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1 DOSSIER DOCUMENTAIRE SUR AUSCHWITZ A LIRE POUR PREPARER LE VOYAGE Sommaire du dossier documentaire : Document n°1 : Témoignage de Samuel Adoner, survivant de la Shoah ........................................................................ 1 Document n°2 : Extrait de la liste du convoi n°38 du 28 septembre 1942 au départ de Drancy et à destination Auschwitz ....................................................................................................................................................................... 2 Document n°3 : Le convoi n°38 du 28 septembre 1942 (composition, sélection et survivants) ...................................... 2 Document n°4 : Carte des convois de toute l’Europe à destination d’Auschwitz ............................................................ 3 Document n°5 : Plan du complexe d’Auschwitz............................................................................................................. 4 Document n°6 : Plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau....................................................................................... 4 Document n°7 : Témoignage du SS Pery Broad sur l’arrivée des convois à Auschwitz ................................................. 6 Document n°8 : Le carnet de croquis d’Auschwitz ......................................................................................................... 7 Document n°9 : Témoignage de Szlama Dragon, rescapé du Sonderkommando de Birkenau, sur le gazage des déportés juifs au Bunker II .......................................................................................................................................................... 10 Document n°10 : L’Album d’Auschwitz ...................................................................................................................... 11 Document n°11 : Photographies prises clandestinement par des membres d’un Sonderkommando d’Auschwitz II Birkenau au mois d’août 1944 ...................................................................................................................................... 14 Document n°12 : Les prisonniers de guerre soviétiques à Auschwitz ........................................................................... 15 Document n°13 : Le camp des Tsiganes à Auschwitz .................................................................................................. 15 Document n°1 : Témoignage de Samuel Adoner, survivant de la Shoah, recueilli en 1995 « Mon père est arrivé en France en 1921, ma mère l’année suivante. Je suis le premier Adoner né en France. A la maison, les parents parlaient yiddish, nous répondions en français. (…) Durant l’occupation, il a fallu aller se faire recenser, mon père, comme bon citoyen français obéissant… Il a ramené la radio, puis on a eu l’étoile et le tampon sur la carte d’identité… Nous marchions avec l’étoile dans la rue, boulevard Saint -Michel. On la cachait aussi pour nous balader, prendre le métro [1]. Le 16 juillet 1942, on a raflé nos voisins (…). C’était des flics français (…). Il y a eu 12 ou 15 familles sur 50 [de l’immeuble]. Le 23 septembre 1942, le soir à 21 h (…), nous étions chez un copain de l’immeuble - après 20 h on n’avait pas le droit de sortir - mon frère Henri est monté : « il y a la Gestapo en bas ! » (…). Nous sommes partis avec des copains pour nous sauver par les toits mais mon ami Isaac est revenu : « je peux pas laisser ma mère toute seule avec mes frères et sœurs… » On est tous redescendus (…). Par pe tits groupes, nous avons tous été emportés au poste de police du 4ème (…). Le lendemain matin, l’autobus nous emmenait à Drancy (…). On est restés très peu, sur des paillasses dégueulasses. Nous avons été déportés le 28 septembre 1942, toute notre maison… » [1] Selon les instructions allemandes du 10 juin 1942, les Juifs n’étaient autorisés à monter que dans le dernier wagon de la rame.

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DOSSIER DOCUMENTAIRE SUR AUSCHWITZ

A LIRE POUR PREPARER LE VOYAGE

Sommaire du dossier documentaire :

Document n°1 : Témoignage de Samuel Adoner, survivant de la Shoah ........................................................................ 1

Document n°2 : Extrait de la liste du convoi n°38 du 28 septembre 1942 au départ de Drancy et à destination

Auschwitz ....................................................................................................................................................................... 2

Document n°3 : Le convoi n°38 du 28 septembre 1942 (composition, sélection et survivants) ...................................... 2

Document n°4 : Carte des convois de toute l’Europe à destination d’Auschwitz ............................................................ 3

Document n°5 : Plan du complexe d’Auschwitz............................................................................................................. 4

Document n°6 : Plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau ....................................................................................... 4

Document n°7 : Témoignage du SS Pery Broad sur l’arrivée des convois à Auschwitz ................................................. 6

Document n°8 : Le carnet de croquis d’Auschwitz ......................................................................................................... 7

Document n°9 : Témoignage de Szlama Dragon, rescapé du Sonderkommando de Birkenau, sur le gazage des déportés

juifs au Bunker II .......................................................................................................................................................... 10

Document n°10 : L’Album d’Auschwitz ...................................................................................................................... 11

Document n°11 : Photographies prises clandestinement par des membres d’un Sonderkommando d’Auschwitz II –

