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N°54 FÉVRIER 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS DOSSIER P. 34 LE GRAND ENTRETIEN AMPLIFIER NOTRE PARTI PRIS ÉCOLOGIQUE ! Hervé Bramy L’EXPERTISE CONTRE LA DÉMOCRATIE Gérard Streiff THÉÂTRE EN RÉVOLUTION Cyril Triolaire P. 44 HISTOIRE P. 38 COMBAT D’IDÉES Parti communiste français POLITIQUE EXTéRIEURE DE LA FRANCE DE LA GUERRE à LA PAIX

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Page 1: dossier politique · • Richard Medioni Mon Camarade – Vaillant – Pif Gadget : L’histoire complète (1901-1994) • Henriette Zoughebi Le parti pris des jeunes expression communiste

N°54 FÉVRIER 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

dossier

P. 34 LE GRAND ENTRETIEN

AMPLIFIER NOTRE PARTIPRIS ÉCOLOGIQUE !Hervé Bramy

L’EXPERTISE CONTRE LA DÉMOCRATIEGérard Streiff

THÉÂTRE EN RÉVOLUTION Cyril Triolaire

P. 44 HISTOIREP. 38 COMBAT D’IDÉES

parti communiste français

politiqueextérieurede la france de la guerre à la paix

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SOMMAIRE

La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur :Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Clément Garcia, Léo Purguette, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Caroline Bardot, Stève Bessac, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas,Mickaël Bouali, Davy Castel, Étienne Chosson, Maxime Cochard, Séverine Charret, Quentin Corzani, Pierre Crépel, Camille Ducrot,Alexandre Fleuret, Florian Gulli, Nadhia Kacel, Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, MarineRoussillon, Stanley Smith, Alain Vermeersch • Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey

Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : février 2016 - N°54 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Gérard Streiff

LA revuedu Projet

FÉvrier 2016

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3 ÉditoGuillaume Roubaud-Quashie Pendant ce temps-là...

4 PoÉsiesVictor Blanc Ashraf Fayad

5 regArdRomain Genf omer Fast

6 u27 Le dossierPoLitique extÉrieure de LA FrAnce : de LA guerre à LA PAixClément Garcia Pour une politique extérieure indépendante, de coopérationLydia Samarbakhsh repenser notre place et notre rôle dans un mondeà changerPatrick Le Hyaric La politique européenne de la FranceFrancis Wurtz Histoire récente de la politique extérieure de la FranceGaël De Santis une politique d’alliances dangereuseBertrand Badie revenir aux fondamentauxJosé Cordon europe centrale et orientaleFrancis Wurtz La mondialisation sera ce que nous en feronsDominique Noguères que vive la liberté de migrerYann Le Pollotec La cyber-guerre : mythes et réalités Hervé Bramy climat : de nouvelles ambitions progressistes !Pierre Barbancey Au Moyen-orient, une politique de la France plusguerrière que celle des États-unisHassane Zerrouky comment François Hollande perpétue laFrançafriqueLina Sankari L’Asie, de « l’angle mort » à la diplomatie tous azimutsObey Ament La France en Amérique latine, un manque d’ambitionpolitiqueTaoufiq Tahani israël - Palestine : que doit faire la France ?

28 Lectrices/LecteursPaul Elek que peut-on faire maintenant ?

29 La Revue du projet et Le temps des cerises collaborent

30 La Revue du projet dans la préparation du 37e congrès

32 u33 LA FrAnce en coMMunLa gauche en question

34 u37 trAvAiL de secteursLe grAnd entretienHervé Bramy Amplifier notre parti pris écologique !

PubLicAtions des secteursMarine Roussillon tous capables, un projet communiste

38 coMbAt d’idÉesGérard Streiff L’expertise contre la démocratie

40 FÉMINISMEPinar Selek Mouvements féministes en turquie et émergence desluttes sociales de sexe

42 MOUVEMENT RÉELJanine Guespin-Michel Émancipation et pensée du complexe

44 HistoireCyril Triolaire théâtre en révolution : une révolution théâtrale pour unsentiment républicain

46 Production de territoiresXavier Leroux Évolution et finalité d’une discipline : la géographie scolaire

48 sciencesÉlise Nerbusson qu’est-ce qu’une ingénieure agronome ?

50 sondAgesGérard Streiff La perception de la diversité

51 stAtistiquesMickaël Orand chômage : quels ont été les effets de la crise de 2008 ?

52 u55 critiques• Lire : Corinne Luxembourg david Harvey et la géographie radicale• Alexis Spire et Katia Weidenfeld L’impunité fiscaleJosé Fort 30 ans d’Humanité. Ce que je n’ai pas eu le temps de vousdire• Richard Medioni Mon Camarade – Vaillant – Pif Gadget : L’histoirecomplète (1901-1994)• Henriette Zoughebi Le parti pris des jeunesexpression communiste

56 dAns Le texteFlorian Gulli, Jean Quétier sous le masque de la religion

58 buLLetin d’AbonneMent

59 orgAnigrAMMe

en collaboration avec l’équipe de La Revue du projet...

organisez des débats !Certains ont eu lieu récemment : dans l’Ariège, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), à Massy-Palaiseau, dans l'Hurepoix (Essonne)D’autres sont prévus : à Nanterre (Hauts-de-Seine) sur le projet, à Saint-Maximin (Oise) sur la laïcité, à Bordeaux (Gironde) sur l’urbanismeDes cycles de formation autour des dossiers de La Revue du projet sont programmés à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

n’hésitez pas à contacter l’équipe ! à [email protected]

commandez des numéros

(voir p.30)

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ÉDITO

Pendant ce temps-là…

D u flot continu des chaînes d’in-formation aux fils sans fin deFacebook et autres réseauxsociaux, on est soulevé à tout

instant d’informations « urgentes » etfracassantes (les fameuses « breakingnews »)… oubliées dans le trimestre ou lajournée, pour être mieux remplacéespar d’autres. Ainsi vogue la vie moderne,comme plongée dans un bain d’opiacés.Le romancier roger vailland – qui en tâtaun temps – raconte que l’opium « rétré-cit les pupilles ». à coup sûr, cet opium-là, nous rétrécit la vue.

car pendant ce temps, le monde réelpoursuit sa course… et nous finissonspar l’oublier. c’est tout le mérite – même si son ambi-tion dramatique ne s’y limite pas – de ladernière pièce de Michel vinaver que denous y ramener, à grande vitesse – « vitezgrand v » aurait dit le perçant critiquede L’Humanité Léonardini, en écho à cetitan du théâtre, Antoine vitez, soutienfervent de vinaver – par un grand axenommé Bettencourt Boulevard. quand le réel est si net, toute caricatureest nuisible et la pièce tire toute sa force– explosive – de sa justesse.oui, notre vaste monde est foncière-ment oligarchique, dirigé par un tout petitmonde où le conflit d’intérêts est la règle.on avait oublié : la femme d’Éric Woerth(alors ministre du budget), salariée dela femme… la plus riche du pays. on avaitoublié : le gestionnaire de fortune deLiliane bettencourt, Patrice de Maistre,élevé au rang de chevalier de la Légiond’honneur dans les trois mois qui sui-vent la victoire de nicolas sarkozy à l’élec-tion présidentielle. on avait oublié : leprojet d’auditorium bettencourt (fina-lement avorté) et la chaire Liliane-bettencourt au collège de France (effec-tivement inaugurée en 2007).Mais cette « affaire bettencourt », pourle regard rapide, pourrait avoir la mined’un accident, d’un hasard d’individus.Mais vinaver – puisque nous allons pas-ser l’édito ensemble, chacun à sa place–

va plus loin : il faut prendre au sérieux lesous-titre « ou une histoire de France ».et vinaver de monter et descendrel’échelle des générations.Le mari ? André bettencourt, puissantnotable de droite dominant le payshavrais. « Au passé trouble » dans lesannées 1930 et 1940 – comme dit la for-mule, bien qu’au fond, tout soit aussi clairque la cagoule est brune… –, il est conseil-ler général dès 1946 et continûment par-lementaire pendant 44 ans (1951-1995 !),secrétaire d’État de Mendès Francecomme de Pompidou, ministre dechaban-delmas et de Messmer… touten ayant une place de choix – mariageoblige – à la direction de L’oréal.Le père ? eugène schueller, fondateurde L’oréal, mouillé jusqu’aux os dans cesmêmes temps troublés, mêlant racismeet machisme, antisémitisme et exploi-tation salariale féroce. L’homme est aussipionnier de la publicité. on lui prête laformule, reprise par vinaver : « La publi-cité, c’est le moyen qui s’impose à la civi-lisation pour se défendre contre laparesse des consommateurs »« L’affaire bettencourt » n’est décidé-ment pas un arbre tordu cachant la roideet belle forêt de toujours. La démocra-tie n’est pas tant un acquis à préserverqu’une conquête à entreprendre.

Mais notre petite équipe d’héritiers nes’en soucie guère. Nés avec cuiller en ordans la bouche, ils cèdent à cette ten-tation bien connue d’élever l’état dechoses présent avec son lot de hasard– naissance, héritage… – et d’injustices– extorsions et exploitations diverses –en état légitime, ancré dans la naturedes choses et des hommes. et schuellerd’entonner la mélodie du mérite devenuseconde nature : « La plupart deshommes n’aiment pas le travail c’estpourquoi ceux qui aiment le travaildeviennent les patrons et commandentà ceux qui ne l’aiment pas ». on dirait duMacron, non ? à moins que, plus inquié-tant, Macron ne parle comme schueller…je te vois t’impatienter, lectrice, lecteur :

on découvre l’eau chaude, quoi ?exploitation, lutte de classes… oui, enquelque sorte. on la découvre de toutce baratin qui s’évertue à la recouvrirjour après jour. et n’y a-t-il pas urgenceà faire l’éloge de ce théâtre public donton ne parle guère que pour dénoncerson coût – pourtant bien modeste –,urgence à saluer tous ces auteurs quiprennent le risque d’affronter notremonde, urgence à dire l’importance decette liberté de création toujours pré-caire quand la bourgeoisie s’en mêle. Filons encore un peu l’histoire. en 1955,le grand cinéaste communiste Louisdaquin adapte Bel Ami de Maupassant.guerre d’Algérie oblige, un certain…André bettencourt intervient farouche-ment pour faire interdire la diffusion dufilm. « Haut les cœurs ! » dit la maximeschuellerienne ! « Haut-le-cœur » avez-vous déjà répondu.reste à transformer la nausée en actionet le rejet en projet. belle ambition pour2016, non ?

Ps : vous avez fini cet édito ? Pendantce temps-là, Liliane b. a gagné l’équiva-lent de 3 mois de salaire moyen d’unFrançais…

GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIE,directeur de La Revue du projet

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LES MOUSTACHES DE FRIDA KAHLOJe vais ignorer l’odeur de la boue le reproche à la pluieet le chagrin dans ma poitrine depuis longtempsJe chercherai une consolation qui convienne à masituation qui ne permet pas d’expliquer tes lèvrescomme je le désireraisOu de secouer les gouttes de rosée sur tes mamelonsqui tendent vers la rougeurOu d’apaiser la folie qui me gagne chaque fois que jeme rends compte que tu n’es pas à mes côtés à cetinstantTu ne seras pas ainsi… quand je serai contraint dejustifier mon silence auquel me condamne la nuitFais semblant que la terre est silencieuse comme nousl’apercevons de loin et que tout ce qui s’est passéentre nous n’a pas été plus qu’une lourde plaisanteriequi ne devrait pas être à ce point !

Que penses-tu de mes journées que j’ai pris l’habitudede passer sans toi !De mes mots qui s’évaporaient rapidementDe ma grande douleurDes nœuds qui se sont installés dans ma poitrinecomme des algues séchées.J’ai oublié de t’informer…que je me suis habitué à ton

absence du point de vue pratique … que lesespérances ont égaré leur chemin vers tes désirsQue je pourchasse toujours la lumière, non par désirde vision mais car l’obscurité fait toujours peur mêmesi on s’y habitue !

Je vais être obligé de ruser avec ma mémoireEt prétendre que je dors bienDéchirer ce qui reste de questionsLes questions qui cherchent à se justifier pour obtenirdes réponses convaincantesAprès que j’ai fait tomber toutes les numérotationshabituellesPar pure raison personnelle

Laisse le miroir te montrer comme tu es belleEfface mes mots accumulés en poussièreRespire profondément et souviens-toi combien je t’aiaiméeEt comment tout cela s’est transformé en une simplemasse électriqueQui a failli déclencher un grand incendie dans unmagasin vide.

© traduction tahar bekri

POÉS

IES

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on m’excusera de parler poésie ou de ne pas parler poésie.comme si on pouvait faire ou l’un ou l’autre ; comme si onpouvait parler séparément de l’amour, de la poésie, de laguerre, de la politique, de l’économie, d’un pays ou d’un autre…Pendant que la France sombre dans l’état d’urgence perma-nent, grime nos syndicats en syndicats du crime, condamnehuit salariés de goodyear à des peines de prison, quelquepart dans un pays de cris tus, c’est un poète qu’on va déca-piter. j’ai l’air d’un bâtisseur de grand écart… Mais si je dis quece pays, l’Arabie saoudite, avec le pétrole qu’on lui connaît,les armes qu’on lui vend, entretient des amitiés coupablesavec un groupe terroriste, responsable des massacres à Pariset, par voie de fait, de l’état d’urgence qui s’ensuivit, de la vio-lence nouvelle que les rapports de classes ont pris ces jours-ci ; et si j’ajoute que ce poète, Ashraf Fayad, est palestinien,libre-penseur, et condamné à mort pour « apostasie », alors…voilà que nos huit salariés de goodyear ont partie liée avecun poète à l’autre bout du monde. et ce n’est pas seulementcette chaîne entre eux de maillons économiques, politiques,diplomatiques et sanglants, qui les relie brusquement. c’estaussi leur combat. ces salariés de goodyear qui ont séques-tré leur patron pour conserver leur emploi, luttent aussi pourune vie décente, où l’on peut sans rougir penser à l’avenir, unevie que les dogmes du capitalisme leur dénient. « La révolution,c’est la poésie de l’Histoire », disait byron. Pour Ashraf Fayadil en va, plus tragiquement et sans détour, de sa vie. Le prixd’une poésie libre et lucide.Les censeurs sont de merveilleux lecteurs. il est singulierqu’Ashraf Fayad soit, autant qu’on peut en juger, un poète

lyrique. Le condamné à mort nous parle d’amour et d’eaufraîche, de l’intensité électrique des sentiments et de leurdevenir. La déshérence de l’amour dans la durée mais l’amourquand même, comment tout meurt, comment tout vit, la dif-ficulté de vivre en amoureux – le temps d’apprendre à aimer,il est déjà trop tard –, mais en électron libre, l’art d’écrire « je »par où commence le chant… tout ce qu’on peut entrevoir,deviner déjà dans ces quelques vers a dû nourrir le casier judi-ciaire du poète et justifier l’accusation jointe à celle d’apos-tasie qui lui est faite, celle de « corrompre la jeunesse », hon-neur qu’il partage avec socrate. Apostasie. il fallait du couragepour réécrire, comme on me dit qu’il a fait, les sourates ducoran en remplaçant le nom d’Allah par le mot « pétrole ».de la lucidité, aussi, dans une monarchie où le pétrole est reli-gion d’État. La justesse du coup se mesure à la violence de lariposte. ici, elle est impitoyable. Apostasie. un mot qui vientdu grec et qu’on peut traduire par « se tenir loin », se tenir àl’écart des croyances et des dogmes. L’apostasie est doncun art de vivre.

une pétition circule sur internet qui se trouve facilement surles moteurs de recherche. des meetings de soutien sont orga-nisés partout dans le monde, et des actions sont menéespour faire pression sur les gouvernements. vie sauve librepour Ashraf Fayad !

VICTOR BLANC

Ashraf Fayad : un poète palestinien condamné à mort en Arabie saoudite

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REGARD

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g uerre, bombardement, frappe aérienne, état d’urgence…ces termes que nous entendons de plus en plus font

maintenant partie de notre quotidien. L’exposition d’omer Fastau jeu de Paume s’interroge sur la place de ces mots et de leurssens : concrètement qu’est-ce que cela veut dire ? Ainsi, savidéo continuity est composée de la même scène en boucle

avec juste une légère différence à chaque fois : celle d’un couple de la classe moyenne allemande retrouvant son filsengagé en Afghanistan. La répétition de cette même séquenceamène à rendre plus réel et plus concret ce que les informa-tions télévisuelles ne laissent pas transparaître. n

Continuity (diptych) [Continuité (diptyque)]2012-2015, omer Fast, vidéo Hd, couleur, son, 77’.© omer Fast

Omer Fast. Le présent continue

ROMAIN GENF

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François Hollande a renforcé le caractère atlantiste de la poli-tique étrangère française tout en la militarisant, en se focalisantsur le libre-échange. une politique extérieure progressiste cher-cherait au contraire à transformer la mondialisationn, transfor-mer la nature même des relations internationales et soutenir lesmouvements émancipateurs des sociétés.

politique extérieure de la france :de la guerre à la paix

DOSS

IER

pour une politique extérieureindépendante, de coopération

Les réflexions d’ordre politique, socio-logique, historique ou culturel sontindispensables bien qu’aucune nepermette à elle seule – c’est l’évidence– d’expliquer et de comprendre de telsévénements. Comment, aussi, ne paspenser le phénomène, semble-t-ilappelé à durer, des attentats terroristessans questionner le rôle joué par laFrance dans le monde, ses choix géo-politiques, les métamorphoses et per-manences de sa politique extérieure ? Nous ne sommes pas naïfs : les moti-vations des terroristes ne se résumenten aucune façon à un affrontementgéopolitique. La multiplication desattentats sanglants au Cameroun, auBurkina-Faso, en Somalie, dans lesmarchés syriens ou irakiens, suffit àdélégitimer la théorie d’une ven-geance anti-impérialiste de Daech oude ses frères ennemis d’Al-Qaïda.C’est bien l’humanité dans ses contra-dictions, sa diversité, son universa-lité qu’ils cherchent à détruire.Mais, est-ce parce que les assassinsfanatiques affirment cyniquementvouloir faire payer au peuple françaisles aventures guerrières de son gou-vernement qu’il faudrait s’arrêter deles penser et, plus largement, de pen-ser le rôle joué par la France dans lesdéséquilibres mondiaux ? Sixième puissance mondiale, mem-bre permanent du Conseil de sécu-rité de l’ONU disposant d’un droit de

veto, présent sur des dizaines de théâ-tres de guerre, parfois à l’initiative decelles-ci comme en Libye ou au Mali,notre pays, par son activité interna-tionale, est placé aux premières lignesdes transformations de la géopoli-tique mondiale. Son activité commer-ciale intense, les prébendes écono-miques et intérêts énergétiquesdéfendus par sa classe dirigeante leplacent au cœur de la prédation capi-taliste qui se déploie à l’échelle dumonde. Ceci n’est pas nouveau. Maismanifestement, depuis plusieursannées, un virage s’est opéré. L’image de la France dans le mondes’est singulièrement dégradée aurythme des interventions et change-ments de stratégie décidés par sesexécutifs successifs. Cette dégrada-tion est particulièrement sensibledans le monde arabe et dans l’ensem-ble du Moyen-Orient. La positioncomplaisante avec Israël lors de ladernière guerre menée dans les ter-ritoires occupés de Palestine et à Gazaaura laissé des traces dans le mondearabe et bien au-delà. Tout commeles positions interventionnistes dansle conflit syrien qu’elle fut bien seuleà tenir au sein de Conseil de sécuritéde l’ONU, le soutien policier promisau régime en déroute de Ben Ali oucelui accordé, à coups de contratsd’armement, au régime militaireégyptien.

PAR CLÉMENT GARCIA*

l ne peut y avoir aucune expli-cation qui vaille ; car expliquer,c’est déjà vouloir un peu excu-ser » s’est exclamé le premierministre sur le ton martialqu’on lui connaît en évoquant

les actes terroristes qui ont frappénotre pays le 13 novembre dernier.Drôle d’injonction à faire silence dansles rangs de la pensée quand, pour-tant, tout prête à réfléchir. La raisonabdiquerait-elle face à l’infamie ?Pratique sentence, en tout cas, pourpermettre au pouvoir politique d’usersans contrainte d’un état d’urgencedévoyé de sa mission proclamée delutte contre le terrorisme, pour met-tre au pas le pays, ses syndicalistes etmilitants, et assigner à résidence lapensée critique. C’est justement parce que ces atten-tats ont profondément et durable-ment meurtri le pays qu’il est urgentde penser, de débattre des causes etraisons qui ont pu pousser des indi-vidus, une organisation, à commet-tre des crimes d’une telle atrocité.Notre revue est résolument décidéeà mener le débat, à soulever les ques-tions posées par ce nouvel âge d’in-certitude, d’insécurité, aux risques dedérives multiples qui nous est pro-mis, hors et dans nos frontières.

PRÉSENTATION

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Ces positions nouvelles se doublentd’alliances intolérables avec lesmonarchies théocratiques du Golfe,inspiratrices du fanatisme religieuxdont se réclament les terroristes, etdont le travail de sape des décenniesdurant contre tous les mouvementsprogressistes de la région, avec le sou-tien actif des États-Unis, aura eu deseffets catastrophiques. Ce virages’opère au prix d’une distance dom-mageable avec l’Iran, puissanceincontournable de la région. Il n’estpas non plus étranger à la distanceprise avec l’allié historique russe, avecdes conséquences redoutables dansla résolution de conflits majeurs, enUkraine comme en Syrie. Cette poli-tique est légitimée au nom d’intérêtséconomiques bien compris. Ce sontessentiellement eux qui dictent lapolitique extérieure de la France surle vaste continent asiatique, réduit àune réserve de main-d’œuvre et decapitaux bon marché.Ce changement récent de stratégieaura été un carburant redoutablementefficace à la propagande djihadiste.D’autant qu’il s’est effectué au nomde la défense d’un hypothétique« camp occidental », confirmée par laréintégration de la France au sein ducommandement intégré de l’OTAN,

amorcée par Nicolas Sarkozy et deve-nue totale sous le mandat de FrançoisHollande. « Je n’ai pas peur de dire quenos alliés et nos amis, c’est d’abord lafamille occidentale », clamait NicolasSarkozy en 2007, en plein mandat bus-histe, au moment même où « l’alliéoccidental » nord-américain menaitune guerre illégitime causant les frac-tures et déséquilibres dont nouspayons, et pour longtemps encore, lespots cassés. L’opposition de la Franceà cette folie guerrière fut d’ailleurs sondernier éclat sur la scène mondiale.Mais au-delà du Proche et Moyen-Orient, c’est en Europe même que laFrance déçoit, incapable de peserpour une réorientation des politiqueseuropéennes, de peser pour faire res-pecter les choix démocratiques dupeuple grec laissé à l’abandon face àses créanciers tortionnaires, ou deréaffirmer son rôle de lien entre lespays du nord et du sud du continent. Notre pays ne brille plus par sa poli-tique extérieure, longtemps non ali-gnée. Cette politique que l’on a puappeler « gaullo-mitterrandienne »,certes non dénuée d’arrière-penséesimpérialistes, notamment sur le conti-nent africain, lui avait permis de tenirune position d’équilibre dans biendes conflits.

La France redéfinit son positionne-ment géopolitique au moment oùs’intensifie la mondialisation capita-liste et se multiplient les foyers deguerre, où s’intensifie le contourne-ment des souverainetés populairespar la prolifération des traités de libre-échange, où l’Europe vit une crisemultifactorielle majeure et se recom-pose autour de son cœur économiquerhénan. Dans ce contexte, il est urgent d’ai-der notre pays à retrouver une voixindépendante, de l’aider à redevenirun pont entre l’Europe du sud et dunord, entre les deux rives de laMéditerranée. La France a les capa-cités de devenir actrice d’une nou-velle mondialisation assise sur desprincipes de coopération, de paix, et de respect des souverainetés popu-laires. Sa vocation universaliste, of -ferte par les révolutionnaires de 1789et 1793, reste une arme puissantepour penser ce nouveau rôle. À nous de nous y engager. n

DOSS

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*Clément Garcia est rédacteur enchef de La Revue du projet. Il acoordonné le présent dossier.

qui se détermine en fonction de sesintérêts stratégiques ou économiquesimmédiats, de ses alliances (en pre-mier lieu, l’Union européenne etl’OTAN) et de ses ambitions dans unemondialisation de l’économie capita-liste dont elle veut tirer avantage.Intérêts, alliances et ambitions seconditionnent les uns les autres, s’en-tremêlent parfois et produisent aussides contradictions dans lesquelless’enferment l’Élysée et le Quai d’Orsay.Or ni les intérêts de la France, ni le jeudes alliances et encore moins ses ambi-tions ou sa vision de la mondialisationdominée par les marchés ne sont l’ob-jet d’un débat politique et citoyen.

priorité à l’économie François Hollande a présidé à un ren-forcement du caractère atlantiste maisaussi opportuniste de cette politiqueétrangère française qui, dans unmême mouvement, s’est militariséeet focalisée sur une priorité, l’écono-mie, et plus précisément le libre-échange, motivée par la conquête departs de marché à l’international et,il faut le souligner, l’attraction d’in-vestisseurs étrangers en France – unepriorité « qui s’est imposée d’elle-même » tant elle est liée au pacte deresponsabilité et son credo de « crois-sance, compétitivité et simplifica-tion », et liée aux choix européens de

PAR LYDIA SAMARBAKHSH*

s elon notre ministre des Affairesétrangères, « nous vivons uneépoque dangereuse parce que

les piliers de l’ordre international sontde plus en plus remis en question ». Etdans un monde où aucune puissancen’est « suffisamment dominante pourimposer des solutions » (autrementdit, pour s’imposer unanimement, et« c’est ce qui explique pour une largepart la multiplication des crises quidurent », affirme Laurent Fabius), laFrance se veut une « puissance d’in-fluence » (notion largement inspiréede celle, états-unienne, de soft power)

repenser notre place et notre rôle dans un monde à changerLa politique étrangère de la France sous François Hollande ne s’est pas ins-crite en rupture avec celle de son prédécesseur nicolas sarkozy. elle n’amême jamais tenté de le faire. ses grandes orientations obéissent à unelogique, anachronique, de puissances.

s

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IER « renforcement de la zone euro, de la

gouvernance économique et moné-taire de l’Union économique et moné-taire ». Priorité à l’économie assuméepleinement depuis le rattachementau Quai d’Or say du commerce exté-rieur et du tourisme.« Je pense que l’on ne peut pas avoirune politique étrangère forte, solide,si on n’a pas une puissance écono-mique forte », déclarait LaurentFabius, aux « Rencontres Quai d’Orsay-Entre prises » de Paris, le 8 avril 2014.La puissance de la France que leministre, suivant les lignes énoncéespar le Livre blanc de la défense et de lasécurité nationale (avril 2013), définitpar ses capacités toutes militaires de« dissuasion » (nucléaire), de « projec-tion » (interventions étrangères) et de« renseignement », serait donc déter-minée par le primat de la place dupays dans l’économie capitaliste mon-diale sans remise en cause de seslogiques et de ses effets.

une liste impressionnantede renoncementsL’alliance atlantique, la participationactive de la France dans le comman-dement de l’OTAN et le renforcementde sa relation avec les États-Unis, sontvus comme des « conditions plus quejamais nécessaires » pour « la mise enplace d’un ordre mondial du XXIe siè-cle », insistait le ministre en mai 2014dans une conférence à Washington.Cette relation, déterminante, demeu -re pourtant marquée par son carac-tère paradoxal de connivence, de vas-salité et de compétition comme l’ontpar exemple montré à la fois l’affairede l’espionnage (industriel et poli-tique) de dirigeants français par laNSA et la gêne, le silence et la paraly-sie des autorités françaises devant cesrévélations. C’est que la politiqueaméricaine demeure quoi qu’il arrivele cadre auquel il convient d’« ajusternotre diplomatie et notre outil mili-taire » (Rapport d’information sur lesévolutions stratégiques des États-Unis,Sénat, 9 juillet 2014)Promouvoir une nouvelle hiérarchieinternationale consisterait dès lors àadapter « le cadre multilatéral auxchangements du monde » pourimposer aux pays émergents « l’évo-lution que constituent la « responsa-bilité de protéger » instaurée parl’ONU et la limitation de la souverai-neté dans certaines situations oupour faire face à certains enjeux »(Laurent Fabius, discours à l’Écolepolytechnique, Paris, 25 juin 2013) –changer pour ne rien changer, donc,des logiques de domination et en exi-geant des renoncements à mêmed’affaiblir les États alors qu’il s’agi-

rait de renforcer la puissancepublique et de construire du com-mun qui respecte les singularités etles souverainetés.Laurent Fabius aurait, dit-il, définiquatre lignes d’action de la politiqueextérieure de la France : « la paix, laplanète, l’Europe, la croissance » maisil n’est jamais question d’entendre lavoix des peuples en lutte pour leursdroits, leur dignité. À un an du termedu mandat de François Hollande, lebilan de cette action est pour le moinsdiscutable, et la liste des renonce-

ments est longue.« Nous pensons que la diplomatie,sans la possibilité d’utiliser la force,n’existe pas, de même que la forcesans le risque d’exposer des hommesn’existe pas non plus. » (L. Fabius,avril 2014) c’est dire à quel point laprévention et la résolution politiquedes conflits passent désormais à l’ar-rière-plan de l’action internationaled’une France qui est devenue depuis2012 avec ses interventions au Mali,en Centrafrique, en Irak et en Syrie,et peut-être bientôt en Libye, l’undes pays les plus interventionnistes.Au point, d’ailleurs, que dans sesvœux aux Français du 31 décembre2015, le chef de l’État ne prononcepas une seule fois le mot de « paix ».Les actions terroristes sur le sol fran-çais revendiquées par l’Organisationde l’État islamique auront renforcédans l’esprit de François Hollandeet de son gouvernement, qui ontdécrété que notre pays était « enguerre », une conception « néocon-servatrice » des relations internatio-nales, pétrie d’une vision cultura-liste de l’état du monde (le « chocdes civilisations »), dont il est urgentde s’extraire.

miser sur les peuples pourouvrir des perspectivesLes bouleversements du monde sontprofonds, complexes mais ils sont lesproduits de choix politiques et quandle ministre ou le président se canton-nent au constat d’un panorama mon-dial chaotique et menaçant, ils fermentla porte à tout espoir de changementalors que ces bouleversements appel-lent à « miser sur les peuples », sur les

sociétés, en appuyant leurs capacitésd’impulser des politiques dotées auplan national, régional comme inter-national de perspectives de transfor-mation et d’émancipation, d’égalité,de justice, de solidarité qui ouvrent leschemins de la paix.Il conviendrait pour définir la poli-tique extérieure de notre pays denous interroger, pour agir sur elles,sur les causes des graves inégalitéssocio-économiques, de l’affaiblisse-ment et de l’effondrement d’États,de la résurgence des nationalismes,

des ethnicismes, des intégrismes, dela corruption, du défi climatique etdes conflits, guerres et attentats quientraînent des migrations (60 mil-lions de personnes déracinées recen-sées en 2014 par le Haut-commissa-riat aux réfugiés des Nations unies).À persister de considérer qu’il estimpossible d’agir sur ces causes – àsavoir : le développement du libre-échange, de la dérégulation, de ladéréglementation, la financiarisa-tion des économies, l’accaparementdes ressources, la course aux arme-ments – qui créent les insécuritésde tous ordres, et à ignorer les mou-vements positifs du monde, à lesnégliger, les dirigeants de la Franceréduisent notre nation à une formed’impuissance quand il s’agirait derepenser notre place et notre rôledans un monde, et une Union euro-péenne, à changer pour le meilleurpar la reconquête des pouvoirs afinde placer les moyens économiqueset financiers au service de logiquesde développement humain, socialet écologique.Au lieu du jeu des alliances et de lacompétition, il s’agirait de penser lesrelations internationales et euro-péennes de la France dans le cadrede partenariats réciproquementavantageux et basés sur des principesde solidarité et de complémentarité.L’inter dépendance, présentée com -me un danger permanent, constitueen fait un socle sur lequel bâtir dessolidarités à condition de l’émanci-per des logiques de domination capi-taliste et de conforter la souverainetéet les droits des peuples et descitoyens.

