Éditorial - annales

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1 GÉRER ET COMPRENDRE MARS 2007 N° 87 Les informaticiens du Cnes sont-ils les héritiers des terrassiers de Vauban? Les satellites de ceux-là ont-ils succédé aux brouettes de ceux-ci ? Démarrer un éditorial par un tel paradoxe est peut-être une ficelle rhétorique un peu gros- sière, mais la rencontre des articles de Guy Nabet et de Jean-Louis Peaucelle, dans les pages de ce numéro de Gérer & Comprendre, suscite immanquablement le questionnement. Tentant d’optimiser le rythme du travail et la rémunération des terrassiers œuvrant sur ses chantiers, Vauban, n’ayant pas la liberté de réglementer ce travail comme il l’entend, prend la place des entrepreneurs privés qui ont contracté pour les réaliser. Trois siècles d’innovations managé- riales et de déréglementations plus tard, le Cnes, entreprise donneuse d’ordres au centre d’un réseau de sociétés sous-traitantes, s’interroge sur les conséquences, pour la bonne marche de ses propres activités et pour la situation des personnels de ces sociétés, de la mise en cause périodique de ces contrats. Quid novi sub soli ? Débarrassées de leurs oripeaux technologiques, les deux situations de gestion révèlent une même préoccupation: celle de la coordination au sein des organisations, dont, à l’évidence, personne n’a trouvé la clef depuis Vauban. Éric Alsène et François Pichault ne prétendent donc pas l’avoir trouvée, mais ils nous montrent, au contraire, comment des mécanismes de coordination plus contingents commencent à être vus, les échecs récurrents des modèles normatifs des grandes business schools aidant, comme parfois plus appropriés à certaines situations et, surtout, plus efficaces. Mais, le nombre de solutions de coordination dépassant alors rapidement le nombre de types de situation de travail, il devient vite impossible de dégager des solutions standard prédéfinies pour chacune d’entre elles. Adieu alors typologies et matrices, gourous du conseil et doctes pédagogues: le monde de l’entreprise redevient celui de la complexité, de la contingence et du risque. On le sait depuis long- temps: les statistiques illustrent le passé mais n’éclairent en rien le futur. Cette réflexion sur le prédictible et le contingent, François Rousseau, riche de son expérience de pra- ticien de terrain, l’illustre quant à lui sur un tout autre champ en dénonçant les effets du placage des modèles de gestion issus des entreprises sur les structures du monde associatif. Si cette soumission aveugle au modèle dominant rassure bailleurs de fonds et gestionnaires du secteur, souvent issus du terrain et pas toujours assurés de leur compétence face au rôle qui leur échoit, ces comportements mimétiques ont parfois des effets rien moins qu’inadéquats à l’objet qu’ils prétendent servir. Que devient alors la mission sociale face aux contraintes gestionnaires? Là encore, la tyrannie de modèles prétendument rationnels, mais occultant la richesse du réel et négligeant les finalités lointaines au profit des résultats immédiats force la réflexion. À quand, donc, des formations spéci- fiques pour les managers associatifs ou publics ? Peut-on voir dans les articles réunis dans ce numéro le témoignage qu’il existe une vie pour des chercheurs de qualité en-dehors de la soumission au quantitativisme domi- nant ? Que les approches hégémoniques et normatives du main stream n’épuisent pas la richesse des démarches alternatives? Les sciences de gestion courent trop souvent derrière l’illusion de modèles universels et intangibles, mais à l’heure où mathémati- ciens et physiciens se délectent de théories de la complexité et du chaos, Gérer & Comprendre se sent plus que jamais encouragée dans la voie pour laquelle elle milite depuis vingt ans : vision contingente de la gestion, recherches ancrées sur le terrain, analyse clinique des situations de management, rejet des modèles simplificateurs et de la recherche soumise au diktat des modes du moment. Et le talent de nos auteurs nous conforte dans cette conviction ! Pascal LEFEBVRE ÉDITORIAL GÉRER & COMPRENDRE est une série des Annales des Mines Créée à l’initiative de l’Amicale des ingénieurs au Corps des Mines Réalisée avec le concours du Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique Mars 2007, Numéro 87 001-003 sommaire 15/02/07 11:17 Page 1

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Page 1: ÉDITORIAL - Annales

1GÉRER ET COMPRENDRE • MARS 2007 • N° 87

Les informaticiens du Cnes sont-ils les héritiers des terrassiers de Vauban? Les satellites deceux-là ont-ils succédé aux brouettes de ceux-ci?Démarrer un éditorial par un tel paradoxe est peut-être une ficelle rhétorique un peu gros-sière, mais la rencontre des articles de Guy Nabet et de Jean-Louis Peaucelle, dans les pagesde ce numéro de Gérer & Comprendre, suscite immanquablement le questionnement. Tentantd’optimiser le rythme du travail et la rémunération des terrassiers œuvrant sur ses chantiers,Vauban, n’ayant pas la liberté de réglementer ce travail comme il l’entend, prend la place desentrepreneurs privés qui ont contracté pour les réaliser. Trois siècles d’innovations managé-riales et de déréglementations plus tard, le Cnes, entreprise donneuse d’ordres au centre d’unréseau de sociétés sous-traitantes, s’interroge sur les conséquences, pour la bonne marche de sespropres activités et pour la situation des personnels de ces sociétés, de la mise en cause périodique deces contrats.Quid novi sub soli ?Débarrassées de leurs oripeaux technologiques, les deux situations de gestion révèlent une mêmepréoccupation : celle de la coordination au sein des organisations, dont, à l’évidence, personnen’a trouvé la clef depuis Vauban. Éric Alsène et François Pichault ne prétendent donc pas l’avoirtrouvée, mais ils nous montrent, au contraire, comment des mécanismes de coordination pluscontingents commencent à être vus, les échecs récurrents des modèles normatifs des grandes businessschools aidant, comme parfois plus appropriés à certaines situations et, surtout, plus efficaces. Mais,le nombre de solutions de coordination dépassant alors rapidement le nombre de types de situationde travail, il devient vite impossible de dégager des solutions standard prédéfinies pour chacuned’entre elles. Adieu alors typologies et matrices, gourous du conseil et doctes pédagogues: le mondede l’entreprise redevient celui de la complexité, de la contingence et du risque. On le sait depuis long-temps: les statistiques illustrent le passé mais n’éclairent en rien le futur.Cette réflexion sur le prédictible et le contingent, François Rousseau, riche de son expérience de pra-ticien de terrain, l’illustre quant à lui sur un tout autre champ en dénonçant les effets du placage desmodèles de gestion issus des entreprises sur les structures du monde associatif. Si cette soumissionaveugle au modèle dominant rassure bailleurs de fonds et gestionnaires du secteur, souvent issus duterrain et pas toujours assurés de leur compétence face au rôle qui leur échoit, ces comportementsmimétiques ont parfois des effets rien moins qu’inadéquats à l’objet qu’ils prétendent servir. Quedevient alors la mission sociale face aux contraintes gestionnaires? Là encore, la tyrannie de modèlesprétendument rationnels, mais occultant la richesse du réel et négligeant les finalités lointaines auprofit des résultats immédiats force la réflexion. À quand, donc, des formations spéci-fiques pour les managers associatifs ou publics?Peut-on voir dans les articles réunis dans ce numéro le témoignage qu’il existe une viepour des chercheurs de qualité en-dehors de la soumission au quantitativisme domi-nant? Que les approches hégémoniques et normatives du main stream n’épuisent pasla richesse des démarches alternatives? Les sciences de gestion courent trop souventderrière l’illusion de modèles universels et intangibles, mais à l’heure où mathémati-ciens et physiciens se délectent de théories de la complexité et du chaos, Gérer &Comprendre se sent plus que jamais encouragée dans la voie pour laquelle elle militedepuis vingt ans: vision contingente de la gestion, recherches ancrées sur le terrain,analyse clinique des situations de management, rejet des modèles simplificateurs et dela recherche soumise au diktat des modes du moment. Et le talent de nos auteurs nousconforte dans cette conviction!

Pascal LEFEBVRE

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GÉRER &COMPRENDREest une série des

Annales des Mines

Créée à l’initiative de l’Amicale des

ingénieurs au Corps des Mines

Réalisée avec leconcours du Centre

de recherche en gestion de l’École

polytechnique

Mars 2007, Numéro 87

001-003 sommaire 15/02/07 11:17 Page 1

Page 2: ÉDITORIAL - Annales

GÉRER & COMPRENDRECOMITÉ DE RÉDACTIONTél. : 01 42 79 40 84

Gilles ARNAUDESC Toulouse

Michel BERRYPrésident Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique

Hamid BOUCHIKHIESSEC

Françoise CHEVALIERGroupe HEC

Bernard COLASSEUniversité de Paris-Dauphine

Caroline ELISSEEFFSecrétaire de rédaction

Hervé DUMEZCentre de recherche en gestion de l’École polytechnique

Daniel FIXARICentre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris

Dominique JACQUETUniversité Paris X Nanterre

Hervé LAROCHEESCP-EAP

Pascal LEFEBVREUniversité d’Évry-Vald’Essonne, Éditorialiste de Gérer & Comprendre

Christian MORELRenault

Jean-Philippe NEUVILLEINSA

Frédérique PALLEZCentre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris

Francis PAVÉCentre de sociologie des organisations

Louis-Georges SOLERINRA

Jérôme TUBIANADanone

François VALÉRIANRédacteur en chef des Annales des Mines

Michel VILLETTEENSIA

Jean-Marc WELLERLATTS - École Nationale des Ponts et Chaussées

ISSN 0295.4397

SÉRIE TRIMESTRIELLEN° 87 • MARS 2007

RÉDACTION DES ANNALES DES MINES

Conseil Général des Mines120, rue de Bercy – Télédoc 797

75572 Paris Cedex 12www.annales.org

François VALÉRIAN, Rédacteur en chef

Isabelle de BÉARN, Secrétaire générale

de la rédactiondes Annales des Mines

Dominique BLANC, Secrétaire générale du Comité

de rédaction de Responsabilitéet Environnement

Danielle DEGORCE,Martine HUET,

Assistantes de la rédaction

Marcel CHARBONNIER, Lecteur

GÉRER & COMPRENDRE

RÉALISATION

Manne HÉRON (†), Maquette intérieure

Hervé LAURIOT PRÉVOST,ESE, Génie Atomique

Mise en page

Studio PLESS, Maquette de couverture

Christine de CONINCK,Recherche iconographique

Marise URBANO, Réalisation

ABONNEMENTS ET VENTES

Éditions ESKA12, rue du Quatre-Septembre

75002 ParisDirecteur de publication

Serge KEBABTCHIEFFTél. : 01 42 86 56 00 Fax : 01 42 60 45 35

TARIFSVoir encart p. 89-90

FABRICATIONAGPA Éditions

4, rue Camélinat42000 Saint-Étienne

Tél. : 04 77 43 26 70 Fax : 04 77 41 85 04

COUVERTUREVitrail La Galaxie

(École anglaise, XIXe siècle)© BRIDGEMAN-GIRAUDON

PUBLICITÉEspace Conseil etCommunication, 44-46, boulevard

Georges Clemenceau78200 Mantes-la-JolieTél : 01 30 33 93 57Fax : 01 30 33 93 58

TABLE DES ANNONCEURSAnnales des Mines :

2e, 3e et 4e de couvertureÉditions ESKA : page 94

ANNALESDES MINES

FONDÉES EN 1794

GÉRER ET COMPRENDRE • MARS 2007 • N° 872

LE CHOIX DES RAPPORTEURSChaque article est donné, selon la règle du« double aveugle », à au moins deux rappor-teurs, membres du comité de rédaction. Lecomité fait appel à des évaluateurs extérieursquand l’analyse d’un article suppose de mobi-liser des compétences dont il ne dispose pas.

LES DÉBATS DU COMITÉ DE RÉDACTIONLe comité se réunit huit fois par an, chaquerapporteur ayant préalablement envoyé soncommentaire au président du comité de rédac-tion. C’est le comité de rédaction de Gérer etComprendre qui décide collectivement des posi-tions à prendre sur chaque article. Chaque rap-porteur développe son avis, ce qui nourrit undébat quand les rapporteurs divergent. Aprèsdébat, une position est prise et signifiée auxauteurs. Il arrive que les désaccords gagnent àêtre publiquement explicités, soit parce quecela peut faire avancer la connaissance, soitparce que les divergences du comité sont irré-ductibles. L’article est alors publié avec la cri-tique du rapporteur en désaccord, un droit deréponse étant donné à l’auteur. Ces débats per-mettent d’affiner progressivement la ligne édi-toriale de la revue et d’affermir son identité.

LES INTERACTIONS ENTRE LES AUTEURSET LE COMITÉLes avis transmis aux auteurs peuvent êtreclassés en quatre catégories : • oui car : l’article est publié tel quel et le

comité explique à l’auteur en quoi il aapprécié son travail ; il est rare que cetteréponse survienne dès la première soumis-sion ;

• oui mais : l’article sera publié sous réservede modifications plus ou moins substan-tielles, soit sur le fond, soit sur la forme ;

• non, mais : l’article est refusé, mais unenouvelle version a des chances d’être accep-tée moyennant des modifications substan-tielles ; les auteurs peuvent avoir un dia-logue avec le président du comité ; celan’implique toutefois pas une acceptationautomatique ;

• non car : l’article est refusé et l’auteur doitcomprendre qu’il n’a pratiquement aucunechance de convaincre le comité, mêmeaprès réécriture.

Gérer et Comprendre peut aussi évaluer lesarticles écrits en allemand, anglais, espagnolet italien.

LES CRITÈRES DE REJETPour préciser quels articles la revue souhaitepublier, le plus simple est d’indiquer ses cri-tères de rejet :• DES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES FONDÉES

SUR AUCUNE OBSERVATION OU EXPÉRIMENTA-TION : même si Gérer et Comprendre débordela seule tradition clinique et expérimentaledont elle est née, elle se méfie des considé-rations théoriques déployées sans confron-tation avec les faits. Le plus souvent, lesméthodes de validation statistiques laissentsceptique le comité, bien que plusieurs deses membres (qui ne sont pas les moins cri-tiques…) aient par ailleurs une large expé-

rience de l’enseignement des méthodesmathématiques et statistiques ;

• DES DESCRIPTIONS SANS CONCEPTS : à l’opposédu cas précédent, c’est ici le défaut de la nar-ration sans structuration théorique qui estvisé ;

• DES TRAVAUX SANS PRÉCISION DES SOURCES : lefait de restituer des observations ou desexpériences pose naturellement un problè-me : le chercheur n’étant ni un observateurinvisible, ni un investigateur impassible, ilimporte de préciser comment ont été effec-tuées les observations rapportées, cela afinque le lecteur puisse juger par lui-même desperturbations qu’ont pu occasionner lesinteractions entre l’auteur et le milieu danslequel il était plongé ;

• UN USAGE NORMATIF DES THÉORIES ET DESIDÉES : on a longtemps rêvé de lois et de solu-tions générales en gestion, mais cet espoir nerésiste pas à l’observation ; les articles quiproposent soit des théories implicitement ouexplicitement normatives, soit des recettesprésentées comme générales sont pratique-ment toujours rejetés ;

• DES ARTICLES ÉCRITS DANS UN STYLEABSCONS : considérer que les textes savants nedoivent s’adresser qu’aux chercheurs est untravers étrange de la recherche en gestion :c’est pourtant dans le dialogue entre théorieet pratique que naissent le plus souvent lesconnaissances les plus nouvelles, comme lemontrent les dialogues des Lumières, dontles Annales des mines portent l’héritage ; maisil faut pour cela que le style soit suffisam-ment clair et vivant pour encourager la lec-ture de ceux qui n’ont pas d’enjeux directsde carrière pour lire ; il arrive alors que lecomité aide les auteurs pour amender laforme de leurs textes.

Mais nul papier n’est parfait : ainsi, certainsarticles publiés pèchent au regard des critèresci-dessus. Mais c’est aussi le travail du comitéque de savoir de quels péchés on peutabsoudre. Gérer & Comprendre est toujoursattentive à favoriser les pensées vraiment ori-ginales, quand bien même elles seraient endélicatesse avec les règles énoncées ci-dessus.

INFORMATIONS PRATIQUESLes articles ne devront pas dépasser les40 000 signes, espaces compris.Ils devront être adressés par l’internet (de pré-férence) à l’adresse suivante :

[email protected] par voie postale en triple exemplaire à :

Caroline ELISSEEFFÉcole de Paris du Management94, boulevard du Montparnasse

75014 PARISMerci de ne laisser dans le corps du texte(soumis au comité de façon anonyme) aucuneindication concernant l’auteur. Toutes les informations nécessaires aux rela-tions entre le secrétariat du comité et l’auteur(titre de l’article, nom et qualités de l’auteur,coordonnées postales, téléphoniques et inter-net, données biographiques éventuelles, etc.)seront rassemblées sur une page séparée jointeà l’envoi.Les titres, les résumés et l’iconographie sont dela seule responsabilité de la rédaction.

LE FONCTIONNEMENT DU COMITÉ DE RÉDACTION DE

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4SOUS-TRAITANCE ET TRANSITION SOCIALE :L’EXEMPLE DU CNESPar Guy NABET

12LA GESTION DÉLÉGUÉED’UN COMPLEXE AQUATIQUELe service public à l’épreuvede stratégies particularistesPar Cédric RICHET et Bastien SOULÉ

23RÉAPPRENDRE À CONTER :GENÈSE D’UN ENTREPRENEUR SOCIALPar François ROUSSEAU

35QUELLE STRUCTURE TARIFAIRE POUR ÉCONOMISER L’EAU ?Par Marielle MONTGINOUL

48VAUBAN, LA NORMALISATION DUTRAVAIL AVANT TAYLOR ?Par Jean-Louis PEAUCELLE

61LA COORDINATIONAU SEIN DES ORGANI-SATIONS : ÉLÉMENTSDE RECADRAGECONCEPTUELPar Éric ALSÈNE et François PICHAULT

Débat avec Jean-Marc WELLER

82Olivier LENAY

RECHERCHE TECHNICIENSDES IDÉES GÉNÉRALES…à propos de l’ouvrage de Paul RABINOW,

Une France si moderne. Naissance du social,

1800-1950, Paris, Buchet-Chastel, 2006

Hervé LAROCHE

LE MANAGER, DANS TOUS SES ÉTATSÀ propos de quatre livres :

Encadrer. Un métier impossible ? par Frederik

MISPELBLOM BEYER, Paris, Armand Colin, 2006

Top Down. Why Hierarchies Are Here to Stay and

How to Manage Them More Effectively par Harold.

J. LEAVITT, Boston (Mass.), Harvard Business School

Press, 2005

Du manager novice au manager expert, par Rosette

et Jacques BONNET, Paris, Hermès-Lavoisier, 2006

Manageor, par Michel BARABEL et Olivier MEIER,

Paris, Dunod, 2006

87ANGLAIS, ALLEMAND, ESPAGNOL ET RUSSE

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mars 2007 • Numéro 87

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SOUS-TRAITANCE ETTRANSITION SOCIALE:L’EXEMPLE DU CNES

Un changement de prestataire est une opération délicate aux aspects sociaux parfois douloureux. Le renouvellement de contrats de sous-traitance du CNES àToulouse a été l’occasion de mettre en place une procédure tout à fait originale,rappelant l’esprit des «districts industriels» à l’italienne. Qui, mieux que tousles acteurs d’un même bassin d’emploi, peut avoir l’idée juste des ressources existantes, une ferme volonté de préserver l’emploi et un souci aigu du maintiendes compétences de chacun? C’est en partant de ce constat que le CNES a conçuun processus de transition sociale entre donneur d’ordre, sous-traitant retenu et

sous-traitants non retenus. Les protocoles finalement signés concernent tous ces«membres du réseau», mais la responsabilité de la gestion de la transition sociale incombe au groupement industriel retenu. Celui-ci doit tenir compte, dans son offre audonneur d’ordre, des intérêts bien compris de ses concurrents… à charge de revanche!

PAR Guy NABET, SOUS-DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ÉTABLISSEMENT DE TOULOUSE DU CENTRE NATIONALD’ÉTUDES SPATIALES (CNES)

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La nouvelle réalité des grandes entreprises se carac-térise par l’existence «d’un réseau d’entreprises » encharge des activités de production et de fonction-

nement des sites de leurs établissements. Cette nouvel-le situation, où se côtoient en permanence les person-nels du donneur d’ordre (l’entreprise qu’on peutqualifier d’entreprise «au centre du réseau») et ceux dessociétés sous-traitantes (qualifiées d’entreprises «mem-bres du réseau»), pose de manière périodique la ques-tion du renouvellement des contrats qui les lient. Pourles personnels de ces sociétés, la bonne marche des acti-vités et le «climat social» du site, ces évolutions ne sontpas sans conséquence.Les conditions dans lesquelles sont traités ces change-ments constituent un indice révélateur de la réalité duplan de charge et de la politique sociale du donneurd’ordre. Elles ne manquent pas d’interpeller les salariéset les partenaires sociaux de l’entreprise au centre duréseau, préoccupés par leur propre devenir et liés, par laproximité de leurs relations de travail, aux salariés dessociétés membres du réseau.

Il s’agit donc de dégager une méthodologie permettantdes changements de prestataire, tout en tenant comptedes aspects sociaux.À l’occasion de l’appel d’offre relatif à l’infogérance de sesmoyens informatiques, réseaux et télécommunicationslancé en juillet 2005, le Centre National d’ÉtudesSpatiales (CNES) a décidé de mettre en œuvre, pour lapremière fois, un processus dit de «gestion de la transitionsociale». Ce processus a pour objectif de prendre encompte les impacts d’un changement éventuel de parte-nariat industriel sur les aspects sociaux de la sous-trai-tance.Cet article présente la méthode retenue dans le cadre del’appel d’offre infogérance.Dans une première partie, nous expliquerons les objec-tifs et la problématique de la transition sociale.Une deuxième partie nous permettra de revenir sur ladémarche mise en œuvre au cours des différentes étapeset sur le dispositif d’accompagnement.Enfin, nous essayerons, dans une troisième partie, detirer les enseignements de ce processus.

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LES ENJEUX D’UNE BONNE GESTION DE LA TRANSITION SOCIALE

L’appel d’offre relatif à l’infogérance des moyens infor-matiques, réseaux et télécommunications s’inscrit dansune logique de mise en concurrence périodique (tousles 3 à 5 ans) de l’ensemble des contrats de prestationsindustrielles.S’agissant de moyens appartenant au CNES et installésdans ses locaux, ces prestations sont réalisées en majori-té sur les sites du CNES. Le périmètre de l’appel d’offreconcerne les 150 salariés des sociétés en sous-traitance,amenés à connaître une évolution importante de leuractivité à l’issue de cette mise en concurrence.L’appel d’offre a pour objectif de procéder au regroupe-ment de plus de vingt contrats et de clarifier les res-ponsabilités respectives du CNES et du groupementretenu, en faisant évoluer les relations contractuellesavec les industriels, et ceci afin de passer d’une situationd’obligation de moyens à une situation d’obligation derésultats, de diminuer les coûts des prestations etd’améliorer leur qualité. Au démarrage du nouveaucontrat, une économie de l’ordre de 10 % est attendue.Le changement de l’organisation industrielle qu’entraî-neront les choix effectués par le CNES aura nécessaire-ment des impacts sur les aspects sociaux de la sous-trai-tance.Le CNES considère que le traitement de ces aspectssera déterminant pour la réussite de cette évolution etqu’il doit constituer, dans son appel d’offre, un critè-re de choix au même titre que les critères technique etfinancier. La mise en concurrence peut conduire à deschangements de titulaires des contrats et, dans cesconditions, les phases de transition sociale et derecouvrement technique constituent une réalitéincontournable. Elles doivent donc être anticipées,gérées et réalisées tout en s’assurant de la prise encompte des aspects sociaux.Le traitement de ces aspects est mené suivant uneméthodologie applicable aux contrats de ce type. Lecontrat d’infogérance est mis à profit pour mettre enœuvre concrètement cette approche.Tout en respectant la logique industrielle, technique etéconomique de la proposition du groupement retenu,la problématique posée à travers cette méthode dite de«gestion de la transition sociale» consiste à répondre demanière équilibrée aux objectifs suivants :– pour les salariés concernés des entreprises non rete-nues, anticiper et prévenir en matière d’emploi lesconséquences éventuelles résultant d’un changement deprestataire ;– pour les sociétés non retenues, leur permettre demaintenir leurs compétences.Il convient de trouver une solution médiane entre lesdeux écueils que constitueraient la perte d’emploi pourles salariés et le transfert pur et simple de ces salariés augroupement entrant.

LES ÉTAPES D’UNE NÉGOCIATION TANTSOCIALE QU’ÉCONOMIQUE

La démarche mise en œuvre pour développer cetteméthode s’articule autour d’une phase d’information(avant l’appel d’offre), d’une phase de consolidation desengagements (pendant l’appel d’offre), d’une phase demise en œuvre (après l’appel d’offre) et d’un accompa-gnement (à travers un dispositif de pilotage). Dans lecadre de l’infogérance, ces différentes étapes se sontdéroulées sur une période allant d’avril 2005 àjuin 2006, avec des interruptions dues à l’attente desréponses des industriels.

