ESH ECE1 Camille Vernet Nicolas Danglade 2017-2018
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Chapitre 7 Histoire de la pensée économique
1. La pensée économique pré-classique
1.1 Le mercantilisme : la naissance de l’économie politique
Document 1 : De la condamnation antique des activités marchandes à leur réhabilitation à la renaissance
La distinction entre économie et chrématisitique chez Aristote est une opposition entre des activités économiques naturelles, car orientées par la recherche de la satisfaction des besoins (oïkonomia, les lois qui règlent le fonctionnement de la maison) et des activités (…) animées par la recherche du profit pour lui-‐même. L’art d’acquérir des richesses, qui est celui du marchand (« kapelos »), est condamnable car non borné : le désir d’accumulation est présenté comme insatiable et donc dangereux pour la communauté. L’économie est au service de la communauté, elle est condamnable si elle s’autonomise et ce faisant perd son sens. Jusqu’à la Renaissance, cette distinction s’impose. Dans la pensée théologique du Moyen Âge, l’économie est d’abord vue comme une chrématistique, une activité immorale que la loi doit contraindre à respecter les principes de justice. Les activités économiques sont contrôlées et encadrées au sein de l’organisation domaniale de l’économie féodale. Les activités financières, comme le prêt à intérêt, sont condamnées moralement par la religion catholique (et musulmane). Depuis le 16ème siècle en revanche, l’économie se libère de la morale au nom de l’individualisme et de l’efficacité. L’économique va construire une idéologie qui va libérer l’économie des soupçons qui pesaient sur elle jusqu’alors. Le point de départ est la doctrine mercantiliste et le point d’arrivée est la pensée des économistes classiques. Durant cette période, l’économie est passée de l’immoralité à l’amoralité1 : de la condamnation de l’économie au nom de la morale à la condamnation de la morale au nom de l’économie. L’œuvre des mercantilistes vis-‐à-‐vis de la morale est la justification de la chrématistique. Les auteurs mercantilistes se caractérisent a posteriori par leur place dans la transition entre le monde féodal et le monde industriel : ils abandonnent la critique féodale des activités marchandes sur une base morale, mais sont incapables de penser l’économie sur ses bases réelles. Selon les mercantilistes, la puissance d’un Etat dépend de la puissance économique du pays à laquelle est liée sa capacité à lever et entretenir une armée. La puissance économique repose sur la monnaie (ce sont les quantités d’or et d’argent qui circulent dans le royaume) qui peut être amassée dans le cadre du commerce international (un excédent commercial permet l’accumulation de métaux précieux). En conséquence, le commerce, surtout international, doit être soutenu par l’Etat (soutien au développement du commerce au long cours, aux exportations, protectionnisme et limitation des importations). Ainsi se développe une approche pragmatique de l’économie, la timide défense d’une activité vulgaire mais utile au prince. L’économie abandonne la référence aristotélicienne au bien public et devient un art au service du prince. La monnaie, le profit, l’activité marchande sont justifiées non au nom de la morale mais de l’efficacité. 1Indifférence envers la moralité
Pierre-‐André Corpron et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, Bréal, 2013
Document 2 : Les siècles du mercantilisme Les siècles du mercantilisme sont placés sous le signe des grandes découvertes. Des voyages et des conquêtes, l’Amérique, la route du Cap, le tour du monde, voilà ce qu’ils évoquent tout d’abord. Le véritable père de l’économie politique, ce n’est pas Montchrétien, ce n’est pas Quesnay, ce n’est pas A.Smith, c’est Christophe Colomb. Le continent occidental, cela signifie d’abord l’argent du Mexique, l’or du Pérou. En cent ans, le stock de métaux précieux sur lequel avait vécu le moyen âge se trouve multiplié par huit. Sous la pression d’un tel afflux, les prix entrent dans la danse : c’est « la révolution des prix ». Les sereines et traditionnelles doctrines de modération, les menues réglementations anciennes ne sont que des digues puériles pour contenir le trafic déchaîné. Partout le type du marchand, audacieux, optimiste, aventurier, surgit de terre. Il approche le sceptre, et manie les rênes du gouvernement. Il prend la plume, et l’imprimerie répand la nouvelle conception de la vie qu’il apporte : ardente, optimiste, cruelle. A un idéal de bonheur et de paix succède une mentalité de lutte pour la vie, de soif de succès, de
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richesse, de puissance. A un monde essentiellement rural et artisanal, un monde manufacturier et commerçant. A une civilisation surtout continentale, une civilisation maritime. Les vaisseaux envahissent la mer et l’océan ; des flottes immenses et s’entredétruisent ; pendant deux siècles l’Espagne, la Hollande, la France et enfin l’Angleterre mèneront pour la suprématie maritime une lutte dont Trafalgar dira le dernier mot. Notre période est encore celle de la Renaissance, et de la réforme. Avec la Renaissance remonte à la surface la notion impériale romaine d’un Etat fort, autoritaire, armé d’une puissante machine administrative au moyen de laquelle il contrôle tout à l’intérieur et d’une forte armée sur laquelle il compte pour s’étendre à l’extérieur. (…) Partout, dans l’Europe chrétienne disloquée spirituellement, et politiquement, tandis que Machiavel écrit Le Prince, les Etats affirment leur indépendance et leur volonté de domination. (…) La Renaissance, c’est encore un renouveau d’attention pour les aspects profanes de la vie, et – tandis que l’on quitte les champs pour les manufactures, les armées et les marines – une sorte de retour à la planète Terre, après des siècles vécus les yeux au Ciel. C’est une affirmation de l’Homme contre Dieu ; une explosion du volontarisme. (…) Quant à la Réforme, dirons-‐nous (…) que Calvin a « inventé le capitalisme » ? (…) En Angleterre, l’un des résultats principaux de la Réforme fut de développer la lecture de l’Ancien Testament. Le juste s’y voit promettre longue vie et prospérité. Aux quakers et aux puritains, le succès économique apparaîtra comme un signe de l’élection divine. (…) Avec eux, l’ascétisme des affaires, l’épargne du bourgeois, l’austère calcul du comptable, la vie sans loisirs et le persévérant labeur du patron prendront une saveur chrétienne.
D.Villey et C.Nême « Petite histoire des grandes doctrines économiques », Litec, 1992
Document 3 : Les thèmes communs aux différents mercantilismes nationaux (Les différents mercantilismes nationaux) développent trois thème communs : la primauté de la richesse monétaire, la balance du commerce et la réglementation dans l’industrie et du commerce extérieur. Le chrysédonisme est la croyance selon laquelle la richesse consiste uniquement en métaux précieux. Quel que soit le mercantilisme, il faut accumuler de la monnaie : pour se procurer davantage de biens, pour accroître la production et favoriser la circulation des biens et services (la métaphore organiciste de la circulation sanguine est souvent utilisée), et pour investir dans le commerce (Angleterre) ou l’industrie (France). La notion de balance du commerce émerge en 1614 chez Serra (des biens et des services), puis chez Thomas Mun en 1621 (…). La balance du commerce doit permettre d’évaluer l’excédent commercial recherché, notamment par le commerce de réexportation : selon Mun, une sortie d’or pour importer le coton brut d’Inde permet d’exporter des cotonnades pour une valeur cinq fois supérieure. La réglementation dans le commerce et l’industrie est très présente parce que le commerce international est envisagé comme un jeu à somme nulle (…). Le libre-‐échange, tout du moins au sens où nous l’entendons aujourd’hui – est banni. L’expression que l’on croise dans les écrits mercantilistes, signifie au contraire l’obtention de monopoles, c’est-‐à-‐dire de privilèges, ceux des grandes compagnies de commerce anglaises et françaises (face aux hollandaises) en premier lieu. La France souhaite développer des manufactures royales à l’abri du protectionnisme : les droits de douane s’élèvent de 5 % vers 1620 à 20 % vers 1720.
Pierre-‐André Corpron et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, Bréal, 2013
Document 4 : La diversité des mercantilismes nationaux en Europe Le bullionisme espagnol – C’est premièrement là ou l’or aborde l’Europe – au Portugal, En Espagne – que l’on a subi la magie des métaux, et que l’on a fait de leur accumulation le but suprême de l’activité des individus comme de la politique des princes. (…) Tout le problème, pour l’Espagne, va consister à conserver chez elle l’or qu’elle importe de ses colonies d’outre-‐océan, à l’empêcher de fuir hors des frontières, et de se répandre parmi les autres pays d’Europe. D’où la politique que l’on a appelé « bullioniste » (de l’anglais bullion = lingot) et qui est une politique de protectionnisme monétaire direct et défensif : interdiction des sorties d’or ; obligation pour les exportateurs espagnols de rapatrier leurs créances, et, pour les importateurs étrangers de marchandises espagnoles, de dépenser les leurs en Espagne ; surévaluations artificielles des monnaies étrangères pour les attirer en Espagne. Ces diverses mesures bullionistes sont prônées par les auteurs (Orthiz) et mises en œuvre par les gouvernements. (…) Dans les faits, la politique bullioniste donne lieu à une réglementation minutieuse, et extrêmement désordonnée ; car l’abondance d’or engendrait un niveau élevé des prix, et les gouvernements, ignorants de la théorie quantitative de la monnaie, ne saisissaient pas le lien qui unissait les deux phénomènes. Les
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mesures prises pour empêcher les prix de monter se mêlaient aux mesures prises pour retenir l’or, avec une inextricable incohérence. L’Etat intervenait à tort et à travers, dans tous les sens. Le résultat fut la hausse des prix, la paralysie du commerce extérieur, la misère générale. L’afflux excessif de l’or américain, et la politique bullioniste qui l’a retenu de s’écouler à l’étranger sont à l’origine du déclin économique de l’Espagne. Le mercantiliste industrialiste et étatiste français – A cette époque, les métaux précieux du Nouveau-‐Monde proviennent exclusivement des colonies espagnoles et portugaises. Les pays autres que l’Espagne n’exploitent pas de mines d’or. Il ne s’agit pas pour eux de conserver l’or, mais de l’attirer. C’est ce que les mercantilistes français tenteront de faire en encourageant la production, surtout manufacturière (…). On a l’habitude de dire industrialiste et étatiste le mercantilisme français. C’est que l’on songe à la politique menée par les rois de France en faveur des industries. Cette politique porte un grand nom : celui de Colbert, qui accède au pouvoir dès la première année du règne personnel de Louis XIV, en 1661. Mais nos grands doctrinaires mercantilistes sont de beaucoup antérieurs à Colbert : Jean Bodin (1576), Antoine de Montchrétien (1615). (…) Colbert a fait de la France un Etat et une usine. Sous son impulsion, les manufactures surgissent et s’étendent, la marine marchande se construit. Le but premier, c’est l’or à attirer dans le royaume ; et pour cela les marchés étrangers à conquérir par la qualité des produits français. Le moyen, c’est la réglementation ; mais une réglementation qui stimule, encourage, vient en aide ; nullement étouffante. (…) La nation ne doit importer que ce qu’elle ne peut produire (…). Si notre pays est devenu au XVIIème siècle une grande puissance économique, militaire, naval, coloniale, c’est grâce à l’intervention de l’Etat, et c’est grâce aussi à une politique douanière d’un mercantilisme très orthodoxe. Le mercantilisme commercial anglais – Avec le mercantilisme anglais, on respire le vent salé du large, on perçoit le froissement des effets de commerce. Voici un mercantilisme vraiment, purement mercantile. L’idéal du colbertisme, c’était d’importer le moins possible – sauf des matières premières-‐ et d’exporter des fabricats. Les mercantilistes anglais veulent bien importer, à condition qu’ils exportent davantage encore, et transportent le plus possible. Leur but, c’est d’obtenir un excédent de actif de la balance du commerce, que déjà ils analysent en détail, et dans laquelle ils font une place importante à ce que nous appelons aujourd’hui les exportations invisibles, en particulier aux frêts. Pour eux, l’excédent de la balance mesure et constitue le gain du commerce extérieur. Les auteurs sont nombreux ; le plus souvent ce ne sont pas comme Bodin et Montchrétien des intellectuels et des humanistes, mais des hommes de la pratique, marchands ou hommes d’Etat. Les plus célèbres sont Thomas Mun (1571-‐1641), Josias Child (1639-‐1690), William Temple (1628-‐1698), (…) et William Petty (1623-‐1687) (…). En Angleterre – nations de boutiquiers, comme on dira plus tard – les auteurs mercantilistes s’adressent aux marchands et non plus au Roi comme Monchrétien : c’est de la soif individuelle du profit et de l’âpre ingéniosité des marchands qu’ils attendent l’enrichissement national, plutôt que de l’impulsion gouvernementale. Ce n’est point qu’ils ne prônent l’intervention de l’Etat. Pour augmenter la quantité de travail, il faudra diminuer le nombre de jours chômés, aménager l’assistance publique de manière à favoriser la natalité, imposer au plus grand nombre le travail et la vie frugale. L’Etat pratiquera la tolérance religieuse pour attirer les immigrés étrangers, il facilitera les naturalisations. (…) Les mercantilistes anglais attendent encore de l’Etat qu’il favorise le défrichement des terres incultes, afin de limiter les importations de grains ; qu’ils acquièrent des colonies, afin que la nation en puisse tirer des matières premières, y puisse écouler ses fabricats. Surtout, l’Etat pratiquera une politique douanière orientée vers l’obtention d’un excédent de la balance du commerce. Car, pour les mercantilistes anglais, tout se ramène à cette fameuse comparaison des deux postes de la balance. L’une des conditions essentielles à la conquête des débouchés extérieurs, c’est le bas niveau des salaires. Le mercantilisme allemand : le caméralisme – La forme allemande du mercantilisme, c’est le caméralisme. On le rapprocherait plus facilement du colbertisme que des doctrines mercantilistes anglaises. Toutefois le caméralisme n’est pas une politique, (…) c’est (...) un enseignement sur les choses de l’Etat, institué par l’Etat. . Le mot Kamera désignait alors le lieu où l’on rangeait le trésor public. Les caméralistes enseignaient les règles d’une bonne gestion des finances du Prince. (…) Le caméralisme est populationniste, industrialiste, protectionniste, interventionniste : parce que l’Allemagne est sous-‐peuplée, dépeuplée par les guerres ; parce que l’Allemagne a sur l’Occident, du point de vue industriel, un retard considérable, et ne peut songer à se créer une industrie, qu’elle n’en protège les premiers pas contre la concurrence des pays plus avancés ; parce que, tandis que la France, de Louis XVI à la Fête de la fédération1, est en train de se faire, le sens de l’Etat n’est pas encore né en Allemagne. Il s’agit pour les caméralistes d’en sortir, et d’en sortir méthodiquement. El le caméralisme prône à peu près les mêmes
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mesures que Montchrétien, que Colbert. Mais le caméralisme est allemand. Le caméralisme est (…) communautaire. Il est beaucoup moins hostile aux corporations que le mercantilisme. Il ne compte point tant sur les initiatives d’individus courant à la recherche du profit, même stimulées et disciplinées par le gouvernement, que sur la convergence organique d’efforts conçus en vue de l’intérêt général, sur le développement du sens national, sur un labeur commun concerté et méthodiquement organisé. 1 Fête qui fut célébrée le 14 juillet 1790 premier anniversaire de la prise de la Bastille. Dans un climat d'union nationale, on y vit une grande foule réunie autour du roi et des députés. Louis XVI assista à cette fête, et y prêta serment à la Nation et à la loi.
Daniel Villey, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Editions M.-‐Th. Génin, 4ème édition, 1958
Schéma de synthèse : le mercantilisme et ses différentes interprétations nationales
La pensée mercantiliste repose sur 3 grands
principes
CHRYSEDONISME
LA RECHERCHE D’EXCEDENTS COMMERCIAUX
REGULATION DE L’INDUSTRIE ET DU
COMMERCE EXTERIEUR
Des systèmes mercantiles nationaux qui diffèrent
Retenir l’or BULLIONISME ESPAGNOL
Attirer l’or
MERCANTILISME ETATISTE ET INDUSTRIALISTE FRANCAIS
MERCANTILISME COMMERCIAL ANGLAIS
CAMERALISME ALLEMAND
Le mercantilisme ou l’économie comme art au service du Prince et de son enrichissement
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1.2 L’école physiocrate (1756-‐1777) : une critique radicale du mercantilisme
Document 5 : le contexte historique et politique de l’émergence de l’école physiocratique Nul ne conteste guère que ce soit cette poignée de penseurs français, précurseurs immédiats et contemporains de notre Grande Révolution, qui ait fondé la science économique (…). Les physiocrates forment une école et un parti. A la tête de l’école, son fondateur et chef incontesté : F.Quesnay, médecin de la Pompadour et de Louis XV. (…) Les œuvres importantes de l’école physiocrate s’échelonnent toute sur vingt années entre 1756 et 1777. (…) Comme le mercantilisme avec Colbert, la physiocratie a son grand ministre : Turgot. Comme Quesnay est le chef d’école, Turgot est le champion du parti physiocratique. (…) Les physiocrates s’imaginent découvrir les lois naturelles de la société, valables pour tous les temps et pour tous les pays. (…) Les physiocrates sont des adeptes de ce que l’on a appelé la « philosophie des Lumières ». Quesnay a collaboré à l’Encyclopédie de Diderot. Mais la philosophie française du 18ème siècle a plusieurs visages, et les physiocrates en présentent une face particulière, que l’on pourrait qualifier de réactionnaire. (…) En réaction contre le pragmatisme mercantiliste, les physiocrates affirment de grands principes : la Nature, le Droit, l’Ordre. (…) Les physiocrates croient en la Raison. Mais ils exaltent en l’homme le pouvoir de connaître, plutôt que celui d’agir. Découvrir la Loi naturelle pour la respecter et s’y soumettre, tel est leur idéal : non point exalter le pouvoir des hommes sur et contre la nature. Pour les physiocrates (…) la noblesse de l’homme est de pouvoir pénétrer des desseins qui le dépassent, et de concourir à leur réalisation par un comportement obéissant. (…) En 1763 se termine, par la défaite de la France et par la perte des ses colonies, une période de guerres longues et onéreuses. Le gouvernement se trouve en butte à de graves difficultés financières. La crise sociale et politique commence à apparaître, d’où sortira la Révolution. Le retour à la terre, que prêchent les physiocrates, est un réflexe classique des périodes de ce genre. Après tant d’efforts réduits à néant pour étendre au-‐dehors la puissance nationale, il ne reste plus qu’à se remettre à cultiver son champ. (…) Les prédications physiocratiques pour le retour à la terre traduisent l’angoisse de l’Ancien Régime chancelant sous les fastes frelatés de la cour de Louis XV.
D.Villey et C.Nême « Petite histoire des grandes doctrines économiques », Litec, 1992
Document 6 : Agriculture et laisser-‐faire La politique de Colbert et de ses successeurs avait été industrialiste, et interventionniste. L’industrie mercantiliste avait engendré le déclin de l’agriculture française, dont une série de mauvaises récoltes était venue aggraver les fâcheux effets, tandis que la population s’accroissait. Les physiocrates exalteront l’agriculture à l’encontre de l’industrie (…). D’autre part, l’interventionnisme colbertiste avait abouti à un excès de réglementation qui étouffait les initiatives et paralysait la production comme le commerce. Ici encore les physiocrates vont prendre le contre-‐pied des mercantilistes. Ils seront libéraux, ils seront les premiers libéraux de l’histoire des doctrines économiques. Et ils appuieront leur libéralisme moins sur une analyse des mécanismes de marché de concurrence que sur une philosophie naturaliste et providentialiste, sur une doctrine de l’Ordre naturel. Le fondement de l’ordre économique naturel est l’harmonie des intérêts. Propriété individuelle, liberté des échanges, poursuite par chacun de son intérêt personnel, abstention de l’Etat en matière économique, tels en sont les éléments essentiels. Libre de produire comme il l’entend, de vendre à qui il veut au prix le plus élevé qu’il peut obtenir, l’agriculteur se décidera à faire à la terre les avances généreuses dont elle a besoin. Le produit net sera accru, et c’est sur le produit net de la terre que vit la classe stérile et que reposent les finances publiques. La liberté économique signifie donc le bonheur pour tous, et la prospérité du souverain.
D.Villey et C.Nême « Petite histoire des grandes doctrines économiques », Litec, 1992
Document 7 : Le tableau économique, la première représentation du circuit économique Le tableau économique de Quesnay (…) décrivait la circulation de la richesse entre les classes des agriculteurs, de celles des propriétaires fonciers et de celles de la classe urbaine. C’est de l’activité de la classe productive (les agriculteurs exploitants) que vivent les deux autres. Non seulement, cette classe pourvoit à son propre entretien, mais elle fait encore des « avances » à la terre, et verse au propriétaire du sol un fermage qui représente le produit net. Les physiocrates insistent beaucoup sur les avances que les agriculteurs font à la terre : « avances primitives » (dépenses d’entretien, achat du bétail et du matériel d’exploitation) et « avances annuelles » (semences, engrais). (…) La classe que les physiocrates appellent stérile comprend les artisans, les commerçants, les fonctionnaires et les gens de professions
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libérales. Ils ne sont pas inutiles, mais ils ne produisent pas plus de valeur qu’ils n’en dépensent. (…) Reste enfin la classe des propriétaires fonciers que les physiocrates mettent sur le piédestal. (…) C’est le propriétaire, à l’origine, qui a consenti à la terre les « avances foncières », et pris l’initiative et supporté la charge du défrichement du sol et de son aménagement pour la culture. Or la terre, c’est la nature, et la nature, c’est Dieu. Et le propriétaire est le symbole même de l’harmonie providentielle des intérêts. Tandis qu’il poursuit le sien propre – qui est d’accroître le produit net – il assure du même coût la prospérité de toutes les classes de la société. (…) Donc le produit net de l’agriculture est la seule source des avances foncières et des revenus du souverain. Il faut accroître le produit net. Comment cela ? (…) La solution c’est la liberté du commerce des grains à l’intérieur et à l’extérieur. Ils attendent d’abord l’unification et la stabilisation du prix du blé. Mais aussi son élévation. La liberté du commerce permettra l’avènement de ce qu’ils appellent le « bon prix » : le prix rémunérateur, qui permet au propriétaire de demander des fermages élevés. (…) Le résultat des politiques mercantilistes (interdiction d’exporter du blé, politique de bas salaires pour limiter les coûts de production des biens exportés) est qu’à l’époque le prix du blé en France était inférieur aux prix pratiqués dans presque tout le reste de l’Europe. Rendre la liberté au commerce des grains, cela signifie donc essentiellement, en ce temps là, rétablir les exportations des céréales, et par conséquent permettre aux prix français du blé de rejoindre les prix européens.
D.Villey et C.Nême « Petite histoire des grandes doctrines économiques », Litec, 1992
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2. L’école classique (1776-1871) : l’économie s’impose comme une nouvelle science
Document 8 : Adam Smith (1723-‐1790) « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. (…) En cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin
qui n’entre nullement dans ses intentions »
2.1 Les classiques optimistes
Document 9 : Utilitarisme et main invisible Afin de comprendre la différence entre les physiocrates et les classiques on peut s’appuyer sur Smith (le père fondateur de l’école classique) et la théorie de la main invisible. Smith reprend la maxime de de Gournay, la plonge dans la philosophie utilitariste et en sort la main invisible, c’est-‐à-‐dire une représentation de l’ordre social délestée du rôle de la religion et de la Providence. La main de Dieu devient la main invisible. L’harmonie des comportements humains n’est plus liée à un ordre naturel et divin, à la Providence, mais elle est le résultat inattendu, parce que non recherché, des comportements individuels libres et autonomes, individus à la recherche de leurs intérêts individuels. Peut-‐on faire confiance à des individus « égoïstes » ? Est-‐ce là un fondement stable pour le fonctionnement de la société ? La philosophie utilitariste fournie la réponse suivante : « les vices privés font la vertu publique », dit autrement la somme des intérêts particuliers est égale à l’intérêt général. Comment cela est-‐il possible ? Par l’action d’une main invisible qui remplace la main de Dieu (la Providence). Alors que chez les physiocrates la richesse vient de l’exploitation de la terre, chez les classiques (A. Smith) c’est la division du travail qui pousse les individus à échanger, et l’échange a une vertu : il permet une coordination spontanée d’individus à la recherche de leurs intérêts particuliers. L’intérêt général, ce n’est que la somme des intérêts particuliers (alors que chez les physiocrates il vient de la Providence et de l’Ordre naturel, tandis que chez les mercantilistes il est associé au Souverain). Le fait qu’il existe une main invisible signifie donc que le marché est créateur de lien social. Au moment de la réflexion de Smith, nous sommes dans un contexte de basculement des sociétés dans la modernité, la question qui se pose est : peut-‐on vivre ensemble en étant libres et autonomes ? Faut-‐il un souverain (ou un Etat) fort pour encadrer les désirs individuels ? La réponse du libéralisme politique consiste à mettre en place un Etat de droit ; la réponse du libéralisme économique consiste à laisser faire les individus (échanges libres, rôle du marché, importance de la concurrence pour empêcher l’existence de pouvoirs de marché). Le libéralisme s’oppose donc à l’idée selon laquelle il est nécessaire d’avoir un Etat fort (le Leviathan de Hobbes) pour faire « tenir » la société.
D’après Daniel Villey, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Editions Génin, 1958
Document 10 : A. Smith et la richesse des nations La plus grande œuvre de l’histoire des doctrines économiques s’ouvre sur un développement d’une simple éloquence à jamais célèbre, appuyé sur un épisode vécu, minuscule et fortuit. Smith a visité une manufacture où l’on fabriquait des épingles. Dans la production ce petit objet en apparence si simple, il a admiré la complexité de la spécialisation des tâches. Et le premier livre chante la division du travail. (…) D’autre part, Smith célèbre les bienfaits non seulement de la spécialisation technique des tâches, mais surtout de la division économique des entreprises qu’il explique par une propension naturelle à l’échange, caractéristique selon lui de l’espèce humaine. Avec l’école classique, la science économique deviendra la science des échanges, ou comme on dit parfois « catallactique ». (…) Les richesses, pour lui, cela ne veut pas dire de l’argent, mais des biens. (…) Le libéralisme de Smith n’a rien de systématique. Smith pose en principe que l’Etat doit intervenir, et suppléer à la carence des individus, chaque fois que l’intérêt personnel se révèle insuffisamment fort pour promouvoir des initiatives utiles à la collectivité.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
Document 11 : J.-‐B. Say (1767-‐1832) et la loi des débouchés Pour J.-‐B. Say dans Le Traité d’économie politique (1803), « l’économie enseigne comment se forment, se distribuent et se consomment les richesses qui satisfont aux besoins des sociétés ». En d’autres termes, l’économie étudie la production, la consommation et la répartition des richesses. Il existe un agent économique qui permet d’augmenter la taille des marchés, c’est l’entrepreneur-‐producteur. Il augmente l’offre et permet plus de croissance. La Loi de Say énonce l’idée selon laquelle, toute offre créée sa propre demande. La production nécessite des facteurs de production qui sont rémunérés parce que la
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production est vendue, or pour vendre la production, il faut que ces revenus tirés de la production soient consommés et (épargnés puis) investis. Dans le cadre de cette analyse, Say prolonge l’idée smithienne de la main invisible : « le marché est l’institution la plus efficace pour chercher le bonheur de tous » et l’idée physiocrates de flux à travers un circuit. Ce qui découle de la loi de Say, c’est l’idée selon laquelle l’allocation par le marché ne peut jamais connaître de crise (il ne peut jamais y avoir ni trop d’offre, ni trop de demande – puisque l’une découle de l’autre).