« La prévention et la résolution politiquedes conflits passent désormais à l’arrière-

plan de l’action internationale d’une Francequi est devenue depuis 2012 l’un des pays

les plus interventionnistes. »

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lante pour celles et ceux qui fuientaujourd’hui les guerres, les violenceset la misère.Il n’en est rien ! Car les pouvoirs suc-cessifs ont décidé, non seulement dese plier aux injonctions européennes,mais de participer directement à lesédicter au sein du Conseil européenet de la commission européenne.Si les citoyens, les salariés, avec leursassociations et leurs syndicats, leursélus, n’arrivent pas à s’emparer demanière plus permanente, plus tenacedes enjeux découlant des politiqueseuropéennes, il est à craindre que l’in-fluence française continue de dimi-nuer au sein de l’Union européenne.En s’alignant sur les normes antiso-ciales européennes, sur la loi de la« concurrence », des « privatisations »

et le « tout sécuritaire », notre pays nerend pas service à un projet européende progrès.

affaiblissement du poids de la france dans les institutionsD’autre part, il faut avoir conscienceque depuis la réunification del’Allemagne, ce pays est devenu la pre-mière puissance démographique etdonc mécaniquement le pays le pluspuissant au sein des institutions euro-péennes. Et les élargissements succes-sifs aux pays d’Europe orientale ontencore agrandi la sphère d’influencede l’Allemagne. Ceci est encore ren-forcé par une utilisation de moins enmoins importante de la langue fran-çaise considérée hier comme la langue

PAR PATRICK LE HYARIC*

s’ il est vrai que la France seulene peut prétendre réorien-ter la construction euro-

péenne, rien ne peut se faire sans elleet encore moins contre elle.Elle pourrait donc en en appelant auxtravailleurs et aux peuples, en impul-sant un véritable débat sur les enjeuxsociaux, démocratiques, environne-mentaux, remplacer cette Europe del’austérité par celle d’un pacte socialet environnemental ; une Europe desbiens communs avec la création et ledéveloppement de nouveaux servicespublics, une Europe de la paix et de lacoopération et non celle des tensionset des guerres ; une Europe accueil-

la politique européenne de la france citoyens et salariés, avec leurs associations et leurs syndicats, leurs élus,doivent s’emparer de manière plus permanente, plus tenace des enjeuxdécoulant des politiques européennes pour éviter que l’influence fran-çaise continue de diminuer au sein de l’union européenne. en tant quemembre fondateur de l’union européenne, la France a une responsabilitéparticulière dans le débat européen, au service des peuples.

construire une politique de paix, de co-développement et de solidaritéTransformer la mondialisation, trans-former la nature même des relationsinternationales, soutenir les mouve-ments émancipateurs des sociétéspourraient constituer les trois axesd’une politique extérieure progres-siste. Nous émanciper, en commen-çant par agir pour la dissolution del’OTAN, « du carcan idéologique de“l’occidentalisme” nous permettraitde repenser librement, avec créati-vité, nos politiques de partenariats,d’investissements et d’aide publiqueau développement, et d’être à l’ini-tiative d’audaces politiques dont lemonde a besoin : qu’il s’agisse dedénucléarisation, de lutte contre leréchauffement climatique, de luttecontre les inégalités sociales et éco-nomiques, d’instauration de bienscommuns universels » (PierreLaurent, novembre 2014). Il s’agiraitdès lors de concevoir une politiquede paix, de co-développement et de

solidarité en se fixant trois priorités.Mener la bataille pour la refondationde l’Union européenne pour combat-tre les inégalités et en faire un espaceémancipateur de coopération et depaix, une union « à géométrie choisie »de peuples et nations libres, démocra-tiques et souverains. Une Europe soli-daire et démocratique, une autreEurope, pour agir sur la mondialisa-tion capitaliste et la transformer.Promouvoir l’avènement du multila-téralisme et la démocratisation del’ONU, garante de notre sécurité col-lective, par la réaffirmation de sa Charteet de ses missions et principes fonda-teurs : la prévention des conflits par letraitement prioritaire des inégalités etinjustices sociales et économiques, laprotection des travailleurs et de leursdroits, la résolution politique desconflits, la promotion universelle desdroits sociaux, écologiques et démo-cratiques, la promotion des biens com-muns universels (l’eau, l’énergie, lesconnaissances) et des libertés fonda-mentales dont la liberté de circulation,la solidarité devant les grands défis cli-

matiques et écologiques du siècle enfaisant reculer significativement l’em-prise des marchés financiers.Travailler activement et soutenirl’émergence d’espaces régionaux in -clu sifs de coopération et de sécuritécollective, sous supervision de l’ONU,voués à la lutte contre les inégalités, àla démilitarisation, la dénucléarisationet au désarmement, et à l’avènementde nouveaux modes de développe-ment et de production parties pre-nantes de la transition écologique.Au fond, mettre en œuvre une poli-tique de paix, c’est être à l’écoute desaspirations et mouvements populairesdans notre pays et dans le monde etvouloir apporter « une contribution(progressiste) à la transformation dumode d’existence de l’humanité »(Étienne Balibar, août 2015). n

*Lydia Samarbakhsh est membre del’exécutif national du PCF. Elle estresponsable du secteur Internationaldu PCF.

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diplomatique entre fonctionnaireseuropéens et entre responsables poli-tiques qui est aujourd’hui remplacéepar l’usage de l’anglais.Cet affaiblissement, presque méca-nique avec les élargissements, auraitpu être comblé par des initiatives poli-tiques, par une présence forte dans lesinstitutions, y compris au parlementeuropéen, disposant d’un peu plus depouvoir avec les traités.

Or, depuis le départ de Jean-ClaudeTrichet de la Banque centrale euro-péenne, en 2011, les Français n’occu-pent plus de poste de dirigeant au seinde l’Union européenne, en dehors duposte de commissaire, qui est garantipar les traités. Au niveau inférieur, cesont les Allemands qui occupent lesfonctions les plus importantes : secré-taire général du Conseil, secrétairegénéral du parlement européen et chefde cabinet du président de la Com -mission européenne. Une présencefrançaise au sein des cabinets des com-missaires et des postes d’encadrementcorrige un peu cette situation.Au sein du parlement européen, leseffets sont plus nets. Aux électionseuropéennes, la France a été le seulpays d’Europe à placer en tête des suf-frages un parti d’extrême droite quiprône la sortie de l’Union, avec 24députés.S’agissant des responsabilités au seindu parlement européen, 26 députésfrançais exercent actuellement desresponsabilités importantes (voirtableau ci-dessous). C’est moins quel’Italie avec 29 postes, le Royaume-Uni, avec 28 et surtout l’Allemagneavec 56 postes, soit plus du double dela France.La France, 2e puissance économiquede l’Union, 2e puissance démogra-

phique, est aujourd’hui aussi influenteau sein de cette assemblée que despays comme l’Espagne ou la Pologne,qui ont pourtant moins de députéseuropéens.

quelle action de lafrance en europe ?La combinaison de l’acceptation destraités de Maastricht puis de Lisbonne,la mise en place de l’Organisation

mondiale du commerce et le dévelop-pement de la mondialisation capita-liste dans laquelle la France a été deplus en plus insérée, a conduit les gou-vernements successifs, à adopter tou-jours plus les normes de l’ultralibéra-lisme. Avoir refusé de tenir comptedu NON majoritaire français au pro-jet de traité constitutionnel, a affaiblinotre pays au lieu de faire respecterson peuple.La dernière initiative majeure de laFrance en Europe, lancée par NicolasSarkozy lors de la présidence françaisede l’Union européenne en 2008, a étéla création d’une Union pour laMéditerranée. L’idée aurait pu être por-teuse d’avenir en incluant nos voisinsdu Sud dans un espace de coopéra-tion et de partenariat sur des projetscommuns. Mais, la mise en œuvre etla présentation qui en a été faite à nospartenaires européens, ont été catas-trophiques. Les pays non-riverains etla commission étant exclus de cettenouvelle union. Ce projet a été torpillépar l’Allemagne qui ne voulait pas voirson rôle central au sein de l’Unionremis en cause. De surcroît, un tel pro-jet porté par l’un des seuls responsa-bles politiques français à avoirapprouvé l’intervention nord-améri-caine en Irak et à l’avoir initié en Libye,a rendu l’initiative suspecte. De fait, il

ne se passe plus grand-chose dans lesinstitutions chargées de ce projet.Le projet politique européen porté parla France est aujourd’hui presqueinexistant. Le projet de réorientationde la construction européenne estabandonné.La proposition numéro 11 du pro-gramme du candidat François Hol -lande s’engageait pour « un pacte deresponsabilité de gouvernance et decroissance pour sortir de la crise et dela spirale d’austérité ». Cela visait àne pas mettre en œuvre le traité bud-gétaire qui avait été affublé du nomde « Merkozy ». Ceci s’est conclu parla vague décision d’un pacte, soi-disant de croissance, doté de 120 mil-liards d’euros dont on ne trouve tracenulle part.Avec de petites nuances, l’alignementfrançais sur les positions de l’Allema -gne a été flagrant cet été lors des négo-ciations sur l’avenir de la Grèce.On ne peut pas être plus influent quecelui dont on porte le projet. Et,aujourd’hui, le projet européen de laFrance est, faute d’initiatives et d’am-bitions, celui de l’Allemagne conser-vatrice. Pourtant, ce devrait être lemoment de nouvelles initiatives alorsque la crise européenne, la contesta-tion même de toute idée de projeteuropéen, s’amplifient dangereuse-ment. Qu’il s’agisse de la crise socialeet économique, celle des migrants, leschantages de la Grande-Bretagne, lanon-résolution de questions liées auxdettes, la violation par plusieurs paysdes valeurs fondamentales des droitshumains.En tant que membre fondateur del’Union européenne, la France a uneresponsabilité particulière dans ledébat européen, au service des peu-ples. Or, sa seule initiative récente aconsisté à demander, le 17 novembredernier, l’activation de l’article 42-7 dutraité de Lisbonne pour obtenir l’en-gagement d’autres pays dans ses inter-ventions militaires extérieures.

de possibles axes d’actionLe président de la République pour-rait mettre les paroles qu’il a pronon-cées au congrès de la Confédérationeuropéenne des syndicats qui s’est

« Avoir refusé de tenir compte du nonmajoritaire français au projet de traité

constitutionnel, a affaibli notre pays au lieude faire respecter son peuple. »

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répartition des responsabilités selon les pays

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*Patrick Le Hyaric est membre ducomité de projet, responsable duprojet européen. Il est députéeuropéen (GUE-NGL).

Mesurons ce qu’a représenté en 1966le retrait de la France du commande-ment militaire intégré de l’OTAN,accompagné de l’exigence de ferme-ture de ses trente bases alors instal-lées sur notre territoire et du départdes dizaines de milliers de soldats etpersonnels de l’Organisation ! Ou bienle « Discours de Phnom-Penh » danslequel de Gaulle condamne avecvéhémence la guerre américaine auVietnam « de plus en plus menaçantepour la paix » et affirme sa certitudequ’il n’y aura « pas de solution mili-taire » à ce type de conflit ! Initiativespionnières encore que la reconnais-sance de la Chine, ou bien l’ouvertured’un dialogue structuré avec le lea-der de l’autre « camp » de l’époque :l’Union soviétique. Notons encore sa

« politique arabe » et notamment l’in-vitation faite à Israël (jugé « sûr de luiet dominateur ») de respecter « lesArabes, qui sont ses voisins et le res-teront pour toujours ». Pompidouopérera un début de recentrage,

notamment sur l’Europe, en particu-lier en levant le veto gaulliste à l’adhé-sion de la Grande-Bretagne, en qui legénéral voyait « le cheval de Troie desAméricains ». Quant à Giscard, atlan-tiste assumé, il symbolisa la premièrevraie rupture avec l’héritage gaulliste– ce qui a joué un rôle dans sa défaiteen 1981.

en 1981, françois mitterrand est le pre-mier président de gauche de lave république à être élu. la politiqueextérieure française s’en est-elle res-sentie ? une politique extérieure quel’on pourrait qualifier de « gauche » a-t-elle été appliquée ?Au début, on pouvait l’espérer ! Cequ’on appelle son « Discours deCancun » fut, à cet égard, cinq mois

après l’élection de Mitterrand, unmorceau d’anthologie, un vibrantplaidoyer en faveur de nouvelles coo-pérations Nord-Sud, une boufféed’oxygène progressiste : « Salut auxhumiliés, aux émigrés, aux réfugiés

ENTRETIEN AVEC FRANCIS WURTZ*

c’est devenu un lieu commun d’affir-mer que le général de gaulle a inspiréles institutions de la ve républiquefrançaise. peut-on en dire autant pournotre politique extérieure ? quels ontété les effets pratiques de sa vision desrelations internationales ? pompidouet valéry giscard d’estaing se sont-ilsinscrits dans ses pas ?Le général de Gaulle fut l’inspirateurd’une politique extérieure fondée sur« une certaine idée de la France ».Autrement dit la « grandeur » : selonlui, « La France (n’était) réellement elle-même qu’au premier rang » ! Et donc,logiquement, l’indépendance du paysvis-à-vis de tous ceux qui prétendaientlimiter sa liberté de choisir son destin :à la fois les États-Unis (même s’il s’esttoujours situé dans le « camp occiden-tal » au moment des crises les plusaiguës) et la Commu nauté européenne.Fort d’une légitimité exceptionnelledue au rôle qu’il a joué dans laRésistance, il s’est attaché à traduirecette ambition au travers d’une séried’actes politiques de si grande portéequ’ils ont imprégné l’identité du pays,dans la durée, rendant longtemps pas-sablement difficiles les revirementssouhaités par ses successeurs.

histoire récente de la politiqueextérieure de la franced’une politique extérieure fondée sur « une certaine idée de la France » dugénéral de gaulle au g7 d’Évian de juin 2003.

tenu à Paris, du 29 septembre au2 octobre 2015, en accord avec sesactes pour une Europe sociale.Ce pourrait être une base d’actionpopulaire pour défendre et améliorerla protection sociale, permettre àchaque jeune de se former s’il le sou-haite en vue d’une sécurité sociale dutravail ; agir pour la refonte de la direc-tive des travailleurs détachés ; accep-ter la directive sur le congé maternité ;porter le débat sur le rôle de la Banquecentrale européenne et faire en sorteque les 1 100 milliards de créationmonétaire auquel elle procède serventvraiment à l’économie réelle, l’emploiet la transition écologique.

Elle pourrait aussi s’opposer audémantèlement des services publicset chercher au contraire à les dévelop-per à partir d’un fonds de développe-ment humain, social et environne-mental. Agir pour l’intégration declauses sociales dans les politiquescommunes. Se désengager des négo-ciations en cours sur le traité de libre-échange transatlantique et le projet dedémantèlement des services, baptiséTISA, Trade in Services Agreement(accord sur le commerce des services).Elle pourrait reprendre le partenariateuro-Méditerranée sur de nouvellesbases pour un co-développementcommun, éloignant les guerres comme

moyen de résolution des conflits ; por-ter plus haut le droit international pourreconnaître la PalestineC’est au peuple dans sa diversité, auxsyndicats, aux associations, aux élusprogressistes, de faire entendre uneautre voix de la France et de recher-cher les alliances et les solidaritésnécessaires pour que notre pays joueun nouveau rôle au service des peu-ples et du bien commun.n

« Mesurons ce qu’a représenté en 1966 le retrait de la France du commandement

militaire intégré de l’otAn. »

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qui veulent vivre, et vivre libres [...] Àtous les combattants de la liberté, laFrance lance son message d’espoir ! »La déception sinon l’amertume n’enfurent que plus profondes, par la suite,pour ceux (dont moi-même) qui ont,sur le moment, cru à cet engagementsolennel. Tout au long de ses deux

mandats, il fut ce « prince de l’ambi-guïté » souvent décrié. Ainsi, aux pro-positions invitant à construire un« espace social européen » succédè-rent la promotion de Jacques Delorsau poste stratégique de président dela Commission et l’impulsion, sousl’égide de celui-ci, du grand tournantlibéral du « Grand marché intérieur »suivi du Traité de Maastricht. Demême, le mythique « Discours de laBaule » – mettant les dirigeants afri-cains en demeure de démocratiserleur régime – s’accompagna d’unepérennisation de la « françafrique ».Inversement, alors qu’en 1983, il tientdes propos de guerre froide auBundestag (« les missiles sont à l’Est ;les pacifistes sont à l’Ouest »), il sem-ble ne se résigner qu’à contrecœur,quelques années plus tard, à l’éclate-ment de l’Union soviétique. Ouencore, tout en tenant des proposémouvants et apparemment sincères

contre la guerre (en Europe), il n’hé-site pas à encourager l’Irak à affron-ter l’Iran, puis… à engager la Francedans la guerre du Golfe ! Laissons-luiquelques actes qui ont fait honneurà la France, comme celui d’avoir per-mis par deux fois à l’armée françaised’évacuer Yasser Arafat, en danger de

mort. Mais cela ne suffit pas pour fairede son long règne un modèle de diplo-matie de gauche...

le refus de Jacques chirac d’interve-nir en irak en 2003 aux côtés des états-unis a été un vrai coup de tonnerre poli-tique. comment expliquez-vous cechoix ?

Je confirme que cette décision hau-tement stratégique provoqua enEurope et plus généralement enOccident une onde de choc commeon n’en avait plus connue depuis de

Gaulle. Sans doute s’explique-t-elled’abord par, sinon une certaine proxi-mité, du moins une bonne connais-sance de l’Irak et du Proche-Orientde la part des diplomates, experts (ethommes d’affaires) français : Chiracne croit pas à la fable de l’existenced’armes de destruction massive dansl’Irak de 2003. Il mesure combien legroupe de pression néoconservateuraméricain est irresponsable et saitparfaitement que l’aventure militairecontre Saddam Hussein n’a rien à voiravec les raisons invoquées ; il est sur-tout convaincu que cette guerre vaentraîner un embrasement de larégion. Il ne lui est, en outre, pas indif-férent de se sentir porté par une opi-nion publique française, européenneet internationale massivement oppo-sée à cette guerre (Rappelons-nousl’impressionnante mobilisation mon-diale du 15 février 2003 !) De là à osertenir tête à Bush jusqu’à refuser departiciper à sa coalition militaire

(voire à user, si nécessaire, de son droitde veto au Conseil de sécurité contreWashington), il y avait encore ungrand pas à franchir ! Ce qui faciliteracette audace suprême est le position-

« chirac ne croit pas à la fable de l’existence d’armes de destruction

massive dans l’irak de 2003. »

« Malheureusement, dès le g7 d’Évian de juin 2003, le même chirac tentera

de se rabibocher coûte que coûte avec la Maison-blanche. »

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*Gaël De Santis est journaliste àL’Humanité.

Fabius, le 15 octobre, devant la com-mission sénatoriale des Affaires étran-gères montre les nouveaux champsdans lesquels se déploie la diplomatiemercantiliste française. « En 2025, 25 %de nos effectifs diplomatiques se situe-ront dans les pays émergents du G20et, en 2017, l’ambassade de France en

Chine sera notre principale ambas-sade dans le monde », a prédit le minis-tre des Affaires étrangères. Dans unmême mouvement, au niveau euro-péen, Paris appuie la conclusion d’ac-cords de libre-échange, avec l’Amé -rique latine récemment, bientôt avecles États-Unis.Pour autant, le déploiement diplo-matique chez les émergents ne contri-bue pas à une politique visant àrééquilibrer les rapports de forcesinternationaux, faisant plus de placeaux peuples du Sud. Car les alliancesforgées par Paris sont dictées par deuxfacteurs : l’intégration européenne etl’alignement sur l’OTAN. Le toutconstitue un cocktail explosif, peuprometteur de paix, et qui rend diffi-cile la lutte antiterroriste. Les Kurdesse battent sur le terrain syrien, en pre-mière ligne contre Daech et ne reçoi-vent que peu d’aide de la part desOccidentaux. C’est qu’il ne faut pasfroisser la Turquie, économie émer-gente et deuxième armée de l’OTAN.

En contrepoint, les régimes, États quine s’intègrent pas au dispositif ota-nien, sont mis au ban, parfois d’ail-leurs avec plus de vigueur à Paris qu’àWashington. Ainsi, la France a été l’undes derniers pays à vouloir réintégrerà la table des négociations sur la crisesyrienne Bachar Al-Assad qui contrôle

pourtant les forces armées nécessairesà la reconquête des territoires conquispar Daech. Sur le dossier iranien, Parisa joué le rôle de « méchant », quandWashington avançait sur la voie d’uncompromis avec Téhéran.C’est le même type de raisonnementqui a existé sur le dossier ukrainien,où Paris n’a, dans un premier temps,pas voulu entendre que Moscou avaitdes intérêts chez son voisin et qu’unaccord de libre-échange avec l’Unioneuropéenne (UE) ne pouvait êtreconclu dans le dos de la Russie. Ensoutenant l’éviction non constitution-nelle du président Viktor Ianoukovitch– il serait impossible que l’ensemblede la population ukrainienne ne setourne pas naturellement vers l’Unioneuropéenne – les États de l’UE ont jetéde l’huile sur le feu en soutenant lesnationalistes ukrainiens. Ils doiventmaintenant réparer les pots cassés. n

PAR GAËL DE SANTIS*

c es derniers mois l’ont montré.Les nouveaux alliés de laFrance ne montrent pas tou-

jours leur plus beau visage. L’Arabiesaoudite a, le 2 janvier, exécuté 48 per-sonnes dont le dignitaire de la mino-rité religieuse chiite Nimrs Baqer al-Nimr, attisant par là même lestensions avec l’Iran. Riyad s’était déjàillustrée, au cours de l’année précé-dente, en condamnant pour blas-phème à mort le poète palestinienFayad Ashraf et à mille coups de fouetle jeune Raef al-Badawi. Le jour mêmede la visite de François Hollande le4 mai 2015, quatre personnes étaientdécapitées sans que la France ne pipemot. De même, les récents bombar-dements du régime autoritaire turcsur les villages kurdes ne sont pasdénoncés par Paris.

une diplomatie françaisemercantilisteCertes, on ne fait pas de politiqueextérieure en suivant les revendica-tions des ONG (Organisation nongouvernementale) dit le pouvoir. Ondéfend des intérêts. Sur ce terrain, ilest vrai que Paris enregistre quelquessuccès. Riyad achète des armes fran-çaises et pourrait acheter des cen-taines de chars Leclerc, qui équipentdéjà les Émirats arabes unis. Les paysdu Golfe financeraient également lerachat des Mistral, initialement des-tinés à la Russie, par l’Égypte.Avec l’arrivée de Manuel Valls en 2014,le ministère logé au Quai d’Orsay achangé de nom : ministère des Affairesétrangères et du Développement inter-national. L’allocution de Laurent

une politique d’alliances dangereuseLes alliances forgées par Paris constituent un cocktail explosif, peu promet-teur de paix, et qui rend difficile la lutte antiterroriste.

*Francis Wutz est député européenhonoraire (PCF).

Propos recueillis par QuentinCorzani.

« Le jour même de la visite de François Hollande le 4 mai 2015,

quatre personnes étaient décapitées sans que la France ne pipe mot. »

nement du chancelier Schroeder, quivenait de se faire élire sur une basevigoureusement anti-guerre : un« couple franco-allemand » uni, avecle soutien de la majorité des citoyens,pour défendre le rôle et les valeurs del’ONU contre l’unilatéralisme et lessolutions politiques contre la guerre,voilà qui se présentait comme uncombat certes difficile mais qui avait

de la classe ! Malheureusement, dèsle G7 d’Évian de juin 2003, le mêmeChirac tentera de se rabibocher coûteque coûte avec la Maison-Blanche. Ildonnera également, dans les semai -nes suivantes, son feu vert à un textede l’Union européenne intituléStratégie européenne de sécurité danslequel on peut lire « qu’en agissantensemble, l’Union européenne et les

États-Unis peuvent constituer uneformidable force au service du biendans le monde ». N’est pas de Gaullequi veut. n

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fort écho dans le monde arabe.Cependant, et juste après ce succès,la politique internationale de laFrance au Moyen-Orient s’est rappro-chée des États-Unis, validant par làmême et de manière ex post l’inter-vention américaine en Irak. Cettedynamique s’est renforcée quandChirac a renoué, à la faveur d’unevisite d’Ariel Sharon à Paris, en juil-let 2005, des relations fortes avec Israëlalors que se dégradaient dans lemême temps les relations de la Franceavec les organisations palestiniennes.Il ne faut pas oublier qu’au mêmemoment le Hamas avait gagné lesélections en janvier 2006 et que legouvernement français n’avait pasvoulu reconnaître cette nouvelle étapede l’histoire palestinienne.La France de Jacques Chirac et lesÉtats-Unis de George Bush ontensuite mis au point et soutenu, maindans la main, au Conseil de sécuritéla résolution 1559 dirigée contre laprésence syrienne au Liban et exi-geant la démilitarisation du Hez -bollah. Cette résolution engageait laFrance dans une perspective nou-velle : plus occidentale que française,solidaire avec Washington et qui sevoulait désormais résolument inter-ventionniste.

Ce changement de ligne a étéconfirmé par Nicolas Sarkozy, ce der-nier ayant en outre toujours été trèsproche d’Israël : il fut surtout ampli-fié par François Hollande qui aréclamé à plusieurs reprises une inter-vention occidentale concertée auMoyen Orient : en août 2013 contrela Syrie, accusée d’avoir fait usage desarmes chimiques, puis à nouveau, etavec plus de réussites, contre Daechà partir de l’automne 2014.La France s’est donc engagée dansune pente interventionniste qui s’ac-compagne d’une radicalisation d’undiscours résolument opposé à l’Iran,et des relations qui ne se sont jamaisrévélées très positives avec la Turquie.Si bien qu’aujourd’hui, la France, touten étant plus interventionniste, a fina-lement peu d’alliés au sein du Moyen-

Orient. Effectuons un rapide tourd’horizon : elle ne peut certainementpas compter la Syrie d’Assad parmises amis, elle n’en a guère davantageaux marges du monde arabe, c’est-à-dire en Iran et en Turquie. Elle s’esten outre éloignée de la Palestine, etelle n’a jamais pu construire de vraiesrelations avec l’Irak. De ce fait ne sub-sistent comme alliés que l’Arabiesaoudite et certains pays du Golfe. Lechoix de Sarkozy s’était porté sur leQatar, celui de François Hollande surle régime saoudien.Voilà qui représente quand même undanger certain, puisque l’Arabie saou-dite est le leader d’un camp assez radi-cal, très peu respectueux des Droitsde l’Homme. Dès lors, moins quejamais, la France ne semble enmesure de jouer ce rôle qu’elle s’ima-ginait jadis, c’est-à-dire d’être le grandmédiateur du monde arabe. Enconclusion, la France intervientdavantage, mais a de moins en moinsde cartes dans son jeu.

quelles sont les conséquences qu’apu avoir ce changement paradigma-tique ? bien sûr loin de nous l’idée detracer une ligne directe de causalitéentre les événements tragiques quel’on a connus en novembre et nosinterventions externes, mais plutôtde savoir dans quelle mesure elles ontpu accentuer des tensions par ailleursdéjà existantes en france ?Vous avez raison de dire qu’on ne peutpas établir de relations de causalitédirecte. C’est important de le rappe-ler : il serait naïf de penser que cetteforme nouvelle de violence, extrême-ment brutale à laquelle nous sommesconfrontés découle directement ouexclusivement des errements de lapolitique étrangère française. Cependant, le bon sens conduit à faireplusieurs constatations. D’abord, onest bien obligé de noter que la Franceest, pour le moment, le pays occiden-tal le plus visé dans les faits. Elle l’estaussi dans le discours dans la mesureoù la communication de Daech luiréserve des propos choisis.On ne peut pas ne pas remarquer qu’ily a une certaine corrélation entre cevisage diplomatique nouveau dontnous avons parlé précédemment etla violence que nous avons à essuyer.On ne peut pas oublier non plus que,dans le prolongement de l’interven-tion américaine en Irak en 2003, ceuxdes pays qui étaient visés par les vio-

ENTRETIEN AVEC BERTRAND BADIE*

comment peut-on caractériser lesinterventions diplomatiques de lafrance ? quelle est sa doctrine dansla zone du moyen-orient ?Tout d’abord, il convient de ne pasoublier la profondeur de la ruptureentre ce qu’était la politique arabe dela France et ce qu’elle est aujourd’hui.L’origine de cette politique remonteà cinquante ans quand le général deGaulle avait fondé un vrai partenariatavec le monde arabe. Il considéraitqu’un regard vers le Sud, dans unepériode de bipolarité, était gage d’in-dépendance et de souveraineté. Deplus, ce partenariat répondait à sonobjectif de mettre un terme auxcontentieux entre la République fran-çaise et certains pays du mondearabe. Je parle bien évidemment icides tensions relatives à la décoloni-sation ou au canal de Suez.Cet effort de rapprochement s’estconcrétisé de nombreuses manières.On peut penser aux nombreuxvoyages officiels de responsablesarabes en France, mais aussi auxdéclarations remarquées du généralde Gaulle pendant la guerre des sixjours, ou à une certaine façon de

rééquilibrer les relations entre laFrance, Israël et le monde arabe. DeGaulle avait aussi la volonté d’encou-rager le monde arabe à exister horsdes deux superpuissances.Tout ceci a eu une certaine durée. Eneffet aussi bien Georges Pompidoulors de la guerre d’octobre 1973 queValéry Giscard d’Estaing ou FrançoisMitterrand sont restés sur cette mêmeligne. Les choses ont commencé àchanger avec Jacques Chirac. Et ce,assez paradoxalement puisque Chiracest gaulliste. On a certes, dans un pre-mier temps, observé une certainerésistance de la vision gaullienne,notamment lors du voyage de Chiracà Jérusalem de 1996, lorsqu’il rabrouales policiers israéliens puis bien évi-demment lorsqu’il s’opposa à laguerre en Irak. Cet acte a eu un très

revenir aux fondamentauxPeut-on passer d’une logique d’alliance à une logique de coopération ?

