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Dossier d’accompagnement scolaire Bashir Lazhar D’Evelyne de la Chenelière Mise en scène de Daniel Brière Une production du Théâtre d’Aujourd’hui Présentée au Théâtre français du Centre national des arts du 26 au 29 mars 2008

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Dossier d’accompagnement scolaire

Bashir Lazhar

D’Evelyne de la Chenelière Mise en scène de Daniel Brière

Une production du Théâtre d’Aujourd’hui

Présentée au Théâtre français du Centre national des arts du 26 au 29 mars 2008

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 1

Ce dossier d’accompagnement scolaire a été préparé par Sophie Labelle.

Photo © Valérie Remise, ainsi que la photo du spectacle en page 18.

Crédits de la production p. 2

Parcours des créateurs du spectacle

Evelyne de la Chenelière p. 3

Daniel Brière p. 6

L’univers d’Evelyne de la Chenelière p. 7

La pièce Bashir Lazhar p. 10

L’Algérie p.16

Activités proposées p. 19

Bibliographie p. 20

Sommaire

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 2

Crédits de la production

Bashir Lazhar Texte d‘Evelyne de le Chenelière Mise en scène de Daniel Brière Distribution

La Bashir Lazhar : Denis Gravereaux

Équipe de création

Scénographie : Oum-Keltoum Belkassi Éclairages : Nicolas Descôteaux Conception sonore : Danny Braün

Le spectacle Bashir Lazhar a été créé au Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal, du 7 mars au 1er avril 2006.

Crédits de la production

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Parcours des créateurs du spectacle

Evelyne de la Chenelière

Évelyne de la Chenelière est arrivée dans le milieu théâtral

comme une bouffée d’air frais. Elle est lumineuse, vive et

articulée. Ses réflexions profondes sur un mode tendre

tranchent sur le cynisme ambiant. Depuis le succès de Des

fraises en janvier en 1999, ses pièces sont attendues par le

public et le milieu culturel. Elle prend part comme

comédienne à la plupart de ses créations : « Et puis, tant

qu’à écrire quelque chose je préfère ne pas me cacher,

mais au contraire assumer mes mots au point de les dire

sur scène auprès des autres acteurs, histoire d’être dans le

même bateau qu’eux, même si le bateau venait à chavirer,

ce qui est un risque à prendre. »1

Photo : Izabel Zimmer

Evelyne de la Chenelière est née à Montréal en 1975. Elle a séjourné pendant trois ans en France

où elle a étudié les lettres modernes à la Sorbonne et le théâtre à l'École Michel Granvale, à Paris.

Elle a également travaillé sous la direction de Pol Pelletier à Montréal. Sa famille théâtrale, elle

la trouvera au Nouveau Théâtre Expérimental à Montréal, avec son mentor Jean-Pierre Ronfard

et celui qui deviendra son conjoint et son grand complice de création, le comédien et metteur en

scène Daniel Brière.

Révélation

En 1999, le théâtre La Moluque, dont la direction artistique est assurée par Gary Boudreault,

acolyte de Daniel Brière au sein du Groupement Forestier du Théâtre, prépare sa saison d’été. Ce

petit théâtre de la Gaspésie est reconnu pour présenter durant la belle saison des pièces dont le

comique n’altère pas le contenu. Daniel Brière y met en scène Des fraises en janvier, pièce

1 Extrait de la préface signée Evelyne de la Chenelière dans son Théâtre, publié chez FIDES.

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d’Evelyne avec une distribution qui comprend, outre l’auteure, Gary Boudreault, Emmanuelle

Jimenez et Paul Savoie. La production récolte trois mises en nomination à la Soirée des Masques

2000 de l'Académie québécoise du théâtre, pour la meilleure production « régions », pour le

Masque de la révélation et pour le meilleur texte original, trophée qu’Evelyne remporte ex-æquo

avec l'auteure Suzanne Lebeau. La pièce est ensuite reprise au Théâtre d’Aujourd’hui en 2002,

dans une nouvelle mise en scène de Philippe Soldevila avec une distribution renouvelée

composée de Benoit Gouin, Macha Limonchik, Daniel Parent et Isabelle Vincent. C’est un

succès éclatant. Des fraises en janvier sera reprise en 2004 au Théâtre Jean-Duceppe et en

tournée au Québec pour une vingtaine de représentations, pour le bonheur des plus de 40 000

spectateurs qui y ont assisté.

Expérimentations

En 2000, Evelyne de la Chenelière offre au public de l’Espace Libre sa pièce Culpa, mise en

scène par Daniel Brière. En 2002, le Théâtre de Quat’Sous met à l’affiche Au bout du fil, une

pièce d’Evelyne, toujours dans une mise en scène de Daniel. La pièce sera adaptée au cinéma par

Jeannine Gagné sous le titre Au fil de l’eau. Toujours la même année, Daniel et Evelyne signent

conjointement l’écriture et la mise en scène de Henri et Margaux. Ce petit bijou d’humour et de

tendresse, une production du Nouveau Théâtre Expérimental, est créé à l’Espace Libre le 23

octobre 2002. Il sera repris en 2003 et effectuera quelques sorties dans des théâtres (dont le

Théâtre français du CNA à l’automne 2004) et festivals.

Nouveaux horizons

En septembre 2002, Evelyne participe à Courants d’hiver, une rencontre autour de l’écriture

théâtrale contemporaine, à La Ville du Bois, en France. Sa pièce Élucubrations couturières y

sera mise en lecture. Ses pièces Au bout du fil et Bashir Lazhar sont publiées aux éditions

Théâtrales dans la collection Passages francophones. En janvier 2004, elle participe à la

conception et écrit le texte de Aphrodite en 04, du Nouveau Théâtre Expérimental. Cette pièce a

la particularité d’être mise en scène au fur et à mesure des quatre semaines de représentations.