La phase d’information : avant l’appel d’offre(avril 2005-mai 2005)

Au cours de cette phase d’information, des contacts ontété pris avec les six industriels en place afin d’obtenirdes éléments sur l’importance des équipes en sous-trai-tance, d’anticiper les questions posées selon les résultatsde la consultation et de recenser les pratiques envigueur dans ce type de situation.Les principales informations recueillies ont permisd’établir le nombre de personnes concernées par le péri-mètre de l’appel d’offre, leur activité, leur compétenceet leur ancienneté professionnelle.Les questions posées à chaque industriel ont porté surl’évolution prévisible de la situation de leurs équipes, enfonction des résultats de la mise en concurrence. Ceséquipes seront-elles redéployées sans difficultés surd’autres activités, compte tenu de leur compétence etdes affaires en cours sur le bassin d’emploi ? Au-delàd’une meilleure connaissance de leur activité nationale,ces informations ont mis en évidence le niveau de leurseffectifs dans la région et leur capacité d’emploi enfonction de leurs anticipations d’activité. Le rapproche-ment de ces informations avec les différentes consulta-tions en cours auprès des principaux donneurs d’ordreet la nature des emplois concernés ont permis de mieuxapprécier les risques potentiels de perte d’emploi.Enfin, il était également intéressant, en cas d’obten-tion du contrat, de connaître leurs pratiques vis-à-visde leurs concurrents, sachant que cette situationpouvait être inversée d’une affaire à l’autre. Ces pra-tiques montrent la nécessité de mobiliser en peu detemps un nombre important de ressources humainesayant la capacité technique de couvrir la totalité dupérimètre. Elles conduisent, pour une partie des res-sources, à la mise en œuvre de solutions d’embaucheou de sous-traitance transitoire entre les sociétésentrantes et sortantes. Le caractère régulateur de telsusages, en vigueur dans ce domaine d’activité et enparticulier dans la région toulousaine, s’avérait, defait, compatible avec l’intention du CNES de leurconfier la responsabilité de la gestion de la transitionsociale.

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La phase de consolidation : pendant l’appeld’offre (juillet 2005-novembre 2005)Dans le dispositif contractuel, les clauses introduitesdans l’appel d’offre ont constitué un élément essen-tiel pour consolider les engagements pris par lesindustriels.Elles s’articulent autour de clauses additionnellesportant sur les ressources humaines disponibles etles dispositifs envisagés durant les périodes de tran-sition et de recouvrement. Elles précisent que la ges-tion de la transition sociale est de la responsabilitéde l’industriel, au même titre qu’il est responsabletechniquement ou économiquement des presta-tions. C’est là un élément majeur, car le fait d’ac-cepter ce point dans le dossier de réponse marque,de la part de l’industriel, un engagement en matièresociale.Un nouveau critère de choix concernant la qualité de laproposition relative à la transition sociale a été intro-duit, au même titre que le critère technique ou financier.Enfin, des clauses relatives à la gestion de la transitionsociale ont été mentionnées dans le projet de contratafin d’expliciter les modalités pratiques du démarragedes activités.

À la réception des offres, des questions complémen-taires ont été posées aux candidats pour évaluer leursengagements et comparer leurs propositions.

L’analyse des réponses a permis de confirmer les élé-ments recueillis lors de la phase d’information, et dedégager deux types de solution pour traiter les risqueséventuels en matière d’emploi :– une solution d’embauche des personnels concernéssur le contrat d’infogérance et hors contrat d’infogé-rance, en maintenant les clauses essentielles du contratde travail ;– une solution de sous-traitance transitoire de presta-tions du groupement entrant vers les sociétés non rete-nues pour leur permettre de maintenir l’emploi de leurssalariés, en leur laissant un délai suffisant pour les redé-ployer vers de nouvelles activités en leur sein.Au terme du processus d’appel d’offre, le CNES a déci-dé de retenir le groupement STERIA-THALES etd’entamer la mise en œuvre de la transition sociale.

La phase de mise en œuvre : après l’appeld’offre (décembre 2005-juin 2006)

Cette phase s’est déroulée en plusieurs étapes et a misen relation différents acteurs. Elle s’est accompagnéed’un dispositif de pilotage, nécessaire au bon déroule-ment du processus.La première étape a consisté à élaborer un protocole detransition sociale entre le groupement STERIA-THALES et le CNES, avec la participation des sociétésnon retenues. Ces discussions, menées sur une périodede deux mois, ont conduit à préciser différentes ques-tions.Si la transition sociale a pour objectif de traiter lesconséquences induites par le changement de prestataireen matière d’emploi, elle ne vise pas à remettre en causela logique industrielle et économique de l’offre retenue.L’embauche des personnels et la mise en place d’unesous-traitance de certaines prestations ne doivent pasrenchérir le coût global des prestations, ni modifier l’or-

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EXTRAIT DES QUESTIONS POSÉES AUX CANDIDATS DANS L’APPEL D’OFFRE

– Quel est le nombre de personnes des sociétés sor-tantes que le groupement estime pouvoir embaucheret qui seront affectées dans le nouveau contrat d’in-fogérance ?– Est-il prévu des dispositifs particuliers pour le per-sonnel des sociétés sortantes, qui ne feraient pas l’ob-jet d’embauche au titre du contrat d’infogérance etdont le redéploiement ne serait pas assuré par la socié-té sortante? Quels sont ces dispositifs? Quelles sont lesconditions de mise en œuvre de ces dispositifs?

EXTRAIT DES CLAUSES INTRODUITESDANS L’APPEL D’OFFRE

ET DANS LE PROJET DE CONTRAT

CLAUSES APPLICABLES À L’APPEL D’OFFREClause de ressources humaines disponibles :Le candidat retenu (société ou groupement) indiquedans son offre la part de ressources humainesinternes dont il dispose, et les conditions prévuespour couvrir la totalité du périmètre de l’appeld’offre.Clause de gestion de la transition sociale :Le candidat (société ou groupement) est responsablede la gestion de la transition sociale. Il présentera etprécisera dans son offre les modalités envisagéespour la gestion de cette transition afin de parvenir àla couverture totale du périmètre de l’appel d’offre.Critère sélectif – Gestion de la transition sociale :Le CNES appréciera le respect des clauses relatives àla transition sociale

CLAUSE APPLICABLE AU CONTRATLe Titulaire (société ou groupement) est responsablede la gestion de la transition sociale. Le contrat pré-cisera les modalités pratiques de démarrage des acti-vités et, s’ils existent, les accords conclus avec lessociétés sortantes pour mettre en œuvre cette transi-tion sociale et parvenir à la couverture totale dupérimètre de l’appel d’offre. Ces dispositions sontreprises dans l’acte d’engagement.

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ganisation indus-trielle des activi-tés. L’embauches’entend, en parti-culier, sur lecontrat d’infogé-rance pour lessalariés dont lamission et la fonc-tion sont transpo-sables dans lanouvelle organi-sation et, en der-nier ressort, horscontrat d’infogé-rance sur d’autresprojets. La sous-traitance de pres-tations a, en effet,un caractère tran-sitoire et limitédans le temps.L’appréc ia t iondu « risque d’em-ploi avéré » estune question cen-trale du disposi-tif. La démarchede traitement dela transition so-ciale est fondéesur une logiqueconsensuelle etde bonne foi en-tre les acteurs. Ilne s’agit pas,pour le groupe-ment retenu, dedéterminer les compétences et les postes concernéspar les embauches ni, pour les sociétés non retenues,d’utiliser le dispositif à seule fin de transférer dupersonnel. Leur responsabilité partagée consiste àgérer les risques sociaux propres à cette situation, aumoyen d’un mécanisme régulateur visant à identi-fier « le risque d’emploi avéré ». Chaque société resteresponsable de la gestion de son personnel ou doitdémontrer ce risque d’emploi. Si cette appréciationreste du ressort de l’entreprise sortante, elle s’exercedans un contexte local. Ces différents acteurs dubassin d’emploi disposent d’informations fines surl’évolution des activités et l’attribution des nou-velles affaires. Les compétences des salariés concer-nés sont également connues, sur des sites où ils exer-cent leur activité parfois depuis plusieurs années.L’ensemble de ces éléments permet d’apprécier lacrédibilité de ces informations et d’assurer une cer-taine régulation. Chacune de ces entreprises pou-vant se retrouver dans une situation inversée d’une

affaire à l’autre,l’intérêt de lasociété sortanteest de débou-cher sur un ac-cord vis-à-vistant du grou-pement entrantque du donneurd’ordre.L’identificationdes personnesconcernées par leprotocole consti-tue un autre élé-ment de régula-tion du dispositif.Elle vise à enlimiter l’applica-tion aux salariésaffectés principa-lement aux acti-vités du péri-mètre de l’appeld’offre depuis aumoins un an, à ladate d’effet dunouveau contrat.En ce qui concer-ne les condi-tions d’embau-che, le protocoleprévoit le main-tien des condi-tions essentiellesdu contrat detravail en termesde rémunération,

d’ancienneté et de classification. Le transfert desdroits des salariés est confirmé, y compris celui del’ancienneté acquise, malgré son impact écono-mique potentiel. Ce point est important, car il sup-pose que les entreprises sortantes s’engagent à main-tenir au mieux l’emploi de tous leurs salariés, ycompris les plus expérimentés. Elles s’inscriventainsi dans la logique de la transition sociale de valo-risation des compétences de salariés qu’elles ontcontribué à former.Pour garantir le maintien du niveau de classificationd’une entreprise à l’autre, il est convenu d’appliquer desgrilles de correspondance des classifications, en cas dechangement de convention collective.Les notions d’emploi équivalent, d’absence de périoded’essai et de bassin d’emploi sont également mention-nées. Elles ont pour but de sécuriser le dispositif pourdes salariés ayant déjà acquis des compétences dansl’exercice de leur activité et de prendre en compte unelogique d’emploi local correspondant à la réalisation

[…] les compétences professionnelles des salariés sont réemployées d’une entrepriseà l’autre, en fonction de l’évolution de la situation des entreprises. (Succès du lance-ment du satellite Corot, en route vers les étoiles le 28 décembre 2006)

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de ce type de prestations. Ces notions traduisent unevolonté de ne pas rajouter, à une transition d’activitésdélicate, la mise en œuvre d’autres transitions sousforme de changement d’emploi ou de mobilité géo-graphique.Enfin, le déclenchement du processus d’embauche estconditionné par l’émission d’une demande conjointe dela société non retenue et du salarié, pour lui permettre demanifester une volonté claire et non équivoque.Pour les sous-traitances transitoires de prestations, il estadmis de négocier ces sous-traitances à des conditionséconomiques moins favorables sur des périodes del’ordre de trois à douze mois, dans l’unique but de per-mettre aux sociétés non retenues de conserver leurscompétences. Il s’agit, par des conditions dégressivesdans le temps, d’inciter les entreprises à redéployer leurpersonnel le plus tôt possible sur d’autres activités et ce,dans le respect de la proposition technique et financièredu groupement retenu.Ces négociations ont abouti à l’établissement d’un pro-tocole qui décrit les principes, les engagements ainsique le dispositif arrêté pour mener à bien cette transi-tion. Ce protocole a été référencé comme documentcontractuel au contrat d’entreprise notifié par le CNESet il a servi de base à la communication des sociétés sor-

tantes, à destination de leurs instances représentatives etde leurs personnels.La deuxième étape a consisté à engager des discussionsbilatérales entre le groupement et les sociétés sortantesafin de déterminer le nombre de salariés concernés pardes propositions d’embauche ou par une sous-traitancetransitoire de prestations. Elle a débouché sur des pro-tocoles d’accord spécifiques entre le groupement et cessociétés (soit quatre protocoles, pour quatre sociétéssortantes). Ces protocoles ont fixé le nombre de salariésconcernés par des embauches sur le contrat ou desembauches hors contrat, à travers une lettre d’accrédi-tation globale comportant des clauses de non-recoursjuridique entre sociétés. En ce qui concerne les sous-traitances transitoires, ils ont précisé la durée et lesconditions de réalisation de ces prestations.Le modèle de lettre présenté ci-dessous fait référence auprotocole de transition sociale et précise les clauses denon-recours.De manière générale, l’expérience a montré que cetteétape s’est révélée plus longue qu’initialement prévu,compte tenu de la complexité des questions en cause. Cesdifficultés peuvent avoir des conséquences sur la transi-tion technique entre les prestataires, dans des domainessensibles. Le groupement retenu est confronté à un risque

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EXTRAIT DU PROTOCOLE DE TRANSITION SOCIALE

– PRINCIPESLe Groupement a fondé sa démarche de traitementde la transition sociale sur une logique consensuelleet de bonne foi entre les sociétés non retenues, lessalariés concernés et le Groupement, et ce dans le res-pect de la logique industrielle, technique et écono-mique de la proposition du Groupement, en répon-se à l’AO Infogérance.Le Groupement s’engage à examiner avec les sociétésnon retenues les conséquences en matière d’emploiinduites par la situation présente, et à ce titre, à ins-truire le dossier de tout collaborateur travaillant surle périmètre de l’appel d’offres d’Infogérance CNESet pour lequel un risque d’emploi serait avéré, et ceselon deux déclinaisons :– soit par une embauche des personnels concernés. Lessociétés non retenues informeront ces collaborateurs etdétermineront avec eux l’opportunité de déposer undossier en vue de se voir proposer un poste par leGroupement, dans le cadre de cette transition,– soit par une sous-traitance transitoire de presta-tions dans le cadre des activités liées à l’AOInfogérance, évaluée spécifiquement pour chaquesituation.– ENGAGEMENTSLe Groupement s’engage à examiner avec les sociétés

non retenues les conséquences en matière d’emploiinduites par la situation présente.Personnes concernées : Les salariés affectés principa-lement aux activités du périmètre de l’appel d’offresd’Infogérance CNES au moins depuis le 01/06/05 etdont le risque d’emploi est avéré.P1 : Proposition d’embauche sur le contratd’Infogérance(Sont concernés les salariés dont la mission et lafonction sont transposables dans la nouvelle organi-sation industrielle du contrat, au-delà des équipesdéjà constituées)P2 : Proposition d’embauche hors contratd’InfogéranceConditions pour P1 et P2 : Demande conjointe de lasociété non retenue et du salarié auprès duGroupement.Nature de la proposition pour P1 et P2: un emploiéquivalent au sein d’une des sociétés du Groupement(y compris ses sous-traitants déclarés) dans le bassind’emploi, en maintenant les clauses essentielles ducontrat de travail (rémunération globale, classification,ancienneté, bassin d’emploi), sans période d’essai.P3 : Proposition de sous-traitance transitoire (exclu-sive des propositions P1/P2)Conditions : Respect de la logique industrielle, tech-nique et économique de l’offre du Groupement, enréponse à l’AO Infogérance.Nature : une activité transitoire pour le compte d’unedes sociétés du Groupement (y compris ses sous-trai-tants déclarés).

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de retard dans la mise en place des personnels nécessaires,dont la cartographie dépend fortement des délais d’iden-tification des compétences acquises grâce à ces embaucheset sous-traitances transitoires. Une des solutions négociéespourrait consister, dans certains secteurs, à identifier lespersonnels-clés des sociétés sortantes qu’il conviendrait demaintenir en sous-traitance transitoire, en contrepartie dela prise en compte du risque d’emploi.La troisième étape a eu pour objectif d’informer lesdifférents acteurs des résultats de ces accords et deprocéder à la mise en œuvre concrète de cette transi-tion. L’information par les employeurs respectifs desinstances représentatives des sociétés non retenues etdes salariés concernés a été un élément important du

dispositif, qui a permis de faire connaître les principesde la transition et de procéder aux ajustements néces-saires.Au terme de ce processus, les employeurs ont remis auxsalariés concernés par les procédures d’embauche unelettre d’accréditation individuelle leur permettant defaire acte de candidature auprès du groupement retenu,aux conditions prévues pour la transition sociale. Ils ontégalement organisé des sous-traitances transitoires decertaines prestations pour gérer au mieux un dispositifde recouvrement technique. La finalisation de ce pro-cessus s’est traduite, après les entretiens d’embauche, parla signature des nouveaux contrats de travail et le trans-fert effectif des salariés, aux dates convenues.La réalisation de ces étapes n’a pu se concevoir sansl’existence d’un dispositif de pilotage. Dès l’annonce duchoix du groupement STERIA-THALES par le CNES,il a été décidé de mettre en place un comité de pilotagede la transition sociale, dont le rôle a été d’assurer laconduite de ce projet et d’en garantir le bon déroule-ment. Composé de représentants des directions d’entre-prises et des directions des ressources humaines du grou-pement et du CNES, ce comité s’est réuni chaquesemaine. Grâce à ce dispositif, le CNES s’est assuré de labonne application de la transition sociale par les diffé-rents acteurs.

À ce dispositif, qui a fonctionné sur la période dedécembre 2005 à juin 2006, s’est ajouté un dispositifcomplémentaire mis en place par le CNES sous laforme de réunions hebdomadaires organisées entre ladirection du CNES et ses délégués syndicaux, de marsà juin 2006.

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TRANSITION SOCIALE DANS LE CADRE DE L’APPEL D’OFFRES D’INFOGÉRANCE

DES INFRASTRUCTURES INFORMATIQUESDU CNES

– Modèle de lettre d’accréditation -Je soussigné, M………… représentant laSociété………………Accepte que le groupement STERIA/THALES (lessociétés STERIA et THALES) embauche les salariésdont la liste précise figure ci-dessous, ce dans lecadre du processus de transition sociale, préconisépar le CNES, et conformément aux stipulations pré-vues dans le protocole d’accord « concernant la tran-sition sociale sur le dossier CNES » en datedu……………….

À cet effet, la société…….. lèvera les salariés concer-nés de toute obligation de non-concurrence et dimi-nuera, en tant que de besoin, la durée de leur pério-de de préavis afin que ceux-ci se trouvent libres detout engagement à la date de prise d’effet de leurembauche.Enfin, en tant que représentant de la société……….,je m’engage envers les salariés concernés et le grou-pement……….., à renoncer à tout recours, dequelque nature que ce soit, lié aux embauches àintervenir,Pour la Société…………….Nom :Fonction :À……………., le …………….Signature et cachet de la société

Noms, Prénoms Bassin d’emploi(Toulouse, Evry, Paris)

ToulouseToulouseToulouseToulouse

EXTRAIT DU PROTOCOLE DE TRANSITIONSOCIALE, DISPOSITIF DE PILOTAGE

Le Groupement met en place une cellule de pilota-ge de la transition sociale.Sa mission : assurer la conduite du projet de transi-tion sociale et en garantir le bon déroulement, jus-qu’à son termeSa composition :– Pour le CNES : les représentants de la Directiondu Système d’Information et des ressourceshumaines de l’établissement ;– Pour le Groupement : les représentants des direc-tions générales, opérationnelles et RH des sociétésdu Groupement.Fonctionnement :– une réunion hebdomadaire jusqu’à fin mars 06 ;– puis une réunion mensuelle jusqu’à juin 06.À noter que ce dispositif prévoit des réunions pério-diques d’avancement entre le Groupement et chacu-ne des sociétés non retenues.

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Ce dispositif est intervenu après la réalisation des dif-férentes informations et consultations auprès de sesinstances représentatives, traduisant ainsi une évolu-tion du dialogue social sur ce dossier. Dans un premiertemps, les représentants du personnel ont demandé àla direction du CNES d’assurer le maintien de l’emploide l’ensemble des salariés en sous-traitance. Ils sontintervenus en particulier pour que les dispositions del’appel d’offre prennent cette dimension en compte. Àla réception des offres, la direction du CNES a présen-té aux élus du Comité Central d’Entreprise le proces-sus de gestion de la transition sociale envisagé. Mais laphase de mise en œuvre a conduit à une évolutionimportante de ce dialogue. Pour répondre à la deman-de d’information des délégués du CNES sur le suiviconcret du processus, la direction a mis en place undispositif spécifique. Des réunions hebdomadaires ontpermis aux délégués syndicaux de prendre connaissan-ce de l’avancée réelle des protocoles d’accord entre lesentreprises et de faire remonter les difficultés d’appli-cation. Ils ont pu relayer ces informations auprès desreprésentants du personnel des sociétés non retenues etdes salariés concernés. Ces réunions ont égalementpermis à la direction du CNES de s’assurer du bondéroulement du processus et d’identifier les points deblocage. Celle-ci a pu, à son tour, relayer ces informa-tions auprès du groupement retenu dans le cadre ducomité de pilotage.Ces réunions ont constitué des lieux de négociationentre les acteurs concernés aux différentes étapes duprocessus, s’inscrivant de fait dans une démarche négo-ciée, garante de son bon aboutissement.

Les résultats de la transition sociale

Dans le cadre de l’appel d’offre relatif à l’infogérance deses moyens informatiques, réseaux et télécommunica-tions, le groupement STERIA-THALES a accepté laresponsabilité de la transition sociale concernant 151salariés, dont les 45 salariés du groupement STERIA-THALES déjà présents sur le site.Les résultats de la transition sociale se traduisent dansles documents conclus par les entreprises et par desdécisions prises vis-à-vis des salariés des sociétés nonretenues.Les documents contractuels sont les suivants :– un protocole de transition sociale, référencé dans lecontrat liant le CNES et le groupement STERIA-THALES;– des protocoles d’accord spécifiques conclus entre lessociétés non retenues et le groupement, qui fixent lesconditions de cette transition et énumèrent les clausesde non-recours juridique.Les décisions concernant les 106 salariés des sociétésnon retenues sont les suivantes :– embauche de 26 salariés par le groupement retenu;– mise en œuvre de sous-traitance de transition pour 20autres salariés ;

– redéploiement de 60 salariés sur d’autres activités – dansleur propre entreprise – par les sociétés non retenues.

ANTICIPER ET IMPLIQUER

Le rôle du CNES

Le rôle du CNES a consisté à prendre en compte letraitement des aspects sociaux lors de changements detitulaires pour les prestations réalisées sur son site.Cette volonté affichée s’inscrit dans un contexte écono-mique tendu de forte demande des partenaires sociauxliée aux changements de titulaires intervenus pourd’autres prestations sur le site du Centre Spatial deToulouse et au changement, à venir, des contrats de pres-tations industrielles au Centre Spatial Guyanais àKourou.Au-delà de l’application des clauses de transfert de per-sonnel prévues dans les conventions collectives dessous-traitances traditionnelles des marchés de nettoya-ge et de gardiennage (article L122-12 du Code duTravail), il s’agit d’anticiper et de dégager une métho-dologie de traitement des aspects sociaux, plutôt qued’avoir à gérer une situation de tension sociale.Le CNES, en sa qualité de donneur d’ordre, a été dès ledébut à l’initiative du processus de transition sociale. Ilreste la référence et l’arbitre des conflits éventuels entreles différents interlocuteurs. Pour autant, il ne se sub-stitue pas au rôle des autres acteurs car la gestion de latransition sociale est une exigence contractuelle dont laresponsabilité incombe directement au groupementindustriel retenu.

Le contrat d’entreprise comme outil de gestionde la transition sociale

Le contrat d’entreprise s’avère être l’outil majeur de ges-tion du processus de transition sociale.Il ne peut s’agir là, en effet, seulement de «bonnevolonté» ou d’application de conventions collectivesd’ailleurs inexistantes pour ce type de prestations ; il estdonc nécessaire de recourir au contrat pour donner àces dispositions « force contractuelle».Dans ces conditions, le dispositif de gestion de la tran-sition sociale est déployé à toutes les étapes de ce pro-cessus, au moyen:– de clauses spécifiques, introduites dans le dossierd’appel d’offre ;– de critères de choix particuliers, en complément descritères techniques et économiques ;– d’engagements contractuels.

Le contenu du protocole de transition sociale

Le contenu du protocole de transition sociale répondaux quatre grands principes décrits ci-après :

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– le maintien des droits des salariés concernés et l’ex-pression de leur volonté dans le traitement du problèmed’emploi, sans que cela débouche sur une « remise ducompteur à zéro» au sens de leurs droits, et ce, à traversune opportunité d’embauche maintenant les clausesessentielles du contrat de travail (emploi équivalent,rémunération globale, ancienneté, classification, bassind’emploi…) ou la gestion d’une situation de transitionleur permettant de conserver leur emploi dans leursociété ;– une co-responsabilité dans la gestion des risquessociaux, grâce à un mécanisme visant à identifier pourchaque société « le risque d’emploi avéré » lié à l’évolu-tion de ses activités. Dans ces conditions, chaquesociété reste responsable de la gestion de son person-nel ou doit démontrer ce risque sur un bassin d’em-ploi dont les évolutions sont connues par les différentsacteurs ;– un co-investissement assurant de fait l’efficacité duprocessus, qui se traduit, pour le groupement retenu,par l’embauche des personnels compétents pouvantêtre immédiatement affectés sur le contrat ou d’autresactivités et, dans le cas des sociétés non retenues, parla mise en œuvre de sous-traitance de transition à desconditions économiques, certes moins favorables,mais leur permettant de maintenir leurs compétences.Une évolution du dispositif permettrait cependant depallier les difficultés rencontrées dans la mise en placede la transition technique dans les délais prévus. Unedes solutions négociées pourrait consister à identifierdans certains domaines les personnels-clés des sociétéssortantes, qu’il conviendrait de maintenir en sous-traitance transitoire, en contrepartie de la prise encompte du risque d’emploi ;– une démarche négociée entre les acteurs concernés auxdifférentes étapes du processus :

– négociation entre le donneur d’ordre et le groupe-ment retenu sur les termes du protocole de transi-tion sociale ;– négociation entre le groupement retenu et lessociétés non-retenues sur des protocoles d’accordfixant le nombre des embauches et les sous-traitancestransitoires ;– négociation entre les sociétés non retenues, leursorganisations syndicales et les salariés concernéspour le suivi de cette transition;– négociation entre le donneur d’ordre et ses organi-sations syndicales pour la mise en œuvre du processus.

