en son honneur. A l a mort de Saint-Germain, survenue l o r s de son retour d ' I t a l i e pour l a Gaule, l e clergé d'Auxerre p a r t i t et s'avança jusqu'au pied des Alpes, pour recevoir son corps et l e conduire dans sa v i l l e épiscopale, où i l a v a i t vou­l u être inhumé. Lorsque l e funèbre cortège tr a v e r s a l e Morvan, au chant des psaumes, on v i t l e s populations se le v e r en masse et accourir avec l e u r s prêtres, sur son passage, pour donner aux res t e s mortels d'un s i grand évê­que l e témoignage d'une vénération bien méritée. Les flambeaux et l e s t o r ­ches allumées autour du char funèbre étaient s i nombreux, que l a lumière s'en f a i s a i t remarquer en p l e i n jour (448).

Parmi l a foule qui accompagnait l e s a i n t corps, on remarquait quatre pieuses vierges i t a l i e n n e s qui, par dévotion, ne voulurent plus s'en sépa­r e r . Magnance, l'une d ' e l l e s , s o i t fatigue, s o i t épuisement ou toute autre cause, tomba malade dans l a traversée du Morvan et y mourut. E l l e f u t en­terrée sur l e bord même de l a voie d'Agrippa, non l o i n de l'antique v i l l a g e de Cordois, et r e s t a oubliée pendant plus de deux siècles. Mais en f i n ses rel i q u e s , ayant été miraculeusement découvertes, e l l e s furent transférées dans l'église, où i l se f i t un s i grand concours de fidèles, que l e pays q u i t t a son nom et p r i t c e l u i de l a vertueuse étrangère. Dès l o r s , l e Morvan compta un s a i n t de plus.

Quatre ans après, tandis que l e s Burgondes e t l e s Francs, en paix en­tr e eux, j o u i s s a i e n t sans trouble de leurs conquêtes respectives, un h o r r i ­ble fléau v i n t fondre sur l e pays, à peine remis des maux que l'inv a s i o n de tant de barbares l u i a v a i t causés. Les Huns, nation c r u e l l e et sanguinaire, s o r t i e de l a T a r t a r i e , ayant à l e u r tête l e t e r r i b l e A t t i l a , surnommé l e "Fléau de Dieu", se portèrent sur l e s Gaules comme un torrent dévastateur, après avoir f a i t trembler Théodose sur son trône d'Orient.

Ces barbares écrasèrent sans peine l'armée burgonde qui tenta de s'op­poser à l e u r passage sur l e Rhin, et pénétrèrent, au nombre de cinq cent m i l l e combattants, jusqu'au coeur du pays, en l a i s s a n t derrière eux une lon­gue traînée de feu et de sang. Le Morvan a u r a i t été traversé par ces hordes sauvages, qui ne l e traitèrent pas mieux que l e s pays qu'elles avaient déjà parcourus. Quelques détachements, l a s de suivre cé chef aventureux, se se­r a i e n t fixés dans nos montagnes.

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Près d'un siècle s'était déjà écoulé depuis l a défaite d ' A t t i l a dans l e Cantal, lorsque mourut Godomar, dernier prince de l a maison de Bourgogne, assiégé et p r i s dans Autun, où i l s'était réfugié. En l u i f i n i t ce fameux royaume de l a première Bourgogne, après une durée de cent vingt ans, sous quatre générations de r o i s . Le Morvan et l e s autres pays de sa dépendance passèrent a l o r s au pouvoir des r o i s f r a n c s .

I I I - PROGRES de l a RELIGION CHRETIENNE X-

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Au m i l i e u de ces a g i t a t i o n s , de ces bouleversements, qui troublèrent l a p a t r i e et changèrent l a face des choses, l a r e l i g i o n du C h r i s t ne l a i s s a pas de répandre au l o i n ses rayons b i e n f a i s a n t s . Dès l a f i n du 5e siècle, toute l a France, à peu d'exceptions près, était chrétienne. E l l e a v a i t appe­lé à e l l e l e s barbares, qui entendirent sa v o i x , embrassèrent ses dogmes consolants, sa morale sublime, et l u i montrèrent, dans l a s u i t e , une soumis­sion vraiment f i l i a l e .