Birkenau au mois d’août 1944 ...................................................................................................................................... 14

Document n°12 : Les prisonniers de guerre soviétiques à Auschwitz ........................................................................... 15

Document n°13 : Le camp des Tsiganes à Auschwitz .................................................................................................. 15

Document n°1 : Témoignage de Samuel Adoner, survivant de la Shoah, recueilli en 1995

« Mon père est arrivé en France en 1921, ma mère l’année suivante. Je suis le premier Adoner né en France. A la

maison, les parents parlaient yiddish, nous répondions en français. (…) Durant l’occupation, il a fallu aller se faire

recenser, mon père, comme bon citoyen français obéissant… Il a ramené la radio, puis on a eu l’étoile et le tampon sur

la carte d’identité… Nous marchions avec l’étoile dans la rue, boulevard Saint-Michel. On la cachait aussi pour nous

balader, prendre le métro [1]. Le 16 juillet 1942, on a raflé nos voisins (…). C’était des flics français (…). Il y a eu 12

ou 15 familles sur 50 [de l’immeuble]. Le 23 septembre 1942, le soir à 21 h (…), nous étions chez un copain de

l’immeuble - après 20 h on n’avait pas le droit de sortir - mon frère Henri est monté : « il y a la Gestapo en bas ! »

(…). Nous sommes partis avec des copains pour nous sauver par les toits mais mon ami Isaac est revenu : « je peux

pas laisser ma mère toute seule avec mes frères et sœurs… » On est tous redescendus (…). Par petits groupes, nous

avons tous été emportés au poste de police du 4ème (…). Le lendemain matin, l’autobus nous emmenait à Drancy

(…). On est restés très peu, sur des paillasses dégueulasses. Nous avons été déportés le 28 septembre 1942, toute notre

maison… »

[1] Selon les instructions allemandes du 10 juin 1942, les Juifs n’étaient autorisés à monter que dans le dernier wagon

de la rame.

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Document n°2 : Extrait de la liste du convoi n°38 du 28 septembre 1942 au départ de Drancy et à destination

Auschwitz

Document n°3 : Le convoi n°38 du 28 septembre 1942 (composition, sélection et survivants)

Le convoi n° 38 a quitté la gare Le Bourget/Drancy pour Auschwitz, le 28 septembre 1942 à 8 h 55, avec 904 Juifs, en

direction d’Auschwitz. Tel est le contenu du télex rédigé par le SS Heinrichsohn et signé par son chef Röthke, adressé

à Eichmann et au camp d’Auschwitz. Sur 904 noms de partants, on compte 468 hommes et 436 femmes. Parmi les

468 hommes, environ 200 étaient âgés de 17 à 45 ans. Le convoi comptait un peu moins de 100 enfants de moins de

17 ans. Les deux tiers des 904 déportés étaient d’origine étrangère. Le convoi est arrivé à Auschwitz dans la nuit du 29

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au 30 septembre. 123 hommes ont été sélectionnés pour le travail et ont reçu les matricules 66515 à 666371. 48

femmes reçurent les matricules 21373 à 21394. D’autres hommes, de 17 à 45 ans, valides parmi les 200 qui se

trouvaient dans le convoi ont été immédiatement gazés. On comptait, en 1945, 20 survivants de ce convoi.

Source : Serge Klarsfeld, Le mémorial de la déportation des Juifs de France, FFDJF, Paris 2002, 1ère

éd. 1978

Document n°4 : Carte des convois de toute l’Europe à destination d’Auschwitz

Source : Martin GILBERT, Atlas de la Shoah, éditions de l’Aube, 2005

1 A l’arrivée dans les autres centres de mise à mort (Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Lublin-Maïdanek), tous les Juifs étaient

directement dirigés vers les chambres à gaz, à l’exception de quelques-uns qui étaient utilisés durant un bref moment pour des

opérations relatives à la liquidation des cadavres. La sélection s’effectuait au préalable, dans les ghettos polonais d’où provenaient

les convois.

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Document n°5 : Plan du complexe d’Auschwitz

Source : L’Album d’Auschwitz

Document n°6 : Plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau

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Source : L’Album d’Auschwitz

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Document n°7 : Témoignage du SS Pery Broad sur l’arrivée des convois à Auschwitz

« Par les baraques de l’état-major de la Kommandantur du camp d’Auschwitz, passe bruyamment un sous-officier de

service. Une sirène d’alarme perce le silence de la nuit.

« Un transport est arrivé ! » Les SS du Service de transport automobile, de la Section de Réceptions, de la Section

d’Administration des biens des internés, de l’Administration du Camp, ainsi que les désinfecteurs qui cette nuit sont

en service pour les transports, sautent ensommeillés et en jurant de leurs lits, où ils dormaient sous des édredons.