L’auteur elle-même fait évoluer sa pièce de semaine en semaine en proposant chaque mardi une

variation nouvelle. Ce texte sera repris deux ans plus tard à l’Espace GO sous le titre Désordre

public. Dans le cadre d’une soirée Carte blanche aux auteurs organisée par le Centre des auteurs

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dramatiques, en mai 2004, Evelyne écrit et lit un texte inspiré de réfugiés de l’Azerbaïdjan. Les

textes sont réunis sous le titre de Yanardagh.

Questions

Evelyne fait partie des quatre auteurs auxquels le théâtre Espace

Go de Montréal a demandé de répondre à la question suivante :

Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le

disent ?. Ce spectacle au titre évocateur est présenté à

l’automne 2004. Peu après, le couple Brière-de la Chenelière

présente une autre pièce, en décembre 2004 à l’Espace libre.

Nicht retour, Mademoiselle, de la même façon qu’Henri et

Margaux, est conçue, écrite et interprétée par Daniel et Evelyne

et durant les représentations du week-end, ils sont rejoints sur

scène par leurs enfants. Ils y explorent les liens familiaux.

Les adolescents de 11 à 14 ans sont invités à découvrir une nouvelle pièce d’Evelyne. L’Héritage

de Darwin, une production du Théâtre le Clou, a été présentée en mai 2005 à la Maison Théâtre à

Montréal et ensuite en tournée au Canada et à l’étranger. Vient ensuite Chinoiseries, une pièce

douce-amère sur l’isolement et la vieillesse, créée à Carleton en 2005 et reprise ensuite en

tournée.

Consécration

En 2006, Evelyne de la Chenelière remporte à l’âge de trente et un ans le prestigieux Prix du

Gouverneur général pour ses deux pièces Aphrodite en 04 et Nicht retour, Mademoiselle, réunies

dans le livre Désordre public. La même année, elle est de la formidable aventure théâtrale

orchestrée par Brigitte Haentjens, Tout comme elle, qui réunit sur scène 50 comédiennes de

différentes générations.

Inspirée par un exercice avec des étudiants du Conservatoire d’art dramatique, pour qui elle avait

écrit une courte pièce, Evelyne se remet au travail et offre une version plus longue de

L’Éblouissement du chevreuil, présentée dans la salle intime du Théâtre d’Aujourd’hui à

l’automne 2007 dans une mise en scène de Jean-Guy Legault. Quelques mois plus tard, à l’hiver

Dans une époque où l'on privilégie l'immédiateté et la glorification de l'accomplissement dans sa vie propre, en faisant table rase de sa mémoire individuelle et collective, nous voulons nous pencher sur ceux qui ont fait ce que nous sommes, et sur ceux qui nous survivront. Non pas en tant que peuple, comme le fait la grande Histoire, mais en tant que familles, qui font notre petite histoire. Evelyne de la Chenelière et Daniel Brière. Tiré du site Internet d’Espace Libre en 2004.

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2007, c’est au tour de Bashir Lazhar d’être présentée dans la même salle, dans une mise en scène

de son complice, Daniel Brière.

Réflexions

Le couple se remet aussitôt au travail en duo et offre à l’automne 2008 Le Plan américain, texte

et mise en scène de Daniel et Evelyne. Ils poursuivent leur exploration de la famille moderne,

avec des personnages excessivement blasés ou au contraire démesurément idéalistes. Ils invitent

cette fois deux acteurs de choix à se joindre à eux sur scène : Anne-Marie Cadieux et Normand

d’Amour.

Daniel Brière

Le complice d’Evelyne de la Chenelière, Daniel Brière, est un

artiste aguerri, comédien de théâtre, de télévision, de cinéma,

metteur en scène, directeur artistique et musicien. Il a

participé à près de vingt-cinq productions théâtrales dont

Durocher le milliardaire de Robert Gravel, Les oranges sont

vertes de Claude Gauvreau, Matroni et moi d’Alexis Martin

et Talk-Radio d’Eric Bogosian. Avec ses compères Alexis

Martin, Guylaine Tremblay et Gary Boudrault, il fonde le

Groupement Forestier du Théâtre, pour la création de Matroni

et moi en 1995, qui sera adaptée au cinéma trois ans plus tard

par Jean-Philippe Duval. Ils créent également pour la scène

la pièce d’Alexis Martin Oreille, tigre et bruit en 1996. Le

Groupement Forestier du Théâtre remporte en 1995 le

Masque de la révélation de l’année. Depuis 2003, Daniel Brière est également codirecteur

artistique du Nouveau Théâtre Expérimental. Avec l’humour qu’on leur connaît, Daniel Brière et

Alexis Martin ont organisé au printemps 2005 le Salon international du théâtre contemporain, qui

a mis en vedette pour sa première édition la dramaturgie de la Bulgarie.

Au cinéma, il est de la distribution de nombreux longs métrages dont Le Déclin de l’empire

américain de Denis Arcand. En 1999, Daniel participe au tournage du film de Philippe

Falardeau, La Moitié gauche du frigo, dans lequel il tient le rôle d’un fonctionnaire. À la

télévision, il marque l’imaginaire sans apparaître une seule fois à l’écran grâce à son rôle dans la

populaire émission Un gars, une fille. Il y incarne Daniel, la moitié masculine du couple Daniel-

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Louise, meilleurs amis de Guy et Sylvie. Il joue également dans Caméra Café et dans Annie et

ses hommes. Finalement, on a pu le voir dans le magnifique Gas bar blues de Louis Bélanger.