« Moins que jamais, la France ne semble en mesure d’être

le grand médiateur du monde arabe. »

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lences terroristes de l’époque étaientaussi les puissances intervention-nistes d’alors, comme l’Espagne et leRoyaume-Uni, tous deux principauxalliés des États-Unis néoconserva-teurs.Il y a là un faisceau de présomptions.Mais ce serait une erreur de se limi-ter à ce constat. Quand on raisonnesur des actions aussi dramatiques quecelles que nous avons connues en

novembre, il y a toujours deux com-posantes. Il y a probablement, nousvenons de le voir, une composantegéopolitique, liée aux rythmes desinterventions des uns et des autres,mais il existe aussi sans aucun douteune composante sociopolitique, liéeà la lecture que les djihadistes font dela société française, de ses institutionset de ses rapports à l’immigration.Les événements de novembre dernieront bien montré que les coups por-tés venaient d’individus qui apparte-naient à la nation française, quivivaient sur notre sol, et qui donc réa-gissaient à des situations nationales.Dans ce cas précis, l’intervention fran-çaise en Irak et en Syrie ne jouait pro-bablement qu’un rôle collatéral parrapport à cette tension que des entre-preneurs de violence comme Daechveulent utiliser et banaliser en oppo-sant à l’intérieur de la société fran-çaise les populations de sensibilitémusulmane au reste de la population.

revenons à la situation au moyen-orient. comment redéfinir la politiqueétrangère de la france ? sur quellevaleur pourrait-on la fonder ? peut-on passer d’une logique d’alliance àune logique de coopération ?Il existe de très nombreuses politiquesétrangères, différentes et contradic-toires, qui justifient leur existence ense référant aux Droits de l’Homme.Hélas ! Les Droits de l’Homme sontrarement les finalités réelles des poli-tiques étrangères. Ils sont souvent instrumentalisés pour justifier a pos-teriori des choix politiques et st ra té -giques. C’est la raison pour laquellechaque démocratie occidentale aparmi ses protégés et ses alliés desacteurs qui violent allégrement lesDroits de l’Homme.Élevons ensemble un peu le débat etdemandons-nous d’abord si le péché

originel n’est pas cette vieille tendancepropre aux puissances occidentalesqui cherchent toujours à s’attribuerles conflits des autres. À partir dumoment où il y a un conflit sur la pla-nète les puissances occidentales n’ontde cesse de vouloir s’y impliquer. Lagrande question qui se pose à partirde là est de savoir si on peut réelle-ment s’approprier des conflits quinaissent hors de nous. Ceux qui font

souche au Moyen-Orient ne sont pasnos conflits. Ils sont nés de situationsqui sont propres aux États de larégion. Daech n’est pas né d’uneopposition à la France ou à l’Occident,mais de la transformation ratée del’État irakien, notamment suite à l’ex-clusion de la communauté sunniteDaech a pénétré en Syrie non pasd’abord pour frapper l’Occident,mais pour s’insérer dans une guerrecivile qui n’était pas la nôtre. Alorsbien sûr la stratégie de cette organi-sation s’est ensuite enrichie d’unedénonciation stratégique desOccidentaux parce qu’il est toujoursrentable, pour ces entrepreneurs deviolence, de montrer qu’il est le prin-cipal rempart à l’Occident croisé.Mais les racines du mal ne sont paslà : elles doivent être trouvées dansla décomposition des États et sou-vent des sociétés de cette région.Ainsi, se positionner par rapport àces conflits nécessite non plus d’enfaire un élément d’une stratégie mon-diale, mais à savoir les traiter tel qu’ilssont et non tels qu’on imagine qu’ilsseraient devenus en écoutant nosfantasmes.

L’autre difficulté tient à l’insertion despuissances occidentales, et notam-ment de la France, dans ce jeu extrê-mement complexe qui domine laconflictualité du Moyen-Orient. Cetteinsertion s’est faite avec une certaine

naïveté en pensant que, conformé-ment aux thèses de Clausewitz ou deSchmitt, il y avait d’un côté des enne-mis et de l’autre nos amis. Mais la réa-lité est en fait beaucoup plus com-plexe, car au Moyen-Orient, et nousle voyons tous les jours, les ennemisde nos ennemis ne sont pas forcé-ment nos amis…C’est le cas de l’Iran, pourtant l’en-nemi de Daech, avec lequel nousrechignons à coopérer. L’Arabie saou-dite, que nous tenons pour notreami, a des liens forts avec les isla-mistes que nous combattons. Elle estde plus dans une situation d’oppo-sition frontale avec l’Iran face àlaquelle, je l’ai dit, nous avons lesplus grandes difficultés à nous défi-nir. Dès lors, plus on affirme des liensd’alliance avec des acteurs locaux,plus on se laisse piéger par une sortede mécanique que l’on ne contrôleplus qui nous amène, sans mêmeque nous nous en rendions compte,sur des champs de bataille et sur despositions qui ne devraient pas êtreles nôtres. Au nom de l’alliance avecl’Arabie saoudite, on s’affiche dansun camp au sein d’une guerre civileyéménite avec laquelle nous n’avonspourtant rien à voir. Au nom de cettefidélité avec Ryad, on continue demarquer de la méfiance à l’égard del’Iran, avec qui, pourtant, on auraitintérêt à coopérer pour contenirDaech et les menaces qu’il repré-sente. En somme, on s’installe, sansle contrôler, dans un écheveau quifinit par nous entraver.

mais alors que faire ? quel type dedoctrine ?Il faudrait revenir aux fondamentaux.

quels sont-ils ?C’est d’abord le multilatéralisme. Sila sécurité collective est mise en causepar la violence au Moyen-Orient, ilappartient au multilatéralisme de réa-gir. Et de ce point de vue, les résolu-

tions récentes du Conseil de sécuritévont dans le bon sens. Il faut biencomprendre, une fois pour toutes, quece ne sont pas les interventions depuissance qui peuvent mettre fin àces conflits. Au contraire, partout où

« chaque démocratie occidentale a parmi ses protégés et ses alliés

des acteurs qui violent allégrement les droits de l’Homme. »

« daech n’est pas né d’une opposition à la France ou à l’occident, mais de latransformation ratée de l’État irakien,

notamment suite à l’exclusion de la communauté sunnite. »

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IER elles se pratiquent, elles aggravent les

tensions et les violences. C’est au fondle multilatéralisme, sous mandat desNations unies et à partir du contrôledu Conseil sécurité, qui doit agir. Ilne faut pas oublier que le Conseil deSécurité et, d’une façon générale lesystème onusien, n’est revenu auMoyen-Orient qu’après des décen-nies d’absence ou de quasi-absence.Les deux dernières résolutions sur laSyrie, prises en décembre dernier,sont donc un changement par rap-port à une très longue histoire d’uni-latéralisme et d’interventions de puis-sance.Le deuxième fondamental repose surla confiance que l’on doit faire au trai-tement régional du conflit. Nousavons été en Europe – et ce pendantdes siècles – le champ de bataille dumonde. Aujourd’hui, ce champ n’estplus en Europe, mais au Moyen-Orient. Ce sont donc aux acteursrégionaux d’agir. Si ces acteurs ne sontpas présents pour assurer la solutionde ce conflit, n’importe quelle autresolution risque d’être fragile et pro-bablement inefficace. Il faut régiona-liser ce conflit et se tourner vers lespuissances qui ont une véritableentrée sur ces champs de bataille. Jepense, mais avec des perspectives

totalement différentes à l’Arabie saou-dite, à l’Iran et la Turquie. Ils ont, defait, davantage de clés pour résoudrece conflit que les puissances euro-péennes.Troisième fondamental, il faut com-prendre que toute paix ne se construitpas par la guerre. Le recours à l’ins-trument militaire face à des conflitsde cette nature n’a jamais eu d’abou-tissement favorable : ni au Moyen-Orient, ni en Asie centrale, ni enAfrique. Si les sociétés concernéesconnaissent des conflits si profonds,c’est parce qu’elles souffrent d’undéfaut de politique et d’institution, etd’un sévère processus de décompo-sition sociale. C’est donc un traite-ment social et politique qui doit êtrepensé et promu. Tant que la minoritésunnite d’Irak sera brimée et exclue,elle n’aura aucune chance de revenirdans le giron d’un État-nation irakien.Tant que les différentes parties duconflit syrien ne sont pas associées àune solution, nous n’aurons aucunechance de voir la violence cesser. Ilfaut bien comprendre que le canonrépond au canon, mais que le canonne permet pas de répondre aux ques-tions sociales non traitées.Enfin le quatrième fondamental, parailleurs indispensable à toute paix,

c’est le droit des peuples à disposerd’eux-mêmes. On voit bien que, dansla géographie du grand Moyen-Orient,il y a en particulier deux peuples quin’ont jamais pu faire triompher leursdroits : les peuples kurde et palesti-nien. Leur situation est cependantdifférente. Le peuple kurde a toujoursvécu sous la domination d’États nonkurdes qui leur reconnaissent demoins en moins le droit à être. Quantaux Palestiniens, leur situation estsensiblement autre, en cela qu’ils ontété chassés et exclus de leurs propresterres par un processus de colonisa-tion très majoritairement venu de l’ex-térieur. De ce point de vue, la ques-tion palestinienne est l’une des raressurvivances formelles du colonialismedes XIXe et XXe siècles. Il importe quela France, comme tous les États quiont souscrit à la charte des Nationsunies, dise que le droit est le juste, enfaveur des populations kurdes commeen faveur du peuple palestinien. n

*Bertrand Badie est politiste. Il estprofesseur de sciences politiques àSciences-po.

Propos recueillis par AlexandreFleuret.

l’important élargissement de l’union européenne (ue) auxpays d’europe centrale et orientale en 2004 a accentué lesdérives d’une construction européenne marquée par l’exten-sion progressive d’un espace de libre-échange impliquant lamise en concurrence de modèles sociaux tirés vers le bas etla mise en œuvre d’une pesc-pesd (politique extérieure etde sécurité commune – politique européenne de sécurité etde défense), caractérisée par la compatibilité (gravée elleaussi dans le marbre des traités) avec l’otan. dans le proces-sus d’élargissement aux pays d’europe centrale et orientale(peco) ou aux pays des balkans occidentaux, l’adhésion àl’otan a précédé celle à l’union européenne. dès 2003, l’ueinstitue une politique de voisinage avec les états de son pour-tour sud et est n’ayant pas de vocation à entrer dans l’union.loin d’œuvrer à des politiques de coopération sur une based’égalité et de réciprocité, elle met en place des partenariatsfavorisant une extension de sa zone d’influence sur la based’une libéralisation économique très marquée. dans son voi-sinage oriental, cette politique s’est caractérisée égalementpar une tentative de pousser les pays de la communauté desétats indépendants issus du démantèlement de l’urss, à despartenariats/coopérations de plus en plus poussés avec l’otan,ce qui a aggravé la confrontation avec la russie, comme engéorgie et en ukraine. toute ambition européenne propre,toute volonté de l’ue de pouvoir aspirer à jouer un rôle d’ac-teur indépendant dans le monde, est contrecarrée par cet ali-gnement stratégique avec l’otan et les états-unis. les prin-cipes inscrits dans les traités d’amsterdam (1997), de nice(2001) préconisant une pesd destinée à « la prévention des

conflits », à la gestion des crises, définissant des « missionsde force de combat », de « rétablissement de la paix » ont étédéfinis en ce sens. une « force de réaction rapide est créée àpartir de 2000. des structures d’association bilatérale commeles « partenariats pour la paix » visant à inclure les pays de l’uenon-membres de l’otan, dans cette visée stratégique atlan-tiste (l’ukraine en fait partie depuis 1994), sont allées dans lamême direction. la politique extérieure de la france, sa poli-tique de défense dans le cadre de l’ue, ont elles-mêmes évo-lué en ce sens, notamment depuis la réintégration dans le com-mandement militaire intégré de l’otan en 2009, interdisantainsi toute visée propre et indépendante et renforçant, aucontraire, un interventionnisme militaire accru dans le cadredes objectifs stratégiques « otaniens ». une alternative pro-gressiste européenne doit voir le jour, qui permette dans unerefondation de l’europe, de ses institutions, de rompre avecles politiques à travers lesquelles la gouvernance actuelle del’ue tente d’imposer de nouvelles régressions sociales, démo-cratiques et militaristes. elle passe notamment par l’impul-sion de nouvelles politiques de voisinage, redéfinissant unnouveau cadre de sécurité collective commune se dégageantde la tutelle de l’otan et des contraintes ultralibérales d’unmarché unique euroatlantique aux conséquences désastreusespour les peuples de tout le continent européen.

euroPe centrALe et orientALe

*José Cordon est membre de la commission Relationsinternationales-Europe du Conseil national du PCF.

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transatlantiques sur le TAFTA, lacommission européenne examineen ce moment même la question del’attribution à la Chine du statut « d’économie de marché », ce qui revien-drait à baisser ses barrières commer-ciales et à encourager les importa-tions massives et le dumping social.On évalue à plus de trois millions lenombre d’emplois menacés dansl’Union européenne par cette déci-

sion éventuelle ! En outre, cela iraittotalement à l’encontre des muta-tions économiques et commercialesinduites par la lutte contre les dérè-glements climatiques (un mois aprèsla COP21...). C’est bien de choix stra-tégiques qu’il s’agit. Pour faire sim-ple, la mondialisation sera ce quenous saurons en faire. La questionn’est pas d’en « sortir », mais demener le combat pour en changerles orientations.

des opportunitésd’échanges et derapprochementsUne autre caractéristique de notreépoque est, à cet égard, promet-teuse : la révolution de la communi-cation accentue spectaculairementle poids des sociétés, de citoyensassociés ou organisés, dans laconstruction des rapports de force,à l’échelle nationale, régionale et

mondiale. Cela ouvre des perspec-tives d’action et crée des opportuni-tés d’échanges et de rapprochementsdont il faut apprendre à se saisir defaçon plus offensive. Dans ce contexte, la politique de coo-pération internationale que l’on peutsouhaiter pour la France doit être enrupture profonde avec les dogmesmercantilistes, court-termistes etirresponsables en vigueur. Elle doitreposer sur une vision stratégiquefondée sur le « développementhumain durable ». On entend par là,notamment, la lutte contre les iné-galités de développement, pour lapromotion des capacités humaines,pour la gestion multilatérale desbiens publics mondiaux, pour la pré-vention des conflits. Elle passe, dèslors, par une maîtrise des échangesassociant tous les pays qui le souhai-tent à une régulation respectant lesintérêts légitimes de chaque parte-naire – y compris son droit à fabri-quer sur place ce qu’il consomme s’ilen a la capacité. Dépassant lesconcepts traditionnels de libre-échangisme versus protectionnisme,notre option est celle de travailler àl’émergence d’une nouvelle civilisa-tion de partages à l’échelle de toutel’humanité. n

PAR FRANCIS WURTZ*

f aut-il avoir peur de la mon-dialisation ? La « démondiali-sation » est-elle une option ?

Par-delà les querelles de mots, undébat serein et ouvert mais sansambiguïté doit être mené à ce pro-pos pour éviter que des préoccupa-tions légitimes nourrissent des com-portements régressifs. Le fond de laquestion n’est-il pas de bien distin-guer ce qui, à notre époque, consti-tue une donnée irréversible de ce quirelève de choix stratégiques et de rap-ports de force ? Ce qui est irréversi-ble, c’est avant tout l’interdépen-dance : aucun pays, fût-il le pluspuissant d’entre eux, ne peut plusignorer le reste du monde. Ce qui, enrevanche, relève de choix – notam-ment, disons le mot : de choix declasse –, c’est la façon de gérer cetteinterdépendance. En imposant desrapports de domination et la miseen concurrence des peuples ou enchoisissant une approche solidaireet responsable.

changer lesorientations Voici un exemple particulièrementrévoltant d’une attitude à prohiber :un mythe à la mode consiste à voirdans l’Afrique subsaharienne « lenouvel eldorado » pour l’Occident.Pourquoi ? Parce que de sordides cal-culs ont établi que les décennies àvenir verraient s’ouvrir, grâce àl’émergence d’une « classe moyennesolvable » dans cette région dumonde, un marché de plusieurs mil-liards d’euros. Le fait que, dans cet« eldorado », 47,3 % des 15-24 anssont au chômage (chiffres de 2011),que le nombre de pauvres (moins de1,25 dollar par jour) y est en augmen-tation et que les inégalités territo-riales s’y creusent dangereusementest le cadet des soucis de ces préda-teurs ! Nous sommes là aux anti-podes des exigences de notreépoque !

Un autre exemple, tiré de l’actualité,est également éclairant : parallèle-ment à la poursuite des négociations

la mondialisation sera ce que nous en feronsLe fil conducteur doit être une approche solidaire et responsable en rup-ture profonde avec les dogmes mercantilistes, court-termistes et irres-ponsables en vigueur.

« ce qui estirréversible, c’est

avant toutl’interdépendance :

aucun pays, fût-il le plus puissant

d’entre eux, ne peutplus ignorer le reste

du monde. »

*Francis Wutz est député européenhonoraire (PCF).

Réagissez aux articles, exposezvotre point de vue.

Écrivez à [email protected]

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*Dominique Nogueres est avocate.Elle est membre du Comité centralde la Ligue des droits de l’Homme.

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irrégulière avant de pouvoir être régu-larisé ? Les circulaires de ces vingt der-nières années ont été révélatrices decette dérive récurrente. De surcroîtles titres de séjour délivrés sont pré-caires, un an, dans leur grande majo-rité, le titre de séjour pérenne de dixans étant réservé à des situations par-ticulières comme les conjoints defrançais, etc.La réforme actuelle du Code de l’en-trée et du séjour des étrangers et dudroit d’asile (CESEDA) n’apporte pasde solutions malgré la volonté decréer un titre de séjour pluriannueld’une durée modulable selon la caté-gorie juridique en cause.Pour changer de statut il faudrademander une carte d’un an et cen’est qu’à l’expiration de cette cartequ’il sera possible de prétendre à untitre pluriannuel. Par ailleurs, la pré-fecture pourra contrôler le droit auséjour et retirer le titre pluriannuel àtout moment.Ce dispositif complexe ne simplifiepas les démarches administrativesd’autant que le passage automatiqueà la carte de résident en est exclu. Laprécarité du séjour reste la règle.

l’asilePlus de 60 millions de personnes sontdéplacées en 2014 dans le monde, soit42 500 personnes par jour selon leHaut-Commissariat des Nations uniespour les réfugiés. Et nous le vivonschaque jour aux frontières del’Europe. Dans ce contexte, la « forte-resse » européenne ne fera qu’aug-menter l’hécatombe et ne résoudrarien.En France, demander l’asile relève duparcours du combattant. La multipli-cation des textes comme laConvention de Dublin qui oblige ledemandeur d’asile à demander la pro-tection dans le pays par lequel il estarrivé et non pas dans le pays de sonchoix, et la liste des pays dits sûrs éta-blie et mise à jour régulièrement parl’Office français de protection desréfugiés et apatrides (OFPRA) met-tent de lourdes barrières aux deman -des d’asile. Seulement un quart des

demandes sont acceptées au sein del’Union européenne et la France estbonne dernière.

et pourtant, il y a des solutions !Le migrant ne représente pas un coûtpour le pays dans lequel il se trouvesauf à le priver de tous ses droits. Lerégulariser c’est lui faire payer desimpôts, des cotisations sociales, par-ticiper à la vie économique et socialedu pays. Le laisser dans la clandesti-nité ou la précarité du séjour c’est nonseulement le mettre en danger maisc’est se rendre complice des préda-teurs maffieux et/ou terroristes.Il faut redonner au droit d’asile sa véritable fonction de protection, ces-ser de faire la différence entre lesmigrants économiques et les migrants« politiques », et éviter ainsi de créerdeux catégories de migrants. La direc-tive de Dublin doit donc être revue defond en comble et pas seulement sus-pendue par l’Allemagne au bénéficedes seuls Syriens.Il est indispensable de réorienterles crédits des politiques euro-péennes sécuritaires vers des poli-tiques d’accueil et d’intégration, decesser d’externaliser le contrôle desfrontières à des pays peu respec-tueux du droit, qu’ils soient limi-trophes de l’UE ou non.

L’Europe, continent vieillissant, abesoin des migrants. Il faut donc queles immigrés puissent circuler libre-ment. Plus on fermera les frontières,plus ils feront tout pour ne plus repar-tir par peur de ne plus pouvoir reve-nir, dans un cercle infernal incessant.Le droit de migrer est essentiel dansun monde interdépendant commetous les travaux d’experts et d’écono-mistes et ceux des grandes organisa-tions internationales consacrés auxmigrations (OIT, HCR, OCDE…) l’ontrappelé, études à l’appui. Ils souli-gnent aussi que les politiques migra-toires doivent s’attacher à sécuriserles parcours, dans le respect des droitsde l’homme, en assurant la fluidité del’offre et de la demande de main-d’œuvre, dans l’intérêt des pays dedépart comme des pays d’accueil.C’est un défi essentiel à relever dansl’intérêt de l’humanité tout entière. n

PAR DOMINIQUE NOGUÈRES*

p arler de l’immigration relèved’une gageure tant les idéesreçues sont fortes comme les

manipulations et l’utilisation à desfins politiciennes dont elle fait l’ob-jet.

la vérité des chiffresLe 13 octobre 2015, l’INSEE a publiédeux études qui rendent compte d’unpays où les mobilités sont de plus enplus importantes. La part de la popu-lation immigrée augmente, mais defaçon très modérée.Le solde migratoire s’élève à + 140 000en 2013. Ce chiffre accuse un recul (+164 000 en 2006). Dans l’Union européenne il s’élèveen 2013 à 575 000 (3,4 millions d’en-trées et 2,8 millions de sorties), soit594 000 de moins qu’en 2006. La situa-tion diffère selon les pays : par exem-ple, le solde migratoire de l’Allemagneaugmente quand celui de l’Espagnedevient négatif.Le chiffre invoqué en matière d’im-migration légale en France est d’en-viron 200 000 arrivées annuellesentre 2004 et 2012, mais il s’agit sur-tout de ressortissants européens.En fait, sur l’ensemble de la popula-tion immigrée en 2012, 32,2% étaientEuropéens et 43% ressortissantsd’Afrique. 6,4% de la population rési-dant en France est de nationalitéétrangère.

l’accès à la nationalité françaiseLe nombre des naturalisations estpassé de 8,1 % à 8,9 % de 2006 à 2013et il est toujours aussi difficile de sevoir accorder la nationalité française.Là aussi contrairement aux idéesreçues, il n’y a pas de menace pour lacohésion nationale.

les régularisationsLa manière dont la France gère larégularisation des étrangers est inac-ceptable. Comment ne pas trouverabsurde que l’on demande à un étran-ger de rester des années en situation

que vive la liberté de migrer

Le droit de migrer est essentiel dans un mondeinterdépendant. sécuriser les parcours, dans lerespect des droits de l’homme est un défi àrelever pour la France comme pour l’unioneuropéenne.

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dans nos sociétés où 98 % des informations sont numériséessous la forme de données, traitées par des algorithmes et échan-gées par des réseaux de télécommunication. les données, lesalgorithmes et les réseaux deviennent des objectifs militairesstratégiques en cas de guerre, d’actions terroristes, ou plusbanalement d’actes criminels. il s’agit de détruire, d’altérer, demanipuler, de s’emparer des données ou tout simplement d’em-pêcher leur transmission.quant à elles, les armées modernes sont devenues complète-ment dépendantes de leurs systèmes d’information : avionsavec système de détection et de commandement aéroporté(AWACS), satellites, gps, drones, liaisons de données tactiques…tandis que les techno-guérillas, où le système global pour lescommunications mobiles, Global System for Mobile Commu -nications (gsm) devient plus important que l’aK-47 (fusil d’as-saut Kalachnikov), se développaient.la 1re forme de cyber guerre avant même l’ère de l’informatiqueétait la cryptographie qui en france jusqu’en 1996 était consi-dérée comme une arme de guerre de 2e catégorie. au cours dela seconde guerre mondiale, le déchiffrement de la machineallemande « enigma » de cryptographie par alan turing donnanaissance au 1er ordinateur moderne et joua un rôle importantdans la défaite de l’allemagne nazie. la cryptographie et la pro-tection des données sont des enjeux majeurs de sécurité. onassiste dans ce domaine à la traditionnelle course entre l’épéeet le bouclier.la guerre du golfe en 1991, a été la première grande cyber-guerrepuisqu’en quelques heures l’armée de saddam hussein s’esttrouvée réduite à l’impuissance avec la destruction ou le brouil-

lage de tous ses moyens de télécommunication, de ses radarset de tous ses dispositifs électroniques.plus anecdotique, en 2007 l’estonie a été privée d’accès à lamajeure partie de ses services internet par de « mystérieux »pirates tandis que lors de la guerre russo-géorgienne les sitesWeb officiels georgiens ont subi des défigurations.en 2015, après les attentats de janvier, la france a été victimed’une attaque cyberterroriste dite massive qui en fait s’est réduitaux défigurations de quelques sites, et aux piratages de comptesfacebook, youtube, twitter et autres… très loin du cyber-pearl-harbour prophétisé par certains.pour l’instant l’essentiel de la cyber-guerre se joue surtout surle terrain de l’espionnage économique et scientifique, et les piresattaques ne viennent pas de piratages extérieurs mais souventd’actes venant de l’intérieur de la structure visée par une ou despersonnes travaillant sur place. ainsi les centrifugeuses ira-niennes d’enrichissement d’uranium ont été attaquées par levirus stuxnet de la nsa via une clef usb infectée.en fait, la cyber-guerre suit la dialectique de l’épée et du bou-clier ; si certes il n’existe pas par essence de système informa-tique inviolable comme il n’existe pas de forteresses imprena-bles, une véritable cyber-attaque avec de fortes conséquenceslétales sur des systèmes véritablement sensibles, demande desmoyens matériels et humains qui ne sont pour l’instant qu’à laportée de grandes puissances ou de grandes entreprises trans-nationales.

LA cyber-guerre : MytHes et rÉALitÉs ?

*Yann Le Pollotec est responsable du secteur Révolutionnumérique du Conseil national du PCF.

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qui fâchent (énergie, dimensioncontraignante de l’accord…). À l’au-tre bout, Laurent Fabius dut convain-cre les Pays en développement etdonc satisfaire – pour partie – à leursjustes exigences. L’augmentation de1 à 4 milliards de la contributionfinancière de la France au Fonds vert– fonds destiné à lutter contre leseffets du réchauffement dans les payspauvres, à hauteur de 100 milliardspar an d’ici 2020 – a été un atout indé-niable comme l’objectif de limiter à2 °C voire 1,5 °C le réchauffement dela planète en 2100.

les intérêts capitalistes ont tiré leur épingle du JeuMalgré notre campagne et l’ensem-ble de la mobilisation internationale,les intérêts capitalistes (et notammentleur volet pétrolier) ont tiré leur épin-gle du jeu. Cet accord est le résultatdu rapport de forces politique actuel.Indéniablement, l’intervention despeuples a été trop faible pour con -train dre les chefs d’États à s’engagerplus avant. Pourtant, l’urgence d’agirreste d’actualité car le niveau desengagements de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre (CO2) for-mulé à ce jour par les pays atteint les3,5 °C pour 2100 !

Il est certain aussi que le contexte desdramatiques attentats du 13 novem-

bre aura pesé tant sur le cours desnégociations officielles que sur lamobilisation citoyenne, du fait del’état d’urgence décrété en France.

surmonter les obstaclesLe mouvement progressiste européenet mondial doit surmonter les obsta-cles auxquels il est confronté. En effet,de meilleures situations de vie sontpossibles pour l’ensemble des peu-ples de la planète, tout en étant dura-blement économes des ressourcesnaturelles. Pour cela, ce n’est pas leclimat qu’il faut changer mais le sys-tème. Avec toutes les forces qui s’op-posent à la mondialisation capitalisteet à la course au profit, nous voulonsbâtir de nouveaux modes de produc-tion et de consommation qui favori-sent l’émancipation humaine tout enrespectant la planète.

Le PCF doit y prendre sa part. Ces der-niers mois, nous avons multiplié lesinitiatives dans ce sens. Elles doiventtrouver de nouveaux prolongementsau service d’une ambition de trans-formation humaine, sociale et écolo-gique planétaire. n

PAR HERVÉ BRAMY*

«J’ ai tellement sillonné lemonde qu’on m’a sur-nommé le climaratho-

nien » (Laurent Fabius, JDD,13/12/2015). Disons, pour sourire,que le bilan carbone de LaurentFabius et de son équipe, pour parve-nir au consensus de Paris sur le cli-mat, n’est pas à montrer en exemple.Ces kilomètres illustrent à leurmanière que la COP21 était, selon lesmots de François Hollande, la « prio-rité diplomatique française ». Il fallaitau président de la COP21 (LaurentFabius) créer un climat de confiance,bâtir une méthode faite « d’écoute,de transparence, d’ambition et d’es-prit de compromis ». L’esprit de com-promis a été si puissant que Parisaccouche finalement d’un accord entrompe-l’œil.

À l’évidence, la France a su dévelop-per un discours de séduction à l’égarddes États du monde, au momentmême où elle bombardait la Syrie,adoptait une position frileuse sur lesmigrants et multipliait la vente deRafales… Afin d’éviter un nouveléchec – comme celui de Copenhague–, il fallait la présence et l’accord detous les pays. Pour ne rebuter aucund’entre eux (et notamment la Chineet les États-Unis), on a évité les sujets

climat : de nouvelles ambitionsprogressistes !Après l’accord en trompe-l’oeil de la coP21, bâtir de nouveaux modes deproduction et de consommation qui favorisent l’émancipation humainetout en respectant la planète.

*Hervé Bramy est membre ducomité du projet. Il est animateur dusecteur Écologie du Conseil nationaldu PCF.

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« priorités de politique étrangère ».Elles n’ont pas changé et elles sont aunombre de quatre. « Lorsque nousavons, le président de la Républiqueou moi-même, des choix à faire, nousnous référons à ces quatre priorités »,a-t-il expliqué. « La paix et la sécurité,c’est la priorité absolue ; la planète,on se demandait à l’époque ce quecela voulait dire, je crois que l’on peutmaintenant davantage le compren-dre ; l’Europe ; le rayonnement de la

France. » Qui n’adhérerait pas à cesquatre axes ? Malheureusement, entreles déclarations d’intention et la réa-lité sur le terrain, il y a un gouffre.L’attitude de la France, sur les grandsdossiers de cette région, est, au mieux,sans effet, au pire, elle s’inscrit dansune posture impérialiste visant à inter-venir pour faire et défaire des pou-voirs, des régimes pour mieux exploi-ter les richesses et s’imposer commegendarme régional. La politiquemoyen-orientale de la France s’appuiesur des alliés pour le moins peu fré-quentables, l’Arabie saoudite, le Qatar

et la Turquie et entretient les meil-leures relations possibles avec Israël.Par ailleurs, alors qu’il n’était encoreque candidat à la présidentielle,François Hollande a soutenu l’inter-vention militaire en Libye. La politiquefrançaise au Proche et Moyen-Orient

se veut guidée par la défense de ladémocratie et des droits de l’homme.En réalité ce ne sont que des cache-sexes. Dans les différents affronte-ments qui opposent les puissancesrégionales, la France a choisi soncamp. C’est désormais une des carac-téristiques de la politique française auMachrek : elle est non seulement surla même longueur d’ondes que celledes États-Unis mais se veut encoreplus guerrière, adepte d’une diploma-tie du canon dont on sait pourtant lesméfaits qu’elle cause. Déstabilisationdes pays, affrontements entre com-munautés ethniques et confession-nelles… mais que de terrains privilé-giés pour les ventes d’armes !

soutien à la militarisation de la révolteDepuis le déclenchement des« Printemps arabes », la Syrie apparaîtau centre des préoccupations fran-çaises, d’abord avec Sarkozy/Juppépuis avec Hollande/Fabius. Unemême démarche visant à se débarras-ser du pouvoir en place, comme enLibye. Paris est à l’origine de la créa-tion du Conseil national syrien (CNS),dirigé par un laïc mais en réalitédominé par les Frères musulmans. LaFrance a soutenu, voire poussé à lamilitarisation de la révolte alimentéeen armes par les pétro-monarchies duGolfe, une stratégie qui a permis àDamas d’éviter toute réponse poli-tique aux revendications populaires.