« Pardieu ! Ces sacrés convois arrivent comme sur une chaîne de montage. On n’a plus un moment de répit ! Et

celui-ci, d’où vient-il ! » - « De Paris, je crois. Mais à la gare un autre attend déjà, cette fois de Westerbork2. On va le

manœuvrer sous peu sur la rampe. Et pour demain un grand convoi de Theresienstadt3 est déjà annoncé ». Tonnerre

de Dieu ! Ces diables de Lublin4 n’ont plus rien à faire. Tout vient chez nous ! Eh bien ! J’espère qu’au moins les

Français ont apporté des sardines ! »

Entre-temps ils se sont déjà habillés, ils mettent en marche les moteurs de leurs motocyclettes qui les attendaient

devant la baraque, et s’engouffrent dans la nuit. Du grand garage du Service de Transport Automobile sortent six gros

camions qui se dirigent dans la direction de la rampe pour les convois de Birkenau.5 Les gens du Service Sanitaire se

sont installés dans une ambulance. A chaque cahot de la voiture sur les ornières de la route, quelques boîtes en fer

blanc glissent sur le sol et roulent avec fracas. Elles portent sur leurs étiquettes l’inscription « Zyclon ». […]

Les désinfecteurs somnolent pelotonnés sur les banquettes latérales. Au-dessus de leurs têtes se balancent les étuis

cylindriques des masques à gaz qui se heurtent avec bruit l’un contre l’autre.

Sur le siège avant près du chauffeur est assis le SS-Oberscharführer Klehr. Sa participation régulière au service des

transports lui a valu la croix du Mérite. L’ambulance se dirige vers les chaumières d’aspect inoffensif ou « bunkers »,

comme on appelle généralement ces chambres à gaz6, tandis que les camions et les motocyclettes sont déjà à la rampe.

Sur une voie secondaire de la gare de triage attend une longue rame de wagons de marchandises aux portes

coulissantes, plombées. Les projecteurs inondent la rame d’un flot de lumière aveuglante. Des visages anxieux

guettent aux petites lucarnes grillagées de barbelés. Les SS de la troupe de service ont encerclé le train sur la rampe.

Le chef de la troupe rapporte au chef SS responsable du déchargement du transport que les gardes sont à leurs postes.

On peut décharger les wagons. […]

Une complète confusion règne sur la rampe. Des Françaises élégantes en manteau de fourrure et bas de soie, de

faibles vieillards, des enfants aux cheveux bouclés, des petites vieilles, des hommes en pleine force, les uns en

costumes élégants, d’autres en vêtements d’ouvriers, des jeunes mères avec leurs bébés dans les bras et des malades

portés par des gens secourables – tous descendent pêle-mêle du train.

On sépare d’abord les hommes et les femmes. Des scènes bouleversantes ont lieu à cette occasion. Des époux se

séparent, des mères font un dernier signe d’adieu à leurs fils. On range par cinq les deux colonnes, à une distance de

plusieurs mètres l’une de l’autre.

Si quelqu’un poussé par le désespoir de la séparation, se précipite encore vers un être bien-aimé pour lui serrer la

main pour la dernière fois ou lui adresser quelques paroles réconfortantes, un coup asséné par un SS le rejette aussitôt

en arrière.

Un médecin SS entreprend à présent la sélection des aptes au travail et de ceux qui, selon son opinion, en sont

incapables. Les mères avec de petits enfants sont généralement reconnues comme inaptes au travail, de même que

toutes les personnes qui lui paraissent faibles ou maladives.

2 Westerbork est un camp de transit situé aux Pays-Bas. Voir carte des convois à destination d’Europe (Document n°4).

3 Theresienstadt est un camp situé en Autriche. Voir carte des convois à destination d’Europe (Document n°4).

4 Lublin est un autre centre de mise à mort créé par les nazis.

5 Voir plan du complexe d’Auschwitz (Document n°5), R2, Judenrampe.

6 Voir plan du complexe d’Auschwitz (Document n°5), B1 et B2.

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On approche les camions des marchepieds transportables en bois. Toutes les personnes sélectionnées par le médecin

SS doivent monter dans les camions. Les SS de la section de réception comptent un par un tous ceux qui passent sur le

marchepied. Ils vérifient ensuite le nombre de tous les aptes au travail. Ceux-ci se mettent en marche dirigés selon leur

sexe vers le camp pour les hommes, ou vers celui pour les femmes7. Tous les bagages doivent rester sur la rampe. On

informe les déportés que leurs bagages vont les suivre en camions. Cela est même vrai, mais les détenus ne verront

plus rien de leurs biens qui vont disparaître dans les coffres-forts, les magasins, et les cuisines de l’Administration SS8.

