dorothea lange - jeudepaume.org · les titres de certaines images de dorothea lange peuvent varier...

56
DOSSIER DOCUMENTAIRE DOROTHEA LANGE POLITIQUES DU VISIBLE 16/10/2018 – 27/01/2019

Upload: nguyenmien

Post on 01-Mar-2019

224 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

DOSSIER DOCUMENTAIRE

DOROTHEA LANGEPOLITIQUES DU VISIBLE16/10/2018 – 27/01/2019

Page 2: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

DOSSIER DOCUMENTAIREMODE D’EMPLOI

Conçu par le service éducatif, en collaboration avec l’ensemble du Jeu de Paume et les professeurs-relais des académies de Créteil et de Paris, ce dossier propose aux enseignants et aux équipes éducatives des éléments de documentation, d’analyse et de réflexion.

Il se compose de trois parties :

Découvrir l’exposition offre une première approche du projet et du parcours de l’exposition, ainsi que des orientations bibliographiques.

Approfondir l’exposition développe plusieurs axes thématiques autour des conceptions de la représentation et du statut des images.

Pistes scolaires initie des questionnements et des recherches, en lien avec une sélection d’œuvres et de documents présentés dans l’exposition.

Disponible sur demande, le dossier documentaire est également téléchargeable depuis le site Internet du Jeu de Paume (document PDF avec hyperliens actifs).

CONTACTS

Julia Parisotchargée des publics scolaires et des partenariats01 47 03 04 95 / [email protected]

Marie-Louise Ouahiouneassistante administrativeréservation des visites et des activités01 47 03 12 41 / [email protected]

Sabine Thiriotresponsable du service éducatif [email protected]

conférencières et formatricesÈve Lepaon01 47 03 12 42 / [email protected]écile Tourneur01 47 03 12 42 / [email protected]

professeurs-relaisCéline Lourd, académie de [email protected]édric Montel, académie de Cré[email protected]

Drought-abandoned house on the edge of the Great Plains near Hollis, Oklahoma, juin 1938

Crédits photographiques :Toutes les images : The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California. Don de Paul S. Taylor© Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California, City of Oaklandsauf p. 2 et 50 : courtesy de la Lemaistre Collection ; p. 10 et 19 : courtesy National Archives, Washington et Library of Congress ; p. 16 : The Dorothea Lange Collection, Oakland Museum of California. Don de Paul S. Taylor du négatif original ; p. 24 : The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California. Don de l’Art Guild of Oakland Museum of California ; p. 47 et 49 : Courtesy de la Howard Greenberg Gallery, New York et p. 52 (gauche) : Library of Congress

Page 3: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

SOMMAIRE

DÉCOUVRIR L’EXPOSITIONPrésentation de l’exposition Chronologie et biographie Bibliographie indicative et ressources en ligneRepères, la « Farm Security administration » (FSA)

APPROFONDIR L’EXPOSITION Contexte historique et représentation des États-Unis Photographie documentaire et action sociale Postérité des images, symboles et questionnements Orientations bibliographiques thématiques

PISTES SCOLAIRES Projets documentaires et archivesFigures de la Grande DépressionReprésentations de la route américaineImages, textes et contextesMigrant Mother, composition et diffusion« Camps de relocalisation », propagande et saisieActualisation des questions photographiques et sociales

78

111314

1720263339

4243454748515354

Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour la période 1935-1941, correspondent aux légendes initiales privilégiées en tant que référence pour les œuvres présentées dans l’exposition au Jeu de Paume.

Page 4: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

❙ Parcours pour les classes de maternelles En lien avec l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible », le Jeu de Paume initie pour les classes de moyenne et grande sections un projet d’éducation à l’image. Le partenariat est conçu en trois temps : une rencontre introductive en classe, la visite d’une exposition et un atelier de pratique photographique dans l’établissement scolaire. Les contenus sont pensés avec les enseignants en fonction de la visite choisie et de leur projet de classe.– tarif : 420 €– renseignements et inscription : 01 47 03 04 95 ou [email protected]

❙ Parcours croisés autour de l’exposition Les parcours croisés mettent en perspective la visite d’une exposition au Jeu de Paume avec une activité dans un lieu partenaire, en liant les approches thématiques.

Images et projets documentairesAvec le musée départemental Albert-Kahn (92)En lien avec la visite de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible », le musée départemental Albert-Kahn propose un atelier en classe autour des « Archives de la planète ». Ce projet, initié par Albert Kahn au début du XXe siècle, avait pour ambition de « fixer des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine ». Les élèves sont invités à explorer une sélection d’images photographiques et cinématographiques issues de cette collection, en analysant leurs contextes de production et de diffusion.– Jeu de Paume : 80 € / réservation : 01 47 03 04 95– Musée départemental Albert-Kahn : 40 € (durée : 2 heures) / réservation : [email protected]

Images et territoires, images et corpsAvec LE BAL, Paris 18e ERSILIA, plateforme numérique d’éducation à l’image conçue par LE BAL, a pour objectif de penser en images un monde d’images : pourquoi, pour qui, dans quels contextes les images sont-elles produites ? Comment sont-elles diffusées et reçues ? En quoi changent-elles notre façon de voir le monde ? Autour des expositions « Dorothea Lange. Politiques du visible » et « Ana Mendieta. Le temps et l’histoire me recouvrent », le Jeu de Paume s’associe au BAL pour proposer des parcours thématiques en ligne sur ERSILIA que les élèves et les enseignants découvrent en autonomie. Ils peuvent ensuite explorer la plateforme et concevoir leur propre parcours.– Jeu de Paume : 01 47 03 04 95 ou [email protected]– LE BAL / ERSILIA : 01 45 23 86 27 ou [email protected] / http://www.ersilia.fr

ACTIVITÉS ÉDUCATIVES OCTOBRE 2018-JANVIER 2019

ACTIVITÉS ENSEIGNANTS ET SCOLAIRES

❙ Rencontres enseignantsLors de chaque nouvelle session d’expositions au Jeu de Paume, les équipes pédagogiques et éducatives sont invitées à une visite commentée, dont l’objectif est d’envisager les axes de travail et de préparer ensemble la venue des classes ou des groupes au Jeu de Paume. À cette occasion, le « dossier documentaire » de l’exposition est présenté et transmis aux participants.mardi 16 octobre 2018, 18 h :Visite de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible », réservée aux partenaires scolaires.mardi 6 novembre 2018, 18 h 30 : Visite des expositions « Dorothea Lange. Politiques du visible » et « Ana Mendieta. Le temps et l’histoire me recouvrent »– ouvert gratuitement à tous les enseignants et équipes éducatives– sur inscription : 01 47 03 04 95 ou [email protected]

❙ Visites-conférences pour les classesLes conférenciers du Jeu de Paume accueillent et accompagnent les classes dans la découverte des expositions, en favorisant l’observation, la participation et la prise de parole des élèves. Ces visites permettent aux publics scolaires d’être en position active et documentée devant les images, de s’approprier les œuvres et les démarches artistiques.– tarif : 80 € – réservation : 01 47 03 12 41 ou [email protected]

❙ « Look & Learn », visites en anglais Le Jeu de Paume est partenaire du programme « Look & Learn » du Mona Bismarck American Center, qui propose des visites en anglais de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible ». L’objectif pour les groupes scolaires, accompagnés par des conférenciers-éducateurs anglophones spécialisés en art, est d’apprendre à échanger en anglais autour des images et de la culture américaine.– tarif : 110 €, le mercredi à 11 h– réservation : [email protected]

❙ Visite thématique histoire des arts En lien avec la question inscrite au programme du baccalauréat série littéraire pour l’épreuve de spécialité histoire des arts « Un artiste en son temps : la photographe Tina Modotti (1896-1942) », le Jeu de Paume conçoit des visites spécifiques de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible ». Une introduction avec projection d’images dans l’espace éducatif permet de situer la démarche de ces deux photographes dans le domaine de la photographie documentaire et sociale.– tarif : 100 € – réservation : 01 47 03 12 41 ou [email protected]

programme complet des activités éducatives à destination des enseignants, scolaires et publics jeunes disponible à l’accueil du Jeu de Paume et sur www.jeudepaume.org

Page 5: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

Découvertes visuelles et pratiques artistiquesAvec la Maison du geste et de l’image, Paris 1er

Ces programmes associent la découverte de plusieurs grandes expositions à des ateliers de pratiques artistiques : images fixes, images en mouvement ou théâtre. Ils s’appuient sur la construction préalable d’un projet avec les enseignants, les structures et un intervenant spécifique à l’attention de chaque classe. Ces propositions se composent de deux visites commentées au Jeu de Paume, en fonction du thème choisi, et de trois séances de trois heures d’atelier à la MGI pour élaborer une réalisation collective.– coût global : 600 € / contact : 01 47 03 04 95 ou [email protected]

Photographies et espaces d’exposition Avec Paris Photo, Paris 8e Le Jeu de Paume et Paris Photo s’associent pour proposer à l’automne 2018 un parcours croisé inédit sur les projets de la foire internationale de la photographie au Grand Palais et les expositions monographiques du centre d’art à Concorde. Lycéens et étudiants peuvent ainsi découvrir deux structures dédiées à la photographie historique et contemporaine. Pour donner goût à la diversité des pratiques et des contextes de présentation de la photographie, ce projet est initié cette année avec des classes issues de filières spécialisées et d’établissements scolaires franciliens, de la seconde Bac Professionnel Photographie au BTS Photographie. – contact : 01 47 03 04 95 ou [email protected]

D’autres parcours sont susceptibles d’être organisés, en lien avec l’actualité des expositions et des actions en Île-de-France.

❙ Formation continue « images et arts visuels » Cette formation propose aux enseignants de toutes les disciplines et aux équipes éducatives des séances transversales autour du statut des images dans notre société et de leur place dans les arts visuels. Les sessions de formation sont élaborées en lien avec la programmation du Jeu de Paume et développent des thématiques qui recouvrent l’histoire des représentations et la création contemporaine. Composé de six séances de trois heures le mercredi après-midi, de novembre 2018 à avril 2019, le programme s’organise en plusieurs temps qui associent conférences et visites des expositions, interventions et mises en perspective. L’ensemble de cette formation est conçu et assuré par l’équipe du service éducatif du Jeu de Paume, ainsi que par des intervenants invités : artistes, historiens, théoriciens ou formateurs.La formation continue « Images et arts visuels » est accessible sur inscription directement auprès du service éducatif du Jeu de Paume. Les enseignants de l’académie de Versailles peuvent également s’inscrire sur la plateforme du plan académique de formation.– gratuit sur inscription à l’ensemble des six séances – contact : 01 47 03 04 95 ou [email protected]

ACTIVITÉS HORS TEMPS SCOLAIRES ET EN DIRECTION DES PUBLICS JEUNES

❙ Rendez-vous en familleLe premier samedi du mois, les questions les plus actuelles peuvent survenir à l’occasion des rendez-vous en famille de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible ». Ce parcours dédié aux enfants de 7 à 11 ans et aux adultes qui les accompagnent, est idéal pour aborder les enjeux de l’exposition et prendre le temps de les découvrir en famille.samedis 3 novembre, 1er décembre 2018 et 5 janvier 2019, 15 h 30 (durée : 1 heure)– gratuit pour les enfants (7-11 ans) et pour les abonnés – réservation conseillée : [email protected] / 01 47 03 12 41

❙ Visites-ateliers « Les enfants d’abord ! »Le dernier samedi du mois, le Jeu de Paume propose des visites-ateliers pour les enfants de 7 à 11 ans.«  Portraits sur le vif » Lors de cette visite-atelier, les enfants deviennent photographes et vont à la rencontre des visiteurs du Jeu de Paume pour réaliser leurs portraits. Ces portraits photographiques de « regardeurs-regardés » sont édités par les participants sous la forme d’un diaporama numérique.samedis 27 octobre, 24 novembre 2018 et 26 janvier 2019, 15 h 30 (durée : 2 heures)– gratuit pour les enfants (7-11 ans) – réservation obligatoire : [email protected]

❙ Stage « 12-15ans.jdp »Deux après-midi consécutives dédiées aux 12-15 ans pour produire, transformer et partager des images.« Les jours et les nuits d’Aliou » En partenariat avec l’association le PEROUSur la base d’un travail photographique réalisé dans le quartier de la Chapelle par Stephan Zaubitzer, les participants rencontrent Aliou Diallo, conteur guinéen exilé en France. L’artiste Jean-Baptiste Lévêque les accompagne ensuite dans la réalisation d’un montage sonore associé aux images, un récit sensible de ce territoire parisien.mardi 23 et mercredi 24 octobre 2018, 14 h 30-17 h 30– durée : deux demi-journées de 3 heures– gratuit sur présentation du billet d’entrée aux expositions, tarif réduit (7,50 €)– réservation obligatoire : [email protected]

❙ Rendez-vous des mardis jeunes À l’occasion des « mardis jeunes » du Jeu de Paume, qui offrent l’accès libre aux expositions pour les étudiants et les moins de 25 ans inclus le dernier mardi du mois, de 11 heures à 21 heures, sont organisées des rencontres avec les artistes ou les commissaires invités, ainsi que des visites des expositions avec les conférenciers du Jeu de Paume.mardis 30 octobre, 27 novembre, 18 décembre 2018, 18 h, et 22 janvier 2019, 19 h – programme disponible sur le site Internet du Jeu de Paume, rubrique « mardis jeunes »– gratuit pour les étudiants et les moins de 25 ans inclus

Page 6: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

White Angel Bread Line, San Francisco, 1933

Page 7: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

« Tout a été pour moi source d’apprentissage et j’apprends sans cesse. C’est en partie de la curiosité, je crois, d’essayer de découvrir pourquoi les choses se passent comme elles le font, tout observer, y compris ma propre activité. »Dorothea Lange, citée par Jilke Golbach, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 257.

« L’appareil photo est un instrument unique pour apprendre aux gens à voir – avec ou sans l’appareil photo. » Dorothea Lange, citée par Jilke Golbach, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 275.

Page 8: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

8 · DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

PRÉSENTATIONDE L’EXPOSITION

DOROTHEA LANGEPOLITIQUES DU VISIBLE

Dorothea Nutzhorn naît en 1895 à Hoboken, New Jersey, dans une famille d’immigrants allemands de la deuxième génération. À l’âge de dix-huit ans, elle se lance dans la photographie et apprend son métier dans un premier temps à New York, auprès de photographes portraitistes de studio bien connus. Par la suite, en 1918, elle ouvre son propre studio à San Francisco et adopte le nom de jeune fille de sa mère, Lange. Son studio devient vite un centre de la vie artistique de la ville et lui offre une indépendance vis-à-vis de sa famille, en tant que jeune mère de deux garçons et épouse d’un peintre célèbre, Maynard Dixon.En 1932, au cœur de la Grande Dépression, qui a débuté en 1929, Lange se détourne du portrait de studio pour se concentrer sur des scènes de rue et montrer les conséquences de la récession à San Francisco ainsi que l’agitation sociale qui y règne. Cette période de deux ans marque un tournant dans sa vie : elle prend conscience de l’importance de la condition humaine dans son travail. Les photographies novatrices de cette pionnière du documentaire social attirent l’attention de Paul Schuster Taylor, professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley et spécialiste des conflits agricoles des années 1930, qui deviendra plus tard son second mari. En 1934, il utilise l’une des photos de Lange pour illustrer son article consacré à la grève générale qui a lieu cette année-là (c’est le conflit social maritime le plus long et le plus important de l’histoire des États-Unis).Un an plus tard, Lange et Taylor sont engagés par des agences fédérales instituées dans le cadre du New Deal de Roosevelt, ambitieux programme politique et économique conçu pour atténuer les effets de la dépression. Durant trente ans, leur relation professionnelle et personnelle se nourrira d’une volonté commune de créer un récit qui rende compte par le texte et l’image de quelques-unes des grandes étapes de l’évolution de la société américaine. Employés par la Section historique de l’administration fédérale pour la réinstallation (Resettlement Administration – RA), qui deviendra en 1937 la Farm Security Administration (FSA), Lange et Taylor font partie d’un groupe nombreux

de photographes et de sociologues chargé de rendre compte des politiques agricoles fédérales. Ils publient en 1939 l’ouvrage An American Exodus, qui contribue à témoigner des conditions sociales dans les États ruraux. Divers rapports, magazines, revues et quotidiens publient les archives visuelles de la FSA, qui offrent une visibilité exceptionnelle aux photographes qui y ont pris part.Dorothea Lange a certes créé quelques-unes des icônes de la Grande Dépression, mais cette exposition montre d’autres aspects de sa pratique photographique, qu’elle considérait elle-même comme archivistique. En resituant son œuvre dans le contexte de son approche anthropologique, on observe que ses images intimes et poignantes s’enracinent également dans les interactions qu’elle noue avec son sujet, ce qui est manifeste dans les légendes qu’elle rédige pour ses prises de vue. Lange a ainsi considérablement étoffé la qualité informative de ses archives visuelles, produisant une forme d’histoire orale destinée aux générations futures. À travers son travail au profit d’institutions fédérales et la publication de ses images dans la presse illustrée, elle a inlassablement cherché à dénoncer les injustices sociales et à faire évoluer l’opinion publique.La volonté de Dorothea Lange de se rapprocher des personnes qu’elle photographie est particulièrement perceptible dans les cinq ensembles autour desquels s’articulent l’exposition et l’album qui l’accompagne : la période de la Grande Dépression (1932-1934), un choix de photographies réalisées pour la Farm Security Administration (1935-1941), les chantiers navals de Richmond (1942-1944), l’internement des Américains d’origine japonaise (1942) et la série consacrée au travail d’un avocat commis d’office (1955-1957). Enrichie d’une information contextuelle et d’importants documents d’archives, la présentation de « Dorothea Lange. Politiques du visible » au Jeu de Paume replace cette œuvre considérable dans le contexte du documentaire social des années 1930 et 1940, tout en soulignant les qualités artistiques et la force des convictions politiques qui confèrent à leur auteure une place capitale dans l’histoire de la photographie.

Section 1. « Les gens que ma vie a touchés », 1932-1934En 1929, la Grande Dépression frappe l’Amérique. Les populations urbaines et rurales sont durement touchées par cette catastrophe aux causes nombreuses. Une période de forte croissance de la production agricole avait précédé l’effondrement du marché boursier. À la fin des années 1920, la production dépasse largement la consommation, et la chute des prix a de graves conséquences pour les agriculteurs ayant investi dans la terre et du matériel. Par ailleurs, les industries du textile et du charbon enregistrent d’importantes baisses des salaires et du niveau d’emploi. Le déclin des secteurs du pétrole, des transports et de la construction est, dans les années 1930, plus massif encore que celui de l’agriculture, le chômage urbain dépassant celui des États ruraux. En mars 1933, alors que la crise bat son plein, Franklin D. Roosevelt est élu président.C’est dans ce contexte de troubles sociaux considérables que Lange réoriente sa pratique photographique. À partir de 1932, elle abandonne progressivement le portrait de studio pour s’aventurer dans les rues de San Francisco, où elle photographie manifestations et personnes sans abri. Ses portraits urbains comme White Angel Breadline (1933)

Page 9: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

9 · PRÉSENTATION DE L’EXPOSITION

intégrante de son œuvre. Elle produit à cette occasion des images emblématiques, comme Migrant Mother, qui mettent en lumière les difficultés extrêmes qu’affrontent les personnes prises dans le complexe réseau économique de l’agriculture industrielle, victimes des écueils du rêve américain. Accompagnées de la transcription des témoignages oraux qu’elle recueille, ses images constituent autant de souvenirs personnels et intimes d’une histoire devenue source de profondes préoccupations publiques à la fin des années 1930. Cette section présente une sélection de tirages d’époque parmi les quelques 4 000 prises de vue effectuées dans le cadre de cette commande.

Section 3. « Une guerre des deux océans » – les chantiers navals Kaiser, Richmond, 1942-1944Lange détourne son regard de l’agriculture industrialisée telle qu’elle est pratiquée dans la vallée de San Joaquin pour s’intéresser à une nouvelle forme de migration intérieure, celle provoquée au début des années 1940 par l’expansion galopante des industries, des programmes de formation navale et des organisations de défense militaire dans la région de la baie de San Francisco, en Californie. C’est dans ces zones urbaines que s’est installée une partie de la population autrefois méprisée et rejetée de travailleurs agricoles migrants, les « Okies », qui contribuent désormais fièrement à l’effort de guerre. En 1944, Lange est chargée par le magazine Fortune de photographier les chantiers navals Kaiser, jeune entreprise fondée à Richmond pour soutenir cet effort et qui emploie à cette époque près de 100 000 ouvriers non qualifiés grâce à la mise en œuvre de techniques révolutionnaires de fabrication et d’assemblage. La population de San Francisco augmente de 53 % en trois ans. La ville devient un centre industriel multiethnique où affluent les travailleurs non spécialisés assurés de trouver un emploi. Lange photographie les rotations des équipes de trois-huit, l’intense activité du chantier naval, la diversité de la main-d’œuvre, les détails intimes de ses conditions de vie, mais aussi l’isolement et la solitude des nouveaux venus, et en particulier des Afro-Américains, qui demeurent

deviendront plus tard autant d’images emblématiques de cette période. Les milieux artistiques de l’époque apprécient son travail, et Paul Schuster Taylor utilise l’une des photographies de Lange montrant les manifestations du 1er Mai pour illustrer son article consacré à la grève maritime la plus longue et la plus importante de l’histoire des États-Unis, qui est publié en septembre 1934 dans Survey Graphic, une revue progressiste à caractère sociologique. Taylor avait fait la connaissance de Lange au cours de l’été 1934, dans le cadre d’un projet photographique qu’il avait organisé avec l’Unemployment Exchange Association.

Section 2. L’investigation documentaire – le récit de la migration, 1935-1941En 1935, Lange accompagne Taylor à l’occasion de plusieurs voyages d’études sur le terrain, destinés à rendre compte de la situation des migrants ayant quitté le Middle West pour la Californie rurale. Taylor se sert des photographies de Lange pour illustrer les articles qu’il publie dans Survey Graphic, de même que les rapports qu’il adresse aux autorités fédérales. La force des images de Lange est telle que les pouvoirs publics entreprennent de construire des camps d’hébergement au profit des travailleurs agricoles migrants, dans le cadre de la politique du New Deal définie par Roosevelt et qui regroupe de nombreux programmes visant à lutter contre les conséquences dévastatrices de la Grande Dépression dans tous les domaines et partout dans le pays. L’un de ces programmes, la Farm Security Administration (FSA), aboutit à la création des plus vastes archives photographiques jamais constituées aux États-Unis : regroupant plus de 130 000 négatifs, elles rendent compte de la contribution du New Deal à l’endiguement de la pauvreté dans les régions rurales.Lange, qui a couvert vingt-deux États différents, s’est vu confier deux contrats, l’un portant sur la période 1935-1937, l’autre s’étendant de 1938 à la clôture du programme de la FSA en janvier 1941. Elle considère toutefois que les photographies qu’elle réalise pour cette agence font partie

plan de l’exposition

Section 1Section 2

Section 3Section 4

Section 5

Section 2

Section 2

Page 10: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

10 · DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

des parias. Lange s’intéresse également aux infructueuses tentatives des syndicats censés représenter une main-d’œuvre aussi nombreuse que diverse, ainsi qu’au nouveau statut de la femme, devenue ouvrière dans le secteur industriel.

Section 4. L’internement des citoyens américains d’ascendance japonaise, 1942Les différentes séries de photographies réalisées par Dorothea Lange reflètent maints aspects de la géographie culturelle des États-Unis, qui s’est considérablement transformée en raison de l’évolution de la situation politique. Conjugué à la nécessité de produire des documents historiques, son désir de montrer la dignité de personnes plongées dans la détresse, ainsi que la complexité de leur situation, est à l’origine d’une œuvre de portée universelle.En mars 1942, à la suite de l’attaque par l’armée japonaise, le 7 décembre 1941, de la base navale américaine de Pearl Harbor, à Hawaï, le gouvernement fédéral ordonne l’internement de plus de 110 000 Américains d’origine japonaise résidant dans les zones militaires de la côte du Pacifique, l’apogée d’un siècle de racisme dont furent victimes les immigrants asiatiques. Le décret 9066 vise trois générations d’Américano-Japonais, qui sont « transférés » dans dix camps aménagés dans des zones reculées, au climat rude, en Californie, Arizona, Utah, Idaho, Colorado, Arkansas et Wyoming.Lange est mandatée par la War Relocation Authority pour couvrir le déroulement des opérations de déplacement de ces populations, de mars à juillet 1942, dans trois régions de Californie. Sa sensibilité à l’identité des minorités culturelles était déjà patente dans les photographies qu’elle avait réalisées pour le compte de la FSA. Une décennie plus tard, elle rend compte de l’évacuation des Américains d’ascendance japonaise et de leur incarcération, qui durera plus de dix-huit mois. Classées « archives militaires », ces images n’ont été publiées pour la première fois qu’en 2006.

Section 5. L’avocat commis d’office, 1955-1957Dans les années 1950, le système de représentation légale institué en Californie en 1914 au bénéfice des personnes nécessitant une aide juridictionnelle dans les affaires judiciaires avait été adopté par de nombreux États américains. Lange, favorable à la mise en application pratique du concept de justice pour tous, est chargée par le magazine Life de couvrir le sujet dans les locaux du palais de justice du comté d’Alameda, Oakland. Reportage dont la publication était prévue pour mai 1956, à l’occasion de la Journée du droit. On accorde à la photographe l’autorisation de travailler dans les cellules de la prison, ainsi que dans et autour du tribunal ; elle réalise ainsi plus de 450 photographies, créant un récit visuel du quotidien des personnes impliquées. Elle collabore pour ce faire avec Martin Pulich, un avocat américain d’origine yougoslave, qui identifie dans l’approche de Lange un point de vue social et politique reflétant son engagement personnel de public defender (« avocat commis d’office »). Lange travaille plus d’un an sur ce projet, photographiant détails symboliques, personnes en instance de jugement et différents moments de la journée de travail de Pulich. Cet essai photographique met également en évidence les questions relatives aux préjugés raciaux, omniprésents à l’époque dans la région de la baie de San Francisco. Ce travail ne sera en définitive pas publié par Life, mais de nombreux autres journaux le reprennent, de même que la presse internationale, et il est utilisé par la Legal Aid Society (« Société d’aide juridictionnelle ») de New York pour développer les services publics au sein du système judiciaire.

Pia ViewingCommissaire de l’exposition

Washday 48 hours before evacuation of persons of Japanese ancestry from this farming community in Santa Clara County. Evacuees will be housed in War Relocation Authority centers for the duration. San Lorenzo, California, 5 mai 1942

Page 11: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

1920Épouse Maynard Dixon, éminent peintre de l’Ouest américain, père d’une fille de dix ans née d’un précédent mariage. Continuant à travailler dans son studio photographique, elle soutient financièrement sa famille et la carrière de Dixon.

1921-1924Accompagnant Dixon dans ses expéditions de camping en territoires indiens, elle fait ses premières expériences de photographie en plein air.

1925Naissance de son fils aîné, Daniel Dixon, le 15 mai.

1928Naissance de son fils cadet, John Dixon, le 12 juin. Déménage son studio photographique au 802 Montgomery Street.

1930-1931Fait la connaissance de Frida Kahlo et de Diego Rivera à San Francisco. Présente son médecin personnel à Kahlo qui avait également souffert de la polio durant son enfance. La famille Lange-Dixon séjourne durant huit mois à Taos, Nouveau-Mexique. À leur retour, la Grande Dépression a frappé San Francisco. Lange emménage dans son atelier, les enfants sont inscrits en internat.

1933Emporte pour la première fois son appareil photo dans les rues et photographie les conséquences de la crise économique. Réalise la photographie White Angel Breadline.

1934Expose son travail documentaire dans le studio de Willard Van Dyke, à Oakland. Ses photographies sont remarquées par Paul Schuster Taylor, sociologue travaillant à l’université de Californie, qui invite Lange et d’autres photographes à l’accompagner dans un voyage d’études à Oroville, Californie. Celui-ci marque le début d’une association qui allait durer toute leur vie privée et professionnelle.

1935Accompagnant Taylor, photographie les conditions de vie des réfugiés du Dust Bowl et des travailleurs migrants en Californie, pour le compte de la California State Emergency Relief Administration [Administration des secours d’urgence de l’État de Californie], produisant de nombreux rapports destinés aux autorités. Divorce d’avec Dixon et épouse Taylor.

Embauchée par Roy E. Stryker, participe au projet photographique novateur lancé par la Resettlement Administration (RA), agence fédérale créée dans le cadre du programme du New Deal du président Roosevelt ; sillonne les routes des États-Unis et photographie pour le compte de la RA.