2.2 Les classiques pessimistes
Document 12 : Malthus (1766-‐1834) et la loi de la population Depuis A.Smith, l’industrie s’est développée en Angleterre. Le prolétariat a grandi. Il est misérable, et sa misère est aggravée par la série des mauvaises récoltes qui se succèdent de 1794 à 1800. En 1795, le ministre Pitt projette de donner une extension nouvelle à la législation élisabéthaine des pauvres. Le cadre de toutes les institutions d’assistance, en Angleterre à cette époque, c’est la paroisse. (…) La controverse s’engage alors à propos des Poor Laws*. (…) Le schéma de la perspective malthusienne est célèbre. L’instinct qui pousse les hommes à se reproduire est impérieux. Si le rythme de la reproduction reste constant, la population tend à s’accroître selon une progression géométrique. Or, les subsistances ne sauraient croître aussi rapidement, (…) au mieux selon une progression arithmétique. Il y a donc une tendance constante de la population à devancer les progrès des subsistances. Malthus écrit : « un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille ne peut le nourrir, ou si la société ne peut utiliser son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture ; il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert mis pour lui. La nature lui demande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-‐même cet ordre à exécution ». (…) C’est Malthus qui le premier a montré dans l’activité économique une lutte entre les hommes avides et la nature avare où les théoriciens les plus modernes voient encore le principe spécifique de notre discipline. C’est par lui que l’économie classique a été fondée sur la rareté. Les bases essentielles du système ricardien (loi de la population, loi des rendements décroissants, théorie de la rente) viennent de Malthus. Et c’est Malthus qui a conçu l’idée et fourni le principe d’une dynamique économique linéaire, d’une théorie générale de l’évolution économique.
D.Villey et C.Nême « Petite histoire des grandes doctrines économiques », Litec, 1992 *Les lois sur les pauvres, ou Poor Laws, obligent les paroisses à aider les plus pauvres. Le débat qui apparaît est alors de savoir si ces aides sont désincitatives et freinent l’offre de travail alors que le capitalisme et l’industrie se développent. Ces lois sont abrogées en 1834.
Document 13 : Ricardo (1772-‐1823) et l’état stationnaire Intégrer dans la théorie générale héritée de Smith les lois dynamiques découvertes par Malthus pour édifier un système complet et cohérent : telle est l’ambition (…) de David Ricardo. Ses Principes de l’économie politique et de l’impôt paraîtront en 1817. (…) Nous distinguerons dans la doctrine des « Principles » deux parties. D’abord une analyse de l’économie interne, qui est essentiellement une théorie dynamique de la répartition, inspirée surtout de Malthus et pénétrée de pessimisme. Ensuite, une doctrine du commerce extérieur, radicalement libre échangiste, qui repose sur une théorie statique des échanges internationaux, que Smith inspire et qui respire l’optimisme. La théorie ricardienne de l’économie interne est presque exclusivement une théorie de la répartition des revenus. (…) Si Ricardo se préoccupe presque exclusivement de la répartition des richesses, c’est surtout pour en supputer l’avenir. Pour Ricardo, la valeur d’une marchandise a pour mesure aussi bien que pour cause le travail qu’elle a coûté à produire et qui se trouve incorporé en elle. (…) Ricardo distingue trois sortes de revenus : la rente foncière, le salaire et le profit. Trois classes d’agents économiques leur correspondent : celle des propriétaires, celle des ouvriers, celle des capitalistes. Le salaire a pour norme le minimum nécessaire à la subsistance ouvrière. C’est la (…) loi des salaires que plus tard le socialiste allemand Lassalle baptisera la « loi d’airain des salaires ». (…) Il est certain, d’abord, que le salaire ne saurait rester longtemps inférieur au minimum nécessaire à la subsistance ouvrière : car cette situation provoquerait une certaine mortalité ouvrière ; l’offre de travail en serait réduite et le salaire tendrait à remonter. (…) Mais pourquoi le salaire ne pourrait-‐il demeurer au dessus du minimum nécessaire à la subsistance ouvrière ? Serait-‐ce qu’une augmentation de l’offre de travail s’ensuivrait nécessairement, provoquant une baisse des salaires ? Oui pour Ricardo, parce que Ricardo accepte la doctrine de Malthus ; parce qu’il croit à la
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nécessaire pression de la population sur les subsistances. La loi ricardienne des salaires repose sur le principe malthusien de la population. (…) Le profit est le revenu du capitaliste. Le profit est égal à la différence entre le coût et le prix. (…) Pour qu’il y ait profit, il faut donc qu’il y ait un excédent du prix sur le coût. (…) Pour expliquer ce revenu sans travail qu’est le profit, il faut recourir à la valeur-‐travail. Une table qu’il a fallu une journée de travail pour construire vaut, en travail, une journée. Mais le salaire d’une journée de travail ne vaut pas une journée de travail. Il vaut le nombre d’heures de travail nécessaire pour produire la subsistance d’un ouvrier pendant une journée. Entre ces deux quantités de travail totalement indépendantes l’une de l’autre, il y a la place pour une différence : le profit du capitaliste. (…) La rente de chaque terre cultivée correspond exactement à l’économie de travail qu’entraîne l’excédent de sa fertilité sur celle de la terre moins fertile effectivement mise en culture. Ainsi, le revenu foncier, pour Ricardo, est un revenu différentiel. (…) La rente témoigne de la rareté des terres fertiles. (…) La population augmente : il en résulte que de nouvelles terres – moins fertiles – devront être emblavées. La valeur du blé s’élèvera (…) et toutes les terres verront leur rente s’accroître. (…) Le prix du blé s’élevant, les salaires, dont la norme est une quantité fixe d’aliments devront s’élever eux aussi. Ils s’élèveront en valeur nominale, sans que la condition ouvrière soit améliorée. Ce qui baisse se sont les profits. Le capitaliste paie plus cher son propriétaire, il paie plus cher le blé qu’il consomme, il paie plus cher ses ouvriers, tandis que la valeur de ses produits n’a pas de raison de changer. (…) Le profit est progressivement comprimé dans un étau qui se resserre sans cesse. Ricardo pose une loi tendancielle de la baisse continue des profits. (…) Quand la hausse des salaires aura absorbé une part telle des profits que ceux-‐ci seront désormais insuffisants pour stimuler l’esprit d’entreprise, l’évolution devra s’arrêter.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
Document 14 : Ricardo et le libre-‐échange Comme pour les physiocrates celui des propriétaires fonciers, l’intérêt des industriels s’identifie dans la pensée de Ricardo à celui de la Nation. Ce qui sauverait leurs profits, permettrait du même coup à la production nationale de continuer à se développer. (…) Faciliter l’importation des grains étrangers, c’est soustraire l’Angleterre à la nécessité d’emblaver des terres moins fertiles. C’est donc briser le cercle fatal qui entraîne les profits dans la baisse. Avec la théorie du commerce international, nous faisons la connaissance d’un Ricardo confiant, optimiste. (…) La doctrine ricardienne des échanges extérieurs est toute smithienne d’esprit, elle illustre le principe de l’harmonie naturelle des intérêts ; mais sa forme hypothétique, logique, rigoureuse, porte bien la marque de son auteur. Ricardo entreprend une apologie serrée du libre-‐échange. Lui objecte-‐t-‐on que l’Angleterre produit toutes choses à des coûts réels plus élevés que ses concurrents ? Ricardo répond par sa célèbre théorie des « coûts relatifs », et démontre que même un pays handicapé pour la fabrication de toutes les marchandises n’en a pas moins intérêt à se spécialiser dans les productions où il l’est le moins, à s’approvisionner à l’étranger des autres marchandises. Ainsi les intérêts de toutes les nations convergent : le commerce international est avantageux pour les unes comme pour les autres. Craint-‐on que le libre échange ne fasse sortir d’Angleterre l’or qui s’y trouve, jusqu’à l’épuisement (c’est le vieux cauchemar des mercantilistes) ? Ricardo répond par la théorie de l’équilibre automatique de la balance des comptes. Un déficit permanent de la balance est inconcevable. Si l’Angleterre commence par importer plus de marchandises qu’elle n’en exporte, l’or sortira d’Angleterre, et affluera chez ses fournisseurs. Mais il en résultera, en vertu de la théorie quantitative de la monnaie, une baisse des prix et des salaires anglais, une hausse des prix et des salaires dans les nations voisines. Par là les exportations anglaises seront encouragées, les importations découragées. L’équilibre tendra à se rétablir lui même. Telles sont les deux grandes lois sur lesquelles Ricardo fonde sa revendication de l’abolition des droits de douane. (…) Les lois du commerce international ne sont point seulement une théorie : mais une arme, que Ricardo brandit au Parlement, et qu’après lui ses disciples manieront contre le protectionnisme ; elle emportera la victoire en 1846, et fera de l’Angleterre la patrie du libre-‐échange.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
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2.3 Les théories de la valeur chez les classiques
Document 15 : La théorie de la valeur chez Smith Pour déterminer comment se fixe la valeur d’une marchandise, Smith montre qu’il est nécessaire de distinguer la valeur d’usage et la valeur d’échange. La valeur d’usage est liée à la satisfaction que la marchandise procure au consommateur. Elle est donc subjective, spécifique à chaque bien. Il montre que la valeur d’usage ne peut servir de fondement robuste à la théorie de la valeur. Il s’appuie pour cela sur le paradoxe de l’eau et des diamants : la valeur d’usage de l’eau est importante mais comme elle demande très peu de travail pour être obtenue, sa valeur d’échange est nulle alors que c’est l’inverse pour le diamant. La valeur d’échange, pour sa part, détermine les conditions dans lesquelles une certaine quantité d’une marchandise peut être échangée contre une quantité déterminée d’une autre marchandise ; c’est une conception objectivée de la valeur. Plus précisément, pour Smith, la valeur d’échange est un pouvoir d’acquisition d’autres marchandises : elle détermine ainsi le prix relatif entre deux marchandises. Smith considère que le fondement économique de la valeur d’échange est la quantité de « travail commandé » nécessaire à la production de la marchandise. Smith place ainsi l’échange au centre de son raisonnement : la valeur d’une marchandise dépend d’une capacité d’achat. Ainsi, « la richesse est un droit de commandement sur le travail d’autrui ou sur le produit de son travail » (Smith).
A. Beitone et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, collection U, Armand Colin, 2013
Document 16 : La théorie de la valeur chez Ricardo Ricardo complète la théorie de la valeur travail. L’évaluation du prix d’un bien est bien déterminé par le travail nécessaire pour le fabriquer. Mais il y ajoute également le travail incorporé qui est nécessaire à la fabrication des biens de production.
I. Waquet et alii, ESH, collection J’intègre, Dunod, 2013
Document 16 : La théorie de la valeur chez Say Pour J.-‐B. Say, le principe de la valeur n’est point le travail mais l’utilité. Une perle trouvée par hasard sur la plage ne représente aucun travail. Elle a de la valeur parce qu’elle est utile : c’est-‐à-‐dire parce qu’elle répond à un désir des hommes. (…) Mieux pourtant que la thèse anglaise de la valeur-‐travail, la doctrine de la valeur-‐utilité de Say désigne à la pensée économique les chemins de son avenir.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
2.4 Marx : le dernier classique ?
Document 17 : Karl Marx (1818-‐1883) « Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées et violentes des contradictions existantes, des
éruptions violentes qui rétablissent pour un moment l’équilibre »
Document 18 : Toutes les marchandises sont à la fois des valeurs d’usage et des valeurs d’échange La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une ‘‘immense accumulation de marchandises’’. L'analyse de la marchandise, forme élémentaire de cette richesse, sera par conséquent le point de départ de nos recherches. « La marchandise est d'abord un objet extérieur, une chose qui par ses propriétés satisfait des besoins humains de n'importe quelle espèce. […] L'utilité d'une chose fait de cette chose une valeur d'usage. Mais cette utilité n'a rien de vague et d'indécis. Déterminée par les propriétés du corps de la marchandise, elle n'existe point sans lui. Ce corps lui-‐même, par exemple le fer, le froment, le diamant, etc., est conséquemment une valeur d'usage […]. Les valeurs d'usage ne se réalisent que dans l'usage ou la consommation. Elles forment la matière de la richesse, quelle que soit la forme sociale de cette richesse. Dans la société que nous avons à examiner, les valeurs d’usage sont en même temps les soutiens matériels de la valeur d'échange, [la forme sociale de la richesse]. La valeur d'échange apparaît d'abord comme le rapport quantitatif, comme la proportion dans laquelle des valeurs d'usage d'espèce différente s'échangent l'une contre l’autre. [… Qu’est-‐ce qui est aux communs aux marchandises et rend possible leur échange malgré des valeurs d’usage différentes ? ] La valeur d'usage des marchandises une fois mise de côté, il ne leur reste plus qu'une qualité, celle d'être des produits du travail. […] Nous connaissons
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maintenant la substance de la valeur. C’est le travail. Nous connaissons la mesure de sa grandeur. C’est le temps de travail ».
Karl Marx, Le Capital. Tome I, Première section, Chapitre Premier, §1, 1867
Document 19 : La valeur travail chez Marx Comme Ricardo, Marx considère que la valeur d’un objet est proportionnelle à la quantité de travail qu’il incorpore. Une marchandise est donc une valeur travail. Mais Marx est bien conscient qu’on pourrait lui objecter que, le travail d’un manœuvre n’est pas comparable avec celui d’un ouvrier très qualifié ou d’un ingénieur, il est impossible de quantifier le travail contenu dans une marchandise. Autrement dit, le travail n’étant pas homogène, il ne pourrait pas constituer un étalon. Pour lever cette difficulté due aux différences qualitatives du travail et pour qu’il soit un bon instrument de mesure de la valeur, Marx précise que la valeur d’une marchandise doit être mesurée par le « temps de travail socialement nécessaire ». C’est la durée de travail que la production nécessite en moyenne compte tenu des conditions d’habileté et du niveau de développement de la société. Donc, le travail qui permet de mesurer la valeur est un « travail abstrait » différent du « travail concret » qui a effectivement servi à produire le bien considéré. Pour parfaire son analyse de la valeur travail, Marx distingue aussi le « travail direct » et le « travail indirect » ou « travail mort ». Le premier est celui du ou des ouvriers qui ont participé à la fabrication de la marchandise. Le second est celui qui est incorporé dans tous les équipements, les machines, les articles consommés dans l’acte de production de la marchandise. Le travail humain n’est pas, en effet, le seul facteur de production. Elle exige aussi du capital et des consommations intermédiaires. Or, ces moyens de production sont eux-‐mêmes le résultat d’un travail qui a été réalisé au cours des phases antérieures à la production de la marchandise. La valeur d’un objet se compose donc du travail direct que sa production a nécessité et du travail indirect qu’a nécessité la fabrication des machines, outils et fournitures utilisées au cours de sa production.
Gilles Jacoud, Ertic Tournier, Les grands auteurs de l’économie, Collection initial, Hatier, 1998
Document 20 : Les spécificités de la marchandise « force de travail » Le travail est donc à la fois le fondement et la mesure de la valeur. Mais là ne réside pas l’originalité de l’apport de Marx car, sur ce point, il ne fait qu’approfondir la théorie ricardienne. Sa principale innovation réside dans l’application de la loi de la valeur à une marchandise particulière, la force de travail. Cette expression désigne « l’ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d’un homme, dans sa personnalité vivante, et qu’il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles » (Marx, Le Capital, Livre 1). La force de travail, comme toute marchandise, est une valeur d’usage car, quand elle est mise à la disposition d’un capitaliste, elle a une utilité, elle permet de créer des produits et de la valeur. Elle est aussi une valeur d’échange qui s’exprime par le salaire. Marx assimile ainsi le salariat à un achat par le capitaliste, non du travail du salarié, mais de sa force de travail ou de sa capacité à travailler. En effet, dans le système du salariat, les travailleurs sont contraints de vendre à des employeurs leur force de travail pour, en échange, percevoir un salaire et survivre. Comment est fixé le niveau du salaire dans une économie ? Rappelons que le salaire est pour Marx le prix de la force de travail et que celle-‐ci est une marchandise. Donc, comme toute marchandise, la force de travail est payée à sa valeur d’échange. Autrement dit la valeur de la force de travail est la quantité de travail socialement nécessaire pour produire cette force de travail, c’est-‐à-‐dire pour produire les biens et services dont l’ouvrier a besoin pour vivre et faire vivre sa famille. Le salaire doit en effet permettre l’entretien et le remplacement de la force de travail, c’est-‐à-‐dire qu’il doit être suffisant pour faire vivre le travailleur, sa famille et ses enfants.
Gilles Jacoud, Ertic Tournier, Les grands auteurs de l’économie, Collection initial, Hatier, 1998
Document 21 : Sur-‐travail et plus-‐value Le capitaliste veut à l’issue du processus de production posséder une valeur d’échange supérieure aux dépenses qu’il a du engager pour produire. (…) Comment, dans la production, la valeur peut-‐elle augmenter ? Lisons Marx : « Pour pouvoir tirer une valeur échangeable nouvelle de la valeur usuelle d’une marchandise, il faudrait que l’homme aux écus eut l’heureuse chance de découvrir au milieu de la circulation, sur le marché même, une marchandise dont la valeur d’usage possédât la vertu particulière d’être une source de valeur échangeable, de sorte que la consommer serait réaliser un travail et par conséquent créer de la valeur. Et notre homme trouve effectivement sur le marché une marchandise douée de cette vertu spécifique ; elle s’appelle puissance de travail ou force de travail. »
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Marx explique ici qu’au cours du processus de production, l’ouvrier vend sa force de travail et perçoit un salaire. Il travaille et crée des marchandises dont la valeur est supérieure à celle de sa rémunération. Supposons, par exemple, que la production des moyens de subsistance journaliers nécessite 6 heures de travail. Le salarié doit alors travailler 6 heures par jour pour reproduire la valeur qu’il obtient en percevant son salaire. Or, son temps e travail effectif est supérieur à ce temps nécessaire pour produire une valeur égale à ce qu’il reçoit en salaire. Marx dit que la durée de travail effective est supérieure au temps de travail nécessaire pour produire une valeur égale à ce qu’il reçoit en salaire. Supposons donc que la durée journalière du travail soit de 10 heures, les 4 heures qui excèdent les 6 premières heures sont un surtravail pendant lequel l’ouvrier produit de la valeur qu’il ne percevra pas en salaire et qui sera la propriété du capitaliste. Le capitaliste utilise donc la force de travail qu’il achète à sa valeur et à qui il fait faire un surtravail au delà du temps de travail nécessaire à la reproduction de celle-‐ci. A cette condition, le travail produit une plus value qui est appropriée par le capitaliste. Cette plus-‐value résulte donc, à la fois de l’achat de la force de travail et de la vente des marchandises à leurs valeurs travail respectives, et de l’excédent qui apparaît entre la valeur travail de la production réalisée et la valeur travail de la force de travail utilisée. Autrement dit le capitalisme permet une production de plus-‐value parce que la force de travail est une marchandise qui a la propriété de créer plus de valeur qu’elle n’en coûte. C’est pourquoi si un capital initial est égal à A, il devient, par le travail salarié, égal à A’ = A + Δ A. L’emploi de la force de travail donne aux capitalistes, la possibilité de s’approprier une plus-‐value. Les salariés, eux, sont privés d’une partie des richesses qu’ils ont créées, ils sont spoliés et exploités. C’est pourquoi les intérêts de la bourgeoisie et du prolétariat sont contradictoires. Les profits des uns s’obtiennent par l’exploitation des autres. (…) L’usage de la force de travail est, pour Marx, l’unique source de la plus-‐value, même si la production exige, outre le travail humain, des machines, des outils ou des matières premières. Il considère que ces autres facteurs de production ne contribuent pas de la même façon à la création de valeur lors du processus de production. Pour lui, seul l’ouvrier crée plus de valeur qu’il n’en coûte. En revanche, la valeur des autres moyens de production est uniquement transmise au cours du processus de production aux marchandises nouvellement créées. (…) Si on utilise une livre de coton qui coûte un shilling, son utilisation ajoute au produit une valeur de 1 shilling. Cette valeur de 1 shilling est une simple reproduction, non une création. On peut appliquer le même raisonnement à une machine de 1000 livres qui s’userait en 1000 jours. Son emploi quotidien transmet une valeur d’une livre. Marx distingue ainsi le capital variable et le capital constant. Il appelle capital variable la partie du capital des entreprises qui sert à rémunérer la force de travail, qui sert au paiement des salariés. Cette partie du capital contribue en effet à faire varier, en l’occurrence à faire augmenter, la valeur totale. Il appelle capital constant la partie du capital des entreprises qui correspondent aux machines, aux consommations intermédiaires, car elle n’est que transmettrice et non pas créatrice de la valeur. (…) Marx peut alors exposer comment il est possible de mesurer la valeur d’un produit. La production exige une consommation de capital constant (c) et de capital variable (v). La valeur d’une marchandise est supérieure au capital engagé, le supplément de valeur étant la plus value. Donc la valeur d’un produit est égale à la somme du capital constant et du capital variable engagés et de la plus-‐value (pl) transmise par la force de travail.
Gilles Jacoud, Ertic Tournier, Les grands auteurs de l’économie, Collection initial, Hatier, 1998
Document 22
La réalisation de la valeur ou le circuit du capital
Capital sous forme argent : (A = c + v )
Capital variable
Capital constant
Marchandise produite (M)
Capital sous forme argent
(A’ = c + v + pl )
Accumulation
Production Vente
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Document 23 : Des lois du capitalisme à ses contradictions internes 1ère loi du capitalisme : l’accumulation du capital (« Accumulez, accumulez ! C’est la loi et les prophètes ») L’accumulation du capital est le processus qui permet d’augmenter le stock de capital initial par l’investissement, c’est-‐à-‐dire par l’utilisation productive d’une partie de la plus value réalisée. Plus le capitaliste transforme en capital une partie importante de sa plus-‐value, plus l’accumulation sera forte et plus il s’enrichira. Pour pouvoir accumuler du capital, il doit vendre ses marchandises et retransformer en capital une partie de l’argent ainsi obtenu. Par conséquent, il ne doit pas consommer pour ses propres besoins l’intégralité de sa plus-‐value. Il ne peut en faire qu’une consommation partielle pour procéder à un réinvestissement. Selon Marx, l’accumulation du capital se fait le plus souvent avec une diminution de la composition organique du capital. Par exemple, les entreprises se concentrent et se mécanisent. Elles substituent du capital constant au capital variable. Leur demande de travail baisse donc tandis qu’augmente le chômage. Il y a alors un excès de travailleurs par rapport aux besoins de l’économie. Marx qualifie cette surpopulation de relative. L’adjectif relatif s’oppose à celui d’absolu qu’utilisait Malthus pour caractérisait la surpopulation quand le nombre d’habitants d’un pays excède les moyens de subsistance disponibles. La surpopulation relative s’explique, elle, par l’accumulation importante du capital qui ne permet plus d’utiliser toute la population active. Elle contribue d’ailleurs à son tour à l’accumulation puisqu’elle a créé une « armée de réserve industrielle » qui fait baisser les salaires, qui donc fait augmenter la plus-‐value et ainsi les possibilités d’investissement. Mais pourquoi le capitaliste a-‐t-‐il toujours tendance à accumuler du capital ? Pour Marx, c’est la concurrence qui les contraint à rechercher en permanence à améliorer la productivité du travail. S’il ne modernise pas sans cesse ces installations, s’il n’investit pas, il sera vite dépassé par d’autres entreprises plus compétitives. L’accumulation est donc une loi du capitalisme. 2ème loi du capitalisme : la baisse tendancielle du taux de profit Le capitalisme connaît, comme les classiques l’avaient perçu, une tendance à la baisse du taux de profit. (…) La définition du taux de profit permet à Marx de définir son évolution tendancielle. Nous savons que du fait de la concurrence, le capitaliste doit recourir aux innovations techniques et les incorporer à son organisation, qu’il est conduit à accroître la part de son capital constant. Proportionnellement, il augmente ainsi plus vite que le capital variable. Or, seul le capital variable est créateur de valeur. Donc, l’accumulation du capital fait augmenter la masse totale du profit, mais fait diminuer le taux de profit. En effet, si v et si pl/v restent stables, l’augmentation de c conduit à une décroissance du rapport pl/ (c+v). Le taux de profit baisse donc au fur et à mesure de la modification de la composition organique du capital. Marx exprime ainsi sa loi : « La croissance progressive du capital constant, par rapport au capital variable, doit avoir nécessairement pour résultat une chute graduelle du taux de profit général, à supposer que les taux de plus value ou d’exploitation du travail par le capital restent constants. » C’est pour Marx une loi économique très importante puisqu’elle lui permet de montrer que le système capitaliste devient à terme un obstacle au développement économique. Il est condamné à s’autodétruire du fait même de ses propres lois de fonctionnement. Les contradictions internes du capitalisme Quand les capitalistes se heurtent à la baisse de leur taux de profit, ils essaient de trouver des solutions à ce problème. Ils peuvent d’abord allonger la journée de travail ou intensifier les rythmes de travail pour créer du surtravail. Cette solution est bien évidemment limitée (il n’est pas possible de faire travailler les individus 24 heures sur 24), elle peut seulement permettre de contenir provisoirement la baisse du taux de profit. La deuxième solution qui s’offre à eux consiste à augmenter leurs investissements pour tenter de contrecarrer la tendance à la baisse du taux de profit en faisant des gains d’efficacité. Or, seul le travail est productif et créateur de valeur, le capital constant ne faisant que transmettre sa propre valeur sans l’accroître. Donc, plus leur capital constant devient important, plus diminue en proportion la valeur créée par rapport au stock de capital engagé pour l’obtenir, autrement dit plus diminue le taux de profit. L’agrégation du comportement des capitalistes conduit ainsi à la baisse cumulative du taux de profit et, à terme, à l’impossibilité de la poursuite de la production capitaliste. Marx inverse ici l’hypothèse fondamentale de la main invisible de Smith, selon laquelle chacun travaillant dans son propre intérêt contribue à réaliser l’intérêt général. C’est une première contradiction interne du capitalisme. En outre, l’accumulation du capital conduit à une élimination des capitalistes les plus fragiles : les entreprises deviennent de moins en moins nombreuses et leurs dimensions de plus en plus étendues. Les
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classes moyennes (artisans notamment) tendent à disparaître et venir gonfler les rangs du prolétariat. C’est la troisième loi du capitalisme, la loi de la concentration. L’accumulation conduit également à la paupérisation du prolétariat, c’est-‐à-‐dire le processus par lequel les prolétaires deviennent plus pauvres. C’est la quatrième grande loi du capitalisme : la loi de la paupérisation. En accumulant du capital, les capitalistes substituent du capital au travail ce qui détruit des emplois et crée une surpopulation relative. A court terme, cette armée industrielle de réserve est favorable aux capitalistes car elle pèse sur le marché du travail, empêche les salaires de monter dans les phases de prospérité et les fait baisser en situation de crise. Mais à long terme, cette paupérisation, cette « accumulation de misère » parallèle à l’accumulation de capital entre en contradiction avec le fait que le capitalisme crée de plus en plus de richesses. L’économie capitaliste entre ainsi dans une crise de surproduction par laquelle une partie de la valeur créée dans la production ne peut plus se réaliser. En effet, si la production excède la demande, elle ne peut être écoulée qu’à des prix réduits, voire inférieurs aux coûts de production. Les marchandises sont alors vendues en dessous de leur valeur. La crise constitue un arrêt dans le processus de reproduction. C’est une deuxième contradiction interne du capitalisme. Mais la crise comporte aussi des mécanismes régulateurs. Nous avons vu qu’elle est due à une surproduction de capital constant. Or, elle aboutit à une destruction de capital constant puisque des machines deviennent inutilisées, suite par exemple aux faillites, et ne sont alors plus du capital. De même, la baisse des prix est une dépréciation de la valeur des marchandises et contribue à leur écoulement. Pour ces raisons, la crise est un élément temporaire, momentané de régulation de l’économie. Toutefois, de crises en crises, le système s’affaiblira progressivement et générera des tensions sociales de plus en plus violentes entre le prolétariat paupérisé et la bourgeoisie enrichie. A terme donc, quand les contradictions internes du capitalisme seront devenues très importantes, la classe ouvrière renversera le système et ainsi abolira l’exploitation qui est la sienne. Après la bourgeoisie qui a joué un rôle révolutionnaire en constituant le mode de production capitaliste, le prolétariat deviendra une classe révolutionnaire. Par conséquent, Marx décrit deux moyens d’autodestruction du capitalisme, un vecteur économique par la baisse du taux de profit et un vecteur sociologique par la révolte inévitable du prolétariat qui renversera la bourgeoisie et s’appropriera les moyens de production.