Les petits paquets avec des affaires personnelles qu’ils portent avec eux, ainsi que leurs vêtements civils, ils devront

les remettre lors de la réception au camp.

Après le traitement subi dans le Sauna9, ces malheureuses victimes d’un démon de la destruction, présentent un

aspect lamentable. Des femmes et des jeunes filles élégantes et pleines de vie ont maintenant la tête rasée et un

numéro matricule tatoué sur l’avant-bras gauche ; elles sont vêtues d’informes blouses à raies bleues et blanches. La

plupart d’entre-elles, accablées par le malheur, succomberont en peu de temps.

Cependant, les camions chargés de tous ceux qui ont été reconnus pour inaptes au travail sont déjà partis. […] Sur la

rampe, un commando est en train de charger sur les camions les malles et les valises jonchant le sol et qui ensuite vont

être transportées au camp. […]

Bientôt la rampe redevient déserte ; seules trainent çà et là les marchepieds en bois qu’ont montés des milliers

d’êtres humains qui n’ont plus que quelques minutes à vivre. »

Source : Mémoires du SS Pery Broad, Publications du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, 1964, p. 70-74.

Document n°8 : Le carnet de croquis d’Auschwitz

Le carnet de croquis d’Auschwitz, dont l’auteur est inconnu, est un ensemble de vingt-deux feuillets glissés dans une

bouteille dissimulée dans les fondations d’une baraque du secteur BIIf du camp de Birkenau10. Cette bouteille a été

retrouvée en 1947.

Ces dessins constituent un témoignage unique sur le meurtre de masse des Juifs à Auschwitz, et plus particulièrement

sur la Judenrampe, où arrivent les convois de mars 1942 à mi-mai 194411.

Compte tenu de la précision des dessins, leur auteur a probablement été affecté à un Kommando de maintien de

l’ordre sur la rampe. Plusieurs indices permettent de dater le carnet, dont les dessins ont dû être réalisés au cours de

l’année 1943.

7 Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), B I.

8 Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), D, Kanada.

9 Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), S, Sauna.

10 Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), BIIf.

11 Parmi les 69 000 Juifs déportés depuis la France, 63 000 débarquèrent sur la Judenrampe.

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Document n°9 : Témoignage de Szlama Dragon, rescapé du Sonderkommando de Birkenau, sur le gazage des

déportés juifs au Bunker II

« Je suis arrivé à Auschwitz en train, le 7 décembre 1942, dans un transport de 2 500 Juifs, hommes, femmes et

enfants de tous âges, en provenance du ghetto de Mlawa. […]

Le 10 décembre 1942, après le départ au travail de tous les Kommandos, Moll [un officier SS] est arrivé dans le block

14 et a donné l’ordre : « Sonderkommando raus ». Nous avons ainsi appris que nous appartenions à un

Sonderkommando et non pas au Kommando destiné au travail dans l’usine de caoutchouc12

. Nous ne savions pas ce

qu’était ce Sonderkommando, puisque personne ne nous l’avait expliqué. Sur l’ordre de Moll, nous sommes sortis

devant le block, les SS nous ont entourés et nous ont conduits en deux groupes de cent personnes chacun en dehors du

camp. Ils nous ont conduits dans la forêt où se trouvait une vieille maison couverte d’un toit en chaume. Ses fenêtres

étaient murées. […] A la distance d’environ trente à quarante mètres de cette maison se trouvaient deux baraques en

bois. De l’autre côté de la maison, il y avait quatre fosses de 30 mètres de longueur, 7 mètres de largeur et 3 mètres de

profondeur chacune13

. Les bords de ces fosses étaient brûlés et portaient des traces de fumée. On nous a regroupés

devant la maison. Moll est arrivé et nous a déclaré qui nous allions travailler ici à l’incinération des gens vieux et

couverts de poux ; nous-mêmes, nous aurions à manger, serions raccompagnés au camp pour la nuit et que nous étions

obligés de travailler sinon, ceux qui ne voudraient pas le faire, seraient battus et, pour ceux-là, il y avait bâtons et

chiens. Les SS qui nous escortaient avaient effectivement des chiens. Ensuite, il nous a partagés en plusieurs groupes.

Moi-même, avec les onze autres, j’ai rejoint le groupe qui devait, comme il s’est avéré plus tard, retirer les corps de

cette maison. Moll a ouvert la porte et c’est alors seulement que nous avons vu que des corps nus de personnes,

hommes et femmes de tous âges, se trouvaient entassés dans cette maison. Moll nous a ordonné de sortir ces cadavres

devant la porte dans la cour. […] Quand les cadavres étaient dans la cour, le dentiste, accompagné d’un SS, s’est mis à

arracher les dents [en or], le coiffeur à couper les cheveux et ensuite un deuxième groupe enlevait les corps pour les

mettre dans des Rollwagen. C’étaient des wagonnets placés sur des rails étroits qui menaient jusqu’au bord des fosses.