À cet effet, il convient de noter l’importance du dispo-sitif de pilotage qui permet d’offrir aux différentsacteurs des lieux d’expression et de négociation. Il per-met également de faire remonter les difficultés et les

questions, de réguler les demandes et d’harmoniser lespratiques.Ces principes, dégagés au fur et à mesure de la réalisa-tion de cette transition sociale, renvoient, dans les faits,aux principes que nous avons pu retrouver, a posterio-ri, dans l’ouvrage de Bernard Gazier consacré aux«marchés transitionnels de l’emploi» (1).Leur mise en application conjointe est décisive pour laréussite de cette démarche.

LE DESTIN LIÉ DES ACTEURS D’UN BASSIND’EMPLOI

Les enseignements de ce processus font clairementapparaître que l’évolution des activités économiquesdes grandes entreprises sur leurs sites tant d’études quede production conduit inévitablement à des phases detransition, qu’il convient d’anticiper et de gérer.La prise en compte des aspects sociaux est une donnéeincontournable à traiter, au même titre que les autresaspects, pour assurer la réussite du projet au plan tech-nique, calendaire et financier.Cette prise de conscience est essentielle, en préalable audéploiement d’un dispositif qui doit prendre appui surles trois conditions suivantes :– une politique affichée du donneur d’ordre consistantà traiter les problèmes d’emploi liés à l’évolution desactivités économiques sur son site ;– la traduction explicite de cette volonté dans sa poli-tique d’achat et ses outils contractuels ;– une démarche équilibrée et négociée avec les diffé-rents acteurs de la transition sociale.Le caractère «reproductible» de cette méthode pourraitpermettre une forme de régulation des marchés del’emploi, à l’image des «districts industriels » à l’italien-ne, qui regroupent de multiples petites entreprises pro-duisant le même type de produits, où les compétencesprofessionnelles des salariés sont réemployées d’uneentreprise à l’autre en fonction de l’évolution de lasituation des entreprises.Cette méthode conduirait à limiter les transitions «cri-tiques» dues aux changements périodiques de presta-taires et contribuerait ainsi à promouvoir de «bonnes»transitions (2).Dans ces conditions, ne serait-il pas intéressant que lesdonneurs d’ordres de ces sites acceptent de développerce type d’approche vis-à-vis des entreprises d’unmême secteur d’activité, afin d’assurer une certainesécurité de l’emploi, une forme de confiance sur unbassin d’emploi ? ■

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(1) GAZIER, Bernard, Vers un nouveau modèle social, Paris, Flammarion,Coll. Champs, 376 pages, 2005.

(2) GAZIER, Bernard. op. cit., p. 256.

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LA GESTION DÉLÉGUÉED’UN COMPLEXEAQUATIQUE

Le service public à l’épreuve de stratégiesparticularistes

Le service public peut-il être assuré quand sa gestion est confiée au secteur privé ? Lesecteur privé peut-il subsister quand il doit prendre en compte des intérêts généraux ?Quelles sont les stratégies des uns et des autres pour surmonter les obstacles, trouverdes compromis et tirer leur épingle du jeu ? L’étude d’un cas de délégation de servicepublic (DSP) appliquée à un complexe aquatique permet aux auteurs de révéler lepoids que peuvent avoir des stratégies sectorielles face à l’intérêt général. La capacitéà exploiter des opportunités de situation et à défendre des intérêts acquis se nourritparfois de l’inexpérience des fonctionnaires et de l’incompétence des élus. Se constitue alors un véritable réseau, qui organise concrètement la DSP, délégationtoutefois protégée de toute dérive morale grâce à son statut particulier. Une manièred’aborder un débat plus général : quelle dimension contractuelle, pour la gestionpublique de secteurs industriels et commerciaux ?

PAR Cédricédric RICHET ET Bastien SOULÉ, CENTRE DE RECHERCHE SUR LES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES,UNIVERSITÉ DE CAEN, BASSE-NORMANDIE

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Cette recherche vise à comprendre la gestion délé-guée de service public d’un complexe aquatiquede sport-loisirs. Elle s’attache à identifier les stra-

tégies d’intervenants nombreux et disparates, qui se ras-semblent pour concourir à un projet commun, d’inté-rêt général : l’apprentissage et le perfectionnement de lanatation, mais aussi la détente et le jeu. L’ensemble pro-duit une indéniable complexité sociale, génératriced’effets non désirés. En découvrant, grâce à une étudede cas, les intérêts sectoriels des acteurs engagés dans ceprocessus, il est possible de mieux saisir les origines decertaines difficultés inhérentes à ce mode de gestion.En proportion croissante, des services publics sontfournis à la population française par l’intermédiaired’entreprises privées : la distribution de l’eau, lestransports urbains ou encore la restauration collectivesont ainsi concernés (MÉNARD & SAUSSIER, 2003).Cet apparent paradoxe touche aussi les domaines cul-turel et sportif. Les impératifs budgétaires et l’intensi-fication de la concurrence ont ainsi contribué à trans-former les musées en organisations hybrides évoluantentre service public et insertion dans le marché(TOBELEM, 2005). De même, de plus en plus d’équi-pements sportifs sont concernés par ce transfert deresponsabilité : nombre de complexes aquatiques desport-loisirs (CASL) sont désormais gérés sous laforme d’une délégation de service public (DSP). En2001, une quarantaine de ces équipements étaientconfiés aux soins de gestionnaires privés (1). Le mar-ché semblait alors en pleine croissance ; de nombreuxappels d’offres étaient en cours, qu’avaient lancés desmaires séduits par ce mode de gestion à la frontière dupublic et du privé.À chaque fois qu’un contrat matérialise la rencontreentre ce choix de gestion et un équipement aquatique,de nombreuses parties prenantes (2) se voient dansl’obligation de concourir à un projet à la fois communet d’intérêt général : l’apprentissage et le perfectionne-ment de la natation, mais aussi la détente et le jeu dansl’eau. L’ensemble est constitutif d’une certaine com-plexité sociale.En effet, les intervenants, qui œuvrent à apporter unservice public dans un contexte d’interdépendance,n’en font pas moins montre d’intérêts divergents. Il enrésulte des stratégies particularistes, des conflits, ainsique le détournement de certaines règles. L’identifi-cation de ces écarts aux prescriptions, parfois suffi-samment prégnants pour mettre la gestion d’un équi-pement d’intérêt général en grande difficulté, permetde mieux comprendre les difficultés inhérentes à lamise en œuvre d’une DSP.Dans un premier temps, nous construirons l’objetde cette étude, sur les plans conceptuel et contex-

tuel. Puis, nous préciserons notre cadre théorique,la problématique adoptée ainsi que la méthodologiequi en découle. Enfin, nous présenterons les résul-tats d’une étude de cas.

UN PARTENARIAT PUBLIC/PRIVÉ POUR DE NOUVEAUX USAGES AQUATIQUES

Dresser le contexte de l’étude consiste essentiellement àdécrire deux phénomènes : la transformation des pis-cines traditionnelles en CASL, et la délégation des ser-vices publics à caractère éducatif et socio-économique,délégation qui fait écho à des besoins d’efficacité et dequalité exprimés par les collectivités territoriales.

Les complexes aquatiques de sport-loisirs

Jusqu’aux années 1970, les piscines sportives dominenten France. Ces équipements standards sont issus deprogrammes d’État (3) qui ont permis d’équiper tout leterritoire, à moindre coût pour les municipalités, afinde permettre l’enseignement obligatoire de la natationà l’école et d’encourager la natation sportive. Un objec-tif utilitaire a présidé à ces investissements, laissant peude place aux fonctions récréatives et sociales. À la findes années 1980, le concept de CASL – qui rompt avecla conception traditionnelle des piscines – entendrépondre à la diversification des besoins.

• Une demande évolutiveDans les années 1980, les aspirations sportives dupublic évoluent, modifiant le rapport à la pratique, deplus en plus envisagée sous l’angle du loisir et du bien-être. À côté des adhérents aux fédérations sportives, lepratiquant auto-organisé, qui était jusque-là un simpleusager, tend à devenir le client d’une offre sportivediversifiée (AUGUSTIN, 1995). Dans les piscines, lanatation sportive et sécuritaire (tournée vers l’appren-tissage et le perfectionnement) côtoie dès lors unedemande de natation hygiénique (objectifs de forme,de santé, de bien-être et d’esthétique) et de «natationplaisir » (orientée vers la détente, la convivialité et leludisme).

• La recherche d’équilibres financiersLes dépenses annuelles de fonctionnement d’une pisci-ne couverte représentent 8 à 15 % de son coût deconstruction (AUGUSTIN, 1995), dont 50 % pour lepersonnel. Au-delà de ce coût d’exploitation élevé, leproblème de la rentabilité se pose d’autant plus que lestarifs sociaux pratiqués se traduisent par des recettes

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(1) La Lettre de l’Économie du Sport, n° 578.

(2) Communes et autres établissements publics de coopération intercom-munale, sociétés privées marchandes ou industrielles, architectes, entre-prises du bâtiment, associations, éducateurs sportifs et enseignants.

(3) Un effort national de programmation sans précédent a marqué lesannées 1960 et 1970 (programme « 1000 piscines »), pour aider lescommunes à répondre à une forte demande scolaire et associative, etpour leur permettre de surmonter des investissements financiers consé-quents.

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généralement faibles. Enfin, la crise de l’énergie (fin desannées 1970), puis les décrets sur l’hygiène et la sécu-rité (1981), pèsent fortement sur ces structures. Bref,en raison d’un usage trop restrictif sur le plan temporelet trop exclusif sur le plan de la clientèle, les piscinestraditionnelles sont considérées comme de véritables«gouffres financiers».Par ailleurs, trente ans après le programme «1000 pis-cines», une rénovation s’impose, afin non seulement deremettre en état un parc austère, mais aussi d’en aug-menter l’attractivité en l’adaptant à la demande de qua-lité et de diversité émanant du public (AUGUSTIN,1995). Pour répondre à la segmentation des clientèles,la panoplie des installations s’agrandit : certaines pis-cines restent construites sur des bases traditionnelles,mais d’autres font l’objet de recyclages et de réhabilita-tions, avec adjonction de vagues, de toboggans, de bas-sins d’eau chaude et de jets hydromassants (AUGUSTIN,1995). Des services annexes (solariums, saunas, ham-mams et jacuzzi) font aussi leur apparition.Cette diversification de l’offre vise aussi, dans une cer-taine mesure, des équilibres financiers. La fréquenta-tion des piscines « sports et loisirs » est en effet supé-rieure à celle des piscines traditionnelles : ainsi, certainscas de restructuration ont entraîné un triplement de lafréquentation (VIGNEAU, 1998). Dès lors, sans pourautant s’avérer rentables, les CASL ne semblent plusconstituer inéluctablement des gouffres financiers(VIGNEAU, 1998, 74).

• La nécessité de nouveaux modes de gestionUne dynamique locale présidant désormais à la plupartdes projets (AUGUSTIN, 1995), la piscine publiquedevient un lieu de cristallisation de points de vue, sousles feux croisés de multiples enjeux : éducatifs, culturels,sociaux, identitaires, territoriaux, économiques etemblématiques (BESSY, 2002). À en croire BAYEUX etCRANGA (2002), la cohabitation des clubs, de la nata-tion scolaire et du public payant serait souvent conflic-tuelle, l’appropriation de l’espace par chacun de cespublics s’effectuant souvent au détriment des catégoriesvoisines.Pour régler de telles antinomies, les collectivités territo-riales doivent développer un management sophistiqué,permettant une bonne cohabitation des usagers et desintérêts. Ne disposant pas toujours de la culture adé-quate, certaines municipalités abandonnent la régiemunicipale et optent pour la création de sociétés d’éco-nomie mixte (SEM) ou pour une gestion déléguée (4).Dans les années 1990, le recours à des entreprises spé-cialisées dans la gestion déléguée des CASL est, dureste, en plein essor (5).Ce choix peut être resitué dans le cadre du dilemmemake or buy : les municipalités sous-traitent de la sorte

la gestion de leurs CASL, par le biais d’une subventionaccordée à un délégataire (voir chapitre suivant). Ce fai-sant, elles s’exposent à perdre leur maîtrise sur les prisesde décision. Le coût de la contractualisation intègredonc non seulement la subvention, mais aussi le risquede comportements opportunistes de certains opérateurscommerciaux. Ce risque est toutefois atténué par lecontrat, qui stipule la nature de la mission de servicepublic incombant au délégataire, ainsi que par diversessanctions légales à la disposition du déléguant(MÉNARD & SAUSSIER, 2003; AUBY, 1995). Pour lescollectivités, l’avantage réside dans le fait d’externaliserla mission de gestion vers des partenaires dépositairesd’une expertise en matière de commercialisation, demaintenance et d’animation. Outre les économies d’ap-prentissage ainsi réalisées (MÉNARD & SAUSSIER, 2003),dans un contexte d’industries de services marqué parl’évolution rapide des technologies, les opérateurs pri-vés ont une compétence particulière, qui leur permetde satisfaire à la nécessaire adaptation du service public.

La délégation de service public

Le type de partenariat incarné par la DSP n’est pasnouveau : au XIIe siècle, les termes d’affermage et deconcession, toujours en cours dans la terminologiejuridique de la DSP, existaient déjà (PEZON, 2000 ;GUÉRIN-SCHNEIDER, 2001). C’est, du reste, la conces-sion qui a permis à la France du XIXe siècle de mettreen place son infrastructure ferroviaire, ainsi que lesouvrages de production et de distribution de l’eau, dugaz et de l’électricité. Après un déclin de cette pratiquependant l’entre-deux-guerres, la concession retrouve àl’heure actuelle une place importante parmi les diffé-rentes modalités de gestion des services publics (AUBY,1995).Aux termes de l’article 38 de la loi Sapin du 29 janvier1993, la DSP est un contrat par lequel une personnemorale de droit public confie la gestion d’un servicepublic dont elle a la responsabilité à un délégataire(privé ou public) dont la rémunération est substantiel-lement liée aux résultats de l’exploitation du service(RICHER, 1999). À charge, donc, pour les entreprisesdélégataires, de se rémunérer sur la perception desrecettes des entrées, des animations, des leçons et desservices qu’elles dispensent. Pour autant, le compted’exploitation des délégataires ne peut s’équilibrer sansla subvention fixe – négociée en début de contrat avecla collectivité – au titre de l’accueil des scolaires et desclubs, et en contrepartie du tarif social imposé par lacollectivité pour l’accueil du grand public. Variant dequelques dizaines de milliers à 300 000 euros par an, lemontant de cette subvention représente évidemmentun levier central de la négociation.

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(4) Un quart des projets aquatiques relevait ainsi de la DSP en 2001 (LaLettre de l’Économie du sport, n° 578, 4 juillet 2001).

(5) Dans ce secteur, la plupart des entreprises délégataires ont été crééesrécemment : Récréa ou Gesclub en 1989 ; Vert Marine en 1992 ; Segapen 1993 ; Prestalis en 2000…

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L’enjeu consiste, de fait, à créer une «opportunité d’af-faires» (VERSTRAETE & FAYOLLE, 2005). Pour ce faire, ilfaut rendre solvable une demande a priori non-solvable,du fait de la vocation sociale et pédagogique des piscinestraditionnelles. Les déficits d’exploitation supportés parles municipalités ont ainsi pris la forme d’une subventionaccordée à l’entreprise délégataire. Cette subventionconstitue une compen-sation, puisque descontraintes sont impo-sées au délégatairepour que subsiste lamission de service pu-blic; la solvabilité estainsi obtenue par lacombinaison de ce fluxfinancier et de la recet-te réalisée.L’irruption d’entre-prises privées dans lagestion d’équipementspublics constitue unsujet sensible pour lesdéfenseurs du servicepublic. Leur méfiances’alimente « d’histoi-res qui ont mal tour-né » entre déléguantet délégataire : écono-mies sur la mainte-nance menaçant l’in-tégrité de l’équipement,renégociations finan-cières en cours decontrat, tarificationsà la hausse… Le délé-gataire est toutefoissoumis à des règlespropres à l’organisa-tion du service pu-blic, y compris danssa relation avec lesusagers. Pour lesélus, cette dispositionconstitue un argu-ment de choix justi-fiant le passage à la DSP. Par ailleurs, la mise en placede partenariats public/privé permet de répartir lesrisques de gestion : les pouvoirs publics se chargentdes décisions politiques, tandis que les opérateursprivés assument les risques d’exploitation, tant tech-niques que commerciaux (6).

Le cas du «Lagon bleu»

Le site retenu pour la réalisation d’une étude de cas est le«Lagon bleu» (7). Cet équipement dispose d’atoutsindéniables: une situation géographique privilégiée, denombreux équipements et une grande capacité d’accueil(tableau 1).«Lagon bleu» est le nouveau nom de la piscine munici-

pale, inaugurée en 1968et considérée commeun exemple en matièred’animation et d’ensei-gnement de la nata-tion. L’historique del’établissement laisseentrevoir de nombreuxtravaux de rénovationet de modernisation,témoins d’investisse-ments importants de lapart de la municipalité.Cet engagement étaitdestiné à maintenir,malgré un déficit chro-nique, un certain ni-veau d’animation per-mettant d’honorer uneréputation de stationbalnéaire. Un constatfinit cependant pars’imposer : l’exploita-tion, déficitaire, pénali-se la collectivité (aug-mentation régulière descharges, résultats enbaisse, subvention enhausse et frais de fonc-tionnement en netteinflation). La gestiondéléguée offrant l’avan-tage d’un compromisentre privatisation etmise en œuvre d’unservice public, leConseil municipalopte en 1997 pour lepassage à la DSP.

Plusieurs acteurs impliqués dans une mission de servicepublicLe contrat de DSP réunit deux entités juridiques : lamunicipalité et le groupement Electrovanex/Anima2000. Belleville-les-Bains conçoit le service public,confie sa réalisation au délégataire et en contrôle

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[…] la transformation des piscines traditionnelles en complexes aquatiquesde sport-loisirs. (La nouvelle piscine municipale des Lilas)

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(6) Cette répartition repose sur une conception marchande de la conces-sion, telle qu’elle était pratiquée pendant la deuxième moitié duXIXe siècle. Depuis l’entre-deux-guerres, des modes organisationnels plussouples (comme l’affermage) ont été créés pour soulager le délégataire

d’une partie de ses charges (en investissement, notamment) (PEZON,2000).

(7) Afin de respecter l’anonymat des acteurs, les noms présentés danscette étude sont fictifs.

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l’application. Via une convention de sous-traitance,Electrovanex et Anima 2000, deux sociétés dis-tinctes, se sont réunies pour l’occasion. La premièreest spécialisée dans l’ingénierie technique, tandisque la seconde anime le site. Mais d’autres acteurssont concernés par la gestion de la piscine.Electrovanex s’est associée avec un cabinet d’archi-tecture pour entreprendre des travaux de rénovationvisant à transformer la piscine municipale en CASL.Enfin, conjointement aux maîtres nageurs sauve-teurs (MNS), l’Éducation Nationale élabore le pro-gramme de natation scolaire. Le management dusite est donc conditionné par la collaboration d’ac-teurs provenant d’horizons fort différents. Letableau 2 offre une vision synthétique de ces mis-sions contractuelles.

DES DIFFICULTÉS DE MISE EN ŒUVRE

Les raisons du caractère problématique de la DSPdes loisirs sportifs tournent généralement autourd’une mauvaise maîtrise de la procédure et decontrats défaillants.

Le contrat : une cible privilégiée pour expliquer les dysfonctionnements

L’Association pour l’Information et la Recherche surles Équipements de Sport et de loisirs (AIRES) adressé un diagnostic peu flatteur de la gestion délé-guée des équipements sportifs publics (AIRES,2002). D’après elle, la procédure de mise en place dela DSP est mal maîtrisée (8), du fait de l’inexpérien-ce des personnels, de l’insuffisante information desdifférents publics concernés, d’une formation défi-ciente des cadres territoriaux, de la mauvaise rédac-

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Tableau 1 : Fiche signalétique du « Lagon bleu »

Situation Belleville-les-Bains, station balnéaire, 15 000 habitants, 100 000 visiteurs/an

Année d’ouverture 1999

Maîtrise d’ouvrage Mairie de Belleville-les-Bains

Investissement 2,2 millions d’euros, révisé à 2,8 millions d’euros (1,6 million d’euros apportés(réhabilitation) par la mairie, 600 000 euros par Electrovanex et 600 000 euros d’emprunt)

Installations 1 bassin sportif couvert de 25mx15m ; 1 bassin ludique couvert de 150 m2 avec pataugeoire, contre-courant et geysers ; 1 espace détente avec sauna, jacuzzi et hammam ;1 toboggan avec réception séparée ; 1 bassin sportif extérieur de 25mx15m ; 1 pataugeoire extérieure ; 1 restaurant

Mode de gestion DSP par voie de concession/affermage (délégataire rémunéré sur les redevances des usagers et prenant en charge une partie des investissements liés au bâti)

Fermier Electrovanex

Co-traitant Anima 2000

Durée du contrat 12 ans

CA (2002) 346 100 euros

Subvention (2002) 134 600 euros

Charges (2002) Fluides : 1 700 euros / Personnel : 373 100 euros / Promotion : 21 000 euros / Maintenance : 700 euros / Autres charges : 48 800 euros / Impôts et taxes : 6 100 euros

Résultat (2002) 29 300 euros

Effectif 15 à 17 hors saison et 23 à 25 en pleine saison

Fréquentation Environ 200 000 entrées par an

Clientèle 29 écoles primaires, 3 collèges, 3 lycées, pompiers et police, 4 associationsUn public familial et sportif

Tarif d’entrées Individuel, adulte : 3,5 euros (4,2 euros pour les non-résidents, 5 euros l’été)Individuel, enfant : 3,1 euros (3,7 euros pour les non-résidents, 4 euros l’été)

Concurrence 3 Centres de Thalassothérapie À venir : 2 piscines dans un rayon de 20 km

(8) « Notre conclusion est que les problèmes, quand ils existent, sontmoins dus au mode de gestion, qu’à la maîtrise insuffisante de la gestionproprement dite » (AIRES, 2002, 77).

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tion des contrats (9), de cahiers des charges lacunaireset d’une confusion entre DSP et privatisation. Lefonctionnement des équipements en DSP est parailleurs décrit comme polémique : des conflitsd’usages sont induits par l’intensification de l’utilisa-tion des équipements et l’augmentation des pratiquesde loisir ; l’esprit du service public est transgressé àtravers la dérive des tarifs, destinée à combler les défi-cits d’exploitation.

Une perspective d’analyse organisationnelle

Plutôt que de cristalliser l’analyse sur l’incompétencedu maître d’ouvrage (en l’occurrence, la municipalité)et l’inadaptation des contrats, nous faisons l’hypothèseque les problèmes qui se posent sont avant tout inhé-rents au mode de gestion lui-même. Celui-ci place eneffet une multitude d’acteurs en situation d’interdé-pendance, alors qu’ils sont porteurs d’intérêts diver-gents et de logiques d’action contradictoires, parfoisopposées à l’intérêt général censé présider à tout servi-ce public. Si la DSP constitue une situation difficile àmaîtriser, c’est parce qu’elle est chargée d’enjeux, à tousles stades de la gestion déléguée : conception, réalisa-tion, utilisation, suivi et contrôle.

• La DSP au «Lagon bleu » : entre organisation hybrideet alliance bancaleLe réseau d’acteurs impliqués dans la gestion déléguéedu «Lagon bleu» forme une organisation hybride,mixant des logiques associatives, de service public etcommerciales (BAYLE, 2005). En l’absence d’un véri-table objectif fédérateur, le fonctionnement de ce typed’organisation implique des logiques d’action ambi-guës, des rationalités multiples, la nécessité de gérer cer-tains compromis, ainsi qu’un opportunisme développé(RAMANANTSOA & THIÉRY-BASLÉ, 1989). Les diver-gences d’intérêt et les jeux de pouvoir informels pre-nant le dessus, on peut aussi qualifier l’organisationétudiée d’alliance bancale (MINTZBERG, 1989) : desaccords temporaires permettent de mettre le conflit ensourdine, tolérance mutuelle oblige, sans pour autantl’éradiquer : celui-ci demeure, latent, mais persistant.