Officiellement, il s’agissait d’aider lesdémocrates, d’empêcher les massa-cres. En réalité l’aide politique n’a jamais concerné les opposants del’intérieur ni les groupes les plus pro-gressistes de l’opposition qui se pro-nonçaient d’ailleurs contre la milita-

PAR PIERRE BARBANCEY*

a vant de se pencher plus pré-cisément sur la politique dela France au Proche et Moyen-

Orient, une remarque liminaire s’im-pose : la politique internationale denotre pays est, depuis plusieursannées, tout entière inscrite dans sonappartenance à l’Organisation dutraité de l’Atlantique Nord (OTAN)avec une intégration militaire en 2004

une centaine de militaires françaisrejoignent les commandementssuprêmes, à Mons (Belgique) et àNorfolk (États-Unis), première rup-ture avec la politique du général deGaulle dont l’aboutissement se pro-duit en 2009 avec l’annonce parNicolas Sarkozy du retour de la Francedans le commandement intégré del’Alliance atlantique. Une politiquequi non seulement ne sera pas dénon-cée par son successeur, FrançoisHollande mais, à bien des égards, serarenforcée avec la multiplication desaventures militaires. Une orientationatlantiste qui rapproche et fait dépen-dre de plus en plus notre pays de lapolitique menée par les États-Unis àtravers le monde. On assiste mêmedepuis le quinquennat de Hollandeà une accélération de ce processus,Paris cherchant à remplacer Londrescomme partenaire militaire privilé-gié de Washington.

des alliés pour le moinspeu fréquentablesLors de ses vœux à la presse, le 11 jan-vier 2016, Laurent Fabius, ministre desAffaires étrangères que l’on dit sur ledépart, a décliné ce qu’il appelle les

au moyen-orient, une politique de la france plus guerrièreque celle des états-unisentre les déclarations d’intention et la réalité sur le terrain, il y a un gouffre.L’attitude de la France, sur les grands dossiers de cette région, est, aumieux, sans effet, au pire, elle s’inscrit dans une posture impérialiste.

« une orientation atlantiste qui rapprocheet fait dépendre de plus en plus notre pays

de la politique menée par les États-unis à travers le monde. »

« La France a soutenu, voire poussé à lamilitarisation de la révolte alimentée en

armes par les pétro-monarchies du golfe. »

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IER s risation. À cet égard, l’attitude fran-

çaise vis-à-vis des Kurdes de Syrie, lorsdu siège de Kobané par l’organisationdite de l’État islamique (Daech), estrévélatrice des orientations de l’Ély-sée et du Quai d’Orsay. Les forces dedéfense kurdes (YPG/YPJ) ont été bienseules. Paris préfère aider (y comprisen armement et en formation mili-taire) les Kurdes d’Irak notamment leParti démocratique du Kurdistan(PDK), dirigé par Massoud Barzani quientretient les meilleures relations avecla Turquie et s’oppose au parti des tra-vailleurs du Kurdistan (PKK). Le gou-vernement français n’a pas un motpour dénoncer l’aide d’Ankara àDaech, la répression sanglante quis’abat sur les Kurdes de Turquie depuisplusieurs mois, continue à défendrel’inscription du PKK sur la liste desorganisations terroristes de l’UE et nefait pas un geste pour obtenir la libé-ration d’Abdullah Öcalan.

des attitudescontradictoires,dominées par des intérêts économiquesLors des négociations de Genève, ellen’a cessé de dresser des obstacles ententant d’inscrire l’exclusion deBachar el-Assad de toute solution inté-rimaire. Un préalable évidemmentinacceptable pour le pouvoir syrienmais voulu par Ryad. De même, lorsdes négociations sur le dossiernucléaire iranien, c’est la France,encore une fois, qui a tenté de « frei-ner des quatre fers » au risque de fairecapoter l’accord. Mais que ne ferait-

on pas pour un allié comme l’Arabiesaoudite, qui achète des avionsRafale ? Qu’importent les décapita-tions légalisées, le droit des femmesviolé et le mirage démocratique dansle Golfe ? Surtout, il faut cacher lesvéritables raisons de l’acharnement

contre la Syrie. Damas est coupabled’avoir refusé le passage sur son ter-ritoire d’un gazoduc transportant legaz du Qatar pour alimenter l’Europevia l’Arabie saoudite, la Syrie puis laTurquie, qui s’attaquerait directementaux intérêts russes, grand allié de laSyrie.Concernant le « conflit » israélo-pales-tinien, la France affiche une positionéquilibrée, pour une solution à deuxÉtats. Mais en réalité, au-delà desdéclarations, elle ne fait rien pourstopper la colonisation, mettre fin àl’occupation et est incapable de met-tre en œuvre une initiative interna-

tionale pour imposer la paix, laissantTel Aviv toujours impunie. Elle amême soutenu l’offensive israéliennedans la bande de Gaza à l’été 2014.Un tropisme mitterrandien partagépar Hollande.

Pas à une contradiction près, le pré-sident français, qui avait ignoré l’ap-pel de son homologue russe, VladimirPoutine, lancé depuis la tribune desNations unies lors de l’Assembléegénérale en septembre dernier, à lamise en place d’une grande coalitionpour combattre Daech, s’est rendu àMoscou après les attentats de novem-bre 2015 à Paris et Saint-Denis, vou-lant ainsi apparaître comme fer delance de la lutte contre non pas tousles groupes armés islamistes (soute-nus par les pays du Golfe) mais contreDaech. Ce qui ne l’empêche pas, toutcomme Fabius, de pointer du doigtl’intervention russe en Syrie et dedédouaner les groupes islamistes.Laurent Fabius n’avait-il pas dit enparlant du Front al Nosra que « sur leterrain ils font du bon boulot ». enaoût 2012, que « Bachar el-Assad nemériterait pas d’être sur terre » et, endécembre 2012, que « le Front al-Nosra (branche syrienne d’Al Qaïda)fait du bon boulot », alors même quecette organisation djihadiste venaitd’être classée terroriste par les États-Unis ? n

« La France, est incapable demettre en œuvre

une initiativeinternationale pour

imposer la paix,laissant tel Aviv

toujours impunie. »

*Pierre Barbancey est journaliste àL’Humanité.

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« le déploiement au Mali, pour unepériode initiale d’une année, d’uneforce internationale sous conduiteafricaine (MISMA) afin de rétablir lasouveraineté malienne sur l’ensem-ble du territoire », François Hollandedécidait d’intervenir au Mali à lademande, affirmait-il, du présidentpar intérim malien DioncoundaTraoré. Cette opération militaire,dénommée Serval mobilisant

quelques 1 400 hommes, « n’a pasd’autre but que la lutte contre le ter-rorisme » assurait-il, sur le point deprendre Bamako ! Et c’est dans lemême esprit que la France (opérationSangaris) interviendra une année plustard en Centrafrique.Mais comme mentionné plus haut,derrière ce souci humanitaire, sansdoute réel, manifesté par Hollande, secachent des considérations plus terreà terre. Celle, par exemple, expriméepar le socialiste François Loncle dansun rapport parlementaire, estimantque dans l’« arc sahélien », allant dela Mauritanie au Soudan, « le contrôledes lieux de production est un enjeumajeur ». Le Niger, troisième produc-teur mondial d’uranium, matière stra-tégique exploitée par le françaisAREVA, en est une parfaite illustra-tion. Intérêts français obligent aussi,dans sa guerre contre le terrorisme, lepouvoir socialiste, qui avait promis deprendre ses distances avec certainsautocrates africains, va rapidementmettre en sourdine ses critiques, etsolliciter l’appui du tchadien IdrissDeby, du burkinabé Blaise Campaoréavant sa chute et qu’il ne soit exfiltrévers la Côte d’Ivoire sur ordre de l’Ély-sée, du mauritanien Ould Abdel Azizou du camerounais Paul Biya.

les effets désastreux de l’interventionlibyenne sur le sahelTrois ans après Serval, les djihadistessont loin d’être éradiqués comme l’at-teste la série d’attaques et d’attentatsrevendiqués par Al-Qaïda au Maghrebislamique (AQMI) au Mali mais aussiau Niger, au Tchad et même auCameroun. Tous ces pays, comme onpouvait le craindre, sont toujours sousla menace d’une déstabilisation pro-voquée par la guerre de Sarkozycontre la Libye, guerre que le candi-dat Hollande avait d’ailleurs soute-nue. Dans ce pays sans État, plongédans un chaos destructeur où les riva-lités tribalo-islamiques structurent lechamp politique, devenu une basearrière des groupes djihadistes régio-naux, une base de trafic d’êtreshumains – des côtes libyennes par-tent des dizaines de milliers demigrants africains et orientaux endirection de l’Italie – Daech est entrain de se constituer un sanctuaireterritorialisé : il contrôle Derna (Estlibyen), a fait de Syrte (centre du pays)son principal fief, convoite lesrichesses pétrolières et menace laTunisie où il a revendiqué les atten-tats du Bardo, de Sousse et celuicontre les forces de sécurité en pleincentre de Tunis.

Redoutant à tort ou à raison l’arrivéede Daech dans le Sahel, les pays lesplus fragiles et les plus menacés de lazone sahélienne qui ont déjà fort àfaire avec l’AQMI, les pays du G5(Mauritanie, Mali, Niger, BurkinaFasso et Tchad) ont appelé le18 décembre dernier à l’issue du som-

PAR HASSANE ZERROUKY*

«J e développerai la relationde la France avec les paysde la rive sud de la Méditer -

ranée sur la base d’un projet écono-mique, démocratique et culturel. Jeromprai avec la “Françafrique”, enproposant une relation fondée surl’égalité, la confiance et la solidarité ».

C’était le 58e engagement du candi-dat Hollande en 2012, qu’il réitéreraà Dakar en octobre 2012. En fait, il n’yaura pas de rupture avec les politiquespassées mais une continuité. La nou-veauté par rapport aux pratiques pas-sées où Paris invoquait des accordsbilatéraux pour soutenir un potentatlocal, c’est la menace terroristecomme l’illustrent les cas libyen,malien et plus généralement la situa-tion au Sahel. Avec toujours le mêmebut : préserver les parts de marchéfrançais en Afrique, grignotées par laChine et les États-Unis qui se livrentune féroce concurrence pour fairemain basse sur un marché de plus enplus porteur.À la différence de Nicolas Sarkozy enCôte d’Ivoire ou en Libye, FrançoisHollande, toutefois, va tenter de posi-tiver les interventions françaises auMali et en Centrafrique, en soutenantque les actions militaires de la Francen’ont pas pour but d’aider une partiecontre une autre (cas de la Côted’Ivoire) mais de porter secours à unpays et à son peuple menacé par lesdjihadistes.Le 11 janvier, dans la précipitation,alors que le 20 décembre 2012 leConseil de sécurité de l’ONU venaitd’adopter une résolution préconisant

comment françois hollande perpétue la françafriqueen matière de politique africaine de la France, la préservation des parts de mar-ché et le militaire priment sur le diplomatique.

« intérêts français obligent aussi, dans saguerre contre le terrorisme, le pouvoir

socialiste, qui avait promis de prendre sesdistances avec certains autocratesafricains, va rapidement mettre en

sourdine ses critiques »

« cette politique,en fait un

néocolonialisme àrebours, se fait audétriment d’une

vraie politiqued’aide et de

coopération. »

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*Hassane Zerrouky est journaliste àL’Humanité et au Matin d’Alger.

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(ASEM), censé contrebalancer leForum de coopération économiqueAsie-Pacifique (APEC), dominé parles États-Unis. À cette époque, JacquesChirac s’efforce de construire des liensprivilégiés avec la Chine, après desannées de rupture suite à Tian’anmenet les affaires de ventes d’armes fran-çaises à Taïwan. Sa vision politiquecourt jusqu’au Japon où il parvient àentretenir des relations ambitieuses,malgré le tollé provoqué localementpar la reprise des essais nucléaires en1995. Les relations avec Pékin se com-pliquent sous la présidence de NicolasSarkozy du fait de la crise de 2008, lorsdes révoltes au Tibet, du fiasco diplo-matique né du passage de la flammeolympique à Paris et, enfin, de l’im-plication directe de la France dansl’intervention libyenne. Ce derniertente alors une politique de rééquili-

brage vers les pôles émergents, Indeet Indonésie en tête.Lors de son accession à la présidencede la République, François Hollanden’a pas caché sa volonté de diversi-fier la présence française en Asie-Pacifique quitte à entrer en concur-rence directe avec la stratégieaméricaine de « pivot » vers l’Est quivise à contrebalancer l’influence dela Chine dans son environnementrégional. Pour marquer ce tournant,Laurent Fabius fut le premier minis-tre des affaires étrangères français àse rendre au siège de l’Association desnations de l’Asie du sud-est (ASEAN),en août 2013. Lors de son discours, ilmet en exergue cette nouvelle straté-gie et le rôle prépondérant joué parl’Asie dans l’économie mondiale : « cepivot français n’est pas principale-ment militaire, comme pourrait l’être

PAR LINA SANKARI*

diversifier la présence française en asie-pacifiqueSommairement, de Gaulle posequelques jalons avec le discours dePhnom Penh qui critique l’interven-tion américaine au Vietnam, et l’éta-blissement de relations diplomatiquesavec la Chine dès 1964. FrançoisMitterrand s’adonna également àquelques actes marquants, en 1991avec les Accords de Paris sur leCambodge et en 1993, avec la pre-mière visite d’un président françaisau Vietnam depuis 1945 alors que lepays vit toujours sous embargo amé-ricain. Féru de cultures asiatiques, leprésident Chirac lance avec l’ancienpremier ministre de Singapour, LeeKuan Yew, le dialogue Asie-Europe

l’asie, de « l’angle mort » à la diplomatie tous azimutsLongtemps considérée comme un « angle mort » de la politique extérieurefrançaise, l’Asie est pensée en termes d’enjeu stratégique de premierordre depuis les années 1990, malgré de maigres résultats dus à la persis-tance de tropismes européen et africain d’une part et aux faibles moyensalloués à cette ambition d’autre part.

met de Nouaktchott à une interven-tion militaire en Libye ! Sans doutesur les conseils « amicaux » de Pariset Washington, qui fournissent déjàune assistance militaire aux paysconcernés. Avec l’opération Barkhane,qui a pris le relais de Serval à comp-ter d’août 2014, la France s’y prépareavec 4 000 hommes, 20 hélicoptères,10 avions de transport, 6 rafales, 3drones et 200 blindés, répartis dansplusieurs pays dont, outre le Mali, leTchad, la Mauritanie, le Niger maisaussi la Côte d’Ivoire, le Sénégal, leGabon et Djibouti. La Libye est de faitdans la ligne de mire de l’Élysée. Laquestion a été d’ailleurs évoquée lorsde la rencontre entre FrançoisHollande et Matteo Renzi le 26 nov -em bre dernier à Rome.

militarisationde la politique africainePour conclure, force est de constaterqu’en matière de politique africainede la France, c’est le militaire qui prime

sur le diplomatique. C’est le ministèrede la Défense qui gère de fait la situa-tion sahélienne. Jean-Yves Le Drianest plus présent que Laurent Fabiussur le sol africain. C’est lui qui gère lescrises au Mali ou en Centrafrique.L’Afrique mais aussi le Maghreb sontvus comme la frontière sud de laFrance, écrivent Hélène Quenot-Suarez et Aline Leboeuf dans unouvrage édité par l’IFRI, La politiqueafricaine de la France sous FrançoisHollande. Reste que cette militarisa-tion de la politique africaine, permetà la France d’exister et de justifier sonstatut de puissance impériale, fait l’im-passe sur les origines sociopolitiquesdes conflits en cours, sur la collusiond’intérêts entre les réseaux (ex-mili-taires et conseillers français de chefsd’États africains) hérités de laFrançafrique et les grands groupescomme Total, dans certains pays. « EnAngola, l’ambassade ne sert à rien.L’ambassade c’est Total » déplorait undiplomate. Mais aussi sur ces mili-

taires français qui assurent la défensede leurs intérêts comme on l’a vu enCôte d’Ivoire.Cette politique, en fait un néocolo-nialisme à rebours, se fait au détri-ment d’une vraie politique d’aide etde coopération. L’aide publique audéveloppement a baissé, passant de0,5 % du PIB en 2014 à 0,34 % en 2015,loin des 0,7 % fixé par l’ONU, un tauxque seuls la Grande Bretagne, laSuède, le Luxembourg et le Danemarkrespectent. Rigueur oblige, elle vaencore diminuer en 2015 et 2016 alorsqu’en septembre à l’Assemblée géné-rale de l’ONU, François Hollande avaitpromis d’accroître cette aide de 4 mil-liards d’euros. Encore un engagementnon tenu. n

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la france en amérique latine, un manque d’ambition politique

le pivot américain, même si la Franceest présente dans la région [...]. Notrepivot est davantage diplomatique. Lenouveau gouvernement français a faitdu développement de nos liens avecl’ensemble de l’Asie une priorité. »

le traité transpacifique Ce repositionnement français inter-vient dans un contexte où les traitésde libre-échange se multiplient. Leplus important d’entre eux demeurele traité transpacifique qui, s’il est rati-fié par les parlements concernés,accouchera de la plus vaste zone delibre-échange mondiale. Le TraitéTranspacifique concerne les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Chili,

le Pérou, le Japon, la Malaisie, leVietnam, Singapour, Brunei, l’Austra -lie et la Nouvelle-Zélande. Soit 40 %du PIB mondial. Cette vaste zone dedérégulation est également une voiede contournement des cycles mon-diaux de discussions sous l’égide del’Organisation mondiale du com-merce (OMC), après l’échec de Dohaen 2006.L’Asie est le deuxième partenaire éco-nomique de la France et abrite 18 %de ses implantations au niveau mon-dial. Le Japon, l’Australie, Singapouret Hong Kong concentrent à eux seuls

80 % de l’établissement des filialesfrançaises. Ainsi, tout en pérennisantle « partenariat global » instauré parJacques Chirac avec la Chine en 1997,François Hollande entendait-il s’af-franchir d’une focalisation considé-rée comme trop importante alors quela deuxième puissance économiquemondiale est l’objet d’une compéti-tion accrue de nos partenaires euro-péens, en particulier allemands, etque le déficit commercial reste unpoint d’achoppement. Pour ce faire,l’exécutif programme une série dedéplacements en Inde, au Japon, enCorée du Sud, à Singapour, auVietnam. Dans le cadre de cette diplo-matie essentiellement économique,

Paris n’a pas négligé les économiesémergentes de « second rang » tellesque les Philippines et le Laos.

de la consultationstratégique à lacoopération de défenseAu-delà des traditionnelles exporta-tions, l’Élysée vise à renforcer les par-tenariats basés sur les besoins despays concernés mais aussi la coopé-ration dans le domaine de la défense.La France a ainsi développé un rarevolontarisme en matière de ventesd’armes. La moitié de ces contrats

sont destinés à l’Asie et l’Inde y tientune place de premier rang. De laconsultation stratégique à la coopé-ration de défense, Paris cherche àdiversifier ses capacités de projectionen Indonésie, en Malaisie, en Mon -golie et au Vietnam et participe dés-ormais au Dialogue de Shangri-La, leforum annuel sur la sécurité régio-nale, alors que l’Asie est parcouruepar des tensions multiformes.En tant que puissance moyenne, laFrance a-t-elle les moyens de semesurer aux États-Unis en Asie ? Faceà l’évidence, Paris choisit la stratégiedu contournement, même timide. Surfond d’aggravation de la crise du capi-talisme, la France rejoint, contre l’avisde Washington, la Banque asiatiqued’investissement dans les infrastruc-tures (AIIB), levier financier du pro-jet de ceinture économique de laRoute de la Soie entre la Chine et lesmarchés européens en passant par laRussie, l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est. Projetambitieux également porteur d’une« vision politique, qui entend com-battre le terrorisme par le développe-ment », comme l’a souligné à justetitre l’ancien premier ministreDominique de Villepin, les Routes dela soie pourraient également seconstituer en une nouvelle plateformemultilatérale qui permettrait à laFrance d’investir le champ politique,et pas simplement économique etmilitaire, et faire de l’Asie, un enjeude premier ordre. n

*Lina Sankari est journaliste àL’Humanité.

« L’Asie est le deuxième partenaireéconomique de la France et abrite 18 % de

ses implantations au niveau mondial. »

PAR OBEY AMENT*

a près les années Sarkozy mar-qués par une conception desrelations qui privilégiait les

partenariats avec les puissances régio-nales comme le Brésil ou le Mexique,l’Amérique latine progressiste avaitplacé ses espoirs dans l’élection deFrançois Hollande à la présidence de

la République. Elle attendait un alliépolitique pour changer le monde,pour faire face à la crise financièreavec des propositions économiquescontraires aux politiques d’austéritéet pour réformer les institutions finan-cières internationales et dépasser l’or-dre mondial issu de la guerre froide.Elle a trouvé un partenaire qui privi-légie les affaires sans trop se soucierdes grandes ambitions politiques.

à la recherche de marchésLes déplacements de représentantsgouvernementaux dans les capitaleslatino-américaines, la nomination deJean Pierre Bel comme représentantpersonnel du président de la répu-blique en Amérique latine et lesdéplacements de Laurent Fabius etde François Hollande montrent unintérêt réel pour cette région.

Alors que les pays progressistes nourrissaient un espoir de nouvelles rela-tions centrées sur des rapports de paix et de défense des droits, la Franceprivilégie les rapports économiques et commerciaux.

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Le ministre des Affaires étrangères,Laurent Fabius, a su trouver les motsqu’on attendait de la France :L’Amérique latine est « une prioritéde la politique étrangère » françaisequi s’inscrit dans une perspective« continentale et partenariale de longterme ». Les axes définis par le gou-vernement français parlent d’actionsur les enjeux globaux, de renforce-ment du dialogue politique etd’échanges commerciaux et humains.

En réalité ce sont les questions éco-nomiques et commerciales qui sontau centre de cette relation.

La démarche de la France s’inscritdans les politiques européennes demise en concurrence et de recherchede compétitivité pour ses transnatio-nales. Elle est un partenaire commer-cial actif à la recherche de marchéslocaux à conquérir, des possibilitésd’investissement et d’implantationpour les entreprises françaises dansdes pays qui peuvent être des plate-formes pour l’exportation avec une

main-d’œuvre peu chère et souventavec des droits du travail ramenés auminimum. Les accords signés sontnombreux et concernent des secteursoù la France est compétitive : les infra-structures, l’énergie, la pharmaceu-tique, les services, les assurances, lagrande distribution et la vente dematériel militaire et la technologienucléaire. Ce partenariat associe descoopérations dans les domaines uni-versitaires, technologiques et scien-

tifiques avec parfois des transferts detechnologies. Au Mexique, pays quidemande d’être associé au Traitétransatlantique, Safran emploie 5 000personnes dans dix implantations deses filiales et Airbus produit des piècespour l’A320 et pour des hélicoptères.

des occasions manquéesPlus qu’un dialogue politique, laFrance propose des convergences surdes intérêts communs sans se don-ner pour objectif la modification desrapports des forces en faveur des poli-tiques des droits nouveaux, des régu-

lations nécessaires face au capitalismefinancier et le pouvoir des transna-tionales. C’est un dialogue politiquequi ne met pas au centre des priori-tés le développement et la paixcomme certains pays latino-améri-cains auraient souhaité. La préoccu-pation de certains gouvernementsface aux politiques d’interventionsmilitaires et d’ingérence n’est pasprise en compte ni leur aspiration àune démocratisation de l’ONU et desinstitutions financières internatio-nales. La France a voté contre la pro-position faite à l’ONU par l’Équateurde création d’un instrument pour lerespect des droits de l’homme con -trai gnant pour les transnationales.

Avec la France, l’Amérique latine auraitpu établir une coopération politiquelors du Sommet de Paris sur le chan-gement climatique en prenant encompte les attentes des pays les plusen pointe sur la question. Sur le ter-rain, la France avec le concours del’Agence française pour le développe-ment apporte des crédits pour des pro-jets de « croissance solidaire verte »avec la participation d’entreprises fran-çaises. En Colombie, l’Agence fran-çaise de développement (AFD) apportedes crédits de 275 millions d’écus pourle développement rural dans les zonesaffectées par le conflit armé alors quela mise en œuvre de la loi pour la res-titution des terres n’est pas respectéeet que des dirigeants paysans sontassassinés. En juillet 2015, le présidentmexicain a été reçu avec tous les hon-neurs alors que l’État mexicain est

« intérêts français obligent aussi, dans sa guerre contre le terrorisme,

le pouvoir socialiste, qui avait promis de prendre ses distances avec certains

autocrates africains, va rapidement mettre en sourdine ses critiques »

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il faut d’abord avoir une vision globale de l’action diplo-matique et politique. certains sont tentés penser quela question palestinienne est désormais de secondordre. il y aurait dans le monde des points beaucoupplus chauds et urgents que ce « conflit de basse inten-sité » qui pourrait indéfiniment se poursuivre sans plusde dommages.

c’est une vision très dangereuse qui ne mesure pas quederrière une immobilité apparente (on s’est depuis silongtemps accoutumés à l’enlisement puis à la dispa-rition du « processus de paix ») des forces sont à l’œu-vre qui mènent au pire. c’est-à-dire à faire quitter leterrain politique, le seul qui permette un règlement duconflit, pour celui du religieux et de la guerre de civili-sations.

il faut donc une vision et une cohérence politique. ouiou non la « solution à deux états » est-elle le passageobligé pour le règlement du conflit ? oui ou non l’im-pressionnant corpus des diverses résolutions de l’onudepuis le plan de partage de 1947 constitue-t-il la seulebase possible pour ce règlement ?

si la réponse est oui (et qui ose dire le contraire ?), alorsl’action politique et diplomatique à mettre en œuvreest claire.

il faut sans plus tarder reconnaître l’état de palestine.une reconnaissance qui certes n’aura pas d’effet immé-diat sur le terrain, mais qui ne sera pas simplement sym-bolique : elle marquera qu’aux yeux de la france (etd’autres qui la suivront) israël est un état qui en occupeun autre. on ne pourra continuer, comme si de rienn’était, à vanter la démocratie israélienne et promou-voir des coopérations économiques ou universitairestelles que celles du programme européen horizon 2020dont bénéficie israël.

le deuxième point est évidemment la question de savoircomment contraindre les dirigeants israéliens à renon-cer à leur politique de colonisation de la palestine. ilfaut les isoler sur la scène internationale et les sanc-tionner.

tout ne se fera pas en un jour, mais la france doit ces-ser toute coopération militaire et policière : israël estle plus mal placé en matière de combat contre le ter-rorisme, lui qui a érigé depuis longtemps le « terrorismed’état » comme moyen d’action politique, de l’assassi-nat extrajudiciaire au bombardement délibéré despopulations civiles.

elle doit interdire l’entrée sur le marché français desproduits venant des colonies israéliennes, alors qu’elletraîne les pieds pour appliquer l’étiquetage décidé parl’union européenne (ue).

elle doit appeler l’ensemble de ses partenaires à sus-pendre l’accord de coopération ue-israël qui équivautpratiquement à faire de ce pays le 29e membre de l’union.

ce ne sont pas les moyens d’action qui manquent, maisla volonté politique. s’il en fallait une preuve supplé-mentaire, les attaques judiciaires et les condamnationsde militants qui appellent au boycott montrent aucontraire la force du groupe de pression pro israéliendans notre pays. c’est aujourd’hui un enjeu de notrecombat en france : refuser toute assimilation à de l’an-tisémitisme la critique de la politique d’un état quibafoue les droits d’un peuple et menace la paix. pournotre part nous poursuivrons en toute clarté ce com-bat politique dans le contexte difficile de l’après 13novembre.

isrAëL - PALestine : que doit FAire LA FrAnce ?

Taoufiq Tahani est président de l’Association France Palestine.

impliqué dans la disparition de 43 étu-diants et que des journalistes sont per-sécutés ou assassinés pour avoirdénoncé la corruption pratiquée parle président lui-même ou par d’autreshommes politiques.

Le voyage de François Hollande àCuba a été un moment importantdans les relations entre la France etl’Amérique latine. La France auraitgagné en crédibilité si ce voyage avaiteu lieu avant l’annonce de la reprisedes relations entre les États-Unis etCuba. Ce voyage ouvre la possibilitépour les entreprises françaises d’oc-cuper le terrain en vue d’une éven-tuelle levée du blocus. La France va-t-elle œuvrer avec plus de déter -

mi nation en faveur de la fin de cetteviolation du droit international ? Va-t-elle prendre des initiatives en faveurde la suspension définitive de la« Position commune » adoptée parl’UE contre Cuba en 1996 et toujoursen vigueur ?L’indépendance de l’action extérieurefrançaise revendiquée par LaurentFabius a été mise à rude épreuve lorsdu détournement de l’avion qui trans-portait le président bolivien EvoMorales. Cet épisode malheureux aété surmonté et des coopérations semettent en place avec ce pays andinmais il y a des gestes qui ne s’effacentpas et portent préjudice à la crédibi-lité d’une relation qui prétend s’ap-puyer sur la confiance.

La France était attendue comme lapuissance capable de porter avec lesgouvernements progressistes desalternatives pour un monde secouépar des grandes crises. Plus quejamais elle a un rôle à jouer avec sonapport propre, indépendant, avec descoopérations en faveur des peuplescapables d’affronter les défis plané-taires démocratiques, environnemen-taux et de justice exigeant une visionnouvelle. n

*Obey Ament est responsableAmérique latine du secteurInternational du Conseil national du PCF.

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c’ est avec un grand intérêt que je me suis plongédans la lecture du précédent numéro de La Revuedu projet. si son dossier sur l’éducation a pour moi

tout de suite suscité un engouementparticulier, c’est avant tout parce que,selon l’adage populaire, je suis un filsde « prof ». j’ai ainsi baigné dans unefamille où le sujet revient sur la tableà chaque dîner. nul doute que ce dos-sier apporte à tout curieux desréflexions profondes sur l’état dumonde de l’éducation. Me laissantguider article par article à la décorti-cation précise des maux de notreécole, j’affinai ainsi par leur aide mespropres constats et analyses de cequi ne va pas et ce qui ne va plus.individualisation des problèmes,mises en concurrences des appre-nants, abandon des enseignants faceà la complexification de leur métier.Finalement, nous n’avons pas évité le risque d’une école quidevienne une « loterie nationale pour les enfants du peu-ple » comme le souligne un des contributeurs du dossier,en reprenant, notamment, condorcet.

deux des écueils fondamentaux sont soulignés avec clarté.Le premier repose sur le risque de l’exportation de l’éduca-tion en dehors de l’école. cela reviendrait dans notre société

à la marchandiser au profit d’un mar-ché privé, incontrôlé, mais lucratif.c’est en fait l’objectif des politiquesmenées par les gouvernements dedroite. Mais cet écueil est aussi larésultante des choix des sociolibé-raux, parfois pris à leur corps défen-dant. Acter cet état de fait est la pre-mière étape pour décider d’en sortir.en effet, reprendre du pouvoir aumarché n’est pas impossible, lui enlaisser au détriment des plus défa-vorisés est une intolérable faute.