D’après Gilles Jacoud et Eric Tournier, Les grands auteurs de l’économie, collection Initial, Hatier, 1998
Document 24 : La dynamique du capitalisme chez Ricardo et chez Marx L’hypothèse fondamentale de la dynamique ricardienne était l’accroissement continu de la population, la mise en culture des terres de moins en moins fertiles, la hausse du prix du blé. Toute la dynamique de Marx repose sur le progrès continu de la technique productive et l’accumulation indéfinie du capital. Le résultat de l’un et l’autre est un processus général de concentration : les entreprises deviennent de moins en moins nombreuses, et leurs dimensions de plus en plus étendues. Il y a de moins en moins de capitalistes, qui sont de plus en plus riches ; et de plus en plus de prolétaires de plus en plus pauvres, et qui sont de plus en plus exploités. Car d’une part, les capitalistes, pour accroître la plus value augmentent sans cesse la longueur de la journée de travail ; tandis que d’autre part, l’accumulation du capital et les progrès techniques diminuent la valeur en travail de la subsistance ouvrière, et donc le taux de salaire. La structure de la société devient de plus en plus dichotomique. Les classes moyennes (artisans) tendent à disparaître, et viennent grossir les rangs du prolétariat. Des masses de chômeurs, ou comme dit Marx des « armées industrielle de réserve » que le progrès du machinisme et les crises de surproduction alimentent sans cesse, exercent sur le marché du travail une pression constante qui tend à avilir les salaires. Le taux du profit baisse aussi bien pour Marx que pour Ricardo. Mais non plus du tout pour la même raison. Selon Ricardo, les profits diminuent du fait de la hausse de la rente, du prix du blé et des salaires. Pour Marx, ils baissent en dépit de l’élévation constante du taux de la plus value, parce que la composition du capital se modifie. Dans le capital total la part du capital constant (improductif) s’accroît relativement. Bien que la masse des revenus capitalistes s’élève continuellement, le taux de profits s’abaisse.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
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3. La révolution marginaliste et ses prolongements : le développement de la microéconomie
3.1 Le marginalisme
Document 25 : La révolution marginaliste L’économie théorique a été renouvelée par la découverte en 1871 de la notion d’utilité marginale. Cette découverte – chose curieuse – trois auteurs l’on faite à peu près simultanément, en trois pays différents, et tout à fait indépendamment les uns des autres : l’Anglais Stanley Jevons, le Français Léon Walras (qui enseignait à Lausanne) ; et le professeur viennois Karl Menger. Un individu qui consomme plusieurs doses successives d’un même bien économique trouve à la consommation de chacune d’elles une satisfaction décroissante ; or, c’est la satisfaction que procure la dernière dose consommée – la moins utile – qui détermine la valeur du bien. Tel est le principe qui domine toute la théorie économique moderne. Il renouvelle toutes les perspectives de la pensée économique. Les controverses désormais n’ont plus de raison d’être, qui opposaient jusqu’alors les partisans de la valeur utilité (comme Jean-‐Baptiste Say), les partisans de la valeur travail (Ricardo) et les partisans de la valeur rareté (Auguste Walras). Il n’y a plus à choisir entre ces différents fondements de la mesure de la valeur, puisqu’un seul concept les inclut tous les trois. L’utilité marginale, c’est en effet une mesure psychologique de la valeur ; mais qui dépend de la quantité de produits consommés ; laquelle dépend elle-‐même de leur coût (dont le travail). A partir de la découverte marginaliste, on peut considérer comme résolu le problème de la valeur. Et la théorie économique est dotée d’un instrument nouveau, aux destinées incalculables : l’analyse à la marge.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
Document 26 : L’analyse marginaliste Le point de départ des travaux marginalistes est l’étude du comportement du consommateur. Ils considèrent que le consommateur a des préférences (des goûts) ; qu’en fonction de ses préférences, il cherche à obtenir la satisfaction la plus grande possible compte tenu de ses contraintes (contrainte monétaire, temps, etc.) ; qu’il est capable de réaliser un calcul coût-‐avantage qui lui apporte la satisfaction la plus grande possible. Ce calcul « des plaisirs et des peines » nécessite l’utilisation deux hypothèses : d’une part, l’utilité retirée de la consommation d’un bien est décroissante avec la quantité consommée (loi de Gossen), et, d’autre part, le consommateur est rationnel. Si l’utilité est décroissante, cela signifie que plus l’individu consomme une quantité importante d’un bien, plus la satisfaction retirée par la dernière unité consommée baisse. Dit autrement, la valeur que le consommateur accorde à ce bien baisse et il sera prêt à payer un prix de moins en moins élevé pour en consommer davantage. En fonction des préférences du consommateur et des contraintes de budget (revenu et prix) il est donc possible de construire un modèle qui rende compte de son comportement. La construction de ce modèle s’appuie également sur l’hypothèse de rationalité. Cette rationalité est à la fois une rationalité cognitive : le consommateur sait exactement à l’avance les conséquences de tous ses choix possibles en termes de satisfaction, et une rationalité instrumentale : le consommateur utilise au mieux ses moyens. En combinant ces deux rationalités, l’agent économique fait les meilleurs choix possibles, c’est-‐à-‐dire ceux qui permet d’éviter tout gaspillage compte tenu 1) de l’objectif recherché ; 2) des ressources (contraintes) à sa disposition. Les marginalistes se servent de la figure de, ce que l’économiste néoclassique Pareto va appeler plus tard « l’homo oeconomicus ». L’homo oeconomicus est celui qui grâce à un calcul rationnel sait le mieux utiliser ses moyens pour atteindre ses fins. On remarque que dans cette démarche les économistes ne cherchent pas à rendre compte des goûts (des préférences) qu’ils considèrent comme donnés et exogènes au modèle (et éventuellement dont l’étude relève d’autres sciences sociales) mais à rendre compte du processus de décision. La question sur laquelle ils se penchent n’est pas « pourquoi mangent-‐ils des pommes ? » mais « comment prennent-‐ils la décision d’en manger plus ou moins (compte tenu du prix des pommes et de l’existence d’autres biens substituables comme les poires) ? ». Comme nous l’avons déjà souligné, pour rendre compte du comportement des agents économiques, les marginalistes utilisent des modèles mathématiques simplifiés qui expriment les préférences des individus et intègrent la contrainte budgétaire (revenu et prix des biens), à partir desquels ils mettent en place des calculs d’optimisation (maximisation de la satisfaction compte tenu de la contrainte budgétaire ou bien minimisation de la dépense compte tenu d’une contrainte de satisfaction attendue). Les marginalistes s’intéressent alors aux modifications de comportements qui proviennent de variations d’un des éléments de la contrainte budgétaire : le prix d’un des biens ou le revenu.
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Ces premiers modèles économiques sont des modèles microéconomiques. Ils ont pour objectif de rendre compte des décisions individuelles des entités économiques. Pour Stanley Jevons : « l’économique, à parler scientifiquement, est une science très restreinte. C’est une sorte de mathématique, qui calcule l’effet et la cause de l’industrie humaine et indique comment elle peut être mieux appliquée ». Ce que l’économie néoclassique Lionel Robbins reformulera plus tard sous la forme suivante (1947) : « l’économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relations entre des fins et des moyens rares à usages alternatifs ». Dès lors, l’économie (comme science) se définie moins par son objet d’étude (la production, consommation et répartition des richesses) que par la manière dont elle étudie les activités humaines (est « économique » toute activité qui peut être étudié à partir du postulat des décisions rationnelles optimisatrices dans l’utilisation de ressources rares à usage alternatif).
3.2 L’école néoclassique
3.2.1 Equilibre partiel et équilibre général en CPP
Document 27 : Equilibre partiel et équilibre général L’objectif de Walras est de déterminer le système de prix relatifs et de quantités échangées des biens lorsqu’une économie de concurrence pure et parfaite est à l’équilibre général. Cette caractérisation de l’économie recouvre trois aspects : Le premier est la concurrence (pure et) parfaite. (…) La légitimité de cette hypothèse n’a rien à voir avec son réalisme. Il s’agit simplement de décrire l’économie d’une façon qui traduise par excellence la liberté des agents et leur égalité de statut dans leur capacité à contracter. La concurrence (pure et) parfaite se définit moins par ses conditions (grand nombre d’agents, libre entrée et sortie sur les marchés, homogénéité du bien, information parfaite etc.) que par leur conséquence : aucun agent individuel n’est supposé avoir d’influence sur les prix. Cela ne signifie pas qu’il soit inactif : il dispose d’une variable de contrôle, la quantité qu’il offre ou demande de chaque bien. Cela ne signifie pas non plus que, pris ensemble, les offreurs et demandeurs des biens n’ont pas d’influence sur leurs prix : au contraire, c’est leur rencontre qui les détermine. Mais aucun agent individuel n’a le pouvoir de fixer ou d’influencer le prix. Ce régime de concurrence se distingue de la concurrence imparfaite au sens le plus général, où, pour quelque raison que ce soit, un agent ou un groupe particulier d’agents peut, comme on dit dans la littérature moderne, « faire le prix ». Le deuxième aspect est l’équilibre de marché. Celui-‐ci est réalisé pour un bien lorsqu’il n’existe aucune force endogène susceptible de modifier le prix, qui est ainsi le prix d’équilibre. Puisque c’est le rapport entre l’offre et la demande du bien qui fait varier son prix, l’équilibre de marché se définit par l’absence d’une offre ou d’une demande excédentaire. Comme l’offre et la demande sur le marché d’un bien résultent de l’agrégation des offres et des demandes individuelles respectives, cette condition signifie que chaque agent est lui-‐même en équilibre, puisqu’il écoule exactement la quantité qu’il offre au prix d’équilibre ou obtient exactement la quantité qu’il demande à ce prix. (…) Le troisième aspect est l’équilibre général. Il désigne l’état d’une économie dans lequel, non seulement tous les marchés sont en équilibre, mais encore leur interdépendance est explicitement analysée. Cette méthode diffère ainsi de l’analyse en équilibre partiel. En équilibre partiel, chaque marché est étudié ceteris paribus, sous l’hypothèse que tous les autres marchés sont et demeurent en équilibre, quoiqu’il arrive sur le marché considéré. La rationalité de l’agent individuel étant un choix sous contrainte, il va de soi qu’une offre ou une demande adressée à un marché a un effet sur les autres marchés. Mais l’on suppose qu’il est possible d’une part de séparer cet effet (et donc aussi les effets que ce marché subit en provenance des autres), et d’autre part les phénomènes propres au marché considéré. Il en va tout autrement en équilibre général : les offres et les demandes dépendent de tous les prix (et revenus, qui sont eux-‐mêmes des prix) déterminés dans l’économie. Les équilibres de marché ne sont plus juxtaposés mais interdépendants.
Ghislain Deleplace, Histoire de la pensée économique, Dunod, 2007 (2ème édition)
Document 28 : Le tâtonnement walrassien Le processus d’ajustement des prix relatifs des marchandises a chez Walras plusieurs caractéristiques qui ne sont ni arbitraires ni réalistes mais requises par le résultat attendu : la formation de l’équilibre général.
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La première caractéristique est l’existence d’un numéraire. (C’est) le bien dont l’unité de quantité est en même temps l’unité de mesure des prix réels de tous les autres biens. (…) En changeant la définition du prix relatif, l’introduction du numéraire modifie la représentation du marché. On ne cherche plus à échanger un bien contre un autre, comme dans le troc bilatéral ; sur le marché d’un bien, tous ceux qui l’offrent (et qui demandent les autres biens sur les autres marchés) sont confrontés à tous ceux qui le demandent (et qui offrent les autres biens sur les autres marchés). La formation de ces prix d’équilibre sur ces marchés interdépendants requiert alors une procédure de coordination, qui doit préserver l’hypothèse de concurrence (pure et) parfaite, c’est-‐à-‐dire la caractère paramétrique des prix pour tous les agents. Walras suppose que les prix en numéraire sont « criés » sur tous les marchés, ce qui permet aux agents de déclarer les quantités qu’ils sont prêts à offrir ou à demander à ces prix. La deuxième caractéristique du processus d’ajustement est donc l’existence d’un crieur, institution non marchande de coordination des marchés. Pas plus que les agents, le « crieur » ne connaît les fonctions de comportements des offreurs et demandeurs individuels, et il ne peut donc calculer le système de prix d’équilibre assurant l’égalité des offres et des demandes agrégées de marchandises ; il crie donc les prix « au hasard ». Mais il peut enregistrer les quantités déclarées par les agents à ces prix de déséquilibre, et en déduire si c’est la demande ou l’offre qui est excédentaire qui est excédentaire sur chaque marché. Une troisième caractéristique est alors une règle d’ajustement des prix, appliquée par le crieur pour échapper au hasard initial. Cette règle conduit à modifier le prix d’un bien dans le sens donné par le signe de la différence entre la demande agrégée et l’offre agrégée de ce bien (sa demande excédentaire agrégée). En effet, l’offre étant une fonction croissante du prix et la demande une fonction décroissante, une demande excédentaire agrégée positive signifie que le prix crié initialement a été trop bas (puisqu’il a suscité une offre insuffisante pour satisfaire la demande à ce prix) ; il faut donc l’augmenter. Symétriquement, il faut diminuer le prix d’un bien pour lequel le signe de la demande excédentaire agrégée est négatif. Le processus d’ajustement est censé ainsi faire converger les prix vers leurs valeurs d’équilibre, ce qu’illustre l’image du « tâtonnement ». En accord avec l’hypothèse d’absence d’échanges tant que les prix d’équilibre n’ont pas été atteints, les quantités offertes et demandées tout au long du processus ne sont que virtuelles : elles ne donnent lieu à aucune production ou consommation. Dans les termes de Walras, il n’y a que des « échanges sur bons » : les agents se contentent d’inscrire sur des bons les quantités qu’ils sont prêts à offrir et demander aux prix criés. C’est la quatrième caractéristique du tâtonnement : l’absence d’échange en dehors de l’équilibre.
Ghislain Deleplace, Histoire de la pensée économique, Dunod, 2007 (2ème édition)
Document 29 : L’équilibre de marché est un optimum de Pareto L’équilibre de concurrence parfaite, après que les offres et les demandes aient été satisfaites, se traduit par une répartition des ressources entre les agents économiques. D’où la question, inévitable : cette répartition est-‐elle « bonne », d’une façon ou d’une autre ? La réponse est : oui, du moins si on compare les états de l’économie selon un critère précis, le critère de Pareto. A quelques réserves près, on peut même dire que les équilibres de concurrence parfaite sont des « optimums » selon ce critère (on dit alors qu’ils sont des Optimums de Pareto). Ils représentent par conséquent des affectations des ressources souhaitables, une norme vers laquelle il faut tendre. L’importance donnée à la concurrence parfaite – plus précisément, à ses équilibres – est alors justifiée par son rôle de norme : le modèle désigne ce qui doit être, et pas forcément ce qui est. Les équilibres de concurrence parfaite ne sont toutefois des optimums de Pareto que si certaines hypothèses sont vérifiées – essentiellement l’existence d’un système complet de marchés. Ainsi, ils ne le sont plus s’il existe des effets externes (ou des externalités). Dans une perspective normative, le théoricien s’intéresse alors aux politiques à mettre en œuvre pour pallier les inconvénients qui résultent de la présence d’externalités négatives – ou pour favoriser les externalités positives. Ce chapitre traite de toutes ces questions, dont les théoriciens néoclassiques disent qu’elles relèvent de l’ « économie du bien-‐être » (welfare economics), le bien-‐être concernant ici la société dans son ensemble. (…) Un état réalisable d’une économie est une répartition des ressources disponibles entre les individus qui composent cette économie. (…) Le critère de Pareto est un critère unanimiste – il exige que tout le monde soit d’accord pour passer (d’un état réalisable à un autre). L’unanimité étant loin d’être le cas le plus courant, ce critère ne s’applique pas à toutes les répartitions possibles des ressources ; autrement dit, il ne permet pas d’effectuer un classement total, ou complet, des états réalisables de
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l’économie. En fait, si un état réalisable X est préféré à un autre état réalisable Y selon le critère de Pareto, c’est parce qu’il existe des échanges mutuellement avantageux qui permettent de passer de Y à X. Quand un état réalisable est tel qu’il n’y subsiste plus d’échange mutuellement avantageux, quels que soient les agents considérés, alors on dit qu’il est un optimum de Pareto. Il existe généralement une infinité d’optimums de Pareto qui peuvent correspondre à des répartitions très différentes des ressources entre les individus. Ainsi, l’état dans lequel un agent détient toutes les ressources de l’économie est un optimum de Pareto. Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’état où les ressources disponibles sont réparties de façon égale entre des agents ayant des goûts différents (car ils ont alors des taux marginaux de substitution différents au panier de biens – le même pour tous – qu’ils détiennent dans cet état). (…) Parmi toutes ses affectations possibles des ressources de l’économie (ses états réalisables), il y a celles qui correspondent à des équilibres de concurrence parfaite, c’est-‐à-‐dire celles ou chaque individu obtient ce qu’il demande au prix affiché par le commissaire priseur – qui a, au préalable, recueilli les offres faites à ces prix par les uns et par les autres. Un système de prix est donc affecté à ces affectations de ressources. Celles-‐ci ont une propriété, qui conduit à les privilégier, d’un point de vue normatif : c’est le premier théorème de l’économie du bien-‐être qui s’énonce de la façon suivante : Premier théorème : s’il existe un système complet de marchés et si les préférences des agents sont monotones, alors l’affectation des ressources d’un équilibre de concurrence parfaite est un optimum de Pareto. Deuxième théorème de l’économie du bien-‐être : si les hypothèses du premier théorème sont vérifiées et si, en outre, les préférences des ménages et les ensembles de production des entreprises sont convexes, alors à tout optimum de Pareto on peut associer un ensemble de prix pour lequel cet optimum est un équilibre de concurrence parfaite. Emmanuelle Bénicourt, Bernard Guerrien, La théorie économique néoclassique, coll. Grands Repères, La Découverte,
2008
3.2.2 Les défaillances de marché : des cas exceptionnels dans le fonctionnement du marché
Document 30 : Les défaillances de marché On dit qu’on est en présence d’effet externe ou d’externalité, lorsque les activité d’un (ou plusieurs) individu(s) on un effet sur le bien-‐être (ou le profit) de certains autres, sans qu’il y ait de transactions délibérées, ou marchandes, entre eux. La présence d’effets externes implique une affectation des ressources sous-‐optimale au sens de Pareto. L’exemple de l’entreprise polluante permet d’en donner une illustration. Supposons que les personnes affectées par des émissions nocives se cotisent pour y mettre fin – ou pour les limiter –, en finançant la mise en place de filtres ou d’autres dispositifs appropriés. Si le gain en bien-‐être qui en résulte pour elles l’emporte sur la perte due au paiement de la cotisation, alors la situation des populations s’améliore, sans que celle de l’entreprise se détériore (puisque l’opération ne lui coûte rien). On parvient ainsi à une affectation des ressources supérieures, selon le critère de Pareto, y compris si la situation de départ est un équilibre de concurrence parfaite. Celui-‐ci n’est donc pas un optimum de Pareto. Dans les présentations usuelles de la théorie néoclassique, les effets externes sont présentés comme une « défaillance des marchés », puisqu’ils empêchent que l’équilibre de concurrence parfaite – assimilé au « marché parfait » -‐ soit un optimum de Pareto. Dans une perspective clairement normative, l’attention porte alors sur les politiques à mettre en œuvre pour « rétablir l’optimalité ». (…) Une façon de résoudre le problème des effets externes consisterait donc à « créer des marchés » là où il n’y en a pas, en attribuant un prix aux biens (nuisances) à l’origine de ces effets et en le faisant varier en fonction des offres et des demandes (de concurrence parfaite) qu’il suscite. Si ces biens ont, cependant, d’un traitement particulier, y compris sur le plan théorique, c’est forcément parce qu’ils sont d’une nature différente de celle des autres. Cette différence tient généralement au fait que de tels biens sont collectifs, car ils peuvent être utilisés (ou subis) simultanément par plusieurs individus (contrairement aux biens privatifs, qui sont consommés par une seule personne). L’air pur de notre exemple est un bien collectif, puisqu’un ciel pollué profite à tout le monde. L’existence de ces biens collectifs empêche que l’on puisse parvenir à un optimum de Pareto en « créant les marchés manquants » et fait donc perde une bonne partie de son intérêt – sur le plan normatif – à l’équilibre de concurrence parfaite, même aménagé. En effet, si un individu est, par exemple, disposé à payé pour vivre dans un environnement non pollué, il ne l’obtiendra que si les autres – ou
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d’autres -‐ sont prêts à en faire autant. Car acheter des droits à l’air pur ne lui permet pas de se promener dans une sorte de bulle d’air, limitée à sa propre consommation ! Dans le cas de l’usine polluante où le ménages se cotisent pour financer la mise en place de filtres, chacun doit contribue pour que le résultat soit atteint. Mais pourquoi le faire ? Un individu rationnel se dira : « Pourquoi vais-‐je cotiser ? Il suffit que tous les autres le fassent pour que je bénéficie du résultat attendu sans qu’il ne m’en coûte rien. » S’il s’abstient de contribuer, on dit qu’il se comporte en passager clandestin (…). Si tout le monde tient le même raisonnement, le bien collectif ne sera évidemment pas « produit » -‐ dans notre exemple, la pollution sera maximum. Même s’il y a création d’un marché, le résultat ne sera pas un optimum de Pareto. Lorsqu’il existe des biens collectifs – et ceux-‐ci sont très nombreux, puisqu’ils vont de la pollution à l’éducation, en passant par tout ce qui touche à la beauté et à la qualité de l’environnement –, l’affectation des ressources obtenues par le biais d’un système de prix, même s’il est mis en place par un commissaire-‐priseur (ndlr : le crieur chez Walras), ne résout donc pas le problème posé – sur un plan normatif – par les biens collectifs. Pour parvenir à une situation préférable, selon le critère de Pareto, il faut envisager d’autres modes d’affectation des ressources, plus directs (par exemples des cotisations obligatoires – sous formes d’impôts – qui sont utilisés pour la production de biens collectifs).
E. Bénicourt, B. Guerrien, La théorie économique néoclassique, coll. Grands Repères, La Découverte, 2008 (3ème édition)
3.3 L’école autrichienne
Document 31 : Points communs et différences entre les approches néoclassiques et autrichiennes Les autrichiens partagent avec les néoclassiques leur origine, ces deux courants théoriques sont issus de l’école marginaliste, et l’idée centrale selon laquelle le marché concurrentiel permet la meilleure allocation possible des ressources. Mais les différences entre les deux courants sont très nombreuses. Dans le modèle néoclassique, la concurrence est associée à un équilibre statique : compte tenu des différentes contraintes des agents économiques et de leurs objectifs, le marché consiste à rendre compatible les décisions en cherchant le prix et la quantité d’équilibre, qui vont correspondre à une situation d’optimum. Une fois cet optimum atteint l’échange à lieu. Plus rien ne bouge. Chez les autrichiens, l’idée d’équilibre statique n’a pas de sens : ce qui caractérise le marché, c’est au contraire le changement permanent, c’est la dynamique plutôt que l’équilibre. Les autrichiens, à la différence des néoclassiques, s’appuient sur l’hypothèse que l’information qui circule sur le marché n’est pas parfaite. Les individus évoluent dans un monde incertain. Pourtant, ils doivent prendre des décisions. Comment s’y prennent-‐ils ? Le marché par l’intermédiaire des prix permet de faire circuler de l’information sur les opportunités qui apparaissent dans certains secteurs (mais également sur les secteurs en crise). Les agents économiques doivent alors utiliser ces informations pour ajuster en permanence leurs comportements afin d’améliorer leurs situations. Le système des prix permet donc à l’allocation marchande de réaliser la meilleure coordination possible des décisions des agents économiques. Ce qui confère au marché concurrentiel sa supériorité dans l’allocation des ressources ce n’est pas qu’il permette d’atteindre l’équilibre, mais qu’il assure la circulation de l’information par le signal des prix, dans un univers qui est sans arrêt en déséquilibre. Par exemple, quand sur un marché apparaît un monopole, cela va se traduire sur les prix (hausse) mais cette hausse des prix va indiquer aux autres producteurs que le marché est rentable et qu’il faut y investir. Le monopole n’est donc pas une situation de marché « sous optimale » mais l’indicateur d’un marché porteur, dynamique dans lequel il faut investir. Les prix fonctionnent comme des signaux d’opportunité pour les entrepreneurs. Le marché concurrentiel permet alors de coordonner les comportements individuels vers un ordre spontané. Comme chez Smith, le marché est donc au fondement du lien social. Mais, si la puissance publique cherche à intervenir dans l’économie, et à remplacer le marché, elle se heurte aussi à l’incertitude et à l’information imparfaite, et elle ne peut pas être capable de « battre » le marché dans sa capacité à allouer les ressources de la meilleure façon possible. Comme l’Etat n’est pas omniscient, ses interventions perturbent les mécanismes des prix et ses vertus : l’allocation des ressources. L’intervention publique empêche l’ordre spontané du marché d’émerger. Cela signifie qu’il ne peut pas modifier la répartition des revenus au nom d’un critère de justice sociale qui consiste à affirmer qu’il aurait été possible d’obtenir un autre résultat, différent et plus juste. C’est en ce sens qu’Hayek affirme que le vocable de justice sociale est vide de sens. Pour qu’une situation soit considérée comme injuste il faut être capable de montrer qu’il aurait pu se passer autre chose, être capable de définir
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« avant que le marché ne fonctionne » ce que serait une situation « juste » et pourquoi il faudrait alors corriger un résultat. Les autrichiens prolongent les travaux des classiques sur la main invisible, mais ils s’éloignent des néoclassiques car ils font de la concurrence un processus dynamique en déséquilibre permanent. Ils affirment la supériorité de la coordination marchande en univers d’incertitude sur d’autres formes de coordination (comme l’Etat).