• La nécessaire prise en considération des conflits et dujeu politiqueAu sein d’une organisation, selon Mintzberg (1989), lesconflits, synonymes d’une irruption du politique quitend à parasiter les modes «normaux» de coordination,relèvent du pathologique. On ne peut qu’adhérer au pos-tulat selon lequel une organisation rongée par les conflitstend à se révéler peu efficace. Toutefois, il convient éga-lement d’être conscient du fait qu’au sein des organisa-tions, le conflit et l’opportunisme sont omniprésents. De

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Tableau 2 : Missions des acteurs contractuels au sein du « Lagon bleu »

Missions

Concevoir un service public en rapport avec les besoins des administrés Assurer la maîtrise d’ouvrage et la réglementation tarifaire Contrôler l’exercice du service public en exigeant la remise de comptes rendus financiers,techniques et d’activitésInformer les usagers sur les termes du contratVerser au fermier une subvention d’exploitationPrévoir des sanctions en cas de défaut de continuité, de sécurité et d’égalité du service

Concevoir les équipements en conformité avec l’évolution des pratiques et des normes de sécurité, selon un programme déterminé avec la collectivité publique

Assurer la gestion technique des installations, la maintenance et le renouvellement des équipements techniques, la fourniture des énergies, de l’eau et des produits de traitementPrendre en charge la gestion financière et administrative du contratPrésenter le rapport des comptes et le rapport d’activité annuel à la MairieRedistribuer les excédents au co-traitantPayer à la mairie une redevance annuelle pour la location de l’équipement

Assurer la direction de l’équipement, l’accueil du public et la vente des prestations Animer, enseigner et garantir la sécurité des usagers par la surveillance des bassinsMaintenir la propreté des locaux (entretien quotidien, respect des règles d’hygiène)Accueillir les associations et les scolaires

Mettre en œuvre les programmes d’enseignementÉlaborer le projet pédagogique avec les MNSPlanifier la fréquentation scolaire de la piscine avec le directeur de site

Acteurs

Mairie

Architecte

Electovanex

Anima 2000

Éducation Nationale

(9) « Quand une installation gérée en DSP ne donne pas satisfaction enmatière de tarifs, de créneaux horaires ou de qualité de service, l’explica-tion se trouve souvent dans le contrat » (AIRES, 2002, 75).

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par son existence même, l’organisation crée le conflit ; leconflit lui est endogène (DELAVIÈRE, 2003), notammentparce qu’il existe rarement un seul objectif transcendantles intérêts particuliers. En effet, une organisation n’a pas,naturellement, d’objectifs : ceux-ci sont définis par ladirection. Chacun n’en poursuit pas moins des objectifsindividuels, pour certains convergents, pour d’autresdivergents par rapport aux objectifs propres à l’organisa-tion et par rapport à ceux des autres acteurs (10) (MORIN

& DELAVALLÉE, 2000). Les buts ne pouvant être ni tota-lement partagés, ni hiérarchisés de manière identique, ilsfont l’objet de négociations, de marchandages, de luttesde pouvoir et d’influence.

• Un cadre théorique et problématiqueLe contrat de DSP a vocation à garantir et àcontraindre les agissements au sein du système.Néanmoins, il ne constitue que le point de départ d’unjeu social dont la dynamique est assurée par des zonesd’incertitude. Nous entendons observer la manièredont chaque acteur contractuel de la DSP au «Lagonbleu», confronté aux contingences de la situation,cherche à « tirer son épingle du jeu». L’analyse straté-

gique (CROZIER & FRIEDBERG, 1977) et le cadre théo-rique de l’action organisée (FRIEDBERG, 1993 ;FRIEDBERG, 1994) permettent dès lors de découvrir larationalité instrumentale des acteurs et de mettre enévidence leur adaptation à cet ensemble de contrainteset d’opportunités. À l’intérieur d’un cadre formel (la loiSapin), les acteurs – qui ne se réduisent pas à des fonc-tions abstraites et désincarnées – disposent d’une margede liberté qu’ils utilisent de façon stratégique pour ser-vir des intérêts individuels, et aussi des intérêts col-lectifs. L’action collective pose donc le problème del’intégration de comportements divergents. Certes,l’interdépendance des acteurs rend leur coopération

indispensable, mais ceux-ci n’en continuent pas moins,pour toutes sortes de raisons, à poursuivre des intérêtsdivergents. L’ordre local est ainsi le résultat – toujoursprovisoire et contingent – d’une construction sociale.Ce modèle d’analyse est particulièrement adapté au casdes organisations hybrides, au sein desquelles le jeuautour des zones d’incertitude est intense. De plus, lesystème de gestion déléguée du «Lagon bleu» constitueun réseau d’organisations ; or les développements lesplus récents de la pensée de Friedberg privilégient pré-cisément l’analyse des «processus par lesquels sont sta-bilisées et structurées les interactions entre un ensemble

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Aujourd’hui encore, primes et leçons individuelles restent un argument de poids dans les revendications des maîtres nageurssauveteurs … (Cours de natation dans une piscine de Paris en 1933)

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(10) Dans toute organisation, les acteurs en présence sont le plus souvent à la fois partenaires et adversaires.

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d’acteurs placés dans un contexte d’interdépendancestratégique» (FRIEDBERG, 1993, 15). Le regard se situe,dès lors, bien au-delà de l’organisation, au sens clas-sique de ce terme.

MÉTHODOLOGIE

Des observations ont été réalisées pendant deux ans au«Lagon bleu», ce qui nous a permis de bénéficier de laconfiance des personnels en poste, confiance qui a faci-lité l’accès à des documents clés et la réalisation d’en-tretiens enrichissants. Diverses sources d’information

ont été mises à contribution. La méthode documentai-re a été appliquée en premier lieu à la recherche de«traces» et de données manifestant des états et des phé-nomènes (BEAUD & WEBER, 1997). L’analyse desarchives municipales a été particulièrement poussée,permettant de se familiariser avec le site, son historiqueet les enjeux de la situation locale.Dix entretiens semi-directifs ont ensuite permis de sai-sir le sens que les acteurs donnent à leur action. D’unedurée moyenne de deux heures, ces interviews ont étémenées auprès d’un échantillon visant une représenta-tivité fonctionnelle (tableau 3). En partant du directeurdu complexe, les acteurs du contexte d’interconnais-sance ont progressivement été identifiés. La sélection nes’est donc pas faite en amont, mais par un effet de«boule de neige» (HUBERMAN & MILES, 1991). Ainsi,certains acteurs a priori centraux n’ont pas été retenus,car étant par trop éloignés de l’action (11).

Un guide d’entretiens a été construit de façon àidentifier concrètement les problèmes rencontrés parles acteurs dans l’accomplissement de leur mission.Ce référentiel devait nous guider vers la découvertedes ressources organisationnelles (mais aussi deszones d’incertitude) que les acteurs cherchent à pré-server ou à conquérir. Dévoiler les conflits et lesalliances structurant le jeu au sein du système localfaisait également partie de nos préoccupations. Lematériau recueilli (documents et entretiens retrans-crits) a subi un examen syntaxique visant à mettre envaleur les éléments se rapportant à l’analyse straté-gique : objectifs, enjeux, règles, conflits, alliances,zones d’incertitude, etc.

RÉSULTATS

Un système d’action qui s’organise

Au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête,ont émergé des relations privilégiées entre acteurs,constitutives d’un réseau, lequel organise concrète-ment la DSP.

Un bien commun situé au carrefour de stratégiessectorielles

Bien que participant à un projet de service public, lesdifférents acteurs impliqués disposent chacun de leurstratégie propre. Partant, leur conduite prend du sens,dès lors qu’on la relie à des opportunités de gains et/oude pertes.

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(11) C’est le cas du responsable du service Éducation, Sport et Culturede la municipalité, volontairement « oublié » parce qu’il ne maîtrisait passuffisamment le dossier « Lagon bleu », du fait de sa récente mutation.

De même, la clientèle de la piscine et les quelques associations utilisa-trices ont fait l’objet d’une approche indirecte, via les autres acteursinterrogés et les archives consultées.

Tableau 3 : Échantillonnage des acteurs interviewés

Acteur collectif

Commune

Société délégataire Electrovanex

Société co-traitante : Anima 2000

Inspection académique

Concepteurs du service public

Secrétaire généralContrôleur de gestionAdjoint chargé des relations

Responsable de l’exploitation technique

Responsable de Région

Conseiller pédagogique

Acteurs chargés de la réalisation du service public

Technicien

Directeur de la piscine (deux entretiens)Coordinateur

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• La protection des intérêts des maîtres nageurs sauve-teurs (MNS)À l’époque de la gestion municipale, un système derémunération comprenant des primes et des prestationspédagogiques individuelles garantissait aux MNS desrevenus plus confortables qu’actuellement. Deux raisonsessentielles ont conduit à l’abandon de ce système, en1996: il était anormal d’offrir une prime sur un chiffred’affaires pressenti ; la facturation des leçons indivi-duelles n’arrangeait en rien les déficits enregistrés. Deplus, l’utilisation de lignes d’eau, équipement public, àdes fins personnelles générait un flou juridique.Au moment de la procédure d’appel à concurrencepour la gestion en DSP, les MNS, se sentant dépossédésde leur pouvoir (12), ont tenté (sans succès) de s’ap-proprier la direction du site. Selon un cadre d’Anima2000, ils voulaient ainsi protéger ce qui restait de leursacquis, voire reconquérir une position centrale dans lagestion de l’équipement. Aujourd’hui encore, primes etleçons individuelles restent un argument de poids dansles revendications des MNS, nostalgiques de la périodefaste de leur vie professionnelle. La lutte se poursuitd’ailleurs entre les MNS et Anima 2000 (leur nouvelemployeur), constituant un réel souci pour cette entre-prise : la menace d’une grève du personnel y est prisetrès au sérieux, d’autant que l’arrêt du service public quien découlerait est fortement redouté (des sanctions sonten effet prévues en cas de non-respect du principe de lacontinuité du service public). Pour défendre leurs inté-rêts, les MNS se focalisent sur des valeurs éducatives etsécuritaires, manifestant, du même coup, des résis-tances à l’innovation et à la DSP. Ainsi, pour cette cor-poration, le service public constitue un alibi défensif.

• Des co-contractants loin de l’entente cordialeGénéralement, la compréhension des effets produits parune zone d’incertitude sur la conduite des acteurs meten lumière leur stratégie. Ainsi, la Ville, d’un côté, etElectrovanex/Anima 2000, de l’autre, profitent du floucontractuel pour se rejeter mutuellement la responsa-bilité financière des travaux de réhabilitation à en-treprendre. Mais c’est surtout la manière dontElectrovanex et Anima 2000 ont conclu leur conventionde sous-traitance qui est révélatrice: les deux sociétésgérantes, qui se sont associées pour assurer le servicepublic de la piscine, entretiennent des relations conflic-tuelles. Anima 2000 reproche à Electrovanex d’avoirinsuffisamment investi, et d’en subir les conséquencesau quotidien en terme d’exploitation du site. De soncôté, Electrovanex affirme avoir scrupuleusement res-pecté le cahier des charges imposé et prétend qu’unmeilleur entretien, de la part d’Anima 2000, lui épar-

gnerait bien des problèmes. Une des causes du conflitréside dans la répartition – jugée inégale – des charges etdes recettes entre les deux partenaires. En effet, avec uneredistribution des bénéfices à 45 %, Anima 2000, quidispose du poste le plus lourd à gérer (le personnel) sesent lésée par rapport à Electrovanex (13).

• Electrovanex, en position de forceChaque année, Electrovanex doit fournir à la municipa-lité un rapport retraçant toutes les opérations comp-tables, ainsi que l’évolution de la fréquentation et les tra-vaux réalisés. Une clause du contrat prévoit le partage desexcédents entre Electrovanex et la municipalité, à partird’une somme de 15000 euros. «Le Maire pensait qu’ilserait plus intéressant de mettre cette clause-là. La sociétéaura alors tendance à… booster son chiffre d’affaires, pouravoir un bénéfice important, qui sera ensuite partagé». Ils’est produit tout autre chose: Electrovanex a artificielle-ment gonflé le montant de ses charges, afin de plafonnerà moins de 15000 euros de bénéfice et d’en conserverl’exclusivité. Ainsi, une règle conçue dans un but précis aété détournée de son objectif. Pour le moins étonnanteaux yeux du profane, cette pratique semble cependantloin d’être marginale. Les fonctionnaires interviewés sedéclarent même plutôt coutumiers du fait. Sur le plansociologique, il convient de retenir, de ce jeu d’acteurs,l’enseignement suivant: la recherche de l’obtention d’uncomportement prévisible au moyen de l’impositiond’une règle peut engendrer un déplacement conséquentdes objectifs. Pour Electrovanex, ce maquillage est de sur-croît un bon moyen de faire apparaître un déficit plusimportant pour obtenir, en retour, une subventiond’équilibre plus conséquente.L’incertitude vient donc de failles dans les règles, maisaussi des acteurs, qui jouent en tout cachant leur jeu.Electrovanex, qui est en droit d’exiger les comptesd’Anima 2000 pour présenter le bilan, use à certainesoccasions de son statut de mandataire pour modifier (ensecret, et à son avantage) les chiffres qu’on lui fait par-venir. Finalement, Electrovanex parvient à imposer lestermes d’un échange favorable à ses intérêts. Ces pra-tiques confirment que le pouvoir ne s’obtient pas pardécret : il tient à une capacité de structurer un processusd’échange en sa propre faveur, en exploitant les oppor-tunités de la situation. De même, contrairement à uneacception courante, les règles ne gèlent pas les actions:de fait, ce sont elles qui rendent possible le jeu desacteurs. Néanmoins, pour pouvoir entrer, et se mainte-nir, dans une relation d’échange, un minimum de res-sources s’avèrent nécessaires. Or, depuis 2001, Anima2000 est nettement déficitaire, ce qui compromet pro-visoirement son activité.

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(12) Jusqu’à un passé récent, les directeurs de piscines municipalesétaient des MNS passés par le statut intermédiaire de chef de bassin.

(13) Anima 2000 s’est associée à Electrovanex, qui bénéficie d’unenotoriété et d’une manne financière plus importantes (capital social etchiffre d’affaires cent fois plus élevés), afin d’améliorer la crédibilité de

ses offres auprès des collectivités. Aujourd’hui, Electrovanex est ungroupe de premier plan dans son secteur. Anima 2000 n’a pas lemême portefeuille de contrats, ni la même réputation. On peut penserque ces caractéristiques inégalitaires, établies indépendamment du casdécrit, pèsent également sur les pratiques et les relations entre les deuxdélégataires.

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L’inégalité des ressources organisationnelles

La communication des comptes d’Anima 2000 est unesource d’inquiétude, tant pour son personnel que pour lamunicipalité. Interrogés sur les causes de cet échec, lesacteurs de cette société s’accordent à dire que plusieursétudes de marché ont été bâclées. Anima 2000 cherchantà briller grâce à la multiplication du nombre des struc-tures dont elle était délégataire, des contrats peu porteursauraient été signés. Des cadres d’Anima 2000 auraientabusé de la confiance du PDG en lui promettant desbénéfices irréalisables. Bref, une politique de développe-ment agressive a eu raison de l’entreprise.En conséquence, les ressources d’Anima 2000 sont res-tées limitées, au grand dam du personnel employé,conscient de différences de traitement non négligeablesavec les employés d’Electrovanex. Le thème de la rému-nération suscite des jalousies d’autant plus compréhen-sibles qu’avant la mise en DSP, l’ensemble du personnel(techniciens, MNS et hôtesses d’accueil) avait unemployeur commun: l’association de gestion.Enfin, à un autre niveau, l’inégalité des ressources orga-nisationnelles s’explique aussi par le décalage entre lemontant de la subvention d’équilibre et la redevanceque paie le délégataire pour la location de la piscine. Lesdélégataires vivent « sous perfusion», dans la mesure oùla subvention que la collectivité leur accorde sert à cou-vrir une partie conséquente de leurs charges de fonc-tionnement.

Des turbulences qui pèsent sur le système

Certaines sociétés positionnées sur le marché de la DSPadoptent une stratégie marketing qui rend difficile,pour leurs concurrentes, la négociation avec les collec-tivités locales. Ces sociétés-là imposent une délégation«au rabais», avec des charges prévisionnelles d’exploita-tion anormalement basses, ce qui a pour effet de tirer lemarché vers le bas. En effet, les maîtres d’ouvrage, sou-cieux d’obtenir une exploitation au moindre coût,acceptent les offres des mieux-disants. Contraints d’ac-cepter les règles du marché, les autres délégataires pro-posent des charges prévisionnelles dangereusementoptimistes par rapport à la réalité de ce qu’est uneexploitation. Certains ont décidé de tirer la sonnetted’alarme, et il est probable que des acteurs de la DSPtenteront de former un cartel pour organiser le marchéet revenir à des propositions plus raisonnables.Le marché des MNS est lui aussi sujet à polémiques. Ily aurait une pénurie de MNS en France. Localement,l’ouverture prochaine (en 2003 et 2006) de deux nou-velles piscines représente une menace directe pour le«Lagon bleu». Certains MNS quittent la piscine pourrejoindre les autres complexes aquatiques, avec l’idée derenégocier leurs conditions de travail. Au niveau desusagers, la concurrence sur un même territoire (le «Paysdu rayon vert») promet également d’être sévère. Enfin,une régulation devrait se produire au niveau des sco-laires : les écoles, qui jusqu’à maintenant venaient

depuis tout le territoire, seront prochainement invitéesà rejoindre les nouvelles structures aquatiques. Encontrepartie de quoi, la recette socio-éducative surlaquelle compte tellement le délégataire risque de dimi-nuer. Cette menace peut aussi être envisagée commeune opportunité, car il sera alors possible de libérer descréneaux horaires pour le public et d’améliorer la ren-tabilité du site.Cette succession de constats et de scénarios, formulésdirectement par les acteurs du système, nous confortedans l’idée que ce sont bien des êtres calculateurs quisont à l’origine des actions individuelles et collectives.L’acteur, tel que le définissent Crozier et Friedberg, estbel et bien cet individu actif qui structure le contextequi l’entoure. Il n’a de cesse de formuler des hypothèsessur ses partenaires, leurs intérêts et leurs projets. Ilinterprète et anticipe les comportements des autrespour pouvoir y répondre, tout en sachant que les autresfont de même à son égard.

CONCLUSION

Sur certains points, le cas du «Lagon bleu» confirme lediagnostic de l’AIRES: le contrat est lacunaire, uneconfusion existe entre DSP et privatisation, le publicn’est pas suffisamment informé et les normes tech-niques fédérales sont quelque peu négligées. Malgrécela, l’enquête ne permet pas de conclure à l’inexpé-rience des fonctionnaires territoriaux, ni à l’incompé-tence des élus dans ce domaine. Elle indique encoremoins l’existence de conflits d’usages ou de dérives tari-faires. Toute formulation générale des problèmes de laDSP dans le secteur du sport-loisirs mérite donc unbémol. Il faut cependant également reconnaître la vali-dité purement locale d’une telle étude, car rien ne nousassure d’être en présence d’un cas typique du phéno-mène investigué.En revanche, nos travaux révèlent clairement le poidsque peuvent avoir des stratégies sectorielles et indivi-duelles sur la gestion déléguée d’une piscine. Nousavons vu qu’afin de protéger leurs intérêts, des MNSpeuvent freiner l’innovation nécessaire au change-ment organisationnel qui accompagne la DSP, oumenacer de rompre le principe de continuité du ser-vice public. Afin de conserver l’exclusivité des gainsassociés à l’excédent d’exploitation et de négocier unesubvention compensatrice des tarifs sociaux, le délé-gataire peut volontairement injecter des charges sup-plémentaires et plafonner, de cette manière, en deçàd’un seuil prévu dans le contrat. Pour satisfaire auxexigences des élus, mais aussi avec l’objectif de gagnerdes parts de marché, un candidat peut ainsi proposerun niveau de charges prévisionnelles dangereusementoptimiste par rapport à ce qu’est la réalité d’uneexploitation et, par conséquent, signer des contratsnon-équilibrés.

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D’autres parties prenantes sont également concernéespar certains enjeux : le cabinet d’architectes, les entre-prises du BTP ou encore les enseignants de l’Éduca-tion Nationale. Leurs stratégies n’ont pas été décritesici car nous tenions à resserrer l’analyse autour desprincipaux acteurs mobilisés au moment de la procé-dure. Mais elles aussi concourent, en amont et en avaldu processus de mise en DSP, au projet commun d’in-térêt général. L’ensemble aboutit à un système d’ac-tions complexe et diffus, ainsi qu’à un ordre local fra-gilisé par d’inévitables conflits. En bref : à une alliancebancale scellée par des compromis provisoires. C’est làune réalité à laquelle un CASL en DSP semble diffici-lement pouvoir échapper, compte tenu des transfor-mations du management public découlant de ladécentralisation.L’émergence d’une gouvernance de l’action publiques’affirme de plus en plus, impliquant une négociation etun arbitrage entre les divers intérêts. Seules, les préro-gatives importantes dont dispose une collectivité –comme le droit unilatéral de modification et de résilia-tion des contrats administratifs ou la mise en régie pro-visoire – permettent de juguler tout risque moral (14) ;c’est là une différence importante avec les partenariatsprivé-privé, puisque de telles prérogatives assurent à lacollectivité une position centrale et un rôle de régula-tion dans la mise en œuvre du service public.En dépassant le cadre formel de la relation contrac-tuelle, l’analyse stratégique permet d’affiner notreconnaissance des partenariats public-privé. Ce point devue complète les modèles économiques des coûts detransaction, des relations d’agence et des contratsincomplets. On retrouve, en des termes différents, lesproblèmes classiques d’incomplétude et d’opportunismegénérés par la rationalité limitée des contractants etl’asymétrie informationnelle entre délégant et déléga-taire. Mais on découvre également, à travers la notiond’acteurs et de système, une dimension du service publicmoins bien connue: sa complexité. Dans les CASL engestion déléguée, cette caractéristique contraried’ailleurs fortement la définition des besoins et des per-formances, puis leur évaluation. Forts de ce constat,nous pouvons légitimement poser la question de l’effi-cacité comparée de la délégation et de la régie de servicepublic. Cette problématique s’inscrit dans un débat plusgénéral, qui perdure au sein de la sphère publique à pro-pos de la gestion des services publics industriels et com-merciaux: faire, ou faire faire? ■

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(14) Risque incarné, par exemple, par un comportement opportuniste,ou encore par un effort d’exploitation minimal.

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Cet article s’inscrit dans une recherche empirique,entreprise par l’auteur en 1997, visant à spécifierles modalités de gestion d’organismes à but non-

lucratif telles, en France, les associations (1). Sous laforme d’un récit commenté des aventures de diversdirigeants d’associations, il montre l’apprentissagechaotique de la gestion qui est le leur, et ouvre desréflexions qui battent en brèche plusieurs idées reçuessur l’opposition traditionnellement évoquée – entregestion et militantisme.Si l’intégration des règles et outils de gestion est incon-tournable, l’apprentissage qui en découle procure denouvelles marges de liberté, qui peuvent être mises auservice du développement du projet associatif. Cetteproposition est illustrée par l’exemple d’un dirigeantassociatif, présenté comme un militant-gestionnaire,

qui se lance à la reconquête du projet social initial deson association. Il développe des dispositifs de gestiondu sens, construits à partir d’une expérience de la ges-tion acquise dans un contexte de crise. L’article soulignela dimension transgressive de cet apprentissage, en rap-pelant qu’il s’agit d’un invariant de l’organisation mili-tante, tout comme l’est aussi la capacité à impliquer lesdivers acteurs dans le projet de l’association. Les nou-veaux dispositifs de gestion du projet qui vont êtreimplantés présentent les caractéristiques d’histoiresstructurées selon les théories du conte (ou encore durécit), dont les étapes forment autant d’événementsdonnant du sens à la quête poursuivie. Mais cette quêtesuppose que le trajet qui relie les étapes entre elles pro-cure des apprentissages nouveaux et successifs, ce quirend indispensable une alliance entre la tradition oraleet la mémoire de l’écrit. Or, cela ne va pas de soi.Cette reconquête du projet révèle l’émergence d’uneforme productive alternative et l’existence de son corol-

RÉAPPRENDRE ÀCONTER : GENÈSE D’UNENTREPRENEUR SOCIALUne gestion efficace est-elle compatible avec un militantisme fervent ? Une association qui prend de l’importance peut-elle être dirigée commeune entreprise, sans perdre son âme? Comment se forment les dirigeants de ces ensembles hybrides que sont les organismes sans but lucratif ?L’entrepreneur social, souvent confronté à des situations de crise, va vitecomprendre l’utilité de l’apprentissage gestionnaire pour maîtriser concepts,langages et outils. Mais il va aller au-delà, car l’organisation militante sedoit de transgresser et d’impliquer. Il va, pour cela, développer des dispositifs degestion du sens. Par le récit des aventures d’un dirigeant associatif, l’auteur illustrecette recherche permanente de nouvelles marges de liberté. Mémoire de l’écrit ettradition orale : tous les moyens sont mobilisés pour une construction collective dusens, surtout quand s’accroît la distance entre un projet local et un projet de société.