Le second écueil est la fausse convic-tion que le problème ne réside pasdans l’école mais, au contraire, dansl’inadaptation de certains apprenants

due à un handicap social ou culturel. il revient à condam-ner une réforme profonde et nécessaire du système édu-catif. Ainsi il me semble que ce dossier invite à opposer auxdéfis qui se posent devant nous une réponse radicale ausens étymologique du terme reposant sur une transforma-tion du système éducatif en s’attaquant aux racines detoutes les formes de déterminisme, sans quoi nous serionscondamnés à légitimer des inégalités produites par le sys-tème éducatif ou bien les traiter à la marge.

Avec ses contributeurs et plus largement avec l’ensembledu PcF, je pense partager ce constat d’urgence à agir, l’ana-lyse de la situation, effectuée avec brio dans ce dossier, etla volonté radicale de transformation. Pourtant, en tant quemilitant je ressens tout de même une certaine frustration.si La Revue du Projet remplit son rôle de stimulation intel-lectuelle, le dossier pêche peut être quant à sa capacité às’ériger en projet.

Loin de moi l’idée d’écarter la nécessité de la coproductionavec tous les acteurs de propositions pour fonder l’éduca-tion de demain, mais peut-être pouvons nous regretterensemble le manque d’un cheminement et de propositionsplus concrètes qui entendent servir d’étapes pour l’objec-tif que le dossier définit avec clarté. certes, il serait faux dedire que le dossier ne cible pas de façon précise où agir,mais il ne permet pas de savoir comment agir : comments’atteler à un tel projet ? Par où commencer ? que peut-onfaire maintenant ? il me semble retrouver ici notre contra-diction politique majeure : comment penser la transforma-tion sans la conditionner uniquement à la prise du pouvoir,comment créer la dynamique politique nécessaire au chan-gement dès aujourd’hui ? n

Paul Elek, est militant communiste à Paris.

que peut-on faire maintenant ?

« il me sembleretrouver ici notre

contradictionpolitique majeure :

comment penser latransformation sans

la conditionneruniquement à la

prise du pouvoir »

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une nouvelle collection !comprendre le monde pour parvenir enfin à le changer vraiment. Analyser le présent pour penser et ouvrir unavenir d’humanité. tels sont les buts que se fixe la collection « Projet ». Au travers de livres courts qui apportentun regard éloigné des poncifs si médiatisés, elle donne la plume à des auteurs engagés, les animateurs de la revuedu Parti communiste français, La Revue du projet. chercheurs, militants, ils livrent un effort de synthèse destravaux existants et proposent des pistes pour voir et bâtir autrement. à destination des militants comme desuniversitaires, ces ouvrages sont conçus pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté qui sententpeser leurs chaînes et cherchent les voies de ce monde à gagner. corinne Luxembourg, responsable de la rubrique « Production de territoires » ouvre le bal.

pour une ville habitable depuis plus de 10 ans, les ouvrages analysant la ville se succèdent.

Les fractures françaises de christophe guilluy et Le Mystère fran-

çais d’emmanuel todd et Hervé Le bras parus respectivement en

2010 et 2013 sont peu à peu devenus des références dans l’ensem-

ble du monde politique et plus largement pour tous ceux et toutes

celles qui cherchent des éléments de réflexion et de réponse dans

un contexte de crise. Les analyses de l’un et de l’autre s’appuient sur

une fragilisation des classes moyennes, et sur une ethnicisation

systématique des questions sociales, rencontrant un écho d’autant

plus large que les débats politiques tendent à ne tourner

qu’au débat identitaire et à la communautarisation des territoires. Les

rapports de classes, les incidences du système capitaliste sur l’amé-

nagement et le vécu des territoires en sont complètement absents.

ceci est le point de départ de ce texte qui n’a d’autre ambition que

d’être un partage de réflexions sur la ville contemporaine autant

que de porter une réaction à ces propos médiatiques, par trop

catégoriques, discutables sur le fond comme sur la méthode. il

s’agit alors de lire l’aménagement des territoires, l’urbanisme

comme la traduction de rapports de dominations sociales et

d’idéologies politiques et économiques fortes. n

Pour commander l’ouvrage (10 € + 2 € de frais de port) - Chèque à l’ordre du Temps des Cerises77, boulevard Chanzy 93100 Montreuil • www.letempsdescerises.net

LE TEMPS DES CERISES ET VOTRE REVUE COLLABORENT

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cinquAnte dossiers pour un 37e congrès constructifLes quAtre grAnds tHèMes ProPosÉs PAr Le conseiL nAtionAL sont : 1. une société sans chômage, 2. une société du bien-vivre et du bien-commun, 3. La refondation démocratique de la république, une France d’égalité, ouverte et respectée, 4. La Paix et sécurité pour la France, en europe et dans le monde...Pour enrichir vos propositions et préparer collectivement le 37e congrès vous avez à votre dispositionen ligne plus de cinquante dossiers apportant des informations, des idées, des propositions, des éclai-rages... vous pouvez les consulter sur http://projet.pcf.fr/ ou commander (à un prix militant) les numé-ros papier qui correspondent aux thèmes dont vous souhaitez débattre en vue du congrès.n’hésitez pas à contacter l’équipe de la revue ([email protected]) pour préparer vos réunions, débats...

PRéPARez Le CoNGRès, souteNez LA ReVue !

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o N°1 : LA SÉCURITÉ • octobre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°2 : LES SERVICES PUBLICS • novembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°3 : Quelle ÉCOLE pour aujourd’hui et pour demain • décembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°4 : Comment changer dans LA MONDIALISATION • janvier 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°5 : LA GAUCHE DE L’AVENIR ? 80 thèses pour remettre la gauche sur le bon pied • février 2011 . . . X ...... ex. o N°HS : Rencontre nationale pour un PROJET POPULAIRE ET PARTAGÉ • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex.o N°6 : ÉCOLOCOMMUNISTE, sans complexe I • mars 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°7 : EUTHANASIE : a-t-on le droit de mourir ? • avril 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°8 : PROJET SOCIALISTE : une analyse critique pour avancer à gauche • mai 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°9 : LE MULTICULTURALISME, un cauchemar ? • juin 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°10 : CLASSE OUVRIÈRE : le fantôme de la gauche • septembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°11 : Place au PEUPLE • octobre/novembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°12 : DÉMONDIALISATION • décembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°13 : Lumières sur L’ÉNERGIE • janvier 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°14 : CRISES : construction et subversions • février 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°15 : Politiques du GENRE • mars 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°16 : LE VOTE UTILE ? le vote utile ! • avril 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°17 : MIGRATIONS au-delà des fantasmes • mai 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°18 : SPORT$, l’humain d’abord • juin 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°19 : Le polar imagine 2013 • septembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°20 : ART ET CULTURE, les sentiers de l’émancipation • octobre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°21 : Habiter LA VILLE • novembre 2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°22 : NOUVEAUX ADHÉRENTS Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Faut-il les garder ? • décembre 2012 . X ...... ex. o N°23 : Vive LE PROGRÈS • janvier 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°24 : LES MOTS PIÈGÉS • février 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°25 : Bien NOURRIR LA PLANÈTE • mars 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°26 : À la conquête d’une nouvelle CONSCIENCE DE CLASSE • avril 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°27 : NATIONALISATIONS : l’intérêt général • mai 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°28 : LA RETRAITE : une bataille capitale • juin 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°29 : COMMUN(ism)E et municipales • septembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°30/31 : Vive LA RÉPUBLIQUE • octobre/novembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°32 : LES TERRITOIRES de l’égalité • décembre 2013 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Refonder l’EUROPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°33 : Dessine-moi une VILLE HUMAINE • janvier 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°34 : PEUR • février 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°35 : Pour en finir avec LA DROITISATION • mars 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°36 : Sous les pavés, L’EUROPE • avril 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°37 : Enseignement supérieur et recherche SAVOIRS où aller ? • mai 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°38 : LE CORPS • juin 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°39 : La fabrique de L’ASSISTANAT • septembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°40 : FAB-LAB du bidouillage informatique à l’invention sociale • octobre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°41 : LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE • novembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°42 : COMMUNISME de nouvelle génération • décembre 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°43 : LIBERTÉ ! • janvier 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°44 : MÉDIA Besoin d’oxygène • février 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°45 : FÉMINISME au cœur des luttes révolutionnaires • mars 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°46 : NATION, une voie vers l’émancipation • avril 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°47 : MUSULMANS : dépasser les idées reçues • mai 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°HS : Convention nationale du PCF sur l’INDUSTRIE • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex. o N°48 : LES MOTS GLISSANTS • juin 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°49 : Non ! Il n’y a pas de GUERRE DES CIVILISATIONS • septembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°50 : 4 essais sur LA GAUCHE • octobre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°51 : CLIMAT, le temps des choix politiques • novembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°52 : LAÏCITÉ, outil d’émancipation • décembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°53 : ÉDUCATION, état d’urgence • janvier 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°54 : POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE : de la guerre à la paix • février 2016 . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex.

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... ex. = .............. €

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La France en commun, texte-invitation à écrire un projet d’émancipationhumaine pour le xxie siècle va être précisé, complété, retravaillé dans laperspective du prochain congrès du PcF. à vos stylos ! à vos claviers ! Le débatest ouvert ! il est possible d’y contribuer sur : contribuer.projet.pcf.fr

La Revue du projet s’efforcera d’accompagner le processus en rendant comptedes initiatives prises autour de ce texte et des contributions qu’il suscite au seindes forces sociales. Pour nous permettre de remplir au mieux cet objectif,faites-nous connaître les débats et réflexions qui émanent du terrain à :[email protected]

la gauche en questionce mois-ci, quentin corzani, responsable de la rubriquesecteurs de La revue du projet fait le compte rendu d’un débatorganisé dans l’essonne et thierry doulaud, secrétaire desection répond à trois questions sur le sens du débat.

Trois sections de l’essonne,

Massy, val d’yvette etnord-essonne, ont orga-nisé le 19 janvier dernierun débat au thème aussicourt que polémique : « la

gauche  en question  ». guillaumeroubaud-quashie, en sa qualité decontributeur au numéro « gauche »(n° 49) de La Revue du projet, est inter-venu dans la première partie de la soi-rée afin d’introduire le sujet.il est fréquent d’entendre parler de « vraiegauche ». guillaume s’est donc d’abordattaché à faire une présentation histo-rique du mot « gauche » pour décons-truire les idées reçues. il en est ressortique ce n’est pas un concept rigide quitranscenderait l’histoire. bien aucontraire. Le mot se développe à partirdu second empire dans les années 1850-1860. il signifiait alors « être républicain »,en opposition avec les autres régimes,notamment la monarchie et l’empire.Ainsi, des hommes tels que jules Ferry,clémen ceau ou même Adolphe thiers,tristement célèbre pour avoir massacréla commune, peuvent être classés àgauche. dans cette perspective histo-rique, parler de « vraie gauche » signifie-t-il quelque chose ? A fortiori non.toutefois, la gauche veut dire quelquechose. elle a une définition en mouve-ment, dans un premier temps associéeà l’idée de république, elle va être ensuiteassociée, dès 1945, à un contenu declasse. Le tournant s’opère avec l’écrou-lement du Parti radical de gauche, farou-

chement attaché à la propriété privéeet jusqu’à cette date premier parti degauche. c’est une période où l’enjeu dela définition de « gauche » est important.Le parti va y incorporer son contenu declasse.

Après ce premier déblayage, la questionque tout le monde a en tête est celle durapport entre la gauche et le peuple.Autrement dit, la gauche est-elle encoreun outil politique suffisamment efficacepour rassembler le peuple ? il y a un héri-tage positif de la gauche dans notre paysqui reste fort. elle est associée à un cer-tain nombre de réalisations progressistescomme la retraite à 60 ans, conquise en1968. en même temps, c’est une sériede déceptions et de désillusions : le tour-nant de 1984, les renoncements dansles années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Lessondages montrent que la gauche estmajoritaire dans les classes populaires(comme les ouvriers) même si cettemajorité se raccourcit de plus en plus auprofit de l’abstention qui s’accroît forte-ment. en effet, sur l’ensemble de la popu-lation un tiers s’affirme « ni droite, nigauche » et c’est le cas pour 45 % desouvriers, un phénomène nouveau.Parallèlement, il est également à noterque le Parti socialiste, s’est maintenutant bien que mal à 23 % aux dernièresélections régionales contre 28 % à l’élec-tion présidentielle. il y a une perdition,certes, mais celle-ci reste mesurée. LePs a renforcé sa position hégémoniqueau sein de la gauche grâce au vote utile.

beaucoup de gens ne veulent pas voir lagauche se faire éliminer, ils votent doncpour le parti le plus à même de battre ladroite. cela ne fait pas de cet électoratun bloc « vallsien ». quand on demandeaux électeurs socialistes s’ils sont favo-rables aux privatisations ils répondent à73 % « non » et s’ils sont favorables aucapitalisme, ils sont 84 % à répondre« non ».nous avons donc là les deux pôles,contradictoires, d’un même aimant. unepartie de l’électorat de gauche fait défec-tion mais la gauche fait encore sens pourdes millions de Français.

face à cette situation, que faire ?Abandonner l’idée de gauche pour allerchercher les abstentionnistes ? c’estabandonner ces millions de Français quicroient aux valeurs de gauche. c’est sepriver de millions de gens tendancielle-ment plus mobilisés et mobilisables.Peut-on en rester là ? à un simple dis-cours qui agite les symboles ? Évidem-ment, non.Les représentations qui habitent l’idéede gauche évoluent et elles sont l’objetd’une lutte que nous ne devons pas aban-donner. notre lieu privilégié d’affronte-ment doit se mener sur le terrain ducontenu. c’est ce qu’avait amorcé Marie-george buffet lors du référendum de2005 sur la constitution européenne,en déclarant : « quand on est de gaucheon vote contre la constitution euro-péenne ». c’est aussi ce qu’avait réaliséle PcF au moment de la construction du

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Programme commun dans lequel lesréférences au programme du partiChanger de cap sont importantes. à cemoment le PcF réalise une oPA sur lecontenu de « gauche » et lui confère uneempreinte durablement sociale. Par ail-leurs, d’un point de vue local la gaucheest un outil encore puissant de rassem-blement lorsque nous sommes la forcedominante.Après cette présentation, plusieurs ques-tions furent soulevées. nous en abor-dons quelques-unes.

doit-on changer le nom de « gauche »pour nous différencier du parti socia-liste ? Plusieurs fois, la « gauche radicale » a étéévoquée. guillaume a pointé les limitesd’une telle expression. Parler de gaucheradicale signifie implicitement que nosdésaccords avec nos partenaires degauche proviennent d’un degré plus oumoins accentué de radicalité. or cer-tains de nos désaccords ne sont pas sim-plement une question de degrés maisde nature. Par ailleurs, l’expression enelle-même donne à notre parti une voca-tion minoritaire et simplement contes-tataire.

ne devrions-nous pas faire évoluernotre discours sur la gauche pourconvaincre la jeunesse, qui elle, estmoins attachée à l’idée de gauche ?il a d’abord été souligné qu’aujourd’hui

la part de la jeunesse dans la populationétait moindre que dans les années 1980,ainsi, pour la convaincre il ne fallait pastout sacrifier. Par ailleurs, il est difficilede déterminer si c’est un effet d’âge (sim-ple passage de la vie) ou un effet de géné-ration (une génération abandonne lagauche quelle que soit son avancée dansl’âge).

ne devrions-nous pas dégager le mili-tantisme des enjeux électoraux ? « Le suffrage universel nous donne lesjoues rouges » affirmait engels. Pour lephilosophe, il s’agissait de prendre laquestion électorale à bras-le-corps. elledoit être pensée en lien avec les luttes.Les élections n’empêchaient pas le partid’être, par exemple, très organisé dansles entreprises.La soirée s’est conclue sur une note com-bative. L’échec des ouvriers les plus orga-nisés, les sidérurgistes et les métallur-gistes, à conserver leur emploi a portéun coup fatal aux mobilisations. Face audiscours de l’impuissance, il faut faire ladémonstration par le fait que les mobi-lisations collectives conduisent à desvictoires. il faut partir de luttes très loca-lisées, très populaires, qui mettent enmouvement et en dynamique les indivi-dus. et à partir de ces petites victoiresélargir le mouvement. n

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TROIS QUESTIONS À thierry doulaud*

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comment ta section s’approprie-t-elle le projet communiste ?

En juin, lors d’une AG de section, j’avais rapidement présenté La Franceen Commun et nous étions tombés d’accord pour y consacrer une soiréede travail à l’automne. C’est ce que nous avons fait début novembre. Duranttrois heures les camarades ont fait part de leurs premières impressions.Pour se réjouir de l’existence de ce document, mais aussi pour exprimerdes réserves et des questions. « J’aurais aimé être surpris ! », « Pourquoi nedit-on rien des moyens financiers ? », « Comment rendre notre projet cré-dible alors que les gens doutent de la possibilité de changer vraiment ? »Des questions aussi sur l’Europe après l’épisode grec de cet été, sur l’arti-culation entre les quinze chantiers prioritaires et les quinze mesures d’ur-gence. Bref, nous sommes sortis de cette séance avec la conviction qu’ilfaudrait y revenir thème par thème.

le débat organisé à massy s’est inscrit dans le cadre de La France en com-mun. pourquoi s’intéresser particulièrement à la question de « la gauche » ?

Lors de la discussion de novembre, des camarades ont parlé d’un texte « unpeu fade », de « formules édulcorées » Et se sont interrogés : n’est-ce pasparce que ses rédacteurs ont voulu d’emblée faire un texte « grand public »et pas d’abord un texte pour les communistes ? Ou, à l’inverse : que seraitl’utilité d’un projet qui ne parlerait qu’aux communistes convaincus ? Ilfaut dire que les expériences de ces dernières décennies questionnent nospratiques. Avec la gauche plurielle comme avec le Front de gauche, le sen-timent existe que nous avons parfois mis nos propositions entre paren-thèses au prétexte de rassembler. Aujourd’hui, la politique du gouverne-ment, les résultats des élections, l’impasse dans laquelle se trouve la gauche,Front de gauche compris, posent questions. A-t-on encore besoin de cetteréférence à la gauche ? Ne nous suffirait-il pas d’être communistes ?Comment concilier rassemblement majoritaire et projet d’émancipation ?L’excellent dossier publié par La Revue du projet en octobre a fini de nousconvaincre que c’était là un sujet incontournable.

quelles sont tes impressions et tes conclusions politiques après cette soi-rée débat ?

Une soirée très utile. De nombreuses interventions dans un bon climatd’écoute réciproque. Nous n’avions bien sûr pas la prétention de conclurele débat en une soirée, mais au sortir de la séance c’est l’impression par-tagée d’avoir pris la mesure des enjeux, des contradictions et de la com-plexité des réponses à construire et d’être mieux intellectuellement arméspour le faire. Cette expérience réussie nous encourage donc à en organi-ser d’autres.

*Thierry Doulaud est secrétaire de la section de Massy.

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR QUENTIN CORZANI

le grand entretien

amplifier notre parti prisécologique !Le conseil national du PcF qui s’est tenu les 16 et 17 janvier a défini quatregrands axes de discussion pour déterminer notre projet collectif à l’occa-sion du congrès. nous revenons ici sur l’un d’entre eux : « une société dubien-vivre et du bien commun » avec hervé bramy, responsable du sec-teur Écologie. cet entretien s’inscrit dans le contexte post-coP21 nousessayons de tirer les conclusions de cet événement qualifié « d’histo-rique » par certains média.

En décembre 2015, la franceaccueillait la cop21 (pourcette occasion La Revuedu projet a consacré sonn° 51 aux enjeux clima-tiques). quelles conclu -

sions pouvons-nous tirer de l’accordsigné par les états ? nous donne-t-ildes raisons d’être optimistes ? cetexte aurait-il pu aller encore plus loindans ses exigences écologiques ? d’abord, il faut noter que ce texte estd’une portée universelle presque iné-dite dans le champ écologique. Près de195 pays ont signé l’accord de Paris ! c’estun véritable événement diplomatique.Personne ne voulait revivre l’échec decopenhague en 2009. une fois l’euphorie passée nous devonsnuancer le résultat. en effet, le contenude cet accord est loin d’être à la hauteurdes défis climatiques qui nous atten-dent. Pour assurer la participation duplus grand nombre d’États à ce texte, ila fallu éviter les sujets qui fâchent. à l’in-verse, d’autres États tenaient absolu-ment à ce que leurs exigences soientmentionnées. Par exemple, la question de l’énergie n’estpas traitée. Le mot n’est cité qu’une seulefois dans le préambule et non dans lecorps de l’accord. de fait, on ne parlemême pas de l’incontournable diminu-

tion de l’utilisation des énergies carbo-nées responsables du réchauffement àla plus grande joie des pays pétroliers.Les États-unis n’ont pas été inquiétéspour leur exploitation massive de gaz oude pétrole de schiste. La question des

énergies renouvelables, du nucléaire, del’hydroélectricité, de la production élec-trique en général est aux abonnésabsents. Le texte ne va pas au fond duproblème de la réduction des émissionsde gaz à effet de serre. Les États se sont contraints sur le papierà ne pas dépasser les fameux 2 °c voire1.5 °c de réchauffement pour satisfaireaux exigences des pays les plus vulné-rables. Mais cela ne coûte rien car lesengagements de chaque pays sontvolontaires. en d’autres termes, un pays

n’est soumis à aucune contrainte juri-dique internationale et il peut déciderde quitter l’accord au bout de trois anssans aucune sanction. certes, la clausede revoyure [ndLr : engagement qui fixele motif ou le délai avant une prochainerencontre entre les parties signataires]est inscrite dans le texte pour forcer lessignataires à se rencontrer tous les cinqans mais seulement à partir de 2025.c’est beaucoup trop loin. je pourraicontinuer ainsi la liste des éléments quime rendent sceptique sur cet accord. iln’est pas aussi ambitieux que l’avaitréclamé le président de la république,plusieurs autres chefs d’État parmi lespays en développement et surtout lesacteurs de la société civile. Finalement, l’accord de Paris traduit lerapport de force politique actuel àl’échelle du monde entre les promoteursnéolibéraux du système capitalismemondialisé et financiarisé et le camp desforces progressistes. il est évident quece sont les premiers qui l’ont emporté.Leurs privilèges sont conservés. Lecontexte national n’a pas été propice àla mobilisation populaire afin d’exiger unchangement de système pour préser-ver le climat (la coP21 se situait deuxsemaines après les attentats de novem-bre et la campagne régionale battait sonplein en France). nous ne sommes pas

« Le contenu de cet accord est

loin d’être à lahauteur des défis

climatiques quinous attendent. »

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s

sance financière, ni croissance de biensde consommation qu’il faudrait absolu-ment produire. Le bien-vivre pose laquestion de ce qui nous est essentiel(éducation, santé, culture...) pour véri-tablement nous épanouir et doncs’émanciper de la séduction consumé-riste du capitalisme. cette approchecondamne définitivement le producti-

visme et, l’une de ses tares, l’obsoles-cence programmée. cela suppose debâtir un nouveau mode de productionindustriel au service du bien être. nousdevons penser une autre croissance,uniquement calculée, aujourd’hui, sur lacroissance économique et surtout finan-cière du Pib. Par exemple, à partir destravaux engagés par l’onu sur des nou-veaux indices de développement humain(idH) qui prennent en compte d’autrescritères que la seule richesse matérielle

et financière en intégrant des référencescomme le niveau d’éducation, la duréede vie en bonne santé, un niveau de viedécent… sans oublier les indices d’iné-galité de genre ou bien de pauvreté mul-tidimensionnelle. Les communs ou biens communs cesont à la fois des biens matériels ouimmatériels ; des éléments naturels ou

des éléments artificiels. ce sont des res-sources que nous voulons mettre en par-tage, protéger du marché comme de larentabilité financière. il ne s’agit de pen-ser leur utilisation au service de l’intérêtgénéral. ce sont les biens communs duplus grand monde ce qui pose la ques-tion du périmètre de ces biens. qu’est-ce qui doit être extrait des griffes du mar-ché ? quels sont les biens à protéger età exploiter de façon responsable ?L’enjeu est aussi celui du débat public et

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parvenus à en faire une bataille suffisam-ment populaire et ce, en France, eneurope, et dans le monde. si la manifes-tation du 29 novembre avait pu avoir lieunous aurions pu faire une démonstra-tion de force et peser dans le rapport deforces. Mais nous avons été privés detout cela. Faut-il être optimiste ou pessimiste ?certains considèrent que c’est uneétape importante à partir de laquelle onva pouvoir construire l’avenir. nousautres considérons qu’effectivementtout est écrit mais que tout reste à faireet que nous en sommes pour le momentau point zéro.

« une société du bien-vivre et des com-muns » est un des quatre grands axesdu congrès pour construire un nou-veau projet politique. qu’entendons-nous exactement par ces expressions ? je considère que le bien-vivre et les com-muns sont liés, l’un ne peut pas se conce-voir sans les autres. Le bien-vivre est une vision du dévelop-pement et de l’évolution de nos socié-tés en plaçant l’humain au centre despriorités. nous parlons de développe-ment humain durable. il s’agit d’un déve-loppement responsable qui préserve lesressources naturelles par une croissancemaîtrisée dans son contenu : ni crois-

carte des émissions de gaz à effet de serre issues de la combustion d’énergie par pays rapportées à la population (source : connaissance des Énergies)

« nous devons penser une autrecroissance, à partir des travaux engagéspar l’onu sur des nouveaux indices de

développement humain (idH). »

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démocratique, sur la façon de partagerces ressources, aussi bien à un niveaulocal que global. L’implication citoyenneest incontournable. Le développementcapitaliste cause tellement de méfaitspour l’avenir de la planète et de l’huma-nité qu’on ne peut envisager l’avenir quepar l’extension de la démocratie et la par-

ticipation du plus grand nombre decitoyens et de citoyennes. Avec descitoyens et des salariés documentés,éclairés, qui peuvent véritablement don-ner vie à leur libre-arbitre. citoyens actifspour leur propre vie mais aussi dans lebienfait de la planète pour la préserva-tion du bien commun. je pense que nous sommes précisé-ment au cœur de l’idée communiste.comme le dit souvent Pierre Laurent,dans le mot communiste, il y a commun.

pourquoi un tel choix ? est-ce la pre-mière fois que l’écologie prend tant deplace dans un congrès ? une dichotomie s’est opérée dans lesannées 1970-1980. durant cette périodele parti considérait que ce n’était pasune question politique prioritaire et ellea été déléguée au mouvement associa-tif. A contrario, les élus communistes ontsouvent innové. La réalisation du parcgeorges valbon à la courneuve est unbon exemple, il est devenu un haut lieude la biodiversité en Île-de-France. onne peut concevoir aujourd’hui un projetpolitique sans intégrer les enjeux desrapports Homme-nature, ceux de la pro-tection de la planète en lien avec le déve-loppement de l’humanité. c’est un prolongement et un approfon-dissement de nos prises de positions du36e congrès. Pour le texte du congrès quivient, c’est un axe d’action caractérisantencore plus notre engagement écolo-gique pour la France et le monde.

comment peuvent s’articuler dansnotre discours les questions socialeset écologiques ?sur le terrain des inégalités celles-ci doi-vent être traitées dans un même mou-vement. il n’est pas acceptable que lesfamilles les plus déshéritées soientexclues pour des raisons économiquesde l’accès aux technologies « propres ».c’est un des défis de la lutte contre laprécarité énergétique ou de la rénova-tion thermique des logements. Par ail-leurs c’est également crucial dans lemonde du travail et de l’entreprise. Les

s

L e pari du « tous capables ! » dépasse largement lechamp de l’éducation. sa portée politique est révo-lutionnaire. il revendique pour tous la possibilité d’agir

sur l’histoire : non seulement sur un destin individuel, maissur l’avenir collectif. Affirmation d’égalité, il est aussi volontédémocratique, revendication de pouvoir, et de pouvoir com-mun, partagé. L’affirmation que tous sont capables pose laquestion politique, celle du pouvoir : qui peut agir sur soi,sur les autres, sur le monde ? à cette question, elle apporteune double réponse : tous, à égalité ; tous, ensemble. elleimplique à la fois une bataille idéologique pour l’égalité etune bataille politique pour la mise en commun du pouvoirsous toutes ses formes – c’est-à-dire pour le communisme.

tous, à égalité : une bataille idéologiqueLe « tous capables ! » est un pari philosophique, opposé àtoutes les théories qui tentent de faire passer les inégalités

pour naturelles, et notamment à la théorie des « dons ». cepari est aujourd’hui largement corroboré par la science, quiprouve les capacités de chacun à évoluer. récemment, lessénateurs communistes ont obtenu son inscription dans laloi : il est ainsi devenu un principe institutionnel. La batailleidéologique n’est pas pour autant gagnée : elle s’est simple-ment déplacée, et la question est maintenant « tous capa-bles » de quoi ? La récente réforme des rythmes scolaires,celle en cours du collège, la promotion de l’apprentissage...reposent toutes sur l’idée que les enfants n’ont ni les mêmes« talents » ni les mêmes « goûts ». certains préfèrent lestâches manuelles, le concret, s’ennuient lorsque l’enseigne-ment est trop théorique... et l’école devrait accompagner cesgoûts, comme s’ils étaient à la fois naturels et indépassables.

ce discours repose sur un mensonge : il occulte la dimen-sion sociale et construite des « goûts », fait passer pour desdifférences individuelles ce qui relève en fait de différences

PUBLICATION DES SECTEURS

tous capables ! un proJet communiste

Le N°9 de la revue Progressistes vouspropose un dossier très complet sur lesenjeux du réchauffement climatique, lesystème de production et les mesures qu’ilfaut prendre pour sortir l’humanité de lacatastophe humaine et environnementaleannoncée. En vente sur le siteprogressistes.pcf.fr et téléchargeable surrevue-progressistes.org.

Le dossier du numéro 51 de votre revuerépond à la question « Changer de climat oude système ?». Il insiste plus particulièrementsur les choix politiques nécessaires à entre-prendre pour relever ce défi planétaire.

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sociales, que la société transforme ensuite en inégalités, enrapports de domination. ce garçon aime les situations decompétition alors que cette fille est timide et préfère resterdiscrète : est-ce bien naturel ? Plus tard, son goût pour la com-pétition amènera le jeune homme à poursuivre ses étudesen classes préparatoires, tandis qu’elle choisira des filièresmoins élitistes où elle n’aura pas besoin de se mettre en avant: différence individuelle ou inégalité de genre ? son père estouvrier et parle arabe à la maison, pourtant, il n’est pas à l’aiseen langues, il préfère les enseignements plus « pratiques »et est rapidement orienté dans une filière professionnelle.celui-ci au contraire a grandi dans une famille de cadres. ilparle français à la maison mais étudie l’arabe et le chinois etse dirige vers des études longues. naturel ? sûrement pas !Le « goût » est le masque qui légitime les inégalités. n

salariés sont les premiers à être concer-nés dans leur travail par les dégâts liés àla compétitivité. Pour cela, il faut leurdonner la possibilité d’intervenir sur leschoix stratégiques de l’entreprise commesur les modes de production. Les orga-nisations syndicales et les salariés doi-vent avoir des pouvoirs d’interventionpour faire en sorte que les productionssoient le plus conforme avec leur inté-rêt de citoyen, de consommateurs etcelui de la planète. Les formes de pro-priété sociale des moyens de produc-tion sont loin d’être une question neu-tre – je pense aux scoP par exemple –comme celle de l’accès au crédit verséspar les banques qui devrait être d’autantplus avantageux pour l’entreprise dèslors que la viabilité écologique d’un pro-jet est avérée.

le parti a-t-il d’ores est déjà des pistesde réflexion ? des propositions à for-muler ? quelles sont les initiatives àvenir ?Le débat avec les communistes doits’installer. Mais avec notre campagnesur le climat nous avons engagé unimportant travail transversal de propo-sitions qui doit se prolonger. ce poten-tiel doit se traduire dans les luttes et lesrassemblements en convergence avecla société civile très présente sur ces ter-rains. Au delà de ce qui est entrepris noustravaillons sur deux sujets. La préserva-tion de la biodiversité alors qu’une loi estactuellement débattue au parlement.Les défis du traitement de nos déchetspour accélérer le passage à une écono-

mie circulaire. Pour réduire l’exploitationde la nature aujourd’hui chaque déchetdoit devenir une ressource. dans cetteperspective la question de contenu etdes moyens du service public sont àchaque fois déterminante.

les futures échéances climatiques àne pas manquer ? je citerai trois moments qui exigent notreattention et notre participation. Le parti

propose l’organisation d’une conférenceinternationale avec les délégations pré-sentes pendant le congrès qui intégrerales enjeux du développement. deuxiè -mement, il y aura le Forum social Mondialà québec durant l’été. enfin, il y aura lacoP22 au Maroc, l’année prochaine. n

Marine RoussillonSecteur Éducation.