Photo de Daniel Brière : Monic Richard

L’univers d’Evelyne de la Chenelière Ce qui est le plus frappant dans le théâtre d’Evelyne de la Chenelière est peut-être sa diversité.

En effet, d’une pièce à l’autre, rarement a-t-on l’occasion de voir une dramaturge se réinventer

aussi adroitement. Si l’on peut identifier des constantes au niveau de son utilisation de la langue

et de certaines thématiques, les situations et les personnages nous surprennent toujours par leur

justesse et leur originalité.

Langue

La langue utilisée par Evelyne de la Chenelière dans

ses pièces est très imagée. Elle s’amuse à jumeler

deux mots qui ne vont pas nécessairement ensemble

et elle invente des tournures étonnantes pour

insuffler une image, comme les seins qui goûtent le

bonheur ou la maman-mitaine de la pièce Au bout du

fil. Ses phrases sont longues et elle aime jouer avec

les sonorités et les répétitions pour suggérer

l’émotion du personnage.

Enfance

L’enfance n’est jamais très loin chez Evelyne de la

Chenelière. Soit on retrouve dans ses pièces des

personnages d’enfants ou des adultes qui ont

conservé leur coeur d’enfant, soit on parle des

enfants. Si parfois elle magnifie cette période de la

vie ou elle rend hommage au courage et à

l’imagination des enfants, elle peut aussi dénoncer

Emmanuel ne rentrera pas à la maison cette semaine. Il a encore une fois manqué au code de conduite, et il est privé de sortie. Il a mâché du chewing-gum pendant la messe. Il ne rentrera pas à la maison et ça fait trois semaines de suite qu’il ne rentre pas pour avoir manqué au code de conduite. Au lieu de revenir à la maison chaque semaine, il rentre une fois par mois parce qu’il ne cesse de manquer au code de conduite. C’est de sa faute. C’est de sa faute. C’est pas possible, il est impossible, c’est pas possible. Il est chiant, putain il fait chier, il nous fait chier. Il fait chier ! Nicht retour, Mademoiselle, p. 87

Je déteste qu’on associe l’enfance à l’émerveillement. Parce que c’est pas vrai. C’est une raison qu’on se trouve pour faire des enfants, pour supporter les enfants. Les enfants sont insupportables parce qu’ils nous renvoient notre ignorance, notre paresse, notre méchanceté en pleine face. Les enfants sont curieux de manière tout à fait neutre et totale et c’est nous qui tenons à ce que les choses qui nous paraissent poétiques soient le sujet exclusif de leur émerveillement. La lune. Le soleil. Les insectes. La mer. On veut canaliser l’émerveillement des enfants. Culpa, p. 172.

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certaines situations absurdes et douloureuses où l’on

place des enfants.

Humour

Son humour est savoureux et, surtout, comme l’ensemble de son œuvre, très tendre. Les

personnages jouent parfois les imbéciles avec amusement. Mais, surtout, l’auteure est capable de

rire d’elle-même. La pièce Henri et Margaux créée en 2002 est issue de la fascination du couple

pour les couples au théâtre et au cinéma. Daniel Brière et Evelyne de la Chenelière ont choisi

d’utiliser leur propre couple pour se poser quelques questions. Quand un acteur incarne un

personnage sur scène, qui est sur scène ? L’intimité est-elle intéressante au théâtre ? Est-ce que

l’intimité de notre propre couple transparaîtra sur scène, et si oui, à quel moment ? Les deux

créateurs ont vite réalisé qu’il est possible de tout dire au théâtre, à condition que ce soit derrière

le masque d’un personnage. Alors Henri et Margaux, c’est eux et ce n’est pas eux. Le but du jeu

était d’utiliser le principe des vases communicants pour confondre théâtre et réalité. À ce propos,

on retrouve dans la pièce une scène tout à fait hilarante où Henri critique le travail d’auteure de

Margaux et où celle-ci se défend.

Margaux : Pis qu’est-ce que t’as à attaquer mon écriture ? Tu m’as déjà dit que j’avais beaucoup de

talent ! Tu l’as dit !

Henri : Je dis pas le contraire. Mais entre nous, c’est quand même un peu ampoulé.

Margaux : Quoi ? De quoi tu parles ? « Ampoulé », c’est quoi ça « ampoulé » ? Depuis quand

t’emploies des mots comme « ampoulé »? En tout cas mon écriture est pas ampoulée, ça c’est pas vrai, tu

peux dire ben des affaires sur mon écriture, mais pas qu’elle est ampoulée.

Henri : Tu adores employer beaucoup de mots…

Margaux : Oui…

Henri : … que tu maîtrises pas forcément.

Margaux : J’ai le droit ! Moi, quand je trouve un mot joli, je le mets.

Henri : Oui tu le mets plusieurs fois.

Margaux : Quand c’est agréable à dire, oui.

Henri et Margaux, p. 131-132.

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Tendresse

Le théâtre d’Evelyne de la Chenelière porte en lui une infinie tendresse pour le genre humain.

Lorsqu’on découvre la variété de ses personnages et des histoires racontées, on a l’impression

que chaque vie, y compris la nôtre, mérite qu’on s’y attarde. Tels des funambules, ses

personnages tentent de conserver leur équilibre sur le mince fil de fer de leur histoire, portant

d’un côté leurs déceptions, leurs angoisses, leur solitude et de l’autre leurs désirs, leurs amours,

leurs rêves. La tendresse et l’humanisme de l’auteure se font sentir dans son souci du détail, pour

bien nous faire connaître, ou plutôt reconnaître cet homme ou cette femme dont elle a choisi de

traduire la destinée sur scène. Par exemple, au moment de prendre les présences pour la première

fois, le professeur Bashir Lazhar arrive à écrire d’un trait « Abdelmalek Merbah », mais il a du

mal à épeler « Camille Soucy ».