PAR François ROUSSEAU, DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE, CHERCHEUR ASSOCIÉ AU CENTRE DE RECHERCHE EN GESTION, UMR 7176 DU CNRS

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(1) ROUSSEAU, François, Gérer et militer, Thèse de doctorat de l’Écolepolytechnique, novembre 2004.

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laire en matière de management: l’entrepreneur social.Mais il existe une tension permanente entre la recherchede la performance économique et la recherche de la per-formance sociale; il faut donc savoir combiner cesrecherches pour inventer de nouvelles marges de liberté,dans le but de réaffirmer le projet social de toutes cesassociations, quand le nombre de leurs salariés devientimportant. Tout cela suppose que cette nouvelle figurede l’entrepreneur social soit confortée et bénéficie d’en-seignements probablement spécifiques.Mais où le management associatif est-il donc enseigné?

La démarche suivie

Voici une vérité méconnue: en France, plus de 20 %des 27000 entreprises de 50 salariés et plus sont, defait, des associations (2) ! Pour survivre ou continuer àse développer, les 6000 associations qui atteignent cestade de développement modifient leur mode d’organi-sation, sous la contrainte de règles de gestion exogènes.Ces transformations conduisent fréquemment les asso-ciations à aligner leur système de gestion et de produc-tion des actions sur les modalités de l’entreprise mar-chande (3) – ou publique (4) – selon les domainesd’activité investis. Ce mimétisme organisationnel pro-voque une véritable crise en raison du renversement dusens de l’initiative collective, portée, au départ, par lesmilitants rassemblés autour d’un projet commun: l’ini-tiative devient prescription et le projet semble se dis-soudre dans les préoccupations administratives et éco-nomiques (5). Par exemple, dans le cas très actuel dudéveloppement des services à la personne, un projetassociatif, qui affirmait la primauté du lien social surl’activité économique, se développe désormais selon unprocessus d’industrialisation de services, qui prend lepas sur le projet social initial (6).Mais cet isomorphisme (7) avec l’entreprise vaut-ilnécessairement abandon des valeurs initialement por-tées par les militants ?Nous suggérons que l’intégration des règles de gestionpermet de créer de nouvelles marges de liberté pourl’organisation; que l’apprentissage qui en résulte pour-rait aider à la naissance d’une autre combinaison pro-

ductive, dans laquelle le projet associatif initial auraitété réinventé grâce à l’introduction de nouveaux dispo-sitifs de gestion du sens et, enfin, que cette transforma-tion révèle l’existence d’une figure nouvelle de diri-geant : l’entrepreneur social.Cet article s’appuie sur plusieurs de nos travaux ayantfait l’objet de publications : l’étude des patronages duXIXe siècle à nos jours ; l’analyse comparée, à dix ansd’intervalle, de près d’un millier de centres sociaux, etun troisième matériau, constitué par les mutationsd’une importante fédération d’éducation populairedurant les années quatre-vingt-dix. L’exemple présen-té ici a été étudié par un chercheur occupant des fonc-tions de direction générale au sein de l’organisme sousétude (ce qui s’inscrit dans les traditions de recherche(8) du Centre de Recherche en Gestion de l’Écolepolytechnique), sous la forme d’une « intervention –action» patiemment construite et peu habituelle. Larestitution est construite de façon dialogique, pourfaire récit et établir la bonne distance entre réflexionet pratique.

Un changement de dimension

Le développement des associations et l’obligation derendre compte à des tiers, de plus en plus nombreuxet exigeants, pèsent sur la structure des emplois etconduisent à une inflation des profils gestionnaires ettechniciens issus de l’entreprise privée et des cabinetscomptables. Par exemple, l’étude de la structure desemplois de près de mille centres sociaux entre 1983et 1991 (qui comptaient à cette époque un effectifmoyen d’environ 30 salariés) montrait un fort accrois-sement du nombre de comptables (+ 50 %), le dou-blement du nombre de responsables identifiés comme«cadres administratifs » et le recul très sensible des res-ponsables de centres issus de formations à dominantepédagogique (9). Nos travaux, plus récents, portantsur le cas d’une grande fédération d’éducation popu-laire comptant plus de 2 500 salariés en 2003 (10),soulignent qu’à ce stade, le pouvoir de direction prendappui sur un système de gestion et un système de pro-duction des services distincts ; que la sphère décision-

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(2) Selon les Tableaux de l’Économie Française de l’INSEE, il existait27330 entreprises de plus de 50 salariés en 2001, et Viviane Tchernonog(laboratoire MATISSE CNRS) dénombrait 6090 associations de plus de50 salariés pour l’année 1999, à partir du fichier Sirène.

(3) Voir le cas du tourisme social des années 60 et 70, construit sur unmode militant du droit aux vacances pour les classes populaires, et quiest aujourd’hui construit sur le modèle marchand des villages devacances du type Club Méditerranée, par exemple.

(4) Voir le cas des modes de garde des enfants en bas âge : les initiativesdes parents, qui ont créé les crèches parentales à la fin des années 60,sont aujourd’hui structurées sur le nouveau modèle des crèchespubliques.

(5) ROUSSEAU, François, «Entre commandes publiques et besoinssociaux, le projet associatif est en crise de sens », in Revue Internationalede l’Économie Sociale, RECMA, N° 279, janvier 2001, pp. 11-25.

(6) ROUSSEAU, François, «De la foi au marché, l’étonnante mutation despatronages d’antan », Gérer et Comprendre, n° 59 mars 2000, pp. 68-82.

(7) DI MAGGIO, P., et POWEL, W., « The Iron Cage Revisited :Institutional Isomorphism and Collective Rationality in OrganizationalFields », American Sociological Review, vol 48, pp. 147-160, avril 1983.

(8) GIRIN, Jacques, «L’opportunisme méthodique sur la recherche dansla gestion des organisations », CRG, 1989.

(9) ROUSSEAU, François, «L’évolution de l’emploi dans les centressociaux, quelle interprétation ? », Travail et Emploi, septembre 1999, p. 127.

(10) Selon le fichier Sirène, une centaine d’associations comptaient plusde 500 salariés, en 2004.

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nelle recouvre les fonctions classiques des grandesentreprises regroupées en leur siège et que les struc-tures de production des services sont territorialisées etorganisées en fonction de leurs divers domaines d’ac-tivité.Par ailleurs, à la base du projet associatif, les militantssont des bénévoles qui ont investi une grande partde leur identitédans la bonneréalisation deleur projet. Ilsoccupent les dif-férents postes àresponsabilité del’organisation,depuis la priseen charge d’undomaine d’acti-vité dans l’asso-ciation locale jus-qu’au sommet(la présidenced’une organisationnationale, voired’une organisa-tion internatio-nale). Certainssont devenus desprofessionnelssalariés, au service de l’association. Dans le milieu asso-ciatif, ils sont appelés ‘permanents’. Cette dénomina-tion, que l’on retrouve dans les mouvements politiquesou syndicaux, confirme que leur statut salarial ou d’ac-teur rémunéré est secondaire en regard de leur engage-ment dans le projet associatif. Vivre de leur implicationpassionnée est une chance, tant pour eux que pour l’as-sociation (ou la cause) qu’ils défendent. Qu’ils soientrémunérés ou non, les militants trouvent leur satisfac-tion dans le triptyque que nous avons déjà décrit dansnos travaux sur les patronages : l’action est méritoireparce que difficile, valorisante parce qu’elle exige le donde soi, et innovante parce qu’elle conduit à inventersans cesse en dehors des règles admises. Lorsque ledéveloppement de l’association conduit les militants àrecruter tant des bénévoles que des professionnels, cettepassion les pousse à agréger autour d’eux les personnesqu’ils auront su convaincre et impliquer dans le projetde l’association.D’une façon simplifiée, le gestionnaire est un techni-cien externe à l’organisation, qui importe les règles etprocédures et cherche à les appliquer, tandis que lemilitant est un politique issu du rang. Il est dans sonrôle lorsqu’il invente de nouvelles normes, au fil dudéveloppement de l’association. Les conflits quiconcernent ces deux figures, du gestionnaire et dumilitant, émaillent la vie des associations, alimentantl’idée – erronée – d’une opposition irréductible entreces deux acteurs.

APPRENDRE LA GESTION, DANS LA CRISE

L’apprentissage de la gestion peut, en fait, donner nais-sance à un nouveau prototype d’acteur : le militant ges-tionnaire. Parmi d’autres illustrations possibles, voici lagenèse de l’un d’entre eux : nous sommes en 1989. Ce

dirigeant asso-ciatif et militantexpérimenté aaccepté un postede directeur ré-gional, dans leCentre de laFrance, avec mis-sion de dévelop-per une associa-tion dont l’activitééconomique re-pose essentielle-ment sur deuxactivités : le tou-risme social, parl’organisationde voyages pourdes personnesâgées et l’inser-tion sociale dejeunes en diffi-

culté, par la formation professionnelle. Il nous relateson étonnante aventure :«… rapidement je me suis aperçu de deux risques gravespour la pérennité de l’association : la tenue de la comp-tabilité était archaïque et la trésorerie, apparemmentéquilibrée, fonctionnait grâce à une particularité : l’acti-vité touristique produisait une abondante trésorerie, quiétait absorbée par l’activité de formation. Celle-ci, eneffet, générait de très importants besoins, liés au systèmede conventionnement avec l’État et, donc, à ses retards depaiement légendaires. Or, l’activité touristique stagnaitet l’activité de formation se développait à grande vitesse.Le banquier, confiant, avait ouvert une ligne de facilitésde caisse qui permettait des ajustements jusqu’à atteindrele quart de notre budget annuel ! Du coup, le résultatd’exploitation était ramené à zéro par les agios bancaires.Brutalement, à la fin décembre, l’ordre est donné audirecteur de notre agence de suspendre tout paiementnous concernant. Le tableau est dramatique : 800 000euros de découvert chez notre unique banquier, impossi-bilité d’émettre le moindre chèque, 65 salariés à payer àla fin du mois et les charges sociales à décaisser le 5 jan-vier ! Quatre mois après ma prise de fonction, me voilàtransformé, par un simple coup de fil de la banque, enprobable liquidateur d’entreprise. Je convoquai alors unconseil d’administration, de toute urgence. Mais lesmembres du bureau, tous élus locaux, et le président,député, considérèrent qu’un dépôt de bilan était inenvi-sageable. À l’évidence, à la nécessité économique qui

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La capacité à impliquer nécessite un projet fort, de type altruiste, qui stimule l’engage-ment des individus qui le portent. (Paris, 1991)

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imposait de déposer le bilan, il fallait substituer la pré-éminence de l’ancrage de l’association dans la vie localeet régionale…»Il poursuit : – «… C’est comme ça que j’ai appris lagestion : dans la crise. Celle-ci dura cinq ans. C’est letemps dont j’ai eu besoin pour remettre l’association enordre de marche. J’ai « consumé » trois présidents, deuxtrésoriers, licencié de nombreux salariés, établi moultplans de redressement. Cela m’a permis d’apprendre lemaniement de tous les outils techniques de la gestion,le droit social, le droit des affaires, etc., et de découvrirles tribunaux civils, d’instance, de prud’hommes, etadministratifs en tout genre. La nécessité m’a conduitégalement à recruter les indispensables spécialistescompétents : un expert-comptable, un contrôleur degestion, un avocat, notamment. Avec un seul objectif :redresser l’association en raison de son utilité et de sonprojet, association menacée de disparition pour delongues années sur le territoire régional en cas d’échecdes négociations. La question n’était pas de savoir com-ment négocier un redressement mais : pourquoi négo-cier ? Et la réponse s’imposait : pour la pérennité duprojet associatif… »

Maîtriser les langages pour être crédible

«Ce que j’ai découvert, avec le recul ? C’est que la maî-trise des outils de gestion était indispensable pour la cré-dibilité de mon argumentation sur notre projet face auxacteurs externes à l’association, qui avaient le pouvoird’aider au redressement ou, au contraire, de contribuer àl’échec. Et, pour témoigner de cette maîtrise, il me fallaitmaîtriser leur langage. Celui des tribunaux, celui desexperts-comptables et des banquiers, celui des entreprisesqui étaient nos fournisseurs. Par exemple, j’ai plaidé àhuit reprises, sans avocat, contre l’URSSAF, pour obtenirl’annulation des amendes et pénalités de retard accumu-lées. J’ai gagné, les huit fois, devant la même Présidente,et avec les mêmes arguments… Bien sûr, notre dossierétait bien ficelé, sur le plan technique. Mais, à l’audien-ce, notre propos se centra essentiellement sur la survie denos actions éducatives en direction des plus démunis.Autre exemple : les bilans – établis rigoureusement avecl’expert-comptable – n’étaient évidemment pas fameux,compte tenu de nos difficultés. Il fallait convaincre nosnouveaux partenaires bancaires de nous accompagner. Jesavais que notre banquier utilisait la méthode de scoringde la Banque de France pour apprécier le risque qu’ilprenait en nous soutenant, et que cette méthode indi-quait, pour chaque année auditée, une très forte proba-

bilité de défaillance grave dans les trois mois. Pourtant,nous étions toujours là ! Sur cette base, j’organisais mesentretiens avec le banquier pour échanger sur la mau-vaise qualité manifeste de ses outils de mesure en témoi-gnant de leur inadéquation au secteur non-marchand.Notre capital n’est pas dans nos comptes, lui expliquais-je, mais dans nos convictions quant à l’importance denotre projet. De cette façon, nous pouvions évoquer lerôle du banquier sous son angle humain, moins habituel.Il en allait de même pour renégocier des échéanciers –jamais tenus – avec le responsable du Trésor public. Avecnos fournisseurs, c’était plus facile parce qu’en cas dedépôt de bilan, ils étaient assurés de perdre l’essentiel deleurs créances. C’était plus risqué également : soit le four-nisseur acceptait des traites à 30 jours, soit nous dépo-sions les comptes…».

Aller au-delà de l’outil de gestion

Heureusement, les militants ne sont pas tous amenés àfaire face à des situations aussi difficiles. L’enseignement,ici, c’est qu’un apprentissage chaotique, subi et conflic-tuel modifie la place que prennent les outils de gestiondans le système de décision de l’organisation.Expliquons-nous: les travaux de Michel BERRY (11) surles instruments de gestion et, à sa suite, ceux de JacquesGIRIN (12), de Rachel BEAUJOLIN (13) et de quelquesautres chercheurs, montrent que les outils de gestion ontune fâcheuse tendance à borner l’horizon décisionnel ausein de l’organisation, en l’enfermant dans un cadre res-treint par quelques principes, critères et indicateurs. Cecadre est fourni par les outils de gestion utilisés.Malheureusement, bien souvent, ces outils ne permet-tent pas de rendre complètement compte de la com-plexité du fonctionnement de l’organisation. Pourtant,la conviction qu’ont les gestionnaires de leur fiabilitédote ces outils d’une puissance merveilleuse: ils viventleur vie propre et deviennent des machines de gestion(14) qui imposent aux dirigeants leurs principales déci-sions, ce qui conduit parfois tout le monde dans le muravec une obstination difficilement concevable.L’apprentissage chaotique, subi et conflictuel, que nousnommerons ‘apprentissage de crise’, forme un processuscognitif (15). Il porte en lui une particularité, que notreexemple met en évidence: pour assurer la survie de l’or-ganisation, notre dirigeant revendique prioritairement lesens de son action. C’est ce qui lui permet d’agir defaçon singulière et à contre-courant de ce qu’indiquait« le bon sens gestionnaire», qui aurait dû conduire àdéclarer l’association en cessation de paiement (16)!

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(11) BERRY, Michel, Une technologie invisible ? L’impact des instruments degestion sur l’évolution de systèmes humains, CRG, Paris, 1983.

(12) Mots croisés avec Jacques, livre hommage à Jacques Girin, CRG,École Polytechnique, Paris, mars 2004.

(13) BEAUJOLIN, Rachel, De la détermination du sureffectif à la quête infi-nie de flexibilité : où mènent les processus de réduction des effectifs ? Thèse dedoctorat de l’École polytechnique, juin 1997.

(14) Mots croisés avec Jacques, op. cit. pp. 5-9.

(15) PIAGET, Jean, Introduction à l’épistémologie génétique, Paris, PUF,1950, p. 17.

(16) Ne serait-ce que dans le but de protéger les intérêts patrimoniauxdes dirigeants.

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Notons qu’au départ, il n’a de réponses qu’à la questiondu sens de son action, et non pas à celle de ses moyens.C’est d’ailleurs une caractéristique du militant, que noustenons à souligner. Les moyens, il va précisément se lesdonner, en apprenant les techniques et le langage de sesadversaires, qu’il importe d’impliquer en les transfor-mant en partenaires. Confronté à l’exigence de l’éléva-tion du niveau de ses compétences gestionnaires –condition sine qua non de la survie de l’organisation – lemilitant gestionnaire découvre dans les outils de gestiontraditionnels de l’entreprise à la fois leur rôle de confor-mation (17) et l’opportunité de les transgresser pourréussir à ré-associer autour de son projet les différentesparties prenantes. C’est cet apprentissage qui va per-mettre le développement et la coordination de nouvellesexpertises (18). Dans cette situation, l’outil de gestionest bien à sa place dans le dispositif de décision: il estinstrumenté au sens propre de ce terme, et mis au servi-ce de la finalité poursuivie, quitte à tordre l’outil, entoute conscience, manière de perturber les logiqueslocales routinisées (19) de la Présidente du tribunal, dubanquier ou du fournisseur.L’apprentissage de crise est donc transgressif : non pasen raison d’un souhait délibéré du militant-gestionnai-re de se rebeller contre l’inflation froide de la gestion (cequi est l’argument principalement exprimé par les mili-tants et que nous avons pratiquement toujours enten-du lors de notre recherche). Non: transgressif, il l’estpar nature, parce que les outils de gestion importés dumonde marchand ou public (dans notre exemple, lesrègles administratives, celles du calcul économique oucelles du commerce) s’imposent tout de même, bienqu’ils ne véhiculent en rien les finalités propres à l’orga-nisation associative. Dans un environnement perturbé,le militant qui devient gestionnaire et apprend à maî-triser ces outils en perçoit la force de légitimation et enpressent le pouvoir normatif. Mais il découvre aussi lerôle qu’ils peuvent jouer s’ils sont mis au service de l’in-tention poursuivie : ici, la survie de l’association.

MILITANT, PROJET ET TRANSGRESSION

Cette caractéristique transgressive repose sur un inva-riant de l’organisation militante : la capacité de mobi-

lisation et d’implication des acteurs (20), laquelle estsoulignée par la structure des ressources humaines desassociations et leurs dix millions de bénévoles (21),qui représentent 720000 équivalents plein temps etplus de quatorze milliards d’euros de chiffre d’affaires(22). L’intention non-lucrative de l’association et sonprojet social permettent d’impliquer des acteurs auxstatuts les plus divers, mais dotés d’une influence fortesur l’avenir de l’association, comme les banquiers, lesmagistrats, les fonctionnaires du Trésor public etautres créanciers. Le supplément d’âme du projetauquel ils s’associent leur donne l’occasion d’engagerleurs compétences d’une façon moins convenue, horsnormes. Cette situation est couramment observée ausein du séminaire Vies collectives de l’École de Parisdu management (23) : chaque mois, des praticiensviennent y conter leurs aventures vécues de respon-sables d’organisations. Leur engagement passionné esttrès communicatif. Associée à une cause noble, la pas-sion conduit chacun à sortir de son univers routinieret, par ce débordement, incite à la participation. C’estainsi que nous voyons un préfet se muer en animateurde développement local, un chef d’entreprise s’inté-resser aux dégâts causés par un chômage massif, unamiral piloter une armée de secouristes bénévoles, unanimateur social devenir banquier spécialiste dumicrocrédit, etc. Au-delà du leadership et du charismerecherchés chez les dirigeants, ce que nous identifions,ici, est une compétence de l’organisation qui reposeprincipalement sur la nature du projet de l’associa-tion : la capacité à impliquer nécessite un projet fort,de type altruiste, qui stimule l’engagement des indivi-dus qui le portent. L’implication transgressive est,selon nous, une des « spécificités méritoires » (24) de laforme associative. Qu’il s’agisse du banquier, du per-cepteur ou de la Présidente du tribunal, chacun estinvité à sortir des comportements stéréotypés qu’onlui attribue généralement au profit de la cause défen-due par l’association en difficulté. Le militant est ici leporte-voix du projet, celui qui le rend audible, maisc’est le projet, ou une partie de ce projet, qui est par-tagé, parce qu’il donne du sens, à la fois à l’acteur ban-quier et à l’agent bancaire.Notre analyse incite à prolonger – sous l’angle de larecherche en gestion – la réflexion de RenaudSainsaulieu : « L’associatif se construit à partir de deux

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(17) BERRY, Michel, MOISDON, Jean-Claude, RIVELINE, Claude,«Qu’est-ce que la recherche en gestion ? », Informatique et gestion, sep-tembre octobre 1979.

(18) HATCHUEL, Armand, «Apprentissages collectifs et activités deconception», Revue Française de Gestion, juin-juillet-août, 1994 (à pro-pos d’une rationalisation orientée vers les apprentissages).

(19) BERRY, Michel, MOISDON, Jean-Claude, RIVELINE, Claude, op. cit.

(20) Au sens du gestionnaire, le terme acteur désigne l’individu, et leterme agent un collectif de personnes regroupées et organisées autourd’un intérêt commun.

(21) FEBVRE, Michèle, MULLER, Lara, INSEE Première, La Vie associati-ve en 2002, n° 946, février 2004 : selon cette étude, il y aurait douze

millions de bénévoles en France, dont 17 % agissant hors des associa-tions.

(22) PROUTEAU, Lionel, WOLFF, F.-C., « Le travail bénévole : un essai dequantification et de valorisation », Économie et Statistique, n° 373, p. 33-56.

(23) Créée en 1993, l’École de Paris du management est une école sansmurs, au sein de laquelle se rencontrent chercheurs et praticiens dumonde des affaires publiques et privées pour exposer des réflexions oudes expériences originales en matière de management.

(24) BLOCH LAINÉ, François, « La fin est dans les moyens », in Économieet Humanisme, n° 332, mars 1995, p. 147.

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questions : le projet et le lien social. C’est autour d’unprojet, d’une mission, d’un objectif que l’on s’associe »(25). Bien sûr, pour exister, l’organisation militantedoit posséder un projet susceptible de provoquerl’engagement en impliquant d’autres agents. Mais,pour survivre, cette organisation doit intégrer égale-ment les ressources et les compétences qui lui per-mettent de faire montre de sa maîtrise des tech-niques de gestion, telles qu’elles sont généralementadmises.Mais cet apprentissage gestionnaire, mis au service de ladéfense du projet associatif, ne pourrait-il pas égale-ment en assurer la promotion?

La production de sens, objet de gestion ?

Services sociaux, éducation et formation, santé, loisirs,sports et culture : ces domaines concentrent environ80 % des dépenses, de l’emploi et du bénévolat desassociations en France (26) et dans plusieurs régions dumonde (27). Ces domaines s’organisent autour d’acti-vités qui contribuent au développement personnel,tout en s’inscrivant dans des représentations collectivesqui sont reconnues ou admises comme indispensables àla vie en société. Pour de nombreux dirigeants, la fina-lité de leur organisation, bien que mise en tension parl’importation des règles de gestion, est inchangée : parexemple, les gestionnaires de plus de mille trois centcentres sociaux considèrent que la vocation de leurorganisation consiste, par ordre décroissant, à : être àl’écoute des habitants ; créer du lien et de la cohésionsociale ; promouvoir les individus (28). Leur produc-tion est constitutive de capital social au sens que luidonne PUTNAM (29), c’est-à-dire considéré commerésultant d’une configuration de réseaux de relations etde normes de réciprocité (30) partagées par un groupesocial ; ceci favorisant en même temps le développe-ment personnel et collectif d’hommes et de femmes auxstatuts et conditions sociales différents (31). Le corol-laire de ces finalités est que les initiatives associativesfont sens autour d’un projet qui vise simultanémentl’obtention d’un surplus identitaire pour les partici-pants et un impact sur la vie sociale, tout en produisantde multiples services aux personnes. Dès lors, l’organi-

sation militante se traduit par un système de produc-tion de services, dans lequel les effets sociétaux recher-chés sont plus importants que les résultats écono-miques attendus. Mais selon quelles modalités ces deuxproductions s’articulent-elles ?