Document 32 : Le marché comme processus de diffusion des connaissances L’équilibre économique résulte de la coordination de connaissances spécifiques et tacites dispersées entre les acteurs, que seul le processus de marché peut mettre au jour et diffuser. (…) La coordination marchande est à l’origine de la découverte de nouvelles connaissances qui vont modifier les évaluations des agents et amener à une solution différente de celle des planificateurs. Il est impossible de substituer une autorité centrale au processus de marché (…) pour la simple raison qu’on ne peut savoir à l’avance ce que le processus en question va permettre de découvrir. Les néoclassiques sont à ce niveau victimes de l’illusion scientiste qui les rend trop confiants envers la capacité de l’entendement à maîtriser et reproduire les phénomènes complexes, comme le processus concurrentiel. L’essence de la position hayékienne se résume en fin de compte à la définition de la concurrence comme processus équilibrant de découverte et de diffusion des connaissances. (…) L’introduction du problème de la connaissance amène Hayek à définir la concurrence comme un processus tendant vers une référence mouvante d’équilibre, référence constamment redécouverte au fur et à mesure que de nouvelles connaissances sont découvertes par les agents économiques. L’équilibre n’est plus défini au sens walrassien, mais comme la coordination entre les plans individuels élaborés sur la base des connaissances changeantes des individus. Dans les années 1970, la position autrichienne s’éloigne toujours plus de la vision déterministe néoclassique et se radicalise à travers l’adoption par Hayek du concept d’ordre spontané. (…) Dans le domaine de l’économie, le marché est l’ordre spontané qui permet de résoudre le problème de la diffusion des connaissances ; il est en effet, selon Hayek, « le seul moyen par lequel de si nombreuses activités, fondées sur des connaissances dispersées, puissent se trouver intégrées effectivement dans un ordre unique ».
Sandye Gloria-‐Palermo, L’école économique autrichienne, La Découverte, 2013
Document 33 : L’importance du marché comme processus de coordination décentralisé quand l’information est imparfaite
Dès 1936, dans une adresse présentée au London Economic Club, Hayek montre comment c'est par rapport aux problèmes d'information qu'il faut rechercher les véritables attributs d'une économie de marché. On croit généralement que la raison d'être de l'économie de marché de type capitaliste est liée aux propriétés du modèle de la concurrence pure et parfaite. Hérésie intellectuelle totale, réplique Hayek. (…) Ce qui justifie socialement l'économie de marché, c'est précisément que nous appartenons à un monde où, par définition, l'information est toujours imparfaite, incomplète et coûteuse à acquérir. Contrairement à tout ce qui s'écrit, c'est la prise en compte de l'imperfection de l'information qui sert de base à la compréhension des raisons d'être d'une économie de marché décentralisée. Le marché, explique Hayek, n'est pas seulement un lieu anonyme où s'échangent des biens et des services, ni un mécanisme statique de répartition des pénuries; mais aussi, simultanément et de façon inséparable, un instrument dynamique de mobilisation, de production et de diffusion des informations et connaissances nécessaires à la régulation des sociétés complexes. Ce qui justifie le marché, c'est d'abord et avant tout qu'il s'agit d'un mécanisme créateur de messages qui jouent un rôle clef dans la chaîne des décisions et processus d'apprentissage qui mènent progressivement à la coordination des projets individuels; coordination sans laquelle il ne peut y avoir de vie sociale équilibrée. »
Henri Lepage, Demain le libéralisme, Livre de poche, 1980
Document 34 : Ordre spontané et bien-‐être collectif C’est parce qu’il considère que les individus ne se caractérisent pas par une omniscience, mais plus vraisemblablement par une connaissance limitée, qu’il critique ce qu’il appelle le constructivisme des intellectuels et le planisme des marxistes selon lesquels les institutions de l’économie et de la société peuvent être bâties consciemment par des hommes prométhéens pour organiser leurs activités et leurs relations. Pour qu’il puisse en être ainsi, il faudrait (…) que ces hommes connaissent parfaitement tous les faits, tous les comportements, toutes les actions, tous les besoins et désirs de l’ensemble de leurs semblables. Or, nous savons qu’Hayek juge impossible que les hommes aient une connaissance aussi parfaite de ce qui existe à un moment donné. (…) En outre, ajoute Hayek, que même si les individus
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parvenaient à réunir suffisamment d’informations pour planifier leurs activités, pour que ces dernières soient efficaces et conduisent à une allocation optimale des ressources, il faudrait qu’il existe entre tous les membres de la société un accord parfait sur les valeurs, les besoins, les préférences des uns et des autres. (…) En conséquence, la seule forme sociale durable et susceptible de conduire au bien-‐être est la société capitaliste (confondue ici avec l’économie de marché) car elle est un ordre spontané. C’est pour cette raison qu’Hayek utilise le mot catallaxie qui lui paraît plus approprié que celui d’économie. En effet, économie signifie étymologiquement gestion d’une maison. Ce mot sous-‐entend donc une organisation consciente de la part d’un ou de plusieurs individus. En revanche, le mot catallaxie désigne l’ordre inconscient et donc spontané engendré par l’ajustement du comportement des différents individus composant une société ou un groupe social.
Gilles Jacoud, Ertic Tournier, Les grands auteurs de l’économie, Collection initial, Hatier, 1998
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4. La révolution keynésienne : l’essor de la macroéconomie
Document 35 : John Maynard Keynes (1883-‐1946) « Le vrai remède au cycle économique ne consiste pas à supprimer les booms et à maintenir en permanence une semi-‐dépression, mais à supprimer les dépressions et à maintenir en permanence une situation voisine
du boom »
4.1 Le raisonnement macroéconomique
Document 36 : Keynes et la macroéconomie C’est seulement la crise de 1930 qui a donné le branle à cette révolution scientifique que nous qualifions macroscopiste, et que la seconde guerre mondiale devrait précipiter et consommer. (…) Alors que toutes les théories économiques antérieures étaient, surtout depuis Walras, axée sur l’idée d’équilibre, la « grande dépression » impose à l’attention son contraire : le déséquilibre. (…) Le déséquilibre, dont la grande dépression offre à l’économiste le spectacle, est un déséquilibre global. Ce qui frappe l’observateur c’est le défaut d’ajustement d’un petit nombre de grandes masses, telles que le revenu distribué et la demande effective, la main d’œuvre disponible et l’emploi, l’épargne et l’investissement, etc… Le déséquilibre conjoncturel se présente comme un phénomène de masse. L’économiste lui cherchera une explication de type globaliste. (…) Et l’on assiste alors à un complet retournement de la direction même de l’effort théorique. Depuis les classiques (…) l’économiste s’était efforcé de forger des loupes de plus en plus grossissantes, afin de pouvoir saisir des phénomènes de plus en plus petits. Il entendait isoler l’atome de sa matière d’étude. Des classes d’agents économiques sur lesquelles raisonnait Ricardo à l’individu, seul centre de ses choix, héros des fameuses « robinsonnades » marginalistes. (…) Or, voici que maintenant les perspectives se retournent de bout en bout. L’attention de l’économiste se transporte d’un seul coup de l’atome au cosmos. (…) La réflexion du théoricien n’est plus située au plan de l’élément premier, mais au plan du tout. D’où la rentrée en scène au premier plan, d’un certain nombre de facteurs dont les théories des époques antérieures s’étaient surtout exercées à faire abstraction : le temps, la monnaie, la nation, l’intervention active de la puissance publique.
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
Document 37 : Keynes et le sophisme de composition La théorie keynésienne a paru révolutionnaire par rapport à la pensée économique classique et néoclassique. Elle est d’abord la première à avoir marqué un hiatus entre une conception micro-‐économique et une conception macro-‐économique. Certes les économistes du XIXième siècle raisonnaient sur l’économie entière et non sur des unités microéconomiques comme « l’homo oeconomicus » ou l’entreprise représentative. Mais pour eux, les lois économiques qui régissaient l’économie globale n’étaient que la totalisation de celles valables pour chaque unité économique. Keynes au contraire a montré le premier que les lois valables pour l’économie entière étaient d’une nature différente de celles qui gouvernent le comportement d’un sujet économique. La réduction des prétentions salariales d’un chômeur isolé, par exemple, peut conduire à son embauche, mais une baisse générale des salaires ne rétablit pas le plein emploi, car les entreprises, n’anticipant qu’une demande réduite, ne sont pas incitées à accroître leur demande de main d’œuvre. Keynes est donc le premier à avoir posé dans toute sa netteté le problème de l’agrégation, c’est-‐à-‐dire du passage des comportements micro-‐économiques aux lois macro-‐macroéconomiques. La même attitude le conduit à considérer (…) l’épargne, vertu privée, comme un vice au niveau collectif, car l’excès d’épargne réduit la demande effective et provoque le chômage. (…) Keynes s’inspire de Malthus (…). Pour l’un comme pour l’autre, la dépression vient de ce que l’insuffisance de la consommation et l’excès d’épargne empêchent la demande globale d’absorber toute l’offre. Mais ils divergent sur les remèdes : Malthus propose d’augmenter la consommation improductive, tandis que Keynes recommande d’accroître l’investissement, ce qui augmente le revenu et par contre coup la consommation. Marx lui aussi explique les crises économiques par la sous-‐consommation (…) qui est la conséquence logique du système capitaliste qu’il condamne, alors que Keynes veut le sauvegarder. Il le dit clairement : « l’Etat n’a pas intérêt à se charger de la propriété des moyens de production ».
D.Villey et C.Nême, Petite histoire des grandes doctrines économiques, Litec, 1992
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Document 38 : La consommation, une variable macroéconomique Pour Keynes, la consommation dépend du revenu courant versé lors d’une période sachant que ce revenu est versé en contrepartie de la production et sachant que le revenu est strictement équivalent à la production. L’épargne est donc chez Keynes un résidu : le montant qu’il reste une fois que les dépenses de consommation du ménage ont été engagées. L’évolution de la consommation selon Keynes suit ce qu’il appelle « la loi psychologique fondamentale » : « En moyenne la plupart du temps, les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que le revenu croît mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu ». Cette loi peut être interprétée de différentes manières mais, pour comprendre cette dernière, il faut bien distinguer la propension moyenne à consommer (PMC) et la propension marginale à consommer (PmC). La première est la part consacrée en moyenne aux dépenses de consommation dans le revenu, la seconde est la part d’un revenu supplémentaire consacré aux dépenses de consommation.
4.2 Décisions des agents, incertitude et anticipations
Document 39 : Le rôle de l’incertitude et des anticipations Le point de départ de Keynes consiste à expliquer la crise des années 1930 et le développement du chômage de masse ; le « quotidien » de l’économie est marqué par des déséquilibres (chômage de masse). Cela l’amène à critiquer la loi de Say et le modèle d’équilibre des néoclassiques : si les marchés conduisent à terme à l’équilibre, en quoi cela est-‐il intéressant pour étudier les situations de déséquilibres, qui elles caractérisent le court terme ? Keynes écrit : « Dans le long terme nous serons tous morts. Les économistes se donnent une tâche par trop facile et inutile si dans une période tempétueuse, ils peuvent seulement nous dire que quand la tempête sera passée l’océan sera à nouveau calme » (Traité sur la monnaie, 1930) Keynes s’appuie sur la notion d’anticipation des agents économiques. Les agents économiques vivent dans un univers incertain (incertitude radicale) ce qui nécessite de réaliser des anticipations sur l’avenir. Ces anticipations peuvent conduire les producteurs à être pessimistes : ils fixent alors leur demande anticipée (ou effective) à un niveau qui est inférieur à ce qu’il pourrait être avec des anticipations optimistes. Les objectifs de production sont donc donnés et en découle la quantité de main d’œuvre nécessaire. Cette quantité de main d’œuvre peut être différente de la quantité d’actifs disponibles : il existe alors un chômage (qualifié d’involontaire). C’est la situation d’équilibre de sous emploi.
4.3 Le taux d’intérêt dans une économie monétaire de production chez Keynes
Document 40 : Efficacité marginale du capital et décision d’investissement La décision d’investissement est une décision patrimoniale (…). Elle ne concerne que les seuls entrepreneurs, qui doivent résoudre le problème de savoir s’il est ou non intéressant d’ajouter de nouveaux biens capitaux au capital existant, et d’étendre ainsi la capacité de production. Keynes nomme ce comportement particulier « incitation à investir ». L’essentiel du raisonnement repose sur la comparaison de deux taux stratégiques : l’efficacité marginale du capital et le taux de l’intérêt. Considérons un projet d’équipement quelconque, supposé être en activité pendant T périodes, comptées à partir du moment où est effectué le calcul. L’entrepreneur prévoit, pour toute cette durée, des coûts et des recettes périodiques notées D(t) et R(t) et telles que R(t) – D(t) = b(t). La valeur actualisée1 d’un tel équipement est : P = !(!)
(!!!)!! ! !! ! ! (avec a = le taux d’actualisation).
C’est le prix que l’on est prêt à payer pour cet équipement (prix de demande). Pour celui qui le fabrique et qui le vend, la valeur est I : c’est le prix d’offre (prix à partir duquel il est possible de produire ce bien, car il couvre les coûts et paie un profit « normal »). L’égalité des deux valeurs n’est alors satisfaite que pour une valeur particulière du taux d’actualisation, e, qu’on appelle efficacité marginale du capital, soit :
I = !(!)(!!!)!!
L’efficacité marginale du capital (e) est donc le taux de rendement escompté d’un nouveau bien capital. C’est une grandeur anticipée, qui se rapporte à des grandeurs monétaires. (…) Ce qui est en jeu, comme dans le principe de la demande effective, n’est pas la seule productivité attendue d’un capital,
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mais les anticipations de recettes, qui mettent en jeu les anticipations de débouchés pour les produits nouveaux que la mise en œuvre du bien capital autorise à produire. L’efficacité marginale du capital dépend du niveau d’investissement lui-‐même : lorsque les investissements se multiplient, la concurrence attendue pour le futur sur le marché des biens réduit les anticipations de recettes futures (et donc le prix de demande) ; par ailleurs, la concurrence sur les marchés d’inputs pour la production des biens capitaux renchérit leur coût de production et élève leur prix d’offre. Ces deux facteurs se conjuguent pour abaisser l’efficacité marginale du capital, qui sera donc une fonction décroissante du niveau d’investissement. D’autre part, la position de la courbe d’efficacité marginale dans le plan (montant de l’investissement/rendement escompté de l’investissement) dépendra de tout ce qui peut affecter l’état des prévisions à long terme. Lorsque les entrepreneurs deviennent pessimistes, les rendements attendus chutent pour chaque montant d’investissement, et l’efficacité marginale du capital fait de même. Ces prévisions de long terme étant par définition très volatiles, la décision d’investissement sera elle-‐même en proie à des retournements brusques. On comprend à présent que si l’efficacité marginale du capitale (e) est supérieure (respectivement inférieure) au taux de l’intérêt courant (i), alors le prix d’offre est inférieur (resp. supérieur) au prix de demande, et l’investissement est mis en œuvre (resp. n’est pas mis en œuvre). Cela peut se comprendre différemment : si une entreprise doit financer un projet d’investissement, elle ne le fera que si le taux de rendement attendu de la mise en œuvre de ce projet compense le taux d’intérêt (qui est un coût, que ce « coût » soit effectif – taux auquel elle se finance – ou d’opportunité dans le cas d’un financement sur fonds propres). Puisque l’efficacité marginale du capital est décroissante avec le montant d’investissement, on comprend que « l’investissement tend à grossir jusqu’à ce que (…) l’efficacité marginale du capital tombe au niveau du taux d’intérêt du marché » (TG chapitre 11) Au total, et puisque le niveau de l’emploi peut s’avérer insuffisant en raison d’un défaut d’investissement, on comprend que le remède doit porter soit sur une hausse de l’efficacité marginale escomptée des capitaux nouveaux (mais, ce « paramètre », qui découle des anticipations des entrepreneurs, est difficilement influençable), soit, sur une baisse du niveau des taux d’intérêt. En particulier, lorsque l’état de la prévision à long terme se détériore, entraînant un effondrement de l’efficacité marginale du capital, le maintien du niveau de l’emploi ne peut que provenir d’une baisse rapide des taux d’intérêt qui permette de compenser la détérioration du climat de confiance des entreprises.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003 1Actualiser c’est transformer une valeur future en valeur actuelle en tenant compte du fait que plus la durée séparant le futur du présent est longue plus la valeur actuelle se réduit. Posséder 1000 € aujourd’hui n’est pas équivalent à posséder 1000 € dans un an. S’il existe une forte incertitude sur ce qui peut se passer dans l’année, la valeur correspondant dans un an à 1000 € d’aujourd’hui est plus élevée que si l’année s’annonce sans souci avec une forte probabilité. Le risque réduit la valeur future parce qu’il la rend improbable. Pour mesurer cet dépréciation liée au risque on raisonne comme pour un placement : en fait si les 1000 € étaient placés ils vaudraient en fin d’année 1000 € augmentés des intérêts servis sur le placement. La méthode utilisée pour actualiser une valeur monétaire se déduit de ce qui précède : si "VA" est la valeur actuelle et "VF" la valeur correspondante n années plus tard et si le taux d’actualisation est ra : VA = !"
(!!!")!
Document 41 : thésaurisation et utilisation de l’épargne des ménages
Chez Keynes, il existe deux décisions individuelles vis-‐à-‐vis du temps. Tout d’abord la décision d’épargner en elle-‐même, qui conduit à déterminer le montant d’épargne et ne dépend pas du taux de l’intérêt, mais de la propension à consommer (…). Cependant, une deuxième décision concerne la manière d’effectuer ce transfert de pouvoir d’achat qui détermine la forme de l’épargne et fait intervenir le taux d’intérêt. (…) Il existe de ce point de vue deux possibilités nettement opposées :
- transférer son épargne sous forme monétaire (conserver un droit de liquidité, autrement dit thésauriser) ;
- transférer son épargne sous forme d’actif financier : le transfert est alors conditionné par le prix auquel peuvent être cédés ces actifs financiers.
Dans l’esprit de Keynes, la détention de monnaie (pour elle-‐même) a donc un sens, et est une alternative radicale à la détention d’actifs financiers. Cela tient à ce que la monnaie est la liquidité par excellence. On comprend que le taux de l’intérêt ne sera plus, chez Keynes, la rémunération de l’épargne (le prix du renoncement à la consommation), comme dans la théorie classique, mais la rémunération de l’épargne financière (le prix du renoncement à la liquidité). (…)
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En déplaçant le taux de l’intérêt de la première décision vis-‐à-‐vis du temps vers la deuxième décision, Keynes fait du taux de l’intérêt un phénomène purement monétaire. Précisément, le taux de l’intérêt n’est le prix de la renonciation à la liquidité que parce que les agents expriment une préférence pour la liquidité, et il n’a une valeur positive qu’à due proportion de l’importance de cette préférence. On comprend que mettre en avant cette explication revient à considérer la monnaie non plus seulement comme un moyen de transaction (ce qu’elle était chez les classiques), mais comme une réserve de valeur, et a priori comme une meilleure réserve de valeur que les titres financiers, pouvant justifier que les individus préfèrent la liquidité et exigent d’être rémunérés pour s’en détacher. L’analyse de la préférence pour la liquidité exige en l’occurrence, pour être justifiée, de faire intervenir une relation ignorée par les classiques, celle entre monnaie et incertitude : c’est parce que la détention de monnaie constitue une sécurité, qui compense l’aléa et l’incertitude de nos comportements et de nos spéculations concernant le futur, qu’elle est préférée à la détention d’actifs financiers : la monnaie a en effet cet avantage par rapport aux titres financiers, qui la définit comme la liquidité, c’est qu’étant l’unité de compte, sa valeur nominale future est connue avec certitude, ce qui n’est pas le cas de celle des titres. En outre, la détention de monnaie permet de faire face à tout moment à n’importe quel engagement, d’honorer n’importe quelle dette, dans une économie où tous les contrats sont libellés en unité de compte. La « théorie générale de l’emploi », qui nous était apparue devant être logiquement « une théorie générale de l’emploi et de l’intérêt », nous apparaît désormais ne pas pouvoir être autre chose qu’une « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ».
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
Document 42 : Pour conclure, La Théorie Générale comme pièce de théâtre Dans l’économie monétaire que dépeint Keynes, on trouve ainsi deux catégories très différentes d’acteurs. D’un côté, les travailleurs qui consomment tranquillement à peu près tout ce qu’on leur octroie ; de l’autre, des capitalistes devraient investir et non thésauriser – c’est leur rôle dans la pièce, mais pour cela il faut qu’ils aient l’esprit d’entreprise – mais le plus souvent, leur « propension à thésauriser » est plus puissante que « l’incitation à investir » qui les motive. La raison de ce comportement « anti-‐social » provient de la nature de la décision d’investissement : comme le futur est parfaitement inconnu pour tous les agents, l’investissement ne peut être entrepris que s’il existe une « convention sociale » selon laquelle les faits actuels seraient des prédicateurs précis des évènements futurs. Mais si la convention change, si « le pessimisme » triomphe de « l’espoir », si la morosité, la déprime s’installe, les capitalistes choisissent de ne pas intervenir et ils placent leur argent de manière à rester « liquide ». Dans l’économie monétaire dit Keynes, la monnaie n’est pas simplement un moyen d’échange ; elle est avant tout une réserve de valeur qui représente à tout moment une alternative attractive à la consommation et à l’investissement (c’est-‐à-‐dire à la dépense). Le mécanisme psychologique de la « préférence pour la liquidité » détermine ainsi le résultat final de l’épargne et de l’investissement. C’est le « paradoxe de l’épargne », puisque la société s’appauvrit alors qu’elle consomme moins, car dans cette économie c’est la dépense qui crée son propre revenu : le revenu correspond en fait à l’anticipation qui conduit les acteurs à faire ce qu’il font. En d’autres termes, dans cette histoire, ne pas dîner aujourd’hui diminue la possibilité de pouvoir dîner demain. Heureusement, le gouvernement, qui ressemble à s’y méprendre à celui de la cité idéale de Platon, est là, et il peut agir sur le taux d’intérêt (…) et peut « socialiser l’investissement », « enfiler les chaussures des entrepreneurs qui sont trop frileux des pieds ».
Gérard-‐Marie Henry, Histoire de la pensée économique, A.Colin, 2009
4.4 Keynes et l’intervention conjoncturelle de l’Etat
Document 43 : Le libéralisme de Keynes Keynes avait une approche globale de l’économie, dans laquelle il prenait pleinement en compte les institutions. Ainsi, il jugeait nécessaire de limiter le pouvoir de la bourse qu’il avait assimilé à un « casino ». Keynes souhaitait également organiser le commerce et les échanges monétaires internationaux, ainsi qu’il avait tenté de le faire, sans succès, lors de la conférence de Bretton Woods en 1944, où il dirigeait la délégation britannique. Enfin, (…) Keynes estimait nécessaire en temps de chômage, d’accroître le pouvoir des « organes centraux ». Cependant sur le plan philosophique et politique, Keynes est resté un libéral. Pour lui, l’économie de marché possède la capacité singulière, grâce à la division du travail, d’affecter chaque individu à la tâche pour laquelle il est le mieux qualifié. De plus, Keynes louait la capacité du marché à encourager
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l’individualisme, synonyme de liberté et de variété de l’existence. Pour Keynes, il ne faut pas supprimer le libre marché, mais le compléter par des institutions et des politiques permettant d’assurer le plein emploi. C’est un point qui le distingue radicalement de la tradition marxiste.
Gilles Raveaud, La dispute des économistes, collection 3ème culture, éditions Le Bord de l’eau, 2013
Document 44 : Interventions de l’Etat et effet multiplicateur L’économie libérale n’est pas conçue comme dotée de processus spontanés d’ajustement des décisions individuelles. La coordination se fait par le moyen de la circulation monétaire, et le mode constitution « normal » de la société est la crise, plutôt que l’équilibre. Il en résulte la nécessité d’améliorer son fonctionnement. Puisque le problème vient du caractère excessivement décentralisé du fonctionnement économique, la solution est donc à chercher dans une « re-‐centralisation », sous la forme des interventions de politique économique de l’Etat, qui devront faire en sorte d’élever la demande effective, et par là le niveau d’emploi. Trois types de politique peuvent être envisagées :
- une politique monétaire dont l’objectif devra être de baisser suffisamment le taux de l’intérêt pour, à efficacité marginale du capital donnée, augmenter l’investissement et donc, via le multiplicateur, le revenu et l’emploi. Le principal obstacle à cette politique sera l’existence de conventions, quant à la valeur future du taux d’intérêt, qui pourront mettre en échec la volonté des autorités. Cela est d’autant plus vrai dans les périodes de crise où la confiance se dégrade (et donc la préférence pour la liquidité devient grande tandis que l’efficacité marginale du capital s’effondre) ;
- une politique budgétaire, qui agit directement sur la demande globale en augmentant l’investissement (public) ;
- une politique des revenus qui vise à accroître la propension à consommer de la communauté en opérant des transferts de revenus des catégories sociales dont le revenu est élevé (et la propension à consommer faible) vers celles dont le revenu est plus faible (et la propension à consommer élevée).
Mais, mise à part ces modalités d’intervention macroéconomiques visant à accroître le niveau d’activité et d’emploi, aucune intervention publique sur la répartition et l’allocation de ce niveau d’activité et de ce volume d’emploi n’est nécessaire, car cela, précisément, le système de l’économie de marché s’en acquitte parfaitement. Ce n’est donc pas une socialisation de l’activité économique que Keynes appelle de ses vœux, mais bien une intervention de l’Etat qui viennent compléter l’action du marché là où il est défaillant (dans la détermination d’un haut niveau d’activité et d’emploi), conjurer ainsi la crise, et au-‐delà garantir la pérennité des institutions de l’économie de marché.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
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5. Les développements de la microéconomie après 1945 5.1 L’impérialisme de l’économie néoclassique
Document 45 : Théodore Schultz (1902-‐1998)
« Ce que les économistes n’ont pas relevé, c’est une simple vérité : les gens investissent en eux-‐mêmes et ces investissements sont très importants »
Document 46 : l’impérialisme de l’économie néoclassique
Depuis la fin des années cinquante, un renouvellement et une généralisation de l’approche néoclassique ont accompagné la résurgence du libéralisme, sous l’impulsion notamment d’économistes rattachés à l’école de Chicago. Alors que la théorie néoclassique a été critiquée, depuis très longtemps, pour son réductionnisme (…) certains théoriciens néoclassiques ont réagi, paradoxalement, en poussant à l’extrême cette réduction, et en en faisant la clé qui ouvre à la connaissance de tous les phénomènes sociaux, au point que les autres sciences sociales, telles que la sociologie, la science politique l’histoire ou la psychologie semblent désormais inutiles. Selon cette perspective, la société est une somme d’agents indépendants ; chacun est doté d’un libre arbitre et l’interaction des décisions individuelles est à l’origine de la vie économique, sociale et politique ; chaque agent est soumis à des contraintes, cognitives autant que matérielles ; les ressources dont il dispose, biens et services, ressources productives, informations, sont limitées ; son comportement peut être prédit à partir de l’hypothèse de la rationalité. Cette dernière hypothèse constitue le noyau central de la problématique néoclassique. (…) Becker et Mincer appliquent cette approche fondée sur le postulat de la rationalité de l’agent à l’ensemble des comportements humains. Cela permet d’expliquer tout acte humain, y compris par exemple les activités criminelles. Celles-‐ci sont considérées, à l’instar de toutes les autres, comme le fruit d’un calcul rationnel, dans le cadre duquel les bénéfices, sans doute élevés à court terme, sont comparés à des coûts, en termes de danger de se faire prendre et condamner. Cette approche Becker (…) l’a généralisé à des activités telles que celles de se marier, d’avoir des enfants, de mettre fion au mariage …. Dans tous les cas, il s’agit de comparer, rationnellement, des coûts et des bénéfices. (…) Ainsi conçue, l’économie peut s’appliquer par exemple à la politique. (…) telle est la voie dans laquelle s’est engagée la théorie du Public Choice. (…) C’est A.Downs qui a pour la première fois proposé d’utiliser les outils microéconomiques pour analyser les comportements des électeurs et des élus, avant de les appliquer à l’étude de la bureaucratie. (…) Comme sur celui des biens, des agents se rencontrent sur un marché politique, chacun cherchant à maximiser ses intérêts privés, ici par des moyens gouvernementaux. (…) L’application de la théorie microéconomique à l’analyse des effets des lois et du droit est un des éléments constituant de la nouvelle branche de spécialisation connue sous le nom de « Laws & economics » (connue en France sous l’appellation économie du droit). (…) Les travaux de R.Coase constituent une source d’inspiration de ce courant de pensée. (…) L’économie ainsi conçue devient en quelque sorte la théorie générale du comportement humain : « Il n’y a qu’une seule science sociale. Ce qui donne à la science économique son pouvoir d’invasion impérialiste est le fait que nos catégories analytiques – rareté, coût, préférence, opportunité – sont véritablement d’applicabilité universelle. (…) Ainsi la science économique constitue la grammaire universelle de la science sociale » J.Hirshleifer (1985).