Dans l’introduction de son livre Désordre public, Evelyne de la Chenelière explique avec toute la

verve qu’on lui connaît son profond attachement et sa curiosité pour l’espèce humaine, de même

que sa fascination pour notre désir de nous rassembler et de nous unir.

…c’est parce que je ne sais pas où mettre mon corps quand vous n’êtes pas là.

Je le couche, je l’assois, je le fais tourner en rond, parfois je l’enfume ou bien je pose mes mains dessus

mais rien n’y fait ; il n’est pas content d’être seul. Dès que nous sommes deux, je peux au moins placer

mon corps en face d’un semblable et ça le saisit. Alors évidemment que je frémis quand nous sommes

ensemble. C’est que mon corps trépigne d’une joie intense comme le fait un chien quand il reconnaît.

D’ailleurs si j’avais une queue, je suis sûre qu’elle s’agiterait à votre vue. J’ai dû me rendre ridicule bien

des fois auprès de vous ; à force de béatitude, on ouvre trop grand la bouche et ça donne l’air bête, mais

c’est que vous m’avez tant manqué.

Je passe tout mon temps à me réjouir ou à me désoler, parfois les deux en même temps, je manque

définitivement d’indifférence, parce que je n’en reviens pas et n’en reviendrai jamais de notre manière

d’être ensemble. Comme des chiots, les yeux mi-clos et la gueule ouverte, trop nombreux pour le ventre

chaud d’où nous sortons, nous nous bousculons, nous nous piétinons pour accéder à la mamelle la plus

gorgée. Dans le désordre de notre mêlée avide, dans la cruelle ascension où les uns servent de

marchepied aux autres, malgré notre volonté assassine nous finissons pourtant par nous étreindre, par

nous réchauffer, par nous lover accidentellement les uns sur les autres, par trouver notre confort à même

la violence qui nous unit.

Quand j’arrache mon corps à notre désordre, quand je ne peux plus le mettre en rapport avec aucun autre,

c’est là qu’il m’effraie le plus ; même quand je lui ferme les yeux, on ne sait jamais avec lui.

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Alors pour l’occuper en votre absence, je le voûte au-dessus d’une feuille et j’écris ma fascination à votre

endroit. Cette fascination perpétuellement renouvelée, je ne vous obligerai jamais l’accueillir.

Simplement, si je plante mon corps devant le vôtre sans raison apparente, ayez la bonté de ne pas partir

tout de suite.

Introduction à Désordre public, p.7-8

La pièce Bashir Lazhar

Construite en une successions de brefs

moments, la pièce nous présente le

personnage de Bashir Lazhar. On

apprend qui il est, grâce à ses contacts

avec la directrice de l’école où il travaille,

les élèves, une collègue, un juge de

l’immigration, son avocat. Il s’adresse

également à sa famille absente, sa femme

et ses enfants, et à Dieu. Peu à peu, les

pièces du puzzle qui composent son histoire se mettent en place et nous donnent accès à sa nature

et à la tragédie personnelle qui a bouleversé sa vie.

Ça se passe aujourd'hui, au temps où on fait le tour du monde rien qu’en écoutant les prénoms scandés dans les cours de récréation de Montréal. Du temps où Julien, Ashak, Phuong, Saïd et Anna-Maria écoutent la même musique et vont à la cabane à sucre. Ce que je veux dire, c’est que ça se passe à un moment où l’immigration n’a plus l’air de poser problème. Dans une école primaire, Monsieur Bashir Lazhar remplace Madame Martine Lachance. Il doit enseigner des choses à des élèves de sixième année. Il vient d’une Algérie déchirée et il pense que, au Québec, plus rien ne le fera sursauter. Il pense aussi ne plus avoir besoin de son courage, qu’il a donc rangé bien loin. Il découvrira la violence dans des manifestations qu’il ne connaissait pas; il aimera démesurément ses élèves; il se perdra dans le tableau noir qu’il chérit parce qu’on peut, sur cette surface, effacer et recommencer. Evelyne de la Chenelière dans le dossier de presse du spectacle.

La pièce aborde tout en subtilité des thèmes importants comme la violence à l’école,

l’immigration, la famille et le choc des cultures.

L’étranger

Thèmes

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 11

Bashir Lazhar débarque au Québec avec, dans ses bagages, une culture différente, ce qui peut

déjà constituer un handicap. Dans son cas, il s’agit en plus d’une culture incomprise qui a fort

mauvaise presse : la culture arabe. Ça lui causera problème dans ses rapports avec, non pas les

enfants de sa classe, mais les adultes qu’il côtoie. Bashir Lazhar doit constamment surveiller ce

qu’il dit et certaines de ses remarques, plutôt anodines, sont interprétées à la faveur des clichés

véhiculés sur sa culture. Notons cependant que l’écriture de Bashir Lazhar a débuté autour de

1999, bien avant les événements du 11 septembre 2001 qui allaient changer la perception qu’a

l’Amérique des Arabes.

Avec cette pièce, Evelyne de la

Chenelière donne un visage humain au

cirque que peut parfois devenir la

médiatisation de l’intégration des

immigrants et la bureaucratie.

Elle donne aussi à voir à quel point, malgré une bonne volonté parfois de convenance, il est

difficile d’accueillir l’étranger dans toutes ses différences. Mais elle montre aussi, d’un autre

côté, que malgré des efforts incessants, il est parfois impossible pour le nouvel arrivant de

transcender ses propres références pour bien comprendre l’autre. Dans Bashir Lazhar, Evelyne de

la Chenelière utilise le choc des cultures pour aborder des sujets délicats de notre société.