LA CONSTRUCTION COLLECTIVE DU SENS

Reprenons le cas initial de notre fédération d’éducationpopulaire. Ses statuts en précisent le but: «La contribu-tion à l’avènement d’une société de progrès, la constructiond’un monde plus juste et plus solidaire, la promotion de l’en-gagement personnel et collectif en faveur d’une Europe decitoyens, la démocratisation de la culture, des loisirs et detoutes les activités éducatives, le rapprochement des femmeset des hommes dans un esprit de compréhension réciproqueet d’amitié fraternelle.» Cette organisation se définit, parailleurs, devant ses clients – les collectivités publiques –comme un maître d’œuvre des politiques éducativespubliques (32). Elle aligne des références auprès de plusde quatre cents collectivités locales ou territoriales et gèredes centres de loisirs, des maisons de jeunes, des centresculturels et sociaux, des centres de formation, de nom-breux dispositifs de développement local dans des quar-tiers présentés comme en grande difficulté, des villagesde vacances, etc.Au niveau institutionnel, nous voyons ainsi affirméecette double approche, d’une part du projet militant telqu’énoncé dans les statuts de l’association et, d’autrepart, de l’activité de services telle qu’énoncée dans sabrochure promotionnelle. Mais comment ajuster cesdeux composantes de manière à produire, de façoncohérente, du projet militant et des services éducatifs ?Prenons par exemple les jeux de ballon dans le centre deloisirs. Cette activité est un support technique indispen-sable à l’intention éducative souhaitée par les organisa-teurs, mais ce n’est pas cette activité qui est la finalité del’action de production. Ces jeux ne visent pas seulementun score entre deux équipes (même si cela fait sens,notamment pour les enfants y participant) mais égale-ment l’épanouissement physique de chaque participant,l’apprentissage de règles collectives et même l’enseigne-

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(25) SAINSAULIEU, Renaud, « Avant-propos », in ROUDET, Bernard, dir.,Des jeunes et des associations, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 9.

(26) ARCHAMBAULT, Edith, Les institutions sans but lucratif en France, 20e

colloque de l’ADDES, 7 mars 2006, Paris, p. 13 : 86,3 % des associa-tions gestionnaires, 84,9 % du budget, 87,9 % de l’emploi ETP, 78,2 %du bénévolat.

(27) SALAMON, Lester M. (dir.), SOKOLOWSKI, S. Wojciech andAssociates, Global Civil Society, Dimensions of the Nonprofit Sector,Volume Two, Kumarian Press, États Unis, 2004, pp. 15-60.

(28) Un observatoire pour mieux connaître les centres sociaux, étude, CaisseNationale des Allocations Familiales (CNAF), Paris, février 1994.

(29) PUTNAM, Robert, Bowling alone : The Collapse and Revival ofAmerican Community, New York, Simon and Schuster, 2000.

(30) « a minima, le capital social fait référence aux réseaux sociaux et auxnormes connexes de réciprocité. » Interview de Robert Putnam, inL’observateur de l’OCDE, n° 242, mars 2004, p. 14. Nous n’entrons pasici dans le débat de la mesure du capital social, pour lequel nous recom-mandons la lecture très stimulante de l’ouvrage de Sophie PONTHIEUX :Le capital social, Paris, La Découverte, Collection Repères, juin 2006.

(31) Une caractéristique des liens produits dans une association gestion-naire est qu’ils sont nécessairement plus ouverts que ceux produits dansune association de simples membres réunis autour de similitudes (ou depréférences très marquées).

(32) Accompagner les collectivités locales dans leurs projets, brochure pro-motionnelle de ladite fédération, Paris, avril 2000, 60 pages.

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ment de valeurs morales (ce qui fait plusieurs sens pos-sibles, distincts – ou non – pour l’animateur) ou enco-re la recherche d’une amélioration de la vie sociale, au-delà des frontières apparentes de la structure (ce qui faitsens, pour les dirigeants). Chacun de ces niveaux estencadré par des normes et des règles préétablies (cellesde l’activité, duprojet pédago-gique et desstatuts de l’or-gani sa t ion) ,mais suffisam-ment lâchespour pouvoirêtre, dans unelarge mesure,interpré tée spar les parties(33). Cette mul-tiplicité des senspossibles s’ap-plique égale-ment au cahierdes charges dela commune,qui aura pupasser contratavec la fédéra-tion, dans lecadre – pour-tant souventperçu commeréducteur – ducode des mar-chés publics(l’acheteur pu-blic pouvantmême se conten-ter d’une sim-ple recherchede paix socialeet se désinté-resser plus oumoins des ob-jectifs éducatifsproposés parl’organisation).Il faut donccomprendreque le sens pro-duit dans la relation de service se situe sur plusieursniveaux, distincts mais emboîtés les uns dans les autres,à la façon des poupées russes.

La recherche permanente de la cohérence

La performance de l’ensemble résultera non du simpledéroulement de l’activité ‘jeux de ballon’, mais de larecherche permanente de cohérence entre ces niveauxet donc de leurs inter-relations, ce qui va être la missionessentielle des dirigeants. Cette description, assez bana-

le pour lesadeptes de lapédagogie acti-ve, correspondà une structured’équivalencemutuelle telleque WEICK ladécrit (34) : lesdifférentes par-ties prenantesau service pro-duit n’ont pasbesoin de par-tager des va-leurs communespour contribuerà la bonne réa-lisation de l’ac-tion. La cohé-rence du projetd’actions n’estpas menacéealors que les at-tentes de cha-cune d’entreelles peuventvarier sensible-ment : tel ani-mateur mettral’accent sur lerespect des rè-gles collectives,tandis que telautre s’attache-ra au dévelop-pement psy-chomoteur (etainsi de suite…).Et, plus ons’éloigne duterrain de jeu,plus les repré-sentations se-

ront nombreuses, tout en restant circonscrites, idéale-ment, à l’objet statutaire qui fonde l’organisation. C’estdonc la cohérence dans le système de production, la

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En France, plus de 20 % des 27 000 entreprises de plus de 50 salariés sont, de fait, desassociations ! (Association d’activités culturelles pour les enfants)

(33) GIDDENS, Anthony, La Constitution de la société, Paris, PUF, 1987.Notre exemple illustre sa réflexion, selon laquelle les systèmes sociauxsont des modèles régularisés de relations sociales dont les propriétésstructurelles sont à la fois le moyen et le résultat des pratiques qu’ellesorganisent de façon récursive.

(34) WEICK, Karl E., The Social Psychology of Organizing, New York,Random House, 1979, p. 98.

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construction collective du sens ou collective sensemaking (35), et non la construction du sens collectifqui est au cœur du projet de ces organisations. Ducoup, l’apport de l’activité ‘jeux de ballon’n’est pas prin-cipalement dans le résultat économique. Pour témoi-gner au plan de l’action locale de la cohérence du pro-jet général de l’association, l’activité devient unprocessus ou un projet lui-même inséré dans d’autresprojets : certains sont vécus par les participants tout aulong de la journée, d’autres par les autres parties pre-nantes à des niveaux et à des horizons spatio-temporelsdistincts.Si la gestion consiste en un agencement de moyens spé-cifiquement organisés en fonction d’un but, il peut yavoir un point de vue de gestionnaire sur cette activité‘jeux de ballons’. Le surplus produit est obtenu par unenchaînement coordonné de gestes, qui impliquent lejoueur et son animateur, l’animateur et son directeur, etle directeur et ses prescripteurs (élus locaux parexemple), de façon récursive. Se pose évidemment ladifficile question de l’évaluation de la performance dece type de projet : le sens produit (considéré comme uneffet) n’est pas aisément évaluable, car il faudrait orga-niser des études d’impacts lourdes et sans doute impos-sibles à valider sérieusement. Mais les modalités selonlesquelles il y a production de sens au sein des projetsd’actions locaux (et entre les différents niveaux de pro-jets) sont évaluables en tant que processus : chaqueniveau de projet (la séquence de jeux, la journée d’acti-vité, le séjour d’un enfant en centre de loisirs, etc.) peutêtre décomposé en objectifs, moyens et méthodes, descritères et des indicateurs renseignant sur le degré deréalisation des objectifs.Dès lors, il s’agira de comprendre, au sein de ce modè-le d’organisation, les relations, interactions et processusde construction des projets. Mais la complexité déjàévoquée de cette double activité de production de pro-jet et de services sera encore augmentée par le dévelop-pement de l’organisation et sa transformation. L’al-longement de la «distance» entre le projet local de laséquence ‘jeux de ballon’ et le projet de société, telqu’exprimé dans les buts de l’association, pose d’im-portants problèmes de coordination. Le stade de lagrande association une fois atteint, il faudra doncrépondre à une nouvelle question: s’il existe bien uneforme productive dédiée à la construction du sens,quels en sont les outils de gestion?

REDONNER DU SENS AU RASSEMBLEMENT

Retrouvons le témoignage d’un des dirigeants de la fédé-ration étudiée et qui, avec d’autres, a décidé de réinves-tir ses compétences de gestionnaire dans le renforcement

du projet de l’association. La préparation d’un congrèsimportant, qui marquait symboliquement le cinquan-tième anniversaire de la fédération, servit d’apprentis-sage. Les grandes organisations syndicales, religieuses,militaires, politiques ou associatives ont l’habitude deréunir leurs militants et sympathisants à l’occasion deces commémorations importantes. Cette tradition festi-ve vise le plus souvent à galvaniser les troupes et à ampli-fier la communication des idées et des projets émanantdes instances supérieures. Le constat fait par nos diri-geants était que ces grands rassemblements rituelsavaient perdu de leur sens, parce qu’ils ne procuraientplus vraiment d’apprentissage et parce qu’ils se limi-taient, de plus en plus, à leur dimension conviviale.Qualifiés le plus souvent de «grand-messes», leur rôlemobilisateur ne perdurait pas longtemps et leur coûtimportant perdait dans ces conditions sa justification.Pourtant, considérant leur prégnance dans l’identité dela fédération, ils vont décider de ne pas supprimer cespratiques collectives, mais au contraire de les amplifier,tout en leur redonnant du sens.«La préparation du 25e Congrès nous a donné l’occasionde nous mobiliser autour de la réécriture du projet édu-catif de la fédération. L’idée, c’était qu’il fallait mobiliserles élus et les salariés autour de l’écriture d’un nouveauprojet fédérateur qui tienne compte des deux grandes évo-lutions qui avaient transformé l’organisation : la profes-sionnalisation de nos activités et l’impératif d’une gestionrigoureuse. L’approbation du nouveau projet éducatifpar les congressistes est venue clôturer un imposant tra-vail collectif, qui rassembla, à quatre reprises et pourdeux journées à chaque fois, plus de 400 participantsoriginaires de toutes les régions de France. Chaque ras-semblement avait une vocation spécifique, des objectifsconcrets de production et une fonction de validation destravaux antérieurs. Entre ces périodes, une équipe mixtede dirigeants et de cadres intermédiaires s’était constituéeen différents groupes de travail pour approfondir lessujets abordés au cours des réunions plénières : définitiondu métier, du système de valeurs, identification desdomaines d’activité et des méthodes spécifiques de miseen œuvre des actions éducatives. Ce projet a été réussi etapprécié. La publication finale, imprimée avec soincomme un livre au format d’une BD et largement diffu-sée, a connu un important succès, et sert régulièrementd’ouvrage de référence, dans tout le réseau. »« Au rôle traditionnellement mobilisateur de ces ras-semblements s’ajoutait une ambiance qualifiée de ‘stu-dieuse’par beaucoup de participants, ce qui était nou-veau. Je pense que les travaux intermédiaires, entredeux rassemblements, entretenaient les motivations, ensignalant les avancées réalisées dans l’écriture collecti-ve du projet. De même, la nécessité de produire unnouveau projet éducatif à faire valider par les 1 200congressistes constituait un enjeu mobilisateur pourtous les participants. Du même coup, l’idée qu’un pro-grès collectif était possible, que des apprentissages nou-veaux pouvaient avoir lieu, devenait réaliste. Peu à

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(35) WEICK, Karl E., Sensemaking in Organizations, Londres, SagesPublications, 1995, p. 27.

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peu, c’est une véritable méthode qui va commencer àémerger, à partir de cette expérience. »La méthode qui émerge utilise le fonds identitaire del’association pour obtenir l’implication et la participa-tion des acteurs. Les dirigeants ajoutent explicitement larecherche d’efficience, comme en témoignent la réalisa-tion de travaux intermédiaires et le souhait de faireconstater la progression des apprentissages de l’organisa-tion lors de chaque étape franchie collectivement. Cettedémarche est centrée sur le projet de l’association, sesvaleurs – ce qui renvoie au militantisme – mais égale-ment sur la mise à jour de ses savoir-faire, de sesdomaines d’activité et de son métier, toutes choses quisont la marque de la gestion entrepreneuriale. Nousvoyons ici la volonté d’installer ce que nous pourrionsnommer des ‘normes de l’engagement militant’ : desobjectifs et des moyens, un rythme, une méthode quiconstituent autant de principes directeurs, que les diri-geants cherchent à implanter dans le fonctionnementquotidien de l’organisation. Il s’agit bien d’unedémarche de rationalisation à forte connotation ges-tionnaire, mais élaborée en vue d’arrimer le projet socialet les services offerts par la construction collective desens.

Oser toucher à la charte fondatrice

Les dirigeants ne vont pas s’arrêter là :«… Cette sorte de mécanique naissante de l’engage-ment militant sera expérimentée une nouvelle fois, lenouveau président ayant lancé l’idée d’une refonte duprojet politique de la fédération. Cinquantenaire, lapremière charte élaborée par les fondateurs d’alors neconstituait plus une référence pour les équipes œuvrantquotidiennement sur le terrain. Il s’agissait de recons-truire un discours mobilisateur et actualisé sur les pro-blématiques de l’éducation et de la jeunesse. Après unimportant travail de recherche documentaire réalisépar deux ou trois dirigeants afin de cadrer les travaux,nous avons organisé un séminaire de dirigeants réunis-sant les principaux cadres salariés et les élus. Une pre-mière synthèse de ces travaux a été diffusée à 400 mili-tants lors d’une rencontre nationale qui fut consacréeessentiellement à ce sujet. Après critiques et améliora-tions du texte, nous avons recruté un journaliste pourtenir la plume lors de versions successives, largementdiffusées et débattues durant des rencontres qui ont étéorganisées localement par les militants en France etmême dans nos réseaux africains, qui se sont réunispendant plusieurs jours à Bamako. Peu à peu, unenouvelle déclaration de principes a pris forme et…neuf mois plus tard le résultat était là : près d’un mil-lier de personnes avaient participé, peu ou prou, à larédaction de la nouvelle déclaration de principes de lafédération. Pour rehausser la valeur symbolique de cenouveau texte et l’inscrire dans une histoire mythiqueconforme à nos valeurs, nous avons présentésolennellement la nouvelle déclaration, devant caméras

et invités, dans le café parisien où Jaurès fut assassiné,en hommage à son célèbre « discours à la jeunesse ».Dans la nuit, une équipe a monté le film qui relate cetévénement, et la vidéo fut projetée dès le lendemaindevant plusieurs centaines d’élus, salariés et militants,avant d’être validée lors de l’assemblée générale dumois de juin. »Dans cette aventure rédactionnelle, que nous avons puobserver et accompagner, les progrès collectifs semblentimportants : de nombreux salariés ou élus découvrentque l’organisation nationale dans laquelle ils inscri-vaient une partie de leurs activités quotidiennes étaitmunie d’un projet plus large que celui auquel ils parti-cipaient concrètement au plan local. Le travail collectifjouait un rôle de réactivation du processus d’adhésionet d’implication dans le projet de société idéalistequ’entend promouvoir cette organisation. Pour les par-ticipants, cette action était difficile (écrire collective-ment un texte qui soit, à la fois, idéaliste et concret), etle résultat était donc méritoire ; elle était valorisante parla mise en scène de tous les contributeurs, qui venaientbénévolement lors des rassemblements ; elle était égale-ment innovante et audacieuse, puisqu’il fallait oserréécrire, comme les fondateurs l’avaient fait en leurtemps, un texte actualisé, ce qui procurait le sentimentde toucher aux dogmes fondateurs, même si la majori-té les avait oubliés ou ne les connaissait pas. Le mérite,le don de soi et la transgression se retrouvent, ici, telsque nous les avons décrits dans notre étude antérieuresur les patronages. Ce sont des caractéristiques inva-riantes de la mobilisation des militants, que nousretrouvons dans toutes nos observations de terrain.

NOUVELLES NORMES, NOUVELLES PRATIQUES

Mais, en dehors du texte lui-même, cette expériencen’apporterait aucun changement structurel dans l’orga-nisation, si elle restait sans suite et si elle ne constituaitpas un mode de management pérenne et spécifique. Laquestion que se posent alors les dirigeants est: commentgarantir que le nouveau projet de la fédération soit bienmis en pratique par tous les acteurs de l’association, tousles jours, dans leurs activités de service? (36)« L’un des enjeux, que soulignait le nouveau texte, étaitla rénovation de notre métier, qui devait passer d’unelogique d’offre de services aux collectivités locales –logique dans laquelle le développement et la banalisationde notre secteur d’activité nous avaient confinés – à unelogique d’accompagnement des initiatives prises par lesjeunes. Ce positionnement remettait fortement en causenos pratiques militantes et professionnelles antérieures.Nous nous sommes lancés dans la transformation denotre production de services en remplaçant, peu à peu, le

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(36) Mettre le projet éducatif en actes, document interne de la fédération,avril 2002.

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modèle – cinquantenaire – du club de jeunes par unmodèle de pépinière d’initiatives (37), ce qui réinstallaitune cohésion entre notre projet social et nos réalisationslocales. Pour avancer, nous avons décidé de faciliter l’ap-propriation de la nouvelle déclaration par les salariéseux-mêmes, en vue de réfléchir aux pratiques profession-nelles à mettre en œuvre. Pour rendre ce texte plus prochede tout un chacun, nous en avons réalisé une nouvelleédition, en intégrant des interviews de salariés sur lethème des valeurs qui les animent et les poussent à s’im-pliquer au quotidien. Puis un guide méthodologique aété créé et des groupes de salariés et de cadres se sontconstitués, en vue de trouver les moyens concrets permet-tant de mettre en application les intentions énoncées parla déclaration. Notre projet consistait à créer une dyna-mique d’accompagnement, visant à aider à la mise enplace de ce nouveau positionnement. »Cette description rapide (elle ne rend pas suffisammentcompte des nombreuses difficultés de l’exercice)témoigne d’une réelle volonté d’inscrire de nouvellesnormes professionnelles dans les pratiques des acteurslocaux, par la déclinaison opérationnelle du projet del’association. Les mesures prises pour accompagner leprojet et provoquer des changements importants dansl’organisation forment des dispositifs de gestion dusens. Il s’agit de s’appuyer sur la multiplication de liensinteractifs entre valeurs individuelles et valeurs collec-tives pour établir de nouvelles normes internes concer-nant tous les aspects de la vie militante et profession-nelle, et que tant le projet éducatif que la nouvelledéclaration de principes doivent garantir.Pour aller encore plus loin, la fédération s’est lancéedans la réécriture de ses statuts et de son règlement inté-rieur en recourant à la même méthode, consistant àoptimiser les gestes collectifs traditionnellement pro-duits par ce type d’association, comme la rencontre, lavie collective, l’échange oral…, en vue de produire desrésultats concrets, sous la forme de nouvelles normes àappliquer au sein de toute l’organisation.

Opération «Le chemin démocratique»

Au terme d’une année assez tumultueuse, qui vit unedes structures régionales faire sécession, et après unnombre considérable de réunions décentralisées et detravaux intermédiaires qui avaient donné lieu à larédaction de projets successifs, les nouveaux statuts,bien que remettant en cause des rentes de pouvoir exis-tantes, seront approuvés à une large majorité des mili-

tants, puis validés par le Conseil d’État (38).L’opération, baptisée «Le chemin démocratique», avaitpour ambition d’établir un parcours susceptible derénover les instances de représentation et de décision,en les rendant accessibles au simple usager occasionneld’une activité locale. Il s’agissait de revisiter les pra-tiques militantes antérieures, qui réservaient le débat etle pouvoir interne à un nombre d’acteurs trop limité, ladifficulté étant que les nouvelles règles devaient êtreapprouvées par référence aux anciennes ! Pourtant, lesdifférentes parties prenantes seront redéfinies en inté-grant les simples usagers (non adhérents) et des associa-tions de fait (39) au système de représentation; le sys-tème électoral sera complètement réformé, avecl’apparition de votes individuels à bulletins secrets, denouvelles règles de désignation des délégués et de leursmandats, etc. ; des organes de conseil seront créés pourassocier les salariés, les bureaux des structures régionaleset les élus financeurs au bon fonctionnement de l’asso-ciation; les attributions du bureau, du conseil d’admi-nistration et des cadres dirigeants seront précisées, etc.En fait, les règles de la gouvernance, revues de fond encomble, seront inscrites dans la loi interne de l’organi-sation (les statuts et le règlement intérieur). Compriscomme des dispositifs de gestion du sens, ces change-ments indiquent la volonté des dirigeants d’inventer etde remettre au premier plan de nouvelles régulationsinternes autour du projet réactualisé, en vue de le pro-mouvoir durablement et de garantir une cohérenceentre tous les niveaux de l’organisation (40).Mais, dès lors, sous quelle forme ces dispositifs de ges-tion du sens apparaissent-ils au sein de l’organisation?

De nouveaux bagages, en vue de nouvellesaventures

Thierry BOUDÈS propose une démarche originale demanagement des projets de l’entreprise, en prenantappui sur l’homologie existant entre la structure durécit telle qu’elle existe de façon ancestrale et les diffé-rentes étapes du cycle d’un projet. Son hypothèse estque, dans l’entreprise, la force managériale des projetsréside dans le fait qu’un projet fait récit. «Les réseaux derelations issus des projets sont liés au sentiment d’avoirparticipé à une histoire forte [….] L’une des grandesfonctions des récits est d’attribuer du sens à l’expérience,grâce à la chronologie des expériences et à leur configu-ration, c’est-à-dire grâce à l’organisation des événementsau-delà de la chronologie » (41).

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(37) Ce nouveau concept de pépinières d’initiatives, élaboré à partir deplusieurs expérimentations locales, obtiendra le Prix de l’Initiative auSalon des maires de France, en 2003.

(38) S’agissant d’une fédération reconnue d’utilité publique, la procédu-re de révision des statuts est particulièrement encadrée parl’Administration.

(39) C’est-à-dire des associations non déclarées en Préfecture, librementconstituées entre militants.

(40) Nous passons volontairement sous silence les enjeux de pouvoirplus personnels que ce type de démarche révèle, parce qu’ils ne sont pasau cœur de notre réflexion.

(41) BOUDÈS, Thierry, « Du reporting au raconting dans la gestion desprojets », Séminaire Vie des Affaires, 13 janvier 2000, compte rendu deSylvie CHEVRIER, in Annales de l'École de Paris - Vol. VII, Paris, 2001.