1895Dorothea Margaretta Nutzhorn naît le 26 mai à Hoboken, New Jersey.

1902Contracte la polio. La maladie provoque une atrophie permanente de sa jambe et de son pied droit.

1907-1909Son père abandonne sa famille. Dorothea est inscrite au PS62, établissement d’enseignement secondaire du Lower East Side, New York, puis au lycée de jeunes filles Wadleigh High School, à Manhattan.

1913-1914Abandonne sa scolarité au Barnard College for the Training of Teachers [école de formation des enseignants] et commence un apprentissage chez Arnold Genthe, prestigieux photographe portraitiste.

1915-1917Travaille auprès de plusieurs photographes portraitistes, dont Aram Kazanjian, Mrs A. Spencer-Beatty et Charles H. Davis. Suit le cours de photographie dispensé par Clarence H. White. Achète un équipement photographique et entreprend de travailler de manière indépendante.

1918S’installe à San Francisco puis adopte le nom de jeune fille de sa mère, Lange. Fréquente les cercles artistiques de San Francisco et se lie d’amitié avec d’autres photographes comme Roi Partridge, Imogen Cunningham et Edward Weston.

1919Ouvre au 540 Sutter Street, dans le quartier des boutiques de San Francisco, un studio de portraits photographiques qui devient vite très fréquenté.

11 · REPÈRES BIOGRAPHIQUES

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Page 12: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

12 · DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

1936Réalise plusieurs photographies de la travailleuse immigrée Florence Owens Thompson et de ses enfants, dans un campement de cueilleurs de pois à Nipomo, Californie. Intitulée Migrant Mother, la dernière prise de vue de la série deviendra l’image la plus célèbre de Dorothea Lange.

1937-1938La RA devient la Farm Security Administration (FSA). Radiée à maintes reprises de la liste du personnel de la FSA puis réembauchée aussi souvent, Lange continue à photographier un peu partout aux États-Unis, notamment dans le Sud profond.

1939Publie avec Paul Taylor l’ouvrage An American Exodus: A Record of Human Erosion.

1940Dépose une demande de bourse à la Fondation Guggenheim.

1941Son contrat avec la FSA se termine le 1er janvier . Boursière de la Fondation Guggenheim, entreprend un projet consacré aux communautés coopératives religieuses, mais celui-ci est interrompu en raison de circonstances familiales.

1942D’avril à juillet, à la suite du bombardement japonais de Pearl Harbor, photographie l’internement des Américains d’ascendance japonaise sur la côte Pacifique pour le compte de la War Relocation Authority. Contrainte de céder l’ensemble de ses droits, ces photographies demeurent très largement inconnues du grand public ou « saisies ».

1943-1944Employée par l’Office of War Information, réalise des photographies destinées aux revues de propagande diffusées en Europe dans les pays occupés. Collabore avec Ansel Adams sur une série de photographies consacrées aux chantiers navals de Richmond, Californie, en temps de guerre, pour le magazine Fortune.

1945Photographie la première conférence des Nations unies à San Francisco.

1946-1950Souffrant de problèmes de santé, elle ne photographie guère.

1951Reprend son activité photographique, portant son attention sur son foyer, sa famille, la vie citadine dans la région de la baie de San Francisco et les évolutions du paysage social et physique californien.

1952Cofondatrice de la revue Aperture.

1953Collabore avec Adams à l’occasion d’un photoreportage consacré à trois villes mormones en Utah. Seconde Edward Steichen dans la préparation de l’exposition « The Family of Man » au MoMA.

1954Séjourne dans l’ouest de l’Irlande où, accompagnée par son fils Daniel Dixon, elle réalise un photoreportage pour le compte du magazine LIFE.

1955Entreprend le photoreportage Public Defender.

1956-1957En collaboration avec le photographe Pirkle Jones, réalise le photoreportage Death of a Valley.

1958-1963Accompagne Taylor à l’occasion de ses voyages de travail à l’étranger. Séjourne en Asie, Russie, Europe, Amérique du Sud, Égypte et au Moyen-Orient ; photographie de manière sporadique. Sa santé se dégrade ; souffre de douleurs chroniques.

1964Invitée à présenter sa rétrospective personnelle au MoMA, New York, travaille en étroite collaboration avec le commissaire de l’exposition John Szarkowski. Elle souffre d’un cancer de l’œsophage inopérable diagnostiqué en août. La chaîne de télévision de San Francisco KQED vient la filmer chez elle et dans son studio.

1965Dorothea Lange meurt le lundi 11 octobre. La rétrospective Lange est inaugurée au MoMA le 25 janvier 1966.

Page 13: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

13 · BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Publications de Dorothea Lange❙ Lange, Dorothea et Taylor, Paul, An American Exodus: A Record of Human Erosion [1939], nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999.❙ Lange, Dorothea, et Dixon, Daniel, « Photographing the Familiar », Aperture, nº 2, 1952.❙ Lange, Dorothea, et Jones, Pirkle, « Death of a Valley », Aperture, vol. 8, nº 3, 1960, p. 31.❙ Lange, Dorothea, « The Assignment I’ll Never Forget: Migrant Mother », Popular Photography, février 1960, p. 42-43. ❙ Lange, Dorothea, et Mitchell, Margaretta K., To a Cabin, New York, Grossman, 1973. ❙ Levin, Howard M. et Northrup, Katherine, Dorothea Lange: Farm Security Administration Photographs, 1935-1939, 2 vol., Glencoe, The Text-Fiche Press, 1980.

Monographies ❙ Borhan, Pierre (dir.), Dorothea Lange, le cœur et les raisons d’une photographe, Paris, Seuil, 2002. ❙ Coles, Robert (dir.), Dorothea Lange, photographies d’une vie, Köln, Könemann éditions, 1982. ❙ Durden, Mark, Dorothea, Lange [2001], Paris, Phaidon, 2006. ❙ Gordon, Linda et Okihiro, Gary Y., Impounded: Dorothea Lange and the Censored Images of Japanese American Internment, New York, W.W. Norton & Company, 2008. ❙ Gordon, Linda, Dorothea Lange: A Life Beyond Limits, New York, W.W. Norton & Company, 2010.❙ Grillet, Thierry, Walker Evans, Dorothea Lange et les photographes de la Grande Dépression, Paris, Place des Victoires, 2017. ❙ Heyman, Therese T., Phillips, Sanda S. et Szarkowski, John (dir.), Dorothea Lange: American Photographs, San Francisco Museum of Modern Art / San Francisco, Chronicle Books, 1994. ❙ Patridge, Elizabeth, Dorothea Lange: Grab A Hunk of Lightning, San Francisco, Chronicle Books, 2013. ❙ Stourdzé, Sam (dir.), Dorothea Lange: The Human Face, Paris, NBC éditions, 1998.

❙ Whiston Spirn, Anne, Dorothea Lange, Daring to Look, Chicago, University of Chicago, 2008. ❙ Dorothea Lange, New York, Aperture, 2014.❙ Pardo, Alona (dir.), Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018

Filmographie❙ Moore, Richard O., Dorothea Lange, Part I : Under the Trees, 1965, 16 mm, noir et blanc, 27 min. Disponible sur https://diva.sfsu.edu/collections/sfbatv/bundles/191509❙ Moore, Richard O., Dorothea Lange, Part II : The Closer for Me, 1965, 16 mm, noir et blanc, 27 min. Disponible sur https://diva.sfsu.edu/collections/sfbatv/bundles/191510❙ Ropelewski, Thomas, Child of Giants: My Journey with Maynard Dixon and Dorothea Lange, New York City, The Cinema Guild, DVD, 94 min, 2010. ❙ Taylor, Dyanna, Dorothea Lange, Grab a Hunk of Lightning, États-Unis, American Masters, DVD, 111 min, 2014.

Ressources en ligne ❙ Library of Congress (fonds important d’images et de documents autour de Dorothea Lange) : https://www.loc.gov ❙ National Archives (documents du gouvernement fédéral américain) : https://www.archives.gov ❙ OMCA, Oakland Museum of California (archives personnelles de Dorothea Lange suite à plusieurs donations de Paul S. Taylor entre 1966 et 1968) : http://collections.museumca.org/?q=category/2011-schema/art/dorothea-lange ❙ Vues de l’exposition « Dorothea Lange » au MoMA à New York en 1966 : https://www.moma.org/calendar/exhibitions/3483?#installation-images ❙ Calisphere, site administré par l’University of California (nombreux négatifs de l’Oakland Museum of California) : https://calisphere.org/search/?q=%22Dorothea+Lange%22❙ Picture This, California Perspectives on American History (site pédagogique sur l’histoire de la Californie, notamment des années 1930 et 1940, à partir des photographies conservées à l’Oakland Museum of California) : http://picturethis.museumca.org ❙ Photogrammar (photographies de la FSA et de l’OWI, université de Yale) : http://photogrammar.yale.edu

Livres jeunesse (en anglais)❙ boston weatherford, Carole et Green, Sarah, Dorothea Lange: The Photographer Who Found the Faces of the Depression, Albert Whitman & Company, 2017.❙ Rosenstock, Barb et Dubois, Gerard, Dorothea’s Eyes: Dorothea Lange Photographs the Truth, Calkins Creek, 2016.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Consultez les publications sur le magazine en ligne du Jeu de Paume à l’occasion de l’exposition (lemagazine.jeudepaume.org/)

Page 14: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

14 · DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

« Dirigé par Roy Stryker, personnalité charismatique et enthousiaste, chef de la section historique de la Division de l’information, le projet photographique de l’organisation, envisagé notamment pour contrer les attaques des conservateurs auxquelles le programme de Roosevelt était régulièrement confronté, devient de manière inattendue son activité la plus importante. Au cours de son existence, la FSA employa onze photographes : Dorothea Lange, Walker Evans, Arthur Rothstein, Ben Shahn, John Vachon, Marion Post Wolcott, Russell Lee, Jack Delano, John Collier Jr., Carl Mydans et Gordon Parks qui, pendant sept ans, sillonnèrent les États-Unis pour produire, selon les termes de Stryker, une “encyclopédie visuelle de la vie américaine“. L’intention de ce dernier était de recueillir des informations sur l’ensemble des aspects de la vie américaine, mais les photographes portent une attention particulière à la ruralité, diffusant le message du New Deal, à savoir qu’une politique agricole portant ses fruits est essentielle à la bonne santé de l’économie.De 1935 à 1939, Lange est employée par intermittence par la FSA pour photographier la situation critique des ouvriers agricoles migrants, de même que les conséquences des tempêtes de poussière en Californie, en Arizona, au Nevada, au Nouveau-Mexique, en Utah et plus loin encore. Tandis que nombre de réfugiés traversent le pays en direction de l’ouest, Lange photographie les familles de migrants qui se déplacent entassées dans de vieilles voitures ou à pied. Elle témoigne de la dure réalité de la vie sur la route, réduisant à néant l’idée que les Okies – terme péjoratif désignant les réfugiés du Middle West – étaient des bons à rien paresseux, et soulignant l’urgente nécessité d’héberger ces familles de migrants dans des camps gouvernementaux offrant de bonnes conditions sanitaires et de sécurité. La qualité du travail de Lange et la compassion personnelle qu’il exprime, qui expliquent pourquoi ses photographies constituent des documents si émouvants, ont sensibilisé le public américain et suscité un élan de solidarité nationale pour les milliers de migrants de la Grande Dépression. »« L’ère du Dust Bowl », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 51.

« L’aventure commence en 1933, avec l’élection de Franklin Delano Roosevelt à la présidence des États-Unis. Acte I, il nomme Rexford Tugwell, professeur d’Économie à l’université de Columbia, et membre de son “brain trust“ pendant la campagne présidentielle de 1932, au poste d’“Assistant Secretary“ à l’Agriculture (équivalent d’un directeur de ministère français) aux côtés du ministre, Henry Wallace. Acte II, le Président crée la “Agricultural Adjustment Administration“, en vue de venir en aide à l’agriculture américaine, durement touchée par une crise chronique depuis la première moitié des années 1920, et en confie aussi la responsabilité à Rexford Tugwell. Le nouvel “Assistant Secretary“ fait alors venir, pour la durée de l’été 1934, Roy Emerson Stryker, son thésard mais aussi collaborateur, afin de lui confier des tâches de documentation et d’information au sein de la division de l’information de la AAA. C’est ainsi qu’entre en lice celui dont le nom deviendra en quelques années synonyme de tout le travail photographique documentaire du gouvernement fédéral, avant de rentrer au panthéon du documentaire américain sans qu’il n’ait jamais pris une seule photographie. Roy Stryker n’est pas appelé par hasard à ce poste qu’il ne doit pas non plus uniquement aux liens d’amitié qui l’unissent a son mentor. Il a déjà acquis, au cours des années 1920, une certaine compétence dans l’utilisation de matériaux photographiques à des fins didactiques en assurant l’illustration de l’ouvrage d’économie de Rexford Tugwell. Ce sont ces compétences techniques et pédagogiques que Tugwell souhaitent voir mises en œuvre au sein de la nouvelle agence et il fait donc naturellement appel a lui. À l’AAA, sous la direction de Milton Eisenhower, responsable du service de l’information, Stryker rédige et illustre donc des plaquettes de publicité et d’information. Fin de l’acte II.

REPÈ

RES La « Farm Security

administration » (FSA)

Page 15: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

[...] Acte III donc. La “Resettlement Administration“ est créée par décret le 30 avril 1935 avec pour mission de gérer plusieurs programmes d’aide directe et de remise en valeur des terres. Mais bien dans la tradition de confusion et de concurrence interne du “New Deal“ l’agence conserve son autonomie et n’est pas placée sous la tutelle directe du ministère de l’Agriculture. L’administration en est confiée à Rex Tugwell qui reste pourtant “Assistant Secretary“ à l’Agriculture, ce qui n’a rien de surprenant pour l’époque. Dès sa nomination celui-ci demande à Roy Stryker de prendre la direction de la Section Historique, chargée à l’intérieur de la Division de l’Information que dirige John Franklin Carter à la fois de la tenue des archives et de la mise en œuvre de la “pédagogie“ de la nouvelle agence. [...] Avec Arthur Rothstein qui a été son étudiant et devient son premier photographe, il s’installe définitivement à Washington. C’est durant l’acte IV, après le transfert de la “Resettlement Administration“ au ministère de l’Agriculture le 1er janvier 1937, puis sa transformation en “Farm Security Administration“ le 1er septembre, que se développe pleinement l’intrigue bien que le rideau menace à chaque instant de retomber. L’indépendance de l’agence et la spécificité photographique de la Section Historique se renforcent au sein du nouvel organigramme, mais les données de base restent identiques. Pour l’essentiel, Stryker voit dans ce changement statutaire une nouvelle occasion d’imposer sa conception de la photographie ainsi que d’asseoir son pouvoir au sein de l’appareil. [...]Stryker va alors poursuivre avec son équipe le travail de prise de vue, d’archivage et de diffusion d’images, étendant de plus en plus leur domaine d’intervention, jusqu’à leur intégration complète au service spécial de propagande de guerre, le “War Information Office“, le 2 octobre 1942 sous le nom de “Division of Photography“ dépendant du bureau des publications de la section des opérations intérieures (“Domestic Operation Branch“). En mai de l’année suivante, toutes les sections photographiques de l’OWI sont rassemblées sous la responsabilité de Stryker mais la production originale se ralentit alors considérablement et change d’optique. Les derniers photographes de l’ancienne équipe FSA quittent alors la section photographique de l’OWI avant que Roy Stryker lui-même ne démissionne, le 1er octobre 1943. Acte V. Rideau. Si la pièce fut bien applaudie, la gloire ne viendra que plus tard. Voila donc en quelques mots un synopsis au fond bien simple et bien banal dont les temps forts sont aussi ceux de la présidence de Franklin Roosevelt : produit de l’accession à la présidence d’un style politique nouveau, la “Resettlement Administration“ devient “Farm Security Administration“ sous le second “New Deal“, puis elle cesse son activité lorsque le paysage et les données qui lui ont donné naissance disparaissent, emportés par le maelstrom de nouveaux besoins de propagande suscités par la guerre. » Jean Kempf, « L’œuvre photographique de la “Farm Security Administration“ (1935-1943) – Quelques problèmes de rapport entre photographie et société », thèse de doctorat, sous la direction de Roland Tissot, Université Lumière Lyon 2, 1988, chapitre I, p. 25-29, en ligne sur : https://bit.ly/2NCKjzK

« La Farm Security Administration (FSA) est l’incarnation la plus célèbre d’un mouvement plus général de cristallisation du discours documentaire au cours des années 1930. C’est en effet à partir de ce moment seulement qu’émerge, en photographie comme au cinéma, l’idée d’un genre documentaire, pourvu d’une théorie, d’une esthétique et d’une histoire cohérentes, et que se constituent rétrospectivement, dans les deux médias, une généalogie et des figures de maîtres. Bien des commentaires traduisent alors l’impression qu’une pratique diffuse et irréfléchie jusque-là se mettrait soudain à prendre conscience d’elle-même et à se structurer en “école”. Cette évolution se fonde, en photographie, sur la conjonction de deux phénomènes qui, s’ils peuvent paraître antagoniques, sont en réalité concomitants : d’un côte, le réveil d’une fibre sociale et politique face aux méfaits de la Grande Dépression, de l’autre, la reconnaissance du médium comme art à part entière. Pour que la photographie documentaire se constitue en “école” et en alternative reconnue à un certain état de l’art, il a en effet fallu qu’elle vienne à son tour s’inscrire dans l’histoire à laquelle on l’oppose : c’est seulement parce qu’elle entre dans le discours et dans l’institution artistiques que la pratique documentaire peut se donner comme un moyen légitime de transformer l’art, de le faire sortir de sa tour d’ivoire pour l’ouvrir à nouveau sur le monde. Selon cette logique, le projet documentaire posséderait ainsi une double faculté de ressourcement, capable qu’il serait de réformer la société et l’art simultanément, de purifier l’esthétique photographique tout en contribuant à améliorer le monde. » Olivier Lugon, « L’esthétique du document. Le réel sous toutes ses formes », in André Gunthert et Michel Poivert (dirs.), L’Art de la photographie, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007, p. 386-388.

15 · REPÈRES

Page 16: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

Family on the road, Oklahoma, juin 1938

Page 17: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

APPROFONDIR L’EXPOSITION

En regard du parcours et des images de Dorothea Lange, ce dossier aborde trois thématiques :

– « Contexte historique et représentation des États-Unis »– « Photographie documentaire et action sociale » – « Postérité des images, symboles et questionnements »

Afin de documenter ces champs d’analyse et de réflexion sont rassemblés ici des extraits de textes d’historiens, de théoriciens et d’artistes, que les visiteurs et les lecteurs pourront mettre en perspective.

Des orientations bibliographiques permettent ensuite de prolonger et de compléter ces axes thématiques.

Page 18: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

« Même si l’on ne connaît pas son titre, dans le monde entier, et plus particulièrement aux États-Unis, on reconnaît immédiatement Migrant Mother [Mère migrante], la photographie emblématique de Dorothea Lange. Certes, c’est un portrait de la misère et des privations, mais c’est aussi une image de la force et de la dignité et l’un des exemples les plus impérieux jamais créés de la puissance de la photographie à communiquer sur la condition humaine. C’est également, au sein de l’exposition qu’accompagne le présent ouvrage, l’un des exemples les plus mémorables de l’affirmation du pouvoir de la photographie comme source d’inspiration de l’action sociale.Les photographies présentées ici proviennent des Archives Dorothea Lange conservées à l’Oakland Museum of California (OMCA), une collection qui constitue l’un des fonds les plus importants, les plus appréciés et les plus fréquemment consultés du musée. Elle rassemble quelque 40 000 négatifs datant de 1919 environ à 1965, 69 volumes de planches-contacts, 6 000 tirages au gélatino-bromure d’argent, ainsi qu’un important ensemble de documents : correspondance professionnelle, carnets de notes prises sur le terrain, correspondance personnelle avec les membres de sa famille, lettres d’autres artistes et écrivains, comme Ansel Adams et John Steinbeck.Ces archives ont fait l’objet d’une donation à l’OMCA consentie par Paul S. Taylor, l’époux de Lange, qui a professionnellement collaboré avec elle durant trente ans. Une première partie du fonds nous a été cédée en 1966, soit un an après la mort de Lange, à l’âge de soixante-dix ans, des suites d’un cancer. Peu avant son décès, elle préparait avec les conservateurs du Museum of Modern Art de New York une exposition rétrospective de sa carrière qui a été inaugurée à peine trois mois après sa disparition. C’était la toute première exposition personnelle d’une photographe jamais organisée par le MoMA.Il est remarquable de constater aujourd’hui que la donation Taylor et les apports ultérieurs au fonds, en 1967 et 1968, ont eu lieu avant même l’inauguration en septembre 1969 de l’OMCA. Comment une donation aussi extraordinairement

INTRODUCTION généreuse, à l’origine de profondes transformations, est-elle parvenue jusqu’à notre institution qui n’avait à l’époque pas encore défini de programme majeur de collections ou d’expositions ni ne s’était déjà, bien entendu, forgé une réputation nationale ? Et quelle est son importance actuelle pour notre institution ?C’est à Therese Heyman, la conservatrice qui a fondé le département des estampes et de la photographie du musée, que revient pour l’essentiel le mérite de cette acquisition historique. Se souvenant des conversations qu’elle avait eues avec Paul Taylor et Dorothea Lange entre 1962 et 1965, elle avait noté que ses deux interlocuteurs étaient séduits par le champ d’action interdisciplinaire de l’OMCA. Les collections et les salles d’exposition que l’on prévoyait de consacrer à l’Histoire et aux sciences naturelles, tout autant qu’aux beaux-arts, offraient la garantie qu’il serait possible de présenter et de voir les photographies de Lange sous de multiples perspectives. N’ayant jamais tenu sa photographie pour une entreprise exclusivement esthétique, Lange plaidait pour que le contexte dans lequel ses photographies pouvaient être vues inclût également la terre, l’environnement, le lieu et les personnes. Les affinités de Lange et de Taylor pour les opprimés et les laissés-pour-compte les ont peut-être aussi incités à accorder leur confiance à une nouvelle institution sise à Oakland plutôt qu’aux musées de San Francisco, à la réputation déjà bien établie. »Lori Fogarty, « Préface », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 9.

« En 1936, Dorothea Lange (1895-1965), pionnière américaine de la photographie sociale documentaire, réalise une image photographique qui compte parmi les plus emblématiques du XXe siècle. Son portrait de Florence Owens Thompson, connu aujourd’hui sous son simple titre de Migrant Mother [Mère migrante], figure une travailleuse immigrée qui, comme tant d’autres pendant la Grande Dépression, a quitté l’Oklahoma et pris le chemin de l’ouest pour émigrer en Californie. Alors que bon nombre de ses photographies austères mais magnifiques datant des années 1930 traduisent les souffrances et la misère qui ont frappé les États-Unis après la crise de 1929, Mère migrante en est venue à symboliser le stoïcisme et l’endurance de la population américaine face au chômage, à la faim et à la privation de domicile. Lange mène par la suite une brillante carrière, au cours de laquelle elle travaille notamment pour la War Relocation Authority et réalise de nombreux photoreportages pour LIFE et d’autres publications, mais l’œuvre de toute une vie a été largement éclipsée par sa plus célèbre image devenue véritable icône. Première exposition majeure consacrée à son travail depuis plus de vingt ans au Royaume-Uni et en France, “Dorothea Lange. Politiques du visible“, que le présent catalogue accompagne, entend rétablir l’équilibre et resituer Lange en tant qu’incarnation d’une voix critique dans la photographie du XXe siècle et figure fondatrice de la photographie documentaire.Militante de l’image et précoce défenseuse de l’environnement, Lange était une femme impressionnante d’énergie et de résilience. Ayant grandi dans l’adversité, elle devient dans les années 1920 une photographe portraitiste

18 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 19: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

19 · INTRODUCTION

à succès, immortalisant devant son objectif la fine fleur de la bonne société et des cercles artistiques de San Francisco. Son travail connaît cependant un tournant décisif en 1933 quand, sous l’effet de l’inéluctable réalité de la Grande Dépression, elle descend pour la première fois dans la rue pour photographier la marée de travailleurs migrants qui avaient quitté l’Oklahoma, l’Arkansas et d’autres régions appauvries du sud des États-Unis pour tenter leur chance dans les rues et les champs de Californie. Ardente porte-parole de la photographie et de son pouvoir à opérer des changements, Lange utilise son appareil photo comme un outil de lutte politique pour mettre en accusation la société qu’elle juge responsable d’injustices cruelles et d’intolérables inégalités.Sa volonté de mettre en lumière les défaillances de la société trouve son apogée dans le travail qu’elle réalise de 1935 à 1939 pour la Farm Security Administration (FSA, anciennement Resettlement Administration, RA), agence fédérale chargée de promouvoir le programme du New Deal de Franklin D. Roosevelt. Engagée par la division de l’Information de la FSA, Lange a pour mission de rendre compte des conditions de vie misérables des petits fermiers déplacés durant la Grande Dépression, dans l’espoir de contribuer à un réel changement. En 1942, à la suite des événements de Pearl Harbor, elle travaille pour la War Relocation Authority, photographiant la soi-disant “évacuation“ des citoyens américains d’ascendance japonaise et leur réinstallation dans des camps d’internement. Consécutif à l’hystérie antijaponaise qui s’empare du pays à cette époque, son travail documentaire montrant les rassemblements et l’incarcération des populations nippo-américaine va à l’encontre des intentions propagandistes de l’agence fédérale qui l’emploie, et constitue une virulente condamnation de ce chapitre méconnu de l’histoire moderne des États-Unis. »Jane Alison et Marta Gili, « Avant-propos », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 11-12.

A large sign reading « I am an American » placed in the window of a store, at 401–403 Eight and Franklin streets, on December 8, the day after Pearl Harbor. The store was closed following orders to persons of Japanese descent to evacuate from certain West Coast areas. The owner, a University of California graduate, will be housed with hundreds of evacuees in War Relocation Authority centers for the duration of the war. Oakland, California, mars 1942

Page 20: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

« “Je n’ai aucune crainte pour l’avenir de notre pays ; il resplendit d’espoir”. Telle est la note dominante du discours d’inauguration du président Hoover, le 4 mars 1929. Depuis sept ans, il est vrai, les États-Unis connaissent un essor sans précédent, et les années 1922-29 restent connues dans l’histoire sous le nom significatif de Prospérité. Pourtant, moins de huit mois après cette expression retentissante de l’optimisme officiel, survient le Krach de Wall Street. […]Dans les campagnes, paradoxalement, la misère n’est pas moins grande, car l’agriculture américaine a été la parente pauvre de la Prospérité. Pendant la Grande Guerre, sous la pression de l’énorme demande européenne, les fermiers américains avaient accru leurs emblavures et leur cheptel, acheté du matériel, tandis que les compagnies d’assurance faisaient queue à leur porte pour leur accorder des crédits. La terre avait atteint des prix records. Puis, avec la fin des hostilités, les champs de la vieille Europe avaient été remis en culture, le marché s’était effondré. À la différence des villes, les campagnes ne se relèvent pas totalement de la crise économique de 1920-21, et les prix agricoles se redressent moins que les prix industriels. […] Aux difficultés conjoncturelles, s’ajoutent celles qui viennent de l’environnement. Les sols américains ont paru d’une étonnante fertilité tant qu’ils étaient couverts par la forêt ou par l’épais manteau de la prairie. Mais les déboisements inconsidérés, le piétinement des troupeaux dans le Far West, les progrès de la monoculture, des façons culturales peu soignées ont ruiné ce fragile équilibre. Dans de nombreuses régions, l’érosion du sol lamine chaque année les revenus déjà maigres des agriculteurs, et parfois survient la catastrophe, sécheresse ou inondation qui détruisent la récolte. […]Dans le sud, malgré les températures plus clémentes, la misère est plus dramatique. Depuis l’abolition de l’esclavage, les Noirs et les pauvres Blancs vivent sous le régime du métayage. Au début de la saison, le propriétaire leur avance les semences, les vivres et si nécessaire les outils qu’ils remboursent au moment de la récolte. Après 1929, l’effondrement des cours, le poids des dettes empêchent

les propriétaires de consentir les avances habituelles. Les métayers sans ressources et sans travail mendient et n’ont souvent pas de quoi manger dans ces régions de monoculture de tabac ou de coton. Mais les plus démunis de tous sont sans doute les travailleurs migrants, qui sur les grandes exploitations spécialisées dans la culture industrielle des fruits et des légumes, font la cueillette ou répandent les engrais et les insecticides. »Denise Artaud, « L’Amérique en crise », in Images de l’Amérique en crise, photographies de la Farm Security Administration, 1935-1942, Paris, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, 1979, p. 3-5.