Violences

Deux formes de violence sont mises côte à côte dans Bashir Lazhar. D’abord celle dont a été

victime Bashir et qui émane de son pays d’origine : le terrorisme. Ensuite, celle qui a pris par

surprise l’école québécoise où enseignera Bashir, à travers le suicide de l’enseignante de sixième

année qu’il va remplacer. La direction de l’école est très inquiète des conséquences de ce

suicide, qui est survenu à l’école, dans la classe de sixième, au moment de la récréation. Ce sont

les élèves qui, les premiers, ont trouvé le corps de leur enseignante. Depuis, chaque semaine, une

psychologue vient les rencontrer afin de les aider à passer à travers ce drame. Pour les

Comment, pas assez émotif ? Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse de plus, Maître Morin ? Que je me répande devant le juge ? Il fallait raconter les faits, j’ai raconté les faits… Le choix des mots… oui, j’avais révisé la feuille que vous m’aviez fournie, regardez je l’ai sur moi : … subit, terreur, contraint, agressé, menacé, tué, assassinat, fuir, s’enfuir, urgence, victime, guerre, dénonciateur, charnier, torture, peur, terreur, horreur, massacre.. Vous voyez, j’ai mon dictionnaire de poche du réfugié politique. Ils ne m’ont pas trouvé crédible. Ce n’est pas mon genre d’implorer. Je crois que je mérite d’être un réfugié politique. Il me semble que j’ai tout ce qu’il faut pour être un réfugié politique. Moi je me croiserais dans la rue, je dirais « Tiens, un réfugié politique ». Bashir Lazhar, p. 68.

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encourager à exorciser leur incompréhension et leur révolte, Bashir demande à ses élèves de

rédiger une composition et de faire un examen oral sur le thème de « La violence à l’école ».

Bashir sera bouleversé par les réflexions de la jeune Alice Lécuyer.

Il tentera de convaincre la directrice d’envoyer le

texte à tous les parents des élèves de sa classe et

d’en afficher des extraits dans l’école. La

directrice refusera sous prétexte que le texte est

violent et macabre. La réponse de Bashir est

éloquente.

Au fil du récit, on apprend que Bashir Lazhar a fui

l’Algérie parce que lui et sa famille étaient

menacés. Bashir est parti plus tôt pour préparer la

venue de ses trois enfants et de sa femme,

enseignante, qui ne voulait pas quitter avant de

terminer l’année scolaire. Malheureusement, la

veille de leur départ, toute la famille de Bashir a

péri dans l’incendie criminel de leur maison.

Ayant lui-même été témoin et victime de violences

atroces, Bashir ne peut s’empêcher de s’interroger

sur la signification de la violence et de la mort.

L’école

Pourquoi l’auteure a-t-elle placé son personnage dans la peau d’un professeur? « Ça m’est apparu comme indispensable qu’il soit en contact avec des enfants. C'est sa survie », explique l’auteure, avouant également que l’école primaire publique – qu’elle fréquente en tant que mère - est un environnement qui l’émeut. « Pour moi, ce lieu est symboliquement le pouls le plus juste de notre société, ne serait-ce que par les noms sur les listes d'enfants. Je pense au courage des parents immigrants dont les enfants vont apprendre une langue qui leur est étrangère, à eux. »

Non, je ne trouve pas que ce texte soit violent, enfin ce n’est pas le texte qui est violent, c’est l’existence elle-même… Vous ne trouvez pas, vous, que la vie est violente ?... Vous ne voulez pas afficher ce texte ? Pourquoi ? …Je ne vois pas pourquoi… Par respect pour Madame Lachance ? Mais pensez-vous qu’elle a respecté ses élèves, elle ? Bashir Lazhar, p. 63-64.

J’en ai marre du bruit qui court. Je respecte les femmes, les hommes et toute la vie, je respecte aussi tous les morts, y compris madame Lachance que je n’ai pas connue. Nous avons abordé le thème de la violence avec mes élèves, ce qui m’a amené à comparer la mort d’un village à celle d’un individu… Non, je n’ai pas banalisé le geste de madame Lachance, mais non je ne l’ai pas relativisé non plus ! Non… Si un seul élève n’a pas eu la finesse de comprendre ma pensée je me ferai un plaisir de la clarifier pour lui. Eh bien s’il préfère garder l’anonymat je reviendrai sur la question devant toute la classe… Les parents ? Mais je peux leur expliquer aussi… Mais enfin je n’ai jamais dit ça ! On ne peut quantifier l’horreur, ni la détresse, mais à choisir entre deux martyres, je préfère la femme qui est morte pour protéger ses enfants à la femme qui est morte en jetant son désespoir à toute une école, et c’est tout ce que j’ai voulu dire à mes élèves. Bashir Lazhar, p. 71.

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 13

Evelyne de la Chenelière aux journalistes Daphné Angiolini et Mathilde Singer dans VOIR, 18 janvier 2007.

Cette école qui émeut Evelyne de la Chenelière, elle ne se gêne

pas pour en faire la critique. Bashir Lazhar est parsemé de

commentaires et de réflexions sur notre système d’éducation

actuel. La réforme de l’éduction est principalement égratignée

par l’auteure, qui utilise les origines algériennes de son

personnage et donc sa méconnaissance de notre milieu pour

souligner quelques incohérences de cette pédagogie de

l’apprentissage par « projets ».

Malgré ses doutes sur le bien fondé de cette réforme, Evelyne de la Chenelière voue une

admiration sincère au métier de professeur, comme en témoigne le texte qu’elle a écrit pour le

programme du spectacle lors de sa création au Théâtre d’Aujourd’hui.

À tous les maîtres, à tous les élèves, et à tous les autres.