Les rails couraient entre deux fosses. Un autre groupe était occupé à préparer la fosse pour brûler les cadavres.

D’abord, on plaçait au fond du bois épais, ensuite de plus en plus fin, en croix, et à la fin des branches sèches. Le

groupe suivant réceptionnait les cadavres amenés dans les wagonnets, au bord des fosses et les jetait dedans. Une fois

tous les cadavres transportés de la maison dans les fosses, Moll versait de l’essence dans les quatre coins de la fosse,

allumait un peigne en caoutchouc et le lançait à l’endroit aspergé d’essence. Le feu éclatait et les cadavres brûlaient.

[…]

Tout le Kommando ne participait pas au gazage qui avait lieu le plus souvent la nuit. On choisissait alors une vingtaine

de prisonniers dans notre Kommando, qui aidaient ensuite dans ce travail, car c’étaient des SS qui l’effectuaient en

principe. Cela se passait de la manière suivante : on amenait les gens en camions jusqu’à la baraque. Nous, les

préposés à l’aide, aidions les malades à descendre et à se déshabiller dans les baraques. Ces dernières et l’espace qui

les séparait de la chambre à gaz étaient encerclés par les SS avec des chiens. Les gens déshabillés allaient nus des

baraques jusqu’à la chambre à gaz. Les SS, qui étaient debout près de la porte d’entrée, les faisaient avancer à coups

de matraque. Lorsque la chambre était remplie de gens, les SS fermaient la porte de Mengele [le médecin du camp]

donnait l’ordre à son adjudant le Rottenführer Scheinmetz de commencer le gazage. […] Les corps des gazés restaient

dans le Bunker jusqu’au matin en attendant l’arrivée du Kommando qui les brûlait. […]

Le Bunker n°114

a déjà été complètement démonté en 1943. Une fois le crématoire dit n°2 construit à Birkenau15

, les

baraques situées à côté du Bunker n°2 ont été démontées et les fosses bouchées. Le Bunker lui-même a été maintenu

jusqu’à la fin et après une assez longue période d’interruption, a été remis en marche pour y faire gazer les Juifs

12

Voir plan du complexe d’Auschwitz (Document n°5), Auschwitz III – Monowitz (camp créé au mois de juillet 1942 pour logé

la main-d’œuvre destinée aux usines de l’IG-Farben qui produisaient de l’essence et du caoutchouc synthétique). 13

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), M 2 et G. 14

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), M 1. 15

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), K II.

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hongrois. De nouvelles baraques ont été alors construites et les fosses dégagées. On a alors travaillé dons le Bunker en

continu, deux relèves, nuit et jour. »

Source : Déclaration de Szlama Dragon devant la commission d’enquête sur les crimes nazis à Auschwitz les 10 et 11

mai 1945 à Cracovie, Revue d’histoire de la Shoah n°171, 2001

Document n°10 : L’Album d’Auschwitz

L’Album d’Auschwitz rassemble près de 200 photos, prises par des SS en mai et juin 1944, lors de la déportation

massive des Juifs de Hongrie à Auschwitz II – Birkenau. Découvert en 1945 par une rescapée du camp, Lili Jacob, il

constitue un document de référence, car il s’agit – avec les quatre photographies prises par des membres d’un

Sonderkommando16 – des seules photographies qui témoignent du processus d’extermination des Juifs au sein du

centre de mise à mort d’Auschwitz II – Birkenau.

Arrivée d’un convoi sur la Bahnrampe

17.

Les détenus en tenue rayée font partie du Aufräumungskommando an der Rampe (« brigade qui fait ordre sur la

rampe »), brigade chargée, entre autres, de nettoyer le quai et de transporter tous les bagages et les objets dans un

entrepôt appelé Kanada. Ces détenus devaient, par leur impeccable tenue, donner une impression rassurante du lieu.

Au premier plan, une femme parle à l’un des membres de la brigade du Kanada à qui elle demande probablement des

informations. Celui-ci, comme tous ceux qui travaillaient sur la rampe, sait très bien ce qu’il advient des déportés

après leur arrivée, c’est-à-dire l’assassinat de la majorité d’entre eux dans les chambres à gaz. Cependant, il lui est

formellement interdit de révéler quoi que ce soit à ce sujet, sous peine de mort.