« Lorsqu’il était gouverneur de l’État de New York, Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) avait trouvé en Rexford Tugwell (1891-1979), professeur d’économie à Columbia et membre du brain trust, son cabinet informel de professeurs de cette université, un collaborateur précieux pour l’originalité des solutions qu’il proposait à des problèmes économiques insolubles. Après avoir été élu président en 1932 sur le slogan d’un “New Deal“ qui fournirait à tous de meilleures possibilités d’emploi, Roosevelt fit entrer Tugwell dans son administration en qualité d’assistant du secrétaire à l’Agriculture et le chargea de définir des stratégies pour apporter la “nouvelle donne“ aux agriculteurs qui luttaient pour survivre aux termes des programmes en vigueur.L’économie américaine avait tablé si longtemps sur sa richesse rurale que le département de l’Agriculture avait pris de l’importance et était devenu l’une des plus grandes administrations du gouvernement fédéral. En règle générale, ses programmes subventionnaient les exploitants prospères afin de les inciter à embaucher des ouvriers agricoles. Lorsque la Dépression s’installa, ce système se délabrait déjà sur le territoire américain et à l’étranger. Au lieu de redistribuer l’aide fédérale, les agriculteurs utilisèrent ces subsides pour mécaniser leurs exploitations et renvoyèrent leurs ouvriers, les plongeant dans le cauchemar d’une embauche inexistante et de programmes de protection sociale inadaptés au chômage. »Beverly W. Brannan, « Laisser une empreinte sur le monde », in Gilles Mora et Beverly W. Brannan, Les photographes de la FSA. Archives d’une Amérique en crise, 1935-1943, Paris, Seuil, 2006, p. 9.

« Pendant trois siècles, la frontière ouest n’a cessé de reculer, attirant les hommes blancs comme des aimants. Cette tradition continue aujourd’hui à pousser des Américains désespérés, démunis mais déterminés vers les confins de l’ouest, jusqu’aux bords les plus extrêmes du Pacifique.Cependant, la colonisation et la mécanisation ont transformé notre frontière. La terre est déjà occupée, et les hommes la labourent à l’aide de machines, comme dans les usines, ou en employant une main-d’œuvre organisée en équipes comme dans la production industrielle.Les routes font partie de ce processus de mécanisation. Leurs surfaces goudronnées voient défiler d’énormes camions qui transportent les récoltes vers les marchés. Des travailleurs supplémentaires affluent sur ces mêmes routes, venant d’aussi loin que le Mississippi, et qui ne cessent d’aller et venir le long des vallées californiennes, suivant le trajet des récoltes. La possibilité de trouver un emploi temporaire dans un marché du travail inorganisé – puisque

20 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

CONTEXTE HISTORIQUE ET REPRÉSENTATION DES ÉTATS-UNIS

Page 21: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

aucune qualification n’est requise – constitue notre nouvelle frontière, notre nouvel Ouest. »Dorothea Lange et Paul Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion [1939], nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. CCI.

« L’Amérique s’est faite par la route et les États progressivement conquis ne sont devenus unis que par ses tracés. Et cela deux fois : dans la première moitié du XIXe siècle d’abord quand Benton et Whitney plaident, rouerie politique et rêverie mythique mêlées, pour ouvrir à travers le continent américain une route vers l’Inde ; après la Seconde Guerre mondiale ensuite quand les États-Unis, choix économique et stratégique, se dotent d’un réseau d’autoroutes qui va achever de fermer la longue parenthèse de la suprématie symbolique du rail. Ainsi, from trails and dirtroads to turnpikes or freeways, la route a été l’instrument de la conquête et de la maîtrise du territoire. Il ne faut donc pas s’étonner si sa description et sa représentation occupent une place privilégiée dans les deux domaines d’expression qui rendent compte avec constance des transformations de la société américaine : la littérature et la photographie, l’une et l’autre ayant simultanément une dimension populaire et documentaire et une ambition artistique et réflexive. Dans les fluctuations du récit de voyage des premiers dime novels racontant les exploits des aventuriers de l’Oregon trail à Joan Didion ou Jayne Anne Phillips qui mettent en scène des intoxiqués de l’autoroute il y a plus d’une analogie avec la transformation de la pratique du paysage photographique depuis les émerveillements des explorateurs topographes qui vers 1870 exploraient la frontière mouvante de l’ouest jusqu’aux ironiques constats de Lee Friedlander et de Lewis Baltz. [...]Dans les photographies des pionniers, selon un procédé – car il s’agit d’un parti de prise de vue et non d’une nécessité géographique – qu’exploiteront ensuite la plupart de leurs successeurs, l’au-delà de la passe est invisible, car le chemin monte ou la route tourne ; la Terre promise n’est pas révélée. Le point de vue choisi vaut métaphore du désir de possession de ces terres à découvrir et se veut rappel de la persévérance nécessaire pour y parvenir. L’éloge de l’énergie américaine double l’ode à la nature. O’Sullivan est par excellence l’illustrateur de ces vertus nécessaires : sur une photo intitulée Sand dunes, Carson Desert, Nevada, un chariot de pionniers fait halte dans un paysage ou la seule route existante est celle que vient de tracer le véhicule tandis que dans la photo de The “W“, Pike’s Peak Carriage Road se voit un convoi de voitures rustiques sur le chemin sinueux qui traverse un paysage désolé. Mais ces cheminements difficiles sont des progrès et ces paysages arides sont pleins de grandeur. Tout à l’opposé, parlant d’échec et de misère, est la vision de la route proposée par ces autres chargés de mission gouvernementale que sont les photographes de la FSA. La plus radicale de leurs images de la route est celle prise par Dorothea Lange de The Road West, New Mexico, qui établit un prototype de la photographie américaine auquel tous les photographes de la route à venir se mesureront, refaisant cette image frontale d’une chaussée s’ouvrant largement au premier plan et tirant le regard jusqu’à l’horizon dans un plat paysage désespérément vide. Par son point de vue frontal et son cadrage, les bords de

la route coupant le cadre sur les côtés verticaux, cette photographie situe imaginairement le spectateur sur la route et le fait participer intensément au symbolisme de l’image. Le raccourci de la perspective fait que la route si largement déployée au premier plan devient rapidement, à l’occasion d’une légère dépression du terrain, mince et étroite ; cette cassure, l’apparente fragilité de la route de plus en plus mince au fur et à mesure qu’elle s’éloigne à l’horizon, l’inclinaison biaise de celui-ci, le fait que la route semble se prolonger indéfiniment sans aboutir nulle part et que le désert qu’elle traverse paraisse sans fin, en font un symbole de la désespérance, de l’impossibilité du changement escompté par les voyageurs qui se sont engagés sur elle. À la fin du voyage, tout la-bas, au-delà de l’horizon, il n’y aura a cueillir que The Grapes of Wrath qu’a dits John Steinbeck. Cependant les photographes de la FSA font aussi des images directes de ceux qui sont obligés de se lancer sur la route de l’exil. [...] Ainsi, à l’occasion de ce drame de l’histoire américaine, la route devient un lieu de révélation de la douleur des hommes ; mais c’est aussi le lieu où s’invente une rhétorique efficace de l’image documentaire. »Jean Arrouye, « L’imaginaire de la route américaine », in Revue française d’études américaines, nº 48-49, avril-juillet 1991 (en ligne : https://www.persee.fr/doc/rfea_0397-7870_1991_num_48_1_1438)

« Un an avant la publication de son roman The Grapes of Wrath [Les Raisins de la colère] (1939), un texte qui a marqué son époque, John Steinbeck publie un recueil d’articles, Their Blood is Strong [Les Bohémiens des vendanges] (1938), compte rendu déchirant des déplorables conditions d’existence des travailleurs migrants dans la vallée centrale de Californie, qu’il décrit comme des “Américains débrouillards et intelligents […] des bohémiens par la force des circonstances“. La photographie de Lange Drought Refugees from Oklahoma Camping by the Roadside [Réfugiés pour cause de sécheresse, originaires d’Oklahoma, campant au bord de la route], datant d’août 1936, en illustre la couverture et vingt-deux autres photographies sont reproduites dans l’ouvrage. Au moment de sa publication, Steinbeck achevait l’écriture des Raisins de la colère. S’étant entièrement consacré au roman pour lequel il avait consacré de nombreuses heures à consulter les archives de la FSA, le romancier avait été profondément touché par les photographies de Lange.Le récit qu’il livre de l’époque du Dust Bowl est ancré dans son expérience personnelle, directe, des conditions de vie des travailleurs migrants. Ayant visité le camp d’Arvin, dans le comté de Kern, aménagé par les pouvoirs publics, Lange et Steinbeck en repartent avec la ferme conviction que la réorientation des subventions fédérales vers l’amélioration des conditions de vie dans les camps contribuerait pour beaucoup à résoudre le douloureux problème de ces populations déplacées. Leur rencontre avec Tom Collins, le directeur du camp, s’avère décisive tant pour Lange que pour Steinbeck, qui s’en est inspiré pour créer le personnage de Jim Rawley.Les Raisins de la colère narre les tribulations de petits fermiers déracinés, la famille Joad, des Okies qui émigrent vers l’ouest, vers une terre promise de “petites maisons blanches et des orangers tout autour“. Au cours de leurs pérégrinations, ces exilés sont en butte à maints faux

21 · CONTEXTE HISTORIQUE ET REPRÉSENTATION DES ÉTATS-UNIS

Page 22: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

espoirs et inexorables difficultés. Steinbeck ambitionnait de “marquer du sceau de la honte les salauds cupides responsables de cette situation“. Faisant écho aux récits visuels de Lange, la prose vivante et détaillée de Steinbeck se focalise sur “la petite image dans la grande image“ et brandit un miroir sous les yeux de la société au travers de portraits d’individus et des circonstances particulières qu’elle retrace. Comme le résume D. G. Kehl, “la situation tragique avait abouti aux images et les images à la prose puissante“. »« Les Raisins de la colère » in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 106.

« Les errants, les émigrants, étaient devenus des nomades. Des familles qui avaient jusque-là vécu sur un lopin de terre, dont toute l’existence s’était déroulée sur leurs quarante arpents, qui s’étaient nourries – bien ou chichement – du produit de leurs quarante arpents, avaient maintenant tout l’Ouest comme champ de pérégrinations. Et elles erraient à l’aventure, à la recherche de travail ; des flots d’émigrants déferlaient sur les autostrades et des théories de gens stationnaient dans les fossés bordant les routes. Et derrière ceux-là, il en arrivait toujours d’autres. Les autostrades grouillaient de véhicules de toutes sortes. Ces régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest avaient été habitées jusque-là par une population agrarienne que l’industrialisation n’avait pas touchée ; des paysans simples, qui n’avaient pas subi le joug du machinisme et qui ignoraient combien une machine peut être un instrument puissant et dangereux entre les mains d’un seul homme. Ils n’avaient pas connu les paradoxes de l’industrialisation à outrance et avaient gardé un jugement assez sain pour discerner toute l’absurdité de la vie industrielle.Et brusquement, les machines les chassèrent de chez eux et les envoyèrent peupler les grandes routes. Et avec la vie nomade, les autostrades, les campements improvisés, la peur de la faim et la faim elle-même, une métamorphose s’opéra en eux. Les enfants qui n’avaient rien à manger, le mouvement ininterrompu, tout cela les changea. Ils étaient devenus des nomades. L’hostilité qu’ils rencontraient partout les changea, les souda, les unit – cette hostilité qui poussait les habitants des petites villes et des villages à se grouper et à s’armer comme s’il s’agissait de repousser une invasion – sections d’hommes munis de manches de pioches, calicots et boutiquiers munis de fusils de chasse – de défendre le monde contre leurs propres concitoyens.Le flot perpétuellement renouvelé des émigrants fit régner la panique dans l’Ouest. Les propriétaires tremblaient pour leurs biens. Des hommes qui n’avaient jamais connu la faim la voyaient dans les yeux des autres. Des hommes qui n’avaient jamais eu grand-chose à désirer voyaient le désir brûler dans les regards de la misère. Et pour se défendre, les citoyens s’unissaient aux habitants de la riche contrée environnante et ils avaient soin de mettre le bon droit de leur côté en se répétant qu’ils étaient bons et que les envahisseurs étaient mauvais, comme tout homme doit le faire avant de se battre. [...]Et les Sociétés et les Banques travaillaient inconsciemment à leur propre perte. Les vergers regorgeaient de fruits et les routes étaient pleines d’affamés. Les granges regorgeaient de produits et les enfants des pauvres devenaient

rachitiques et leur peau se couvrait de pustules. Les grandesCompagnies ne savaient pas que le fil est mince qui sépare la faim de la colère. Au lieu d’augmenter les salaires, elles employaient l’argent à faire l’acquisition de grenades à gaz, de revolvers, à embaucher des surveillants et des marchands, à faire établir des listes noires, à entraîner leurs troupes improvisées. Sur les grand-routes, les gens erraient comme des fourmis à la recherche de travail, de pain. Et la colère fermentait. »John Steinbeck, Les raisins de la colère, chapitre XXI, Paris, Gallimard, 2002, p. 396-399.

« On ne voit quasiment pas de manifestations sur les photographies de la FSA – à la différence d’autres sources documentaires, les archives de l’agence Keystone par exemple –, seulement des hommes désœuvrés attendant chacun pour soi le versement des subsides publics. Pas plus qu’on n’y voit, ce qui est plus compréhensible, les accès de violence contre la lenteur ou les insuffisances de l’aide gouvernementale, voire contre le principe même de sa mise en œuvre : quantité de propriétaires terriens, pour ne mentionner qu’eux, s’opposaient à l’installation des camps de transit de peur que les migrants n’en profitent pour s’organiser et déclencher des grèves. Plusieurs anecdotes dénotent d’ailleurs que le travail des photographes de la FSA n’était pas toujours dénué de risques. Il est rare de voir sur les clichés de la FSA des syndicats de fermiers (qui existaient pourtant bel et bien), des coopératives ou toute autre forme d’organisation issue de la profession elle-même. À peine si l’on rencontre à l’occasion le portrait de quelque leader dont on ignore l’action. Là encore, Les raisins de la colère offrent une représentation plus complète (même si elle est biaisée à son tour par l’inspiration mélodramatique de l’œuvre) en montrant la répression policière qui redoublait les violences patronales, ainsi que l’émergence progressive d’une organisation collective chez les ouvriers agricoles allant jusqu’au déclenchement de la grève.Par son souci de démontrer l’efficacité des interventions gouvernementales plutôt que d’illustrer à proprement parler les réalités de la crise à quoi l’État s’attaquait, ou encore (mais c’est lié) par son parti-pris de décrire l’ampleur de cette crise pour mieux démontrer l’urgence de l’action des pouvoirs publics, la FSA offrit des campagnes de cette époque une vision plus morale que réaliste. Qui plus est, elle dépeignit la Dépression comme un drame humain plus que social.Cette distorsion trouve en particulier son origine dans les situations représentées : dans la mesure où la crise des années trente se manifesta par un exode agricole massif, les photographes de la FSA, comme tant d’autres opérateurs à la même époque, multiplièrent les clichés sur ces centaines de milliers de déracinés errant entre le Dust Bowl et la côte Ouest. Dans ce flot désordonné de la fuite, la structure agraire locale avait explosé en une multitude de désastres individuels, chaque famille tentait de s’en sortir par elle-même, pour elle-même. L’individualisation du regard photographique ne faisait que redoubler en image l’individualisation de la déroute.Ce n’est donc pas un hasard si les deux images-phares de la FSA représentent deux familles isolées : The Dust Storm d’Arthur Rothstein et The Migrant Mother de Dorothea Lange.Dans la première, un père et ses deux fils luttent contre la

22 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 23: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

tempête de poussière et de sable qui s’est emparée des étendues de terres en proie à l’érosion, emportant le peu qui reste encore de couche arable, allant jusqu’à ensevelir les maisons. [...]Individus isolés, dévorés par une calamité naturelle qui n’était pourtant rien moins que la résultante d’un système agraire minier fondé sur l’inégalité foncière. Image d’un désastre, mais pas de ses causes. »Sylvain Maresca, La photographie. Un miroir des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 109-111.

« Initialement, la section photographique de la RA, qui allait devenir la FSA, devait rendre compte des efforts engagés par l’administration Roosevelt, d’abord sur le plan de l’agriculture puis sur celui, plus général, de l’aide à l’emploi. Mais une autre ambition vint rapidement s’ajouter, et finit par remplacer la première. Stryker lui conféra, mandaté en cela par Rex Tugwell, une vision personnelle historique, celle-là même qui allait donner à son projet la dimension monumentale que l’on connaît : “To introduce America to Americans“. Les photographes de la FSA, outre les tâches évoquées plus haut, fourniraient de façon concertée (et tous, très vite, prirent conscience de cet objectif, bien plus important, à leurs yeux, que les simples contingences de leur mission officielle) un matériau historique inégalé, rétrospectivement évalué ainsi par Stryker : “Nous avons ouvert un champ neuf concernant le mode de vie américain, en même temps qu’un sujet légitime pour une réflexion visuelle“. Ce dépassement des buts initiaux de la FSA vers un projet de plus en plus concerté, celui d’archiver l’Amérique, s’est, selon les photographes et Stryker lui-même, imposé dès le début. Les opérateurs de la FSA n’étaient pas, on l’a vu, des reporters : plutôt des enquêteurs sans grande spécialisation, mais dotés d’une immense curiosité culturelle, sans cesse attisée par celle de Stryker tout autant que par son énergie communicative. Leur terrain d’investigation recouvrait rien de moins que l’Amérique de leur époque, dans son exhaustivité géographique, économique et sociale. John Vachon, qui venait d’entrer comme archiviste à

la FSA, recommandait à Roy E. Stryker, dans une note datée de 1937, intitulée “Standards of the Documentary Files“, de produire “un document majeur, qui soit comparable aux tombes des pharaons égyptiens, ou aux temples grecs, mais d’une bien plus grande précision“.Cette attitude devant l’événement factuel, délaissé au profit d’un engagement photographique massif sur des sujets de fond, ceux-là mêmes que leur désignait Stryker dans ses fameux “scripts“ dont on a trop souvent survalorisé l’importance, comportait pour les photographes de la FSA une série d’avantages : elle les engageait dans la scrutation d’un territoire géographique et culturel américain nouveau, d’une façon et à une échelle inégalées. Voici que, pour des raisons d’abord démonstratives – illustrer la dimension nationale de la crise –, puis obéissant à un mouvement croissant d’archivisation, le photographe délaissait la côte est et New York, partait explorer de nouveaux pans régionaux, comme le sud-est, l’ouest ou le sud-ouest des États-Unis. Il découvrait des métropoles nouvelles (Chicago, Washington, La Nouvelle-Orléans...), s’intéressait enfin aux villes moyennes, et surtout – cheval de bataille de Stryker – aux petites villes, aux espaces ruraux, jusque-là largement ignorés par la photographie, dont la modernité s’était construite, en Europe comme aux États-Unis, autour des motifs urbains. C’est exactement en ces termes que Russell Lee, l’un des tout premiers opérateurs engagés par Roy E. Stryker en 1936, concevait son rôle : “Je suis un photographe au service d’un pays démocratique, engagé pour témoigner de son territoire et de son peuple. L’idée est de montrer New York aux Texans, et le Texas aux New-Yorkais“. »Gilles Mora, « L’esthétique documentaire de la FSA : entre regard et vision », in Gilles Mora et Beverly W. Brannan, Les photographes de la FSA. Archives d’une Amérique en crise, 1935-1943, Paris, Seuil, 2006, p. 259.

« Un trait distinctif de l’œuvre photographique de Lange, bien que souvent négligé au profit de l’aspect social plus accessible de son travail documentaire, c’est sa propension à braquer son objectif sur différents aspects du corps : pieds,

23 · CONTEXTE HISTORIQUE ET REPRÉSENTATION DES ÉTATS-UNIS

Alabama Negro working in field near Eutaw, Alabama, juillet 1936

Page 24: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

24 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

de 30 x 36 m est inauguré dans la gare de Grand Central à New York, sur toute la hauteur du hall. Réalisé par la section photographique de la Farm Security Administration, cet ultime “plus grand photomural du monde“ n’est a priori rien d’autre qu’une vaste publicité étatique pour l’achat d’obligations de guerre, usant sans complexe d’une esthétique de propagande presque soviétique, avec ses géants allégoriques, ses contre-plongées, son entremêlement du texte et de la photographie. Tout est fait néanmoins pour conférer à cette image fonctionnelle, plantée comme une affiche dans un lieu de transit quotidien, la majesté d’un monument national, capable d’imposer dans l’agitation de la gare un moment de recueillement digne d’un édifice commémoratif. Deux petites figures de gardes armés, cette fois de carton plutôt que de chair et d’os, flanquent l’ensemble, servant tout à la fois à en magnifier l’échelle et à l’imprégner de sacralité. L’inauguration officielle plus encore se charge d’asseoir cette dimension cultuelle. La cérémonie prend presque des allures de fête nationale : radiodiffusée à travers tout le pays et retransmise par haut-parleurs sur Times Square, elle convoque un chœur de mille chanteurs, plusieurs orchestres militaires, la déclamation d’un poème composé pour l’occasion, la présence de représentants des autorités nationales, régionales et locales, ainsi que des milliers d’invités. Une telle pompe, surprenante même en regard des standards de dévoilement des sculptures monumentales, paraît spécialement insolite par rapport à la réalité médiatique d’un panneau photographique en place pour quelques mois seulement. Mais cette disproportion entre la grandiloquence de l’événement et la nature de l’objet consacré pointe précisément toute la difficulté que le photomural a alors à s’imposer par lui-même comme une forme légitime du monument. Elle fait de l’installation de Grand Central l’une des dernières manifestations de cette tension fondamentale entre deux types de grandeurs contradictoires dont on ne cesse de chercher à négocier le rapprochement : celle de l’affiche et celle du monument, soit une image d’assaut contre une image de recueillement, une

mains, torse, poitrine et dos, ainsi que la position des jambes et des pieds sont autant de motifs photographiques reliant tout à la fois son travail de commande et ses photographies plus personnelles. Sa compulsion à photographier le corps et le cadrer en gros plan s’explique peut-être par sa relation problématique avec son propre corps : ayant contracté la poliomyélite à l’âge de sept ans, elle en avait conservé des séquelles, une jambe droite plus courte et un pied contrefait inflexible qui la faisaient boiter. Dans son pertinent essai intitulé “Peculiar Grace“, Sally Stein suggère que Lange focalisait son objectif sur le corps déconstruit comme “site de formation et de déformation sociales“ ; le corps fracturé devient par conséquent dans ses images métaphorique de la nature de l’aliénation économique et sociale, vécue en l’occurrence par les réfugiés du Dust Bowl et les travailleurs migrants qu’elle a photographiés durant les années 1930.Si la documentation que rapporte Lange concernant la période de la Grande Dépression se concentre principalement sur la souffrance humaine qu’elle a rencontrée sur le terrain, la photographe aguerrit également son regard pour observer l’architecture vernaculaire qui ponctue le paysage : modestes églises en bois, silos à grains, stations-service, maisons dogtrot traditionnelles du sud-est, scènes de rue, boutiques et enseignes. Alors que son regard est teinté d’une émotion poignante qui distingue son travail de l’approche documentariste objective adoptée par un Walker Evans, ses photographies d’architecture visent un dessein politique distinct et servent d’appel à une urgente réforme agricole. Linda Gordon soutient qu’avec Dust Bowl, Grain Elevator, Everett, Texas (juin 1938), par exemple, Lange traite un silo à grains comme une église pour suggérer que l’“agriculture à grande échelle, dévorant toujours plus de terres et de personnes, était devenue un objet de culte“. »« Le corps et la forme », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 130.

« C’est ainsi qu’aux États-Unis, quelques jours après l’entrée en guerre du pays en décembre 1941, un photomontage

Migratory cotton picker, Eloy, Arizona, 1940

Page 25: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

exaltation de l’impact instantané contre un ancrage dans la longue durée, une production rapide et bon marché contre un fort investissement matériel et symbolique. »Olivier Lugon, « Entre l’affiche et le monument, le photomural dans les années 1930 », in Olivier Lugon (dir), Exposition et médias, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2012, p. 114-115.

« En 1942, Lange est missionnée par le ministère fédéral de la Guerre pour documenter le déplacement forcé et la détention de plus de 100 000 Américains d’ascendance japonaise. Bien que cette politique fût formulée comme une nécessité en temps de guerre, Lange s’oppose farouchement à l’internement, refusant à sa façon caractéristique de présenter la version édulcorée des événements telle que voulue par les pouvoirs publics. Éprouvant un sentiment d’impuissance face à ce qu’elle considère comme une monstrueuse iniquité, elle souffre, pour la première et unique fois de sa vie, de ce qui ressemble à une dépression nerveuse. Rien d’étonnant à ce que nombre des photographies issues de ses prises de vues dénonçant sans concession la politique gouvernementale fussent officiellement confisquées par l’armée et censurées dans les faits durant trois décennies. Comme dans le cas de ses photographies de réfugiés du Dust Bowl, soixante-quinze ans après la “réinstallation“ des Nippo-Américains, ses images constituent aujourd’hui un point d’accès majeur pour la compréhension de cet épisode tragique.L’action du gouvernement censurant ces images constitue en soi, bien entendu, un témoignage de la vision de Lange et un puissant exemple des politiques du visible. Lange a déclaré que, en tant que photographe, “on est à vrai dire nourri et soutenu par notre capacité de voir. On regarde, on examine tout, non seulement l’apparence des choses, mais aussi ce que l’on ressent“. On peut soutenir que la production de Lange était en totalité motivée par la conviction que la vision des souffrances endurées par des gens ordinaires crée une empathie généralisée qui provoque un changement. Quelle que fût la valeur esthétique de ses photos, celle-ci était à ses yeux secondaire, le simple sous-produit d’un travail bien fait. “Si l’on peut s’approcher de la vérité, la photographie est lourde de conséquences, ajoute-t-elle. La bonne photographie, ce n’est pas l’objet. L’objet, ce sont les conséquences de la photographie […] de sorte qu’il ne viendrait à personne l’idée de dire : ‘Comment l’avez-vous faite ? Où l’avez-vous trouvée ?’, mais que d’aucuns diraient que ‘de telles choses existent’.“Ces mots constituent l’acte d’accusation constamment remis à jour de la documentariste, quel que soit son médium : pour nous rappeler, à nous tous, que de telles choses peuvent exister, et qu’elles existent, pour que nous puissions établir une relation avec les autres que nous pourrions sinon ignorer. Aux yeux de Lange, telle était la valeur ultime d’une photographie. “Qu’est-ce que c’est, en définitive ? C’est un morceau de papier encadré, sur lequel il y a une image photographique argentique. Mais il y a en elle un élément qu’on ne peut pas appeler autrement qu’un acte d’amour. C’est cela la formidable motivation qui l’anime. Puis on l’offre. Mais pas à quelqu’un, on l’offre au monde, à notre monde […] un acte d’amour – c’est la chose la plus profonde qui en est à l’origine […] Le public, son destinataire, l’offre en retour“. »

Drew Heath Johnson, « Dorothea Lange et les politiques du visible », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 19.

« Regarder les photographies de Lange consacrées aux rassemblements et à l’incarcération des Nippo-Américains en 1942, c’est une expérience particulièrement troublante à l’époque de la présidence de Donald Trump. Photographiant ces rafles durant les premières semaines, Lange a parlé de son désir de représenter les ”modalités des opérations”. ”Dès lors que les gens sont alignés pour être enregistrés, inspectés et évacués, écrit Gordon, leur vie antérieure semblait disparaître. Une population stratifiée par classes sociales et par de nombreuses autres identités, à l’instar de toute population, était désormais homogénéisée.” Entre le bombardement japonais de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, la déclaration de guerre proclamée le lendemain et la signature par Roosevelt du décret 9066 en février, deux mois seulement se sont écoulés. L’incarcération diligente de près de 120 000 Américains d’origine japonaise, dans des camps de concentration, pour certains auteurs, ou d’internement, pour d’autres auteurs, s’est prolongée jusqu’à la fin de la guerre. L’identification “raciale“ de trois générations d’individus d’ascendance japonaise a été facilitée par les données censément confidentielles fournies par le bureau fédéral du recensement. (De la même façon, à la suite du 11-Septembre, il a été dit que l’administration Bush s’était assuré le concours du bureau du recensement pour identifier les musulmans résidant aux États-Unis.) […]Mais tout d’abord, pourquoi ces photographies ont-elles été commandées ? Il n’existe pas véritablement de consensus sur la réponse à apporter à cette question, mais il se pourrait que le gouvernement fédéral ait voulu pouvoir étayer ses déclarations affirmant que les internés étaient bien traités. Il va sans dire qu’il était interdit de photographier les tours de garde, les clôtures de barbelés, les soldats armés ou d’autres éléments visuels susceptibles de suggérer que ces camps étaient des prisons – ce qui était pourtant bien le cas. Lange fut confrontée à d’incessantes difficultés quand elle voulait photographier dans les camps : outre les formalités administratives tatillonnes requises pour y entrer, il lui fallait surmonter l’obstruction, si ce n’est l’hostilité du personnel militaire. Il y a lieu de se demander pourquoi elle avait accepté d’honorer pareille commande. Bien que Lange et Taylor fussent opposés à l’internement, tous deux finirent par collaborer de diverses manières avec le gouvernement fédéral dans le cadre de cette entreprise et d’autres ultérieures. Un certain nombre d’auteurs ont cependant fait valoir que tous deux s’estimaient moralement obligés d’agir politiquement “de l’intérieur“, et qu’ils étaient fermement opposés aux idéologies racistes qui inspiraient l’internement. Il semble évident que Lange espérait que la documentation qu’elle rassemblait ainsi servirait à quelque chose dès lors que les photographies seraient diffusées dans la presse. »Abigail Solomon-Godeau, « Dorothea Lange : réflexions sur des archives », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 33-34.