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Les experts sont partout, ilssquattent les média, ont leurmot à dire sur tout et tout letemps. Au moindre pro-blème, l’État, la collectivitéou l’entreprise créent un

comité d’experts. impossible d’abor-der le moindre enjeu de politiquepublique sans l’expert idoine. cettetendance s’est accrue dans les années1980. Face aux enjeux de décentralisa-tion, aux pressions européennes, auxconvulsions internationales, notam-ment, on a eu abondamment recoursaux experts. Mais cela vaut aussi pourla sphère privée. une expertise qui esttoujours présentée comme indépen-dante, évidemment. ce mal a frappéaussi les partis. Au lieu de produireleurs propres idées, de mettre envaleur l’expérience militante, les partisont eu volontiers recours là aussi auxexperts ou à l’expertise de fondations,de think-tanks (réservoirs d’idées).

d’où la formidable multiplication d’orga-nismes genre conseil d’analyse écono-

l’expertise contre la démocratieLa démocratie française est en panne. Les symptômes sont nombreux :abstention, autoritarisme, désinformation, présidentialisme… L’une desmanifestations de cette crise est très certainement la place occupée dansle débat public par les « experts ». Alors : démocratie ou expertise, fau-drait-il choisir ?

mique, comité d’éthique, etc. Les expertspeuplent les cabinets ministériels, lescommissions, experts de la banque cen-trale européenne (bce), de l’organisationde coopération et de développementéconomiques (ocde) du Fonds moné-taire international (FMi), des organisa-tions non gouvernementales (ong)…cette inflation de spécialistes, dit-on, sejustifierait par la complexification desdossiers.Mais ce phénomène est un puissant fac-teur de dépolitisation. censé aider lecitoyen, en fait il le dépossède bien sou-vent de ses prérogatives, et de son tourde parole. et puis il amplifie la crise poli-tique en installant l’idée que gauche et

droite seraient dépassées, la solution setrouvant non pas du côté des convic-tions ou des valeurs mais de l’expertise.« Les experts nourriraient la défiancevis-à-vis des politiques et la montée enpuissance des partis anti-système tel le

PAR GÉRARD STREIFF

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Fn, note la journaliste josselineAbonneau. toute décision techniquetend à effacer les clivages politiquesgauche-droite. »Ainsi, au même moment où le citoyenest décrié, l’expert lui, aurait la cote. voirdu côté du gouvernement où les minis-tres « techniciens », genre emmanuelMacron ou Fleur Pellerin, font la une ; ilssont non élus, on ne leur demandeaucune onction électorale, leur seuletechnicité les mettrait à l’écart des trou-bles partisans ; ils s’imposeraient dansl’opinion face aux purs « politiques ». Laplace de l’énarque, un temps décriée,est plus que jamais installée. un person-nage comme jacques Attali, à mi-che-

min pourtant entre gourou et charlatan,joue de cette crise ambiante pour pro-poser sa candidature à la prochaine pré-sidentielle, fort de son programme d’ex-pert ! Place aux experts, donc ! en cestemps de promesses massivement tra-

« 67 % des Français auraient été en faveur d’une direction du pays confiée

à des experts non élus pour imposer des réformes impopulaires. »

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hies et d’impuissance apparente desélus, l’expert, incarnation de la moder-nité, est bien vu.début novembre, un sondage inquiétantifop/Atlantico a été rendu public. (il a étépeu commenté, l’actualité des attentatsbalayant alors tout autre sujet). selon cetteenquête, 67 % des Français auraient étéen faveur d’une direction du pays confiéeà des experts non élus pour imposer desréformes impopulaires.c’est d’ailleurs le mode de « gouver-nance » que les institutions européennesont expérimenté dans certains pays ; onse souvient de la situation grecque, avantla venue de syryza…

l’expert esclavecertes l’expertise est nécessaire à unmoment de la délibération. encore faut-il qu’elle reste à sa place, d’éclairage, deconseil. or aujourd’hui l’expertise tendà prendre toute la place, à étouffer ladémocratie, à décourager la citoyen-neté. La présence de l’expert, en fait,coupe court à tout débat. L’expert estforcément moderne, le citoyen lui appa-raît ringard. Le phénomène dépasse laFrance. voir en grande-bretagne parexemple l’opposition mise en scène toutun temps entre tony blair et son NewLabour et les militants travaillistes, for-cément dépassés.on lira à ce propos avec intérêt l’essai Ladémocratie contre les experts (seuil) dePaulin ismard, maître de conférences enhistoire grecque à l’université Paris-1.L’auteur pointe un élément d’histoiretout à fait intéressant. à l’origine, dansl’Athènes antique, l’expert était déjà là,mais avec un statut précis. c’était unesclave public. Autrement dit, on utili-sait – et on reconnaissait – son savoirtechnique mais on l’excluait du champpolitique ! dans la démocratie athé-nienne, la compétence spécialisée nelégitimait nullement la détention d’unpouvoir sur la communauté civique. bref,la démocratie se serait construite contrel’expert. « un chœur d’hommes sansvaleur politique valait mieux que la mono-die d’une élite savante » rappelle Paulinismard. en somme, la préhistoire du ser-vice public…Autre ouvrage qui alimente ce débat : Laquestion technocratique de vincentdubois et delphine dulong, aux Pressesuniversitaires de strasbourg. on peut y

ce sont ces comportements, cette pro-fessionnalisation aussi de politicienscoupés du monde réel, qui ont nourri lepopulisme poujadiste en France et eneurope, le réflexe d’extrême droite des« anti-système ».Les experts portent tort à la démocra-tie. difficile de revenir au statut grec« d’esclaves publics »… mais on pourrait,à tout le moins, remettre l’expert à saplace. dans le cadre, par exemple, deservices publics rénovés, d’une fonctionpublique revivifiée et d’une républiqueradicalement nouvelle. n

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lire par exemple ceci : « Avec la multipli-cation des modes d’entrée dans la viepolitique, la légitimité des ministres tech-niciens se pose si le régime se veut repré-sentatif de la population […] quelles com-pétences sont légitimes pour faire de lapolitique et occuper les instances dupouvoir gouvernemental : la notabilité ?L’engagement militant ? La représenta-tion sociologique d’une population ? oule savoir fondé sur l’expertise qui met àdistance l’expérience vécue par les nonexperts et se distingue par son éloigne-ment du citoyen ? »en fait, les représentants politiques libé-raux, de gauche ou de droite, se reven-diquant tous plus ou moins du fameuxtinA, de Margaret thatcher (there is noalternative), diktat d’une prétendueexpertise économique, ont contribué àsaboter leur propre représentativité, às’auto-discréditer. on a assisté à « unemodélisation du mode de pensée diffu-sée par l’expertise internationale qui affai-blit la différentiation gauche droite »confirme vincent dubois.

imaginons…« supposons un instant que le dirigeant de la banque de france, le direc-teur de la police et celui des archives nationales soient des esclaves, pro-priétés à titre collectif du peuple français. imaginons, en somme, unerépublique dans laquelle certains des plus grands serviteurs de l’étatseraient des esclaves. ils étaient archivistes, policiers ou vérificateurs dela monnaie : tous esclaves, quoique jouissant d’une condition privilégiée,ils furent les premiers fonctionnaires des cités grecques. en confiant à desesclaves de telles fonctions, qui requéraient une expertise dont les citoyensétaient bien souvent dénués, il s’agissait pour la cité de placer hors duchamp politique un certain nombre de savoirs spécialisés, dont la maî-trise ne devait légitimer la détention d’aucun pouvoir. surtout la démo-cratie directe, telle que la concevaient les grecs, impliquait que l’ensem-ble des prérogatives politiques soit entre les mains des citoyens. le recoursaux esclaves assurait ainsi que nul appareil administratif ne pouvait faireobstacle à la volonté du peuple. en rendant invisibles ceux qui avaient lacharge de son administration, la cité conjurait l’apparition d’un état quipuisse se constituer en instance autonome et, le cas échéant, se retour-ner contre elle.que la démocratie se soit construite en son origine contre la figure de l’ex-pert gouvernant, mais aussi selon une conception de l’état qui nous estradicalement étrangère, voilà qui devrait nous intriguer ».

paulin ismard, La Démocratie contre les experts, seuil

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Le printemps 2013 jette une nou-

velle lumière sur la turquie et metle pays au centre de l’attentioninternationale. Les « manifesta-tions de la place taksim », en maiet juin 2013, sont interprétées par

plusieurs observateurs comme étant unerévolution voire « le mai 1968 turc », « leprintemps turc » ou la « commune detaksim ». en dépit d’un régime non-démo-cratique, de la guerre civile et des gouver-nements néoconservateurs, un nouveaucycle de contestation en turquie, avec samultiplicité, sa créativité, son pacifismerésistant, étonne les journalistes locaux etinternationaux. Pour comprendre ce quiest « nouveau », il nous faut contribuer àaborder ces mobilisations « inattendues »à partir des transformations sur lesquelleselles s’appuient. il s’agit en fait d’une révo-lution qui continue depuis une vingtained’années dans l’espace militant protesta-taire en turquie. Le mouvement féministea joué un rôle déterminant dans ce proces-sus en dévoilant les tensions entre les luttesde liberté et les multiples mécanismes dedomination, en visant, donc, les multiplesfaces de la domination masculine. Pourquoiet comment ?L’histoire sociale du féminisme en turquierévèle, paradoxalement, la force du patriar-cat kémaliste (Mustafa Kemal, premierprésident de la république de turquie de1923 à 1938) et l’énergie qu’a exigée ladéconstruction de ses poncifs. cette his-toire débute au tournant des xixe et xxe siè-cles avec les premières organisations etrevues féministes, dont plusieurs sontcréées également par des Arméniennes,des grecques, des juives et des Kurdesdans le sillage des mouvements émer-geant en europe. à cette époque, il existeune trentaine d’associations de « solida-rité entre femmes » qui posent des ques-tions proféministes.Le premier coup qu’a subi ce mouvementest le génocide précédant le nettoyage eth-nique : il s’éloigne ainsi de ses fondatrices

mouvements féministesen turquie et émergencedes luttes sociales

« non-musulmanes » et devient turc. suiteà l’instauration de la république de turquieen 1923, quelques militantes de ce réseaudécident de lancer ensemble un parti poli-tique, le Parti progressiste des femmes, quidéfendra leurs intérêts tout en participantà l’élaboration du nouveau régime. Les fon-dateurs de la république turque étant fer-mement opposés à toute organisation indé-pendante de femmes, le parti est très viteinterdit et ses dirigeantes se retrouventexclues du champ politique. Les autressont appelées à travailler dans des orga-nismes d’aide sociale et de bénévolat cari-tatif. en 1926, les femmes turques ontobtenu le droit de vote et en 1938, le droitd’éligibilité. nous voyons ainsi les députéesdu Parti républicain du peuple (cHP, le partiunique) et les militantes partisanes dansles commissions de femmes. Les réformesencouragent les femmes à participer acti-vement à la vie de la nation, sans pour autantnégliger leur rôle domestique.La spécificité du régime répressif turc estcontenue dans la définition constitution-nelle de la citoyenneté républicaine : lemonisme prévaut dans tous les domaines,celui de l’ethnicité, des modes de vie ettenues vestimentaires, des relations entreles sexes. L’aspect nationaliste et milita-riste du processus de modernisation qu’aconnu la turquie est vécu comme une ingé-nierie sociale : les femmes instruites, lescheveux et les jupes courtes deviennentle symbole de la nouvelle république. Laparticipation des femmes à la vie écono-mique, sociale et politique grandit autourd’une nouvelle identité dessinée et délimi-tée par les hommes. Les autorités inven-tent des règles qui déterminent le partagedu travail entre les sexes, en assignant auxfemmes et aux hommes des missions dif-férentes. Les relations entre les femmes,les hommes, les familles et l’État, s’établis-sent au gré des nécessités nationales. Les« citoyennes modernes », qui réussissentà combiner les valeurs traditionnelles etleurs nouvelles responsabilités sociales,occupent en réalité des places bien défi-nies dans l’espace tant privé que public.

Présentés comme une preuve d’émanci-pation, les rôles qu’elles assument lesposent en exemples des avantages qu’il ya à bénéficier de la protection et des atten-tions de l’État, que ce soit dans la sphèresociale ou dans la sphère familiale.en turquie, le mouvement féministe repré-sente une dissidence inédite pour la struc-ture républicaine, car son projet, qui va bienau-delà de la lutte pour l’égalité, remet encause, pour la première fois, cette éman-cipation conçue pour servir la nation, etavec elle tout l’ordre social construit par ledarwinisme social du kémalisme. il remeten cause la définition de citoyenneté répu-blicaine et dénonce le caractère patriarcalde la république, le machisme du kéma-lisme et la récupération de la cause desfemmes par le nationalisme turc…

changer le répertoire de l’espace militantdans ce pays-carrefour aux portes del europe, la turquie contemporaine, héri-tière d’un empire ottoman, une expériencedémocratique précoce et fragile se mani-feste : l’État, en s’imposant comme la figurecentrale de la démocratie malgré le systèmeparlementaire, donne au régime une dimen-sion autoritaire, avec son armée qui prendpar exemple le pouvoir à plusieurs reprises.entre les années 1960 et 1980, l’espacemilitant contestataire, était représenté prin-cipalement par les mouvements de lagauche qui rassemblaient des centainesd’organisations ces mouvements degauche englobaient dans leur stratégie l’en-semble des causes politiques défenduespar l’opposition. de nombreuses femmesparticipent alors à la lutte pour la révolu-tion. Avec l’émergence et le développe-ment des mouvements de gauche, unenouvelle interprétation de la cause desfemmes en est proposée selon une visionmarxiste-léniniste qui conditionne leurémancipation à la révolution de la classeouvrière. L’examen de l’action collectivedes mouvements de gauche dévoile com-ment les rapports sociaux de sexe contri-buent à structurer les mouvements en les

PAR PINAR SELEK*

Les racines du féminisme en turquie plongent loin dans l’histoire, maiscela ne fait que trente ans qu’il existe en tant que mouvement social. saprésence met en question les fondements de l’État-nation turc.FÉ

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affectant au niveau de la participation, auniveau structurel et au niveau de revendi-cation. Les discours de liberté et d’égalitémasquent les rapports sociaux de sexe etleurs effets. Les logiques patriarcales à l’œu-vre dans les mouvements de gauche sontmoins visibles que dans les autres groupespolitiques. cependant, sous l’idéologie dela neutralité se dissimulent les rapportssociaux de sexe, c’est ainsi que le modèlede la « femme révolutionnaire » prend lerelais de la « femme républicaine ».Le troisième coup d’État, le 12 septembre1980, marque une rupture dans l’histoirecontemporaine de la turquie par sa bru-talité, son ampleur, et la stabilité du régimequi en a découlé. Le mouvement féministeémerge durant cette période de peur et deparalysie qui traumatise durablement unegénération. quand les organisations degauche sont liquidées, la plupart des mili-tantes se retrouvent dans les cercles desolidarité. Les familles des prisonnières etprisonniers s’organisent avec les autresmilitantes et militants pour lutter contre latorture policière systématique, les condi-tions inhumaines dans les prisons et les loisantidémocratiques. Étant donné que larépression ne permet pas de manifesterou de créer des organisations officielles,cette mobilisation s’appuie sur les réseauxdes organisations de gauche. ses fonda-trices ont antérieurement connu une phasede militantisme partisan dont elles ne gar-dent pas un bon souvenir. dans les organi-sations où elles militaient, elles n’occupaientque rarement des postes à responsabili-tés. une fois les hommes emprisonnés,elles se sont trouvées psychologiquementabattues, mais « libres » de partager leursvécus et de réfléchir sur leurs expériencesen tant que femmes et sur les rapportssociaux de sexe dans leurs organisations.Le mouvement féministe est le premier àfaire entrer sur cette scène politique dessujets comme la sexualité, le corps, lemariage, la reproduction, la famille, aupa-ravant considérés comme des domainesprivés, donc non politiques. en donnantcorps à ces revendications, les féministesen ont fait des sujets de politique publique.L’émergence d’un nouveau vocabulaire etle fleurissement d’une libération cognitivefavorisent les nouvelles interprétations dumonde et les nouvelles organisations : lesrevendications basées sur la sexualité, legenre et les appartenances ethniques sefont plus visibles et plus déterminantesdans l’espace militant contestataire quidevient multi-organisationnel.Avec les années 1980, les problèmes qu’onsupposait être privés et confidentiels sontdevenus publics ; la sexualité est sortie deson abri, le terrain « privé » est décrit dansun langage provocateur. Le mouvementféministe qui fait figure d’initiateur, en ser-vant d’incubateur à l’apparition de diffé-rents mouvements comme les écologistes,antimilitaristes et le mouvement Lesbien -

nes, gays, bi et trans (Lgbt). cela donnelieu à une poussée d’autonomie dans plu-sieurs groupes, à une mutation des formesde mobilisation. cette autonomisation faitnaître un nouveau cycle de contestation.L’anti-autoritarisme est l’esprit à l’originede ce cycle qui entraîne un changementmajeur dans les formes d’action collective.en remettant en cause les vérités idéolo-giques de l’État-nation et des mouvementsde la gauche, les militantes et militantsdépassent la contestation de la domina-tion pour remettre en question égalementle savoir dominant et, par conséquent, lacertitude de la « vérité ». cela favorise uneforme de revitalisation politique dans un

contexte de crise. L’émergence du mou-vement féministe apporte donc à l’espacemilitant contestataire la pluralité et la diver-sité des causes politiques et des actionsprotestataires. sa persévérance lui permetd’obtenir une reconnaissance relative : ilinfluence les politiques publiques, mais pasles structures politiques. Même si les gainsne sont pas structurels, il s’agit d’un effetculturel.

convergences desmouvementscontestatairesL’exemple de la turquie montre qu’un uni-vers de contraintes imposées par un pou-voir monopolistique, même s’il bloque l’ac-tion collective, peut également créer lescirconstances politiques favorables àl’émergence de ceux-ci, à leurs alliances,même ponctuelles. dans les mobilisationssociales en turquie, notamment dans lemouvement féministe, nous voyons plu-sieurs tactiques développées pour s’adap-ter à la répression. Face à la législation strictequi encadre les manifestations, les mili-tants inventent par exemple des nouvellesformes d’action : en organisant des « confé-rences de presse en plein air  » ou enenvoyant des lettres au gouvernement àpartir des grandes postes des centres-villes.des personnages médiatiques amplifientleur écho dans les média, mais aussi pro-tègent militantes et militants de la répres-sion policière.La répression étatique favorise égalementle rapprochement, l’association, et la col-laboration des différents mouvementscontestataires. Le mouvement féministea une interdépendance réciproque avecles différents mouvements : Lgbt, antimi-litariste, écologiste, gauche, kurde, armé-nien. dans le contexte en turquie, lemonisme dans tous les domaines, du

champ politique à la vie privée, en faisantressortir la structure intersectionnelle desrapports sociaux de sexe, de sexualité etd’ethnicité, en participant à la constitutiondes conditions de leur émergence encou-rage les alliances entre ces mouvements.Même si le mouvement féministe a émergéet s’est développé en s’autonomisant, il estvu comme un allié par plusieurs mouve-ments contestataires en tant qu’acteursignificatif dans l’espace militant par le multi-engagement de ses militantes et leur par-ticipation dans les différents mouvements.sa proximité avec le mouvement Lgbt,son influence sur celui-ci est notable.Plusieurs groupes féministes, notamment

kurdes, influencés par la troisième vagueféministe (black féminisme) sont tournésvers la lutte contre le patriarcat analysé àtravers ses imbrications avec les autresrapports de pouvoir.L’émergence du mouvement féministeainsi que sa convergence avec les autresmouvements contestataires, depuis 30ans, ont une influence sociale. La partici-pation de la nouvelle génération se réalisesur l’apprentissage des luttes communes,les croisements des réseaux et les innova-tions successives de l’espace militant oùles concepts et les répertoires, les idées,les expériences voyagent. cette transfor-mation va de pair avec l’innovation desmodalités de mobilisation et de l’organisa-tion interne des mouvements contesta-taires, en transformant ses mécanismesconstituants et en créant des coordina-tions passagères. sans comprendre leseffets des convergences des mouvementscontestataires, l’élargissement et la trans-formation des cadrages et des sourcesd’influence, l’innovation des moyens demobilisation, des formes d’organisation etd’action, il est difficile de comprendre larésistance « inattendue » portée par lesmilitantes et militants de ces réseaux inter-dépendants.Le fait que les frontières deviennent de plusen plus floues crée des possibles aux mul-tiples subjectivations collectives qui nesont propres à aucune position sociale,politique, idéologique ou identitaire pré-existante. naissent ainsi des manifesta-tions épisodiques et des créativités iné-dites qui battent, par multiples moyens, lesmultiples tentacules de la domination mas-culine. n

« L’émergence du mouvement féministeapporte à l’espace militant contestataire

la pluralité et la diversité des causespolitiques et des actions protestataires. »

FÉMINISME

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*Pinar Selek est politiste. Elle estdocteure en sciences politiques del’université de Strasbourg.

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MOUVE

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ELle communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich engels - L’Idéologie allemande.

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qu’est-ce que la pensée du complexe ?d’où vient-elle ?ce que j’appelle pensée du complexec’est la démarche intellectuelle etconceptuelle que nécessite et induit larévolution du complexe, ensemble desgrandes modifications à l’œuvre depuisun demi-siècle environ dans presquetoutes les disciplines scientifiques (desciences exactes comme de scienceshumaines). il ne s’agit pas d’une nouvellediscipline unifiée (il n’y a pas, par exem-ple, de définition unique du terme com-plexe), mais plutôt d’une mouvance, ausein de laquelle on peut trouver de nom-breuses convergences.La première convergence est la notionde système dynamique. elle consiste àenvisager tout ou partie des relationsqu’entretiennent entre eux des élémentspour comprendre l’évolution de l’ensem-ble qu’ils forment. Par exemple un « quar-tier populaire  » peut être considérécomme un système dynamique si onprend en compte les interactions entreses habitants, les travailleurs sociaux,les associations, l’école, la municipalité,mais aussi le chômage, les dealers, lessalafistes, les membres du Fn, et encorela mixité ethnique, les solidarités, et enfinles interactions avec l’extérieur, lesemployeurs, la police, l’État. c’est seu-lement ainsi (et ni « au karcher » ni enrésumant tout par « classes populaires »)qu’on pourra comprendre les flambéesde violence et éventuellement les aider

émancipation et penséedu complexe

à se tourner vers des actions politiquespositives.Mais les études mathématiques (por-tant évidemment sur des systèmes com-plexes beaucoup plus simples que lesquartiers), ont mis en évidence touteune série de concepts nouveaux, quicaractérisent aussi cette révolutionscientifique. ce qui est intéressant c’estque ces concepts correspondent à despropriétés qui peuvent être explicitéessans avoir recours aux mathématiquesqui leur ont donné naissance et qui s’ap-pliquent dans de très grands nombres

de cas. je n’en donne ici que les exem-ples les plus simples, mais je les détailledavantage dans mon livre.d’autres concepts peuvent être illustréspar la mayonnaise. Lorsque l’on ajoutel’huile en battant, on augmente la quan-tité d’émulsion huile/eau (l’eau prove-nant de l’œuf ). à un moment donné,lorsque la quantité d’émulsion a atteintune certaine valeur dite critique, lamayonnaise « prend » : dans le bol entierle liquide visqueux se transforme en gel.Le bol et son contenu forment un sys-tème dynamique. Le passage de l’étatliquide à l’état de gel correspond à unebifurcation du système. Le fait que le

contenu du bol s’organise en gel est uneauto-organisation. Le fait que les pro-priétés globales du contenu se soienttransformées, sans que la nature ducontenu (les constituants de la mayon-naise) n’ait changé est une émergence.Le fait que la mayonnaise puisse ratercorrespond à la sensibilité du systèmeaux conditions. ces propriétés sont cellesdes systèmes dynamiques non linéaires,c’est-à-dire au sein desquels il n’y a pasproportionnalité entre les causes et leurseffets : contrairement à la transforma-tion de l’eau qui bout où la quantité de

vapeur produite est proportionnelle autemps d’ébullition, la formation de lamayonnaise se fait d’un coup après unecertaine quantité d’huile et d’huile decoude, c’est un effet de seuil, typique dudomaine non-linéaire.La pensée du complexe n’est pas forma-lisée, je dirai qu’elle est en train d’émer-ger de cette révolution du complexe.très succinctement j’en distingue deuxétapes.La première consiste à considérer les élé-ments d’intérêt, quelle que soit leur nature,non plus seulement comme des objets àanalyser, mais comme des éléments d’unou plusieurs systèmes dynamiques,

« La politique traite donc d’un systèmeobjectivement complexe, pourquoi devrait-elle se passer des connaissances issues de

l’étude des systèmes complexes ? »

dans son ouvrage émancipation et pensée du complexe janine guespin-Michel propose l’application de la pensée du complexe à d’autres domainesque le champ scientifique. Pensée du complexe et pensée dialectique peu-vent être complémentaires.

ENTRETIEN AVECJANINE GUESPIN-MICHEL*

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comme je l’ai illustré avec les « quartiers ».cette étape permet déjà de renouvelerconsidérablement les formes de penséecomme le montre bien edgar Morin, dontla pensée complexe correspond peu ouprou à cette première étape. elle s’op-pose à la pensée dominante qui rechercheune cause (la racaille), sépare, disjoint leséléments (l’école d’un côté, les travail-leurs sociaux et les associations de l’au-tre, la police encore d’un troisième etc.)et surtout qui voit tout de façon statique,immobile.Mais dans certains cas on peut aller plusloin et une deuxième étape consiste àutiliser certains des concepts dessciences des systèmes complexes.comme souvent en sciences, la nou-veauté ne consiste pas à remplacer ladémarche et les concepts antérieurs parde nouveaux, mais à englober cette nou-velle démarche et l’ancienne, et à choi-sir en fonction de la nature des ques-tions que l’on se pose.

pourquoi l’appliquer à d’autresdomaines que son domaine scienti-fique d’origine, notamment à la poli-tique ?Même s’ils proviennent principalement(mais pas exclusivement) des mathéma-tiques et de la physique, la démarche intel-lectuelle comme les concepts nouveauxde la pensée du complexe sont présentsdorénavant dans l’ensemble des champsdu savoir scientifique, dont les scienceshumaines. en effet, démarche commeconcept concernent les modes d’inter-action des éléments bien plus que lanature de ceux-ci. ils ont donc été appli-qués à d’autres domaines scientifiquesque leurs domaines d’origine lorsqu’ils ontpermis d’aborder des problèmes com-plexes, de nature nouvelle. de ce fait, ilsconstituent un renouveau de la penséerationnelle, de la rationalité dans sonensemble.tout le monde s’accorde à considérer quela complexité de la société a augmentéavec la multiplication des connexions viainternet et la mondialisation. La politiquetraite donc d’un système objectivementcomplexe, pourquoi devrait-elle se pas-ser des connaissances issues de l’étudedes systèmes complexes ?

ce transfert n’est-il pas risqué ?si, comme toute réflexion. cependant,qu’est-ce qui est plus risqué : utiliser lesconcepts issus de la connaissance d’unmonde linéaire pour comprendre unmonde complexe, ou utiliser (aussi) pourcela les concepts issus des sciences dessystèmes complexes ? Prenons un exem-ple : la proportionnalité est un conceptissu des mathématiques qui traduit unerelation linéaire entre deux facteurs, etque l’on utilise constamment, y comprisen politique (la force d’une manifesta-

tion est dite proportionnelle au nombredes manifestants par exemple). Pourquoiserait-il plus acceptable et moins risquéque la notion d’effet de seuil (il peut yavoir un seuil en deçà duquel une mani-festation n’a pas d’effet), d’émergence(certaines manifestations provoquentdes effets qui dépassent leurs initia-teurs), d’auto-organisation (les mani-festants peuvent agir en commun sansqu’un chef n’en ait donné le signal), etbien d’autres selon les cas ? L’importantest de ne rien appliquer automatique-

ment, mais de vérifier autant que pos-sible la pertinence des hypothèses quel’on peut tirer de leur application. onajoute aux outils habituels du raisonne-ment des outils issus de la révolution ducomplexe. Mais il faut aussi apprendre àse servir des nouveaux outils, et c’estune des ambitions de mon livre.

quels rapports avec la dialectique ?il s’agit d’une question très importantemais ouverte. La dialectique matéria-liste est à la fois une logique basée surdes catégories philosophiques, et cetteméthode de pensée qui a permis à Marxde contrer l’idéologie dominante.Lucien sève a montré que la logique dia-lectique est nécessaire pour penser lesaspects contradictoires des conceptsdes sciences des systèmes complexes.Peut-on aller plus loin et enrichir la logiquedialectique grâce à ces concepts ? celademandera un important travail philo-sophique qui n’est qu’initié pour lemoment.en revanche, je montre que pensée ducomplexe et pensée dialectique peu-vent être complémentaires (par exem-ple, la pensée du complexe ne permetpas de résoudre des contradictions anta-goniques).je plaide donc pour l’émergence d’unepensée dialectique du complexe, dontj’évoque d’ores et déjà quelques aspects,mais pour laquelle beaucoup reste à faire.

qu’attendre de ce nouveau rationa-lisme en matière de politique émanci-patrice ?Avant tout il faut dire que nombreux sontles militants qui utilisent déjà plus oumoins implicitement ces outils. et ils lesutilisent parce que le mode de penséedominant est un obstacle pour com-prendre et transformer le monde, trou-

ver une alternative, « changer le sys-tème ». expliciter ce mode de pensée,c’est permettre de se l’approprier plei-nement, de l’améliorer, et surtout de letransmettre. car il ne suffit pas d’avoircompris pourquoi une alternative estnécessaire et possible, encore faut-ilpouvoir en convaincre les autres.Attention. La pensée du complexe ne vapas donner les réponses. elle n’est pasémancipatrice en soi. en revanche, lapensée dominante, simpliste et statique,est un véritable appui pour l’hégémonie

de l’idéologie dominante, avec son fata-lisme sur le maintien de l’état existant,tinA (there is no alternetive). une pen-sée (dialectique) du complexe peutdevenir un outil qu’il faut utiliser en fonc-tion du but émancipateur que l’on sedonne, et j’ai illustré cela sur quelquesexemples d’actualité dans le livre.voici un exemple récent qui ne figure pasdans le livre : comment l’acceptation parAlexis tsipras des exigences de l’unioneuropéenne a-t-elle été analysée parles uns et les autres ? Pour les grandsmédia (mais aussi pour certains militantsde gauche), cela montrait que tsiprasavait capitulé (ou avait trahi), en ne res-pectant pas ses promesses électorales,parce qu’il n’y a pas d’autre possibilitédans l’euro. c’est une pensée duale etsimpliste, (il y a deux partenaires, tsipraset « les créanciers » et il y a une alterna-tive ou bien l’euro avec le mémorandum,ou bien le grexit et le chaos). c’est aussiune pensée statique (c’est terminé, finil’espoir). Pour tsipras lui-même, et pourde nombreux auteurs grecs et euro-péens, il s’agit d’une défaite dans unelutte très difficile, à l’échelle européenne.il s’agit d’une étape dans le cours d’unprocessus dynamique, long et… com-plexe, par la quantité d’interactions qu’ilimplique. ce n’est en rien la fin de l’his-toire. on aura reconnu ici la premièreétape de la pensée du complexe, et sonutilité face à l’utilisation de la penséedominante par l’idéologie dominanterelayée par les média. n

« tout le monde s’accorde à considérerque la complexité de la société a augmenté

avec la multiplication des connexions viainternet et la mondialisation. »

*Janine Guespin-Michel estmicrobiologiste. Elle est professeurémérite de l’université de Rouen.