16

Voir plus bas, Document n°11. 17

En prévision de l’arrivée massive des Juifs de Hongrie (et des derniers Juifs du ghetto de Lodz), les nazis ont prolongé la voie

ferrée jusqu’à l’intérieur de Birkenau. A partir de la mi-mai 1944, les convois n’arrivent plus sur la Judenrampe mais au cœur du

site d’Auschwitz II – Birkenau. Voir plan du complexe d’Auschwitz (Document n°5), R3, et plan du complexe d’Auschwitz II –

Birkenau (Document n°6), E.

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12

Au second plan, au centre, figure un camion militaire bâché, probablement destiné à transporter ceux et celles qui ne

pouvaient pas se déplacer jusqu’aux Krematorium, alors que les autres devaient s’y rendre à pied. Lorsque la sélection

était totalement terminée, les nazis les emmenaient aux Krematorium en camion. Là, dans la majorité des cas, ils

n’étaient pas introduits dans la chambre à gaz avec les autres car cela aurait ralenti les opérations, mais abattus d’une

balle dans la tête.

En arrière-plan se distinguent très nettement les bâtiments du Krematorium III (à droite) et ceux du Krematorium II (à

gauche) avec leurs cheminées respectives18

. Les chambres à gaz des Krematorium II et III pouvaient contenir plus de

1 500 personnes. Les Krematorium II et III étaient les installations de mise à mort les plus perfectionnées et les plus

vastes que les nazis aient mises en place pour exterminer les Juifs. Le Krematorium II était entré en fonction le 14

mars 1943 et le Krematorium III le 25 juin suivant. Identiques et symétriques, ils ont fonctionné tous les deux

jusqu’en novembre 1944. Les locaux de mise à mort étaient au sous-sol, la salle des fours au rez-de-chaussée et le

logement des membres du Sonderkommando au premier étage.

Première étape de la sélection, supervisée par des responsables de l’administration SS du camp.

En arrière-plan, à gauche, se détache le bâtiment de l’entrée principale avec le porche utilisé pour l’entrée et la sortie

des trains, surmonté du mirador principal19

. L’aile gauche n’a été édifiée qu’au printemps 1944, en même temps que la

rampe ferroviaire qui pénétrait à l’intérieur du camp de Birkenau.

18

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), K II et K III. 19

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), A.

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Après la sélection, un groupe d’hommes « aptes » au travail franchit un portail grillagé

et entre dans le camp de concentration de Birkenau.

Avant d’entrer dans les chambres à gaz des Krematorium IV et V,

des personnes jugées « inaptes » attendent leur tour dans le Birkenwald (« le bois de bouleaux »)20

où se trouvaient ces installations de mise à mort.

20

Voir plan du complexe d’Auschwitz II – Birkenau (Document n°6), L.

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14

Document n°11 : Photographies prises clandestinement par des membres d’un Sonderkommando

d’Auschwitz II – Birkenau au mois d’août 1944

Au cours de l’été 1944, l’extermination des Juifs hongrois se fait à un rythme si important que les fours crématoires ne

suffisent plus pour incinérer les corps. Le Bunker n°2 est remis en service et des milliers de cadavres sont brûlés à l’air

libre21.

21

Voir témoignage de Szlama Dragon (Document n°9).

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Document n°12 : Les prisonniers de guerre soviétiques à Auschwitz

« Le déclenchement de [l’opération] Barbarossa et les succès militaires rapides du III° Reich se soldent par la

capture de millions de soldats de l’Armée rouge en quelques mois. Le sort de ces prisonniers de guerre est dramatique.

Prenant prétexte que l’URSS n’a pas signé la convention de Genève, le régime nazi refuse de leur appliquer les

mesures réservées aux combattants. Derrière ce prétexte figurent différentes motivations parmi lesquelles la volonté de

ne pas avoir à nourrir des centaines de milliers de détenus ni à gérer les questions logistiques que nécessite cette masse

de prisonniers. Les historiens estiment qu’environ 2 millions de prisonniers de guerre soviétiques meurent entre juin

1941 et janvier 1942. […] Cette hécatombe, qui atteint des proportions jusque-là inédites, est imputable à un mélange

d’impréparation, de violences, de désintérêt, le tout sous-tendu à la fois par un racisme anti-slave et un

anticommunisme virulents, et non à une politique d’assassinat planifiée comme telle. »

« Au total, en 1941 et 1942, ils sont 15 000 à être acheminés à Auschwitz. […] Début septembre 1941, un groupe

d’environ 600 soldats destinés à être « éliminés » est convoyé à destination d’Auschwitz [dans le cadre de l’opération

d’assassinat 14f14]. Ils sont regroupés […] dans le Block 11, vidé pour l’occasion. Le bâtiment a été sommairement

calfeutré, faisant du sous-sol un lieu plus ou moins hermétiquement scellé. Les SS déversent alors un gaz, le Zyklon