25 · CONTEXTE HISTORIQUE ET REPRÉSENTATION DES ÉTATS-UNIS

Page 26: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

26 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Jilke Golbach, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 266.

« L’intitulé même de notre “objet d’étude”, la photographie sociale, appelle quelques remarques préliminaires. Lier les deux mots “photographie” et “sociale” semble aller de soi. La photographie comme technique d’enregistrement visuel semble un bon outil de témoignage et, par la même, d’observation, sinon de description, de ce qu’il est convenu d’appeler “la réalité sociale” ou, les faits de société. Je rappelle que la notion même de “fait”, qui induit l’idée d’observation, a été déterminante depuis le dix-neuvième siècle, pour la définition des possibilités de la photographie ; elle a permis et elle soutient encore l’idée de photographie documentaire.Photographie documentaire et photographie sociale sont liées d’abord par le présupposé qu’il existe des faits sociaux, qu’on peut les isoler et les livrer à l’interprétation.La photographie dite “documentaire” serait un vaste domaine de production d’images, une catégorie très inclusive, dans laquelle on pourrait découper un secteur plus restreint, qui serait la photographie sociale. À vrai dire, la distinction des deux termes “documentaire” et “sociale” induit – on l’entend immédiatement – un écart entre une attitude d’objectivité, neutre, du côté du documentaire, et une autre attitude, du côté du social, qu’il est difficile de qualifier ; on peut parler de parti pris, d’engagement. J’espère que nous pourrons commencer à voir ce qu’il faut ou, du moins, ce que l’on peut penser de cette distinction, en nous appuyant sur des cas et des moments spécifiques. Nous ne pourrons évidemment pas faire l’économie des questions éthiques et politiques. Nous serons amenés à nous interroger sur la question déterminante de l’action photographique, ou de la photographie comme moyen d’action.L’engagement au sens donné à ce mot par Jean-Paul Sartre, concernait les intellectuels et les artistes, c’est-à-dire ceux et celles qui produisent des idées et des formes. C’était une double réponse à l’actualité. Actualité de la Guerre froide, mais aussi actualité d’une question : celle de la responsabilité des idées et des formes artistiques (j’entends le mot “art” dans un sens large qui inclut la littérature). L’engagement était une manière de prendre parti, au-delà des partis politiques, sur des questions sociales et politiques, dans une visée progressiste et radicale de transformation, inspirée du marxisme. Sartre a donné l’exemple. L’idée d’engagement, aussi datée et problématique soit-elle, a le mérite de ramener avec elle la notion complémentaire de “situation”. Il me semble assez clair que le ou la photographe qui s’intéresse à un phénomène social ne peut se contenter de produire des faits ; il ou elle se trouve immédiatement pris ou prise, engagé(e) dans une situation. » Jean-Francois Chevrier, « Introduction », actes de la journée d’études « Photographie sociale / photographie documentaire », organisée par la Fondation Henri Cartier-Bresson et le Jeu de Paume, Paris, 10 décembre 2011.

« Jetons un coup d’œil, maintenant, à ce qui se passe vers trois heures du matin sous le pont de Brooklyn par une nuit neigeuse et froide. En observant ces garçons blottis les uns contre les autres et pourtant aux aguets, attendre

« La photographie documentaire témoigne de la société de notre époque. Elle reflète le présent et constitue une archive pour l’avenir. Elle se concentre sur l’individu dans sa relation à l’humanité. Elle enregistre ses comportements dans le travail, la guerre, le jeu, ou le déroulement de ses activités pendant les vingt-quatre heures d’une journée, le cycle des saisons ou le cours d’une vie. Elle dépeint les institutions – famille, Église, gouvernement, organisations politiques, clubs, syndicats. Elles ne montrent pas seulement leurs façades mais cherche à dévoiler comment elles fonctionnent, abritent la vie, imposent une loyauté et influencent la conduite des êtres humains ». Dorothea Lange, « Documentary Photography », in T.J. Maloney, Dr. Grace McCann Morley et Ansel Adams (éd.), A Pageant of Photography, 1940, cité in Pierre Borhan, Dorothea Lange. Le cœur et les raisons d’une photographe, Paris, Seuil, 2002, p.17.

« En octobre [1940], Lange pose sa candidature pour obtenir une bourse du Guggenheim Fellowship, offerte aux personnalités “ayant démontré des aptitudes exceptionnelles en matière de recherche universitaire ou une créativité exceptionnelle dans le domaine des arts“, et précédemment décernée à Edward Weston (1937, 1938), Walker Evans (1940) et Paul Taylor (1930). [...]Lange est la première femme photographe (et la seule au cours des dix-huit années suivantes) à bénéficier d’une bourse du Guggenheim Fellowship, pour son projet de photoreportage consacré aux modes de vie en Amérique rurale, dont elle précisera ultérieurement l’objet : trois communautés coopératives religieuses des huttérites, des colonies Amana et des shakers. [...]En conclusion de son projet pour la bourse du Guggenheim Fellowship, Lange écrit : “Je suis convaincue que l’appareil photo est un puissant moyen de communication ; je suis également convaincue que c’est un outil précieux pour la recherche sociale, qui n’a pas encore été développé dans toutes ses capacités“. » 

PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE ET ACTION SOCIALE

Page 27: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

ensuite dans le sujet avec enthousiasme et sympathie (car la photographie sans enthousiasme est comme un pique-nique sous la pluie). Le photographe du quartier (à moins qu’il ne soit l’oiseau rare) ne pourra pas faire grand-chose pour vous. Réglez la question vous-même, mieux vaut peu de technique et beaucoup de cœur que l’inverse. »Lewis Hine, « Sur la photographie sociale, 1909 », Michel Frizot et Francoise Ducros (dir.), Du bon usage de la photographie, Paris, Centre National de la Photographie, coll. « Photopoche », p. 117-121.

« Dans les années de l’entre-deux-guerres, trois quarts de siècle après son invention, la photographie affirme son statut de médium démocratique. À côté des efforts d’Alfred Stieglitz pour la “purifier“ et l’ancrer durablement dans l’élite culturelle, elle pénètre toutes les couches de la société et devient un médium à la fois populaire et élitiste, affirmant son potentiel en tant qu’art à part entière et sa capacité à participer au débat de société. Si la photographie, et au-delà l’image et le son, s’établissent très vite comme des médias contemporains par excellence, ils le doivent à plusieurs causes que l’historien Warren Susman a analysées dans un remarquable essai, “The Culture of the Thirties“, publié dans son ouvrage Culture As History.Premièrement, elle continue à porter la valeur de véracité en montrant ce que l’œil ne peut voir en raison de la taille, de la vitesse (ce sera alors plutôt la photographie scientifique dont la diffusion se répand) ou de l’éloignement (images expéditionnaires, géographiques et ethnographiques qui font “voyager en images“ avec, par exemple, le National Geographic qui diffuse chaque mois autour d’un million d’exemplaires, lus bien au-delà du cercle familial). Mais elle montre aussi ce que l’œil devrait voir, domaine de l’activité mélioriste qui anime bien des opérateurs et, souvent même, est à l’origine de leur vocation photographique. L’extraordinaire percée de la pratique documentaire est en effet, pour une large part, liée à l’offre photographique plutôt qu’à la demande du public, avec de nombreux jeunes photographes qui se détournent d’une carrière dans

un client, on peut tout de même faire une pause pour se demander où réside le pouvoir d’une image. Qu’elle soit peinture ou photographie, toute image est un symbole qui amène immédiatement quiconque en contact étroit avec la réalité. Elle parle un langage appris dès le plus jeune âge et ancré dans chaque individu, témoin les scribes des temps anciens et l’engouement actuel des jeunes pour leurs livres d’images. Pour nous qui sommes de plus grands enfants, l’image continue à nous raconter une histoire sous sa forme la plus condensée et la plus vitale. Et en fait cette présentation est souvent beaucoup plus efficace que ne l’aurait été la réalité, car dans l’image, tout ce qui est non essentiel et d’intérêt conflictuel a été supprimé. L’image est le langage de toutes les nationalités et de tous les âges ; l’augmentation, pendant ces dernières années, du nombre d’illustrations dans les journaux, livres, expositions et autres, en est une preuve évidente.La photographie possède un réalisme tout à fait personnel, une attraction spécifique qui n’apparaît pas dans les autres formes d’illustration. C’est pour cette raison que la majorité des gens croient de façon implicite qu’il est impossible de falsifier une photographie. Bien sûr, vous et moi savons que cette foi aveugle dans la photographie est souvent mise à rude épreuve, car s’il est impossible à la photographie de mentir, des menteurs peuvent prendre des photographies. Il devient alors tout à fait nécessaire, dans notre quête de la vérité, de vérifier que l’appareil photographique dont nous dépendons ne contracte pas de mauvaises habitudes. […]Le plus grand progrès qui puisse être apporté dans le travail à caractère social est de populariser l’utilisation de l’appareil photographique, de façon à ce que de tels dossiers soient réalisés par ceux qui sont au cœur de la bataille. Cette proposition n’est pas difficile à satisfaire. Dans chaque groupe de travailleurs, il y a certainement au moins une personne qui est intéressée par l’utilisation de l’appareil photographique. Si vous décidez que la photographie vous est utile, procurez-vous un appareil, prévoyez un peu d’argent et réservez une tranche de temps bien précise pour le photographe de l’équipe ; plongez

27 · PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE ET ACTION SOCIALE

Child living in Oklahoma City shack-town[Damaged Child], août 1936

Page 28: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

l’illustration, la mode ou la photographie commerciale ou industrielle, pour se consacrer, avec un zèle missionnaire, au reportage documentaire. Dorothea Lange en est un bel exemple : en 1929, elle abandonne une pratique assez florissante de portraitiste pour se lancer dans le documentaire. [...]Or, la narration visuelle du documentaire est prise dans une tension permanente entre mimétisme et symbolisme. Ce qui fait la valeur de l’image photographique, sa vérité, est directement lié à l’honnêteté que le spectateur peut attribuer au photographe et à la chaîne de transmission de l’image (quoique cet aspect ait été peu perçu à l’époque par le public). C’est cette valeur qui est mise à mal chaque fois qu’éclate une affaire de manipulation. Il y en aura plusieurs durant la période, révélatrices des problèmes de l’image documentaire, l’une des plus célèbres étant celle d’un crâne de bovin photographié par Arthur Rothstein de la Farm Security Administration pendant la sécheresse de 1936, que le photographe fut accusé d’avoir déplacé pour des motifs esthétiques.La photographie combine la valeur d’objectivation, qui lui vient de son origine “mécanique“ et qui l’a très tôt rapprochée des sciences sociales naissantes, faisant d’elle un puissant auxiliaire de la recherche sociologique et ethnologique, à celle de productrice d’émotions, qui l’inscrit dans le temps long du lyrisme. Cette seconde valeur va être rapidement mobilisée par ceux qui, dès le tournant du XXe

siècle, et surtout à partir de la Première Guerre mondiale, vont s’intéresser à la manipulation des masses. Quoique jamais vraiment démontrée, cette supposée puissance de l’image fonde l’engagement de plusieurs générations de photographes, de la création des parcs nationaux à la lutte pour les droits civiques.La photographie en tant qu’outil d’intervention devient donc, dans les années 1920, le médium de la modernité politique et sociale autant que plastique. » Jean Kempf, « La photographie communique », in L’Amérique des images, histoire et culture visuelles des États-Unis, Paris, Hazan / Université Paris Diderot, 2013, p. 232-233.

« L’expérience d’observation sociale qui a abouti à An American Exodus commence en 1935 quand Lange, une photographe-portraitiste réputée de San Francisco, est conduite, sous la pression de la crise politique des années 1930, à s’engager davantage dans un travail documentaire, et rejoint une équipe d’entraide sociale dirigée par Paul Taylor. Ce dernier, économiste du travail engagé à gauche, enseignait à l’université de Californie. Son équipe devait faire une enquête sur la nécessité de la mise en place d’un système de soins, financés par l’État, pour améliorer les conditions de vie éprouvantes supportées par les ouvriers d’origine mexicaine, philippine, chinoise et japonaise, qui travaillaient sur les vastes champs de petits pois, de fruits et de coton de Californie. Leur étude ne pouvait qu’être polémique, puisque les leaders agricoles, tout comme leurs alliés dans les industries de la conserve, du transport maritime et de la finance, s’opposaient à ce que le gouvernement joue un rôle plus conséquent, craignant que l’élévation du niveau de vie moyen entraîne à plus ou moins long terme le regroupement politique des ouvriers. […]Quand Lange commença à sortir dans la rue et dans les champs pour enquêter sur les conditions sociales, elle

avait quarante ans. Elle découvrit une liberté dans son maniement de l’appareil qu’elle n’avait jamais connue auparavant. Mais elle ne perdit rien de son talent pour la composition et le geste, mûri dans son travail en studio. Le contact direct et facile qu’elle avait déjà avec ses clients prit une nouvelle dimension et favorisa une empathie qui donnait à ses images une résonance humaine rarement égalée par d’autres photographes. Taylor, lui-même amateur expérimenté de la photographie, reconnut tout de suite la supériorité du talent de Lange ; inversement, celle-ci adopta rapidement le style indirect, souple et amical du professeur dans ses recherches sur le terrain, tout en refusant d’employer le terme universitaire de “chercheur“ qu’elle trouvait un peu incongru. Elle devint bientôt une ethnographe accomplie, capable de rapporter les histoires que lui racontaient les gens qu’elle photographiait, en se servant de son appareil et de ses notes, et de les placer dans le contexte de leur environnement matériel. Entre mars et août 1935, Lange monta plus de cent cinquante de ses meilleures photographies dans une série de cahiers qu’elle fabriquait avec du carton brillant. Elle y ajouta les essais de Taylor et distribua le tout auprès de l’administration en Californie et Washington pour solliciter des fonds d’urgence pour les camps. […]Lange prit la décision d’exclure toute image qui avait déjà connu une grande diffusion ; elle refusa également de faire un choix fondé sur les critères d’une exposition. On est aujourd’hui surpris de voir que ses portraits rigoureux, pierre angulaire de sa réputation, représentent à peine vingt pour cent des images du livre. An American Exodus s’attache moins aux individus qu’aux communautés et au phénomène de la migration. »Henry Mayer, « La Genèse d’un livre documentaire », in Dorothea Lange et Paul Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion [1939], nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. XV-XVI et XIX.

« Ceci n’est ni un livre de photographies, ni un livre illustré au sens traditionnel du terme. Sa forme particulière s’explique par l’emploi de techniques de composition et d’agencement qui facilitent une lecture claire et vivante. Nous utilisons l’appareil photographique comme un outil de recherche. Clichés, légendes et textes sont le trépied sur lequel nous avons établi une réflexion qui s’est forgée au cours de longues observations sur le terrain. Nous adhérons aux principes de la photographie documentaire en même temps que nous les faisons nôtres. Les citations qui accompagnent les clichés rapportent ce que les personnages photographiés ont dit, et non pas ce que nous supposons être leur pensée intime. Lorsque personne ne figure sur l’image, et qu’aucune autre source n’est citée, les propos rapportés sont ceux de gens rencontrés sur place. Nous ne vous montrons que ce qui se passe dans certains endroits d’une région que nous avons circonscrite. Quelque chose se perd, lorsqu’on adopte cette méthode, dans la mesure où elle ne permet pas de montrer l’étendue et les variations complètes des changements ruraux décrits. Mais nous sommes persuadés que le résultat en termes de clarté et de précision rend plus fidèlement la nature de ces changements eux-mêmes. Dans un ouvrage collectif, il n’est ni facile, ni important sans doute d’évaluer les contributions individuelles de chaque auteur. Les différences

28 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 29: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

les plus marquées tiennent au fait que ces scènes de vie rurale furent observées à la fois par un photographe et un chercheur en sciences sociales. Toutes les photographies, sauf quelques exceptions signalées en fin de volume, ont été prises par Dorothea Lange. La responsabilité du texte revient à Paul Taylor. Mais notre travail est surtout le fruit d’une collaboration qui a porté sur tous les aspects du livre, depuis sa forme d’ensemble jusqu’aux moindres détails d’écriture et de composition.Nous avons abouti à ce livre, mais ce sont des gens réels qui ont vécu les situations décrites, et ils avaient leur mot à dire. Beaucoup de ceux que nous avons rencontrés sur le terrain ont plus ou moins considéré nos conversations comme une occasion de dire au gouvernement et à leurs compatriotes les obstacles qu’ils doivent affronter. Dans la mesure du possible, nous les avons laissés vous parler face à face. Après des centaines de lieues parcourues, nous vous transmettons ici ce que nous avons vu et appris des secousses qui les ébranlent. »Dorothea Lange et Paul Taylor, « Avant-propos, Berkeley, Californie. 1er août 1939 », An American Exodus: A Record of Human Erosion [1939], nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. CXCIII.

« On l’a dit, c’est principalement grâce à la promotion de la FSA que l’idée de “photographie documentaire” se popularise aux États-Unis à partir de 1938. Cette année est marquée par le succès de l’exposition de la FSA à Grand Central Palace, exposition que le MoMA fait tourner à travers le pays, et par celui du dossier sur le même sujet préfacé par Steichen dans US Caméra. C’est cette année surtout que paraît le premier d’une série d’articles cherchant à définir et à promouvoir le genre : “L’approche documentaire de la photographie“ de Beaumont Newhall, publié en mars dans Pamassus ; il donne le ton à une kyrielle de textes signés Elizabeth McCausland, Roy E. Stryker, Dorothea Lange, Berenice Abbott qui, s’ils diffusent et officialisent la notion, vont considérablement en déplacer la définition. L’article de Newhall, qui saute de façon typique

de l’argument sociologique à l’argument esthétique, se situe pour une bonne part dans la lignée des théories du début de la décennie. Il reprend certains éléments présents dans les débats allemands, insiste, comme Walther Petry, sur importance du contenu sociologique et sur la fonction cognitive des images – tout en passant sous silence la photographie scientifique et le souci de systématisme qui, en Allemagne, faisait de celle-ci un modèle. Il mentionne, dans l’esprit de Lincoln Kirstein, le virage esthétique pris par la photographie documentaire aux États-Unis au début des années trente, avec Steiner, Abbott ou Evans, nommément cités, ainsi qu’à leur suite Margaret Bourke-White, Ansel Adams et Willard Van Dyke. Il observe qu’en définitive la FSA n’aura fait que transformer ce courant, jusqu’alors désorganisé, en véritable “école”. À partir de là, plusieurs éléments distinguent son texte aussi bien de l’approche pseudo-scientifique allemande que de l’esthétisme d’Evans ou de Kirstein. Il note d’abord la focalisation du mouvement sur la description de la pauvreté, “de l’habitat et de la vie des défavorisés”. Il revient ensuite plusieurs fois sur un point banni des définitions antérieures, chez les Allemands comme chez Evans : la nécessité pour le photographe de transmettre à travers son cliché “l’émotion” ressentie face au sujet. Il insiste enfin sur l’importance capitale prise par le traitement éditorial des images, défendant en particulier, sur le modèle du reportage, l’intégration du texte et de l’image, et l’élaboration de “shooting scripts”, à savoir d’instructions préalables à la prise de vue et orientant celle-ci, comme au cinéma, en fonction d’un “montage” final.Plus que les définitions antérieures du documentaire – ne rien toucher, rester en retrait, faire le portrait de la société –, ces trois éléments neufs domineront finalement la vague rédactionnelle que suscite la notion autour de 1940 : la description des défavorisés comme thème exclusif, l’approche de plus en plus sentimentale, le passage de l’image seule à la régie texte/image et, ce faisant, à une forme de photojournalisme. »Olivier Lugon, Le Style documentaire d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris, Macula, 2011, p. 125-126.

29 · PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE ET ACTION SOCIALE

Returning from California, Canadian County, Oklahoma, août 1938

Page 30: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

« Si le soupçon d’un asservissement de l’art à la politique a souvent plané sur la figure de l’“artiste engagé“, il en est autrement du photographe documentaire. Nouveau héros des temps modernes, il a su tirer de ses luttes politiques et sociales un ethos, une pratique et une morale artistiques nouvelles qui articulent indissociablement la question de la forme et celle du contenu politique. Par le traitement visuel des sujets sociaux s’est inventé un langage : le pavé parisien, le portrait d’anonymes, le corps du travailleur, les masses agissantes, le peuple souffrant sous les bombardements d’Espagne, l’enfance ou le rêve d’un bonheur projeté sur une nouvelle génération, tous ces thèmes ont fourni la matière d’une esthétique nouvelle de l’image prise sur le vif, mouvante, fragmentaire, déclinant en d’infinies variations les effets du dispositif photographique. Sur ce registre s’est déployé et aiguisé le regard des photographes que l’on a associés aux luttes pour le progrès social. L’historiographie a célébré ces figures de l’engagement. De Henri Cartier-Bresson à David Seymour, de Robert Capa à Willy Ronis, on admire l’audace du regard, la fibre humaniste, l’amour du peuple. Aussi n’a-t-on pas hésité, sur la base de ces biographies exemplaires, à situer l’origine de ce regard dans l’expérience du Front populaire. [...]Or à trop célébrer le “génie“ des photographes, on oublie sans doute le rôle catalyseur des structures collectives et des expériences militantes qui ont préparé cet avènement d’une culture visuelle populaire. C’est qu’avant d’être humaniste, la photographie a été sociale. Il ne faut en effet pas confondre l’une et l’autre. La photographie sociale plonge ses racines dans l’action politique et les structures de la gauche radicale des années 1920 et 1930. [...] On peut aisément prendre comme terminus post quem la date de 1928, moment de fondation de deux magazines illustrés essentiels pour la culture visuelle politique de la décennie suivante : VU et Regards. C’est dans ces rédactions qu’ont été expérimentées des formules iconographiques – comme la plongée et la contre-plongée, la métonymie du corps, la vue au ras du sol – importées des recettes graphiques

venues d’ailleurs ; c’est là qu’a été forgée une conscience politique du regard. On ne voit pas le monde de la même façon dans l’Illustration d’Emmanuel Sougez et dans VU de Carlo Rim et Maximilien Vox, où l’on célèbre avec un attachement mâtiné d’ironie bienveillante les “philosophes“ du pavé parisien, où l’on enquête sur le logement, où l’on rend compte de la soupe populaire, des abattoirs de la Villette ou de l’Institut des sourds et muets d’Asnières. Aux structures de la presse s’ajoutèrent rapidement les structures culturelles et politiques de la gauche radicale avec la création des Amateurs photographes ouvriers (1930) et, un peu plus tard, l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires – AER en 1931, puis AEAR en 1932 – qui, engagée à absorber une partie du groupe surréaliste, n’en combattait pas moins les principes au nom du réalisme socialiste. Entre 1928 et 1936 s’est donc créé un vivier de photographes aguerris à la question sociale, côtoyant les militants, attachés à traduire en image les combats politiques. »Christian Joschke, « L’histoire de la photographie sociale et documentaire dans l’entre-deux-guerres. Paris dans le contexte transnational », Perspective nº 1, 2017 (en ligne : http://journals.openedition.org/perspective/7197).

« Personne ne conteste plus la force que donnent à la photographie son pouvoir d’évocation immédiate, et son apparence de “document“ quasi scientifique.L’influence directe, inconsciente, que peut exercer, qu’exerce en fait sur des millions d’hommes la photographie, n’a donc pas échappé à la classe dirigeante : entre ses mains, ce moyen d’investigation “désintéressé“ s’est transformé comme tant d’autres, en une arme redoutable.On ne discute pas une photographie : on l’admet comme la reproduction exacte, fidèle, impartiale de la réalité. Attitude essentiellement superficielle, paresseuse, et d’autant plus dangereuse que la bourgeoisie ne manque pas d’en tirer parti. En effet, l’art de “légender“, que tout journaliste se doit connaître et de pratiquer à la perfection, profite de cet

Ex-slave with a long memory, Alabama, 1938

30 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 31: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

armistice consenti par l’esprit critique du lecteur pour lui glisser, sous couleur d’explications innocentes, les commentaires les plus tendancieux. L’art du truquage photographique, plus délicat, est d’autre part pratiqué depuis quelques années, particulièrement par certains journaux bourgeois de grande information.Mais à ces mensonges systématiques de la presse capitaliste, il fallait une riposte prolétarienne.Arme de classe, la photographie devait en retour servir les intérêts des exploités contre les exploiteurs. En France, comme en Allemagne, les Photographes ouvriers se sont groupés, abordant pour leurs débuts certains sujets : misère, chômage, répression policière, manifestation de masse, etc... d’un genre volontairement ignoré jusqu’alors.Poursuivant leur tâche, la section Photo de l’A.E.A.R. se propose de rassembler tous les photographes révolutionnaires, d’établir une étroite collaboration avec la presse ouvrière, elle est en train de constituer des archives photographiques où sont classées toutes les photos susceptibles d’illustrer des articles sur les sujets les plus divers.Les membres de la section estiment que son rôle n’est pas seulement de multiplier les prises de vues d’un caractère nettement révolutionnaire, mais encore de trouver l’utilisation révolutionnaire de photos de toutes catégories.La Section Photo de l’A.E.A.R. fait appel à tous les photographes sympathisants, amateurs et professionnels, et leur demande de faire bloc avec ceux qui veulent doter le prolétariat d’une puissante organisation de photographes révolutionnaires. »Henri Tracol, « Photographie, arme de classe », Cahier rouge, organe de l’A.E.A.R. nº 1, 1933. [Le Centre Pompidou présente une exposition intitulée « “Photographie, arme de classe“. La photographie documentaire et sociale en France 1928-1936 », du 7 novembre 2018 au 4 février 2019.]

« Longtemps considérée comme une femme fatale, muse d’hommes célèbres ou comme une révolutionnaire qui sacrifia à une idéologie son art et sa liberté ou enfin, comme la vit le poète et ami Pablo Neruda, “une révolutionnaire à la vie fragile”, Tina Modotti est aussi un des photographes de premier plan de la période de l’entre-deux-guerres dont l’influence sur des générations de photographes mexicains comme Manuel Álvarez Bravo, mais aussi sur une artiste aussi contemporaine que Graciela Iturbide, souligne l’originalité et la richesse d’une œuvre ou se mêlent la rigueur classique de la composition, enseignée par Weston, la sensualité d’un tempérament méditerranéen et l’engagement d’une militante. [...]L’odyssée mexicaine (1923-1930) est déterminante. C’est durant ce séjour qu’art et révolution font le lien entre son origine familiale prolétaire et socialiste et ses aspirations a la création. En 1924, elle prend ses premières photographies avec son encombrant appareil Corona, utilise la méthode mise au point par Weston pour les agrandissements et emploie le papier au platine ou au palladium dont le processus de tirage est long et laborieux mais qui donne aux épreuves des tons riches et chauds d’une qualité exceptionnelle. Les compositions d’une grande rigueur formaliste allient netteté de l’expression, raréfaction de l’objet jusqu’a l’abstraction pure. En moins d’un an Tina

Modotti est devenue photographe a part entière et donne sa première exposition publique.En 1926, Weston rentre seul aux États-Unis. Tina Modotti tente de vivre en exerçant son métier de photographe. Avec l’arrivée du militant Vidali, elle s’implique de plus en plus dans les mouvements révolutionnaires, collabore a Machete, organe du parti communiste mexicain, et publie ses photographies dans de nombreuses revues étrangères. Son engagement politique de plus en plus radical se traduit dans sa production qui passe de la période formaliste westonienne où primait l’aspect pictural de l’objet à une période de la “nueva expresión” où l’influence des peintres muraux est évidente. C’est à cette période qu’appartiennent les photographies de reportage social, de propagande (“Les contrastes du régime”), de reportage sur les activités syndicales et politiques de ses amis, les compositions à forte connotation révolutionnaire et de composition très graphique (“Mains d’ouvrier avec pelle” ; “Faux”, “Cartouchiere et guitare”). L’introduction qu’elle rédige pour son exposition à la Bibliothèque nationale de Mexico (1929) illustre clairement sa nouvelle orientation : “La photographie, par le fait même qu’elle ne peut être produite que dans le présent et se fonde sur ce qui existe objectivement en face de l’appareil photo, s’impose comme le moyen le plus satisfaisant pour enregistrer la vie objective dans toutes ses manifestations. De là sa valeur documentaire. Et si l’on ajoute à cela la sensibilité, la compréhension de l’argument, et surtout une idée claire de la place qu’elle doit occuper dans le déroulement de l’histoire, je crois que le résultat est digne de jouer un rôle dans la révolution sociale à laquelle nous devons contribuer”. »Francoise Denoyelle, « Tina Modotti (Margaret Hooks) », in Réseaux, vol. 13, nº 74, 1995, p. 223-225 (en ligne : http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1995_ num_13_74_2799).