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Les dispositifs de gestion du sens, tels que nous venonsd’en donner quelques exemples, ne sont-ils pas d’unepart des projets, d’autre part des histoires fortes? Dansle cas des associations étudiées, ce n’est pas l’activité pro-duite qui fait sens, mais son enchâssement dans d’autresactivités éducatives mises au service d’un idéal commun,d’une finalité éducative; et la gestion de toutes ces acti-vités est organisée sous la forme de gestion de projets :avec des objectifs, un état des lieux, des moyens, uneperspective de transformation de la situation existante,une progression et, donc, des apprentissages qui vontforcément se heurter à de nombreux obstacles, qu’il fau-dra bien sûr contourner, et, à la fin, l’espoir d’un résul-tat. Mais avant d’être des projets, il s’agit d’histoires. Deshistoires fortes, qui visent à susciter l’implication oul’engagement des participants dans des aventures collec-tives mises au service d’un but commun, tout en per-mettant à chacun de construire un morceau de sa proprehistoire. Vivre une aventure, grande ou petite, à la foisau plan collectif et individuel: c’est ce que proposentlocalement les associations éducatives, selon un proces-sus structuré et guidé par le projet associatif.Or, ces deux dimensions identitaires se sont affadieslors des étapes de l’apprentissage gestionnaire, au pointque les activités – devenues porteuses de leur proprefinalité – deviennent des histoires sans suite. Mais laréinvention de l’organisation, que les nouveaux diri-geants veulent opérer, repose sur la fabrication de nou-velles histoires : le projet éducatif, la nouvelle déclara-tion de principe, le nouveau fonctionnement statutairese débattent et s’écrivent comme autant d’incitations às’engager dans de nouvelles aventures. La recherchedélibérée du ré-arrimage du projet social et des presta-tions de services (afin de renforcer le projet global de lafédération) a rendu nécessaire une formalisation tantdes méthodes que des apprentissages.Mais que permet cette formalisation? Que modifie-t-elle dans le processus de production des actions?Une bonne histoire, comme un bon projet, repose surdes étapes précises qui s’enchaînent les unes aux autres,de façon cohérente, en vue d’un dénouement espéré. Etdans toutes les méthodologies de projet, les apprentis-sages constatés servent de point d’appui au lancementdes projets suivants. Dit autrement, ce sont de nou-veaux bagages, en vue de nouvelles aventures ! Mais cetapprentissage, tiré de l’expérience mise en communavec d’autres, enrichit également les cartes cognitivesdes participants et interagit avec tous les niveaux decette structure d’équivalence mutuelle qu’est l’organisa-tion militante. L’hypothèse sous-jacente est que l’his-toire, vécue collectivement et selon des cycles institués,fait émerger le sens. Il ne s’agit pas ici du sens de l’his-toire racontée après coup, mais du sens de l’expérienceen train d’être vécue. N’est-ce pas cette expérience quireprésente le dispositif de gestion de référence de l’or-ganisation militante ? Ces histoires vécues sont enactéesau sens de VARELA (42) : l’action domine les représenta-tions de chacun et les apprentissages que l’on y réalise

permettent l’interprétation de l’organisation tout entiè-re ou de la partie de celle-ci qui est interprétable par lemilitant, quelle que soit la position qu’il occupe dans lesystème.Aux histoires sans suite, considérées comme coûteuseset peu productives, mais qui étaient inscrites dans latradition et l’identité de l’organisation collective, lesgestionnaires-militants ont voulu faire succéder des ras-semblements collectifs, qui produisent des progrèsconstatables par les participants et qui ouvrent la voie àde nouveaux projets à mener ; comme des histoires sansfin…

DU GRIOT ET DU SCRIBE

Les dirigeants introduisent une innovation importantedans le mode de production des actions : il s’agit durenforcement de la tradition orale par le passage àl’écrit. Expliquons-nous : de façon quasi systématique,nous avons entendu, comme première revendicationdes militants bénévoles et salariés, un fort appétit derencontre. Le besoin de s’exprimer, d’être écouté,d’échanger et d’écouter à son tour suscite l’organisationdes rencontres et des événements qui marquent la viecollective de l’organisation. Dans l’esprit du capitalsocial, la production de richesses sociales repose sur lamultiplication des échanges sociaux entre les parte-naires de la vie associative. Mais, quelle que soit la qua-lité de ces échanges, leur bénéfice éventuel reste indivi-duel, particulièrement dans une grande organisation.La tradition orale trouve ici des limites. Si elle n’est pasentretenue avec la rigueur nécessaire, cette pratiqueorale des échanges sociaux risque de déborder, sans pro-voquer de nouveaux apprentissages collectifs. L’échangeoral est alors discrédité, et considéré par les dirigeantscomme un bavardage, peut-être vaguement anxioly-tique, mais peu efficace et, surtout, très coûteux.Si les paroles s’envolent et que les écrits restent, le pas-sage de l’oral à l’écrit peut apparaître comme une mena-ce, une réduction de liberté, dans le meilleur des cas. Ilreprésente en effet un risque d’être jugé sur de nou-veaux critères, plus sélectifs et rigoureux, alors mêmeque, dans le milieu associatif, plus qu’ailleurs encore, laprise de parole dans le collectif est un marqueur identi-taire fort et relativement accessible. Du coup, les mili-tants s’expriment volontiers oralement, mais ils rechi-gnent à prendre la plume. D’ailleurs, qu’il s’agisse del’écriture du projet éducatif, de celle de la nouvelledéclaration ou encore de celle des nouveaux statuts,nous avons souvent constaté l’absence de contributionsécrites provenant de tel ou tel militant. Par contre, descommentaires, vifs et nombreux, ont toujours étéexprimés oralement. En identifiant précisément des

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(42) VARELA, Francisco J., Invitation aux sciences cognitives, Paris, Édi-tions du Seuil, 2e édition, 1996, p. 93.

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personnes dont le rôle était de tisser du lien, sous laforme d’écrits successifs qui recueillaient les paroles etles synthétisaient, les mettaient dans une forme pacifiéepour les personnes mais respectant néanmoins lestermes du débat, la controverse était entretenue, sansqu’il y eût de remise en cause personnelle des orateurs(43). L’expression orale trouvait dans sa mise par écritune forme de mémorisation et d’amplification. Cettetâche – ardue – était une vraie nouveauté, qui guidaitégalement les progressions entre chaque étape pourdonner le sens de l’histoire. Le fait de partir d’une pro-position rédactionnelle nouvelle à chacune des ren-contres constituait un apport important, source devalorisation des participants, tout en contribuant à larecherche d’efficacité collective voulue par les diri-geants.Selon un des dirigeants, c’est précisément cette insuffi-sance de la tradition orale à transporter et faireconnaître les ambitions du projet de la fédération quiexpliquait la faible pénétration des idées promues parles militants de l’éducation populaire dans le débatpublic. À partir de ces premières expériences où l’écritavait servi de support à la tradition orale du débat, unenouvelle ambition pouvait naître : mettre au jour et dif-fuser les secrets de fabrication, les savoir-faire des prati-ciens, grâce à la production d’écrits, en utilisant lesmêmes méthodes. Une politique éditoriale nouvellesera créée (44). Outre faire connaître et partager lesbonnes pratiques, avec un souci de mutualisation et depromotion, il s’agit pour eux d’apprendre à conceptua-liser ces pratiques et d’en déduire des idées nouvelles,qui serviront à développer la sphère d’influence de lafédération. Il semble bien que le militant-gestionnaire,après avoir appris à compter, se soit mis à apprendre àconter ! C’est en quelque sorte l’alliance du scribe et dugriot, pour à la fois perpétuer et transformer le sens del’histoire !

L’ÉMERGENCE DE L’ENTREPRENEUR SOCIAL

Nous assistons à la naissance de dirigeants qui souhai-tent créer une forme productive dont le projet et l’or-ganisation soient en cohérence. De l’apprentissagegestionnaire, les dirigeants ont retenu le rôle puissantdes outils et leur capacité normalisatrice. La réflexionsur leur propre organisation les conduit à identifier,parmi quelques invariants de l’organisation militante(dont la transgression et l’implication), ceux qui pour-raient servir de support à la fabrication de dispositifsde gestion du sens. Il s’agit d’introduire un mode degestion dans lequel les projets soient structurés

comme un continuum d’histoires vécues et où l’écritjoue un rôle spécifique pour connecter les étapes entreelles, ce qui pourrait être qualifié d’apprentissageorganisationnel.Le grand nombre d’organisations militantes quientrent dans le cadre de notre analyse incite à se poserla question du profil de leurs dirigeants. Existe-t-il unefigure spécifique, qui réclamerait des attitudes et descapacités professionnelles, pour partie distinctes decelles enseignées au sein des grandes institutionsdédiées à la formation de nos dirigeants? Pour qualifierle militant-gestionnaire de l’organisation militante,nous retiendrons deux points que notre recherche amis en évidence :– la dimension collective dans laquelle s’inscrit la fonc-tion du dirigeant, qui implique des savoir-faire spéci-fiques pour associer les parties prenantes au projet ;– la récurrence d’une tension permanente entre perfor-mance économique et performance sociale. En tant queréalité incontournable, cette tension suppose de combi-ner ces deux forces sans les nier, tout en recherchant desmarges de liberté nouvelles pour le projet social.Nous retiendrons ces deux principaux aspects commedes caractéristiques du profil de l’entrepreneur social,sous la version du militant-gestionnaire. Ces deuxaspects supposent que ce militant-gestionnaire ait descompétences spécifiques, mais aussi une identité ancréede façon particulière pour agir efficacement sur le sys-tème productif au moyen de la construction d’outils degestion du sens, tels que ceux dont nous avons montrécertaines des caractéristiques. On comprend alors lanécessité d’accompagner le fort développement de cesorganisations associatives en multipliant des formationsde haut niveau pour les futurs cadres et dirigeants deces organisations. Dans cette perspective, nous propo-sons de qualifier d’entrepreneur social le dirigeant dotédes compétences nécessaires pour promouvoir et déve-lopper un mode de production de biens et de servicesspécifiques : ceux à valeur ajoutée sociale, économique-ment viables et conformes aux valeurs du projet de l’or-ganisation. Cet entrepreneur social devrait trouver dansson cursus de formation, en plus des matières tradi-tionnelles de l’enseignement en gestion, celles qui res-tent largement à préciser et qui concernent la produc-tion et la gestion du sens, l’association des partiesprenantes, la valeur ajoutée sociale (pour ne citer quequelques exemples).Au sein de ces entreprises associatives, dont l’importan-ce ne cesse de grandir, rompre l’opposition entre le ges-tionnaire et le militant, et montrer des voies pour entre-prendre autrement, ne serait-ce pas une belle façon decontinuer à raconter sérieusement des histoires utiles àla cohésion sociale ? ■

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(43) Par contre, les rédacteurs ont souvent eu besoin d’être réconfortés,tant les débats ont été vifs !

(44) Lancement d’une collection « Les Essentiels », embauche d’une per-sonne chargée des relations avec la presse, création d’un nouveau magazi-ne destiné aux adhérents, publication d’articles spécialisés dans les revuesprofessionnelles, collaboration à des ouvrages collectifs, etc.

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La nouvelle loi sur l’eau et les milieux aquatiques du30 décembre 2006 vise à transposer en France laDirective Cadre Européenne sur l’Eau (DCE) de

2000. Elle cherche en particulier à promouvoir des tari-fications incitant à économiser l’eau, en imposantnotamment d’abandonner certains types de tarifs jugésnon-incitatifs, surtout dans les contextes de rareté decette ressource. Cet article donne des éléments permet-tant d’évaluer le niveau des efforts que devront faire lescommunes, à partir d’une analyse historique et d’unbilan actuel des structures tarifaires de l’eau potable etde l’assainissement.L’article 9 de la DCE du 23 octobre 2000 invite lesÉtats membres à mettre en place des tarifications inci-tatives à l’économie d’eau, tout en cherchant à atteindrel’objectif de couverture des coûts. En France, la nou-velle loi sur l’eau reprend cet objectif en en précisant lesmodalités, en particulier au niveau de la structure detarification de la facture d’eau (à savoir de l’eau potable,

mais aussi, lorsqu’il existe, de l’assainissement). Elleinsiste en particulier sur le nécessaire abandon de struc-tures jugées désincitatives à l’économie d’eau dans leszones où cette ressource est limitée ; cette loi préconise,par ailleurs, la mise en application de tarifications sai-sonnières ou par paliers progressifs. Or, si, pour la pré-cédente loi sur l’eau de 1992, des études détaillées surles types de tarification en vigueur en France pour lesménages avaient bien été conduites, ces études n’ontpas été renouvelées ; de cela découle un manque d’in-formation sur les différentes modalités de tarificationactuellement en vigueur. Et, sans cette information, iln’est pas possible de prévoir le degré d’effort que lescommunes françaises devront faire pour se mettre enconformité avec la future loi. Cet article apporte deséléments pour combler cette lacune.La première partie présente la grille de lecture des struc-tures tarifaires qui servira de support au reste de l’ar-ticle. La deuxième partie dresse l’évolution historiquedes structures tarifaires en France métropolitaine. Latroisième partie décrit les structures tarifaires actuelle-ment en vigueur dans ce pays, et la quatrième présente

QUELLE STRUCTURETARIFAIRE POURÉCONOMISER L’EAU?

Le choix de la structure tarifaire de la facture d’eau est un acte éminemmentpolitique : il détermine le comportement de chacun, et la gestion globale de cette ressource. Or, si la grande idée est aujourd’hui l’économie d’eau, les communes, elles, ont toujours pour objectif prépondérant la couverturedes coûts. Aussi, la discussion sur la nouvelle loi sur l’eau a enflammé endécembre parlementaires et sénateurs. L’auteur, grâce à une large enquêtemenée en 2003, nous aide à mieux comprendre les mécanismes et les enjeuxde ce débat qui va conduire les communes de France à modifier leurs structures tarifaires. Une approche réaliste et intégrée se révèle indispensablesi on ne veut pas aboutir à des effets contraires à l’objectif essentiel qu’est l’économie d’eau.

PAR Marielle MONTGINOUL, CHARGÉE DE RECHERCHES, CEMAGREF, UMR G-EAU, FRANCE (*)

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les trois principaux déterminants du choix de la struc-ture tarifaire par les communes.

STRUCTURES TARIFAIRES DE L’EAU: UNE GRILLEDE LECTURE

La grille de lecture présentée ici a pour vocation d’êtreun outil de compréhension des structures tarifairesadoptées par les communes (1) pour facturer l’eau (eaupotable et assainissement), structures que nous détaille-rons dans la suite de l’article. Cette grille se décomposeen deux parties : une description des différentes struc-tures tarifaires rencontrées ou envisageables, et une pré-sentation des différents objectifs ayant présidé à leurchoix.

Les structures tarifaires : description

L’eau est tarifée en utilisant la fonction générique sui-vante : F = aX + b. Avec F : la facture d’eau potable etd’assainissement (que nous appellerons « factured’eau» par la suite) et X: le niveau de consommationd’eau.La partie proportionnelle à la consommation d’eau(a) est soit constante (indépendamment du niveaude consommation d’eau), soit fonction de paliers.Ces paliers peuvent être croissants ou décroissants(Figure 1). Des structures tarifaires complexes(combinant les deux types de paliers) peuvent aussiexister. Cette partie variable peut également être dif-férenciée en fonction des saisons ; on parle alors detarifs saisonniers.

La partie fixe (b) est tarifée selon des bases différentes(non nécessairement exclusives) : (1) la personne rede-vable (l’abonné, le nombre de logements desservis, lenombre d’habitants et/ou la durée de présence) ; (2) lebranchement (le diamètre du compteur) ; (3) le niveaude consommation (x € par y m3 d’eau consommée).On trouve également d’autres index : la taille de l’habi-tation, le nombre de robinets, etc.Ainsi, il y a trois principales bases de tarification : latarification forfaitaire (a = 0, la facture d’eau n’évo-luant pas avec la consommation d’eau), la tarifica-tion volumétrique (b = 0, la facture d’eau étantstrictement proportionnelle à la consommation) etla tarification binomiale (avec « a » et « b » stricte-ment positifs).Il est possible, aussi, de représenter de manière schéma-tique la structure tarifaire selon deux dimensions :d’une part, l’importance de la partie fixe peut être ana-lysée en terme de proportion de la facture type (pour120 m3 d’eau consommée) et, d’autre part, la forme dela partie proportionnelle peut être résumée par le pour-centage d’augmentation qu’elle connaît entre son pre-mier et son deuxième palier.

Les structures tarifaires : les objectifs sous-jacents

Les structures tarifaires sont choisies en vue d’at-teindre des objectifs multiples et parfois contradic-toires entre eux (ARBUÉS et al., 2003 ; DALHUISEN etNIJKAMP, 2002 ; OCDE, 1987) : allouer de l’eau auxusagers qui la valorisent le mieux (notion d’efficien-ce) ; garantir un accès de tous à ce bien jugé essen-tiel (définition que l’on donnera ici de la notiond’équité) ; couvrir les coûts induits (d’exploitation,de maintenance et de capital) par son extraction, sadistribution et son usage ; être simple pour êtrecomprise ; être acceptable pour pouvoir être appli-quée ; garantir la santé publique, etc. Les communess’efforcent d’atteindre ces objectifs, même si lepoids relatif de chacun d’entre eux dépend ducontexte économique, social et environnemental.S’il n’est pas possible de définir une stricte bijectionentre une structure et un objectif, certaines ten-dances peuvent être indiquées (Figure 2) ; c’est ceque nous allons faire maintenant, en nous intéres-sant aux trois principaux objectifs que sont : l’effi-cience, l’équité et la couverture des coûts.Lorsque l’objectif principal est l’efficience, la factured’eau doit dépendre du niveau de la consommationd’eau. Ainsi, la structure tarifaire la plus efficiente est latarification volumétrique (avec un prix de l’eau corres-pondant au niveau de rareté de la ressource).Notons que l’atteinte de l’efficience par la tarificationnécessite de vérifier trois hypothèses : tout d’abord, lesconsommateurs sont supposés être bien informés de lastructure de tarification et réagissent, de ce fait, au«prix marginal» (et non au «prix moyen»), en compa-

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Figure 1. Principaux types de structure tarifaire

(1) Le choix de la structure tarifaire est de la responsabilité de la com-mune, ou du groupement de communes si la responsabilité de la gestionde l’eau et/ou de l’assainissement lui a été déléguée. Les services d’eau etd’assainissement (les régies, ou les entreprises privées délégataires) ontuniquement un rôle de conseil.

Facture Facture Facture(€) (€) (€)

m3 m3

Binômem3

€/m3 €/m3 €/m3

m3 m3 m3

Forfait Volumétrique

DécroissantConstant Croissant

(i) Principales bases tarifaires

(ii) Forme de la partie variable

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rant en permanence l’utilité d’un mètre cube d’eau sup-plémentaire consommé au prix à payer pour l’obtenir.De plus, ils sont présumés être sensibles au prix de l’eauet vouloir diminuer leur consommation d’eau quand leprix augmente. Enfin, l’eau du réseau est supposée nepas avoir de substitut et être l’unique source possibled’approvisionnement en eau : le ménage a alors uni-quement à décider de la quantité d’eau du réseau qu’ilsouhaite consommer.L’atteinte de l’équité via la tarification peut être réaliséegrâce à l’instauration de mètres cube d’eau gratuits(donc d’une tarification volumétrique par paliers crois-sants). Nous la détaillerons plus loin car elle permetd’atteindre deux objectifs simultanément. L’équité peutaussi être approchée (c’est la solution que préconisentles économistes) en dissociant les instruments : une tari-fication pour l’efficience et un système d’aide (parexemple un montant fixe – indépendant de la consom-mation observée – attribué au ménage, en fonction dunombre de personnes qui le composent).Lorsque l’objectif principal est la couverture des coûts(supportés par les services d’eau et d’assainissement),deux types de structure peuvent être envisagés (si l’onfait l’hypothèse que les coûts supportés sont fixes, dansleur très grande majorité) : une tarification forfaitaire(ou avec une partie fixe très importante) et/ou une tari-fication par paliers décroissants. Ces deux types destructure présentent toutefois souvent le double incon-vénient d’être non incitatifs à l’économie d’eau (c’estd’ailleurs l’objectif même de la tarification par paliersdécroissants) et d’être un frein à l’accès à l’eau du plusgrand nombre (les premiers mètres cubes d’eau étantfacturés au prix le plus élevé).L’atteinte simultanée de plusieurs objectifs passe (prin-cipalement) par l’instauration d’une tarification bino-miale (FELDSTEIN, 1972). Ainsi, en choisissant demanière appropriée les montants de la part fixe et de lapart variable, une tarification «binôme simple» peutpermettre à la fois d’être efficient et de couvrir les coûts.De même, pour être efficient tout en garantissant unaccès à l’eau au plus grand nombre d’usagers (objectifd’équité), il est possible d’adopter une tarification par

paliers croissants : celle-ci permet en effet de proposerun certain volume d’eau à tous les usagers (grâce à untarif accessible) et de dissuader progressivement ou bru-talement (en fonction du nombre et du niveau despaliers) les consommations supérieures. L’atteinte dudouble objectif (efficience-équité) dépend cependantdu niveau du palier (qui doit être déterminé en fonc-tion des besoins essentiels à satisfaire), de la base de cal-cul de ce palier (le niveau de consommation est-il fixépour le ménage dans sa totalité, en fonction du nombrede personnes qui le compose, etc. ?) et du niveau destarifs progressifs.

Conclusion

Ainsi, la base de la structure de tarification est un for-fait et/ou un volume qui peut lui-même revêtir desformes variées (constant, croissant ou décroissant).Cette structure est construite en vue d’atteindre diffé-rents objectifs (efficience, équité, couverture des coûts).Mais ces objectifs ne seront réellement atteints que sicertaines hypothèses ont été vérifiées, comme la fixitédes coûts (lien entre l’objectif de couverture des coûtset une structure comportant une part fixe importanteou une part volumétrique décroissante) ou l’absence desubstituts à l’eau du réseau (lien entre l’objectif d’éco-nomie d’eau et la tarification par paliers croissants).

LA STRUCTURE TARIFAIRE EN FRANCE : UNE CONNAISSANCE QUI S’ARRÊTE EN 1992

Les pratiques de tarification de l’eau domestique enFrance ont évolué en fonction de contraintes pratiqueset de changements réglementaires ou législatifs au coursde quatre périodes, que nous allons présenter dans cettepartie. Si les deux premières périodes décrivent lesstructures tarifaires historiquement en vigueur, les deuxdernières ne feront qu’exposer les objectifs recherchéspar la législation.

Avant les années 1980 : surtout, encourager à consommer de l’eau du réseau

Le forfait a été un des moyens les plus usités pour fairepayer l’eau jusque dans les années 1980. Mais l’absencede comptage ne signifiait pas pour autant une tarifica-tion uniforme. Celle-ci pouvait en effet dépendre(GOUBERT, 1986; MENETRIER, 1991; R.I.C., 1989) dunombre de personnes résidant dans le logement (Paris,règlement de 1881), du confort du logement (nombrede points d’eau, d’appareils consommant de l’eau, oude pièces), de la surface habitable ou de la valeur fon-cière, voire de la participation à l’investissement initial :ainsi, «à Argelès (Hautes-Pyrénées), l’eau avait été ven-due à titre perpétuel et ne coûtait que très peu auxconsommateurs, du moins à ceux d’entre eux qui

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Figure 2. Les structures de tarification de l’eau et les objectifsrecherchés

b/(a*120+b)(%)100% (forfait)

Couverturedes coûts

+Efficience (?)

Couverture des coûts via le forfait

Couverturedes coûts via laconsommation

Efficience Équité (?)

(croissant)[(a2-a1)/a1]>0

(décroissant)[(a2-a1)/a1]<0

0%(volumétrique)

(constant)

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avaient eu assez d’argent pour investir de la sorte»(GOUBERT, 1986).En réalité, les communes qui appliquaient un forfaitstrict (sans comptage de la consommation d’eau)étaient peu nombreuses : selon une enquête duFonds National d’Adduction d’Eau Potable (BALLAY,1991) portant sur 494 collectivités françaises, seuls3 % des communes en zone rurale (et aucune, en

zone urbaine) tarifaient de cette manière. Et lesquelques communes qui appliquaient le forfait sem-blaient l’avoir fait dans le cadre que définira plustard la loi sur l’eau en 1992 : dès que des problèmesde ressource se posaient ou quand des travaux deve-naient nécessaires, les communes posaient descompteurs et instauraient des tarifs binômes(R.I.C., 1989).

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[…] certains usagers pouvant avoir accès à une ressource en eau alternative, comme les puits privés ou les systèmes de récu-pération des eaux de pluie. (Le vendeur d’eau de Séville, Velasquez, 1620)

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Une tarification plus communément adoptée était detype «binôme avec un forfait minimum de consomma-tion» (qui s’apparente à une tarification par palierscroissants, avec un premier palier non-facturé) et s’ap-pliquait plutôt dans les zones rurales : en 1985, cettetarification concernait 54 % des collectivités rurales et45 % des collectivités urbaines. Cette tendance estconfirmée par une étude conduite sur les gestionsdirectes en région parisienne (PIQUET, 1988) : plus ons’éloigne du centre de Paris, plus les communes adop-tent une tarification avec forfait. Mais aucune nesemble avoir opté pour une tarification strictement for-faitaire.Les communes avaient recours à la structure bino-miale avec forfait minimum (ou à la structure for-faitaire) pour trois raisons principales. Tout d’abord,l’objectif était d’encourager les ménages à consom-mer au moins un volume minimum d’eau du réseaupublic. Les raisons étaient d’ordre sanitaire (avoiraccès à de l’eau potable) (JOUSSEAUME, 1979), tech-nique (un volume minimum est en effet indispen-sable au bon fonctionnement du réseau d’assainisse-ment, qui exige un certain débit) (JOUSSEAUME,1979) et d’incitation (pour inciter les ménages àabandonner les captages individuels) (LAPEYRE,1988). Ensuite, ce type de structure garantissait unrevenu régulier aux services d’eau et d’assainisse-ment (BOISTARD, 1993), tout en établissant unniveau de prix acceptable (du fait du grand nombredes consommateurs) (LAPEYRE, 1988). Enfin, celapermettait de faire payer plus cher les abonnésconsommant très peu d’eau (comme les populationssaisonnières en basse saison) (BOISTARD, 1993).

Les années 1980 : ne pas gaspiller l’eau

Mais ce forfait était décrié car il n’incitait pas lesménages à économiser l’eau. Il décline progressivementdès le milieu des années 1980, avec l’abandon du mini-mum de consommation, ou au moins sa réduction, auprofit d’une tarification binomiale sans forfait ou volu-métrique (FNDAE, 1992).Cette tendance est appuyée par des organismesnationaux, qui invitent les communes à ne pas pra-tiquer de tarification forfaitaire. Ainsi certains(Comité National de l’Eau, 1979) préconisent plu-tôt d’utiliser une tarification binomiale par palierscroissants (avec un premier palier faiblement factu-ré) et, dans les cas où les communes souhaitent gar-der un volume forfaitaire gratuit, de ne pas dépasserpour celui-ci 40 m3 par an. D’autres limitent stric-tement la part forfaitaire à 30 m3 par an dans lestermes de référence des contrats type de délégationde service. En 1991, il n’y a plus aucun délégataireprivé dont le forfait minimum excède les 80 m3 paran (BALLAY, 1991). Plus généralement, le montantde ce forfait minimum est ramené, en moyenne, à43 m3 par an en 1990 (FNDAE, 1992).