Placée sur l e trône par l e s r o i s burgondes, puis, avec plus d'éclat, par l e s r o i s francs dans l a personne du grand C l o v i s , cette r e l i g i o n de cha­rité, qui a v a i t désarmé des peuples jusque là féroces, et l e s a v a i t amenés à des sentiments doux et humains, rayonnait de cette g l o i r e pure qu'elle t i ­re de son essence di v i n e . E l l e donnait, de toutes p a r t s , de fréquents exem­ples de ces vertus sublimes e t héroïques qu'elle seule peut i n s p i r e r . Les grands comme l e peuple l'aimaient et se soumettaient avec bonheur à ses s a ­ges p r e s c r i p t i o n s . On ne s'en te n a i t pas là ; chacun v o u l a i t apporter son t r i b u t à l'édifice s p i r i t u e l , qui répandait un éclat s i pur sur l a France entière. Les ri c h e s payaient de le u r fortune, l e peuple de sa personne. C'est a i n s i que s'élevèrent, de tous côtés, des monastères où l e puissant et l e f a i b l e , indistinctement, se r e t i r a i e n t pour se dérober au monde et r i ­v a l i s e r ensuite de piété et de ferveur.

Le Morvan, au mil i e u de cet élan général, ne r e s t a point en arrière. On v i t s'élever, dans ses montagnes, l e s abbayes de Saint-Péreuse, de S a i n t -Andoche de Saulie u . La première f u t bâtie sur l e tombeau du s a i n t martyr de ce nom, que l'on peut mettre au nombre des apôtres du pays, et dont un v i l l a ­ge rappelle encore l e souvenir.

Dans l e siècle suivant, l e s forêts du Morvan donnèrent a s i l e à un autre s e r v i t e u r de Dieu, qui v i n t y chercher a u s s i un refuge contre ce q u ' i l appe­l a i t l e s d i s s i p a t i o n s du cloître ; c'est Saint-Médéric ou Merri, quatrième abbé de Saint-Martin d'Autun. Un jour, i l s o r t i t secrètement de son monas­tère, et p r i t l a route du Morvan, qui se montrait sombre et s o l i t a i r e vers l'ouest. I l e r r a plusieurs jours aux sommets des montagnes l e s plus âpres, l e s plus sauvages. I l parcourut l e s vallées l e s plus profondes, l e s plus so­l i t a i r e s , c e l l e s où l a voix du torrent et l e c r i des bêtes fauves seuls se f a i s a i e n t entendre, et f i n i t par se f i x e r dans un l i e u entouré de rochers et de précipices, nommé depuis Cellule-de-Saint-Merri, aujourd'hui l a C e l l e -lès-Autun.

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Ses moines, désolés, l e cherchèrent longtemps sans découvrir l e l i e u de se r e t r a i t e . E n f i n , s o i t par l a ve r t u d'en haut, s o i t par l ' e f f e t d'un heu­reux hasard, i l s connurent l a d i r e c t i o n q u ' i l a v a i t p r i s e , et bientôt l'en­d r o i t même où i l s'était retiré. I l s sortent donc de le u r monastère pleins de j o i e , accourent auprès de l u i . Après d'instantes prières et de pressantes s o l l i c i t a t i o n s , i l s durent néanmoins se résoudre à reprendre seuls l e che­min de l a v i l l e , et i l s rentrèrent dans l e u r monastère a u s s i t r i s t e s q u ' i l s en étaient s o r t i s joyeux. Quelques temps après, i l s f i r e n t de nouvelles ten­t a t i v e s ; mais toujours i l s trouvèrent l'homme de Dieu au s s i ferme que l e rocher qui l u i a v a i t ouvert ses f l a n c s . Désespérant donc de vaincre par eux-mêmes sa résolution et de triompher de son amour pour l a solitude, i l s s'a­dressèrent à Hermenaire, prélat d'une haute piété. I l s l e conjurèrent d'user de son autorité et de ramener l e s a i n t abbé au m i l i e u d'eux par quelque moyen que ce fût. L'évêque écouta avec bonté leu r s supplications et se ren­d i t lui-même dans l a solitude de Merri. I l trouva l e s a i n t homme livré à une profonde méditation. Merri refusa de r e v e n i r , en prétextant son indignité et l e besoin de t r a v a i l l e r à sa propre s a n c t i f i c a t i o n . Alors 1'évêque l e menaça d'excommunication s ' i l n'obéissait à ses ordres. L'humble abbé se sou­mit et r e p r i t , avec l e prélat, l a route d'Autun, non sans un amer regret de se v o i r arracher à des l i e u x où i l a v a i t trouvé tant de calme et goûté tant de bonheur.