« Dans l’abondante littérature consacrée à Lange et à son travail pour la FSA, sa photographie est souvent disjointe du travail de ses contemporains, excepté de celui de ses comparses dans le groupe de Stryker et de ses amis Ansel Adams, Willard Van Dyke et Imogen Cunningham. Une absence qui est particulièrement frappante lorsqu’il s’agit de certains photographes documentaristes travaillant à San Francisco, dont les activités étaient également motivées par leur réaction à la Grande Dépression et dont la démarche était façonnée par des objectifs plus révolutionnaires que réformistes. Je pense ici aux photographes d’origine allemande Johanna (Hansel) Mieth et Otto Hagel, qui, ayant émigré d’Allemagne aux États-Unis en 1930, ont photographié un grand nombre de sujets identiques à ceux dont Lange rendait compte. À l’époque où, dans les années 1930, Lange suivait à San Francisco de manière quelque peu timorée les grèves et les soupes populaires, Mieth et Hagel (qui se sont mariés en 1940 à l’occasion d’une double cérémonie organisée avec Robert Capa et Toni Sorrel) photographient les taudis du quartier de Mission District à San Francisco, les Hoovervilles (bidonvilles) de la banlieue de Sacramento, la grève générale de 1934, la grève de la laitue à Salinas en 1936 et les grèves des dockers à la même période. Dans leur projet photographique, pour décrire les conditions de travail et de vie des ouvriers migrants, ils se font personnellement embaucher comme ouvriers agricoles, devenant, de fait,

31 · PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE ET ACTION SOCIALE

Page 32: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

a fait office de synecdoque des activités de la FSA elles-mêmes. » Abigail Solomon-Godeau, « Dorothea Lange : réflexions sur des archives », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 29-30.

des observateurs participants. Mieth fut la deuxième femme jamais engagée comme photographe par LIFE, et Hagel, entre autres travaux, a photographié le camp d’internement des Américains d’ascendance japonaise à Heart Mountain, dans le Wyoming, en 1943. La mention de ces deux photographes n’a pas pour raison d’être de rabaisser la stature de Lange, mais de signaler qu’un large spectre d’alignements politiques, d’identifications et de pratiques caractérisait le champ de la photographie documentaire aux États-Unis, en particulier dans les années 1930 et 1940. [...]L’importance de la New York Film and Photo League (qui fut en fait démantelée en 1951 par les forces du maccarthysme) et d’autres organisations apparentées ne se mesure pas seulement à l’aune des carrières de sommités comme Shahn, Helen Levitt, Lisette Model, Paul Strand, Aaron Siskind et bien d’autres, ni des quinze années où elle a géré une école de photographie aux frais de scolarité peu élevés, proposant des ateliers et chambres noires, mais réside aussi dans son lien génétique avec le mouvement allemand des photographes ouvriers des années 1920. Autrement dit, les Film and Photo Leagues (ligues ouvrières du film et de la photographie, qui existaient dans un certain nombre de villes, y compris à San Francisco) représentaient l’une des rares formations politico-culturelles à s’identifier à la classe ouvrière et à se consacrer à leur propre représentation. En revanche, des initiatives photographiques fédérales comme la FSA supposaient des représentations produites par des observateurs extérieurs, à savoir par des photographes professionnels. Mais l’étiquette “antifasciste prématuré“ apposée par le maccarthysme, qui diabolisait rétroactivement tous ceux qui avaient soutenu la IIe République espagnole, dans le contexte de la réaction brutale contre la gauche extrémiste aux États-Unis, a également fonctionné pour institutionnaliser ces orientations réformistes, amélioratrices et humanistes du documentaire telles que les incarnait Lange. C’est ce projet de la FSA qui en est venu à “représenter“ la photographie documentaire des années 1930 en tant que telle, tout comme Mère migrante

32 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Unemployed lumber worker goes with his wife to the bean harvest. Note social security number tattooed on his arm. Oregon, 1939

Page 33: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

33 · POSTÉRITÉ DES IMAGES, SYMBOLES ET QUESTIONNEMENTS

« Cette série [Migrant Mother] est régulièrement utilisée pour s’indigner de la manipulation à laquelle une image peut être soumise. On cite alors un texte où Dorothea Lange raconte l’histoire de cette photographie :“[…] Je vis une mère affamée et désespérée et je m’en approchai comme attirée par un aimant. Je ne me rappelle pas comment je lui ai expliqué ma présence et ce que je faisais avec mon appareil. Elle ne m’a posé aucune question. J’ai fait cinq prises de vue de plus en plus rapprochées. Je ne lui ai demandé ni son nom, ni son histoire. Elle m’a dit qu’elle avait trente-deux ans. Elle m’a dit qu’ils se nourrissaient des légumes gelés restés dans les champs environnants, et des oiseaux que tuaient les enfants. Elle venait de vendre les pneus de sa voiture pour acheter de la nourriture. Elle était assise là dans l’appentis d’une tente avec ses enfants blottis contre elle ; elle pensait que mes photographies pourraient l’aider, et c’est pourquoi elle m’a aidée ! […]”On nous permettra ici d’émettre quelques réserves sur la pertinence de ce texte qui voudrait présenter Dorothea Lange comme une photographe se trouvant au bon endroit au bon moment, et sachant capter l’instant décisif. Ne fallait-il pas une belle histoire pour accompagner une grande photo ? Dorothea Lange ne fut-elle pas prise au piège de devoir ressembler à l’image que l’on se fait du photographe ? En effet, ce texte, pourtant signé par la photographe, parait dans la revue Popular Photography, sous le titre : “Migrant Mother, la mission que je n’oublierai jamais”, en 1960, soit 24 ans après la prise de vue et alors que Migrant Mother s’imposait déjà comme une icône. Nous savons pourtant que Dorothea Lange avait pris l’habitude à cette époque d’accompagner chaque photo d’une note informative, et si nous retournons aux sources, nous retrouvons alors le texte originel envoyé à Washington en même temps que les négatifs :“Mars 1936. Famille de travailleurs agricoles migrants. Sept enfants affamés. Mère, âge 32 ans. Père, né en Californie. Privés de tout dans un camp pour ramasseurs de petits pois, à Nipomo, Californie, parce que la récolte était en avance.

Ces gens viennent de vendre leur tente pour acheter de la nourriture. Plus de 2500 personnes vivent dans ce camp, la plupart manque de tout.”Le commentaire est laconique, les adjectifs et superlatifs absents, il nous fournit pourtant de précieuses informations, dont certaines vont à rencontre de l’image donnée par l’article de 1960. L’analyse de ce commentaire démontre la rigueur de Dorothea Lange, et renforce l’idée, déjà suggérée par la recherche progressive de la composition de Migrant Mother, que Dorothea Lange passait de longs moments en compagnie des protagonistes de ses images, et qu’attentive, elle les questionnait et les écoutait.Pour saisir la force de l’œuvre de Dorothea Lange, il faut décidément laisser de côté la théorie du moment décisif, oublier le cliché romantique d’un photographe qui verrait ce que nous oublions de regarder ; qui se trouverait au bon moment au bon endroit, capturerait en une fraction de seconde la réalité, et s’interdirait de recadrer ses négatifs sous peine d’entorse à cette même réalité. Il faut en revanche s’attarder sur les relations que Dorothea Lange établissait avec ses modèles, revenir sur son utilisation radicale et moderniste du cadrage et du recadrage, dépasser enfin la litanie de la manipulation. »Sam Stourdzé, « The human face », in Sam Stourzé (dir.), Dorothea Lange : The Human Face, Paris, NBC éditions, 1998, p. 107-108.

« Vers la fin des années 1970 et au début des années 1980, des concepts sont élaborés pour inscrire la photographie et ses fonctions sociales dans le débat critique. Les programmes universitaires d’étude des médias forgent des outils théoriques pour analyser les conventions qui régissent la photographie documentaire. Au cœur de ces réflexions, il y a l’idée élémentaire mais révélatrice que, bien que les photographies documentent des aspects de ce qui se trouvait là, devant l’appareil photo, leur signification n’est ni intrinsèque ni fixée, et n’est pas non plus déterminée par les intentions du photographe. Elle est très largement la conséquence de la façon dont l’image est utilisée et du lieu où elle est utilisée. […]Les images utilisées dans le cadre de réformes libérales ou d’œuvres de bienfaisance tendent à dépolitiser, sentimentaliser, esthétiser, voire victimiser leurs sujets pour séduire en la flattant la bonne volonté des plus fortunés. Mais à quoi ressemblerait une image réalisée au nom d’une émancipation révolutionnaire, et comment serait-elle utilisée ? Quelle serait la place de la photographie dans une politique collective ? En quoi serait-elle différente de Mère migrante et de ses utilisations ? Une image telle que Mère migrante pourrait-elle sinon être utilisée selon d’autres modalités ? L’auteur américain Allan Sekula, enseignant et artiste documentariste, a déclaré en 1978 : “L’aspect subjectif de l’esthétique libérale, c’est moins la lutte collective que la compassion. La pitié, médiatisée par une appréciation critique de l’art, remplace la compréhension politique“. Une contemporaine de Sekula, l’artiste Martha Rosler, fera remarquer quelques années plus tard : “La photographie documentaire s’est trouvée en compagnie du moralisme dans une situation bien plus confortable qu’alliée à une rhétorique ou un programme de politique révolutionnaire“. Les objections avancées ici n’étaient pas tant énoncées contre Lange elle-même – car elle comptait, avec Walker

POSTÉRITÉ DES IMAGES, SYMBOLES ET QUESTIONNEMENTS

Page 34: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

contre une pratique sociale et les aspects idéologiques et théoriques qui la fondent. Puis vient le deuxième temps, plus difficile à circonscrire.C’est le temps “esthético-historique“ conventionnel qui voit la capacité de raisonnement du spectateur se dissoudre dans le ravissement esthétique, s’abandonner au plaisir sensuel de la beauté des formes (pas nécessairement formelle d’ailleurs) de l’image. Ce second temps d’interprétation est anhistorique parce qu’il refuse la signification historique spécifique de l’image, il ne fonctionne pas dans une “pensée de l’Histoire“ et dénie à l’image son appartenance à un temps passé, distinct du présent. Cette appréciation voilée des images est dangereuse dans la mesure où elle n’admet pas la relation dialectique qui unit la signification politique à la signification formelle. Elle nie leur interpénétration mais croit à une relation de nature plus floue, plus réifiée dans laquelle le contenu d’actualité s’affadit avec le temps et dans lequel l’aspect esthétique est – c’est le moins qu’on puisse dire – rehaussé par la perte de référence historique spécifique (bien qu’il puisse parfois demeurer, comme une toile de fond matelassée, une vague sentimentalité sociale, qui réduit d’autant le “mystère“ des images). »Martha Rosler, « Pensées au cœur, autour et au-delà de la photographie documentaire » [1981], in Sur/sous le pavé, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 184-186.

« Pourquoi certaines photographies plutôt que d’autres sont-elles choisies pour publication ? Pourquoi certaines sont-elles utilisées comme autant d’éléments d’un reportage ou d’un essai photographique, tandis que d’autres sont singularisées ? Avec l’essor de la presse populaire en Europe et en Amérique du Nord dans les années 1920 et 1930, des conventions ont été bientôt établies qui codifient les essais photographiques. Les images sont choisies par le rédacteur en chef ou le directeur artistique parmi le matériel fourni par le photographe ou l’agence photographique. La signification est construite dans le mouvement impulsé d’une image à l’autre, structurée par les légendes et d’autres textes. À l’encontre de cette idée se dresse l’image singulière, qui peut être conçue pour fonctionner plus sommairement et plus immédiatement dans le contexte de l’accélération de la culture visuelle véhiculée par les médias de masse. Les détails documentaires apparaissant dans ces images isolées peuvent être mis au service d’idées plus générales, étendant ainsi la signification du particulier au général.Ces images montrent souvent une composition plus serrée, leur rhétorique picturale ou leur iconographie les associant à une histoire de la représentation plus ancienne. La plupart des photographies étiquetées “iconiques“ puisent en effet dans des tropes et conventions visuels bien établis, antérieurs au médium. Fortuitement ou délibérément, ou entre les deux, l’image de Lange s’inscrit dans le modèle familier des représentations ordinaires de femmes et d’enfants souffrant. Les traditionalistes pourront soutenir que la photographie de Lange, par sa forme classique et sa limpidité gestuelle, communique par conséquent quelque chose d’intemporel et d’éternel, comme résumant d’irréfutables vérités fondamentales à propos de la maternité, de l’enfance et de la nature humaine. Les éloges dont elle fait l’objet vont souvent puiser leurs comparaisons dans les images de la Vierge à l’Enfant issues de l’histoire

Evans, parmi ces photographes qui faisaient montre dans les années 1930 d’une intelligence la plus fine de la politique, bien consciente de la sensibilité des images aux valeurs de ceux qui étaient en mesure de les mettre au travail. Au contraire, ce sont ces valeurs qui étaient soumises à un examen attentif. »David Campany, « La mère migrante », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 24-25.

« En 1978, il y avait une petite histoire inédite sur une curiosité historique : Florence Thompson, la personne en chair et en os qui avait été photographiée par Dorothea Lange en 1936 devint la photographie la plus reproduite au monde. Âgée de soixante-quinze ans en 1978, cette Cherokee vivant dans une caravane à Modesto en Californie est citée par l’agence Associated Press en ces termes : “Ma photographie est accrochée dans le monde entier et je ne peux pas en tirer un seul sou“. Elle précise qu’elle est fière d’être le sujet de cette œuvre mais elle pose la question : “Qu’est-ce que ça m’apporte ?“. Elle a tenté, en vain, d’obtenir la suppression de la photographie. En 1972, le pilier du département photographique de la Farm Security Administration pour lequel Dorothea Lange travaillait déclara à ce propos : “Quand Dorothea prit cette photographie, ce fût son œuvre ultime. Elle ne l’a jamais surpassée. Elle était à mes yeux la photographie de la Farm Security... Je me suis tellement de fois demandé à quoi était-elle en train de penser ? Elle porte sur elle toute la souffrance du genre humain et toute sa persévérance aussi... Vous pouvez voir en elle tout ce que vous voulez. Elle est immortelle“. En 1979, l’Union internationale de la presse révéla que Mme Thompson recevait 331,60 $ par mois d’aides sociales et 44,40 $ pour ses frais médicaux. Elle suscite l’intérêt seulement parce qu’elle est une incongruité, une photographie qui a vieilli, parce qu’elle est un post-scriptum à une œuvre d’art connue de tous. [...]Un photographe talentueux de ma connaissance, un homme de principe qui travaille pour un groupe de médecine du travail et qui est particulièrement attentif à la façon dont ses images sont reçues, était contrarié par les articles sur Florence Thompson. Il trouvait qu’ils étaient peu consistants, que la photographie “Migrant Mother“, avec sa dimension symbolique évidente, dépassait et transcendait son modèle, ce n’était pas elle – l’œuvre avait une histoire et une vie indépendante, (Est-ce à dire que les photographies se font, comme les civilisations, sur le dos des exploités ?). Je lui fis remarquer que, dans le livre In This Proud Land, les notes que Lange a prises sur le terrain stipulent : “Elle pensait que ma photographie pourrait l’aider, alors elle m’a aidée“. Mon ami le photographe de la classe ouvrière rétorqua que la publication de cette photographie amena les fonctionnaires locaux à s’occuper des campements itinérants, si bien que, si Mme Thompson n’en avait pas directement tiré profit, d’autres dans son cas l’avaient pu. Je pense quant à moi qu’elle se faisait une idée différente de leur marché.Je pense reconnaître dans cette réponse le paradigme bien ancré selon lequel le documentaire fonctionne en deux temps. Le premier temps est celui de l’“immédiat“, c’est l’instant-clé où l’image est captée, extraite du flux du présent et élevée au rang de témoignage, de preuve dans le sens juridique du terme. Elle devient ainsi un argument pour ou

34 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 35: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

de l’art, invoquant la dignité prétendument sublime de la douleur maternelle face à l’adversité. Son intérêt réside moins dans les circonstances sociopolitiques que représentent cette femme-ci et ces enfants-là, sur le terrain, à Nipomo en 1936, que dans des valeurs présumées les transcender. »David Campany, « La mère migrante », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 23.

« Du point de vue photographique, l’intrication de ces deux images révèle un phénomène tout à fait passionnant. La photographie de Franklin est la trace indicielle d’une situation réelle : trois pompiers hissent un drapeau dans les décombres du World Trade Center. En même temps, elle renvoie irrémédiablement à une autre entité visuelle : six Marines déploient la bannière étoilée à Iwo Jima. Ainsi, l’image de Ground Zero met en œuvre une forme de double référentialité : la première est indicielle (Barthes), la seconde est iconologique (Panofsky). Comment qualifier plus précisément ce phénomène de double référentialité, cette superposition des formes et des sens qui est à l’œuvre dans les images du 11-Septembre, tant pour le drapeau que pour les nuages ?Pour Mark Lawson, l’éditorialiste du Guardian, la représentation des attentats dans les médias s’est principalement faite à travers ce qu’il appelle joliment des “images palimpsestes“ réfléchissant “d’autres images de la culture visuelle nationale“. L’expression est assez séduisante, mais elle n’est pas parfaitement adéquate. Car, pour les icônes du 11-Septembre, à la différence des palimpsestes, la première couche de représentation (référentialité iconologique) n’a pas été grattée, effacée, puis recouverte par une seconde strate d’image (référentialité indicielle). L’image initiale n’a pas entièrement disparu sous la nouvelle. Elle fait plus que simplement hanter le regard. Elle est, la plupart du temps, bien présente et même mise en évidence par un système de renvoi, d’association ou d’hybridation. Bien davantage que de palimpseste, c’est,

en fait, d’intericonicité – une notion formée sur le modèle de l’intertextualité – dont il est ici question. Dans son ouvrage intitulé justement Palimpsestes. La littérature au second degré, Gérard Genette définissait l’intertextualité comme “une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire eidétiquement et, le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre“. Il en va pour les images comme pour les textes. Les icônes des attentats de New York en sont un très bon exemple. Elles renvoient autant – sinon plus – à d’autres images qu’à la réalité de l’événement dont elles sont la trace directe.La forme de relation visuelle mise en œuvre par ces icônes ayant été définie, il convient maintenant de s’interroger sur son sens. Autrement dit, que signifient, pour la presse, ces recours à des images à forte valeur intericonique ? Il y a plusieurs réponses à cette question. “La première dimension de l’acte de monstration [médiatique], celle qui servira de socle à toutes les autres, explique Daniel Dayan, c’est la dimension de I’importance“. Dans le contexte du 11-Septembre, la référence à des images historiques a tout d’abord été une manière de souligner la gravité des événements. Selon un mécanisme psychologique éprouvé – on comprend mieux ce que l’on connaît déjà –, la réitération de schémas visuels appartenant au passé devait aider à mieux saisir la portée historique de la situation. Convoquer ainsi, en une sorte de raccourci binaire, toute la guerre du Pacifique, du nuage de Pearl Harbor au drapeau d’Iwo Jima, est une façon de dire au lecteur : “Attention ! Vous êtes en train de vivre des événements d’une même ampleur historique“. L’intericonicité semble donc, avant tout, servir à convoquer l’histoire. »Clément Chéroux, Diplopie. L’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001, Cherbourg, Le Point du Jour, 2009, 74-78.

« Une critique politique du genre documentaire fait cruellement défaut. Les artistes américains socialement conscients ont beaucoup à apprendre de leurs succès et de leurs erreurs, des compromis et des collaborations

35 · POSTÉRITÉ DES IMAGES, SYMBOLES ET QUESTIONNEMENTS

Destitute pea pickers in California. Mother of seven children. Age thirty-two, février ou mars 1936

Page 36: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

Suivant à la trace les vicissitudes de la photographie documentaire dans la période de l’après-guerre, Stange note que, dès lors que le gouvernement fédéral cessait de financer des projets documentaires à long terme, de telles productions ne trouvaient de débouchés que dans la presse illustrée ou dans le cadre de projets d’entreprise, industriels ou militaires. Elle fait valoir que les précédents créés par les activités documentaristes des années 1930 ont été par la suite neutralisés et réorientés, la “réforme“ relevant désormais du domaine de compétence de bureaucraties, de spécialistes et des divers appareils de contrôle social. Les mécanismes d’identification et l’enregistrement visuel des problèmes sociaux et économiques auguraient donc d’une surveillance accrue des citoyens sous l’égide d’agences et d’autorités fédérales, et de l’abandon des incitations réformistes et progressistes des années 1936-1938. Ayant quitté la section photographique de la FSA, Roy Stryker trouva immédiatement un emploi à la Standard Oil, dans le New Jersey, où il dirigera une autre forme de production propagandiste. Étant donné les circonstances de l’internement des Nippo-Américains et les tentatives partielles de Lange apparemment tenues en échec pour le représenter, nous pourrions ici rappeler l’essai de Walter Benjamin intitulé L’Auteur comme producteur (1934), critique circonspecte des illusions de la politique réformiste-libérale dans les domaines culturels et de la culture de masse. Benjamin cite Bertolt Brecht : Cette absence de clarté qui règne chez les musiciens, les écrivains et les critiques à propos de leur situation a d’énormes conséquences, par trop inaperçues. Car tous autant qu’ils sont, estimant posséder l’appareil qui en réalité les possède, ils en défendent un sur lequel ils n’ont plus aucun contrôle, cet appareil n’étant plus un moyen pour les producteurs, comme ils le croient encore, mais un moyen contre les producteurs. Récusant la photographie de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) des années 1920, Benjamin écrit : Elle a en effet réussi à faire de la misère elle-même, en la concevant avec les perfectionnements à la mode, un objet de plaisir. Car si c’est une fonction économique de la photographie d’amener des teneurs qui se soustrayaient jadis à la consommation des masses – le printemps, les éminentes personnalités, les pays étrangers – jusqu’à ces mêmes masses au moyen de transformations à la mode, c’est une de ses fonctions politiques de renouveler de l’intérieur – en d’autres termes : selon la mode – le monde tel qu’il est. Nous tenons ici un exemple drastique de ce que veut dire : approvisionner un appareil de production sans le transformer. Pour des progressistes comme Lange et Taylor, la façon de “faire la différence“, c’était d’agir dans le cadre d’une institution existante (université, agence fédérale, maison d’édition, etc.) qui offrait une promesse de réforme au sein de ses structures actuelles. Mais on peut se demander s’il ne s’agit pas là d’un exemple de producteurs culturels approvisionnant, comme le dit Benjamin, un appareil de production sans le transformer. »Abigail Solomon-Godeau, « Dorothea Lange : réflexions sur des archives », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 35.

« Une photo qui informe sur la détresse qui sévit dans une zone où on ne la soupçonnait pas ne fera pas la

de leurs prédécesseurs de l’Ère progressiste et du New Deal. Comment évaluer le partenariat historique d’artistes documentaires avec des politiques sociaux-démocrates ? Comment évaluer la relation entre la forme et la politique dans la production de la Workers Film and PhotoLeague ? Comment éviter une sorte de nostalgie politique et esthétisée en regardant les œuvres des années 1930 ? Et que penser de la cooptation du style documentaire par le capitalisme d’entreprise (notamment les sociétés pétrolières et les réseaux télévisés) à la fin des années 1940 ? Comment nous dépêtrer des aspects autoritaires et bureaucratiques du genre, de son positivisme implicite ? [...] Comment produire un art qui provoque le dialogue plutôt que l’affirmation non critique et pseudo-politique ?En jetant un regard rétroactif sur la rumeur du monde de l’art autour de la “photographie dans les beaux-arts“, nous observons un évitement quasi pathologique de ce questionnement. Quelque chose d’étrange se produit lorsque le documentaire est officiellement reconnu comme art. Soudain la pendule herméneutique oscille entre l’extrémité objectiviste de son arc et son opposée, subjectiviste. Le positivisme cède en faveur de la métaphysique subjective, l’exaltation de la technique débouche sur le culte de l’auteur. L’attention du public est alors dirigée vers le maniérisme, vers la sensibilité, vers les risques physiques et émotionnels pris par l’artiste. Le documentaire est considéré comme de l’art lorsqu’il transcende la référence au monde, lorsque l’œuvre peut être regardée, d’abord et avant tout, comme un acte d’expression personnelle de la part de l’artiste. Pour utiliser les catégories de Roman Jakobson, la fonction référentielle s’effondre dans la fonction expressive. Le culte du statut d’auteur, un auteurisme, prend possession de l’image. Il la sépare des conditions sociales de sa fabrication et l’élève au-dessus de la multitude d’usages modestes et triviaux auxquels la photographie est communément réduite. »Allan Sekula « Défaire le modernisme, réinventer le documentaire : notes sur une politique de la représentation » (1976-1978), in Allan Sekula, Écrits sur la photographie, 1974-1986, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2013, p. 149-150.

« C’est peut-être [...] dans le contexte de cette documentation financée par l’État fédéral sur l’internement des Américains d’ascendance japonaise, que l’on pourrait prendre en considération le récit moins révérencieux que fait Maren Stange du fonctionnement de la Farm Security Administration et de l’Office of War Information. Si l’ordre du jour de la FSA était dicté par les crises entraînant la Grande Dépression, en particulier en ce qu’elles touchaient les régions rurales, l’OWI, créé en 1942, était une machine de propagande, approvisionnant en informations et éléments d’endoctrinement l’ensemble des médias, tant américains qu’étrangers. Selon Stange, les initiatives du gouvernement en matière de photographie avaient pour mission d’assurer un soutien aux projets d’aide fédérale lancés par le New Deal, mais dont le financement nécessitait de nombreux compromis. Il n’y avait pas de contestation directe des lois Jim Crow qui privaient les Afro-Américains de leurs droits, et très peu de remise en question de la ségrégation raciale. […]

36 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

Page 37: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

« Si les documents d’archive font l’objet d’une remise en cause, c’est la photographie documentaire dans son ensemble qui traverse une phase d’autocritique, dès les années 1980, à travers les écrits de Martha Rosler ou de Susan Sontag. Là aussi, on s’interroge sur l’autorité et les fonctions du document photographique. La photographie documentaire comme le photojournalisme sont accusés de profiter de la misère de leurs sujets et d’anesthésier le spectateur à force de le submerger d’images toujours plus sordides. Ces images sont soupçonnées de montrer avec voyeurisme la violence et la pauvreté, sous couvert d’une ambition de réforme. La contradiction entre la beauté de certaines photographies et la misère des personnes représentées fait l’objet de vives attaques, notamment dans le cas de la monstrueuse séduction des images de guerre.Mais n’est-ce pas formuler une fausse alternative, entre primauté de l’esthétique des images et utilité morale ou fonction politique, qui s’excluraient mutuellement ? Une belle image ne pourrait témoigner de façon crédible de problèmes sociétaux, tandis qu’inversement une image politique ne saurait présenter de caractère esthétique. C’est pourtant le propre du genre documentaire que de combiner ces deux aspects. La stylisation esthétique n’efface jamais le sujet politique ou social, et toutes les images – y compris, voire surtout, les plus politiques – sont le résultat de choix formels. On ne peut réduire l’image à l’intention proférée du photographe, comme si celui-ci faisait un choix manichéen entre faire “esthétique“ et faire “politique“. Plusieurs voix proposent ainsi de mettre fin à cette évaluation schématique des photographies à partir d’un “jugement politique de goût“ instauré par Rosler ou Sontag.D’autant plus que la dimension politique ne se situe pas tant dans l’image que dans sa relation avec le spectateur : réduire les images à leur seule dimension esthétique serait aussi une façon de dédouaner le spectateur de toute réaction. Celui-ci ne prend plus l’image en considération, sous prétexte qu’elle trahit la réalité. C’est une manière commode de contourner le malaise suscité par la détresse des personnes photographiées. Susan Sontag elle-même

moindre brèche dans l’opinion publique, en l’absence de sentiments et de prises de position qui lui fournissent un contexte adéquat. Les photos des horreurs du champ de bataille prises par Mathew Brady et ses collègues n’ont pas diminué l’ardeur qui portait les gens à continuer la guerre de Sécession. Les photos des prisonniers dépenaillés et squelettiques détenus à Andersonville enflammèrent l’opinion publique du Nord... contre le Sud. (L’effet des photos d’Andersonville tenait certainement, en partie, à la nouveauté même des photographies à cette époque.) C’est le degré de sensibilité politique atteint par de nombreux Américains dans les années soixante qui leur permettrait maintenant, en regardant les photos prises par Dorothea Lange de la déportation de Nisei sur la côte Ouest en 1942, de lire ces images correctement : comme celles d’un crime commis par le gouvernement contre une importante fraction de la nation américaine. Peu de ceux qui virent ces photos en 1940 auraient pu avoir une réaction aussi nette ; les bases d’un tel jugement étaient brouillées par le consensus qui régnait en faveur de la guerre. Les photos sont incapables de créer une position morale, mais elles peuvent la renforcer, et elles peuvent l’aider à s’établir quand elle commence à se dessiner. Il est possible que les photos soient plus mémorables que les images animées, car elles délimitent des tranches de temps ; elles ne défilent pas. La télévision charrie un flux d’images dont chacune annule la précédente. Chaque vue fixe est un moment privilégié, transformé en objet sans épaisseur que l’on peut conserver et revoir. Des photos comme celle qui a fait la une de presque tous les journaux du monde en 1972 – une petite Sud-Vietnamienne nue qui vient d’être aspergée de napalm américain, courant sur la route en direction de l’objectif, les bras ouverts, hurlant de douleur –, de telles photos firent probablement plus pour renforcer le dégoût de l’opinion que cent heures d’atrocités télévisées. »Susan Sontag, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois, 2008, p. 34-35.