Source : M.Beaud et Gilles Dostaler « La pensée économique depuis Keynes », Seuil, 1996, p.185-‐187
5.2 La nouvelle microéconomie : les décisions des agents et l’information imparfaite
5.2.1 L’économie de l’information : avancée majeure de la science économique contemporaine
Document 47
Ce livre part du constat suivant : que nous soyons homme politique, chefs d’entreprise, salarié, chômeur, travailleur indépendant, haut fonctionnaire, agriculteur, chercheur, quelle que soit notre place dans la société, nous réagissons tous aux incitations auxquelles nous sommes confrontés. Ces incitations – matérielles ou sociales – et nos préférences combinées définissent le comportement que nous adoptons, un comportement qui peut aller à l’encontre de l’intérêt collectif. C’est pourquoi la recherche du bien
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commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. Dans cette perspective, l’économie de marché n’est en rien une finalité. Elle n’est tout au plus qu’un instrument ; et encore, un instrument bien imparfait si l’on tient compte de la divergence possible entre l’intérêt privé des individus, des groupes sociaux et des nations, et l’intérêt général. (…) La théorie de l’information (avancée majeure de l’économie durant ces 40 dernières années) se fonde sur une évidence : les décisions des acteurs économiques (les ménages, les entreprises, l’Etat) sont contraintes par l’information limitée dont ils disposent. Les conséquences de ces limites informationnelles se retrouvent partout : dans la difficulté des administrations à comprendre et à évaluer les politiques poursuivies par leurs gouvernants ; dans celle de l’Etat à réguler banques ou entreprises dominantes, à protéger l’environnement ou à gérer l’innovation ; dans celle des investisseurs à contrôler l’utilisation qui est faite de leur argent par les entreprises qu’ils financent ; dans les modes d’organisation interne de nos entreprises ; dans nos relations interpersonnelles ; et même dans notre relation à nous-‐même, comme quand nous nous construisons une identité ou croyons ce que nous voulons croire. (…) La nécessaire compatibilité des politiques publiques avec l’information disponible a des implications cruciales pour la conception des politiques de l’emploi, de la protection de l’environnement, de la politique industrielle ou de la régulation sectorielle et bancaire.
Source : Jean Tirole Economie du bien commun, 2016
5.2.2 La théorie des jeux : étudier les comportements stratégiques des acteurs en situation d’information imparfaite
Document 48 : comportements stratégiques et coordination sous optimale
Les marchés ne sont pas toujours atomistiques. Lorsque le nombre d’intervenants est réduit (par exemple dans le cas d’un marché en duopole ou en oligopole) les individus et/ou les entreprises nouent des relations d’interdépendance : les agents économiques adoptent des comportements stratégiques. La théorie des jeux étudie la prise de décision et les effets de ces comportements stratégiques. Cette théorie est assez ancienne car elle a été introduite par John Von Neumann et Oskar Morgenstern en 1944. Mais c’est surtout à partir des années 1980 qu’elle a connu les développements les plus importants. L’hypothèse de départ est que l’information n’est pas parfaite, mais cette imperfection de l’information est symétrique. Nous ne sommes pas dans la situation où un des agents économiques peut tirer profit d’une information que les autres agents n’ont pas. La théorie des jeux montre alors comment des individus rationnels maximisent leurs satisfactions dans le cadre des stratégies, et pourquoi cette maximisation individuelle ne conduit pas toujours à l’optimum collectif. L’exemple le plus célèbre (…) est celui du « dilemme du prisonnier ». Deux individus suspectés d’avoir commis un vol sont arrêtés et interrogés séparément. Les peines encourues par chaque prisonnier dépendent à la fois de leur réponse et de celle des autres. Si par exemple, les deux prisonniers se taisent et ne se dénoncent pas, ils ne seront pas condamnés faute de preuve. Pourtant, chaque prisonnier a peur de se faire dénoncer par l’autre et de porter « seul le chapeau ». Son calcul de maximisation le pousse alors à dénoncer l’autre ; conséquence du comportement d’optimisation individuel, les deux prisonniers se dénoncent mutuellement et ils sont condamnés à une lourde peine. Si les prisonniers pouvaient se concerter leurs peines seraient plus faibles, mais comme ils ne le peuvent pas, ne sachant pas ce que va faire l’autre, ils préfèrent se dénoncer mutuellement. Le résultat en terme de bien être collectif est donc inférieur lorsque les individus ne se concertent pas, c’est-‐à-‐dire agissent de manière autonomes et indépendantes comme le prévoit la théorie néoclassique, plutôt que lorsqu’ils peuvent se mettre d’accord au préalable. La coordination spontanée n’est donc pas plus efficiente qu’une coordination concertée. En résumé, chaque AE sait que l’autre AE va prendre aussi une décision, mais qu’en fonction des décisions prises mutuellement, le résultat ne sera pas le même. la théorie des jeux est un outil très utilisé dans les situations de concurrence imparfaite qui sont caractérisées par la capacité à influencer les variables du marché. Dans le cas du duopole, un agent économique peut considérer que déclencher une guerre des prix n’aura pas la même conséquence si son concurrent ne fait rien ou bien s’il décide lui aussi de l’attaquer. La conclusion des travaux de théorie des jeux conduit à remettre en cause l’idée selon laquelle l’absence de coordination des AE conduit à l’optimum économique. Au contraire, l’absence de coordination peut conduire à un équilibre (ie une situation dont personne ne veut changer) sous optimal (il est possible d’améliorer la situation de tous).
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5.2.3 La théorie des coûts de transaction : pourquoi préférer d’autres modalités
d’allocation des ressources que le marché ?
Document 49 : Ronald Coase (1910 – 2013) « La principale raison qui rend avantageuse la création d’une entreprise paraît être qu’il existe un coût
d’utilisation du mécanisme des prix »
Document 50 : coûts de transaction et allocation alternative au marché En 1937 dans un article fondateur « The nature of the firm », Ronald Coase s’interroge sur le sens à donner à l’existence d’entreprises. Alors que la théorie économique postule que l’allocation des ressources par le marché est la modalité d’allocation des ressources la plus efficiente, pourquoi certaines organisations apparaissent-‐elles – les entreprises – au sein desquelles les relations entre acteurs économiques ne sont pas des relations de marché. La réponse de Coase est qu’il faut tenir compte de coût de transaction sur le marché. En situation d’information imparfaite ces coûts sont nombreux : recherche de l’information pour connaître les prix, coût de négociation, etc… en conséquence, l’entreprise existe car elle peut réduire les coûts de transaction par exemple en stabilisant les relations entre l’employeur et ses employés : les contrats de travail ne sont pas signés quotidiennement ce qui augmenterait les coûts de transaction mais rattachent les salariés à l’entreprise pour une durée donnée. Mais de son côté, la modalité d’allocation des ressources qu’est l’organisation a également des coûts qui lui sont propres. En résumé, les agents économiques passent par le marché lorsque les coûts de transaction sont inférieurs aux coûts d’organisation, sinon les agents économiques passent par une modalité alternative au marché, l’entreprise. Oliver Williamson (Prix Nobel 2009) a enrichi l’approche de Coase en insistant sur les conséquences des asymétries d’information et des risques de comportements opportunistes qui en découlent. Lorsqu’un agent économique passe par le marché pour acquérir un bien, il existe des coûts de transaction, notamment parce que l’information qui circule sur le marché est imparfaite et qu’il y a des asymétries d’information. Pour éviter le risque de se faire berner (victime d’un comportement opportuniste) les entreprises peuvent choisir de « sortir » du marché. Dans ce cas, l’allocation des ressources se fait dans le cadre de l’organisation elle même : plutôt que de faire appel à un cabinet d’avocat dont l’entreprise a du mal à mesurer la qualité du travail effectué, l’entreprise met en place un service juridique ; les entreprises ont donc le choix entre « faire ou faire faire » : la théorie des coûts de transaction permet alors d’expliquer pourquoi certaines entreprises externalisent certaines taches en faisant appel à d’autres entreprises : ménage, restauration, graphisme … car elles ne craignent pas d’être abusées (et inversement). Conclusion : les agents économiques qui réalisent un calcul coût-‐avantage en situation d’information imparfaite peuvent être conduit à ne pas choisir le marché comme mode d’allocation des ressources.
5.2.4 L’information imparfaite rend les marchés défaillants : aléa moral et anti-‐sélection
Document 51 : Joseph Stiglitz (1943 -‐ )
« Mes travaux (…) sur les conséquences de l’information imparfaite et asymétrique ont montré, au cours du dernier quart de siècle, que l’une des raisons pour lesquelles la main est invisible,
c’est peut-‐être qu’elle n’existe pas »
Document 52 : asymétrie d’information, aléa moral et anti-‐sélection Qu’arrive-‐t-‐il, contrairement à ce qui se passe dans le modèle de concurrence parfaite, et comme c’est généralement le cas dans la réalité, les agents ne connaissent pas toutes les caractéristiques des biens, ou plus précisément, lorsqu’ils ne disposent pas tous de la même information (on parle alors d’asymétrie d’information) ? C’est à ce type de questions que tente de répondre l’économie de l’information. L’anti-‐sélection et le risque moral désignent les deux principales conséquences de l’asymétrie d’information modélisées par les microéconomistes.
Source : Nathalie Berta, « La microéconomie » in Les Cahiers Français n°345 Découverte de l’économie I, 2008
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Document 53 : l’aléa moral Dans le premier cas, tout en connaissant l’existence de biens de qualités différentes, les acheteurs sont incapables de discerner un bien de bonne qualité d’un bien de mauvaise qualité, de sorte que les vendeurs tentent de les escroquer, en leur faisant passer le second pour le premier. Sachant cela, les acheteurs refusent de dépenser une somme trop importante pour le bien qu’ils convoitent, ce qui incite les vendeurs à retirer de la vente les biens de valeur. Dans ce modèle, la mauvaise qualité chasse la bonne, d’où l’expression « d’anti-‐sélection ». (…) L’asymétrie d’information a donc ici pour résultat de réduire la qualité ou la quantité de biens échangés, et donc en conséquence, certains échanges mutuellement avantageux.
Source : Nathalie Berta, « La microéconomie » in Les Cahiers Français n°345 Découverte de l’économie I, 2008
Document 54 : la sélection adverse
Le risque moral, quant à lui, généralement mis en évidence dans des modèles mandant-‐mandataire (principal-‐agent en anglais) apparaît lorsqu’un agent le mandant (qui peut être un assureur, un employeur, ….) doit rémunérer un autre, le mandataire (un assuré, un salarié …) pour un action sur laquelle ce dernier dispose d’informations. Le risque est alors que le mandataire ne respecte pas son engagement : que l’assuré prenne des risques inutiles, que le salarié tire au flanc … Cela peut conduire, une fois de plus, à une situation inefficace au sens de Pareto, par exemple, lorsque la méfiance du mandant empêche les échanges d’avoir lieu. Après avoir modélisé ce type de phénomènes, les microéconomistes ont cherché, dans un but essentiellement normatif (puisqu’il s’agit de parvenir à une situation optimale au sens de Pareto), les différentes procédures incitant celui qui détient l’information à la révéler, dans le cas de l’anti-‐sélection, ou à agir de façon à maximiser le profit de celui qui ne l’a pas, dans le cas du risque moral.
Source : Nathalie Berta, « La microéconomie » in Les Cahiers Français n°345 Découverte de l’économie I, 2008
Document 55 : théorie de l’agence et relation actionnaires/dirigeants
Que faire pour s’assurer que les dirigeants ne se comportent pas de manière égoiste, mais qu’ils usent de leur pouvoir dans l’intérêt de leurs mandataires ? De très nombreux chercheurs se sont penchés sur les relations dites « d’agence » qui caractérisent le lien par lequel un acteur (le principal) engage un autre individu (l’agent) pour réaliser une tâche. Une telle relation est propice aux comportements opportunistes du fait des asymétries d’information. Comment contrôler un dirigeant quand on ne peut ni programmer à l’avance les tâches qu’il doit effectuer, ni même évaluer a posteriori l’effort qu’il a effectivement fourni ? pour résoudre ce problème, la théorie de l’agence formule deux séries de préconisations :
- la première consiste à créer des mécanismes de surveillance ou d’information. (…) Il faut faire en sorte que les dirigeants rendent plus systématiquement des comptes aux administrateurs et devant l’assemblée générale des actionnaires. (…) La surveillance peut enfin être complétée par d’autres moyens, par exemple, avec des professionnels de l’audit, dont l’indépendance est avérée.
- La seconde série de préconisations pour discipliner les dirigeants porte sur des mesures incitatives. Les rémunérations variables en fonction de la performance doivent permettre d’aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires et donc de limiter les divergences d’intérêt. Les stock-options (…) sont des titres distribués au sein d’une entreprise, qui donnent le droit d’acquérir une action pour un prix fixé d’avance (…). Elles permettent aux start-up de recruter les experts des grandes entreprises, malgré leur difficulté à verser des salaires au début et malgré les risques encourus.
Source : Blanche Segrestin et Armand Hatchuel Refonder l’entreprise, la République des idées, 2012, p.58
5.2.5 L’économie comportementale
Document 56 : l’importance des biais cognitifs dans les décisions des agents Voici comment Jean Tirole (Prix Nobel d’Economie 2014) dans Economie du Bien commun (2016) présente l’économie comportementale : « L’enseignement de l’économie repose souvent sur la théorie du choix rationnel. Pour décrire le comportement d’un agent économique, il part d’une description de son objectif. Que l’individu soit égoïste ou altruiste, avide de gain ou de reconnaissance sociale, ou qu’il soit porté par quelque autre ambition, dans tous les cas, il est supposé agir au mieux de son intérêt. Une
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hypothèse parfois trop forte, et pas seulement parce que l’individu ne dispose pas toujours de l’information pour faire le bon choix. Victime de biais cognitifs, il est susceptible de se tromper quand il évalue la manière de réaliser son objectif. Ces biais de raisonnement ou de perception sont légion. Ils n’invalident pas la théorie du choix rationnel comme définissant des choix normatifs (c’est-‐à-‐dire des choix que l’individu devrait faire au mieux pour son intérêt), mais expliquent pourquoi nous ne procédons pas nécessairement à ces choix. Nous utilisons des « heuristiques », c’est-‐à-‐dire des formes de raisonnement raccourci qui fournissent une ébauche de réponse à nos questions. (…) L’apport majeur des travaux Kahneman et Tversky (psychologues ayant reçu le prix Nobel d’Economie en 2002) est que ces heuristiques nous induisent souvent en erreur. » Ces travaux en économie sur les biais cognitifs font échos à ceux entrepris en sociologie par Gérald Bronner (L’Empire de l’erreur. Eléments de sociologie cognitive, 2007), ancien élève de Raymond Boudon.
Source : manuel ESH Studyrama
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6. La macroéconomie après 1945
6.1 Le keynésianisme de la synthèse et le modèle IS-LM
Document 57 : L’école de la synthèse Le fort impact des thèses développées par Keynes a crée une situation tout à fait nouvelle dans le monde de la théorie économique. (…) Keynes prétendait avoir élaboré la théorie générale d’une économie monétaire de production, dont la théorie classique (néoclassique) serait un cas particulier d’équilibre et de plein emploi. Or, un certain nombre d’ambiguïtés contenues dans le texte de Keynes, laissaient entrevoir la possibilité de construire une théorie macroéconomique dans laquelle pourraient être intégrées dans le corpus néoclassiques certaines innovations keynésiennes. La période étant riche de développements en matière d’économétrie, de formalisations comptables et mathématiques, on a pu assister à la construction de modèles qui ont formé la macroéconomie usuelle que l’on trouve dans les manuels aujourd’hui. Ces modèles se présentent comme des synthèses qui visent à intégrer certaines propositions de Keynes dans le cadre de la logique néoclassique. (…) Aussi lorsque l’on parle de déconfiture du keynésianisme c’est à l’insuffisance de ces représentations à expliquer les phénomènes économiques, et donc à préconiser des solutions efficaces que l’on fait le plus souvent allusion. Pour désigner les différents modèles qui sont nés de cette démarche synthétique, il est d’usage d’utiliser le vocable de synthèse classico-‐keynésienne. L’économie est en effet représentée comme un circuit keynésien dans lequel s’enchaînent les dépenses et les revenus, et dont l’équilibre est réalisé suivant un processus néoclassique d’interaction entre les différents marchés.
M. Montoussé et alii, Histoire de la pensée économique, coll. Amphi Economie, Bréal, 2008
Document 58 : Le modèle IS-‐LM Dès la fin des années 1930, les thèse défendues par Keynes dans la Théorie Générale ont donné lieu à de nombreuses interprétations (…). Beaucoup d’entre elles visaient à donner une représentation simplifiée du système économique. Il s’agissait d’associer dans un schéma unique et pédagogique, les grands principes de la théorie néoclassique et un certain nombre de concepts keynésiens qui n’étaient pas en contradiction à cette théorie. (…) La synthèse néoclassique est caractérisée par une démarche consistant à associer dans une même représentation, les marchés en interaction et le circuit du revenu. (…) Dans son article « Mr. Keynes and the classics : a suggested interpretation » (1937), J.R.Hicks se propose de confronter la théorie de Keynes à la théorie néoclassique. (…) Il construit deux courbes. La première appelée la courbe IS regroupe l’ensemble des valeurs du revenu national (Y) et du taux d’intérêt (r) (ie des couples (Y,i)) qui permettent l’égalité de l’épargne et de l’investissement sur le marché des biens et services. Pourquoi ? Ce marché est à l’équilibre si la demande globale est égale à l’offre globale. Or, la demande globale est égale à D= C+I, et l’offre globale est égale au revenu tiré de la production, Y= C+S. Donc à l’égalité de l’offre et de la demande globales sur le marché des biens et services, S=I. De quelles variables dépendent S et I ? S dépend du revenu, Y, et I dépend du taux d’intérêt, i. Il existe donc un ensemble de couples, associant un taux d’intérêt et un niveau de revenu, qui permet l’équilibre sur le marché des biens et services. Cette courbe IS est de pente négative : quand le taux d’intérêt baisse, l’investissement est stimulé, les flux d’investissement augmente entraînant un effet multiplicateur qui fait augmenter le revenu (de manière plus que proportionnelle), puis la consommation et l’épargne. La seconde courbe appelée LL par Hicks représente l’ensemble des couples, revenu et taux d’intérêt, qui assurent l’équilibre sur le marché de la monnaie, c’est-‐à-‐dire pour lesquels l’offre de monnaie est égale à la demande de monnaie. L’offre de monnaie est donnée (exogène), elle dépend des décisions de la banque centrale. La demande de monnaie est le fait des agents économiques. Cette demande dépend du revenu lorsque la monnaie est demandée pour motif de transaction et de précaution, et dépend du taux d’intérêt lorsque la monnaie est demandée pour motif de spéculation (les agents économiques doivent choisir entre détenir leur épargne sous forme liquide ou acheter des titres. Plus le taux d’intérêt est élevé, plus ils auront tendance à détenir de l’épargne sous forme de titres et la demande de monnaie pour motif de spéculation baissera). En simplifiant de manière extrême (c’est-‐à-‐dire en excluant la partie horizontale et la partie verticale de LL), la pente de la courbe LL est positive : un accroissement du revenu provoque une augmentation de la demande de monnaie (pour motif de transaction et spéculation) ce qui fait augmenter le taux d’intérêt. (…) Grâce à ces deux courbes, Hicks montre que le revenu et le taux d’intérêt d’équilibre sont déterminés ensemble et simultanément à l’intersection entre IS et LL. A partir de ce schéma, on peut analyser à la fois l’évolution du revenu et celle du taux d’intérêt.
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(…) Pour présenter la pensée de Keynes, (…) Hansen reprend le modèle de Hicks et apportera quelques aménagements et précisions qui aboutiront à la forme qui est reprise de nos jours sous la dénomination de modèle IS-‐LM.
D’après M. Montoussé et alii, Histoire de la pensée économique, coll. Amphi Economie, Bréal, 2008
Document 59 : Les comportements vis-‐à-‐vis de la monnaie et la détermination du taux de l’intérêt La demande de monnaie dépend donc du désir de conserver la monnaie comme intermédiaire des échanges, mais aussi comme moyen de transférer du pouvoir d’achat. Il y a en fait trois motifs distincts. Le motif de transaction répond à la nécessité de conserver de la monnaie pour combler l’intervalle de temps qui sépare les opérations d’encaissement et de décaissement des revenus. Au total, à court terme, le motif de transaction dépend essentiellement du revenu. Le motif de précaution procède, lui, du souci d’assurer une dépense soudaine ou imprévue, de l’espoir de profiter d’une aubaine, et d’assumer une obligation future stipulée en monnaie. (…) Pour l’essentiel, on peut supposer que l’encaisse de précaution est (…) aussi dépendante du revenu. Enfin, le motif de spéculation exprime à proprement parler la préférence pour la liquidité (…) et résulte de l’incertitude sur la valeur future du taux d’intérêt : les agents qui anticiperont une baisse des taux (et donc une hausse de la valeur des titres déjà émis à des taux plus élevés) préfèreront détenir leur richesse sous forme de titres ; à l’inverse, les « baissiers » (qui anticiperont une baisse de la valeur des titres car ils anticipent une hausse des taux) choisiront de conserver leur épargne sous forme de monnaie. Plus le taux courant sera élevé, plus le marché aura la chance d’être haussier et choisira prioritairement l’épargne financière ; plus les taux seront bas, plus le marché sera « baissier », et plus la demande de monnaie à des fins de spéculation sera élevée. La courbe de « préférence pour la liquidité » va alors être décroissante dans le plan (quantité de monnaie/taux d’intérêt). Dans un état donné de la confiance, la demande de monnaie est donc d’autant plus faible que le taux d’intérêt sur les titres est élevé, et inversement. Le taux d’intérêt apparaît bien comme la récompense de la renonciation à la liquidité : plus il s’élève, plus une part grandissante des agents est effectivement incitée à renoncer à la liquidité et à privilégier l’épargne financière. On comprend aussi que si la confiance se dégrade, et qu’en conséquence la préférence pour la liquidité s’accroît, les taux d’intérêt devront monter pour compenser cette défiance et maintenir le même niveau d’épargne financière. Au total la demande de monnaie peut s’écrire : M = L1(Y) + L2 (i) où L1(Y) est la demande d’encaisses « actives » répondant aux motifs de transaction et de précaution, et L2 (i) est la demande d’encaisses « oisives » répondant au motif de spéculation (préférence pour la liquidité) et fonction du taux d’intérêt monétaire (i). (…) Les deux demandes de monnaie ne sont pas confrontées à la même offre de monnaie. La demande d’encaisses actives est satisfaite (en particulier le motif d’ « entreprise ») par une monnaie de crédit, qui est essentiellement accommodante, et donc endogène (à un taux qui, lui, est exogène) : on ne peut pas alors parler de marché de la monnaie parce que offre et demande sont liées. La demande d’encaisses oisives peut, elle, être satisfaite (…) par la politique d’open market de la banque centrale, qui donne naissance à une offre de monnaie qu’il est effectivement possible de considérer comme « exogène ». On a donc bien là une offre et une demande qui peuvent être appréhendées séparément et dont la confrontation va être gouvernée par le taux de l’intérêt. C’est en ce sens que l’on peut dire que le taux de l’intérêt, prix de la renonciation à la liquidité, est déterminé pour Keynes sur un « marché de la monnaie », et non sur le marché du capital de prêt, qui n’existe pas. Le marché de la monnaie confronte une offre de monnaie exogène (banque centrale) et la demande nette d’encaisses oisives, et le taux d’intérêt équilibre la préférence collective pour la liquidité et la liquidité disponible (figure ci-‐contre) : On a M exogène = L2 (i)
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
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Document 60 « Si le taux d’intérêt augmente, le cours des obligations émises antérieurement (____________) parce qu’elles
rapportent un intérêt moins important que celui permis par les obligations actuellement émises. » « A contrario, si le taux d’intérêt baisse, le cours des obligations émises antérieurement (____________) parce qu’elles rapportent un intérêt plus important que celui permis par les obligations actuellement émises. »
Document 61 : Epargne et investissement chez Keynes L’épargne et l’investissement constituent une même réalité, observée de deux points de vue différents : l’une et l’autre sont la différence entre le revenu et la production d’un côté (S = Y – C), et d’un autre côté, le niveau de la consommation (I = Y – C). Puisqu’il en est ainsi, leur égalité comptable existe toujours. Donc ce que les hommes d’affaires investissent effectivement sera toujours égal à ce que les familles épargnent effectivement. Mais ce que les hommes d’affaires désirent investir, et ce que les familles désirent épargner est une toute autre affaire. Ces deux quantités peuvent être loin de l’égalité, auquel cas, il y aura une différence entre ce que les gens veulent faire et ce qu’ils réussissent à faire (I > S ou I < S). Si on se trouve, au point de départ, dans une situation où l’investissement et l’épargne désirés ne s’équilibrent pas, alors, selon Keynes, le revenu national se modifiera, et continuera à se modifier jusqu’à ce que cet équilibre soit atteint. Le processus d’égalisation de l’épargne et de l’investissement est assuré par le mécanisme du multiplicateur d’investissement. Imaginons un supplément d’investissement ΔI sans épargne préalable et donc financée par création monétaire, il s’ensuit un processus en chaîne de création du revenu dont le terme est atteint quand le montant d’épargne qu’il engendre finit par correspondre à ΔI. D’après Michael Stewart, Keynes, coll pojnts, Seuil, 1969 et Pascal Combemale, Introduction à Keynes, coll Repères,
La Découverte, 1999
Document 62 : IS-‐LM et l’interdépendance du marché des biens et services et du marché de la monnaie
Document 63 : IS-‐LM et les politiques de « fine tuning » L’équilibre du modèle IS-‐LM est obtenu à partir de la réalisation simultanée de l’équilibre sur le marché des biens et sur le marché de la monnaie. Les valeurs d’équilibre Y* et i* sont ainsi obtenues à l’intersection des courbes IS et LM. Ces valeurs d’équilibre (…) dépendent aussi des dépenses publiques et de l’offre de monnaie. Ces deux dernières variables peuvent donc être utilisées par les autorités en tant qu’instruments pour la politique économique. En ce sens, le modèle IS-‐LM sert de cadre de référence
Sur le marché des biens et services : Egalité entre Offre et Dde de B&S
La somme dépensée est égale à la somme des ………………… générés par la production : c’est
l’équilibre emplois-‐ressources
Sur le marché de la monnaie :
Egalité entre Offre et Demande de monnaie
L’offre de monnaie est ………… (fixée par la BC) La demande de monnaie dépend du revenu (motifs de ……………… et de
………………………) mais aussi du taux d’intérêt (motif de ……………………………..)