Merri, après avoir édifié encore pendant quelques années l e s bons moi­nes de Saint-Martin, se r e t i r a à P a r i s , où i l mourut, vers l'an 700, dans une grande réputation de v e r t u et de sainteté. Sa solitude du Morvan acquit une grande célébrité. La c e l l u l e , témoin des austérités de sa v i e et de l a ferveur de ses prières, f u t changée en une chapelle, que visitèrent pendant longtemps de nombreux pèlerins. C'est actuellement une des paroisses du doyenné de Lucenay-1'Evêque.

NOUVELLES INVASIONS

Cependant, des jours s i heureux, s i prospères pour l ' E g l i s e de France et pour l ' E t a t , vont bientôt disparaître. Des invasions et des guerres de toutes sortes troubleront, pendant plus de cent ans, l e bonheur et l a paix p u b l i c s . Le Morvan, enveloppé dans l e malheur commun, v e r r a de nouveaux bar­bares couvrir ses montagnes, inonder ses vallées. Ses p a i s i b l e s échos reten­t i r o n t longtemps du b r u i t des armes et du c r i des gu e r r i e r s . Déjà, en e f f e t , l'horizon se g r o s s i t de nuages du côté du sud, et un orage épouvantable s'apprête à fondre sur l a France ; ses plus b e l l e s provinces vont être rava­gées.

Les S a r r a s i n s , appelés par Moronte, gouverneur de Ma r s e i l l e , et f a v o r i ­sés par l e s seigneurs de Bourgogne, qui cherchaient à se rendre indépendants, parcourent l e pays comme un torrent dévastateur. Autun, emporté d'assaut, est dévasté et réduit en cendres l e 22 août 731. Ces barbares portèrent un coup s i t e r r i b l e à cette grande v i l l e , qu'elle ne s'en est jamais bien r e l e -

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vée. Les Arabes, se d i v i s a n t ensuite en plusieurs colonnes, se donnent rendez-vous sous l e s murs d'Auxerre. I l s traversent donc l e Morvan en s u i ­vant l e s t r o i s p r i n c i p a l e s voies romaines qui l e s i l l o n n a i e n t , e t renver­sent tout ce q u ' i l s rencontrent sur l e u r passage. Les v i l l a s de Lucenay, de Brazey, de L i e r n a i s , sont culbutées. Saulieu, attaqué brusquement, n'offre bientôt plus, a i n s i que son abbaye, qu'un monceau de ruines.

Mais au m i l i e u des décombres, g i s a i t un trésor bien précieux, surtout à cette époque de f o i : c'était l e tombeau des apôtres du pays, qui échappa, comme par miracle, aux mains sacrilèges de ces barbares. C'est à l a conser­vation des restes vénérés de Saint-Andoche, on ne peut en douter, que l a v i l l e , comme l e monastère, dut l'avantage de s o r t i r de nouveau de ses r u i ­nes. Sans l e s reli q u e s de ce glorieux martyr, Saulieu, comme tant d'autres v i l l e s gallo-romaines, ne présenterait probablement qu'une masse informe de débris gisant sous t e r r e ou dispersés par l e soc de l a charrue.

Après l e sac de Saulieu, l e s barbares, poursuivant l e u r route, arrivè­rent sur l e t e r r i t o i r e de l a Roche-en-Brenil, où i l s trouvèrent une bourgade gallo-romaine, q u ' i l s nivelèrent avec l e s o l ; e l l e ne s o r t i t plus de des­sous ses décombres. Puis i l s se ruèrent sur Avallon. Sur l a voie du centre, au l i e u qu'occupe aujourd'hui Ouroux, se tr o u v a i t un horreum ou magasin de v i v r e s et de fourrages, d'où est venu au pays son nom actu e l ; l e s barbares l e pillèrent et l e brûlèrent, a i n s i que l ' a t t e s t e n t l e s couches de charbon, gisant çà et là, à un mètre au-dessous du s o l . D'anciennes ruines g a l l o -romaines, découvertes aut r e f o i s dans l e voisinage de Lormes, prouvent que, là a u s s i , i l s exercèrent l e u r fureur.