37 · POSTÉRITÉ DES IMAGES, SYMBOLES ET QUESTIONNEMENTS

Japanese Children with Tags, Hayward, California, 8 mai 1942

Page 38: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

38 · DÉCOUVRIR L’EXPOSITION

La vidéo ne produit aucun commentaire et cette entrée dans un témoignage en cours, les relations de composition à l’œuvre dans le cadrage d’un point de vue, le choix de situer une parole au sein d’un groupe, à rebours de l’économie du témoignage fondé sur l’individu isolé, cadré sur fond neutre, offrent un temps de réflexivité : il s’agit, en effet, de montrer la parole dans sa fonction et son mouvement d’adresse, autrement dit, d’interroger les conditions d’exposition et d’émergence de la parole lorsqu’il s’agit d’un témoignage. Ce mouvement d’adresse déplace la valeur documentaire du film en mettant en évidence une réflexivité constante sur le statut de l’image. Le déplacement d’une adresse univoque vers le spectateur, au profit d’autres présences (celle des femmes) et d’autres paroles, dont le locuteur nous fait part, fait apparaître des écarts temporels entre l’individu et le groupe, en adéquation avec une conception de l’événement fait de plusieurs durées, autrement dit, qui combine le général et le particulier. La vidéo met en scène un témoignage sur un événement historique, elle peut prendre valeur de document, et, expose dans un lieu d’art, de diffusion et de conservation [...], elle met en perspective la relation entre l’art et l’usage du document, c’est-à-dire son exposition. Des tableaux de scènes de genre aux portraits de famille et, bien sûr, au “style documentaire“, c’est toute une filiation formelle et figurative, qui s’offre au spectateur dans cette vidéo-projection échelle 1. La référence au théâtre, via l’organisation de l’action et de la parole est aussi manifeste. Nous y reviendrons. D’autres temporalités s’articulent à celles en présence dans le récit et l’image, par l’entremise d’un cadrage qui met incessamment en jeu la figuration du témoin, de sorte que cette vidéo pose d’emblée la question de la distance par rapport a la représentation du conflit et de l’événement historique dans l’art. Le choix du point de vue est questionné à même l’image. »Nadia Fartas, « Le témoignage dans Les Paysans de Florence Lazar : le seuil de l’adresse », 2010- 2016, carnet de recherche Comment commencer ? (en ligne sur https://commencer.hypotheses.org/455 et www.florencelazar.fr ). [Le Jeu de Paume présente une exposition consacrée à Florence Lazar, du 12 février au 2 juin 2019. Ressources et « dossier documentaire » à paraître sur notre site]

revient, en 2002, sur ses positions : elle dénonce une interprétation néfaste des théories du spectacle de Debord puis Baudrillard, qui pousserait à évacuer le trouble engendré par ces images, réduites à des mises en scènes factices indignes de provoquer la réflexion. L’observateur privilégié ignore ainsi avec condescendance la réalité, transformée en illusion luxueuse, et refuse de voir la majorité de ceux pour qui le monde n’est pas un spectacle. Martha Rosler, qui incluait Susan Meiselas dans sa critique du culte des photographes stars gagnant leur pain sur le dos des miséreux, nuancera elle aussi sa position.C’est donc avec le retour de la responsabilité du spectateur que le document photographique retrouve sa légitimité politique, dans la mouvance des pratiques collaboratives qui tentent de favoriser le dialogue entre auteur, sujets et spectateurs au sein d’un nouveau contrat. Pour Susan Meiselas, ce débat se fondait sur de nombreux présupposés quant aux réactions des spectateurs, indifférence anesthésiée ou prises de parti hypothétiques : face à cette incertitude sur le rôle réel des images, il est temps d’observer l’effet précis des photographies et leur réception. C’est ce qu’elle s’emploie à faire pour ses photographies de la révolution sandiniste au Nicaragua, devenues des icônes massivement diffusées dont elle essaie de retrouver la trace et le contexte d’utilisation. Son travail ne s’arrête donc pas une fois les images publiées : en 1991, elle retourne au Nicaragua pour réaliser le film Pictures from a Revolution et part à la recherche des personnes qu’elle a photographiées. En 2004, elle expose en grand format, sur les lieux où elle les a prises, ses photographies de 1978. »Clara Bouveresse, « Le renouveau de l’approche documentaire, exemple d’une archive collaborative : Susan Meiselas, Kurdistan (1991-2009) », Transatlantica, 2, 2014 (en ligne : http://journals.openedition.org/transatlantica/7144).[Le Jeu de Paume a présenté l’exposition « Susan Meiselas. Médiations » du 6 février au 20 mai 2018. Voir les archives et le « dossier documentaire » en ligne sur notre site] « L’œuvre de Florence Lazar a ceci de précieux qu’elle se garde de toute esthétisation, autrement dit elle n’idéalise pas les situations de conflits et ne cède a aucune exotisation de la parole. Les Paysans (2000) sur lequel porte l’article ci-dessous (écrit en partie en 2010 et repris en 2016) illustre particulièrement ces orientations. [...]La vidéo s’ouvre sur un groupe : deux femmes assises devant la façade d’une maison rassemblent des fagots, discutent entre elles et avec un enfant, tout en semblant écouter l’homme au premier plan, occupé à la même activité, debout devant une table où s’entassent des sarments. Celui-ci s’adresse en direction du hors-champ, vers la droite, et ses paroles sont retraduites en simultané ou, plus précisément, à la faveur d’une seule prise. La traduction en français — une voix de femme avec un accent — est en effet hésitante mais cette hésitation est le signe d’une volonté d’exactitude : légèrement décalée par rapport à la voix du locuteur principal, cette deuxième voix tente en effet d’être au plus près du présent d’énonciation. L’homme donne son analyse du processus mis en place par Milosevic, qui a conduit à la guerre au Kosovo. Cette position politique minoritaire, intelligible dès les premiers mots, ancre cette scène par rapport à une date, 1989, une durée de dix ans et un pays, la Serbie. [...]

Page 39: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

39 · ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES THÉMATIQUES

❙ London, Bernard, L’obsolescence programmée. Pour en finir avec la Grande Dépression, Paris, éditions B2, 2013. ❙ Lugon, Olivier, « Entre l’affiche et le monument, le photomural dans les années 1930 », in Olivier Lugon (dir), Exposition et médias, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2012, p. 78-123.❙ Masutti, Christophe, Les faiseurs de pluie, Dust Bowl, écologie et gouvernement (États-Unis, 1930-1940), 2012 (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00735543)❙ Poupard, Laure, « L’expérience visuelle du New Deal, la propagande du gouvernement Roosevelt vue à travers ses expositions photographiques, 1935-1942 », thèse de doctorat, sous la direction d’Arnauld Pierre, université Paris-Sorbonne, 2017. ❙ Sire, Agnès, Henri Cartier-Bresson, Walker Evans, Photographier l’Amérique, 1929-1947, Göttingen, Steidl, 2008. ❙ Steinbeck, John, Des souris et des hommes [1937], Paris, Gallimard, 2005.❙ Steinbeck, John, Les Raisins de la colère [1939], Paris, Gallimard, 2002. ❙ Terkel, Studs, Hard Times, histoires orales de la Grande Dépression, Paris, éditions Amsterdam, 2009.

Farm Security Administration ❙ Artaud, Denise, Images de l’Amérique en crise, photographies de la Farm Security Administration, 1935-1942, Paris, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, 1979. ❙ Charluteau, Sarah, « La séduction comme stratégie de propagande : les photographies du groupe d’Alfred T. Palmer (1941-1943) », L’Atelier, vol. 9, nº 2 (https://ojs.u-paris10.fr/index.php/latelier/article/view/497/html).❙ Collectif, Amériques. Les années noires, Farm Security Administration, 1935-1942, Paris, Centre national de la photographie, coll. « Photo-poche », 1995. ❙ Grillet, Thierry, Walker Evans, Dorothea Lange & les photographes de la Grande Dépression, Paris, éditions Place des Victoires, 2017. ❙ Kempf, Jean, L’œuvre photographique de la “Farm Security Administration“ (1935-1943) – Quelques problèmes de rapport entre photographie et société, thèse de doctorat, sous la direction de Roland Tissot, université Lumière Lyon 2, 1988 (http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/1988/kempf_j#p=0&a=top).❙ Kempf, Jean, « Posséder / immobiliser : l’archive photographique de la Farm Security Administration », Revue française d’études américaines, n° 39, février 1989, p. 45-56 (https://www.persee.fr/doc/rfea_0397-7870_1989_num_39_1_1350).❙ Kempf, Jean, « Beyond the Waste Land. Destruction et renaissance dans les photographies de la Farm Security Administration », in La photographie comme destruction, Arles / Aix-en-Provence, École nationale de la photographie / universite de Provence, 1994, p. 40-49 (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00382231/document).❙ Kempf, Jean, « Gilles Mora et Beverley W. Brannan. Les Photographies de la FSA. Archives d’une Amérique en crise. 1935-1943 », Transatlantica, n° 1, 2007 (https://journals.openedition.org/transatlantica/1341). ❙ Maddox, Gerald C., Walker Evans: Photographs from the Farm Security Administration, New York, Da Capo Press, 1975. ❙ Mora, Gilles, Brannan, Beverley W., Les photographies de la FSA, Farm Security Administration, archives d’une Amérique en crise, 1935-1943, Paris, Seuil, 2006.

Retrouvez des ouvrages liés aux expositions et des bibliographies thématiques sur le site de la librairie du Jeu de Paume : www.librairiejeudepaume.org

Contexte et représentations des États-Unis ❙ Adams, Ansel, Born Free and Equal, The Story of Loyal Japanese-Americans, New York, U.S. Camera, 1944 (http://www.loc.gov/pictures/collection/manz/book.html)❙ Agee, James et Evans, Walker, Louons maintenant les grands hommes [1939], Paris, Librairie Plon, 1972.❙ Agee, James et Evans, Walker, Une saison de coton. Trois familles de métayers, Paris, Christian Bourgois, 2014. ❙ Arrouye, Jean, « L’imaginaire de la route américaine », in Revue française d’études américaines, nº 48-49, avril-juillet 1991 (https://www.persee.fr/doc/rfea_0397-7870_1991_num_48_1_1438). ❙ Barter, Judith A., La Peinture américaine des années 1930. The Age of Anxiety, Paris, Musées d’Orsay et de l’Orangerie / Hazan, 2016. ❙ Caldwell, Erskine, Un p’tit gars de Géorgie, [1949], Paris, Gallimard, 1998. ❙ Chéroux, Clément (dir.), Walker Evans, Paris, Centre Pompidou, 2017. ❙ Chevrier, Jean-François, Walker Evans dans le temps et dans l’histoire, Paris, L’Arachnéen, 2010. ❙ Collectif, « Au-delà du New Deal : esthétique et politique de la représentation dans les années 1930 », Revue française d’études américaines, nº 102, décembre 2004. ❙ Evans, Walker, Photographies américaines [1939], Milan, 5 continents, 2012. ❙ Faulkner, William, Le bruit et la fureur, [1929], Paris, Gallimard, 1972. ❙ Kempf, Jean, Les mots de l’Amérique, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2012. ❙ Kempf, Jean, L’Amérique des images, histoire et culture visuelles des États-Unis, Paris, Hazan / université Paris Diderot, 2013. ❙ Lange, Dorothea et Taylor, Paul, An American Exodus: A Record of Human Erosion [1939], nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999.

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES THÉMATIQUES

Page 40: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

40 · APPROFONDIR L’EXPOSITION

❙ Poos, Françoise (dir.), Les années amères : la Grande Dépression vue par Edward Steichen au travers des photographies de la Farm Security Administration, Londres, Thames & Hudson, 2012. ❙ Stryker, Roy Emerson et Wood, Nancy, In This Proud Land: America 1935-1943 as seen in the FSA photographs, New York, New York Graphic Society, 1973. ❙ Stryker, Roy Emerson, « À propos du programme photographique de la F.S.A. », in Frizot, Michel et Ducros, Françoise (dir.), Du bon usage de la photographie, Paris, Centre national de la photographie, coll. « Photo-poche », 1999, p. 123-133.

Photographie sociale et documentaire❙ Amao, Damarice, « Eli Lotar un photographe professionnel et militant en marge du surréalisme », actes du colloque « L’image comme strategie : des usages du medium photographique dans le surréalisme », Paris, Institut national d’histoire de l’art, 11 decembre 2009 (https://hicsa.univ-paris1.fr/documents/ pdf/CIRHAC/AmaoWEB.pdf). ❙ Amao, Damarice, Ebner, Florian et Joschke, Christian, Photographie, arme de classe : photographie documentaire et sociale en France, 1928-1936, Paris, Textuel, à paraître (automne 2018).❙ Aubert, Didier, « Politique du documentaire », Études photographiques, nº 23, mai 2009 (http://etudesphotographiques.revues.org/2664). ❙ Castro, Teresa, « Les Archives de la Planète et les rythmes de l’Histoire », 1895, Revue de l’association française de recherche sur l’histoire du cinéma, nº 54, 2008 (http://1895.revues.org/2752). ❙ Chevrier, Jean-François, « Introduction », actes de la journée d’études « Photographie sociale / photographie documentaire », organisée par la Fondation Henri Cartier-Bresson et le Jeu de Paume, Paris, 10 décembre 2011.❙ Chouard, Géraldine, Kempf, Jean, Brunet, François, « La photographie “documentaire” américaine : nouvelles approches, Transatlantica, 2, 2014 (http://journals.openedition.org/transatlantica/7245).

❙ Christolhomme, Michel, La Photographie sociale, Arles, Actes Sud, 2010. ❙ Collectif, Le statut de l’auteur dans l’image documentaire, Paris, Jeu de Paume, coll. « Documents », nº 3, 2006. ❙ Denoyelle, Françoise, « Tina Modotti (Margaret Hooks) », in Reseaux, vol. 13, nº 74, 1995, p. 223-225 (http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1995_ num_13_74_2799). ❙ Hine, Lewis, « Sur la photographie sociale, 1909 », in Michel Frizot et Françoise Ducros (dir.), Du bon usage de la photographie, Paris, Centre national de la photographie, coll. « Photo-poche », p.115-122. ❙ Joschke, Christian, « L’histoire de la photographie sociale et documentaire dans l’entre-deux-guerres. Paris dans le contexte transnational », Perspective, 1, 2017 (http://journals.openedition.org/perspective/7197 ; DOI : 10.4000/perspective.7197). ❙ Lesme, Anne, « Lewis Hine et le National Child Labor Committee : vérité documentaire et rhétorique visuelle et textuelle », Transatlantica, nº 2, 2014 (https://transatlantica.revues.org/7185). ❙ Lugon, Olivier, Le style documentaire. D’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris, Macula, 2001. ❙ Lugon, Olivier, « Le réel sous toutes ses formes », in André Gunthert et Michel Poivert, L’art de la photographie, Paris, Citadelles et Mazenod, 2007, p. 358-421.❙ Maresca, Sylvain, La Photographie, un miroir des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1996.❙ Okuefuna, David, Albert Kahn, le monde en couleurs, Paris, Chêne, 2008.❙ Tracol, Henri, « Photographie, arme de classe », Cahier rouge, organe de l’A.E.A.R. nº 1, 1933.

Postérités et questionnements❙ Bouveresse, Clara, « Le renouveau de l’approche documentaire, exemple d’une archive collaborative : Susan Meiselas, Kurdistan (1991-2009) », Transatlantica, 2, 2014 (http://journals.openedition.org/transatlantica/7144).❙ Chéroux, Clément, Diplopie. L’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001, Cherbourg, Le Point du Jour, 2009.

Shipyard Worker, vers 1943

Page 41: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

❙ Fartas, Nadia, « Le témoignage dans Les Paysans de Florence Lazar : le seuil de l’adresse », 2010- 2016, carnet de recherche Comment commencer ? (http://commencer.hypotheses.org/455 et www.florencelazar.fr).❙ Chevrier, Jean-François et Roussin, Philippe, « Le parti pris du document », Communications nº 71, Paris, Seuil, 2001. ❙ Collectif, Les grands entretiens : la photographie 3. (Post-)documentaire, Paris, art press, 2016.❙ Guillot, Claire, « Mère Colère contre Mère Courage », Le Monde, 25 juillet 2013. (https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/07/25/mere-colere-contre-mere-courage_3453751_3246.html).❙ Rosler, Martha, « Pensées au cœur, autour et au-delà de la photographie documentaire » [1981], in Sur/sous le pavé, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 165-197. ❙ Solomon-Godeau, Abigail, Chair à canons. Photographie, discours, féminisme, Paris, Textuel, 2016.❙ Sekula, Allan, « Défaire le modernisme, réinventer le documentaire : notes sur une politique de la représentation » 1976-1978, in Allan Sekula, Écrits sur la photographie, 1974-1986, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2013, p. 143-174. ❙ Sontag, Susan, Sur la photographie, Paris, Christian Bourgois, 2008.

Filmographie ❙ Bogdanovitch, Peter, Paper Moon, 1973, 35 mm, noir et blanc, 98 min.❙ Flaherty, Robert, The Land, 1939, 35mm, noir et blanc, 41 min. (https://archive.org/details/TheLand_201505).❙ Ford, John, Les Raisins de la colère, 1939, 35 mm, noir et blanc, 129 min. ❙ Ivens, Joris, The Power and the Land, 1940, 35 mm, noir et blanc, 33 min. (https://www.youtube.com/watch?v=JSRRjPpKNf0).❙ Lorentz, Pare, The Plow that Broke the Plains, 1936, 35 mm, noir et blanc, 25 min. (https://www.youtube.com/watch?v=arRmz4kUisE).

Liens Internet et ressources en ligne❙ Captures du monde social : photographie sociale et documentaire des années 1930, projet Labex université Paris Ouest Nanterre / Paris 8 / Cabinet de photographie du Musée national d’art moderne / Centre Pompidou : http://captures.labex-arts-h2h.fr/content/membres-du-projet❙ Collection en ligne des photographies de la F.S.A : http://www.loc.gov/pictures/collection/fsa❙ Enregistrement du colloque « Les Archives de la Planète d’Albert Kahn » : une entreprise photographique et filmique, visionnaire et politique, en ligne : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/manifestations/14_15/14_12_4-5.html❙ Collection en ligne des Archives de la planète : http://collections.albert-kahn.hauts-de-seine.fr❙ Dossiers documentaires des expositions « Nicolás Muller (1913-2000). Traces d’un exil », « Robert Adams / Mathieu Pernot », « Soulèvements », « Zofia Rydet. Répertoire, 1978-1990 », « Eli Lotar » et « Susan Meiselas. Médiations » : www.jeudepaume.org (dans « éducatif » / « ressources »).

HISTOIRES DE LA PHOTOGRAPHIE Textes de Julie Jones et Michel Poivert

Dans notre vie de tous les jours, les images sont partout : dans les journaux, sur Internet, sur nos téléphones… Mais comment est fabriquée une photographie ? À quoi sert-elle ? De quelle manière nous apporte-t-elle des informations, suscite-t-elle des émotions ? Inventée il y a presque deux cents ans, la photographie a déjà une longue histoire, et même plusieurs ! Elle a accompagné la découverte du monde, le développement de la presse, des sciences, et les artistes s’en sont servis pour créer des œuvres. Ce sont quelques-unes de ces histoires qui, dans ce livre destiné aux enfants (à partir de 8 ans), sont racontées en six chapitres : Enregistrer, Créer, Réinventer, Informer, Observer, Rassembler.

juin 2014 · 120 pages, 100 ill. couleur et n & b · broché, 18 × 22 cm · coédition Jeu de Paume / Le Point du Jour Éditeur · 18 €

41 · ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES THÉMATIQUES

Page 42: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

42 · PISTES SCOLAIRES

Les pistes de travail suivantes se veulent des propositions ouvertes qui s’articulent autour de notions et de questions liées aux images exposées. Elles ont été conçues avec les professeurs-relais des académies de Créteil et de Paris au Jeu de Paume. Il appartient aux enseignants et aux équipes éducatives de s’en emparer pour concevoir, dans le contexte particulier de leurs classes et de leurs projets, la forme et le contenu spécifiques de leurs cours ou de leurs activités.

Afin de préparer ou de prolonger la découverte des images de Dorothea Lange et en lien avec les parties précédentes de ce dossier, ces pistes sont regroupées en sept thèmes : – « Projets documentaires et archives » – « Figures de la Grande Dépression »– « Représentations de la route américaine » – « Images, textes et contextes »– « Migrant Mother, composition et diffusion »– « ”Camps de relocalisation”, propagande et saisie »– « Actualisation des questions photographiques et sociales »

* Pour les principaux sites permettant de consulter en ligne des photographies de Dorothea Lange : voir la bibliographie indicative dans la partie « découvrir » de ce dossier, p. 13.

* Pour consulter des ressources et des propositions pédagogiques en anglais : – Dossier autour de l’exposition « Dorothea Lange: Politics of Seeing », réalisé par l’Oakland Museum of California : https://bit.ly/2NvsAqI – « About Life: The Photographs of Dorothea Lange », propositions pédagogiques du Getty Museum : https://bit.ly/2LDfhCB

* Pour prolonger les thématiques autour des images de Dorothea Lange, vous pouvez explorer la plateforme ERSILIA (voir la présentation des parcours croisés p. 4-5). La première inscription sur www.ersilia.fr est réservée aux enseignants et aux professionnels de l’éducation ayant une adresse email académique. Une fois inscrits, ils invitent les élèves et les intervenants à rejoindre leur réseau.

PISTES SCOLAIRES

LA GRANDE DÉPRESSION ET LE NEW DEAL

Mars 1929 : début de la présidence d’Herbert C. Hoover dans un climat d’euphorie économique liée à la très forte croissance américaine29 octobre 1929 : « jeudi noir » ou krach de Wall Street et écroulement des indices boursiers1929-1933 : contraction drastique du crédit, multiplication des faillites d’entreprises, effondrement du revenu national des États-Unis et chômage massif (25%), développement du phénomène des « nomades de la Dépression » (appelés hobos, tramps, wargrants ou transients) Mars 1933 : début de la présidence de Franklin D. Roosevelt ; de mars à juin 1933, vote des lois du premier New Deal (sur l’agriculture, la planification régionale et l’industrie)1934 : exode de milliers de fermiers obligés d’abandonner leurs terres suite au dust bowl en Oklahoma et Kansas (ces fermiers sont appelés Okies)1934-1935 : mise en place du Welfare State (assurance vieillesse, grands travaux, réforme fiscale)Juillet 1935 : Roy Stryker nommé chef de la section historique de l’agence indépendante Resettlement Administration, qui devient la Farm Security Administration

le 1er septembre 1937 sous la tutelle du ministère de l’Agriculture (restera à son poste jusqu’en 1943)1935-1942 : aides de la FSA aux agriculteurs par des subventions et construction de camps pour les travailleurs migrantsÀ partir de 1937 : augmentation de la production industrielle et du revenu national des États-Unis, réduction du chômage1941 : entrée en guerre des États-Unis 1942 : intégration de la FSA au service spécial de propagande de guerre, le « War Information Office »

Sources et ressources en ligne : – Yves-Henri Nouailhat, Les États-Unis de 1917 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2009– « The Great Depression in Washington State Project » site Internet en anglais, sur la crise de 1929 et les programmes du New Deal dans l’État de Washington : https://bit.ly/2LGMXiI – « A New Deal for the Arts », exposition virtuelle, en anglais, concue par les Archives nationales américaines : https://bit.ly/2PO2vo6 – Document pédagogique proposé par le Getty Museum autour du Dust Bowl : https://bit.ly/2NuL629

Page 43: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

43 · PROJETS DOCUMENTAIRES ET ARCHIVES

PROJETS DOCUMENTAIRES ET ARCHIVES

« Dans les années de crise, c’est le caractère archivistique de la photographie qui est aussi mis en avant, une valeur qui remonte aux origines de son usage dans l’exploration du monde. La division photographique de la Farm Security Administration incarne l’archétype de cette pratique en concevant, dès ses origines en 1935, la possibilité de constituer une vaste collection organisée d’images qui rende compte de tous les aspects de la vie américaine. [...] Projet comparable à celui mené par Albert Kahn (que Stryker ne connaissait probablement pas) au début du XXe siècle en France, cette idée encyclopédique est l’un des legs les plus intéressants de la FSA à l’histoire de la photographie et inspirera nombre de projets futurs. »Jean Kempf, « La photographie communique », in L’Amérique des images, histoire et culture visuelles des États-Unis, Paris, Hazan / université Paris Diderot, 2013, p. 233.

❙ Les « Archives de la planète » Albert Kahn, banquier, « va consacrer sa vie et sa fortune, entre 1898 et 1931, à l’établissement de la paix universelle. Pour cela, Albert Kahn crée de nombreuses institutions destinées à favoriser la compréhension entre les peuples et la coopération internationale : ses “bourses autour du

monde” offrent à de futurs enseignants l’opportunité de voyager et de découvrir les réalités du monde […] un “Comité National d’Études Sociales et Politiques” (C.N.E.S.P.) compare les solutions apportées aux maux de l’humanité dans divers pays par deux centres de documentation sociale ; les “Archives de la planète” recensent en photographies couleur et films noir et blanc les aspects de la vie dans les cultures humaines ». (Site Internet du musée départemental Albert-Kahn, https://bit.ly/2os1EgG)Fondées en 1908-1909, les « Archives de la planète » ont pour but de pacifier les relations entre les peuples du monde entier par la découverte et la compréhension des modes de vie. Conserver des traces des traditions fait également partie des missions de ces archives, par le biais de la photographie et du cinéma : « La photographie stéréoscopique, les projections, le cinématographe surtout, voilà ce que je voudrais faire fonctionner en grand afin de fixer une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps ». (Albert Kahn, janvier 1912)Une douzaine d’opérateurs sont formés et documentent, à partir d’un protocole de prises de vue précis, la vie quotidienne, mais aussi les événements du début du XXe siècle et leurs conséquences. Ils retracent la situation de crise économique en

France à la fin de la Première Guerre mondiale, notamment les problèmes dans le domaine de l’alimentation à travers la politique de rationnement. – Observer, à partir de la collection en ligne (https://bit.ly/2b7Rrz3) et du mot clé « rationnement », les photographies suivantes prises pendant la Première guerre mondiale en France : • Paul Castelneau, Vieille femme venant

chercher du charbon, Reims, 28 mars 1917

• Paul Castelneau, Distribution de charbon, Reims, 28 mars 1917

• Auguste Léon, Affiche d’avis au public pour le rationnement du pain, sucre et charbon, Paris, 20 juillet 1918

• Auguste Léon, Carte individuelle d’alimentation d’Auguste Léon, Paris, septembre 1918

Quelle situation décrit l’ensemble de ces photographies ? Quels éléments représentés nous permettent de situer le contexte ? En quoi la notion de série est-elle importante ? Dans les photographies prises à Reims, quel est le point de vue adopté ? Quel type de cadrage semble privilégié ? Que permet l’utilisation de la couleur par le procédé de l’autochrome ? Quelle est la contrainte majeure de ce procédé ? Quelle demande le photographe doit-il alors faire aux personnes rencontrées ? Quelles conséquences cela a-t-il sur la façon dont elles sont représentées ? Dans les photographies ci-dessus, quels types de documents Auguste Léon photographie-t-il ? Pourquoi est-ce important d’en conserver une trace ?