Demande de B&S (emplois) = C(…….) + I(……..)
Offre de bien et services = C(……) + S(………)
Pour un niveau de revenu donné, on peut déterminer un niveau de taux d’intérêt
Pour un niveau de taux d’intérêt donné, on peut déterminer un niveau de revenu
Obtenir un Y pour un taux d’intérêt donné Obtenir un taux d’intérêt pour un Y donné Les deux marchés sont simultanément à
…………………..
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pour l’étude des effets des politiques économiques, monétaires (déplacement de LM) ou budgétaires (déplacement de IS).
Valérie Mignon, La macroéconomie après Keynes, collection Repères, La Découverte, 2010
Document 64 : La courbe de Phillips : l’intégration du marché du travail Le modèle IS-‐LM fournit une compréhension de l’interdépendance entre le marché des biens et services et le marché de la monnaie. La courbe de Phillips rajoute au raisonnement le marché du travail. A l’origine, on trouve les travaux de Phillips (1958) qui mettent en relation l’évolution empirique du taux de salaire au Royaume-‐Uni et le taux de chômage. En 1959, P.Samuelson et R.Solow présentent une nouvelle formulation de la courbe de Phillips qui deviendra la relation de Phillips. Partant de l’idée qu’il existe une liaison directe entre l’évolution du taux de salaire et les prix (si les salaires augmentent plus vite que la productivité du travail alors l’inflation apparaît), ces deux auteurs vont modifier les termes de la courbe. Ils remplacent la variation du taux de salaire par le taux d’inflation et font apparaître une relation négative entre le taux de chômage et l’inflation. Cette présentation conduit à considérer qu’il existe une alternative « chômage-‐inflation » : pour obtenir moins de chômage, il faut le payer par plus d’inflation ; tandis que pour obtenir moins d’inflation, il faut le payer par plus de chômage. On appelle cela le « dilemme inflation-‐chômage ».
Document 65 : Les politiques de « stop and go » Le modèle IS-‐LM est surtout ses extensions ont constitué les outils incontournables de l’analyse et de la détermination des politiques économiques conjoncturelles, et ce, tout au long des années 1950 et 1960. Les politiques de stop and go sont mises en oeuvre (…). Le modèle (…) permet à l’autorité politique de régler finement l’activité économique par une séquence adaptée de décisions de politique budgétaire : lorsque le plein-‐emploi est atteint et que les tensions inflationnistes paraissent fortes, on décide du « stop », avec une réduction des déficits publics ; lorsqu’elle s’éloignent, on relance (go) pour recréer à nouveau des emplois, cette fois en creusant les déficits. L’intégration de la flexibilité des prix dans le modèle IS-‐LM avait l’immense avantage de reproduire parfaitement la courbe de Phillips que l’on pouvait observer statistiquement : c’est l’époque du dilemme « inflation-‐chômage » : la réduction du chômage s’associe nécessairement à de l’inflation, car c’est en jouant sur l’illusion monétaire des agents (les agents interprètent mal les signaux des prix et ne « voient » pas l’inflation quand leurs salaires nominaux augmentent) qu’on obtient une relance de l’activité.
Bruno Ventelou, « Nouveaux keynésiens, nouveaux classiques : vers une nouvelle synthèse ? » in Cahiers français n°363, 2011
Document 66 : La trappe à liquidité dans le modèle IS-‐LM
Keynes insiste (…) sur la nature psychologique et conventionnelle du taux de l’intérêt. Tout d’abord la demande de monnaie, si elle était une demande « traditionnelle » de marché, devrait être l’expression d’un comportement (mécanique, passif) associant une certaine quantité à un certain prix. Or, à partir du moment où l’accent est mis sur le rôle joué, dans la demande d’encaisses oisives, et donc dans la détermination du niveau de l’intérêt, sur le motif de spéculation, on comprend que la procédure de détermination de l’encaisse désirée ne va pas répondre typiquement à un comportement mécanique de marché (réaction passive à un prix annoncé), mais (…) apparaîtra bien davantage comme le résultat d’une procédure hors marché, qui fait intervenir l’environnement psychologique, les traditions, les routines. Le mécanisme de marché (confrontation d’une offre et d’une demande) n’intervient qu’en aval, et le taux de l’intérêt est pour l’essentiel un phénomène « hautement » psychologique, davantage qu’une variable d’ajustement marchand. D’autre part, alors que jusqu’ici nous avons supposé une certaine indépendance des opinions individuelles sur les taux de références, il est possible d’imaginer au contraire, suivant Keynes, qu’il existera, principalement en raison de l’incertitude radicale qui caractérise l’activité financière et de spéculation, une corrélation, pouvant être forte, entre ces représentations : une « convention » se formera alors sur un taux d’intérêt de référence, considéré alors comme « normal ». Dans ce cas, la politique monétaire aura toutes les difficultés à faire baisser les taux d’intérêt, venant buter sur la convention. C’est pourquoi Keynes accorde une grande importance à la structure de l’opinion : il oppose les opinions peu diversifiées (courbe de préférence pour la liquidité plate, comme aux Etats-‐Unis) qui font obstacle à ce que la banque centrale puisse agir efficacement sur le taux d’intérêt, aux opinions très diversifiées (courbe pentue comme au Royaume-‐Uni), où cette politique est possible :
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A la limite, si la convention est unanime sur le niveau que doit atteindre le taux de l’intérêt, alors la politique monétaire est totalement inefficace :
Le taux considéré comme normal par l’opinion finit toujours par s’imposer, reflétant une prophétie auto-‐réalisatrice : « Peut-‐être, au lieu de dire que le taux de l’intérêt est au plus haut degré un phénomène psychologique,
serait-‐il plus exact de dire qu’il est au plus haut degré un phénomène conventionnel, car sa valeur effective dépend dans une large mesure de sa valeur future telle que l’opinion dominante estime qu’on la prévoit. Un
taux d’intérêt quelconque que l’on accepte avec une foi suffisante en ses chances de durer durera effectivement. (Keynes, TG, 1936)
Pour notre propos, cela revient, d’une autre manière, à remettre en cause le caractère marchand du taux de l’intérêt, cette fois en raison du fait que c’est la demande qui est endogène à l’offre. Le mécanisme est en effet le suivant : la banque centrale augmente la masse monétaire pour baisser le taux d’intérêt. Celui-‐ci se retrouve dans une position telle qu’il est inférieur au taux conventionnellement jugé comme « normal ». Une grande partie de l’opinion (la totalité ?) anticipe donc une remontée prochaine des taux, et donc une baisse de la valeur des titres. Par conséquent, tous les agents augmenteront leur demande de monnaie et voudront liquider leurs titres : l’augmentation de l’offre de monnaie aura conduit à une hausse équivalente de la demande de monnaie. C’est évidemment là un exemple de « trappes à liquidités », à la différence près, mais essentielle, que dans l’esprit de Keynes, une telle situation peut intervenir, pourvu que les opinions aient tendance à se partager, quel que soit le niveau initial du taux de l’intérêt (pas uniquement donc dans des situations de dépression où le taux ne peut objectivement plus baisser). Finalement, on comprend que les mécanismes « marchands » sont un aspect tout à fait inessentiel dans la formation du taux de l’intérêt, qui se fixe essentiellement en raison de comportements non marchands et en référence à des variables psychologiques, qui jouent le rôle de paramètre du modèle. Pour ces raisons, il existe des difficultés rédhibitoires à baisser les taux d’intérêt1, et en particulier à accompagner, dans des situations de dépression, un éventuel effondrement de l’efficacité marginale du capital. Le plein-‐emploi par le soutien à l’investissement devra être recherché, dans ce cas, par d’autres moyens (socialisation de l’investissement sous la forme de politiques budgétaires expansionnistes).
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003 1Keynes suggère de procéder par une série de baisses successives du taux de l’intérêt pour accoutumer l’opinion à la possibilité d’une telle baisse. Mais il reste très circonspect sur les chances de réussite.
6.2 La théorie du déséquilibre
Document 67 : Une comparaison de la théorie du déséquilibre et de la théorie de l’équilibre général
La théorie du déséquilibre est apparue fin des années 1960-‐début des années 1970 avec les travaux de Clower, Leijonhufvud puis Benassy et Malinvaud. Le modèle néoclassique d’équilibre général walrassien décrit une économie centralisée : les échanges se déroulent dans une économie où les agents ne communiquent pas directement entre eux, mais par l’intermédiaire d’un commissaire-‐priseur qui centralise l’information. L’information, nécessaire
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à la production et à l’échange, est parfaite et est transmise à tous les agents par l’intermédiaire du système de prix. Afin de décrire le mécanisme qui conduit à l’équilibre sur l’ensemble des marchés, les néoclassiques, et en premier lieu Walras, ont introduit le processus de tâtonnement. Le tâtonnement est en quelque sorte une représentation idéalisée de la loi de l’offre et de la demande selon laquelle le prix d’un bien augmente lorsque la quantité demandée est supérieure à la quantité offerte et diminue dans le cas contraire. (…) Aucune transaction n’a lieu avant que les prix d’équilibre ne soient établis, le commissaire priseur n’autorisant les échanges qu’à l’équilibre. Dans ce système, les prix sont parfaitement flexibles. Le processus de tâtonnement a une durée très courte car les prix réagissent très vite aux situations de déséquilibre. L’équilibre que l’on obtient est un équilibre général de l’ensemble des marchés. La théorie du déséquilibre abandonne l’hypothèse d’information parfaite et de parfaite flexibilité des prix. Elle suppose que les prix sont rigides au moins à court terme. Par conséquent, le processus de tâtonnement conduisant à l’équilibre ne peut plus s’effectuer sur les prix, mais plutôt sur les quantités. Décrivons le mécanisme. Sur la base d’un vecteur prix donné, les agents maximisent leur fonction objectif (sous contrainte budgétaire ou technologique). Si les offres et les demandes ne s’équilibrent pas, il est impossible de procéder à un ajustement par les prix, ceux-‐ci étant supposés rigides. Vont en conséquence apparaître des déséquilibres. Ainsi, sur certains marchés, les agents pourront ne pas acheter ou vendre tout ce qu’ils désirent : ils sont rationnés. Ces rationnements prennent la forme de contraintes de quantités. Une fois ces contraintes perçues par les agents, ces derniers procèdent à de nouveaux calculs d’optimisation : ils maximisent leur fonction objectif, non seulement sous les contraintes budgétaires et technologiques usuelles, mais en intégrant également ces contraintes quantitatives dans leur programme d’optimisation. Si les offres et les demandes qui en résultent ne s’équilibrent pas, de nouvelles contraintes quantitatives vont s’imposer aux agents. Le processus s’arrête lorsque la nouvelle contrainte quantitative est identique à la contrainte de l’itération précédente. Le processus de tâtonnement ne s’effectue donc plus sur les prix mais sur les quantités. Bien entendu, ce processus ne conduit pas nécessairement à un équilibre sur tous les marchés, il existe des situations de déséquilibres : une différence fondamentale avec le modèle walrassien est qu’il se produit des échanges à des prix qui ne sont pas des prix d’équilibre concurrentiel. Il existe des interactions entre les différents marchés : les contraintes, les rationnements auxquels un agent est soumis sur un marché modifie son comportement sur les autres marchés. Tel est par exemple le cas d’un agent qui reporte la consommation qu’il n’a pas pu satisfaire sur le marché d’un produit substituable, aggravant ainsi le déséquilibre sur ce marché. Un autre exemple est celui d’un agent qui ne veut pas vendre (au prix affiché) tout ce qu’il désire d’un bien. Il va alors limiter ses achats d’autres biens et imposer des contraintes à ceux qui vendent ces biens. Ceux-‐ci vont à leur tour restreindre leurs achats et ainsi de suite. Il existe donc des effets de report des rationnements subis par les agents sur leurs offres et demandes. Les déséquilibres se propagent et se reportent d’un marché à l’autre, ils sont interdépendants.
D’après Valérie Mignon, La macroéconomie après Keynes, coll. Repères, La Découverte, 2010
Document 68 : Une typologie des déséquilibres Considérons une économie à deux marchés, le marché des biens et le marché du travail, et deux catégories d’agents, les consommateurs et les producteurs. Dans ce contexte, la théorie des déséquilibres met en évidence quatre configurations possibles de déséquilibre selon les contraintes subies par les agents sur les deux marchés. Chômage keynésien Cette situation apparaît lorsqu’il y a un excès d’offre sur le marché des biens et sur le marché du travail. Le producteur ne peut pas vendre tout ce qu’il souhaite, il est rationné sur le marché des biens. Le consommateur est rationné sur le marché du travail (il y a du chômage). Cette configuration correspond à une insuffisance de la demande de biens, insuffisance que les entreprises reportent sur le marché du travail. C’est en raison de l’insuffisance de la demande effective que cette situation porte le non de chômage keynésien. Chômage classique Cette configuration se caractérise par un excès de demande sur le marché des biens et un excès d’offre sur le marché du travail. Le consommateur est rationné sur les deux marchés, le producteur ne subit aucune contrainte. L’équipement des entreprises est doublement insuffisant : il ne permet pas de satisfaire la demande sur le marché des biens et il est trop restreint pour employer l’ensemble des
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travailleurs. Le chômage est dû à un salaire réel trop élevé qui dissuade les entreprises d’embaucher, ce qui explique la dénomination de chômage classique. Inflation contenue ou réprimée Il y a un excès de demande sur le marché des biens et sur le marché du travail : le producteur est rationné sur le marché du travail et le consommateur sur le marché des biens. C’est une situation caractérisée par une pénurie de travailleurs et une insuffisance des capacités de production. (…) Les économies à planification centralisée ont connu ce type de situation. Un excès de demande étant traditionnellement associé à une situation potentiellement inflationniste et sachant qu’une telle hausse ne peut se produire du fait de l’absence de flexibilité des prix, on comprend pourquoi on parle d’inflation contenue ou réprimée. Surcapitalisation ou sous-‐consommation Ce dernier cas est tel qu’il y a excès d’offre sur le marché des biens et excès de demande sur le marché du travail. Le producteur est rationné sur les deux marchés, le consommateur ne subit aucune contrainte. Cette configuration est en général ignorée car elle est fortement improbable. Elle renvoie en effet à une surproduction entraînant une baisse de l’investissement et des débouchés sur le marché des biens, alors même que l’économie connaîtrait une pénurie de travailleurs.
Valérie Mignon, La macroéconomie après Keynes, coll. Repères, La Découverte, 2010
6.3 Le monétarisme
Document 69 : M. Friedman, Inflation et systèmes monétaires, 1969 « L’inflation est comme l’alcoolisme. Lorsqu’un homme se livre à une beuverie, le soir-‐même cela lui fait du
bien. Ce n’est que le lendemain qu’il se sent mal »
Document 70 : La stagflation et la fin du dilemme inflation-‐chômage Graduellement, à partir des années soixante-‐dix, le keynésianisme de la synthèse est remis en question. La coexistence de taux d’inflation et de taux de chômage de plus en plus élevés remet en cause les certitudes associées à la courbe de Phillips et symbolise l’échec des politiques keynésiennes. A défaut d’explication, on crée un mot, stagflation. Et certains commencent à expliquer les difficultés de plus en plus graves des années soixante-‐dix par les effets secondaires de la dangereuse médecine keynésienne, source d’inflation.
M. Beaud, G. Dostaler, La pensée économique depuis Keynes
Document 71 : Création monétaire et inflation Pour M. Friedman, toute croissance de la quantité de monnaie supérieure à celle de la production est à moyen ou long terme source d’inflation. Or, l’inflation est le dérèglement économique le plus grave puisqu’elle remet en cause les fondements même de l’économie de marché : elle crée une situation où la valeur des avoirs devient instable, où le libre marché ne peut plus fonctionner efficacement et où l’économie manque de signaux crédibles. L’inflation fait obstacles à la flexibilité des prix et donc entrave le processus de régulation. Les agents économiques, anticipant l’évolution de l’inflation ou de la déflation, vont modifier leurs comportements de dépenses et vont ainsi influer sur les prix et sur les revenus réels. Plus fondamentalement, l’inflation, quand elle acquiert une dynamique cumulative sous la forme de l’hyperinflation dévalorise la monnaie, compromettant ainsi sa fonction essentielle de permettre l’échange sans passer par le troc. L’inflation résulte d’une augmentation trop forte de l’offre de monnaie ; c’est le gouvernement qui, en augmentant la quantité de monnaie plus rapidement que ne le requiert la hausse de la production, provoque l’inflation. L’augmentation de la quantité de monnaie peut créer à court terme les conditions d’une expansion économique et diminuer le chômage, mais elle est toujours source de dysfonctionnement à moyen et long terme lorsqu’elle dépasse l’augmentation de la production. Keynes affirmait que les salariés sont durablement victimes de l’illusion monétaire ; Friedman pense que cette illusion monétaire n’est que temporaire. Une augmentation de la quantité de monnaie induira une hausse des encaisses monétaires des individus ; si l’inflation n’est pas anticipée, les individus se sentiront plus riches et augmenteront leurs dépenses (d’une façon assez limitée car leur consommation dépend essentiellement de leur revenu permanent et non pas de leur revenu courant). Les entreprises augmenteront les salaires nominaux de façon à pouvoir embaucher davantage et produire davantage de façon à être en mesure de répondre à la hausse de la demande. Les salariés, victimes d’une illusion monétaire temporaire, acceptent de travailler davantage. La production et l’emploi ont donc augmenté ; l’augmentation de la masse monétaire a eu des effets réels sur l’économie. Mais rapidement les individus
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se rendent comptent que les prix ont augmenté et donc que ni leurs encaisses réelles ni leurs salaires réels ne se sont accrus. A ce moment, ils adaptent leurs comportements au nouveau système de prix : les dépenses et l’offre de travail reviennent à leur niveau initial. L’hypothèse de Friedman est que l’inflation anticipée ne s’adapte que graduellement à l’inflation réelle ; il utilise le terme d’anticipations adaptatives. Friedman affirme : « je ne pense pas qu’il y ait à choisir entre l’inflation et le chômage. Le problème se pose entre l’aggravation de l’inflation et le chômage, ce qui signifie que le véritable enjeu est de savoir si l’on préfère le chômage tout de suite ou plus tard ». La monnaie étant nocive, il faut la neutraliser. La politique monétaire ne doit pas être un instrument de lutte contre le chômage, mais elle doit être un instrument de neutralisation de la monnaie. Il faut donc contrôler strictement la croissance de la masse monétaire afin qu’elle soit égale à l’augmentation de la production. Si la stabilité des prix est assurée par la politique monétaire, l’efficacité des marchés est restaurée et indirectement les performances économiques s’améliorent.
Marc Montoussé, Les nouvelles théories économiques, coll. Thèmes et débats, Bréal, 2002
Document 72 : Le chômage naturel La somme des chômages frictionnel, structurel et classique constitue le chômage naturel au sens de Friedman. Ce chômage naturel exprime bien un déséquilibre entre l’offre et la demande de travail mais, si rien n’est fait du côté de la politique économique, le taux de chômage effectif tend vers le taux de chômage naturel. On retrouve ici une conception de l’équilibre en tant qu’état de repos d’un marché. Dans cette perspective, le taux de chômage naturel devient un taux de chômage d’équilibre. Ce taux de chômage d’équilibre est variable d’une société à l’autre, mais, partout en occident, à partir de la fin des années 1960, il progresse. Ce taux est variable compte tenu des différences d’une société à l’autre dans l’information disponible sur les emplois, compte tenu des différences dans la mobilité du facteur travail mais aussi compte tenu des différences dans les rigidités institutionnelles du marché du travail, rigidités qui entravent la baisse des salaires et l’autorégulation des marchés. Ce taux s’accroît depuis la fin des années 1960 pour deux raisons :
- l’augmentation du niveau de vie et des allocations chômage contribuent à accroître le temps de recherche d’un emploi ;
- les rigidités institutionnelles du marché du travail empêchent dans les années 1970 une baisse des salaires dans une période où les gains de productivité du travail ralentissent considérablement.
Pour réduire ce taux de chômage d’équilibre, la politique économique doit être de type structurelle. Il s’agit de réduire toutes les formes de rigidités institutionnelles du marché du travail et cette action doit être menée systématiquement sur la base d’une stratégie à moyen terme. Toutes politiques conjoncturelles de relance de la demande ne peut sous certaines hypothèses, en particulier celle de l’illusion monétaire, que faire passer provisoirement le taux de chômage effectif en dessous de son niveau d’équilibre. Si c’est le cas, on constate alors une accélération de la croissance des salaires et de l’inflation. La courbe de Phillips est, à long terme, verticale : une politique monétaire destinée à stimuler la demande effective ne peut donc avoir d’effet réel sur l’économie qu’à court terme, au prix d’une augmentation de l’inflation. A long terme, les agents s’adaptent et l’économie se retrouve au taux de chômage naturel.
D’après Jean-‐François Renaud, Cours de Master – Théories macroéconomiques et politiques économiques, 2004
Document 73 : De la distinction « politiques conjoncturelle/structurelle » à la distinction « politiques discrétionnaires/de règle »
La définition de la politique conjoncturelle n’est pas consensuelle. On peut considérer que la politique conjoncturelle est une politique menée sur le court terme ou bien considérer qu’elle est une politique agissant sur des variables économiques (contrairement à la politique structurelle qui agit sur des données économiques, comme par exemple les réglementations ou les infrastructures). Durant les trente glorieuses et jusqu’à la fin des années 1970, le problème de définition ne se posait pas car toutes les politiques agissant sur des variables économiques (croissance de la production, niveau des prix, niveau de l’emploi) n’étaient menées que sur le court terme. Depuis le début des années 1980, sous l’impulsion des monétaristes, des politiques monétaires restrictives ont été mises en œuvre (la politique de désinflation compétitive en France par exemple). Ces politiques agissent sur des variables de l’économie, mais sont menées de façon durable. Sont-‐ce des politiques conjoncturelles ou structurelles ? De plus en plus, on utilise une autre distinction : les politiques discrétionnaires sont des politiques menées sur le court terme et les politiques de règle sont des politiques durables qui assurent une certaine cohérence temporelle et donc une crédibilité. Les monétaristes (et les nouveaux économistes classiques) s’opposent
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à la mise en œuvre de politiques discrétionnaires et n’acceptent que des politiques de règle. Selon Friedman, l’inflation est toujours due à une augmentation trop forte de la quantité de monnaie par rapport à la production. La tâche de l’Etat est de lutter contre l’inflation. La lutte contre l’inflation passe forcément par une réduction de la création monétaire qui est coûteuse en termes d’emploi et de croissance. Friedman compare l’inflation à l’alcoolisme. Elle dope la croissance à court terme, mais elle nécessite par la suite une cure de désintoxication ou d’assainissement qui est difficile et coûteuse, mais nécessaire pour repartir sur de bonnes bases. (…) Le délai entre les variations de la masse monétaire et celles de l’inflation est assez long. Toute politique discrétionnaire de court terme est donc déstabilisante. Friedman affirme que les autorités monétaires doivent mener avec détermination une politique de règle fixant un taux fixe de croissance de la quantité de monnaie en accord avec le taux de croissance à long terme de l’économie. (…) Il faut adopter des politiques de règle, c’est-‐à-‐dire des politiques stables sur le long terme.
Marc Montoussé, Les nouvelles théories économiques, coll. Thèmes et débats, Bréal, 2002
6.4 La nouvelle économie classique
Document 74 : John Muth (1930-‐2005) « Je suggérerais que les anticipations, puisqu’elles sont des prévisions informées des événements futurs, sont
essentiellement identiques aux prévisions de la théorie économique pertinente »
Document 75 : l’hypothèse d’anticipations rationnelles L’hypothèse d’anticipations rationnelles est une conséquence extrême de l’hypothèse de rationalité qui définit, chez les néoclassiques, l’agent économique. Celui-‐ci est en effet décrit comme un centre de décision qui adapte les moyens dont il dispose aux objectifs qu’il poursuit (maximisation sous contrainte) ; pour cela, il tient compte des effet prévisibles de ses actions, modulés par des influences extérieures. Pour déterminer son comportement, l’agent doit, en particulier, anticiper les états futurs de son environnement et l’évolution des déterminants de ses choix : contraintes, représentations, préférences. Pour ce faire, il s’appuie sur une représentation plus ou moins élaborée du système dans lequel il est inséré. En l’occurrence, il y a, grossièrement, deux hypothèses majeures concernant les anticipations :
- les anticipations peuvent être considérées comme autorégressives : la représentation de la détermination d’une variable est dans ce cas très simple, puisqu’elle repose sur les seules valeurs passées de cette variable ;
- les anticipations peuvent être rationnelles : la représentation de la variable à anticiper est alors déduite d’une spécification correcte du fonctionnement de l’ensemble du système économique dans lequel elle s’insère incluant l’effet de l’anticipation elle-même.
La théorie des anticipation rationnelles trouve son origine dans un article de J. Muth (1961) (…). Elle doit au départ être interprétée comme une réaction de rejet vis-‐à-‐vis des modèles purement auto-‐régressifs (ndlr : anticipations extrapolatives et adaptatives). Ces modèles conduisent en effet, sous certaines conditions, à des biais systématiques difficiles à admettre. Par exemple, le modèle adaptatif simple appliqué à une économie où le taux d’inflation croît continument conduit à des anticipations inflationnistes systématiquement biaisées, qui sous-‐évaluent l’inflation effective. L’hypothèse d’anticipations rationnelles comprend deux aspects :
- Les agents exploitent l’information de façon rationnelle, c’est-à-dire qu’ils forment leurs anticipations à partir de l’information disponible et avantageuse. Il est avantageux d’utiliser une information si son rendement marginal est supérieur ou égal au coût marginal de son acquisition. Sous cet angle, la théorie des anticipations rationnelles étend à l’information l’application du principe d’économicité de la microéconomie traditionnelle.