B, un insecticide existant depuis les années 1920, communément utilisé comme moyen prophylactique, notamment

dans les camps de concentration. Pour la première fois, son usage est détourné, afin de servir comme instrument

d’assassinat de masse. […] Le lieu choisi se révèle peu pratique : situé dans le camp, il est mal isolé et vaste,

nécessitant donc de grandes quantités de gaz. […] En quelques jours, une solution permettant une meilleure efficience

est trouvée : la morgue dotée d’un crématoire, à l’extérieur du camp. C’est là que, sans doute le 16 septembre 1941, un

nouveau transport de 900 prisonniers de guerre soviétiques est assassiné. Ce bâtiment, le crématoire, devient la

première chambre à gaz d’Auschwitz. […]

En quelques semaines, 10 000 prisonniers de guerre sont acheminés, cette fois en tant que main-d’œuvre chargée de la

construction de Birkenau. […] Les conditions de détention sont effroyables, les rations alimentaires insuffisantes et la

famine règne – au point qu’apparaîtront des cas de cannibalisme. Nombre de prisonniers sont démunis de vêtements

ou de chaussures alors que la température commence à chuter. En outre, le chantier de Birkenau se trouve sur un

terrain marécageux, vecteur de maladies. Les Soviétiques meurent en masse : en février 1942, il ne reste que 10% des

10 000 prisonniers arrivés en octobre. […]

Dans cette hécatombe, chaque mort constitue pour les survivants un moyen de s’équiper en récupérant chaussures,

pantalon ou chemise. Mais, pour les SS, ces cadavres nus soulèvent un problème administratif : dépouillés des tenues

sur lesquelles figure leur numéro de matricule, ils sont inidentifiables. Afin de pallier cela, l’administration introduit

une méthode de marquage radicale : le tatouage du matricule sur le détenu. Les Soviétiques constituent la première

catégorie à subir ce qui est devenu une spécificité propre à Auschwitz.

Source : BRUTTMANN Tal, Auschwitz, La Découverte (Repères), Paris, 2015, p. 24-28

Document n°13 : Le camp des Tsiganes à Auschwitz

Fin février 1943, […] le premier d’une longue série de contingents de Tsiganes acheminés depuis différents points

d’Europe arrive à Auschwitz […] : ils sont dirigés vers le camp BIIe, pourtant inachevé, qui devient dès lors le

Zigeunerlager (camp des Tsiganes). Jusqu’en octobre 1944, quelque 23 000 Tsiganes, parmi lesquels au moins 11 000

enfants, sont ainsi déportés vers le camp de concentration d’Auschwitz. Le sort qui leur est réservé dans le camp

reflète, partiellement, la complexité des politiques mises en œuvre par le III° Reich à l’encontre des populations

tsiganes, dont les ressorts reposent dans les méandres de la raciologie nazie.

Si les Tsiganes sont initialement considérés comme « aryens », ils sont dans le même temps selon les nazis des

« asociaux », non seulement en raison de leur mode de vie nomade, mais aussi parce que par « nature » voleurs,

mendiants et escrocs. […] Afin d’expliquer ces contradictions, les théoriciens de la race pointent un

« abâtardissement » des Tsiganes, conduisant à distinguer parmi eux ceux de « race pure » et les autres, les « métis »

(Mischlinge), corrompus par divers mélanges raciaux. […]

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Il n’existe aucun politique d’ensemble cohérente à l’encontre des Tsiganes, mais une mosaïque de politiques,

relevant de diverses autorités en place, dont certaines optent localement pour l’assassinat. […]

Dans cet ensemble de mesures mises en œuvre à travers l’Europe allemande – et alors que des régimes alliés au III°

Reich déclenchent ou planifient des politiques propres d’assassinat telles la Croatie, la Hongrie ou la Roumanie –, la

déportation des Tsiganes à Auschwitz trouve son origine dans une décision promulguée par Himmler le 16 décembre

1942. Connue sous le nom de « décret Auschwitz », cette mesure vise avant tout le territoire du Reich, d’où doivent

être déportés les Tsiganes de « race impure » pour être regroupés dans un camp.

Une partie des Tsiganes du Reich a déjà été précédemment déportée, à destination de ghettos pour les Juifs, au sein

desquels des ghettos leur sont réservés et sont sommairement aménagés. C’est notamment le cas à Lodz, où les

conditions d’enfermement des 5 000 Tsiganes acheminés fin 1941 sont encore plus effroyables que celles réservées

aux Juifs. Entassés dans quelques maisons sans aucun mobilier, ils n’ont quasiment accès à aucun ravitaillement,

aucun point d’eau ni aucun équipement sanitaire. En quelques semaines, plus de 700 personnes meurent du typhus.