Paul S. Taylor, Dorothea Lange in Texas on the Plains, vers 1935

Page 44: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

En photographiant sa propre carte d’alimentation, quelle information nous transmet-il ? En quoi cela peut-il changer notre regard sur le travail documentaire ? – Certains sujets documentés par le biais des autochromes trouvent aussi leur équivalent filmique. Visionner le film suivant de la collection des « Archives de la planète » : • Réalisateur inconnu, Crise du charbon,

1917, noir et blanc, muet, 3 min 18 sec (https://bit.ly/2PoU2Xz)Que permet le cinéma par rapport à la photographie ? Néanmoins que perd-on par rapport aux autochromes ? Repérer les différents plans qui composent ce film. Comment appelle-t-on le mouvement de caméra amorcé par l’opérateur dans le premier plan ? Quelle est sa fonction ? Que permet-il dans ce cas précis ? Que fait la foule ? Quelles catégories sociales sont représentées ? Lesquelles d’entre elles nous indiquent particulièrement le contexte historique ? Comment réagissent les personnes en présence de la caméra ? En quoi cela semble-t-il différer par rapport aux photographies ? Les protocoles de prises de vue photographique et cinématographique sont-ils identiques ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur le résultat obtenu ? La valeur « documentaire » des images est-elle la même selon les procédés de prises de vue employés ?

❙ La division photographique de la FSA et la plateforme « Photogrammar »La plateforme de consultation Photogrammar (http://photogrammar.yale.edu), développée par une équipe de l’université de Yale et ouverte en 2014, présente les 170 000 photographies commandées par le gouvernement Roosevelt entre 1935 et 1944. Il est ainsi possible de rechercher et de visualiser une partie des archives photographiques de la Farm Security Administration et de l’Office of War Information, selon le photographe, l’emplacement, la date, ainsi que diverses entrées thématiques. – À partir de la localisation des emplacements des prises de vue de Dorothea Lange signalés par des points orange sur la carte (https://bit.ly/2C3BGtj), déterminer les territoires qu’elle a principalement parcourus et essayer de définir sa démarche photographique. Peut-on trouver des thématiques et des sujets récurrents selon ses déplacements ? Pourquoi ? Quels points de vue et cadrages nous donnent des indices sur son approche des personnes rencontrées ? – Peut-on retrouver les traces d’un protocole photographique aussi défini que celui des opérateurs des « Archives de la planète » ? Qu’apporte la subjectivité de la photographe dans cette traversée de certaines régions américaines par rapport à la commande et aux objectifs de la FSA ? Quels points communs peut-on trouver dans l’intention documentaire des

projets des « Archives de la planète » et de la FSA ? Dans la façon dont on peut accéder à ces photographies aujourd’hui ? – Que documentent les images de Dorothea Lange ? Quelles informations apportent-elles sur le territoire des États-Unis et ses habitants ? Quelle vision donne-t-elle de son histoire et de ses transformations dans les années 1930-40 ? Quel regard porte-t-elle sur la mécanisation de l’agriculture et ses conséquences, la dépression et le Dust Bowl, l’exode vers l’ouest et les déplacements des familles, les conditions de travail et les situations de chômage, les relations entre les zones rurales et les villes, les rapports de force et la ségrégation…? – Lors de la visite de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible » au Jeu de Paume, observer le choix d’accrochage pour la section consacrée aux photographies de la FSA. Que permet de souligner cette scénographie ? Comment sont donnés à voir les déplacements de la photographe et les séquences de photographies ainsi réalisées ? Imaginer d’autres possibilités d’accrochage et expliciter les problématiques mises en valeur pour chaque proposition.

Drought refugees, vers 1935

44 · PISTES SCOLAIRES

Page 45: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

45 · F IGURES DE LA GRANDE DÉPRESSION

Man beside wheelbarrow, San Francisco, 1934

FIGURES DE LA GRANDE DÉPRESSION

« Leurs racines leur avaient été complètement arrachées. Leur seul univers était celui de l’extrême pauvreté. Il est difficile de photographier un homme fier dans ces conditions, parce qu’on ne peut pas montrer les raisons de sa fierté. Il fallait que mon appareil enregistre des choses sur ces gens qui étaient plus importants que la pauvreté : leur fierté, leur force, leur esprit. »Dorothea Lange, citée in Robert Coles (dir.), Dorothea Lange, Photographies d’une vie, Cologne, Könemann éditions, 1982, p. 45.

❙ Prises de vue, cadrages et recadrages– Comparer les deux photographies suivantes : • Dorothea Lange, Once a Missouri

farmer, now a migratory farm laborer on the Pacific Coast, California [Ditched, stalled and stranded], février 1936 (voir p. 48)

• Dorothea Lange, Once a Missouri farmer, now a migratory farm laborer on the Pacific Coast, California [Ditched, stalled and stranded], février 1936 (détail) (https://artnt.cm/2ICbANR)Selon vous, pourquoi Dorothea Lange a-t-elle choisi de recadrer cette image ? Sur quels éléments ce recadrage concentre-t-il l’attention du spectateur ?– Étudier Migratory cotton picker, Eloy, Arizona, réalisée par Dorothea Lange en 1940 (voir p. 24) :Comment cette photographie est-elle

composée ? Quel type de cadrage la caractérise ? Quelle partie du corps est ainsi mise en avant ? Comparer cette image à trois versions du même sujet réalisées par Dorothea Lange (https://bit.ly/2oFjOvu ; https://bit.ly/2wFucHU ; https://bit.ly/2NeKmBn). Que peut-on en déduire quant à la démarche de Dorothea Lange ? Pourquoi privilégier le plan rapproché ? Comment comprendre la place de la main dans cette photographie ? En quoi ce fragment de corps peut-il exprimer davantage que son ensemble ?

❙ Corps et contextesDans les deux photographies ci-dessous, analyser la place des corps par rapport à leur outil de travail et leur environnement :• Dorothea Lange, Man beside

wheelbarrow, San Francisco, 1934 (voir ci-dessus et sur https://bit.ly/2NLojiR)

• Dorothea Lange, Alabama Negro working in field near Eutaw, Alabama, juillet 1936 (voir p. 23)

Quels points communs et quelles différences peut-on relever dans la composition de ces images ? Quels éléments permettent de mettre en valeur l’action et la répétitivité des gestes dans la seconde ? Lesquels donnent à voir les conséquences du travail dans la première ? En quoi ces photographies témoignent-elles de la condition des personnes représentées ? Quels liens peut-on faire avec le contexte historique et les réalités

sociales des années 1930 aux États-Unis ? « Prenez cette photographie d’un homme la tête dans ses mains, par exemple. Cinq ans plus tôt, je me serais contentée de prendre l’image d’un homme, rien de plus. Mais maintenant, je voulais prendre l’image d’un homme tel qu’il se trouvait dans le monde, en l’occurrence un homme la tête courbée, le dos contre le mur, avec son gagne-pain : cette brouette retournée. »Dorothea Lange, citée in Robert Coles (dir.), Dorothea Lange, Photographies d’une vie, Cologne, Könemann éditions, 1982, p. 45.

❙ Diversité des approches documentaires– Comparer les démarches de Dorothea Lange, Walker Evans et Arthur Rothstein à partir des images suivantes : • Dorothea Lange, Drought refugees,

vers 1935 (voir p. 44) • Walker Evans, Sharecropper Bud Fields

and his family at home. Hale County, Alabama, 1935 (https://bit.ly/2CgzG17)

• Arthur Rothstein, Farmer and sons walking in the face of a dust storm. Cimarron County, Oklahoma, avril 1936 (https://bit.ly/2wGhB6A)

Quels sont les points de vue adoptés ? Quel impact ont-ils sur la réception des images ? Lequel offre le plus de détails à l’observation ? Quel rôle joue le mouvement du sable dans l’image d’Arthur Rothstein ? Selon vous, quelle image incite le plus à la compassion ?

Page 46: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

À la prise de conscience ? Débattre des choix des photographes en fonction des missions de la FSA, mais aussi de leurs approches personnelles. Vous pouvez développer en étudiant leurs parcours respectifs.

❙ Les raisins de la colère« Lange, avec ses photos qui ont été reproduites dans des milliers de quotidiens, de magazines et de suppléments du dimanche, et Steinbeck, avec deux romans, une pièce de théâtre et un film, ont plus fait pour ces tragiques nomades que tous les hommes politiques du pays. » Pare Lorentz, à propos de Lange, U. S. Camera, 1941, cité par Jilke Golbach, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 264.– Lire le roman de John Steinbeck, Les Raisins de la colère, dont la première édition date de 1939 :Dans quel État américain le récit débute-t-il ? Qui sont les personnages principaux du roman ? Pour quelle raison la famille Joad doit-elle quitter sa ferme ? Vers quel État se dirige-t-elle ? Comment les chapitres du roman sont-ils construits ? Quelles photographies de Dorothea Lange peuvent avoir inspiré l’écrivain ? – Étudier l’image suivante : • Dorothea Lange, Grapes of wrath

billboard, 1939 (https://bit.ly/2xZUmpv)

En quoi est-elle intéressante ? Sur quels contrastes joue-t-elle ?– Ce roman obtient un grand succès dès sa publication et le producteur Darryl F. Zanuck, qui a acheté les droits d’adaptation pour la 20th Century Fox, confie à John Ford la réalisation du film. Tourné en 43 jours, le film sort en janvier 1940. À quelques mois des élections présidentielles de novembre 1940, il défend la politique du New Deal menée par Roosevelt. Regarder les photogrammes du film reproduits dans le dossier pédagogique élaboré dans le cadre du dispositif « Collège au cinéma » (https://bit.ly/2wH9lUz). Quels plans du film font écho aux photographies de Dorothea Lange ? Quels chapitres

du roman de Steinbeck le film adapte-t-il dans son scénario ? Lesquels sont laissés de côté ? Quel acteur est choisi pour interpréter Tom Joad ? Qu’incarne-t-il ? Dans quelle mesure le film contribue-t-il à transformer l’histoire en légende ou en mythe ? Vous pouvez vous appuyer sur ce dossier et écouter l’analyse Jean-Baptiste Thoret sur le site du Forum des images (https://bit.ly/2OlNXeP). – Rechercher des images de Dorothea Lange représentant des campements de réfugiés ou de migrants. Repérer les différentes installations (« sauvages », organisées par la FSA ou privées). Observer l’ensemble des photographies réalisées Dorothea Lange dans le camp de Westley (https://bit.ly/2MJdsJQ) .Relever et traduire les différents termes employés pour désigner les habitations. Quelles nuances peut-on faire ? En quoi les légendes des photographies sont-elles importantes pour rendre compte des conditions de vie des migrants ? Rapprocher ces photographies avec l’extrait du roman de John Steinbeck suivant : « – Nous sommes des Joad. Nous n’avons jamais eu à baisser la tête devant personne. Le grand-père de Grand-père, il s’est battu pendant la Révolution. On était des fermiers jusqu’à ce qu’il ait eu cette dette. Et puis après, ces gens sont venus… Ils nous ont changés. Chaque fois qu’ils venaient, c’était comme si on m’avait fouettée… moi et toute la famille. Et puis ce type de la police à Needles. Ça m’a fait quelque chose ; tout d’un coup, je me suis sentie toute mortifiée… j’avais honte. Maintenant, je n’ai plus honte. Ces gens sont de chez nous… Ils sont des nôtres. Et c’t’ homme qu’est venu, le directeur. Il s’est assis et puis il a pris une tasse de café et il fallait l’entendre. Madame Joad par-ci, madame Joad par-là… Avez vous besoin de quéq’chose, madame Joad ?Elle s’interrompit et soupira :– Je t’assure, je me sens redevenir un être humain. »John Steinbeck, Les Raisins de la colère [1939], Paris, Gallimard, 2002, p. 431.Comparer notamment ce texte de John

Steinbeck, la séquence du film de John Ford sur le camp de la FSA et l’image de Dorothea Lange, Laundry facilities in Farm Security Administration (FSA) migrant labor camp, Westley, California, avril 1939 (voir p. 49 et sur https://bit.ly/2NfSMbO) :Quelles valeurs sont associées au camp gouvernemental ? Pourquoi et de quelles façons les auteurs de ces trois œuvres les mettent-ils en avant ? Dans quels cas et en quoi peut-on parler de propagande ? – Selon vous, quelles sont les qualités spécifiques de la littérature (roman, théâtre ou essai) pour défendre une cause ? Quelles sont les qualités propres à l’image (photographie ou cinéma) ? ❙ Peter Bogdanovich, Paper Moon, 1973En 1973, le cinéaste américain Peter Bogdanovitch réalise le film Paper Moon, (35 mm, noir et blanc, 98 min.) mettant en scène la trajectoire de deux personnages dans le contexte des États-Unis des années 1930. Au cours du film, le contexte historique est présent en arrière-plan, Addie et Moze croisent sur leur route des paysans qui quittent leur région pour chercher du travail ailleurs. – Relever dans le film les passages qui témoignent de cette situation. Certains plans de Paper Moon peuvent-ils être comparés aux photographies de Dorothea Lange ? – Pourquoi Peter Bogdanovitch choisit-il de tourner son film en noir et blanc au début des années 1970 alors qu’un nouveau cinéma en couleur, appelé le « Nouvel Hollywood », est en train d’éclore sur les écrans américains ? Quel est le chef opérateur du film ? Sur quel autre film emblématique de la thématique de la route et des déplacements ce dernier a-t-il travaillé ? Quel est le rôle d’un chef opérateur dans la fabrication de l’image ? – Vous pouvez consulter le dossier enseignants en ligne (https://bit.ly/2PDkkFN).

46 · PISTES SCOLAIRES

Page 47: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

47 · REPRÉSENTATIONS DE LA ROUTE AMÉRICAINE

REPRÉSENTATIONS DE LA ROUTE AMÉRICAINE

« Dorothea Lange, Rothstein, Ben Shahn montrent des familles loqueteuses entassées dans des voitures qui sont leur dernier bien, surchargées d’objets nécessaires (matelas) et dérisoires (rouleaux de fil de fer de clôture, inutiles desormais a ceux qui n’ont plus de terre), et Dorothea Lange, avec son sens très aigu de la scène significative, compose quelques autres images-symboles à jamais inoubliables, celle de la crevaison – mise en abîme de la fatalité, dérisoire et cruel redoublement du malheur – et celle de la famille de réfugiés installée sous le dais troué d’une toile de tente au pied d’un eucalyptus – actualisation pathétique en terre américaine de l’imagerie de la halte de la Sainte Famille lors de la fuite en Egypte. [...] Dorothea Lange élargit par l’ironie le constat de la misère à une critique de la société (ou n’est-ce qu’un contrepoint pathétique ?) en saisissant deux de ces errants au moment où ils passent près d’un panneau publicitaire les admonestant : “Next time take the train” [...]. »Jean Arrouye, “L’imaginaire de la route américaine”, in Revue française d’études américaines, 1991 (en ligne : https://bit.ly/2NnNJGm)

❙ Analyse d’images– Travailler à partir des images suivantes de Dorothea Lange : • Dorothea Lange, Migrant worker on

California highway, 1935 (https://bit.ly/2ysS8P0)• Dorothea Lange, Toward Los Angeles,

California, mars 1937 (en couverture). Quels sont les points communs entre ces photographies ? Décrire les personnes qui marchent sur les routes (allure, démarche, habillement, accessoires). Dans quelle image le paysage et la lumière accentuent-ils l’impression de dureté des conditions de vie ? Quel nom a-t-on donné à ces migrants qui ont fui leur terre pour gagner la Californie ? Où Dorothea Lange se place-t-elle pour prendre ces photographies ? Pour quelles raisons à votre avis ? En quoi le panneau publicitaire présent dans la deuxième image introduit-il un commentaire ironique ou critique ?– Étudier les deux images suivantes : • Dorothea Lange, Family walking on

highway, five children, 1938 (https://bit.ly/2CPGC5B)• Dorothea Lange, Family on the road,

Oklahoma, juin 1938 (voir p. 16)Selon vous, pourquoi Dorothea Lange a-t-elle privilégié la vue de face pour ces deux images ? Sur quels éléments ce choix met-il l’accent ?– Poursuivre avec l’analyse des photographies suivantes : • Dorothea Lange, Oklahoma refugees

in San Fernando, California, printemps 1935 (voir ci-dessus et sur https://artnt.cm/2A01Uty)

• Dorothea Lange, Returning from California, Canadian County, Oklahoma, août 1938 (voir p. 29)

Décrire en détail ces images. Quels points de vue la photographe a-t-elle adoptés ? Quels effets produisent-ils ? Quels éléments de la photographie retiennent d’abord l’attention du spectateur dans la première ? • Paul S. Taylor, Dorothea Lange in Texas

on the Plains, vers 1935 (voir p. 43)Pour quelles raisons Dorothea Lange est-elle assise sur le toit de cette voiture au moment de la prise de vue ? Quelles indications cette image nous donne-t-elle sur la démarche de la photographe ? Sur ses déplacements ? Le rapport qu’elle entretient à son sujet ? Vous pouvez vous appuyer sur la citation suivante : « Durant toute cette journée, en conduisant […] pour effectuer l’étape suivante de trois ou quatre cents miles, j’ai aperçu ces gens. Sans attendre, je les ai photographiés […] Fort heureusement, j’avais les yeux ouverts pour les voir. »Dorothea Lange, citée par Drew Heath Johnson, « Dorothea Lange et les politiques du visible », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 18.

❙ De l’histoire au mythe« La 66 est la route des réfugiés, de ceux qui fuient le sable et les terres réduites, le tonnerre des tracteurs, les propriétés rognées, la lente invasion du désert vers le nord, les tornades qui hurlent à travers le Texas, les inondations qui ne fertilisent pas la

Oklahoma refugees in San Fernando, California, printemps 1935

Page 48: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

terre et détruisent le peu de richesses qu’on y pourrait trouver. C’est tout cela qui fait fuir les gens, et par le canal des routes adjacentes, les chemins tracés par les charrettes et les chemins vicinaux creusés d’ornières les déversent sur la 66. La 66 est la route-mère, la route de la fuite. »John Steinbeck, Les Raisins de la colère [1939], Paris, Gallimard, 2002, p. 64.– Sur une carte des États-Unis, colorier en rouge la route 66. Quels États traverse-t-elle ? En quelle année a-t-elle commencé à être construite ? Pour quelles raisons ? Dans quels États Dorothea Lange a-t-elle pris les photographies commandées par la FSA pour témoigner des effets de la Grande Dépression ? En quelles années ? Quelles sont les activités économiques qui apparaissent sur les bords des routes dans les photographies de Dorothea Lange ? – Observer l’image suivante de Dorothea Lange :• U.S. No. 54, north of El Paso, Texas. One of the westward routes of the migrants, 1938 (https://bit.ly/2QlUgzY)En quoi l’absence de présence humaine change-t-elle la perception de la route ? Quelles valeurs la route peut-elle alors évoquer ? Comment le cadrage, la lumière et le rendu des détails y contribuent-ils ? – Étudier les images suivantes : • Timothy H. O’Sullivan, Sand dunes

Carson Desert Nevada, 1867 (https://bit.ly/2MwmMvS)

• Erle Loran, Minnesota Highway, 1933-

1934 (https://s.si.edu/2xahDUj)• Charles Chaplin, Les Temps modernes,

1936 (dernier plan du film)• Maynard Dixon, Road to Nowhere,

Indian Springs, Nevada, 1934 (https://artnt.cm/2Ogl17D)• Walker Evans, Roadside View,

Alabama Coal Area Company Town, 1936 (https://mo.ma/2xewgWG)

• Robert Frank, Route US 285, New Mexico, série Les Américains, 1956 (https://bit.ly/2Mr6AM7)

• Edward Hopper, Four Lane road, 1956 (https://bit.ly/2Mn1ikU)

• Robert Adams, Interstate 25, Eden, Colorado, 1968, série Eden

(https://bit.ly/2CNjG6S)• Lee Friedlander, Western United States,

1975 (https://mo.ma/2Of7OMd)• Dennis Hopper, Easy Rider, 1969

(scène de début : https://bit.ly/1N6knXP)• Taiyo Onorato et Nico Krebs, série

The Great Unreal, 2005-2009 (https://bit.ly/2x6NGVV : images 5, 15, 17, 20 et 22)Qu’en est-il du point de vue et du cadrage, comme des différentes significations données à la route aux États-Unis ? De quoi est-elle devenue le symbole dans les années 1960 ?

IMAGES, TEXTES ET CONTEXTES

« Toutes les photographies – pas seulement celles qui sont appelées “documentaires”, d’ailleurs chaque photographie est réellement documentaire et appartient à un lieu, à une date de l’histoire – peuvent être renforcées par des mots. Je ne veux pas dire par là qu’elles doivent avoir des légendes poétiques. [...] Je n’aime pas le type de texte qui vous dit quoi regarder ou qui explique la photographie. J’aime les mots qui précisent le contexte, le renforcent sans vouloir pour autant imposer un sens. Juste pour donner un peu plus d’informations afin de mieux regarder l’image. »Dorothea Lange, citée in Robert Coles (dir.), Dorothea Lange, Photographies d’une vie, Cologne, Könemann éditions, 1982, p. 147.

❙ Autour de la publication des images de Lewis HineLewis Hine photographie les enfants au travail pour le National Child Labour Committee (NCLC) entre 1908 et 1918 (deux millions d’enfants de moins de seize ans travaillaient aux États-Unis à cette époque). Le photographe est alors persuadé de pouvoir changer l’opinion publique sur cette problématique et générer de nouvelles réformes sociales pour les plus démunis. Il s’implique dans la présentation des images, leur sélection, leur mise en page et la rédaction des légendes et commentaires.

48 · PISTES SCOLAIRES

Once a Missouri farmer, now a migratory farm laborer on the Pacific Coast, California [Ditched, stalled and stranded], février 1936

Page 49: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

49 · IMAGES, TEXTES ET CONTEXTES

– Observer les deux photographies publiées dans le Child Labor Bulletin de novembre 1912 (en ligne sur https://bit.ly/2CPJ6kk) :Que représentent-elles ? Quels sont leurs points communs et leurs différences (cadrage, point de vue, éclairage…) ? En quoi leur confrontation dans l’espace de la page est nécessaire pour Lewis Hine ? – Lire les commentaires (en anglais) publiés en vis-à-vis de ces photographies (https://bit.ly/2CPDLt9) :Quel est le titre choisi pour cette publication ? À quoi cela fait-il référence ? Comment sont mises en page les légendes de chaque image ? Que peut-on dire de la typographie employée pour les titres et les commentaires ? Que penser du style d’écriture et de la longueur de chacun des commentaires ? Sont-ils équivalents ? Pourquoi ? Qu’apprend-on dans le second cas ? Quels détails permettent particulièrement d’insister sur l’injustice de la situation ? Que cherchent à montrer ces « contrastes » ? – Reprendre les questions précédentes en regard des photographies et des commentaires suivants : • https://bit.ly/2p3nFm5• https://bit.ly/2NamkbJ Approfondir l’analyse des légendes en observant la façon dont Lewis Hine inclut dans le commentaire de la deuxième photographie les propos du père de famille. À quels procédés

littéraires a-t-il recours ? Quel effet cela peut-il avoir sur le lecteur ?

❙ An American Exodus de Dorothea Lange et Paul S. Taylor« J’avais commencé à parler aux gens que je photographiais. Pour une raison ou une autre, je ne sais pas pourquoi, les gens de la ville étaient silencieux, et nous ne nous parlions jamais. Mais dans les camps de migrants, on trouvait toujours des bavards. Ils m’étaient utiles, et je pense que cela les aidait aussi. Nous avions ainsi une chance de nous retrouver sur un terrain commun – quelque chose qu’une photographe comme moi doit rechercher pour faire un bon travail. »Dorothea Lange, citée in Robert Coles (dir.), Dorothea Lange, Photographies d’une vie, Cologne, Könemann éditions, 1982, p. 116. « Taylor apporta à cette enquête une expérience longue de dix années de fréquentation de communautés d’immigrés hispaniques, pendant laquelle il inaugura la pratique d’enregistrer tout ce que les gens racontaient sur leur vie, tandis qu’il utilisait l’appareil photographique comme outil de recherche. » Henry Mayer, « La genèse d’un livre documentaire », in Dorothea Lange et Paul Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion, nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. XV. Étudier les rapports entre les éléments visuels et les propos des fermiers et

migrants rapportés par Dorothea Lange et Paul S. Taylor à partir des notes prises pendant leur enquête et les prises de vue. La reproduction de certaines pages de l’édition originale d’An American Exodus (1939, en anglais) est disponible en ligne (https://bit.ly/2Qr4yij) :– Page 57, déterminer en quoi les propos du fermier (« ils vont dans toutes les directions et ils ne savent pas où ils vont ») peuvent influencer notre perception de la photographie. Comment la composition de l’image et la position des personnes photographiées illustrent et renforcent également ces propos ? Dans le commentaire, distinguer les différents éléments textuels et observer la typographie. À quels indices voit-on que l’on passe de la légende de l’image à la retranscription du langage parlé ? Qu’ont conservé les auteurs pour rester fidèles à l’élocution des personnes rencontrées ? Vous pouvez reprendre et poursuivre ces questionnements à partir de la page 115.  – Observer la composition de la p. 63 :Comment sont photographiés ces deux fermiers ? Quelle position a dû adopter la photographe ? Que révèle-t-elle de la démarche de Dorothea Lange ? Que pensez-vous de la première ligne du commentaire ? Pourquoi les auteurs ont-ils choisi ce style télégraphique ? En quoi est-il efficace par rapport à la situation représentée ?

Laundry facilities in Farm Security Administration (FSA) migrant labor camp, Westley, California, avril 1939

Page 50: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

Vous pouvez également consulter la version française d’American Exodus pour plus d’exemples : Dorothea Lange et Paul Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion, nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999.

❙ Pages imprimées et films documentaires« Le livre expérimente un mode de fusion de photographies, de paroles rapportées et d’un commentaire sociologique en un essai plein d’humanité qui redonnerait à la page imprimée la vraisemblance et la résonance d’un film documentaire. » Dorothea Lange et Paul Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion, nouvelle éd. établie par Sam Stourdzé, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. XV.Le cinéma documentaire s’empare de cet épisode de la Grande Dépression aux États-Unis, notamment à travers les films produits par la Frontier Film (1937-1942), coopérative fondée par Paul Strand et Leo Hurwitz. Le nom du cinéaste Pare Lorentz est lié à cette coopérative ; il est notamment l’auteur de deux films militants, produits par la FSA. – Visionner le film suivant : • Pare Lorentz, The Plow that Broke the

Plains, 1936, 35 mm, noir et blanc, 25 min (https://bit.ly/2OdJMkU)

Quelles différences peut-on observer entre la démarche documentaire de l’ouvrage An American Exodus, liant les photographies et la retranscription

des propos des paysans, et celle de Pare Lorentz ? Par quels éléments les paroles des protagonistes sont-elles remplacées ? Quel effet est ainsi recherché ? Que perd-on également ? En vous renseignant sur le passage du cinéma muet au cinéma sonore (à partir de 1927), pour quelles raisons la parole n’est-elle pas encore présente dans le cinéma documentaire dans les années 1930 ? Combien de parties composent ce film ? Nommer pour chacune d’entre elles les thématiques et problématiques abordées. Comment la musique de Virgil Thomson accompagne-t-elle chacune des articulations du film ? Quels différents mouvements et styles musicaux peut-on identifier ? En quoi peuvent-ils également être considérés comme des éléments documentaires ? Quelle figure mythologique est convoquée dans la première partie du film ? Comment est-elle représentée ? Par quels types de plans, de points de vue ? Analyser le montage du film entre la 9ème et la 14ème minute. Noter au début de cet extrait la répétition du plan en plongée sur le paysan. Pourquoi le cinéaste a-t-il choisi ce point de vue ? Quelles significations successives peut prendre ce plan selon sa place dans le montage ? Quels éléments apparaissent en insert pour nous permettre de comprendre le contexte ? Par quel procédé cinématographique les tracteurs labourant les champs

sont-ils progressivement transformés en machines de guerre ? Dans la suite du film, quels types de plans décrivent les conséquences de la culture intensive, puis de la migration des paysans ? Comparer le plan à 17’17’’ avec la photographie suivante : • Arthur Rothstein, Steer skull, Badlands,

South Dakota, 1936 (https://mo.ma/2xcOOGL)

Se renseigner sur les conditions de la prise de vue de cette photographie et les conséquences sur la carrière de Rothstein au sein de la FSA. Pensez-vous que la notion de mise en scène dans le cinéma documentaire puisse avoir le même sens et les mêmes conséquences ? Essayer d’élaborer une définition de la mise en scène au cinéma. Où commence-t-elle ? Quelles peuvent-être ses différentes composantes ? – Vous pouvez prolonger ce travail en visionnant les deux films suivants, produits par Pare Lorentz et qui comptent parmi les plus importants projets documentaires des années 1930-1940 : • The Land de Robert Flaherty, 1939-

1942 (https://bit.ly/2uZAUHd)• The Power and the Land, de Joris

Ivens, 1940 (https://bit.ly/2QsjfBY)

50 · PISTES SCOLAIRES

Theater in Leland, Mississippi, juin 1937

Page 51: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

MIGRANT MOTHER, COMPOSITION ET DIFFUSION

« Quelle est cette image ? Que pouvons-nous apprendre en l’observant ? Que devons-nous savoir d’autre ? Selon quelles modalités différentes a-t-elle été utilisée ? Comment texte et contexte orientent-ils les réactions ? Pourquoi les femmes sont-elles si souvent représentées moins comme agents politiques que comme victimes intemporelles ? Que se passe-t-il lorsqu’une photographie en vient à occuper une place aussi dominante dans la conscience populaire ? Quelles sont les relations entre esthétique, éthique et politique ? Dans quelle mesure l’image résulte-t-elle d’une collaboration entre Lange, la femme et les enfants ? Qui plus est, l’image s’est désormais imposée comme une sorte de parangon dans les débats relatifs à la retouche d’image.  [...] Mais on ne sait toujours pas exactement pourquoi la présence du pouce était si problématique. Quel code documentaire violait-il ? En quoi la photographie a-t-elle été améliorée par sa suppression ? »David Campany, « La mère migrante », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 25.