Propos recueillis par Florian Gulli.

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« l’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

Les Lumières offrent aux ama-

teurs de théâtre leur entréemoderne en politique. L’émer -gence d’une « opinion publi -que  » au cœur de l’espacepublic de la France d’Ancien

régime prend corps au spectacle.Medium d’éducation et d’édification parl’exemple des conditions montrées surscène, le théâtre se dote d’une chargepolitique et critique, annonçant l’accé-lération des bouleversements de « l’an-née sans pareille » (1789). La sphère théâ-trale soumise au régime du privilègemonarchique réservé à la comédieFrançaise, à l’opéra et à l’opéra-comique, mute dès le mitan du dix-hui-tième siècle. tout entier voué aux seulsgenres majeurs, le système royal des ins-titutions dramatiques souffre sur lesboulevards parisiens des innovationsesthétiques des nicolet ou autre Audinotau profit d’une bâtardise foraine jubila-toire pour le public ; les entrepreneurspatentés, en province, sont eux aussicontestés par de nouveaux acteurs etintermédiaires culturels, au premier rangdesquels des marchands, des notableséclairés et des sociétés d’actionnairesdésireuses d’investir le champ du spec-tacle, par goût, intérêt public ou viséesfinancières. Poussé sur la voie d’uneémancipation critique l’encourageant àne plus faire sien le jugement du roi, lepublic se réunit désormais, au fil des

théâtre en révolution :une révolution théâtralepour un sentimentrépublicainLe théâtre, libéré, offre un espace et un temps à la régénération et à l’édu-cation à la citoyenneté. Le divertissement prime, la révolution progresse.

décen nies, au sein de nouveaux « théâ-tres temples  », emprunts d’un idéalmodèle antique. de l’ancienne caveagrecque réinventée – sans jamais queles hiérarchies sociales ne soient physi-quement abolies – à la nouvelle agorapolitique théâtrale contemporaine, l’ul-time pas à franchir l’est bientôt par lesrévolutionnaires.

les théâtres à l’ère de la libertéen révolution, la liberté des théâtres estimmédiatement mise en discussion parles acteurs de la sphère dramatique etles nouveaux protagonistes de la scènepolitique et culturelle. dès le printemps1789, de nombreux appels imprimés sontlancés en faveur de la « liberté du théâ-tre » – c’est-à-dire la fin de la censurethéâtrale – et « la liberté des théâtres »

– soit la fin du contrôle du pouvoir royalsur les théâtres officiels de Paris et del’autorisation monarchique indispensa-ble à l’ouverture d’une nouvelle salle. Lesinitiatives du poète Marie-josephchénier, remarqué pour son ébranlantCharles IX – habile coup de force à lacomédie Française mi-juillet contre lacensure royale et pour la nation libérée– comme par son pamphlet publié quinzejours plus tard en faveur De la liberté duthéâtre en France, sont autant de pas enfaveur de cette double liberté du théâ-

tre et des théâtres. Les bases d’uncontrôle public municipal des théâtreset d’une propriété littéraire des auteurssont jetées dès les mois de janvier février1790 ; d’autres, plus libéraux, plaident enfaveur d’une abolition stricte du privi-lège dans la capitale, de l’ouverture, ennombre, de nouveaux théâtres, et d’unepropriété littéraire perpétuelle desauteurs contre l’appropriation abusivedes répertoires par les théâtres officiels.ces débats sont abondamment nourrispar ceux qui entendent alors obtenir lapleine liberté de pouvoir ouvrir des théâ-tres commerciaux. en deux ans, les abo-litions successives des privilèges et desmonopoles des représentations des 4août 1789 et 26 août 1790 annoncent denouvelles perspectives. L’élan aboutit àl’adoption du décret Le chapelier le13 janvier 1791.

ce jour-là, le privilège accordé auxgrandes scènes parisiennes est aboli ettout citoyen est autorisé à élever libre-ment un théâtre public et y faire repré-senter des pièces de tout genre sur sim-ple demande préalable à la municipalité.balayant la censure, ouvrant librementle répertoire aux œuvres des drama-turges morts depuis dix ans et sousconditions à celles des auteurs contem-porains, cette loi libératrice élève le théâ-tre au rang d’entreprise commercialeprivée et consacre la mutation écono-

« désormais citoyens, les artistesdramatiques deviennent acteurs du

processus révolutionnaire en marche. »

PAR CYRIL TRIOLAIRE*

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*Cyril Triolaire est historien. Il estmaître de conférences en étudesthéâtrales à l’université Blaise Pascalde Clermont-Ferrand.

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mique des structures dramatique déjàengagée. Les salles et davantage encoreles troupes se multiplient alors : les pra-tiques dramatiques gagnent des espacesjusque-là peu familiarisés au divertisse-ment. Le public y rit et applaudit auxreprésentations renouvelées des suc-cès du répertoire du siècle précédentde Molière, racine et voltaire, ainsi qu’auxairs inédits des compositeurs d’opéra-comique ; bientôt les mélodrames etleurs univers noirs ou les féeries défiantles lois du vraisemblable gagnent l’en-thousiasme de spectateurs emballéspar l’hybridité générique. Le divertisse-ment prime, la révolution progresse.Même violemment censuré dès l’an ii, lethéâtre est élevé au rang de nouvelleécole de vertu et de patriotisme et lessociétés jacobines deviennent son céna-cle privilégié. Le théâtre, libéré, offre unespace et un temps à la régénération età l’éducation à la citoyenneté. Épuréesaprès la chute du gouvernement révo-lutionnaire en thermidor an ii, les socié-tés dramatiques flirtent avec la réactionroyaliste. tensions et affrontements pol-luent alors le quotidien des salles ; laliberté théâtrale suscite à nouveau ledébat. Les réorientations éducativesdirectoriales annoncent bientôt le retourà l’ordre dramatique. La motion d’ordresur les théâtres présentée le 26 brumairean vi (16 novembre 1797) par Marie-joseph chénier au conseil des cinqcents abonde dans ce sens. surveillanceet régulation de la libre activité des théâ-tres sont à l’ordre du jour, le père duCharles IX et d’autres derrière lui, voyantmême en la multiplicité des scènes unedangereuse source d’anéantissementde l’art dramatique. Abandonné, le pro-jet d’une réduction du nombre de scènesaboutira sous l’empire napoléonien, aunom de la glorieuse restauration esthé-tique du Parnasse dramatique français ;pour mieux aussi contrôler et orienterles esprits à l’heure de l’invention d’unenouvelle légitimité dynastique impérialeà vocation européenne.

le théâtre patriotique,nouvelle école du peupledésormais citoyens, les artistes drama-tiques deviennent acteurs du proces-sus révolutionnaire en marche. ils éprou-vent autant qu’ils promeuvent lesnouvelles valeurs nationales, participentaux fêtes de la révolution, rejoignent lesrangs des gardes nationales ou jouentaux armées, en vertu d’une adhésion sin-cère et au risque assumé de la division– les rouges engagés derrière talma faceaux noirs de naudet ou Fleury, sympa-thisants de l’ancien ordre, au Français.Aussi les théâtres s’affirment-ils patrio-tiques. La comédie Française se rebap-tise théâtre de la nation tandis qu’à

rouen coexistent le théâtre de laMontagne et celui de la république ; bien-tôt certains plafonds baroques sontrepeints aux couleurs tricolores tandisque les statues de l’Égalité et de la Liberté,les bustes de Marat et de rousseau s’ex-posent aux foyers. Le répertoiretémoigne de l’écriture et de la représen-tation de l’histoire immédiate. Lesaffiches épousent la chronologie révo-lutionnaire, offrant à revivre les événe-ments récents (la prise la bastille avecLa Fête du grenadier à l’Ambigu-comique, la fête de la Fédération autour

du Chêne patriotique à la comédieitalienne), chargeant la religion et nour-rissant l’émergence d’un anticléricalismerévolutionnaire (avec Monvel ou Fiévée),célébrant l’enrôlement des volontaires,les succès aux armées et rendant grâceaux jeunes héros tombés pour larépublique (La Veuve du républicain deLesur, La Mort du jeune Bara de briois).Les affiches patriotiques servent dès l’anii un théâtre désormais pensé « par etpour le peuple » et élevé au rang d’écolepour adultes.

un espace d’expressionspubliques fortestrès tôt les assemblées et, tour à tour,les cercles et clubs politiques imaginè-rent le théâtre en espace pédagogiquede la régénération. à la constituante déjà,en décembre 1789, à l’occasion du débatsur le droit de vote des comédiens,robespierre promettait que les théâtresdeviendraient les « écoles publiques deprincipes, de bonnes mœurs et de patrio-tisme ». quatre ans plus tard en l’an ii, lecomité de salut public érige définitive-ment le théâtre en école primaire pouradultes, encourageant chaque ville dis-posant d’une salle de spectacle à l’ou-vrir aux élèves des écoles publiques etaux autres citoyens soucieux de s’exer-cer et faire leurs les valeurs républicaines.La geste militante et la promotion d’unenouvelle légitimité politique n’est passeulement affaire de propagande, ladémocratie jacobine imaginant aussil’espace public du théâtre tel un labora-toire politique inédit. citoyen avant tout,l’artiste, engagé, fraternise en section,au club et au théâtre. à dijon, troyes,Montpellier ou reims, le professionnelet l’amateur se retrouvent au sein de

nouvelles sociétés dramatiques et, surscène, confrontent leurs qualités civiqueset d’acteur. cette sociabilité politique etculturelle cultivée dans et en dehors dela salle façonne ces artistes et en fait lesdépositaires d’une expérience militanterésolument neuve, au service d’un sys-tème de valeurs inédites et d’un modèlerépublicain en cours d’invention. La mis-sion civique embrassée par les museset leurs chantres ainsi que la politisationextrême d’un peuple spectateur soumisau rythme des événements révolution-naires transforment le théâtre en un

espace d’expressions publiques fortes ;où les républicains cocardisés applau-dissent au répertoire patriotique et veil-lent, en l’an ii, à ce que rien ne rappellel’ancien ordre, où les plus fermes sontarrêtés ou surveillés de près après ther-midor, et où, bientôt, néojacobins et roya-listes en décousent régulièrement enl’an v et l’an vi. Asseoir le parterre ou lemarquer de près ne suffit pas à entière-ment le policer. L’exacerbation des pas-sions observées n’a alors bien souventd’égale que la sincérité d’hommes muspar leur libre volonté ; qu’administra-teurs, censeurs et policiers contiennentfinalement plus ou moins.

Héritiers de diderot et de rousseau, lesdépositaires du nouveau régime assi-gnent une mission d’éducation civiqueà un théâtre où l’on se rend par ailleursavant tout pour se divertir. Les basesd’une nouvelle ère viennent pourtantd’être jetées. car « au bout du compte,la fonction civique la plus élevée du théâ-tre est de susciter le doute chez les spec-tateurs, conforter d’abord leur identitépour mieux ensuite l’ébranler » (gérardnoiriel, Histoire, théâtre, Politique, Agone,2009). dès l’an ii sont ainsi dessinés lescontours d’un théâtre chargé d’inspirerle sentiment républicain et appelé à nour-rir les expériences théâtrales populaireset citoyennes contemporaines. n

« La fonction civique la plus élevée duthéâtre est de susciter le doute chez les

spectateurs, conforter d’abord leur identitépour mieux ensuite l’ébranler »

gÉrArd noirieL

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Àchaque réforme desprogrammes scolaires,les contenus des pro-grammes d’histoiresont l’objet de toutes lesattentions et, très sou-

vent, de polémiques dont la géogra-phie est préservée. comment expli-quez-vous cette différence entredeux disciplines dont les enseigne-ments sont pourtant liés ?La réponse est à chercher dans la naturemême de l’enseignement de la géogra-phie scolaire. traitée de manière moinspassionnelle que l’histoire, la géographiesouffrirait peut-être moins de la modi-fication ou de la suppression de certainsde ses contenus (qui, en lien avec lemonde actuel, se doivent d’évoluernécessairement très rapidement et quisemblent également moins faire partied’une « culture commune » à maîtrisercomme en histoire). sans doute aussiqu’en essayant de moins se structurerautour des contenus en question maisdavantage autour de méthodes qui nesuscitent pas encore vraiment de débatsdans la sphère scolaire, la géographiesemble épargnée.

Faire comprendre à l’élève qu’il est un acteur du monde réel, bientôt adulte res-ponsable de son emprise sur le territoire. en tant qu’individu dans un groupe, ilhabite, se déplace, consomme, construit… produit du territoire finalement.

Le fait est également que les contoursde la discipline ne sont pas toujours bienidentifiés dans la sphère politico-média-tique et que les problématiques donts’emparent les géographes universitairessont souvent « trustées » par d’autresspécialistes lorsqu’il s’agit de les rendre

visibles au grand public : au physicien, laquestion du réchauffement climatique ;à l’économiste, celle de la mondialisa-tion ; au sociologue, celle des banlieues…L’historien, lui, est souvent présent pourdéfendre ses positions tandis que le géo-graphe se fait bien plus discret.

le couple histoire-géographie est unespécificité française. considérez-vousque ce soit une richesse pour l’ensei-gnement de la géographie ?si la géographie est née de l’histoire dansla sphère scientifique, elle a su ensuiteprendre le large avec son outillage pro-pre. c’est dans les milieux scolaires quecette union forcée perdure bien souvent

au détriment de la géographie puisqueles enseignants du secondaire sont mas-sivement issus de cursus d’historiens etque ceux du primaire confient bien sou-vent la géographie à leurs stagiaires ouà leurs décharges comme pour s’endébarrasser. bien sûr des liens existent

entre les deux disciplines, plus ou moinsintimes selon les sujets abordés, mais iln’y a pas toujours, à mon sens, de réelleconnexion de fond. Les travaux dechristian grataloup sur la « géohistoire »(l’idée qu’une histoire est située spatia-lement et qu’un territoire occupé parune société est situé dans le temps)offrent une possibilité intéressante derenouvellement des approches.de plus, la géographie, résolumenthumaine aujourd’hui, peut tisser des pas-serelles avec d’autres spécialités commel’économie ou la sociologie par exemplemais ces disciplines ne sont pas scolairespour les premiers niveaux d’enseigne-ment. notons enfin que les contenus à

ENTRETIEN AVEC XAVIER LEROUX*

évolution et finalité d’une discipline : la géographie scolaire

« Les sciences de la vie et de la terre ont récupéré de nombreuses questions

physico-naturelles historiquementdévolues à la géographie. »

les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... la compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

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enseigner évoluent aufil du temps et glissentparfois d’une disciplineà une autre sans pourautant péricliter  : lessciences de la vie et dela terre ont récupéré denombreuses questionsphysico-naturelles histori-quement dévolues à la géographie. Lestravaux de christine vergnolle-Mainar surles « disciplines en dialogue » expliquentbien ces déplacements de contenus etl’apparition récente de méthodes plustransversales comme les « éducationsà », le développement durable en consti-tuant un exemple marqué.

quelles sont les finalités de la géogra-phie scolaire ? en quoi l’enseignementde la géographie contribue-t-il à la for-mation des futurs citoyens ?Les finalités de la géographie seraient déjàde ne pas se limiter à une « géographiescolaire » dont les savoirs et savoir-faire

ne sortiraient pas de la salle de classe.derrière des formulations qui peuventsembler un peu vagues et englobantescomme « se repérer » ou « comprendreson environnement », se construisent devéritables compétences devant faire com-prendre à l’élève qu’il est un acteur dumonde réel, bientôt adulte responsablede son emprise sur le territoire. en tantqu’individu dans un groupe, il habite, sedéplace, consomme, construit… produitdu territoire finalement.ces finalités sont éminemment civiques :former un citoyen éclairé et réfléchiconstitue un véritable but à atteindre.Les attentats de janvier 2015 contreCharlie Hebdo n’ont pas traîné à faire

réagir les historiens à travers le prismede la laïcité mais la question sous-jacentede la religion est aussi fondamentale-ment spatiale et convoque l’un des outilsmajeurs de la géographie actuelle, àsavoir les niveaux d’échelles : des grandesmigrations à échelle mondiale au regrou-

pement de communautés à la micro-échelle du quartier en passant par denombreux espaces intermédiaires, laquestion du « vivre ensemble » des popu-lations peut constituer un vrai sujetd’étude pertinent.

l’enseignement de la géographie a étéprofondément renouvelé depuis unequinzaine d’années. quelles ont été lesprincipales innovations dans les conte-nus et les méthodes ? quel regard por-tez-vous sur elles ?si la géographie scolaire est en décalageet même très en retard sur la géographiescientifique, de nouveaux sujets d’étude,

en lien avec les questionnementsactuels, arrivent toutefois lors des

modifications de program -mes : pour l’élémentaire,

« les frontières » et« l’échelle locale »

ont fait leur appari-tion en 2008 ; tout

dernièrement, c’est latrès vaste question de

« l’habiter » qui va dessiner les textes de2016.

ces « thématiques » devraient servir uti-lement les approches pour tenter d’ap-préhender toutes les échelles du spec-tre spatial en tenant compte au mieuxdes pratiques des élèves mais égalementde leurs représentations, autre point fortdu renouvellement méthodologique dela discipline. Les connaissances sontcertes nécessaires mais elles doivents’accompagner d’un raisonnement solideet logique issu d’une démarche scienti-fique. un dosage entre connaissanceset compétences, dont les proportionsrespectives restent à évaluer, s’avèredonc nécessaire.

enfin, les technologies de l’informationet de la communication pour l’enseigne-ment (tice) sont à citer dans les grandespotentialités qu’elles peuvent offrir dansle domaine de l’analyse d’images, pho-tographiques et cartographiques. encorefaut-il que le matériel suive dans lesécoles où, bien souvent, le tableau à craieet le photocopieur noir et blanc restentde mise. n

*Xavier Leroux est docteur engéographie. Il est professeur desécoles.

Entretien réalisé par SéverineCharret.

« ces finalités sont éminemmentciviques : former un citoyen éclairé

et réfléchi constitue un véritable but à atteindre. »

Dessin : Nathan, CM2,

le changement d’échelle en géographie

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la culture scientifique est un enjeu de société. l’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. etnous pensons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu’une impasse.

la formation des ingénieurs est-ellepublique ou privée ? est-ce une pro-fession plus masculine que féminine ?il y a des écoles publiques (AgroParistech,Agrocampus, enitA de clermont…) etdes écoles privées (celles du réseauFesiA notamment), à peu près à partségales. bien qu’elles traitent du domaineagricole, elles se situent majoritairementdans les grandes villes. généralement,l’entrée dans des écoles publiques sefait après deux ans de classe prépara-toire, tandis que les écoles privées pro-posent plutôt des cursus post-bac encinq ans avec cours préparatoires inté-grés. il est aussi possible de devenirélèves de ces écoles, privées commepubliques, après un bts, un iut, unelicence ou bien dans le cadre d’unereconversion professionnelle après plu-sieurs années d’expériences.� Au débutdu siècle, la profession était très large-ment masculine, elle s’est progressive-ment féminisée et, aujourd’hui, selon lesstatistiques agricoles, les femmes y sontmême majoritaires. dans ma promotion,il y avait autant de filles que de garçonsmais la proportion a augmenté dans lasuivante.

concrètement, que font les ingénieurs ?Le métier d’ingénieur agricole est trèsvaste ! de la recherche au conseil enpassant par l’inspection, l’animation,l’analyse, la création… il y en a pour tousles goûts et pour toutes les ambitions !je vais essayer d’illustrer mes propos en

qu’est-ce qu’uneingénieure agronome ?

citant les missions et métiers que réali-sent les personnes qui étaient avec moisur les bancs de l’école. L’une d’entreelles fait de la sélection génétique desemences potagères dans une grosseentreprise française, un autre est ani-mateur syndical à la confédération pay-sanne, une autre travaille pour unegrande marque d’alcool et développe denouvelles gammes de vodka, il y a aussides commerciaux d’aliments ou de pro-duits phytosanitaires, des conseillers àla chambre d’agriculture, une autreencore travaille en slovaquie pour déve-lopper les marchés d’un grand groupecéréalier. certains deviennent tradersde blé ou de coton, d’autres intègrent la

fonction publique, sont chargés d’amé-liorer la qualité de l’eau d’un bassin-ver-sant ou conseillent les agriculteurs dansle domaine de la finance. il y a aussi desanimateurs et des coordinateurs destructures associatives comme les grou-pements d’agriculteurs biologiques etles civAM (centre d’initiatives pour valo-riser l’agriculture et le milieu rural). jepourrais aussi citer les copains qui tra-vaillent à La Martinique sur desrecherches très spécifiques liées auxproductions de bananes, ou au Marocpour développer la filière fraises dedanone. enfin, il y a ceux qui s’installentpour élever des vaches, des porcs ou

des brebis. La formation d’ingénieur agri-cole offre des spécialisations très variées,donc un panel assez large de possibili-tés et de métiers.

pierre crépel : on pourrait ajouter qu’ilfaut être embauché. or nous assistonsau plan mondial à une offensive des agri-cultures de firme. des compagnies pri-vées et des États riches (y compris leqatar ou l’Arabie saoudite) achètent ouaccaparent des étendues de terresimmenses, y développent de l’agricul-ture non familiale, orientée vers le ren-dement et l’évitement des normessociales, environnementales et fiscales.Le traité transatlantique ou tAFtA, en

cours de négociation, aggraverait consi-dérablement chez nous l’importance deces firmes et de l’import-export sansscrupule. Le risque est grand que la pro-fession d’ingénieur agricole y soit beau-coup plus soumise.

quelles sont les grandes techniquesnouvelles ? qu’est-ce qui a changé dansle métier depuis vingt ans ? les ingé-nieurs sont-ils au service des grossesboîtes de l’agrobusiness (intrants,semences, alimentation de bétail,machines, transformation, etc.) ?du haut de mes vingt-cinq printemps ilm’est assez difficile de donner une syn-

dans le cadre de notre série sur les métiers scientifiques et techniques,nous avons demandé à une jeune ingénieure agronome de nous parler desenjeux et des conditions concrètes de sa profession, tels qu’elle les voit àvingt-cinq ans.

ENTRETIEN AVEC ÉLISE NERBUSSON*

« Le risque est grand que la profession soit beaucoup plus soumise aux firmes »

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SCIENCES

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thèse de l’évolution. Aujourd’hui nouspouvons faire des statistiques très pous-sées et, dans le domaine de la rechercheet de l’innovation technique, les possi-bilités se sont multipliées. ceux qui tra-vaillent dans le machinisme agricolevoient apparaître les drones et les trac-teurs qui se conduisent tout seuls à l’aided’une gestion assistée par satellites. enoutre, la profession a, en partie, progres-sivement quitté les seuls domaines dela chimie ou de l’agronomie pure et durepour s’ouvrir aux sciences sociales.beaucoup d’entre nous travaillentaujourd’hui dans l’animation, l’accom-pagnement, l’économie, la sociologierurale. L’innovation n’est pas seulementtechnologique.

Khanh dao duc : L’évolution de la géné-tique et l’informatique ont joué aussi unrôle fondamental dans les techniquesd’ingénierie employées par des indus-triels type Monsanto, en lien avec l’aug-mentation exponentielle d’espècesséquencées à un coût maintenant trèsfaible. Pour donner un ordre d’idée, lecoût de séquençage d’une mégabaseest passé de 10 000 $ en 2001 à moinsde 0,10 $ en 2013. on peut aussi penserà une extension à d’autres domainescomme celui des biocarburants ouencore la médecine avec la gestion durisque allergène… il y a là des enjeux finan-ciers énormes et les multinationales s’yengouffrent, avec le profit comme seulsouci.

l’ingénieur agricole peut-il influer pourque les paysans soient rémunérés à unjuste prix ?oui, si l’ingénieur peut se trouver dansdes structures ou filières qui défendentles intérêts des paysans : organismesde commerces équitables ou coopéra-tifs qui défendent la juste rémunérationdes producteurs. je pense égalementà ceux qui mettent en place des plates-formes permettant de faciliter la com-mercialisation des produits en circuitscourts : producteurs et consomma-teurs peuvent y échanger directementou par le biais d’un seul intermédiaire,cela réduit les coûts liés aux intermé-diaires et permet de mieux rémunérerles producteurs. il peut s’agir de collec-tivités, de structures agricoles ou d’en-treprises privées.non, quand ces ingénieurs travaillentdans les coopératives et entreprisesagroalimentaires qui, cet été, refusaient

d’acheter le porc au-dessus de son prixde revient. cela participe à la dégrada-tion des prix et à l’endettement desfermes et bien souvent à l’enrichisse-ment des grosses firmes multinationales.non, quand ils vendent des produits auplus bas prix car la rémunération des agri-culteurs est forcément influencée.Les choses ne sont pourtant pas si sim-ples. un ingénieur qui forme des paysanspour les aider à vendre au meilleur prixleur blé sur les marchés à terme permetà ces derniers d’être mieux rémunérés ;mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit du« juste prix ». L’ingénieur agricole peutinfluencer dans les deux sens : il s’agitcertes de choix éthiques personnels,mais aussi de choix stratégiques desentreprises et des politiques publiques.Par exemple, les organismes agricoles

ne sont pas tous aidés à la même hau-teur par les pouvoirs publics ; de leursmoyens dépend aussi leur capacité d’em-bauche. nous pouvons également tousinfluer pour que les paysans soient rému-nérés à un prix juste dans nos choix devie, de consommation, mais aussid’épargne : il existe des systèmesd’épargne comme terre de Liens qui per-met d’investir dans des terres agricolespour installer des paysans. Les consom-mateurs ont ici probablement une plusgrande influence que les ingénieurs agri-coles en tant que tels.��

que peut-il ou elle faire en faveur d’uneagriculture plus respectueuse de l’en-vironnement, sociale et solidaire etmoins branchée sur le productivismeaveugle, l’épuisement des ressourcesnaturelles et les pesticides, voire uneespèce de capitalisme agricole verdâ-tre ?il y a des réponses individuelles et col-lectives. un ou une ingénieur qui sou-haite soutenir une agriculture durable etrespectueuse de l’environnement peutessayer de choisir un métier en ce sens,c’est-à-dire travailler dans des structuresde développement agricole, des syndi-cats, de collectivités ou d’entreprises quidéfendent ces valeurs. il peut aussi s’ins-taller et mettre en œuvre les bases d’uneagriculture durable et responsable.

* Élise Nerbusson est ingénieureagricole..

Propos recueillis par Pierre Crépel etKhanh Dao Duc.

Pour poursuivre la réflexion, nousconseillons la lecture du no8(printemps 2015) de Progressistes,dont le dossier est intituléAgricultureS:http://progressistes.pcf.fr/72984

néanmoins, les postes ou possibilitésde création d’emplois en agriculturedépendent aussi des moyens des struc-tures et entreprises, de leurs orienta-tions et, indirectement, des systèmesincitatifs et des aides publiques. on enrevient donc à la politique générale.

ensuite, il y a des différences entre lesécoles. certaines sont plus tournées versle productivisme, d’autres vers les ques-tions environnementales, sociales etsociétales, d’autres encore vers l’indus-trie agroalimentaire. une formation resteune formation, les enseignements sontpluriels et riches de leur diversité, on peutles utiliser à bon escient et on conservetout de même, à la sortie, un certainchoix. il est possible de travailler dans lebio, les filières de productions alimen-

taires et énergétiques locales et dura-bles, l’économie sociale et solidaire, lesoutien des paysans en difficultés.d’autre part, les cours ne sont pas lesseuls lieux de formation, il y a aussi lesstages et les engagements extérieurs.j’ai pour ma part appris grâce aux asso-ciations d’éducation populaire (Mouve -ment rural de jeunesse chrétienne), àquelques jours passés dans différentesfermes, à des articles glanés sur le netet dans les journaux, aux paysans et res-ponsables agricoles croisés ici et là. cesont également ces rencontres et ceslectures qui forment les ingénieurs agri-coles et les amènent à prendre du reculsur leurs pratiques. j’ai pu le souligner àplusieurs reprises : la profession d’ingé-nieur agricole est multiple et variée. il nes’agit pas d’une profession unie, preuveen est : il n’existe pas de syndicat desingénieurs agricoles au message poli-tique fort. n

« il n’y a pas de syndicat d’ingénieuragricole au message politique fort »

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PAR GÉRARD STREIFFSO

NDAG

E

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la perception de la diversitéil y a des sondages qui donnent parfois le vertige. Pour leurvacuité. genre l’enquête odoxa/Le Parisien du 2 janvier 2016intitulé « Les Français demandent un renouvellement totalde la classe politique ». à tout hasard, on regarde le résultat :les sondés demanderaient de sortir les sortants, sauf juppé,et plébisciteraient Macron ! seigneur ! qui disait récemmentque la vie politique française était au niveau zéro ? !Plus intéressante est l’enquête viavoice/slate, de la mi décem-bre, aux lendemains des régionales, sur la perception par lesFrançais de la diversité.quand ils entendent ce mot, les sondés pensent majoritaire-ment couleur de la peau, religion et étrangers ; la plupart oublieles femmes ou les handicapés.

« une vision qui correspond au discours médiatique » notel’institut d’enquête.Le sondage montre aussi que si les Français se disent assezmajoritairement ouverts à la diversité (56 %), ils sont aussi55 % à se dire plutôt pessimistes « sur l’avenir de la diversité ».Pour 17 %, la diversité est une menace. 28 % estiment que « lasociété en fait déjà assez, c’est suffisant ». un score, noteviavoice, qui ressemble étrangement aux scores du Frontnational aux dernières régionales. Mais l’institut ajoute qu’enregardant le détail du sondage, « il existe une forte proportionde personnes hésitantes, qui, politiquement peuvent repré-senter un électorat volatile ». n

pour vous, la notion de diversité fait référence à :

Personnes de diFFÉrentes couLeurs de PeAu56 % tout à fait32 % un peu12 % pas du tout

diFFÉrentes reLigions51 % tout à fait37 % un peu12 % pas du tout

revendicAtions sur L’ÉgALitÉ HoMMes/FeMMes35 % tout à fait31 % un peu34 % pas du tout

Personnes HAndicAPÉes38 % tout à fait29 % un peu33 % pas du tout

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PAR MICHAËL ORAND

STAT

ISTIQUES

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en 2014, le taux de chômage(1) était de 9,9 % pour la Francemétropolitaine. cela signifie que parmi les actifs, un sur dixn’a pas d’emploi. Les groupes les plus touchés par le chô-mage sont souvent les plus précaires : jeunes, peu qualifiéset immigrés.