- L’information disponible et avantageuse pour l’anticipation de la grandeur (X) n’a pas de raison de se limiter aux valeurs courantes et passées de (X). Le projet n’est pas formé uniquement à partir de la mémoire. En fait, souligne J. Muth, l’individu recourt à la « théorie économique pertinente » pour fonder ses anticipations. L’expression précédente est ambiguë, puisqu’elle laisse supposer que, à un moment donné, une théorie économique puisse être, relativement aux autres théories, qualifiée de « pertinente » et qu’elle est parfaitement connue par l’ensemble des individus. (…)
L’hypothèse d’anticipations rationnelles (…) consiste donc finalement à supposer que l’agent adopte comme représentation du système, dont il anticipe le fonctionnement, celle du modélisateur. Une incertitude peut certes être introduite dans l’analyse (ce qui distingue en fait les anticipations
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rationnelles des anticipations parfaites), mais cette incertitude est probabilisable ; surtout ces probabilités imaginées par les agents sont celles auxquelles obéissent effectivement les phénomènes. Les anticipations rationnelles ne sont donc réalisées qu’en moyenne (statistique) et non parfaitement, mais la dynamique du système est prévisible, à des aléas exogènes près (au bout du compte, les anticipations rationnelles sont parfaites, à un aléa imprévisible près. Il y a ainsi une liaison entre les croyances des agents économiques et le véritable comportement stochastique du système : c’est là l’essence de la démarche des anticipations rationnelles.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
Document 76 : La critique de Lucas Selon Lucas (1976), la majorité des relations figurant dans les grands modèles macroéconométriques d’inspiration keynésienne n’ont aucun fondement microéconomique comme la courbe de Phillips. Ainsi, de tels modèles ne prennent pas en compte, ou alors de manière très imparfaite la manière dont les agents économiques forment leurs anticipations. Or les décisions qui déterminent la plupart des variables macroéconomiques, tels la consommation, l’investissement ou la production, dépendent de manière décisive des anticipations sur l’évolution future de l’économie. En outre, la plupart des interventions de politique économique modifient la façon dont les individus forment leurs anticipations. Mais les grands modèles macroéconométriques n’intègrent pas ces modifications dans la formation des anticipations. Sous l’hypothèse d’anticipations rationnelles, Lucas montre au contraire que ces individus tiennent compte dans leurs prévisions des mesures annoncées de politique économique et se comportent de telle sorte que les effets attendus ne se réalisent pas. Il en résulte que les grands modèles macroéconométriques, dont les paramètres sont estimés à partir d’observations passées, ne peuvent pas servir à prévoir les conséquences des mesures de politiques économique. La critique de Lucas comporte ainsi deux grandes parties : 1) elle suggère qu’une politique monétaire active est inefficace au sens où elle n’a pas d’effet réel positif, et 2) elle donne une explication possible, fondée sur la rationalité des anticipations des agents, de la mauvaise qualité des prévisions issues des grands modèles macroéconométriques. Concernant ce second point, quelques précisions méritent d’être mentionnées. En formulant cette critique, Lucas s’attaque en réalité à la pratique économétrique qui prévaut à l’époque. La manière communément employée pour prévoir une variable consiste à estimer une équation décrivant l’évolution de cette variable sur le passé et à utiliser une telle relation pour effectuer les prévisions. Une telle pratique repose évidemment sur une hypothèse implicite de stabilité de la relation estimée. Selon Lucas, cette hypothèse ne peut être retenue dans la mesure où, l’environnement économique évoluant, le comportement des agents se modifie également. En conséquence, les équations de comportement figurant dans les grands modèles macroéconométriques ne peuvent être considérées comme stables, ce qui expliquerait le faible pouvoir prédictif de tels modèles : « Etant donné que la structure d’un modèle économétrique se compose des règles de décisions optimales des agents économiques et que les règles de décision varient systématiquement lorsque se modifie le type de séries pertinent pour le décideur, il s’en suit que toute modification de la politique altérera systématiquement la structure des modèles économétriques (…) ».
Valérie Mignon, La macroéconomie après Keynes, coll. Repères, La Découverte, 2010
Document 77 : Anticipations rationnelles et impact des politiques budgétaires En 1974, Robert Barro a entrepris de réhabiliter le principe d’équivalence (ou encore « principe de neutralité de la dette publique »), dont la « découverte » est attribuée généralement à David Ricardo. Selon ce principe, une réduction d’impôt financée par émission d’emprunts publics nouveaux (une politique fiscale expansionniste) n’affecte pas la demande de consommation des agents, et ce malgré l’accroissement du revenu disponible qui en résulte. Les impôts et la dette publique sont équivalents. La raison tient au caractère rationnel des anticipations individuelles. Les dettes d’aujourd’hui (…) sont les impôts de demain (toutes choses égales par ailleurs, et afin de satisfaire la contrainte budgétaire intertemporelle de l’Etat). La valeur actualisée de ces impôts futurs égale la valeur présente des impôts évités, ce qui laisse invariant le revenu permanent et la contrainte budgétaire intertemporelle des agents privés. Ces agents n’ont donc aucune raison de modifier leur profil intertemporel de consommation. Ce qui importe vraiment, c’est le montant de dépenses publiques, charges que l’économie doit assumer de toute manière, sous une forme ou sous une autre. Sauf à supposer une forme « d’illusion budgétaire » des agents, la politique fiscale n’aura aucun impact. Seule la réduction des dépenses publiques est susceptible de relancer la consommation (ce qui revient à réduire
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l’effet d’éviction). Il faut donc porter davantage attention aux dépenses publiques et à l’éviction qu’elles produisent que de débattre des modalités de leur financement. Ainsi, si le principe d’équivalence a surtout été présenté pour étudier l’effet d’une substitution de la dette à l’impôt, à dépenses publiques constantes, il peut évidemment être utilisé pour étudier l’impact d’une augmentation des dépenses financées par l’emprunt. Au titre de la théorie du revenu permanent, on comprend (…) que si la hausse des dépenses publiques est considérée comme permanente, les agents, puisque les dépenses se traduiront par un flux ininterrompu de nouveaux prélèvements, vont réviser à la baisse leur revenu net permanent d’un même montant, quel que soit le moment de l’imposition dans le cycle de vie ; ils réduiront en conséquence leur consommation d’un même montant en valeur actualisée : cette baisse de la consommation privée compensera exactement la hausse des dépenses publiques, et la politique budgétaire aura été totalement inefficace sur le niveau du produit global.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
Document 78 : L’importance de la crédibilité dans le cadre de la NEC Dans l’optique des nouveaux classiques, puisque les agents sont réputés munis d’anticipations rationnelles, le coût réel de la désinflation devrait être nul, puisque toute politique monétaire systématique (et une politique de désinflation en est une) est anticipée parfaitement : seuls les chocs aléatoires ne peuvent être anticipés. L’économie devrait donc directement passer d’un équilibre de long terme C à un équilibre de long terme O, sans qu’aucun coût ne soit subi, puisqu’aucun arbitrage inflation/chômage n’existe jamais, y compris à court terme (contrairement à l’optique monétariste). Pourtant, les faits stylisés, si chers aux nouveaux classiques, démontrent l’inverse : les politiques de désinflation s’accompagnent d’une élévation du chômage. L’explication possible de ce phénomène, tout en demeurant dans le cadre du modèle de la nouvelle école classique, consiste à passer d’un jeu statique à un jeu dynamique de politique économique. Le « jeu » démarre par une annonce de politique économique (par exemple une annonce d’engagement désinflationniste) ; puis les agents privés « jouent » en adaptant ou non leurs anticipations de prix : si l’annonce est jugée « crédible » ; ils ajustent en conséquence leurs anticipations de prix, rendant possible une baisse de l’inflation sans coût. S’ils se défient de l’annonce, ils ne modifient pas leurs anticipations, et la désinflation est mise en échec, à moins de tolérer un coût réel en termes de chômage. Le coût réel de la désinflation est lié à un défaut de crédibilité. A son tour ce défaut tient à ce que ce sont les autorités qui « jouent » le dernier coup : une fois les anticipations ajustées (ou non), les autorités mettent en œuvre leur politique annoncée, ou ne le font pas ! C’est le fait qu’elles puissent « tricher » et ne pas respecter leur engagement qui crée la défiance des agents privés et retarde l’ajustement des anticipations, induisant un éventuel coût à la mise en œuvre effective de la désinflation. Bref, le coût réel de la désinflation existe lorsque des autorités, pourtant sincères, ne sont pas crédibles : elles doivent accepter un coût à court terme pour témoigner de leur bonne foi et gagner en crédibilité. La mise en œuvre formelle de cette idée a été opérée à partir du traitement par Kydland et Prescott des problèmes « d’incohérence temporelle » (« Rules Rather than Discretion, The Inconsistency of Optimal Plans », 1977) (…) : une politique optimale en (t) est temporellement incohérente si une réoptimisation en (t + n) implique une politique optimale différente.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, 2ème cycle universitaire, Bréal, 2003
6.5 Les économistes de l’offre : une critique radicale de l’intervention économique de l’Etat
Document 79 : Les économistes de l’offre Ce que l’on appelle « économie de l’offre » est un mouvement de pensée plus circonscrit (que les monétaristes) associé aux changements de politique économique américaine sous la présidence Reagan. Avant d’être élu président des Etats-‐Unis, Reagan a été gouverneur de Californie. Un mouvement populaire de révolte contre l’impôt soutenu par des économistes (…) a abouti à une réduction importante des taxes sur la propriété. Cette fronde des payeurs de taxes s’est étendue aux Etats-‐Unis. (…) La courbe de Laffer cherche à illustrer le fait que le rendement de l’impôt augmente puis diminue au fur et à mesure que la pression fiscale augmente. Des impôts sur le revenu et sur le profit trop élevés
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découragent l’initiative, l’épargne, l’investissement et l’effort productif. Une fiscalité trop oppressante provoque l’émergence et l’extension d’une économie souterraine, comme la prolifération d’emplois exclusivement liés à la tentative d’échapper à l’impôt. Les économistes de l’offre proposent une réduction importante de l’impôt direct et une atténuation sensible de son caractère progressif, puisque ce sont les riches qui épargnent le plus et donc investissent le plus. Pour appuyer leur argumentation, les économistes de l’offre se réclament de la loi des débouchés énoncée en 1803 par J.B. Say, en vertu de laquelle l’offre globale crée sa demande, de sorte que tout déséquilibre macroéconomique, en particulier l’existence de chômage, ne peut naître que de chocs exogènes ou du mauvais fonctionnement des marchés. Les solutions keynésiennes de stimulation de la demande sont non seulement inefficaces, mais elles peuvent même avoir des effets inverses de celui recherché. (…) Le problème fondamental n’est pas pour eux l’inflation, mais une stagnation de la production causée en grande partie par un système fiscal qui détruit l’initiative et provoque des distorsions dans les prix relatifs, et donc dans les décisions, au niveau de la production, dans l’offre des facteurs de production et plus généralement des ressources d’une communauté. La réduction de la fiscalité doit être accompagnée d’une diminution des dépenses de l’Etat. Comme tous les courants d’opposition au keynésianisme fondé sur la foi dans la stabilité inhérente des économies de marché, l’économie de l’offre croit à l’existence de l’effet d’éviction que Keynes avait combattue au tournant des années trente, en vertu de laquelle les dépenses gouvernementales détournent des fonds autrement disponibles pour le secteur privé. Il faut dégager des ressources nécessaires à la relance de la production en les détournant d’un Etat-‐providence omniprésent. Cela rend nécessaire la réduction de toutes les dépenses sociales de l’Etat. (…) Gilder écrit que l’aide aux chômeurs, aux divorcés, aux déviants, aux prodigues ne peut que les inciter à se multiplier et constitue ainsi une menace d’éclatement de la société : « la sécurité sociale érode maintenant le travail et la famille et maintient ainsi les pauvres dans la pauvreté ».
Michel Beaud et Gilles Dostaler, La pensée économique depuis Keynes, Seuil, 1996
6.6 L’école du public choice : une critique radicale de l’Etat bienveillant
Document 78 : L’école du Public Choice La théorie des choix publics essentiellement présentée par G. Tullock et J. Buchanan considère qu’il faut appliquer les règles d’étude de la sphère économique marchande à la sphère économique non marchande. Les individus rationnels et optimisateurs lorsqu’il s’agit de la production et de la consommation de biens marchands ne deviennent pas inintéressés et irrationnels dès qu’il s’agit de sphère non marchande. Ainsi, sur le marché politique se rencontrent des offreurs et des demandeurs. Les offreurs sont les hommes politiques et les bureaucrates. Ils cherchent, comme tout agent économique rationnel, à maximiser leur utilité. Les hommes politiques, pour se faire élire ou réélire, auront tendance à satisfaire leur électorat ou du moins les groupes de pression les plus puissants. Cela conduira inévitablement à une augmentation des dépenses. Les bureaucrates fonctionnaires qui maximisent aussi leurs préférences voudront essayer d’empêcher toute diminution de budget ; ils ont un poids électoral considérable qu’ils utilisent dans le sens d’une augmentation des dépenses de l’Etat.
Marc Montoussé, Nouvelles théories économiques, collection Thèmes et débats, Bréal, 2002
6.7 La nouvelle économie keynésienne (NEK)
Document 80 : La nouvelle économie keynésienne La nouvelle économie keynésienne est née dans les années 1980 en réaction à la nouvelle économie classique. Pour les nouveaux économistes keynésiens, les individus sont rationnels, mais des déséquilibres existent et se propagent car les marchés ne peuvent s’autoréguler, essentiellement du fait de la viscosité (rigidité) des prix et des salaires. La nouvelle économie keynésienne n’est pas un courant unifié, mais ses principaux animateurs (Akerlof, Mankiw, Yellen, Phelps, …) s’accordent sur deux points fondamentaux : la monnaie n’est pas neutre et les imperfections des marchés expliquent les fluctuations. La parenté avec Keynes est souvent lointaine, car ces économistes s’opposent à des interventions trop rigoureuses (et systématique) de l’Etat, parce qu’ils ne considèrent pas que les salariés sont victimes de l’illusion monétaire et parce qu’ils ne fondent pas leur théorie sur le principe de la demande effective. En revanche, ils considèrent comme Keynes, que le chômage involontaire existe et que les forces du marché n’assurent ni l’équilibre, ni l’optimum. (…) La nouvelle macroéconomie keynésienne est (…) par certains
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aspects plus proche de la nouvelle économie classique et par certains autres plus proche de la macroéconomie keynésienne traditionnelle :
- comme Keynes et contrairement aux nouveaux classiques, elle considère que la monnaie n’est pas neutre ;
- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que les agents économiques sont rationnels ;
- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que le niveau de production est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés (des biens et des services) ;
- contrairement à Keynes et comme la nouvelle macroéconomie classique, elle considère que le niveau de l’emploi est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande sur le marché du travail ;
- comme Keynes et contrairement aux nouveaux classiques, elle considère que le chômage involontaire est possible ;
- elle s’oppose moins systématiquement aux politiques conjoncturelles que la nouvelle macroéconomie néoclassique mais ne les préconise pas autant que la macroéconomie keynésienne traditionnelle.
Marc Montoussé, Nouvelles théories économiques, collection Thèmes et débats, Bréal, 2002 Document 81 : La rigidité des prix à l’origine de situations de déséquilibres et de la non neutralité
de la monnaie De nombreux modèles de la nouvelle économie keynésienne présentent la rigidité des prix comme l’explication de la non-‐neutralité de la monnaie et du non ajustement continu des marchés. Pour les nouveaux économistes keynésiens, tous les marchés ne sont pas des marchés à des prix flexibles ; la plupart des marchés fonctionnent imparfaitement. Les entreprises évoluent dans un contexte de concurrence imparfaite ; elles sont donc plus souvent des « price makers » que des « prices takers ». De plus, elles ne réagissent pas spontanément, par une variation de leurs prix, à des modifications de la demande ou de la fonction d’offre. Dans un marché en concurrence pure et parfaite, chaque entreprise est sûre de pouvoir vendre la totalité de sa production au prix du marché. Si elle opte pour un prix plus élevé, elle ne vend rien, et il serait illogique de vendre à un prix plus bas que celui du marché puisque à ce prix elle peut écouler la totalité de sa production. Dans ce cadre, les entreprises sont des « price takers » qui vendent leurs produits au prix du marché. Au contraire dans une situation de concurrence imparfaite, lorsque la demande diminue, le maintien du prix antérieur n’entraîne pas la chute complète des ventes et donc du profit. La réduction du profit n’est que de second ordre ; s’il existe des coûts de changement de prix, appelés généralement coûts d’étiquette (impression de nouveaux catalogues, renégociation des contrats…), l’entreprise peut préférer maintenir les prix antérieurs. Cette rigidité des prix joue aussi bien à la hausse qu’à la baisse. L’entreprise en situation de concurrence imparfaite ne sera donc amenée à modifier ses prix que lorsque le manque à gagner sera supérieur au coût de modification du prix. Modéré au niveau microéconomique, l’impact de cette viscosité des prix peut être important au niveau macroéconomique et contribuer à déséquilibrer des marchés. Certains nouveaux économistes keynésiens rappellent que chaque entreprise de taille appréciable est liée à des centaines d’autres entreprises (clients et fournisseurs), dont certaines sont situées à l’étranger, avec lesquelles elles effectuent des transactions concernant des centaines de produit (les biens intermédiaires, par exemple). Dans ce cadre, les coûts de transaction sont considérables et contribuent à la rigidité des prix. D’autre part, en raison de leur interdépendance, les entreprises ont tendance à attendre les réactions de leurs partenaires avant de modifier leurs prix. Ainsi, une baisse de prix pour répondre à un choc de demande peut se révéler très dangereuse si les entreprises fournisseurs ne baissent pas elles-‐mêmes leurs prix. Par manque de coordination, chaque entreprise a donc tendance à attendre le dernier moment pour modifier son prix ; l’agrégation de ces différents comportements microéconomiques provoquent des rigidités macroéconomiques importantes. (…) Certains marchés sont des marchés de clientèle. Il s’agit de marchés sur lesquels les achats sont répétitifs ; c’est par exemple le cas des achats de biens alimentaires. Les offreurs sont en concurrence, mais les consommateurs sont habitués à leur fournisseur. Toute augmentation de prix incite les clients à comparer avec les concurrents, et toute diminution des prix n’attire que lentement les clients fidèles à d’autres fournisseurs. On comprend donc que sur ces marchés de clientèle, les prix ne s’ajustent que très lentement.
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Pour touts ces raisons, les prix ne s’ajustent pas parfaitement et les marchés peuvent être durablement en déséquilibre. La monnaie n’est pas neutre. En effet, en raison de leurs rigidités, les prix n’absorbent pas immédiatement les variations de la quantité de monnaie. Lorsque les prix sont rigides, une augmentation de la quantité de monnaie permet d’augmenter la demande et une diminution de la quantité de monnaie contribue à la récession.
Marc Montoussé, Nouvelles théories économiques, collection Thèmes et Débats, Bréal, 2002
Document 82 : Risque, incertitude et viscosité/rigidité des prix Le risque et l’information imparfaite peuvent expliquer la lenteur des ajustements de prix (…). Sur des marchés de concurrence parfaite, les entreprises considèrent les prix comme des données. En concurrence imparfaite, au contraire, elles exercent un certain contrôle sur les prix des biens qu’elles produisent. En revanche, elles ignorent en grande partie les conséquences des variations de prix. Quand une entreprise baisse son prix, ses ventes peuvent aussi bien augmenter que diminuer selon la réaction des autres entreprises et clients. Si les concurrents réagissent en abaissant leurs prix, l’entreprise risque de ne pas obtenir certaines parts de marché. La baisse des prix conduira alors à un effondrement de ses bénéfices. Si les concurrents ne réagissent pas, l’entreprise a des chances d’obtenir un avantage concurrentiel. Mais les clients ont aussi un comportement qui peut être imprévisible. Ils peuvent estimer que cette baisse des prix en préfigure d’autres et décider de reporter leurs achats en attendant que les prix diminuent encore plus. Ainsi une baisse des prix peut provoquer une diminution des ventes. L’incertitude liée aux changements de prix est souvent beaucoup plus importante que celle qui concerne les variations de la production et de l’emploi. Quand une entreprise ralentit son rythme de production, sous réserve qu’elle ne le fasse pas de façon trop radicale, son seul risque est de voir ses stocks devenir anormalement bas si ses ventes se révèlent supérieures à ses prévisions. Dans ce cas, il lui suffira d’augmenter à nouveau sa production. Aussi longtemps que les coûts de production varient peu dans le temps, le risque pris par cette entreprise est donc faible. Comme les entreprises n’ont pas de goût particulier pour le risque, elles évitent de trop modifier leurs prix (…). Elles acceptent plus volontiers des changements relativement importants dans les quantités – en matière de production et d’emploi. Il en résulte une certaine rigidité dans les prix.
Joseph Stiglitz, Principes d’économie moderne, Coll Ouvertures économiques, De Boeck, 2007 (3ème édition) p.611
Document 83 : le chômage involontaire
Les nouveaux économistes keynésiens considèrent comme les économistes classiques, que le niveau de l’emploi est déterminé sur le marché du travail, mais en revanche ils affirment que cela n’exclut pas le chômage involontaire car des rigidités salariales nuisent à l’ajustement du marché (…). Les salaires ne sont pas négociés au jour le jour en fonction du marché, mais ils le sont pour une période déterminée. Ainsi des contrats de travail signés pour un certain laps de temps créent des rigidités importantes. Ce point met en cause la théorie de Lucas qui considère que tous les prix, y compris celui du travail, peuvent être instantanément modifiés. Même si les anticipations sont rationnelles et que les individus, en cas de hausse des prix, souhaitent des augmentations de salaires nominaux, ils n’ont souvent pas la possibilité de les exiger. De même, un excédent de la demande de travail par rapport à l’offre de travail n’induit pas automatiquement une hausse du salaire réel. L’existence de contrat de travail nuit donc à l’ajustement de marché. (…) Le marché du travail peut être en déséquilibre et donc (…) le chômage peut être involontaire. La nouvelle macroéconomie keynésienne s’accorde avec la nouvelle macroéconomie classique pour affirmer que le niveau de l’emploi est déterminé par le marché du travail et avec la macroéconomie keynésienne traditionnelle pour reconnaître la possibilité du chômage involontaire.
Marc Montoussé, Nouvelles théories économiques, collection Thèmes et débats, Bréal, 2002 p.59-‐60
Document 84: le chômage involontaire Les modèles de salaire d’efficience s’intéressent à la production de rigidités réelles du salaire dans le cadre de la politique rationnelle de gestion des ressources humaines des firmes oeuvrant dans un contexte d’information imparfaite. Ils expliquent qu’il peut être dans l’intérêt des firmes de maintenir des salaires réels élevés, et de ne pas les baisser en période de chômage, en raison de ce que la productivité des salariés n’est pas indépendante de leur rémunération : des salaires élevés rendraient efficients les salariés, et il serait donc rationnel pour les firmes de les maintenir. (…)
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Pour quelles raisons l’effort serait-‐il relié positivement au salaire réel ? Quatre explications principales ont été proposées. Selon Salop (1979), une élévation du salaire réel réduit le turnover de la main d’oeuvre et augmente par conséquent la performance collective de la firme (…). Pour Akerlof (1982), la meilleure performance des salariés bien rémunérés serait liée à une logique du « don contre don » : une bonne rémunération serait interprétée par le salarié comme le fait que son employeur a pour lui de la considération, et serait interprété comme un acte de justice ; en contrepartie, le salarié « jouerait le jeu » en fournissant un effort maximal pour exprimer à son tour sa gratitude. Une baisse des salaires pourrait au contraire avoir des effets inverses : il est donc rationnel pour la firme de maintenir des salaires réels élevés, même en présence de chômage qui pourrait lui permettre de les réduire. Pour Weiss (1980), dans le cadre d’un modèle de sélection adverse, une baisse des salaires, toutes choses égales par ailleurs, conduit progressivement la firme à ne plus attirer que les salariés les moins efficients et à voir les « meilleurs » rechercher ailleurs des rémunérations plus en accord avec leurs performances. L’hypothèse implicite est ici que le niveau de productivité des salariés n’est pas directement observable par la firme, et n’est connu que par le salarié lui-‐même (asymétrie d’informations). Cette hypothèse est également au cœur des modèles dits du « tire au flanc » (Shapiro et Stiglitz – 1984) qui formalisent, dans ce contexte d’asymétries d’informations, une relation du type principal (la firme) – agent (le salarié). L’idée est que le salarié est porté à réduire autant que possible son effort au travail, de manière à maximiser son utilité instantanée (il est porté à « tirer au flanc »). Il ne sert à rien pour la firme d’engager des actions systématiques de surveillance, puisqu’elles sont coûteuses et qu’en tout état de cause la probabilité de prendre le « tire au flanc » sur le fait est (faible). Il est donc préférable pour la firme de rechercher et de payer le salaire d’efficience, c’est-‐à-‐dire le salaire qui incitera le travailleur à ne pas tricher. Celui-‐ci, en effet, soucieux de son utilité instantanée, n’en est pas moins engagé dans la résolution d’un programme d’optimisation intertemporelle. Il va alors comparer l’intérêt de deux stratégies : i) soit ne pas tricher et fournir l’effort requis (ce qui est coûteux), et avoir alors la garantie de rester embauché dans le futur ; ii) soit tricher (et ne pas acquitter aujourd’hui le coût de l’effort au travail), mais courir alors le risque de se faire prendre et d’être licencié. Le problème de la firme est donc de déterminer le salaire qui incitera le travailleur-‐type à fournir l’effort attendu. Pour cela, elle le rémunèrera au dessus du salaire de marché. Le « tire au flanc » bénéficiera d’une rente qui l’incitera à travailler, mais qui aura comme contrepartie un salaire réel trop élevé, et donc l’apparition de chômage involontaire.
Christophe Lavialle, Macroéconomie approfondie, coll. Amphi Economie, Bréal, 2003 p.211-‐213
Document 85 : le rationnement du crédit Le prix est un signal de la qualité. Lorsqu’il ne peut plus jouer ce signal, l’information devient biaisée. On utilise le terme de sélection adverse ou d’anti-‐sélection pour montrer que l’agent victime de manques d’information risque de sélectionner uniquement les mauvais produits. (…) Stiglitz et Weiss décrivent en 1981 les effets de l’asymétrie d’information sur le marché du crédit. Le banquier, prêteur sur le marché du crédit, ne connaît qu’imparfaitement les risques afférents aux prêts qu’il accorde. En revanche, les emprunteurs connaissent parfaitement la probabilité de réussite de leur projet. Il y a donc une asymétrie d’information qui va provoquer une anti-‐sélection. Les banques fixent un taux d’intérêt assez élevé pour leur permettre de se couvrir de la probabilité de tomber sur de « mauvais emprunteurs », mais ces taux risquent de faire fuir les « bons emprunteurs » qui mériteraient des taux d’intérêt plus faibles. Comme les emprunteurs risqués ont une demande de crédit moins élastique au taux d’intérêt, la banque sélectionne involontairement les emprunteurs risqués et se voit dans l’obligation d’augmenter encore ses taux. Il existe un seuil au-‐dessus duquel l’augmentation du risque est plus forte que l’augmentation du taux. Les intermédiaires renoncent à augmenter leur taux d’intérêt au-‐delà. Non seulement, les emprunteurs à faible risque n’ont pas pu trouver le moyen de financer leurs projets, mais tous les emprunteurs à haut risque n’ont pas réussi à se faire financer car le crédit a été rationné : le marché s’est clos sans être soldé (égalité entre l’offre et la demande).