❙ De la série au portrait Cette photographie fait partie d’une série de sept images réalisées par Dorothea Lange en Californie au mois

de février ou mars 1936 dans le cadre de la FSA. Vous en trouverez plusieurs sur le site de la Library of Congress (https://bit.ly/1RU0saj). – Imaginer les conditions de prise de vue et les raisons de la série plutôt que d’une image unique. – Comparer les différentes photographies et analyser les choix de cadrage, de point de vue et la distance avec le sujet. À votre avis, pourquoi la presse a-t-elle porté son choix sur la dernière image de la série occultant le contexte de la tente et du paysage ? Que produit le cadrage resserré sur la mère, Florence Owens Thompson, et ses enfants ? Quel rôle jouent les visages retournés des enfants ? – Observer la composition de cette photographie. Comment Dorothea Lange met-elle en avant l’expression de son visage ? En quoi la retouche effectuée par Dorothea Lange postérieurement et visant à effacer le pouce de cette femme va-t-elle dans le même sens ?

❙ Contextes de publication – La première légende (voir ci-dessus) donnée par Dorothea Lange à la série des sept images était celle-ci :« Famille d’ouvriers agricoles migrants. Sept enfants affamés. Mère âgée de trente-deux ans. Le père est né en Californie. Sans ressources dans un campement de cueilleurs de pois, à Nipomo, Californie, car la récolte précoce de pois est perdue. Ces gens

viennent tout juste de vendre leur tente pour acheter de la nourriture. Sur les deux mille cinq cents personnes vivant dans ce camp, la plupart étaient sans ressources, février ou mars 1936. »– L’image principale a ensuite été associée aux légendes suivantes :• « Destitute pea pickers in California.

Mother of seven children. Age thirty-two. Nipomo, California » [Cueilleurs de pois indigents en Californie. Une mère de sept enfants. Trente-deux ans. Nipomo, Californie]

• « Destitute pea pickers in California. A 32 year old mother of seven children. February 1936 » [Cueilleurs de pois indigents en Californie. Une mère de sept enfants, âgée de trente-deux ans. Février 1936]

Quelles informations ces légendes mettent-elles en avant ? Pour quelles raisons la photographe choisissait-elle de donner autant de détails et de façon aussi factuelle ?– Cette photographie, retouchée, a été publiée, accompagnée de différentes légendes. Le New York Times, la publie par exemple le 30 août 1936 (sans les enfants de part et d’autre de la mère) avec la légende suivante : « A worker in the “peach bowl” » [Une travailleuse du « peach bowl »]. L’ajout de cette légende ainsi que la retouche peuvent-ils transformer le sens de cette image ? Dans ce cas, l’image a-t-elle plus valeur de témoignage ou d’illustration de l’article qu’elle accompagne ? Cette photographie a aussi été publiée

51 · MIGRANT MOTHER, COMPOSITION ET DIFFUSION

Migrant agricultural worker’s family. Seven hungry children. Mother, age thirty-two. Father is a native Californian. Destitute in pea picker’s camp, Nipomo, California, because of the failure of the early pea crop. These people had just sold their tent in order to buy food. Of the 2,500 hundred people in this camp most of them were destitute,février ou mars 1936

Page 52: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

dans des articles portant les titres suivants : • « What Does the New Deal Mean to

This Mother and Her Child ? » [Que signifie le New Deal pour cette mère et son enfant ?], San Francisco News, 11 mars 1936

• « Look in her Eyes » [Regarde dans ses yeux], Midweek Pictorial, 17 octobre 1936

Sur quel registre ces titres jouent-ils ? Quel rôle peut avoir l’appel à la compassion dans la réception et l’impact de cette image ? Pourquoi les auteurs de ces articles ont-ils choisi de publier uniquement cette image et non la série entière ? Pourquoi cette photographie n’apparaît-elle pas dans l’ouvrage publié par Dorothea Lange et le sociologue Paul S. Taylor, An American Exodus: A Record of Human Erosion, en 1939 ?

❙ Étudier le phénomène d’« icônisation »Cette image a été utilisée dans le cadre de la FSA pour justifier les programmes d’aides destinés aux populations touchées par la crise et la sécheresse. Le titre de Migrant Mother [Mère migrante] apparaît à la fin des années 1930 sans que l’on puisse l’attribuer à quiconque. – Que peut-on dire du titre sous lequel cette image est devenue célèbre ? À quelle figure de style l’association de cette image et de ce titre « général » peut-elle être apparentée ? En quoi ce titre a-t-il contribué à faire de cette image une « icône » ? – Analyser le rôle du cadrage en

gros plan et du point de vue frontal dans la fabrication de cette image. À quelles autres images plus anciennes, religieuses ou allégoriques, cette photographie fait-elle allusion ? Comparer notamment cette image à La Belle Jardinière de Raphaël, 1507-1508 (Paris, musée du Louvre) et à La Charité d’Andrea del Sarto, 1518 (Paris, musée du Louvre). En quoi ces références et ce que Clément Chéroux nomme l’« intericonicité » (voir la partie « Approfondir » de ce dossier, p. 35) contribuent à l’efficacité et au succès de cette image ?– S’interroger sur les différents phénomènes pouvant expliquer le passage d’une image documentaire au statut d’icône (publication d’ouvrages, développement de la presse, avènement d’Internet, commercialisation sous forme de produits dérivés...). – Revenir sur le sort particulier de cette femme et de ses enfants à partir de la citation suivante : « Emmet Corrigan, journaliste du quotidien californien local Modesto Bee, a localisé en 1978 la “mère migrante”. Ancienne ouvrière désormais âgée de soixante-quinze ans, elle s’appelait Florence Owens Thompson. Elle avait du sang Cherokee, un fait presque systématiquement tu à l’époque de la publication de l’image. Se souvenant avec amertume des prises de vues, Thompson déclara qu’elle aurait souhaité que Lange ne

l’ait pas photographiée, que cette dernière lui avait promis de ne pas publier les photos, qu’elle ne lui avait pas demandé son nom et qu’elle n’avait pas gagné un cent malgré le succès de l’image. » (David Campany, « La mère migrante » in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 25)À qui cette photographie a-t-elle pu être utile ? À l’organisme qui l’a commandée ? À la photographe ? À ses modèles ? En quel sens peut-on dire qu’elle a pu figer Florence Owens Thompson dans son statut de « migrante » et de victime éloignée de l’image de femme courageuse évoquée par ses enfants ? Vous pouvez également vous référer à l’article de Claire Guillot, « Mère Colère contre Mère Courage », Le Monde, 25 juillet 2013 (https://lemde.fr/2x8CpES). – Poursuivre la réflexion autour de la fabrication, la diffusion et la transformation d’une image documentaire en icône à partir du travail de Susan Meiselas, Molotov Man, 1978-2004 (voir le dossier documentaire de l’exposition « Susan Meiselas. Médiations » en ligne sur le site du Jeu de Paume, ainsi que le site Internet https://bit.ly/2p4wMTx).

❙ Réappropriations de Migrant MotherÀ partir des images suivantes, analyser la façon dont certains artistes ont repris et détourné cette image :

52 · PISTES SCOLAIRES

À gauche : Migrant agricultural worker’s family. Seven hungry children. Mother, age thirty-two. Father is a native Californian. Destitute in pea picker’s camp, Nipomo, California, because of the failure of the early pea crop. These people had just sold their tent in order to buy food. Of the 2,500 hundred people in this camp most of them were destitute, février ou mars 1936

À droite : Destitute pea pickers in California. Mother of seven children. Age thirty-two, février ou mars 1936

Page 53: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

• Kathy Grove, Other Series, After Lange, 1989-1990

(https://artnt.cm/2MpWT0t)• Vik Muniz, Migrant Mother, 2000 (https://artnt.cm/2CPdn2A)• Sandro Miller, Dorothea Lange /

Migrant Mother, Nipomo, California (1936), 2014 (https://bit.ly/2NGSwmy)

Quels aspects de l’histoire de cette image mettent-ils en avant ? Quels moyens ont-ils utilisé ? À quoi font-ils référence ? Peut-on y voir une dimension critique ?

« CAMPS DE RELOCALISATION », PROPAGANDE ET SAISIE

« En fait, tout est propagande pour ce en quoi vous croyez, n’est-ce pas ? […] Je ne crois pas qu’il pourrait en être autrement. Plus fort et plus profondément on croit en quelque chose, plus on est propagandiste, en un certain sens. Conviction, propagande, foi. Je ne sais pas, je n’ai jamais pu en arriver à la conclusion que c’est un mot inapproprié. »Dorothea Lange, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 268.

❙ Contexte et commande – Étudier le contexte politique des États-Unis en décembre 1941 (bombardement japonais de Pearl Harbor, entrée en guerre...) et les mesures prises par le gouvernement à l’encontre de la population américaine d’origine japonaise. Vous pouvez vous référer aux ressources en ligne suivantes :• The Japanese American Relocation

Digital Archives (JARDA) : https://bit.ly/2MrMEZD

• Dossier de l’exposition « Interrogating Manzanar » organisée en 2015 par le California Museum of Photography : https://bit.ly/2ND992o

• Élise Prébin, « Mémoire des camps américains. L’exemple japonais », 2006 : https://bit.ly/2Qwpfto

• Cyril Guinet, « L’histoire oubliée des camps japonais en Californie », 2016 : https://bit.ly/2QrGlZq

– Quelles situations documentent les deux photographies suivantes, prises à quatre mois d’intervalle ?• Dorothea Lange, A large sign reading

« I am an American » placed in the window of a store, at 401–403 Eight and Franklin streets, on December 8, the day after Pearl Harbor, mars 1942 (voir p. 19)

• Dorothea Lange, Manzanar relocation center, Manzanar, California, 1942 (voir p. 54)

Comparer les lieux représentés. Comment interpréter dans la première image la présence de la pancarte « I am an american » ? Est-ce un signe de fierté ? De revendication ? De protestation ? Quel objet symbolique de l’American Way of life est présent dans l’image ? Quelle position occupe-t-il ? Dans la deuxième image, quel objet occupe une position centrale et dominante ? En quoi cela contraste-t-il avec l’image précédente ? Quels éléments dans l’image rendent compte de la détention ? Comment le camp de Manzanar est-il nommé dans la légende ? Qu’implique ce terme ? – Observer la série de photographies faites par Dorothea Lange à Manzanar sur le site de la Library of Congress (https://bit.ly/2x6U0wD) :Quelle pouvait être l’intention de la War Relocation Authority (WRA) en passant commande à Dorothea Lange ? Selon vous, la photographe avait-elle la liberté de tout photographier ? Était-elle en accord avec l’internement des nippo-américains ?Vous pouvez vous appuyer sur la citation suivante :« Comment cela est-il arrivé ? Comment avons-nous pu ? Je n’ai jamais été à l’aise avec ce travail sur les relocalisations de guerre. Le faire soulevait des difficultés immenses […] Ce qui était scandaleux, bien sûr, c’était de réaliser cette chose entièrement sur la base du sang qui pouvait couler dans les veines de quelqu’un, sur rien d’autre. » Dorothea Lange, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 267.

– Certaines images de Dorothea Lange portent la mention « Impounded » (« classées », visibles sur autorisation). Étudier les deux photographies suivantes : • Dorothea Lange, Part of a line waiting

for lunch outside the mess hall at noon, Manzanar, California, 1942 (https://bit.ly/2MqnJFK)

• Dorothea Lange, A typical interior scene in one of the barrack apartments at this center. Note the cloth partition which lends a small amount of privacy, Manzanar, California, 1942 (https://bit.ly/2NCToIN)

Que documentent ces images ainsi que leurs légendes complètes (celles-ci figurent au dos des tirages) des conditions de vie dans le camp ? Quelles indications nous donnent-elles sur les problématiques du logement, de l’alimentation et l’attente des détenus ? Quel rôle jouent les ombres portées dans la première image ? En quoi suggèrent-elles l’enfermement ?

❙ Images de Dorothea Lange et Ansel Adams à Manzanar« En 1943, Ansel Adams photographie aussi dans le camp de concentration de Manzanar où un accès direct lui est accordé par son ami Ralph Merritt, directeur du camp. Lange presse Adams de publier ses photos au plus tôt, car les siennes sont détenues par la WRA ; ce qu’il fait dans son ouvrage Born Free and Equal, publié en 1944. » (« Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 268.) – Confronter les photographies réalisées à Manzanar par Dorothea Lange (https://bit.ly/2N7Uwod) et celles d’Ansel Adams qui a été son assistant (https://bit.ly/2OdLaUr). Comparer les dates et contextes de production, ainsi que les types de photographies (portrait individuel, portrait de groupe, scènes saisies sur le vif, paysage...). Que donnent à voir ces images des prisonniers, de leurs attitudes, de leurs activités quotidiennes, de leurs conditions de logement, de l’organisation de la vie dans le camp ? Relever les expressions des personnes. Quelles émotions

53 · « CAMPS DE RELOCALISATION », PROPAGANDE ET CENSURE

Page 54: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

dégagent-elles ? Quelles différences pouvez-vous relever dans le travail des deux photographes ? – Une reproduction de l’ouvrage d’Ansel Adams, Born Free and Equal, publié par U.S. Camera en 1944 est accessible sur https://bit.ly/1NHIbLK). Comment est composé ce livre ? En combien de chapitres est-il divisé ? Quel texte se trouve en ouverture du livre ? Comment cela peut-il orienter notre regard sur ce travail photographique ?Rapprocher la légende de la photographie publiée pages 26 et 27 au titre de la même image sur le site de la Library of Congress (https://bit.ly/2CRZeSw). En quoi la légende modifie-t-elle la perception de l’image ? Comment Ansel Adams a-t-il pu suggérer l’existence des tours de garde sans les montrer ? À votre avis, pourquoi le gouvernement a-t-il autorisé la publication des photographies d’Ansel Adams alors qu’il a classé « archives militaires » celles de Dorothea Lange ?

❙ Le point de vue de Toyo Miyatake« Le camp de Manzanar est également photographié par Toyo Miyatake, un Nippo-Américain interné, qui a photographié la vie dans le camp avec un boîtier de sa fabrication camouflé en gamelle, ainsi que par cinq autres photographes de la WRA : Clem Albers, Francis Stewart, Tom Parker, Charles Mace et Hikaru Carl Iwasaki, dix-neuf ans, qui avait été

libéré du camp d’internement de Heart Mountain, dans le Wyoming, pour travailler pour la WRA. » « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 267. – Comment Toyo Miyatake a-t-il pu fabriquer et utiliser un appareil photo à l’insu des responsables du camp ? Observer ses photographies (https://bit.ly/2NLkjCt). Qu’a-t-il voulu documenter ? Le quotidien ? Les conditions de l’enfermement ? Pour qui ?– Découvrir le travail de mémoire du photographe Paul Kitagaki réalisé à partir des photographies des camps d’internement dont celles de Dorothea Lange (http://bit.ly/2NkOYC9).

ACTUALISATION DES QUESTIONS PHOTOGRAPHIQUES ET SOCIALES

« Si le monde a été le théâtre d’évolutions spectaculaires au cours des quatre-vingts dernières années, l’essentiel de ce qui touchait et intéressait Lange tant sur le plan photographique que social n’a aujourd’hui rien perdu de sa pertinence : la pauvreté, les bouleversements sociaux, l’érosion des communautés rurales et l’essor de la société industrielle urbaine, les catastrophes écologiques et la dégradation de l’environnement, le racisme, les droits des femmes. » Jane Alison et Marta Gili, « Avant-propos », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 12.

❙ Crises et migrations actuelles– Réaliser un dossier iconographique sur une situation de crise actuelle (économique, écologique, sociale...), en collectant un grand nombre de photographies s’y rapportant (Internet, presse, livres). Repérer les différentes fonctions des images (montrer, informer, témoigner, convaincre, critiquer, dénoncer, changer, agir…) et choisir pour chacune celle qui paraît la plus efficace.– Demander aux élèves si certaines images (photographies, tableaux, images de film, etc.) les ont marqués

54 · PISTES SCOLAIRES

Manzanar relocation center, Manzanar, California, 3 mai 1942

Page 55: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

55 · ACTUALISATION DES QUESTIONS PHOTOGRAPHIQUES ET SOCIALES

au point de modifier leurs opinions, de changer leur comportement face à des situations ou des événements.– Relever dans les légendes de Dorothea Lange pour la FSA, les termes utilisés pour nommer les personnes photographiées. Le terme « migrant » est souvent employé. Définir ce mot en français et chercher d’autres termes pour désigner les personnes qui migrent. Quelles différences de sens peut-on établir entre ces mots ? Trouver des mots issus de la même famille lexicale que « migrant ». À partir de quelle époque emploie-t-on le mot « migrant » en français pour désigner les personnes qui voyagent ? Vous pouvez vous référer aux ressources proposées par le Musée national de l’histoire de l’immigration (https://bit.ly/2N7Vh0x) et le site de l’ONU pour définir la notion de « migrant » au plan juridique (https://bit.ly/2pwW7oX).– Recueillir le témoignage d’une personne de son entourage proche ayant vécu une situation de migration ou de déplacement forcé. Élaborer un questionnaire qui permettra de construire une interview autour des raisons (politiques, économiques, professionnelles, personnelles...) et des conséquences de cette mobilité. Réaliser un portrait photographique de la personne dans son environnement familier et associer en diptyque l’image et les paroles transcrites.– Participer au concours national « Écrits pour la fraternité » proposé par la Ligue des droits de l’Homme en composant des textes, chansons, vidéos ou œuvres graphiques sur le thème de l’année (https://bit.ly/2MrcigU).

❙ « Habiter le campement »En arts appliqués, questionner l’habitat d’urgence en tant qu’architecture. Réfléchir à un projet de conception de logement, en lien avec l’une des six typologies suivantes : nomades, voyageurs, infortunés, exilés, conquérants et contestataires, déclinées lors de l’exposition « Habiter le campement » (Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016). Réaliser une maquette du dispositif conçu.

Vous pouvez consulter le dossier de présentation de l’exposition (https://bit.ly/2NLl1zD) et l’article d’Astrid Avédissian (https://bit.ly/2x6XsHS).

❙ Pratiques documentaires contemporaines« J’ai réalisé le premier reportage sur l’afflux des migrants en Californie après les tempêtes de poussière d’avril 1934. La première vague de ces gens est arrivée dans le sud de la Californie en un week-end. C’était aussi brusque et soudain que cela, quand j’y étais […] À partir de ce moment, c’était comme un déluge. […] Un mois plus tard, ils essayaient de fermer les frontières. […] C’était la grande agitation de l’époque. Fallait-il ou ne fallait-il pas les laisser entrer ? » Dorothea Lange, citée par Jilke Golbach, « Chronologie », in Dorothea Lange. Politiques du visible, Paris, Jeu de Paume / Londres, Barbican Centre / Prestel Publishing, 2018, p. 262. – Proposer un débat à partir de la citation de Dorothea Lange. S’interroger en particulier sur la situation actuelle et le rôle des images. – Analyser les œuvres suivantes :• Jacob Lawrence, The Migration Series,

1940-1941 (https://mo.ma/2tjTCZe)• Adrian Paci, Home to Go [Un toit à

soi], 2001 et Centro di Permanenza Temporanea [Centre de détention provisoire], 2007 (https://bit.ly/2QrgZL1)

• Barthélémy Togo, Climbing down, 2004 (https://bit.ly/2qkn8Q8)

• Thomas Mailaender, Les voitures cathédrales, 2004 (https://bit.ly/2MwC9o4)

• Mircea Cantor, Like birds on high-voltage wire, 2009 (https://bit.ly/2QpYkPE)

• Bouchra Khalili, The Mapping Journey Project, 2008-2011 et The Constellations Series, 2011 (http://www.bouchrakhalili.com)

• Jan Rothuizen, Martijn van Tol et Dirk Jan Visser, Refugee Republic, 2014, (https://bit.ly/1uZUJnZ)

• Bruno Fert, Refuges, 2017 (https://bit.ly/2xaArCT)

• Samuel Bollendorff, La nuit tombe sur l’Europe, 2017 (https://bit.ly/2f6PTb9)

– Prolonger en étudiant les œuvres suivantes, pour lesquelles les auteurs se sont intéressés aux camps de migrants en France :• Jacqueline Salmon, Sangatte – Le

hangar, 2000-2001 (https://bit.ly/2N7b8wu)• Bruno Serralongue, Abri, 2006-2008

(https://bit.ly/2OhRYRd)• Jean Revillard, Jungles, 2009 (https://bit.ly/2NcRijx)• Mathieu Pernot, Les Migrants, 2009 et

La Jungle, 2009-2010(https://bit.ly/2NJFNPM et https://bit.ly/2xaL6hK)• Maria Ghetti et Marco Tiberio, série

ImmoRefugee (https://bit.ly/2x7iqpU et https://bit.ly/2x7q1Vp)– Vous pouvez également consulter la plateforme en ligne « Réinventer Calais », développée par l’association le PEROU depuis 2016 et la commande photographique initiée en partenariat avec le CNAP (https://bit.ly/2gjjj8o).– Vous trouverez de nombreuses ressources sur le site de Musée national de l’histoire de l’immigration (https://bit.ly/2Ne7GQU), qui présente du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019 , avec le MACVAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, l’exposition « Personna grata » autour de la notion d’hospitalité à travers le prisme de la création contemporaine.

Page 56: DOROTHEA LANGE - jeudepaume.org · Les titres de certaines images de Dorothea Lange peuvent varier selon les publications et les sites. Les titres indiqués dans ce dossier, pour

Le Jeu de Paume est subventionné par le ministère de la Culture.

Les activités éducatives du Jeu de Paume bénéficient du soutien de la Banque Neuflize OBC, mécène privilégié, et d’Olympus France.

Les Amis du Jeu de Paume soutiennent ses activités.

RENDEZ-VOUS❙ mercredis et samedis, 12 h 30les rendez-vous du Jeu de Paume : visite commentée des expositions en cours❙ mardi 23 et mercredi 24 oct. 2018, 14 h 30-17 h 30 12-15ans.jdp : « Les jours et les nuits d’Aliou », deux après-midi de stage dédiées aux 12-15 ans pour produire, transformer et partager des images ❙ samedis 27 oct., 24 nov. 2018 et 26 janv. 2019, 15 h 30-17 h 30les enfants d’abord ! : visites-ateliers pour les 7-11 ans sur le thème « Portraits sur le vif »❙ mardis 30 oct. et 27 nov. 2018, 18 h les rendez-vous des mardis jeunes : visite commentée des expositions en cours❙ samedis 3 nov., 1er déc. 2018 et 5 janv. 2019, 15 h 30les rendez-vous en famille : un parcours en images pour les 7-11 ans et leurs parents❙ samedis 17 nov. 2018 et 12 janv. 2019, 14 h 30visites croisées au départ du musée de l’Orangerie❙ samedi 1er déc. 2018, 11 h 30-18 h« Les conséquences de la photographie », journée d’étude sous la dir. de L. Poupard, avec S. Duncombe, A. Gunthert, B. Stiegler, P. Viewing, G. Weisenfeld, L. Wexler et J. Zask❙ samedi 8 déc. 2018, 11 h 30projection en avant-première de La Disparition d’Everett Ruess. Voyage dans l’Amérique des ombres d’Emmanuel Tellier (2018, 90’), en présence du réalisateur

❙ mardi 18 déc., 18 hvisite commentée de l’exposition par Pia Viewing, commissaire, dans le cadre des mardis jeunes

PUBLICATIONS❙ Catalogue de l’exposition : Dorothea Lange. Politiques du visible, éd. française et anglaise, Barbican / Jeu de Paume / Prestel, 288 p., 26 × 27,9 cm, 39,95 €❙ Album de l’expositiom, Jeu de Paume, français / anglais, 48 p., 26 × 27,9 cm, 9,50 €

RESSOURCES EN LIGNELe site Internet du Jeu de Paume rassemble des pages d’informations et des contenus sur les expositions, mais aussi sur l’ensemble de la programmation artistique et culturelle présente, passée ou à venir.

Vous pouvez également retrouver, dans les rubriques « Éducatif » et « Ressources », des enregistrements sonores de séances de formation, des séquences pédagogiques mises en ligne par les enseignants partenaires, les archives des « dossiers documentaires » autour des expositions, ainsi que l’espace « Partage d’expériences », consacré à la présentation de travaux des classes.www.jeudepaume.org

Des portraits filmés et des parcours en images liés aux expositions, des entretiens et des rencontres, des publications et des portfolios figurent sur le magazine en ligne du Jeu de Paume : http://lemagazine.jeudepaume.org

INFORMATIONS PRATIQUES1, place de la Concorde · 75008 Paris+33 1 47 03 12 50mardi (nocturne) : 11 h-21 hmercredi-dimanche : 11 h-19 hfermeture le lundi, le 25 décembre et le 1er janvierexpositions❙ plein tarif : 10 € / tarif réduit : 7,50 €(billet valable uniquement à la journée)❙ accès libre aux espaces de la programmation Satellite (entresol et niveau –1)❙ mardis jeunes : accès libre pour les étudiants et les moins de 25 ans inclus le dernier mardi du mois, de 11 h à 21 h❙ accès libre et illimité pour les détenteurs du laissez-passer du Jeu de Paumerendez-vous❙ accès libre sur présentation du billet d’entrée aux expositions ou du laissez-passer, dans la limite des places disponibles❙ sur réservation :· [email protected]· [email protected]· [email protected]❙ visites croisées avec le musée de l’Orangerie :· tarif plein : 18,50 € ; tarif réduit : 13,50 €· réservations : [email protected]❙ journées d’étude : 3 €❙ projections seules : 3 €

Retrouvez la programmation complète, les avantagesdu laissez-passer et toute l’actualité du Jeu de Paume sur :www.jeudepaume.orghttp://lemagazine.jeudepaume.org

Rejoignez-nous sur les réseaux sociaux

#DorotheaLange

Commissaires de l’exposition : Drew Heath Johnson, Oakland Museum of California ; Alona Pardo assistée de Jilke Golbach, Barbican Art Gallery ; Pia Viewing, Jeu de Paume

Exposition organisée par l’Oakland Museum of California.

La présentation européenne a été produite en collaboration avec le Jeu de Paume, Paris, et la Barbican Art gallery, Londres.

L’exposition est en partie soutenue par l’Oakland Museum Women’s Board, la Henry Luce Foundation, le Susie Tompkins Buell Fund, Ann Hatch et Paul Discoe.

La Banque Neuflize OBC, mécène historique du Jeu de Paume, et FIDAL ont choisi d’apporter leur soutien à cette exposition.

Elle a été rendue possible grâce à la contribution de la Terra Foundation for American Art.

Médias associés :

Couverture : Toward Los Angeles, California, mars 1937

Traduction française : Christian-Martin DieboldMaquette : Benoît Cannaferina© Jeu de Paume, Paris, 2018