Si je maîtrisais quoi que ce soit, Je serais maître, De musique, par exemple, Ou d’école, ou d’autre chose. Alors je m’y dévouerais à m’en esquinter la mâchoire, parce que j’aurais tant de choses à enseigner avant que le temps passe, je parlerais vite par peur d’ennuyer mes élèves, j’essayerais de faire de l’humour, pour qu’ils me pardonnent de les obliger à rester assis. Parfois je tremblerais à l’idée d’une telle responsabilité, à la seule idée qu’une marque d’impatience, d’irritabilité ou d’indifférence puisse briser à tout jamais une grande histoire d’amour entre un enfant et l’apprentissage. Si je devais, un matin où je serais fatiguée, ne pas voir une plaie pourtant béante, si je devais, de ma seule parole de maître, anéantir un rêve ou une ambition, je ne m’en remettrais pas. D’autres fois je serais sans courage devant l’ampleur de la tâche, j’aurais envie de coucher ma tête sur mon bureau de maître, et d’avouer à mes élèves que je ne maîtrise rien et encore moins la situation, et ils regarderaient mon triste spectacle, désolés et impuissants. Autant vous dire que je serais sans doute un très mauvais maître, et c’est l’une des raisons qui m’ont fait écrire cette sorte d’hommage. Avec toute mon admiration, Evelyne de la Chenelière

D’ailleurs Bashir, comme on l’apprendra au cours du

spectacle, n’est pas enseignant. C’est sa femme qui

occupait cette fonction, en Algérie. Lorsqu’il se retrouve

seul et désespéré à Montréal, c’est dans une école qu’il

espère trouver un adoucissement à son deuil. Même si

son imposture finira par être découverte, la présence des

D’ailleurs je me demande bien comment vous avez réussi à intégrer tout ça à vos cours de français. Je veux dire sans nuire à l’enseignement de la matière première… S’exprimer ? Ah ça c’est sûr, j’ai remarqué qu’on leur demande beaucoup de s’exprimer ici… De vrais poètes. Non, je ne sous-entend rien, seulement j’ai choisi, moi, de leur apprendre à maîtriser leur moyen d’expression. Bashir Lazhar, p. 61-62

Tu sais, il fait beau, tu devrais aller en récréation. Prendre l’air. Prendre le soleil. Tu devrais y aller. Et en revenant, tu poseras des questions, en classe, au nouveau remplaçant. Si tu savais comme ça fait du bien de se faire poser une question. Même si tu ne sais pas quoi poser, invente quelque chose, et s’il veut t’apprendre quelque chose que tu sais déjà, fais semblant que tu l’ignorais complètement et que c’est merveilleux. Ça lui fera plaisir. Il se sentira moins seul. Bashir Lazhar, p. 73.

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 14

enfants lui donnera l’impression d’avoir été utile, même

pour une (trop) brève période. Solitude

Ce qui fait la grande force du personnage de Bashir Lazhar est sa dignité. Dans ses rapports avec

les autres, il garde contenance, il essaie de s’en sortir avec les mots, avec son intelligence. Il fait

souvent allusion au courage dont on lui a toujours demandé de faire provision. Il ne pouvait pas

s’imaginer que son immigration, sensée les protéger lui et sa famille, serait ce qui lui demanderait

le plus de courage.

La perte atroce qu’il subit est amplifiée par un

terrible sentiment de culpabilité causé par le

fait qu’il est parti en laissant sa famille derrière

lui. Dans le spectacle, les moments à l’école

et avec le juge de l’immigration sont

entrecoupés de conversations réelles et

imaginaires avec sa famille, où l’on prend la

mesure de sa peine. En désespoir de cause, il

s’adresse à Dieu pour tenter de revenir en

arrière.

Le spectacle

La pièce est un spectacle solo. Denis Gravereaux, qui interprète Bashir Lazhar, est seul en scène.

Le texte est construit comme une conversation mais ses interlocuteurs demeurent invisibles. Par

un ingénieux dispositif scénique inspiré par l’univers scolaire, nous suivons Bashir chez la

directrice, chez le juge, chez lui. Au départ, nous ne voyons sur scène qu’un pupitre et un tableau

noir, mais il s’avère que le tableau est un écran sur lequel sont projetés le nom des lieux, le nom

de la personne que Bashir rencontre ou encore le titre de la scène qui va se dérouler, comme « Le

cours d’anglais », « Le travail d’Alice », « Chez la directrice ».

Le metteur en scène Daniel Brière a également travaillé avec le journaliste Danny Braün à une

bande sonore très efficace qui mêle des archives radio sur la violence en Algérie à des musiques

maghrébines ou plus contemporaines.

Je m’appelle Bashir Lazhar et je demande au Grand Patron une petite révision. (…) Je ne veux pas être courageux. Je ne veux pas m’en remettre. Je ne veux pas oublier. Je ne veux pas m’en sortir. Je veux ma femme, je veux mes enfants. (…) Je veux tout ça et je ne veux pas demander gentiment. Je ne veux pas que ma famille serve de leçon à l’humanité. Je veux qu’elle vive sans rien apprendre à personne. Je veux penser à ma femme et que ça me fasse sourire, comme avant. Je ne veux pas être plus fort. Je ne veux plus rien de ce que je voulais. Je ne veux pas de papiers je ne veux pas de travail je ne veux pas de statut je ne veux pas la paix. Je veux ma famille, (…) je la veux pour faire semblant encore une fois pour faire comme si, pour faire comme si je pouvais la sauver une dernière fois. Bashir Lazhar, p. 68.