Marc Montoussé, Nouvelles théories économiques, collection Thèmes et débats, Bréal, 2002 p.35-‐36
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Document 86 : La politique économique préconisée par les néokeynésiens De façon générale, dans les modèles de la nouvelle économie keynésienne reposant sur l’hypothèse d’ajustement lent des prix et/ou des salaires, l’hypothèse de neutralité de la monnaie tombe et la politique monétaire retrouve alors son efficacité. Même si les économistes de la nouvelle économie keynésienne prônent l’intervention de l’Etat pour pallier les défaillances du marché, notamment dans les périodes de récession, ils ne préconisent pas un type de politique particulier, valable quelles que soient les circonstances. Ainsi que le résume très clairement Stiglitz (1993), « des circonstances économiques changeantes requièrent une politique économique souple, et il est impossible de dire d’avance quelles seront les politiques appropriées. (…) Les nouveaux économistes keynésiens pensent également qu’il est impossible de concevoir des normes fixes dans une économie en évolution rapide. » En résumé, selon la nouvelle économie keynésienne, du fait des inerties empêchant un fonctionnement optimal des marchés, les interventions de politique économique, même si elles ne peuvent pas être clairement définies, sont nécessaires.
Valérie Mignon, La macroéconomie après Keynes, coll. Repères, La Découverte, 2010 p.100-‐101
6.8 Les post-keynésiens : renouer avec l’esprit du chapitre 12 de La Théorie Générale
Document 87
Les post-‐keynésiens reprennent les éléments de John Maynard Keynes qui ont disparu dans l’école de la synthèse et qui en faisaient une critique radicale des néoclassiques. Tout d’abord, l’univers dans lequel les agents prennent leurs décisions est marqué par l’incertitude. Cela nécessite de reprendre la question de la préférence pour la liquidité et donc de souligner le caractère monétaire de toute économie capitaliste. Pour Hyman Minsky, Can it happen again ? (1982), l’incertitude agit sur la confiance que les agents ont dans l’avenir et elle permet de comprendre que le financement de l’économie est intrinsèquement instable. En phase de croissance, l’incertitude recule (période d’euphorie), les agents pratiquent un financement à la Ponzi : les engagements (principal + intérêts) ne sont pas remboursés par les profits, mais par de nouveaux emprunts car les prêteurs considèrent que le risque de remboursement ultérieur est faible et les emprunteurs anticipent un effet de levier futur. Dès que les perspectives de croissance sont remises en cause, le retournement s’opère, les agents manifestent une préférence pour la liquidité accrue qui bloque l’investissement malgré la baisse des taux d’intérêt (l’économie tombe dans la trappe à la liquidité), le recul de l’activité réduit les revenus des agents alors que leurs dettes ne baissent pas. Leur ratio d’endettement augmente et ils cherchent alors à se désendetter, ce qui accentue la chute des prix et les faillites.
6.9 Une macroéconomie comparative et historique 6.9.1 Institutions, incitations et croissance
Document 88 : La définition des institutions par Douglass North (Prix Nobel 1993)
Les institutions sont les contraintes humaines qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales. Elles consistent à la fois en des contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes de conduite), et de règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété). A travers l’Histoire, les institutions ont été conçues par les être humains pour réduire l’incertitude dans les échanges. Avec les contraintes habituelles de l’économie, elles définissent l’ensemble des choix possibles, et, ainsi, elles déterminent les coûts de transaction et de production, donc la profitabilité et la faisabilité de l’entrée dans l’activité économique. Elles évoluent par incrémentation, reliant le passé avec le présent et le futur. En conséquence, l’Histoire est largement une histoire de l’évolution institutionnelle dans laquelle les performances économiques des économies ne peuvent être comprises que comme partie d’une histoire séquentielle. Les institutions fournissent la structure des incitations d’une économie. Au fur et à mesure que cette structure évolue, elle détermine l’orientation du changement économique : vers la croissance, la stagnation ou le déclin.
Douglas North, « Institutions » in Journal of Economic Perspectives, volume 5, 1991
Document 89 : quelles sont les « bonnes » institutions ? Certaines sociétés sont dotées de bonnes institutions qui encouragent l’investissement dans l’équipement, le capital humain et les technologies performantes et, en conséquence, ces sociétés prospèrent d’un point de vue économique.
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De bonnes institutions présentent trois caractéristiques : - en garantissant le respect des droits de propriété à une grande partie de la population, elles
incitent une large palette d’individus à investir et participer à la vie économique; - en limitant l’action des élites, des politiciens et autres groupes puissants, elles les empêchent
de s’approprier les revenus ou investissements d’autrui ou de fausser les règles du jeu ; - et en promouvant l’égalité des chances pour de vastes pans de la société, elles encouragent
l’investissement, notamment dans le capital humain, et la participation à la production économique.
Le passé et le présent montrent que, dans de nombreux pays, ces conditions ne sont pas réunies : l’Etat de droit ne règne que de manière sélective; les droits de propriété sont inexistants pour la grande majorité des citoyens; les élites jouissent d’un pouvoir politique et économique illimité, et seule une petite fraction de la population accède à l’éducation, au crédit et aux activités productives.
Daron Acemoglu, « Causes profondes de la pauvreté » in FMI, Finances et développement, Juin 2003 Document 90 : Institutions inclusives versus institutions extractives (Daron Acemoglu et James
Robinson) Dans les pays dotés d’institutions inclusives, l’Etat de droit est assuré et l’exercice du pouvoir est encadré par la loi. Un Etat fort assure l’ordre et garantit la sécurité juridique et les médias sont libres de s’exprimer. Les droits de la propriété sont garantis et les membres de toutes les classes sociales peuvent exploiter les opportunités économiques. Ainsi, les institutions économiques inclusives permettent aux individus de choisir les activités qui correspondent le mieux à leurs talents et à leurs goûts. Les institutions inclusives sont indispensables pour permettre la croissance économique et le développement, mais, inversement, le développement ne conduit pas nécessairement à la mise en place d’institutions inclusives. Les institutions extractives sont des institutions qui permettent à une minorité de capter à son profit une partie des revenus et de la richesse produit par une autre partie de la société. Dans ce type de société, la faiblesse des incitations économiques et la résistance des élites au changement freine le progrès économique. La croissance économique peut néanmoins exister dans le cas où les élites allouent des ressources directement à des activités productives qu’elles contrôlent, comme en témoigne l’exemple de l’Union soviétique. Mais la croissance économique ne peut être durable en raison de l’inexistence de progrès technologiques et des rivalités existant entre les différents groupes qui cherchent à prendre le contrôle de l’Etat et à capter la rente. Les tensions et l’instabilité politique caractérisent l’histoire des pays dotés de ce type d’institutions. Les auteurs reconnaissent que dans un pays des institutions politiques extractives peuvent coexister avec des institutions économiques complètement ou partiellement inclusives, comme c’est le cas en Chine aujourd’hui. Mais ce type de système se révèle instable et incapable de connaître une croissance économique à long terme. Dans le cadre de cette analyse, le principal obstacle à l’adoption de politiques visant à améliorer le fonctionnement de l’économie et à encourager la croissance économique réside dans le système d’incitations et de contraintes dans lequel évoluent les hommes politiques. Ainsi, l’échec des politiques de développement économique menées dans les PED s’explique par l’absence de réflexion sur les causes de l’existence d’institution très anciennes et défavorables à la croissance économique. Les auteurs estiment que la mise en place d’institutions politiques et économiques inclusives est la condition préalable indispensable à la réussite des politiques économiques de développement et d’assainissement économiques. Si ces institutions inclusives n’existent pas, les politiques recommandées par le FMI et la Banque mondiale notamment, de libéralisation de l’économie, de privatisation ou de rigueur budgétaires sont vouées à l’échec. Charles du Granrut, « Institutions et progrès des nations » in Problèmes économiques n°3116, septembre
2015 p.30-‐31
6.9.2 Variété des capitalismes
Document 91 L’école de la régulation (Robert Boyer, Michel Aglietta) propose d’étudier les différents régimes du capitalisme à travers des formes institutionnelles et des modes de régulation autour de la problématique du partage des revenus (influence des post-‐keynésiens) et de la relation capital-‐travail (influence Marx).
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Les institutions sont également perçues comme le résultat de conflits politiques institutionnalisés. L’accumulation s’inscrit dans un « régime d’accumulation » qui dépend de deux rapports fondamentaux :
- le rapport marchand entre producteurs ; - le rapport salarial entre capitalistes et salariés.
De ces rapports découlent des formes institutionnelles (historiquement construites et interdépendantes – qui sont des compromis institutionnalisés) représentant cinq domaines (les formes de la concurrence, de la monnaie, de l’Etat, du rapport salarial et de l’insertion dans l’économie mondiale), qui produisent des « modes de régulation ». Dans une perspective historique de long terme on distingue ainsi deux grandes modes de régulation, le mode de régulation concurrentiel (1850-‐1913) et le mode de régulation monopoliste (période des trente glorieuses). Par exemple, le régime d’accumulation fordiste repose sur les formes institutionnelles suivantes : économie fermée, régime monétaire fondé sur le crédit, organisation du travail tayloro-‐fordiste, partage des gains de productivité, extension de la consommation de masse, développement de l’Etat social, marchés en concurrence oligopolistique.
Document 92 : Les différents types de crise dans la théorie de la régulation Dans Économie politique des capitalismes (2015), Robert Boyer pose la question suivante : « Pourquoi les crises du capitalisme se succèdent-‐elles et ne sont pourtant pas la répétition des mêmes enchaînements ? » Sa réponse est que « toute société a les crises qui correspondent à sa structure […]. Les crises se suivent mais ne se ressemblent pas. » Le capitalisme évolue donc au cours du temps mais il peut également être différent dans l’espace. Le capitalisme en Chine aujourd’hui n’est pas le même qu’aux États-‐Unis. On distingue la notion de mode de régulation et celle de régime de régulation. Le mode de régulation peut se définir comme le cadre institutionnel dans lequel les agents coordonnent leurs décisions. La notion de régime de régulation est plus dynamique, elle renvoie à la capacité du mode de régulation à fonctionner sur le long terme et à produire de l’accumulation et de la croissance économique. On observe alors différents types de crises :
• celles qui ne touchent ni le mode de régulation, ni le régime d’accumulation. Par exemple, une crise peut tout d’abord provenir d’un choc exogène (un conflit international, un événement climatique) qui affecte temporairement le fonctionnement de l’économie ce que Robert Boyer nomme des crises « de premier type ». La crise peut être aussi la conséquence d’une activité économique cyclique mais ce cycle peut être une caractéristique du mode de régulation ; dans ce cas, le retournement du cycle produit bien une crise, mais pour autant, cette crise ne remet pas en cause la viabilité du mode de production. Il s’agit d’« une crise dans la régulation, c’est-à-dire surmontable sans altération des formes institutionnelles ni intervention politique exceptionnelle ». C’est par exemple le cas des cycles des affaires du 19ème siècle ou des cycles de stop-and-go durant les années 1950-1960 ;
• celles qui touchent le mode de régulation. C’est le cas lorsque le mode de régulation est « incapable d’engendrer un retournement de la récession vers la reprise ». Le fonctionnement « normal » du mode de régulation ne lui permet pas de trouver une réponse aux problèmes posés par ces crises. Par exemple durant les années 1920, le fonctionnement du mode de régulation concurrentiel s’appuie sur une formation des salaires qui ne permet pas de faire émerger une consommation de masse, tandis que les conditions de l’accumulation du capital orientent la production vers la production de masse. Il en ressort un hiatus entre la production (trop importante) et la consommation (trop faible), que le mode de production concurrentiel ne peut résoudre. À partir du milieu des années 1990, l’économie japonaise n’arrive plus à sortir d’une longue période de stagnation, et parfois même de recul de l’activité. Les modalités de fixation des salaires poussent les entreprises à les compresser pour restaurer leurs marges dans un contexte de déflation, mais cette compression des salaires se traduit par la faiblesse du pouvoir d’achat des salariés qui alimente la spirale déflationniste ;
• celles qui touchent le régime d’accumulation. Lorsque le mode de régulation est attaqué par des crises qui prennent naissance dans ses propres contradictions, le régime d’accumulation n’est plus en mesure d’assurer la croissance sur le long terme et entre en crise : incapable de créer une consommation de masse, le régime de régulation concurrentiel disparaît avec la crise des années 1920-1930. Incapable de gérer la question de l’inflation, le régime fordiste disparaît avec la stagflation des années 1970 ;
• celles qui ont une portée encore plus générale et remettent en cause le mode de production. Une crise peut en effet être celle du mode de production. Par exemple, l’effondrement des économies soviétiques vient des échecs des réformes menées par le président Gorbatchev qui ont conduit à la remise en cause
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de deux fondements du régime soviétique : tout d’abord, la propriété collective des moyens de production et la gestion de l’économie par le Gosplan, ensuite l’exclusivité de la représentation politique par le parti communiste.
Manuel ESH ECE1, Studyrama, 2017
Document 93 : Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme (1991) L’idée des variétés nationales du capitalisme fut lancée par Michel Albert dans son best-‐seller Capitalisme contre capitalisme (Seuil, 1991). Selon Michel Albert, il existe deux variantes fondamentales : le modèle germano-‐japonais et le modèle anglo-‐américain. A l’époque, les entreprises allemandes et japonaises semblaient mieux réussir que celles des Etats-‐Unis, et le livre proposait plusieurs explications : la vision à long terme des chefs d’entreprise et des investisseurs allemands et japonais, contrairement aux investissements britanniques et américains qui se concentrent sur les résultats trimestriels et les bénéfices à court terme ; l’existence dans ces pays d’une main d’oeuvre volontaire et très qualifiée et d’une coopération entre travailleurs et détenteurs du capital ; leur capacité à produire des biens diversifiés et de grande qualité, à l’inverse de la standardisation et de la production de masse américaines. Le ciment qui fait tenir un système économique de type germano-‐japonais, c’est la solidarité sociale qui permet des relations de confiance et à long terme. Les licenciements sont rares, du fait de la force des syndicats allemands et de l’embauche à vie dans les grandes entreprises japonaises. Dans ces pays, les employés passent toute leur carrière dans la même entreprise, ce qui crée un vif sentiment d’appartenance et de loyauté envers la firme. Aux Etats-‐Unis et en Grande-‐Bretagne, Michel Albert perçoit au contraire les marchés et les relations contractuelles comme les institutions centrales de l’économie. Dans ce modèle anglo-‐américain, les investisseurs et les chefs d’entreprise ont une vision à court terme ; le marché du travail est flexible, on change souvent d’emploi ; le système éducatif est mal relié au monde de l’entreprise ; le système de production, assez rigide, fonctionne mieux pour les séries longues que pour une production de niche ; le marché des actions ordinaires et le capital-‐risque orientent les ressources vers les activités nouvelles ; les inégalités sociales sont fortes. Ce sont des pays qui excellent dans l’innovation et qui excellent dans l’innovation et où les ruptures sont bien acceptées par le public. Entre les pays, il existe bien sûr d’innombrables différences liées à la culture, aux traditions historiques, au système juridique et aux choix politiques. Nombre de ces différences on sans doute une influence sur les activités économiques. Mais comme celle de Michel Albert, la plupart des théories fondées sur les variétés nationales du capitalisme débouchent sur un nombre réduit de catégories fondamentales. Il existe une quantité limitée de problèmes de coordination liés à la gestion d’une économie capitaliste et une quantité plus limitée encore de solutions institutionnelles efficaces. Toutes les économies avancées ont besoin de répartir les ressources entre ouvriers, patrons et investisseurs, d’organiser la production, la R&D, de former la main d’oeuvre, d’encourager l’innovation, de financer l’investissement.
Suzanne Berger, Made in Monde Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, édition Points, 2013 (2005) p.58-‐60
Document 94 : Peter Hall et David Soskice, Varieties of capitalism (2001)
Dans la même veine que Michel Albert, les professeurs d’économie politique Peter Hall (Harvard) et David Soskice (Duke) décrivent deux approches fondamentales : les économies de marché libéral, comme la Grande-‐Bretagne et les Etats-‐Unis, où l’attribution et la coordination des ressources se font surtout par les marchés, et les économies de marché coordonné, où la négociation, les relations à long terme et d’autres mécanismes non liés au marché permettent de résoudre les principaux problèmes. Hall et Soskice montrent que, dans ces économies, les entreprises sont dotées de forces et de faiblesses très différentes. Les firmes allemandes comme Siemens ou BMW sont nées dans un environnement déterminé : des institutions qui donnent à la main d’oeuvre un rôle important dans la gestion des entreprises ; de bonnes relations entre travailleurs et détenteurs du capital qui sont considérées comme essentielles pour les stratégies et les opérations de la firme ; des institutions financières qui fournissent des fonds par l’intermédiaire des banques plutôt que par l’intermédiaire de la Bourse et sont donc moins soucieuses de retours rapides sur investissement ; une formation professionnelle solide qui unit écoles et entreprises pour créer une main d’oeuvre très qualifiée. Les entreprises américaines voient le jour dans un monde où le capital vient du capital-‐risque, puis de la Bourse ; où les ouvriers sont formés par l’école et non par l’entreprise ; où les nouvelles
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compétences viennent du recrutement de nouveaux employés et non de la reconversion des anciens employés ; où les relations entre le personnel et la direction sont souvent tendues. Parce que des institutions différentes induisent des comportements différents, une firme allemande et une firme américaine ont de grandes chances de s’organiser différemment, même lorsqu’elles opèrent au sein du même secteur, avec les mêmes technologies pour fabriquer les mêmes produits. Hall et Soskice prévoient que les entreprises ne réagiront pas de la même façon à la mondialisation selon qu’elles appartiennent à une économie de marché libéral ou une économie de marché coordonné. Les institutions de chaque pays suscitent des comportements différents au niveau microéconomique de la firme, parce que les ressources et le degré de compétitivité diffèrent. Selon ce modèle, quand les entreprises de plusieurs pays entrent en concurrence au sein d’une économie internationale ouverte, elles tentent d’exploiter leurs forces spécifiques. Si elles ont besoin d’acquérir des compétences qu’elles ne peuvent créer à l’intérieur de leur propre système, elles peuvent les acheter à l’étranger, par la sous-‐traitance ou l’investissement direct. Par exemple, si les entreprises pharmaceutiques allemandes excellent en matière d’innovations dans les processus de fabrication, mais pas dans la recherche fondamentale, ou si la législation allemande limite la recherche biotech sur les modifications génétiques, les Allemands installeront leurs laboratoires aux Etats-‐Unis et auront ainsi accès aux ressources qu’ils peuvent créer dans leur pays. Selon le modèle des variétés nationales, la mondialisation provoque une concurrence dont les différences nationales sortent préservées, voire renforcées. Loin de forcer l’entreprise allemande à évoluer selon la même trajectoire que son homologue américaine, comme le voudraient les tenants de la convergence, le modèle des variétés nationales prévoit que la mondialisation incitera les entreprises allemandes à se spécialiser dans les technologies et les activités de production où elles se distinguent. La mondialisation devrait donc maintenir et même accroître la divergence, chaque société voulant tirer profit de ses forces propres. Originaires de nations dotées d’un capitalisme de marché coordonné, les entreprises allemandes et japonaises tirent la plupart de leurs ressources de leurs relations avec la main d’oeuvre, le gouvernement et les banques de leur pays. La formation, la R&D, la négociation sociale avec les travailleurs et le financement par les banques sont autant de fruits de leur implantation géographique. Puisque ces ressources nationales ne se trouvent pas à l’étranger, ces entreprises sont réticentes à délocaliser. Quand elles le font, elles se substituent parfois aux institutions manquantes en créant à l’étranger une organisation tout à fait différente. Au Japon, Toyota à l’habitude de n’accorder de promotions qu’aux cadres qui ont gravi toute la hiérarchie, mais aux Etats-‐Unis, l’entreprise a appris à recruter des responsables recrutés sur le marché du travail. Par contraste, les firmes américaines et britanniques sont depuis toujours habituées à acheter leurs ressources sur le marché : elles engagent du personnel doté de nouvelles compétences plutôt que de former leurs anciens employés ; elles cherchent de nouveaux financements sur le marché plutôt que par l’intermédiaire de relations anciennes avec les banques ; elles ont recours au marché du capital-‐risque pour soutenir l’innovation dans les start-‐up plutôt que de développer en leur propre sein de nouveaux produits et de nouveaux processus. Moins dépendantes de leurs relations avec les institutions nationales pour leurs actifs vitaux, plus assurées dans leur utilisation du marché pour se procurer les ressources nécessaires, les entreprises des économies de marché libéral sont parées pour le monde de la fragmentation et de la sous-‐traitance.
Suzanne Berger, Made in Monde Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, édition Points, 2013 (2005) p.60-‐63
Document 95 : Bruno Amable, Les cinq capitalismes, 2005 On peut distinguer cinq types idéaux de capitalisme différant par les institutions présentes dans les domaines de la concurrence sur le marché de produits, du marché du travail et la relation d’emploi, de la protection sociale, du système éducatif et du système financier (…). La concurrence joue un rôle central dans le modèle néolibéral. Sur les marchés de produits, elle rend les firmes plus sensibles aux chocs macroéconomiques, qui ne peuvent être entièrement absorbés par des ajustements de prix et impliquent donc des ajustements en quantité. Ce type d’ajustement va concerner notamment l’emploi. Le maintien de la profitabilité implique donc de pouvoir licencier facilement une main d’oeuvre devenue excédentaire. La flexibilité de l’emploi permet des réactions rapides aux conditions changeantes du marché. Le développement des marchés financiers, c’est-‐à-‐dire un mode de financement plus « liquide » que la finance intermédiée (les banques), contribue aussi à cette exigence des firmes de s’adapter à un environnement compétitif changeant. On retrouve des complémentarités d’un autre ordre dans le(s) modèle(s) européen(s). Dans le modèle social démocrate, les exigences de flexibilité sont satisfaites à l’aide de mécanismes qui ne
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reposent pas, ou pas entièrement, sur la régulation marchande. Une forte pression de la concurrence extérieure exige une certaine flexibilité de la main d’oeuvre, mais celle-‐ci n’est pas obtenue par des licenciements. La protection des salariés est assurée par un mélange de protection légale de l’emploi, modérée mais réelle, et par un haut niveau de protection sociale. Cette protection des travailleurs agit comme une incitation à investir dans la formation et plus généralement dans tous les éléments qui valorisent la relation d’emploi. La compétitivité des firmes repose alors en partie sur cette relation stable. Par ailleurs, un système de négociations salariales coordonnées conduit à un faible écart de salaires et donc de faibles inégalités de revenu, ce qui baisse le coût relatif du travail qualifié et favorise l’innovation et la recherche de la productivité. Le modèle européen continental est par certains points proches de ce modèle, mais se caractérise par une protection de l’emploi plus forte et une protection sociale moins développée. Un système financier centralisé facilite l’élaboration des stratégies à long terme pour les entreprises. Les négociations salariales sont coordonnées et une politique de salaire fondée sur la solidarité est développée, mais à un degré moindre que dans les pays nordiques. Le modèle méditerranéen est, pour sa part, caractérisé par une protection sociale sensiblement plus faible mais un plus haut niveau de réglementation des marchés du travail et des biens et services produits. Enfin, le modèle asiatique repose sur une complémentarité entre des marchés relativement réglementés, une faible protection sociale et un système financier orienté vers les relations de long terme entre banques et entreprises. Ce modèle donne un rôle central à la grande firme, à la fois pour la formation de la main d’oeuvre et pour la progression dans leur carrière des individus.
Bruno Amable, « Les spécificités nationales du capitalisme » in Cahiers Français n°349 Mars Avril 2009 p.58-‐59 Capitalisme fondé
sur le marché Capitalisme
social-démocrate Capitalisme
asiatique Capitalisme
européen continental
Capitalisme méditerranéen
Concurrence sur les
marchés des produits
Importance de la concurrence par les prix ; Etat neutre ;
ouverture internationale à la
concurrence
Importance de la concurrence par la
qualité ; engagement fort de l’Etat ; ouverture internationale à la
concurrence
Importance de la concurrence par les prix et la qualité ;
engagement fort de l’Etat ; forte
protection par rapport à la concurrence
internationale ; importances des
grandes entreprises
Concurrence plus sur la qualité que les prix ;
engagement des autorités publiques ; protection faible par
rapport à la concurrence internationale
Concurrence plus sur les prix que la
qualité ; engagement de
l’Etat ; protection modérée par rapport à la concurrence
internationale ; importance des
petites entreprises
Rapport salarial
Protection de l’emploi faible ;
flexibilité externe ; négociation salariale
décentralisée
Protection de l’emploi modérée ;
négociation salariale centralisée
ou coordonnée
Forte protection de l’emploi dans la
grande firme flexibilité externe
limitée ; négociation
salariale décentralisée
Forte protection de l’emploi ; flexibilité
externe limitée, négociation salariale
coordonnée
Haute protection de l’emploi (grandes
firmes) ; une frange flexible d’emploi ;
négociation salariale centralisée
Secteur financier
Forte protection des actionnaires
minoritaires ; faible concentration de la
propriété ; importance des investisseurs
institutionnels ; marchés financiers
très développés
Forte concentration de la propriété ; importance des banques ; faible
développement des marchés financiers
Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte
concentration de la propriété ;
concentration des banques ; très faible développement des marchés financiers
Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte concentration de la propriété ; importance des banques ; faible développement des marchés financiers
Protection faible des actionnaires extérieurs ; forte
concentration de la propriété ; forte
concentration des banques ; très
faibles développement des marchés financiers
Protection sociale
Protection sociale faible ; participation
faible de l’Etat ; dépenses dirigées
vers le soulagement de la pauvreté ;
retraite par capitalisation
Haut niveau de protection sociale ; forte participation de l’Etat ; grande importance de la protection sociale
pour la société
Faible niveau de protection sociale ; dépenses dirigées
vers le soulagement de la pauvreté
Haut niveau de protection sociale
fondée sur l’emploi ; engagement de l’Etat ; système de retraites par
répartition
Niveau modéré de protection sociale ; dépenses dirigées
vers le soulagement de la pauvreté et vers les
retraites ; fort engagement de
l’Etat
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Education
Dépenses publiques faibles ; système d’enseignement supérieur très compétitif ;
enseignement secondaire
hétérogène ; accent sur les compétences
générales
Haut niveau de dépenses
publiques ; accent sur la qualité de
l’enseignement pré-universitaire ;
importance de la formation
professionnelle ; accent sur les compétences spécifiques
Faible niveau de dépenses
publiques ; accent sur la qualité de l’enseignement
secondaire ; formation interne à la firme ; accent sur
les compétences spécifiques
Haut niveau de dépenses publiques,
enseignement secondaire homogène ;
importance de la formation
professionnelle ; accent sur les compétences
spécifiques
Dépenses publiques faibles ;
faiblesse de l’enseignement universitaire ;
formation professionnelle
faible ; accent sur les compétences
générales
Exemples de pays
Australie, Canada, Royaume-Uni, Etats-
Unis
Danemark, Finlande, Suède Japon, Corée du Sud
Suisse, Pays-Bas, Irlande, Belgique, Norvège, Allemagne, France,
Autriche
Portugal, Italie, Grèce, Espagne
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