Au sud, l e s ravages ne furent pas moins t e r r i b l e s . Un corps d'armée, formant l a p r i n c i p a l e force des infidèles, monta au Beuvray, d'où i l descen­d i t sur l'établissement des Eaux-de-Nisiné, p i l l a l a v i l l e et y mit l e f e u . Les thermes, c o n s t r u i t s avec tant de soins et de dépenses, furent culbutés et ensevelis sous une épaisse couche de débris, dont i l s n'ont été entière­ment dégagés qu'en 1853.

Après l'éclatante v i c t o i r e de Charles Martel sur l e s Arabes devant P o i t i e r s , l e vainqueur, pour récompenser ses leudes, qui l'avaient s i p u i s ­samment secondé dans cette importante et glorieuse circonstance, l e u r d i s ­t r i b u a l e s biens des monastères renversés par l e s infidèles. Saint-Andoche de Saulieu, Saint-Martin d'Autun, S a i n t - P r i x de Plavigny... perdirent a i n s i presque toutes l e u r s possessions du Morvan ; mais Charlemagne, prince géné­reux et chrétien, rétablit l e premier avec une magnificence vraiment royale, et l u i r e s t i t u a tous ses domaines ; au s s i cette abbaye regarda toujours ce pieux monarque comme son véritable fondateur, et p r i t l e t i t r e d'église royale. Le clocher lui-même, surmonté d'un t r i p l e dôme, était destiné, par sa forme, à rappeler l a t r i p l e couronne impériale.

A l a mort de Charlemagne, son f i l s , Louis l e Débonnaire, prince d'un excellent n a t u r e l , mais sans énergie, monta sur l e trône. Son règne f u t ex-

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trêmement agité et tumultueux. Victime lui-même de son excessive bonté et de l a mollesse de son caractère, i l f u t renfermé par ses propres enfants dans un obscur cachot, d'où i l ne s o r t i t que par un e f f e t de l a fidélité et du dé­vouement de Bernard, comte d'Autun, qu'appuyaient énergiquement ses vassaux de l'Autunois et du Morvan. Sa mort f u t , en 840, l e s i g n a l de nouveaux trou­bles et de plus grands malheurs. Ses f i l s dénaturés se f i r e n t , pour l e par­tage de ses E t a t s , une guerre à outrance, qui se termina à Pontenoy par une b a t a i l l e sanglante où cent m i l l e Français se f i r e n t égorger pour l a querelle de le u r s princes. Dans l e partage qui s u i v i t , l e Morvan f i t p a r t i e des E t a t s de Charles l e Chauve, 4e f i l s de Louis, et depuis empereur. Ce monarque ren­d i t à l'abbaye de Saint-l'Iartin d*Autun l e s t e r r e s de l a C e l l e , de Commagny, de nommant, de Verrières et autres.

Cependant l e s Normands, a u x i l i a i r e s des princes aquitains, enhardis et favorisés par l e s discordes des enfants de Charles l e Chauve, et par le u r impuissance à l e s repousser à cause des guerres c i v i l e s , pénètrent dans l ' i n ­térieur de l a France, et y commettent d'affreux ravages. Indigné de tant de brigandages, 1'évêque d'Auxerre, à l a tête de ses vassaux, et secondé par lès seigneurs du pays, se met à l e u r poursuite et l e s a t t e i n t dans l'Avalbn-n a i s , où i l s se l i v r a i e n t au p i l l a g e . Les troupes épiscopales l e s attaquent brusquement, l e s j e t t e n t dans l e s montagnes et l e s y suivent résolument.

Arrivés à Quarré-les-Tombes, où commencent l e s forêts du Haut-Morvan, l e s Normands furent contraints d'accepter l e combat ; i l f u t t e r r i b l e , c ar i l r e s t a s i x m i l l e morts sur l e champ de b a t a i l l e . Bientôt forcés de lâcher l e pied, l e s barbares se j e t t e n t dans l a vallée de l a Cure, passent cette r i ­vière et a r r i v e n t sur l e s hauteurs de Chalaux, à l ' e s t , où un nouveau combat achève l a destruction de ces p i l l a r d s . On raconte que des buissons d'épines crurent sur l e s fosses des infidèles, et que des tombes, envoyées du c i e l , renfermèrent l e s corps des soldats chrétiens, morts pendant l ' a c t i o n . C'est a i n s i que l e peuple explique l a présence, à Quarré, des nombreuses tombes qu'on y remarque et qui ont donné au pays son surnom.


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