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 15

L’interprète Denis Gravereaux

Pour incarner Bashir Lazhar, l’auteure et le metteur

en scène ont choisi un acteur qui a lui aussi vécu

l’expérience de l’immigration. D’origine française

mais installé définitivement au Québec depuis dix

ans, Denis Gravereaux a joué dans plus d'une

trentaine de productions théâtrales tant au Québec

qu’à travers le monde. Ici, il a endossé des rôles dans

Éden cinéma, Malina et Électre (Brigitte Haentjens),

Au bout du fil (Daniel Brière), Willy Protagoras

enfermé dans les toilettes et Littoral (Wajdi

Mouawad), Trans-Atlantique (Téo Spychalski) et

Quelques conseils utiles aux élèves huissiers (Jean-

Marie Papapietro). À la télévision, on a pu le voir

dans Casino.

Sa grande intelligence, sa perspicacité, sa prestance et

sa sensibilité en font un interprète qu’on remarque.

Laissons-lui le mot de la fin, à propos du personnage

qu’il incarne magistralement.

« Même s’il porte une tragédie et un passé très lourd, il n’est pas animé par la haine. Il est plein d'amour et d’une profonde humanité. Il a un regard sur la vie et sur l’enfance qui prédomine tout ». Denis Gravereaux aux journalistes Daphné Angiolini et Mathilde Singer dans VOIR, 18 janvier 2007.

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L’Algérie

Les débuts de l’écriture de Bashir Lazhar remontent à 1999, alors qu’Evelyne de la Chenelière se

sent interpellée par la cause des réfugiés politiques. Voici ce qu’elle confie en entrevue :

« Jusque-là, c’est mon instinct qui me poussait vers des thèmes. Ici, j’ai eu envie de rassembler des faits, des documents, de réaliser un autre genre de travail intellectuel ». (…) « Je me suis mise à lire des livres, je me suis renseignée auprès d’un cabinet d’avocats spécialisés dans le droit des immigrants. Ça a été très riche pour moi ». Evelyne de la Chenelière aux journalistes Daphné Angiolini et Mathilde Singer dans VOIR, 18 janvier 2007.

Toujours au cours de la même entrevue pour le journal VOIR, le comédien Denis Gravereaux,

qui incarne Bashir Lazhar, s’exprime en ces termes sur la dimension politique du spectacle :

« C’est une pièce engagée qui ne nomme pas forcément les choses, ne démonte pas les mécanismes de l’immigration ou de l’éducation. Ces éléments sont abordés, mais toujours du point de vue de l’humain. De là, il se dégage une parole politique ».

Bashir Lazhar est fraîchement débarqué d’Algérie. Il a fui sa contrée natale parce que sa vie était

menacée, ce qui est le cas de plusieurs personnes dans ce pays qui a connu des heures sombres au

début des années 1990 et qui semble encore sur le point d’exploser. Nous vous présentons les

grandes lignes des éléments qui ont façonné l’Algérie d’aujourd’hui.

Origines

L’Algérie est un pays d’Afrique du Nord, d’une région qu’on appelle le Maghreb. Occupé depuis

la préhistoire par des populations berbères, il a été conquis par des arabos-musulmans,

principalement des Turcs de l’Empire Ottoman. À partir du huitième siècle, les citoyens de ce

qui deviendra l’Algérie adoptent progressivement la langue arabe. Le nom arabe de la principale

ville de ce territoire, El Djazaïr, qui signifie « les îles », a donné Alger et Algérie en français.

La colonisation française

Ce sont donc les Français qui ont donné son nom à ce pays, parce qu’il l’ont colonisé à partir de

1830. La colonisation française a été brutale et extrêmement pénible pour les Algériens,

considérés comme des citoyens de seconde zone, des « indigènes ». Des dizaines de milliers de

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Dossier d’accompagnement scolaire – Bashir Lazhar 17

Français s’y installent et y occupent différentes fonctions, la France y édifie une administration et

met en place des infrastructures. Les Algériens semblent accepter leur sort, mais les mouvements

de protestation commencent à s’organiser au début du vingtième siècle.

La Guerre d’Algérie

Ce qu’on a appelé la « Guerre d’Algérie » est le mouvement de libération du peuple algérien

auquel la France opposa une violente riposte. Les conflits se sont déroulés entre 1954 en 1962,

pour se terminer avec l’indépendance de l’Algérie. On estime qu’il y aurait eu un million de

morts, principalement du côté algérien.

Après la guerre d’indépendance, l’administration française se replie. Des dizaines de milliers de

français d’Algérie sont rapatriés en France. Ce sont eux qu’on appellera les Pieds-Noirs. Le

pays, malgré l’allégresse, est plongé dans le chaos. Tout est à construire.

L’ère du FLN

De la fin de la guerre en 1962 jusqu’en 1989, le pays est dirigé par un parti unique, le Front de

libération nationale (FLN), un parti socialiste qui possède aussi une branche armée très active,

qui a été l’actrice principale du conflit contre la France, l’Armée de libération nationale (ALN).

Grâce à ses possessions dans le désert du Sahara, l’Algérie est riche en pétrole et en gaz. Mais la

mauvaise gestion du FLN, la corruption, l’omnipotence de l’armée et le chômage font monter la

tension au pays jusqu’à l’éclatement, en 1988, de violentes émeutes organisées par des étudiants

qui sont violemment réprimées par l’ALN. La population se dissocie sévèrement de son armée,

qui tire sur ses enfants.

La montée de l’Islam

En parallèle, l’Islam, qui avait soudé la population avant et pendant la guerre d’indépendance, va

prendre un rôle politique de plus en plus important. Le pays se radicale petit à petit, le statut de

la femme se dégrade. En 1989, après avoir régné sans partage pendant trente ans, le FLN ne peut

plus contenir le mécontentement et doit autoriser la formation de d’autres partis politiques. Au

début de 1990, près de quarante formations politiques – certaines bien éphémères – voient le jour.