Afin de juguler l’épidémie qui menace de se répandre dans cette ville allemande, début janvier 1942, l’ensemble des

Tsiganes sont déportés au centre de mise à mort de Chelmno et assassinés. Le cas de Lodz illustre le sort durant la

guerre d’une partie des Tsiganes : il n’y a pas d’assassinat planifié en amont, mais la réalité à laquelle ils sont soumis,

des conditions hautement meurtrières, provoque leur mort en masse et, in fine, leur assassinat sous couvert de mesure

prophylactique.

Le décret du 16 décembre 1942 constitue littéralement une mesure de concentration, non plus dans un ghetto, mais

dans un camp. C’est ce qui explique le sort très particulier des Tsiganes à Auschwitz : hommes, femmes et enfants ne

sont pas soumis à la « sélection » à l’arrivée (mesure réservée aux Juifs) ni séparés. Ils relèvent dans le

fonctionnement du camp d’un régime à part : ils sont enregistrés dans une série matricule réservée, la série Z. […]

Durant plusieurs mois, les Tsiganes se sont pas astreints au travail dans l’un ou l’autre des Kommandos et conservent

leurs vêtements civils. […] Près de 90% des 23 000 Tsiganes déportés à Auschwitz proviennent des territoires

constituant le Grand Reich. […]

Les conditions de détention sont dramatiques. Le BII est constitué exclusivement de baraques en bois, qui ne sont

rien d’autres que des écuries de campagne prévues pour loger 52 chevaux. Ce sont au minimum 400 personnes qui

vont s’y entasser, et souvent d’avantage encore. […] La situation sanitaire est telle que se déclenchent des épidémies

de typhus et d’autres maladies, dont le noma, une gangrène du visage causée par la malnutrition, alors que sévit

également la malaria, omniprésente à Birkenau où pullulent des marais infestés de moustiques. On estime que, durant

les dix-sept mois de fonctionnement du camp des Tsiganes, 14 000 sont morts du fait de ces seules conditions. […]

Le camp tsigane est choisi comme terrain d’études et d’expérimentations par certains médecins SS du camp, à

commencer par Josef Mengele qui y installe un laboratoire. Les Tsiganes d’Auschwitz constituent, avec les Juifs

ponctionnés spécifiquement à ces fins sur les convois de la « solution finale », la principale catégorie de détenus à être

utilisée comme « matériel humain » pour des recherches médicales. Les SS procèdent, entre autres, à des études sur la

gémellité et mettent à profit les maladies qui ravagent le camp pour étudier le noma ou la malaria. […]

Ce n’est que plus de six mois après l’ouverture du camp que des premiers contingents de Tsiganes sont prélevés

pour être transférés dans divers camps de concentration et y être mis au travail. Le total s’élève à environ 3 000

personnes extraites à divers intervalles, jusqu’au 2 août 1944. A cette date, il ne reste que 2 897 personnes qui

occupent le camp. Dans la nuit du 2 au 3 août, elles sont toutes – hommes, femmes et enfants – transportées vers les

chambres à gaz qui se trouvent à quelques centaines de mètres de là et assassinées en quelques heures. La cause de la

liquidation du camp tsigane semble trouver son origine dans la logique de l’administration SS du camp, qui relève

largement d’une « gestion des flux » propre à la vision du monde nazie, où l’être humain n’est qu’un matériau. Début

août doivent arriver des dizaines de milliers de Juifs déportés du ghetto de Lodz, destinés en grande partie à être

utilisés comme main-d’œuvre. Les 3 000 derniers Tsiganes occupent un camp pouvant accueillir jusqu’à 15 000

personnes et sont considérés par les SS comme totalement inutiles. […] C’est probablement pour faire de la place aux

nouveaux arrivants qu’ils sont assassinés. […]

Mais il n’en demeure pas moins que 85% des Tsiganes détenus à Auschwitz y ont trouvé la mort. […]

Le sort des Tsiganes constitue une illustration de la complexité que présente Auschwitz. Leur déportation à

destination du KL [le camp de concentration, Konzentrationslager] n’est pas imputable à l’existence du centre de mise

à mort, qui se développe parallèlement au camp de concentration d’Auschwitz à partir de 1942. Mais le centre de mise

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à mort constitue pour les SS, par « effet d’opportunité », un instrument létal permettant de gérer, dans leur logique

assassine, les effectifs du camp de concentration au gré des besoins et des circonstances.

Source : BRUTTMANN Tal, Auschwitz, La Découverte (Repères), Paris, 2015