Ainsi, le taux de chômage des 15-24 ans est de 23,4 %, contre9,3 % pour les 25-49 ans et 6,7 % pour les plus de 50 ans. demême, alors que le taux de chômage des cadres est seule-ment de 4,4 %, celui des ouvriers qualifiés est presque troisfois plus élevé, à 11,4 %, et celui des ouvriers non qualifiésatteint même 19,5 %. enfin, les immigrés connaissent un tauxde chômage de 17,2 %, contre 9,1 % pour les non-immigrés.

entre 2006 et 2014, le taux de chômage national a crû de 1,5point, passant de 8,4 % à 9,9 %. La croissance n’a cependantpas été continue sur toute la période 2006-2014 : il a d’abord

baissé en 2007 et 2008, atteignant un taux de 7,1 %, puis acrû plus régulièrement entre 2008 et 2014. en distinguantles évolutions ayant eu lieu entre 2006 et 2010 d’une part,et entre 2010 et 2014 d’autre part, on peut comprendre com-ment la crise financière de 2008 a affecté les travailleurs, endeux étapes assez différentes.

durant la première période 2006-2010, ce sont essentielle-ment les catégories les plus fragiles déjà citées précédem-ment qui ont subi un accroissement du taux de chômage, àsavoir les jeunes, les moins qualifiés et les immigrés. Ainsi,alors que le taux de chômage des cadres, professions inter-médiaires et employés est resté stable sur la période, celuides ouvriers qualifiés est passé de 7,6 % à 9,4 % et celui desouvriers non qualifiés de 16,8 à 18,6 %. de même, les 15-24ans ont connu une croissance du taux de chômage de plusd’un point entre 2006 et 2010, contre un demi-point envi-ron pour les plus de 25 ans. Les actifs de ces différentes caté-gories étant plus souvent des hommes, c’est le taux de chô-mage de ces derniers qui a le plus crû, celui des femmesrestant stable.

sur la période 2010-2014, en revanche, l’ensemble des caté-gories a été concerné par la hausse du taux de chômage defaçon relativement uniforme pour l’ensemble des catégo-ries, à quelques exceptions près. Le taux de chômage desimmigrés, par exemple, a connu une croissance plus rapideque celui du reste de la population.

La crise financière de 2008 semble donc avoir eu un effeten deux temps sur l’emploi. dans une première période sui-vant immédiatement 2008, ce sont d’abord les catégoriesles plus précaires qui ont été touchées par l’augmentationdu chômage, les autres étant relativement protégées parleur qualification ou leur expérience, entre autres. à partirde 2010, les effets de la crise s’installent plus durablement,et ces protections, efficaces à court terme, ne suffisentplus : toutes les catégories de travailleurs sont alors tou-chées par l’augmentation du chômage, de façon relative-ment uniforme. n

chômage : quels ont été les effets de la crise de 2008 ?

source : insee, enquêtes emploi

(1) La définition du taux de chômage utilisée ici est celle dubureau international du travail. un chômeur est une personnen’ayant pas travaillé durant une semaine donnée, recherchantactivement un emploi et disponible pour prendre un emploisous 15 jours. Le taux de chômage correspond au nombre dechômeurs rapporté au nombre total d’actifs (chômeurs etpersonnes en emploi).

taux de chômage par catégories

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L’apport de david Harvey permet de penser l’espace géographiquedans un rapport dialectique où les rapports sociaux de dominationsont centraux.

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PAR CORINNE LUXEMBOURG*

lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projetdes communistes.

david harvey et la géographie radicale

David Harvey est le principal représentant dela géographie radicale nord-américaine.Dans l’ensemble de ses travaux, il entendmettre au cœur de la géographie la questionsociale fortement inspirée des travauxmarxistes. Le contexte de cette œuvre est

double. La géographie radicale ou géographie critiquetrouve son origine dans la contestation d’une géogra-phie dominante fondée sur la modélisation quantita-tive des phénomènes sociaux mettant en évidence desinvariants dans l’organisation de l’espace. La géogra-phie radicale des années 1960-1970 aux États-Unis s’yoppose en mobilisant lesstructures économiques,sociales, culturelles, poli-tiques, mettant en œuvredes jeux d’acteurs. C’estnotamment la racine destravaux de géographie enga-gée, anticolonialiste, autourde thématiques centrées surles rapports sociaux et spa-tiaux de domination. Lesecond fil directeur destextes de David Harvey estde construire une analyse marxiste qui prenne encompte la question de la spatialité et une géographieplus sensible aux dimensions sociales, une géographiemarxiste intégrant la critique postmoderne.

Géographie et capital traduit et publié en français en 2010réunit une dizaine d’articles parus entre 1984 et 2009.Rassemblés en trois grands chapitres ils sont consacrésà la question de l’espace, aux incarnations paysagèresdu capital, puis aux logiques spatiales de dépossession.Globalement le géographe s’appuie sur les travaux d’Henri

Lefebvre, notamment Le droit à la ville et Production deterritoire, les écrits d’Antonio Gramsci et ceux sur l’im-périalisme de Rosa Luxemburg.

Ce qui importe dans l’ensemble de ce recueil de textes,comme dans l’ensemble de l’œuvre de David Harvey,tient à une démarche empirique systématique quandd’autres théoriciens marxistes ont coupé le fil de la réa-lité. Ce parti pris permet à l’auteur d’insister sur « le carac-tère relationnel de l’espace-temps plutôt que sur l’es-pace de façon isolée ». « Les espaces construits ont desdimensions matérielles, conceptuelles et vécues. »

La théorie de la production de l’espace proposée parHarvey part d’une analyse des différents circuits de cir-culation du capital. Quand un premier circuit de pro-

duction, de consommationimmédiate de biens et de ser-vices est saturé, un second cir-cuit est utilisé pour des inves-tissements à long terme dansles infrastructures de produc-tion (usines, équipements…)et dans un fonds de consom-mation (logements, trans-ports…). Ce circuit secondaireancre le capital dans l’espace,produit l’environnement pourpermettre à nouveau la

consommation, la production, la reproduction du capi-tal. C’est la concentration de ces équipements qui favo-rise l’urbanisation. Les villes sont ces lieux d’accumula-tion du capital, dont le développement est l’expressionphysique et spatialisée.

Le système capitaliste, instable parce que contradictoire,entre capital et travail, entre concurrence et monopole,va de crise en crise, au gré des saturations de marché inhé-rentes à la suraccumulation. Selon le géographe, les crisess’expliquent principalement par les obstacles à la circu-

« La géographie radicale trouve son origine dans la

contestation d’unegéographie dominante...»

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lation du capital. Si le capital excédentaire ne trouve pasà être réinvesti pour être à nouveau valorisé (processuscumulatif), une crise surgit et conduit à la dévalorisationdu capital inemployé. C’est dans les processus de forma-tion et de sortie de crise que s’insèrent les processus géné-raux de production de l’espace.

L’expansion géographique du capital passe par la conquêteou l’aménagement de nouveaux territoires, l’ouverturede nouveaux marchés, notamment la reproduction ou latransformation d’espaces non encore absorbés par lecapitalisme. Le but est d’absorber les surplus produitssur un territoire donné dans un autre territoire. C’est àcette production d’espace que le capitalisme doit sa sur-vie, en effet, il doit, pour évoluer, compter sur les néces-saires maintien ou création d’unen dehors du système. Il profitealors d’une opportunité d’inves-tissements particulièrement ren-tables. Harvey souligne la « facultédu capitalisme de comprimer lalutte des classes par le biais d’unedivision géographique visant sadomination ». On retrouve ici lemécanisme d’accumulation ducapital pouvant mener à l’impé-rialisme. Le système capitalistes’est transformé sous l’effet de ladéréglementation financière vou-lue par les États dominants, parle développement d’un système de média et de commu-nications faisant émerger un espace dématérialisé quisert à toutes sortes de flux d’informations (dont, bienentendu, des transactions financières).

Harvey interroge l’idée de mondialisation et la confronteau développement géographique inégal, concept quicaractérise le capitalisme dans son développementmême. En effet, la concurrence utilise et favorise les iné-galités de richesses tout comme d’infrastructures. Ainsiles logiques de spécialisation territoriale, sous quelqueforme que ce soit, participent de la mise en concurrencedes territoires, des salariés.

Plus spécifiquement, la métropolisation est un stadeavancé de l’accumulation de capital, par la concentra-tion d’activités stratégiques. Point relais de la mobilitédu capital les métropoles en cherchant à être de plus enplus attractives tendent à renforcer ou à créer des iné-galités spatiales dans le développement capitaliste. Dansun autre ouvrage, Le nouvel impérialisme, édité en Franceégalement en 2010 par les Prairies ordinaires, Harveyapprofondit la description de ce système entre paysdominants et pays dominés dans le contexte de néoli-béralisme en mettant au centre du développement géo-graphique inégal, l’accumulation par dépossession.L’espace spatialisé par le capitalisme finit par en acqué-rir tous les aspects, dont la fragilité et la volatilité. DavidHarvey insiste avec force sur le fait que le capital inves-tit autant les espaces qu’il les délaisse, une fois que ces

derniers se révèlent incapables de garantir des taux deprofit suffisants. Et l’on sait que ces abandons, qu’ilscorrespondent à des délocalisations, à des frichesurbaines ou rurales, etc., sont aussi traumatisants pourles communautés humaines que l’installation du capi-tal lui-même. La mise en compétition des territoires estainsi un des aspects de la mise en concurrence des peu-ples et des travailleurs.

En décrivant la production, la destruction, la reproduc-tion de l’espace, ce sont les mécanismes de productionet de renforcement des inégalités sociales et spatialesqui sont finement mises au jour. L’accumulation pardépossession étant l’un des outils de domination spa-tiale. L’apport de David Harvey permet de penser l’es-

pace géographique dans un rap-port dialectique où les rapportssociaux de domination sont cen-traux. Le raisonnement est réci-proque, rendant indissociablesl’espace, sa production, ses évo-lutions des réflexions sur l’éman-cipation.

David Harvey comme HenriLefebvre met le droit à la ville aucentre de sa réflexion, tout enconservant la relation empi-rique. En 2011, en France, est tra-duit aux éditions Amsterdam Le

capitalisme contre le droit à la ville : néolibéralisme, urba-nisation, résistances. Il s’agit bien de penser le droit à laville comme droit à l’appropriation collective de la ville,à sa transformation.

La force de l’œuvre de David Harvey est de réussir à situerl’évolution du capitalisme autant dans l’espace que dansle temps, l’un et l’autre étant indissociables. C’est-à-direque donner les moyens de combattre le capitalisme passeaussi par un refus de fragmentation de ce qui en fait soncontexte social, politique, culturel. C’est notammentl’éclairage indispensable par les deux ouvrages les plusrécents du géographe : Brève histoire du néolibéralismeet Les villes rebelles : du droit à la ville à la révolutionurbaine.n

*Corinne Luxembourg est géographe. Elle est maître deconférences à l’université d’Artois.

« La métropolisation est un stade avancé de

l’accumulation de capital,par la concentration

d’activités stratégiques. »

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CRITIQUES

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d’être gagnée, ce petit ouvrage participe en tous les casà la nécessaire clarification de ses enjeux. n

30 ans d’Humanité. Ce que je n’aipas eu le temps de vous dire

Arcane 17.

JOSÉ FORT

PAR IRÈNE THEROUX

José Fort, pour des dizainesde milliers de jeunes, c’estd’abord une voix : celle quiretentit longtemps au débutdu meeting central de lafête de l’Humanité. Le petitouvrage qu’il publie leurapprendra que José Fort,c’est plus encore uneplume.

Né en plein cœur du tumultueux XXe siècle d’une mèreespagnole, infirmière au service des Brigades interna-tionales, et d’un père volontaire français dans lesditesbrigades – engagement qui lui coûte la vue, définitive-ment –, notre jeune homme est amené à croiser à la tablefamiliale des figures de tout premier plan du commu-nisme espagnol, à commencer par la Pasionaria. Passéentre les mains de quelques professeurs communistesde haut vol au lycée Jacques-Decour à Paris (CharlesFourniau notamment), il s’engage tôt aux JC et se faitjournaliste puis directeur politique de l’Avant-Garde –l’organe des JC – dans la première moitié des années1970. Mais c’est à l’Humanité qu’il s’illustrera des décen-nies durant, notamment comme chef de la rubrique inter-nationale.C’est ainsi à une plongée dans les tumultueuses années1970-1990 que nous invite notre homme, en cinquantetextes alertes, menant des rêves cubains au drame pales-tinien, en passant par le Chili, le Liban ou la RDA. Derrièreles anecdotes qui parsèment l’ouvrage et lui donnentson charme léger, ce sont des hommes et des femmesqui sont rendus à la vie et à la mémoire – aussi variés quele rédacteur en chef de1958 à 1985, René Andrieu (1920-1998), le chef de la rubrique internationale de 1963 à1982, Yves Moreau (1917-2014), le secrétaire général dela rédaction Henri Alleg (1921-2013), le syndicaliste espa-gnol Marcelino Camacho (1918-2010), le père du Che(1900-1987)… Ce sont des séquences historiques quisont éclairées, incarnées, en France et dans maints pointschauds du monde. Fraternellement préfacé par l’anciendirecteur de l’Humanité, Roland Leroy, l’ouvrage pro-pose des incursions dans ce qu’a pu être le quotidien decette rédaction aussi prestigieuse que singulière. Parmises figures de proue, l’Humanité d’alors compte bien sûrun dessinateur extraordinaire, Wolinski. Une belle placelui est faite dans le livre mais celle-ci aurait dû être bienplus importante, car c’est bien un livre à quatre mainsqui était envisagé, avant la tuerie…Reste qu’à travers ce point d’observation privilégié, JoséFort, seul donc, nous livre un regard sur l’histoire de notremonde en ce temps décisif marqué par les derniers feuxpuis l’effondrement des principales tentatives de dépas-sement du capitalisme au XXe siècle. Un détour léger etprofond qui ravive la colère pour mieux assurer l’espoir,qui leste les luttes du présent d’une réflexion sur un passéqu’il ne s’agit ni d’effacer ni de caricaturer, mais de com-prendre pour construire l’avenir.n

L’impunité fiscaleLa Découverte, 2015

ALEXIS SPIRE ET KATIA WEIDENFELD

PAR IGOR MARTINACHE

Alors que les ténors de ladroite ne cessent de suren-chérir dans la dénoncia-tion d’un supposé« laxisme pénal » que laministre de la Justiceactuelle est supposée

incarner, il est pourtant un domaine qui échappe à leurvindicte : la fiscalité. Et pourtant, s’il en est bien un oùl’administration fait preuve d’une mansuétude remar-quable à l’égard des délinquants, c’est bien celui-là. Auprix d’une perte substantielle pour le budget de l’État –que les mêmes commentateurs se disent pourtantprompts à vouloir rééquilibrer –, mais plus profondé-ment encore pour le pacte social qui unit ce dernier etl’ensemble des citoyens. C’est sur cette étonnante impu-nité que se penchent les auteurs, respectivement socio-logue et historienne du droit, dans cet ouvrage issu d’uneenquête de trois ans, composée d’entretiens auprès dedivers acteurs de cette filière administrative et d’une basestatistique construite ad hoc. Ils proposent ainsi toutd’abord un retour dans le passé pour montrer commentcette tolérance à la fraude est enracinée de longue datedans les mentalités. Sous l’Ancien Régime déjà, si la loiprévoit des sanctions très sévères contre ceux qui ten-tent de se soustraire à l’impôt, en pratique, seuls sontréellement punis ceux qui font de cette conduite un actepolitique en affirmant par là un défi à l’autorité du roi.Ce deux poids, deux mesures va subsister jusqu’au-jourd’hui, changeant simplement de forme, et signifiantune oscillation durable dans la considération de ce quiest ainsi mis en cause par cette fraude : les recettes del’État ou le bien collectif ? Selon que cette dernière serainterprétée comme une simple « erreur » de déclarationou une fraude volontaire, le traitement sera ainsi très dif-férent, seule la seconde étant assortie de poursuitespénales tandis que la première donne lieu à un simplemarchandage dont l’objectif est essentiellement pourl’État de récupérer son « dû ». Or, il existe quantité de fil-tres entre le contrôle initial et une hypothétique condam-nation, parmi lesquels « l’injustement » méconnueCommission des infractions fiscales, composée de hautsmagistrats à la retraite, qui aboutit à ce que les contri-buables les plus puissants, particuliers comme firmes,soient finalement très rarement poursuivis en pratique,à la différence des plus faibles, étrangers ou PME concen-trées dans certains secteurs. Après avoir éclairé les rouagesde cette impunité sélective, les auteurs terminent enexposant un certain nombre de pistes pour tenter de l’at-ténuer, largement inspirées, une fois n’est pas coutume,de mesures mises en œuvre dans certains pays étran-gers, notamment le Royaume-Uni, et consistant notam-ment à accroître les moyens de la « police fiscale » et àsupprimer la Commission des infractions fiscales, maisaussi à élargir l’éventail des peines, et faire preuve depédagogie auprès du public dans le récit des infractionsafin que celui-ci comprenne concrètement ce qui est enjeu derrière des opérations aussi opaques que (fausse-ment) techniques. En témoigne cette tendance, en réa-lité infondée, à distinguer évasion et fraude fiscales. Sila lutte contre ce phénomène délétère est encore loin

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jeunesse communiste évolue pour devenir dans lesannées 1960 le journal de référence parfois tiré à plusd’un million d’exemplaire par semaine, marquant ainsiconsidérablement la jeunesse de son époque. L’auteurpublie également ses recherches sur les « ancêtres » deVaillant, en particulier sur Mon Camarade édité avant-guerre. Pour la plupart inédites, ces informations per-mettent de mieux comprendre la stratégie politique édi-toriale de la mouvance communiste auprès des plusjeunes. À ce titre, l’ouvrage de Médioni se doit de com-pléter la bibliographie de quiconque étudie l’histoire duPCF, en particulier sur sa capacité à structurer les orga-nisations de masse. Le livre ayant été rapidement épuiséà sa parution, il ressort aujourd’hui en version numé-rique à un prix accessible. Un livre à lire et à offrir auxlecteurs de bandes dessinées et aux amateurs de cettehistoire encore trop peu étudiée des journaux destinésà la jeunesse.n

Le parti pris des jeunesLes éditions de l’Atelier, 2015

HENRIETTE ZOUGHEBI

PAR PATRICK COULON

Présentons l’auteure :Henriette Zoughebi vit ettravaille dans le 9-3 depuisl’âge de 20 ans. Bibliothécaire de profes-sion, elle a fondé le Salon

du livre de jeunesse de Montreuil qu’elle a dirigé de 1985à 2001. Communiste, conseillère régionale Front de gauchede 1998 à 2015, elle était vice-présidente de la région Île-de-France en charge des lycées et des politiques éduca-tives depuis 2010.Venons-en au contenu. En une phrase tout est dit : « Nousaussi, on veut avoir notre mot à dire ». Et c’est la pre-mière. Mais il serait dommage de ne pas lire la totalitédes 150 pages qui constituent cet ouvrage. Car l’origina-lité de ce livre vient qu’il résulte de cinq ans de dialogueentre Henriette Zoughebi et les 30 000 jeunes de plus de280 lycées, toutes filières confondues. Un dialogue quidécoule de la volonté politique de l’auteure lorsqu’en2010 elle assume la responsabilité des lycées et politiqueséducatives dans la région Île-de-France. Pour elle la poli-tique doit être révolutionnée. Il faut mettre au centre despolitiques publiques les préoccupations directes des per-sonnes. En l’occurrence ici les lycéens et lycéennes. Etquand on les écoute pas mal de clichés et d’idées reçuess’écroulent. Soif d’égalité, refus des discriminations, enga-gement pour réussir sont les valeurs les plus (ultra majo-ritairement) partagées. Le livre décrit les processus derencontres, les dispositifs mis en place, la teneur deséchanges, des propos récoltés. Un véritable laboratoired’innovation s’épanouit sous les yeux du lecteur.Laissons la parole à la militante pour conclure : « J’ai prisle parti pris des jeunes en essayant de faire résonner leurparole dans l’espace public pour que soient reconnuesleur belle liberté, leur intelligence, leur énergie. Leurengagement, leur force de conviction et de propositionsont, j’en suis convaincue, des leviers de transformationde la société, de construction de l’avenir, pour peu qu’onleur donne leur place comme citoyennes et citoyens àpart entière. »n

CRITIQUES

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expression communiste

Mon Camarade - Vaillant - Pif Gadget : L’histoire complète (1901-1994)

Éditions Vaillantcollector

RICHARD MEDIONI

PAR ARNAUD DAIMÉ

Le titre de l’ouvragerésume admirablementbien son contenu.Richard Médioni, ancienrédacteur en chef de PifGadget dans les années1970, écrit ici un ouvragede référence. Très acces-

sible, rempli d’anecdotes, on suit l’aventure racontée del’intérieur des éditions Vaillant, de la Libération en 1944à leur liquidation dans la fin des années 1990. Certainsliront l’ouvrage à la recherche de quelque nostalgie. Onretrouve en effet des paragraphes spécifiques consacrésaux auteurs ayant travaillé pour les quotidiens. Arnalbien évidement, Tabary, Cezard, Gotlib, Hugo Pratt,Lecureux, Kamb... pour ne citer qu’eux ; ou sur leur héros,Loup Noir, Doc Justice, Rahan, Les Rigolus et les Tristusetc. Les nombreuses illustrations et le ton clair, préciset passionné du récit font que ce livre imposant se lit trèsfacilement, réveillant à coup sûr des souvenirs.D’autres liront l’ouvrage pour les éléments explicatifsprécieux qu’il apporte au contexte politique et éditorialchez Vaillant, la dichotomie entre la direction du PCF etun journal porté par des jeunes militants souvent issusde la Résistance. Comment un journal clandestin de la

nov./déc 2015 Livre-DVD

de Patrice Cohen-Seat Oct./nov./déc 2015

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le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairagescontemporains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

sous le masque de la religion

Malgré les expériences récentes, l’idéologie

allemande continue à ne voir dans les luttes

auxquelles a succombé le Moyen Âge que de

violentes querelles théologiques. Si les gens de

cette époque avaient seulement pu s’entendre

au sujet des choses célestes, ils n’auraient eu,

de l’avis de nos historiens et hommes d’État

nationaux, aucune raison de se disputer sur les

choses de ce monde. Ces idéologues sont assez

crédules pour prendre pour argent comptant

toutes les illusions qu’une époque se fait sur

elle-même, ou que les idéologues d’une époque

se font sur elle. Cette sorte de gens ne voit, par

exemple, dans la Révolution de 1789 qu’un

débat un peu bouillant sur les avantages de la

monarchie constitutionnelle par rapport à la

monarchie absolue dans la Révolution de juil-

let, qu’une controverse pratique sur l’impos-

sibilité de défendre le droit « divin » ; dans la

Révolution de février, qu’une tentative de résou-

dre la question « république ou monarchie »,

etc. Les luttes de classes qui se poursuivent à

travers tous ces bouleversements, et dont la

phraséologie politique inscrite sur les drapeaux

des parties en lutte n’est que l’expression, ces

luttes entre classes, nos idéologues aujourd’hui

encore, les soupçonnent à peine, quoique la

nouvelle non seulement leur en vienne assez

distinctement de l’étranger mais retentisse

aussi dans le grondement et la colère de mil-

liers et de milliers de prolétaires de chez nous.

Même dans ce que l’on appelle les guerres de

religion du XVIe siècle, il s’agissait avant tout

de très positifs intérêts matériels de classes, et

ces guerres étaient des luttes de classes, tout

autant que les collisions intérieures qui se pro-

duisirent plus tard en Angleterre et en France.

Si ces luttes de classes portaient, à cette époque,

un signe de reconnaissance religieux, si les inté-

rêts, les besoins, les revendications des diffé-

rentes classes se dissimulaient sous le masque

de la religion, cela ne change rien à l’affaire et

s’explique facilement par les conditions de

l’époque.

Friedrich Engels, « La guerre des paysans »,

(1850), in Sur la religion, Éditions sociales,

Paris, 1972, p. 98 sq.

Les « guerres de religion », par exemple celles du xvie siècle en europe, portent-elles bienleur nom ? Autrement dit, les querelles religieuses peuvent-elles dégénérer en conflitsarmés ? ne faudrait-il pas à l’inverse considérer la religion comme une apparence mas-quant la vraie nature des luttes opposant les hommes entre eux, luttes liées aux antago-nismes entre les classes ? Mais si tel est le cas, il resterait encore à expliquer pourquoi leconflit de classe revêt le masque de la religion ? c’est que la religion, pour engels, n’est pasqu’un ensemble de croyances, mais un pouvoir politique et matériel bien réel.

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PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

les guerres de religions ?une idéologie.Engels écrit La guerre des paysans en1850 « sous l’impression directe de lacontre-révolution qui venait à peinede s’achever » et qui avait mis unterme à la révolution démocratiquede mars 1848 en Allemagne. Dans cetouvrage, il s’agit de montrer que 1848s’inscrit dans une tradition allemandede révoltes plébéiennes qui remonteau moins à celle menée par ThomasMünzer(1) au XVIe siècle. Il s’agit ausside relativiser l’échec du présent enmontrant à quel point les forces révo-lutionnaires ont progressé depuis1525, notamment du fait qu’ellescomprennent désormais le véritableenjeu de l’opposition entre les classes.Engels considère donc la guerre despaysans, comme un épisode de lalutte des classes. Cela suppose de s’af-franchir des interprétations qui voientdans ces révoltes des « guerres de reli-gion ». Selon ces interprétations, lesluttes qui mirent un terme au MoyenÂge avaient pour cause des désac-cords « au sujet des choses célestes ».La querelle de la transsubstantiation,par exemple, dont l’enjeu était dedéterminer si le pain et le vin consom-més lors du sacrement de l’eucharis-tie étaient véritablement le corps etle sang du Christ, serait à l’origine dela contestation de l’autorité du Vaticanet de la Réforme protestante.Cette manière de comprendre l’his-toire, Engels et Marx en avaient fait lacritique sous le nom d’ « idéologie »,dès 1845. L’idéologie considère quele monde est dominé par des idées etque celles-ci sont les principes expli-catifs des grandes évolutions histo-riques. L’idéologie ne revêt pas néces-sairement une forme religieuse. Ellepeut être politique. Ainsi, on peutconcevoir la Révolution de 1789comme la conséquence ultime d’un« débat un peu bouillant sur les avan-tages de la monarchie constitution-nelle par rapport à la monarchie abso-lue ». Là encore, la cause de la guerre

sive, une lutte contre le pouvoir del’Église. Si la lutte prend une formethéologique, c’est parce que le pou-voir de l’Église catholique est alors unpouvoir politique et matériel bien réel.Comme l’affirmera Engels un peuplus loin, « les dogmes de l’Égliseétaient en même temps des axiomespolitiques, et les passages de la Bibleavaient force de loi devant tous les tri-bunaux ». Il est symptomatique à cetégard que la Réforme protestante aitpris pour cible la richesse démesuréede la papauté. Mais Engels ne secontente pas de mettre en évidencece point, il va également proposer cequ’on pourrait appeler une analysede classe de la Réforme protestanteet distinguer trois camps : le campconservateur catholique, le parti dela Réforme luthérienne bourgeoisemodérée et le parti révolutionnairepaysan et plébéien groupé autour deThomas Münzer.Ce n’est donc pas en s’en tenant à lasurface des discours que les agentstiennent sur eux-mêmes que l’on peutcorrectement analyser une séquencehistorique où la religion semble pré-dominer, mais bien en soulevant lemasque de la religion et en s’intéres-sant aux groupes sociaux qui le por-tent. n

1) Thomas Münzer (1490-1525) :d'abord proche de Luther, ce prêtre seral'une des figures de la guerre despaysans et développera une théologierévolutionnaire et égalitaire.

réside dans la différence des idées.L’idéologie occulte des facteurs autre-ment plus déterminants selon Engels :les classes sociales, l’opposition deleurs intérêts matériels.La critique de l’idéologie ne conduitpas à nier le rôle des idées dans l’his-toire. Il s’agit seulement de relativiserleur importance. Ainsi des idées reli-gieuses. Si elles ont bien un poidsdans l’histoire, elles n’expliquent pasen dernière instance les luttes histo-riques. Pour éclairer celles-ci, il fauten revenir aux « intérêts matériels »des classes en présence. Les querellesthéologiques s’enracinent dans desantagonismes sociaux.

que dissimulent lesguerres de religion ?S’il est nécessaire d’aller regarder« sous le masque de la religion » pourdécouvrir la lutte des classes, unequestion demeure : qu’est-ce qui rendce masque religieux nécessaire ?Pourquoi la lutte des classes ne semanifeste-t-elle pas directement sousla forme d’une lutte ayant pour objetdes intérêts matériels ? C’est tout l’en-jeu de l’analyse de ces « guerres dereligion du XVIe siècle » auxquellesEngels s’intéresse dans le texte. Si l’ons’intéresse au conflit entre catholiqueset protestants, on peut en effet êtretenté de croire qu’il ne s’agit que dequestions d’ordre théologique. Maisfaut-il s’arrêter à cela ? Non d’aprèsEngels, car la Réforme protestantedissimule une lutte bien plus déci-

Les Luttes de cLAsse dAnsL’ALLeMAgne du xvie siècLedans ce texte rédigé en 1850, engels propose une analyse historiquedu soulèvement des paysans allemands de 1524-1526 qui a accompa-gné la réforme protestante. on y découvrira une lecture sociale deconflits ordinairement présentés comme étant de nature principale-ment religieuse. ce travail lui offre également l’occasion de faire leparallèle avec les bouleversements révolutionnaires qu’il vient de vivredans l’allemagne de la fin des années 1840.

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COMITÉ DE PILOTAGE

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Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

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AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Xavier Compain [email protected]

CULTURE

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LUTTE CONTRE LE RACISME

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DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

Laurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIE

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ÉCONOMIE ET FINANCES

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ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

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PROJET EUROPÉEN

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SPORT

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SANTÉ, PROTECTION SOCIALE

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Alexandre FleuretVidéo

Lectrices & lecteurs

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Guillaume Roubaud-Quashie

Directeur

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

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Frédo CoyèreMise en page et graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

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Sébastien ThomasseyMise en page

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Nadhia KacelFéminisme

Victor BlancPoésies

Corinne LuxembourgProduction de territoires

Séverine Charret Production de territoires

Séphanie LoncleCollaboratrice

Michaël OrandStatistiques

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Étienne ChossonRegard

Marine RoussillonCritiques

Mickaël BoualiHistoire

Camille DucrotLire

Florian GulliMouvement réelDans le texte

Pierre CrépelSciences

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COMITÉ DU PROJET

COMITÉ DE PILOTAGE

DU PROJET

Alain VermeerschRevue des média

Jean QuétierRédacteur en chef

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

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parti communiste français

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