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Le Front Islamique du salut (FIS) prend le pouvoir aux premières élections multipartites de 1990,

mais sans pouvoir l’exercer, empêché par l’ALN. Différents facteurs ont entraîné la montée de

l’Islamisme en Algérie, entre autres le chômage, l’exode rural, le malaise social, l’influence des

mouvements religieux étrangers et une aide financière fournie aux organisations islamistes par

l’Arabie Saoudite.

Entre 1988 et 1995, les gouvernements se succèdent en Algérie à grande vitesse, mais sans

pouvoir exercer le pouvoir. Il n’y a pas de stabilité et de durée, il est donc impossible de

travailler en profondeur. Les manifestations violentes se multiplient. Le FLN et son armée

emprisonnent les dirigeants du FIS, qui lui, pour sa part, travaille dans l’ombre et pose des

actions terroriste.

Violences

Depuis la fin des années 1990, une guerre sans merci oppose les forces gouvernementales et

islamistes, qui veulent instaurer un état islamique par la force. En 1999, on estimait à 100 000 le

nombre de morts de cette guerre civile qui ne dit pas son nom.

Lorsque Bashir Lazhar dit dans la pièce qu’il « n’est pas pratiquant et que ça ne plaît pas à tout le

monde », il identifie clairement ceux qui sont une menace pour sa vie et celle de sa famille. Et

lorsqu’il parle d’un « village assassiné » ou que la bande sonore du spectacle fait référence à des

femmes égorgées, il s’agit d’événements réels. Par exemple, le 22 avril 1997, quatre-vingt treize

personnes, dont plusieurs dizaines de femmes et d’enfants, sont tués à l’arme blanche à Haouch

Boukhelef Khemisti, au sud d’Alger. Un des carnages les plus tristement connus est celui de

Bentalha, à trente kilomètres d’Alger, où, le 22 septembre 1997, près de 400 personnes sont

assassinées. À chaque fois, il est difficile d’identifier les responsables, entre les services secrets

algériens, les terroristes islamistes, les milices indépendantes et même le gouvernement et son

armée.

L’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999 a suscité un vif espoir. Il terminera

son deuxième mandat en 2009 sans avoir pu réussir à diminuer l’incertitude et l’inquiétude.

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Activités proposées

Trois recueils de pièces d’Evelyne de la Chenelière sont disponibles.

• Le premier, paru en 2003 chez Fides sous le titre Théâtre, contient les pièces Des fraises

en janvier, Au bout du fil, Henri et Margaux et Culpa.

• Le second est également paru en 2003, aux Éditions Théâtrales, et contient les titres Au

bout du fil et Bashir Lazhar.

• Le dernier, qui lui a valu le Prix du Gouverneur général, porte le titre de Désordre public,

contient les pièces Aphrodite en 04 et Nicht retour, Mademoiselle. Il est paru chez Fides

en 2006.

Pour ceux qui ont envie de découvrir Evelyne de la Chenelière, pamphlétaire, quelques suggestions.

D’abord, la jeune femme a rédigé un texte pour la revue Arguments de novembre 2007, une revue

généraliste de débats et d’idées publiée par les Presses de l’Université Laval. Intitulé Les beaux dessins,

son opus qui traite de la complaisance du milieu théâtral a suscité quelque réactions dans les médias.

• Revue Arguments : http://www.revueargument.ca/

• Commentaires de la chroniqueuse Nathalie Petrowski dans La Presse :

http://www.cyberpresse.ca/article/20071121/CPARTS/711210796/5034/CPOPINIONS

• Commentaires du chroniqueur Pierre Thibeault dans ICI :

http://www.canoe.com/divertissement/chroniques/pierre-thibeault/2007/11/21/4673908-ici.html

• Aussi, le site bien connu de partage de vidéos Youtube contient un extrait vidéo de deux minutes

où Evelyne de la Chenelière s’exprime sur l’école et la réforme de l’éducation, lors de son passage

à l’émission Tout le monde en parle de Radio-Canada.

http://fr.youtube.com/watch?v=ZgyHZDSryTI

Sur l’Algérie, deux suggestions.

• D’abord un petit livre de la collection Les essentiels Milan, L’Algérie, pour avoir un aperçu de

l’histoire et de la situation actuelle de ce pays. Facile à lire et bien présenté, il est paru en 2000

sous la plume de Paul Balta et Claudine Rulleau.

• Un très beau recueil de textes d’auteurs algériens est disponible dans une co-édition de Arte

Éditions, Le Serpent à Plumes et l’Institut du monde arabe. Paroles d’algériens – Écrire pour

résister dans l’Algérie du XXe siècle donne la parole à treize écrivains de générations et de genres

différents.

En terminant, soulignons que chaque représentation de Bashir Lazhar, lors de sa présentation au

Théâtre d’Aujourd’hui, était suivie d’une discussion animée par deux animateurs, comédiens

issus de communautés culturelles. Rien de vous empêche d’appliquer la formule à la classe, en

demandant aux élèves de commenter le spectacle et d’échanger sur les idées qu’on y véhicule.

Lectures

Internet

L’Algérie

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Bibliographie

• Balta, Paul et Rulleau, Claudine, L’Algérie, Les essentiels Milan, 2000. • De la Chenelière, Evelyne, Théâtre, Fides, 2003.

• De la Chenelière, Evelyne, Désordre public, Fides, 2006.

• De la Chenelière, Evelyne, Au bout du fil, suivi de Bashir Lazhar, Éditions Théâtrales,

2003.

• Djilali, Djelali et Riffard, Claire, 100 questions sur la guerre d’Algérie, Tournon, 2006.

• Stora, Benjamin, Histoire de l’Algérie depuis l’Indépendance, Éditions La Découverte,

1994.