Les années 1990 : une législation visant un double objectif (ne pas gaspiller l’eau et couvrir les coûts)

La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 (article 13) ne faitdonc qu’entériner une tendance vers plus de responsa-bilisation du consommateur. Elle interdit la pratiquedu forfait, et préconise la tarification volumétrique, oubinomiale.Cette loi met donc l’accent sur l’objectif d’efficience, enimposant un prix proportionnel à la quantité d’eauconsommée afin d’inciter les usagers à ne pas gaspillerl’eau dans les endroits où cette ressource est rare. Lacouverture des coûts apparaît comme un objectifsecondaire, mais bien présent, puisqu’une dérogationest prévue exceptionnellement si « la ressource en eauest naturellement abondante et si le nombre d’usagersraccordés au réseau est suffisamment faible, ou si lacommune connaît habituellement de fortes variationsde population» (point précisé ensuite dans le décretn° 93-1347 du 28 décembre 1993).L’aspect social est par contre dissocié : le Parlementadopte, dès 1992, une résolution précisant que toutepersonne a un droit d’accès à l’eau et qu’elle peut, de cefait, bénéficier d’une aide (SMETS, 2000). Cette disso-ciation est toutefois relative, l’aide étant financée pourpartie par les distributeurs d’eau, par un systèmed’abandon de créances, et donc par les autres consom-mateurs, (au moyen de la création d’un fonds de soli-darité) et non pas par le contribuable.

Les années 2000 : une directive européennecherchant à inciter à économiser l’eau, tout en couvrant les coûts

Une Directive Cadre Européenne sur l’Eau (DCE) a étéadoptée en 2000. En matière de tarification, elle précise,dans son article 9: «Les États membres veillent, d’ici à2010, à ce que la politique de tarification de l’eau inciteles usagers à utiliser les ressources de façon efficace etcontribue ainsi à la réalisation des objectifs environne-mentaux de la présente directive; les différents secteurséconomiques, décomposés en distinguant au moins lesecteur industriel, le secteur des ménages et le secteuragricole, contribuent de manière appropriée à la récupé-ration des coûts des services de l’eau, sur la base de l’ana-lyse économique réalisée conformément à l’annexe III etcompte tenu du principe du pollueur payeur».Chaque pays européen doit donc transposer la DCE auniveau national. En France, cette transposition a faitl’objet de nombreux débats, en particulier sur la struc-ture tarifaire. Un premier projet de loi a été discuté,puis suspendu, en 2002. Il aurait eu pour conséquencede renforcer l’aspect incitatif, en proposant de suppri-mer ou de restreindre très fortement la possibilité d’unepart fixe dans la facture d’eau. Ceci a provoqué un vifdébat à propos de cette dernière, débat portant sur sabase de facturation, son montant, voire même sa légiti-

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mité. Deux arguments contraires étaient en présence :d’un côté, les services des eaux arguaient du fait que lescoûts supportés étaient dans une large mesure indépen-dants des volumes d’eau distribués et, de l’autre, lesreprésentants des consommateurs estimaient la part fixeinjustifiée et demandaient son retrait, mettant en avantle constat que, d’une part, certaines communes(comme Marseille) n’en avaient pas et que, d’autre part,d’autres services publics ne la pratiquaient pas (commela téléphonie mobile,…).Mais la jurisprudence (SIMONNET, 2002) réaffirme lalégitimité de la part fixe, et la nouvelle loi sur l’eau (pro-mulguée le 30 décembre 2006) valide la possibilitéd’appliquer, en l’encadrant (comme le souhaitait leSénat), une part fixe à l’eau et à l’assainissement (2).L’article 57 de la nouvelle loi précise également lesobjectifs de la tarification, qui sont beaucoup plusambitieux que ceux fixés par la loi sur l’eau de 1992. Ilest en effet fait référence, plus ou moins directement, àdeux objectifs : efficience et couverture des coûts.L’objectif d’allocation optimale de la ressource en eauest affirmé: la structure tarifaire doit inciter les usagersà l’utiliser au mieux. Ainsi, la loi statue non seulementsur les bases tarifaires (comme dans la période précé-dente) mais également sur la forme de la tarificationvolumétrique. La tarification par paliers décroissants estainsi réservée, à partir de 2010, aux seules zones où laressource est naturellement abondante et dont la distri-bution ne fait pas l’objet – à plus de 30 % – de règlesde répartition des eaux (l’eau étant alors considéréecomme limitée). Deux nouveaux concepts apparaissentexplicitement dans ce projet de loi, qui vont dans lesens d’une allocation efficiente : la tarification progres-sive et la tarification saisonnière.L’objectif de couverture des coûts réapparaît claire-ment, par la légitimation de la part fixe et par la priseen compte des situations affectées de variations saison-nières. Il est également fait explicitement référence auxéventuels «passagers clandestins» du service d’assainis-sement (qui rejettent leurs eaux usées dans le réseaupublic d’assainissement, sans payer le service associé).En effet, il est prévu la possibilité d’obliger les «usagersraccordés – ou raccordables – au réseau d’assainisse-ment à installer un dispositif de comptage de l’eauqu’ils prélèvent sur des sources autres que le réseau dedistribution». Une des hypothèses formulées dans lapremière partie du présent article est donc remise encause : il existe des substituts à l’eau du réseau, car cer-tains ménages ont d’autres possibilités d’approvisionne-ment en eau pour satisfaire tout ou partie (notammentles usages extérieurs) de leurs besoins. Ils peuvent ainsiprélever de l’eau dans la nappe phréatique (via un puitsou un forage), récupérer de l’eau de pluie ou utiliser

l’eau non-potable des réseaux d’irrigation. Ainsi, lafuture loi fait un pas de plus dans les préconisations,puisqu’il faut non seulement ne pas gaspiller d’eau maisinciter à l’économiser. De plus, cette future loi nerevient pas (sauf à interdire les cautions solidaires) surl’aspect social, qu’elle considère résolu par les décisionsadoptées précédemment.

Conclusion

En résumé, les objectifs de la tarification ont évolué aucours du temps : avant les années 1980, il s’agissaitprincipalement d’inciter les ménages à consommer del’eau du réseau public. À cela, de nouveaux objectifsont été graduellement ajoutés : ne pas gaspiller d’eau ;couvrir les coûts ; inciter à la prise en compte de la rare-té de la ressource. On a ainsi observé, avant la loi de1992, la disparition progressive de la pratique courantedu forfait. Par ailleurs, comme le préconise la théorieéconomique classique, l’aspect social (garantir un accèsà l’eau pour tous) a été dissocié.L’impact de la loi sur l’eau de 1992 sur la structure tari-faire n’a été, en revanche, que très modestement abor-dé. Les différents organismes qui l’ont suivi(Consommation Logement et Cadre de Vie, 2002;DGCCRF, 1999; IFEN, 2001) ont étudié l’évolutionde la structure tarifaire en supposant (hypothèse quiétait communément répandue) que la partie variable dela facture était constante : ils se limitaient ainsi àdemander une facture pro forma indiquant, pour uneconsommation type de 120 m3, le montant des partsfixe et variable. Or il est important de détailler les struc-tures tarifaires pour mieux les décrire et pour pouvoirévaluer les difficultés éventuelles auxquelles pourrontêtre confrontées les communes lors de l’application dela nouvelle loi sur l’eau. C’est ce que nous allons fairedans les parties suivantes, à partir d’une enquête réali-sée en 2003 (MONTGINOUL, 2004).

LA STRUCTURE TARIFAIRE EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX EN 2003

Un questionnaire de quatre pages a été envoyé à1 630 communes de France. Ces communes ont étésélectionnées selon la procédure de l’échantillonnagestratifié, en prenant en compte trois types de facteursestimés avoir un impact sur le choix de la structuretarifaire et disponibles à l’échelle nationale : la posi-tion géographique, la taille de la population et leniveau de population saisonnière. Le questionnaireétait structuré de manière à collecter de l’informationsur le type de gestion de l’eau et de l’assainissement,le détail de la structure tarifaire et éventuellement lestarifications spéciales en vigueur. Le taux de retour aété de 29 %, mais seules 429 réponses se sont avéréestotalement exploitables. Les éléments tarifaires pré-

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(2) «Ce montant ne peut excéder un plafond dont les modalités de cal-cul sont définies par arrêté des ministres chargés de l’intérieur, de l’envi-ronnement et de la consommation, après avis du Comité national del’eau et du Conseil national de la consommation» (article 57 - L. 2224-12-4 de la nouvelle loi sur l’eau du 30 décembre 2006).

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sentés ici ont été extrapolés de façon à se référer aux36 600 communes que compte la France. En conclu-sion, nous synthétiserons les résultats en présentantune typologie des communes selon la structure tari-faire choisie.

La tarification binomiale : la structure la plusadoptée

La structure tarifaire de la facture d’eau est très majori-tairement de type binôme (94 % des communes, soit93 % des habitants). La tarification volumétrique esttrès peu utilisée, en vigueur dans seulement 3 % descommunes (soit 6 % des habitants). Et la tarificationforfaitaire est anecdotique (3 % des communes) etchoisie par des communes rurales de très petite taille, cequi est quasiment négligeable, en terme de population.La structure de la facture d’eau est très fortementinfluencée par la part «eau potable» (Figure 3). Pour les61 % des communes qui disposent d’un assainissementcollectif (soit pour 92 % des habitants), la part «assai-nissement» est majoritairement facturée (pour 68 %des habitants) au volume.Pour une consommation de 120 m3, le prix moyen fac-turé en France en 2003 s’élève à 2,64 €/m3 (Tableau 1).Toutefois, cette moyenne cache de fortes disparités,39 % des communes n’ayant pas d’assainissement et nele facturant donc pas. Le prix moyen de l’eau potable(comprenant la distribution de l’eau, les redevances del’Agence de l’eau, du FNDAE et des VNF ainsi que laTVA) s’élève à 1,62 €/m3, et celui de l’assainissement,à 1,03 €/m3. En moyenne, la partie fixe facturée pour l’eau potables’élève à 31 €, ce qui représente l’équivalent de 29 m3

d’eau consommée. Elle est principalement perçue sous

forme d’abonnement (50 % des communes), et moinssouvent sous forme de redevance compteur (46 % descommunes). Notons que 13 % des communes décla-rent pratiquer à la fois une redevance location de comp-teur et un abonnement, et que 17 % des communesfacturent la partie fixe par logement (et non par abon-né ou selon la taille du compteur).Le niveau moyen de la partie fixe pour l’assainissement(presque exclusivement perçue sous forme d’abonne-ment) est faible : 11 € par an, ce qui représente l’équi-valent de 14 m3 d’eau consommée. Ceci s’explique sur-tout par le fait que l’assainissement est principalementfacturé au volume.Les communes sans assainissement collectif ont un prixde l’eau plus faible que les autres, mais une partie fixeplus importante, ce qui se traduit par un équivalentmètres cube d’eau consommés plus élevé (46 m3, contre23 m3).

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Tableau 1. Prix moyen de l’eau potable et de l’assainissement (2003)

Figure 3. Structure tarifaire des parties « eau potable » et « assainissement» en France

(base : consommation de 120 m3/an)

Eau potablePrix moyen (TTC)Part variable (TTC)Part fixe (TTC)Part fixe en équivalent mètres cubes

AssainissementPrix moyen (TTC)Part variable (TTC)Part fixe (TTC)Part fixe en équivalent mètres cubes

TotalPrix moyen (TTC)Part variable (TTC)Part fixe (TTC)Part fixe en équivalent mètres cubes

Communes avec assainissement collectif(61 %)

1,63 €/m3

1,36 €/m3

31 €29 m3

1,03 €/m3

0,94 €/m3

11 €14 m3

2,66 €/m3

2,36 €/m3

43 €23 m3

Communes sansassainissement collectif

(39 %)

1,36 €/m3

1 €/m3

41 €46 m3

1,36 €/m3

1 €/m3

41 €46 m3

Total

1,62 €/m3

1,35 €/m3

31 €29 m3

1,03 €/m3

0,94 €/m3

11 €14 m3

2,64 €/m3

2,28 €/m3

43 €23 m3

Eau potable Assainissement

Volumétrique Volumétrique Pas d’assainissementcollectif

BinômeBinôme Forfait Forfait

4%

■ % des communes■ % de la population

8%

39%

2% 6%

22%

63%

34% 27%

0% 3% 6%

93% 93%

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La nouvelle loi sur l’eau va ainsi obliger de nombreuses communes à adapter leur structure tarifaire pour générer d’avantage d’inci-tations à l’économie d’eau. (Publicité de 1898, par Georges Blott)

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Des formes variées pour la part variable de la factureSi 57 % des communes ont une part variable constan-te, les autres tarifient en utilisant des paliers (Figure 4).Le premier palier, dans notre échantillon, a un niveaumédian de 150 m3 pour l’eau potable (avec une moyen-ne de 308 m3 et un maximum de 2000 m3) et de100 m3 pour l’assainissement (avec une moyenne de142 m3 et un maximum de 1000 m3). Ces paliers sontprincipalement décroissants : seul 1 % des communes(mais représentant 5 % des habitants ; donc plutôt descommunes de taille importante) tarifient par palierscroissants et 3 % de manière complexe, c’est-à-direqu’elles pratiquent d’abord une tarification par palierscroissants puis décroissants (ou inversement).

Figure 4. Partie variable de la facture d’eau

Comme pour les bases de la tarification, la structu-re de la partie variable de la facture d’eau totale esttrès fortement influencée par la part « eau potable »(Figure 5). La partie variable de la part « assainisse-ment » est constante dans la majorité des cas (83 %des communes, soit 91 % des habitants) et la tari-fication par paliers n’est qu’exceptionnellementpratiquée (7 % des communes et 7 % des habi-tants).

L’existence de tarifications spéciales, même pour les ménagesCertaines communes pratiquent également des tarifica-tions spéciales : 33 % d’entre elles établissent ainsi destarifs industriels, souvent en appliquant une dégressivi-té au-delà de 6000 m3 ; 33 % des communes proposentun second compteur («vert») réservé aux usagers nerejetant pas les eaux dans le réseau public d’assainisse-ment et dont la consommation mesurée est exemptéede la part assainissement. Et 15 % des communes pra-tiquent un forfait assainissement pour les ménages (onpeut y ajouter 6 % des communes, qui l’ont mis enplace pour les ménages agricoles) qui s’approvisionnenten eau à partir d’une autre ressource que l’eau du réseaupublic de distribution (eau souterraine via des puits oueau de pluie) mais qui rejettent leurs eaux usées dans leréseau d’assainissement public. Comme nous le souli-gnions donc déjà dans la partie précédente, l’hypothèsed’absence de substitut est parfois fausse, ce qui conduitles communes – pour pallier les effets négatifs sur leurbudget assainissement – à imposer des forfaits (dansl’attente de l’application de la nouvelle loi sur l’eau quiimpose l’installation de compteurs). L’installation decompteurs verts, qui diminue environ de moitié le prixde l’eau payé, peut être également analysée comme unmoyen de lutte contre le développement des approvi-sionnements en eau de substitution.Enfin, 23 % des communes interrogées déclarent avoirchangé de structure tarifaire au cours des années 90,principalement (à 45 %) pour se mettre en conformitéavec la loi sur l’eau de 1992, mais aussi pour apporterdavantage d’équité ou pour harmoniser les structurestarifaires de communes qui se sont regroupées. Peu decommunes prévoyaient – lors de l’enquête en 2003 –de modifier leur structure tarifaire dans les années àvenir. Il semblerait que les conséquences financières del’article 93 de la loi SRU du 13 décembre 2000 (devantentrer en vigueur au plus tard le 6 février 2004) sur lebudget de l’eau n’aient alors pas été totalement esti-mées : le relevé des compteurs étant coûteux, le fait de

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Figure 5. Partie variable des parts « eau potable» et « assainissement»

(a) Eau potable (b) Assainissement

Constant Décroissant Complexe Croissant Forfait

Simple Paliers Complexe Paliers Forfaitdécroissants croissants

Simple Paliers Complexe Paliers Forfaitdécroissants croissants

■ % des communes■ % de la population

57%

71%

71%

58%

35%

19%

83%

7% 3% 0% 0%

9%

2% 1% 4% 0%

3% 2% 6%

3% 3%

3% 1% 5%

3% 0%

4%

20%

■ % des communes■ % de la population

■ % des communes■ % de la population

36%

91%

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permettre une individualisation des compteurs d’eaupeut, dans les communes avec une faible partie fixe ousans partie fixe, induire une augmentation non négli-geable des coûts supportés. Notons que, dès 2004, leresponsable du service de l’eau de la FNCCR(Fédération Nationale des Collectivités Concédantes etRégies) soulignait ce problème, auquel certaines com-munes commençaient à être confrontées.

Conclusion : typologie des communes en fonction de la structure tarifaire

L’eau est donc tarifée en fonction de modalités variées,même si la base de tarification est plutôt de type binô-me. Dans cette partie, nous avons présenté les diffé-rentes structures en vigueur en France métropolitaineselon leur représentativité statistique. Nous complé-tons, dans cette conclusion, cette approche par la pré-sentation d’une classification des communes selon lastructure tarifaire en vigueur, réalisée à l’aide d’une ana-lyse des données (utilisant la méthode de Ward). C’estla répartition en six groupes qui semble la plus perti-nente et les deux principales dimensions qui expliquentles différences de choix sont la taille de la commune etle niveau de la population saisonnière (Figure 6).

Figure 6. Typologie des communes selon la structure tarifaire del’eau

Notons au préalable que la tarification binomiale sanspalier est indifféremment utilisée par tous les types decommunes. Les autres modes de tarification s’avèrentêtre choisis plus particulièrement par certains types decommunes.Ainsi, la tarification par paliers décroissants est particu-lièrement utilisée dans les petites communes (dansl’échantillon, la population moyenne d’une communepratiquant une telle tarification est de 427 habitants).Plus la commune est peuplée, plus elle tend à adopterune structure tarifaire «minimale» (sans palier, puisavec une partie fixe diminuant progressivement pours’annuler enfin) d’abord pour la part assainissement etfinalement aussi pour la part eau potable. Pour lespetites communes, la partie fixe est usuellement tariféepar abonné. Plus la commune est peuplée, plus cettepartie est facturée selon la taille du compteur, et plus on

rencontre de tarifications spéciales : tarification indus-trielle, compteur vert, forfait assainissement.Une commune confrontée à une forte population sai-sonnière (et donc à la nécessité de surdimensionner sesinstallations pour pouvoir faire face à des pics deconsommation) a quasi systématiquement une part fixe(si ce n’est un forfait) et semble préférer les structurespar paliers. Elle a aussi tendance à avoir une partie fixeplus importante, qui représente en moyenne l’équiva-lent d’une consommation de 67 m3/an (pour les com-munes de type 1 et 2). Une forte population saisonniè-re conduit enfin les communes (surtout de petite taille)à facturer la partie fixe par logement (et non pas parcompteur, ni par abonné).

LA STRUCTURE TARIFAIRE EN FRANCE : SES DÉTERMINANTS

Les résultats de l’enquête présentée dans la partie pré-cédente permettent de faire émerger les trois principauxdéterminants du choix de la structure tarifaire.

Une adaptation de la structure tarifaireantérieurement en vigueur

La tarification de l’eau actuelle est très fortementinfluencée par les structures préalablement existantes:les communes qui ont dû modifier leur structure tari-faire pour être en conformité avec la loi de 1992 (sur-tout celles ayant entre 500 et 3000 habitants), en aban-donnant la pratique du forfait, ont adapté leur structureplutôt que de la modifier radicalement. C’est le cas descommunes qui tarifaient l’eau avec une part fixe (b)donnant droit à un volume forfaitaire (V) «gratuit» etune part variable (a) pour tous les mètres cube excédantle quota initial. Après l’adoption de la loi sur l’eau de1992, le volume gratuit a été supprimé, la part fixe (b)réduite (à b’) et le premier bloc (jusqu’à une consom-mation de V) tarifé à un prix a’=[(b-b’)/V], avec a’<a. Lastructure tarifaire est donc restée identique (une tarifica-tion par paliers croissants, dans les deux cas). Seuls ontévolué les montants de la part fixe et du prix associé aupremier palier (passant de 0 €/m3 à a’€/m3).

La recherche de la couverture des coûts

Les équipements nécessaires à l’amenée de l’eaupotable et à la récupération des eaux usées sont trèscoûteux, ce qui explique une structure des coûts (d’ex-ploitation, de maintenance et de capital) avec unepartie fixe très importante. La proportion des coûtsfixes est d’autant plus élevée que les communes doi-vent dimensionner de manière prévisionnelle leursinstallations pour être en mesure de répondre à lademande de pointe. C’est pourquoi la structure bino-miale est majoritaire, les structures volumétriques

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Forte populationsaisonnière

Forfaitou

binômeavec un b

élevé

Binôme pour les parties eau et assainissement

+paliers

Oui

Non

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3 4 5 6Binôme

+paliers

Binôme+

décroissant

Binôme+

constant

volumétrique+

constant

< 500 [500-3000] [3000-10 000] [10000-100000] > 100000

Population de la commune

Partie fixe élevée Partie fixe faible ou nulle

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concernant plutôt les grandes communes qui bénéfi-cient d’économies d’échelle, et la partie fixe de la tari-fication étant plus importante dans les petites com-munes (Figure 7).Le réseau est également souvent surdimensionné, afind’anticiper une augmentation future de la demande.Cela explique la tendance de nombreuses communes àinciter à consommer de l’eau plutôt qu’à l’économiser ;ainsi, des communes proposent des «compteurs verts»et d’autres adoptent une tarification par paliers décrois-sants. Notons que ces deux types de tarification visentprincipalement les ménages qui disposent d’un jardinet/ou d’une piscine puisque, dans le cas d’une tarifica-tion par paliers décroissants, le niveau médian du pre-mier palier est de 200 m3.Cette structure permet également de lutter contre ledéveloppement de la production d’eau individuelle(principalement via la construction de puits ou deforages) qui est de plus en plus choisie pour satisfaireles usages en eaux extérieurs et parfois aussi certainsusages à l’intérieur de la maison (MONTGINOUL, 2006).Outre le problème environnemental (augmentation dela quantité d’eau totale utilisée, à savoir l’eau du réseau+ l’eau « individuelle »), les communes sont parfoisopposées au développement de l’auto-approvisionne-ment : elles sont en effet dans l’obligation d’assurer unservice de distribution d’eau publique en cas dedéfaillance de la ressource privée (en particulier lors-

qu’il y a sécheresse), ce qui les oblige à surdimension-ner leur réseau.

Une recherche de répartition « juste » des coûtssupportés

Enfin, la structure tarifaire semble construite de maniè-re à répartir les coûts en fonction de la contribution dechaque usager à ces derniers : on recherche alors l’égali-té de traitement des usagers.Ainsi, pour répartir égalitairement les coûts entre la popu-lation permanente et saisonnière, les communes ayantune population saisonnière conséquente ont tendance àavoir une partie fixe importante sur la facture d’eau.Cette volonté de répartir égalitairement les coûts fixesexplique aussi que les petites communes soient davan-tage intéressées par une partie fixe fondée sur une baseindividuelle (le logement, là où la population saison-nière est importante) plutôt que sur une base collective(comme le compteur ou l’abonné).Enfin, cela explique pourquoi les communes qui ontaffaire à des ménages disposant de leur propre eau (depuits ou de pluie) (soit 15 % des communes, selon l’en-quête) cherchent à couvrir les coûts d’assainissement àl’aide d’une tarification forfaitaire. En effet, en l’absen-ce de tarification de ce type, ce sont les autres usagersqui supportent les coûts d’élimination des eaux usées deces ménages.

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Figure 7. Les structures tarifaires de l’eau pour les 429 communes enquêtées

Légende :1 : moins de 500 habitants2 : 500-2999 habitants3 :3 000 -9999 habitants4 :10 000-99999 habitants5 : plus de 100000 habitants

b/(a*120+b) (%)

[(a2-a1)/a1]<0 [(a2-a1)/a1]>0

100 %(forfait)

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Conclusion

Contrairement à l’objectif sous-tendu par la loi (écono-miser l’eau), les modalités tarifaires en vigueur cher-chent plutôt à couvrir (égalitairement) les coûts.Et aucune des communes enquêtées ne pratique detarification saisonnière (type de tarification envisagéedans la future loi sur l’eau), même si celle-ci est suppo-sée pouvoir lisser la demande et éviter ainsi un surdi-mensionnement des installations d’eau potable et d’as-sainissement. Mais comment pourrait-on inciter àreporter la consommation d’eau estivale sur la périodehivernale ? Et puis, cette structure ne présente-t-elle pasde nombreux inconvénients ? Tout d’abord, elle néces-site de relever les compteurs deux fois par an (et aumoment exact du changement de tarif, ce qui impliquede disposer de systèmes de relevés télémétriques). Cettetarification saisonnière doit, par ailleurs, être compré-hensible par les consommateurs pour avoir l’effetescompté. Ensuite, elle ne peut réduire la consomma-tion d’eau de pointe que si les usagers sont sensibles auprix de l’eau. Or, en été, les populations saisonnières(comme, par exemple, les touristes) sont souvent consi-dérées comme moins sensibles au prix de l’eau que leshabitants permanents. De même, il est délicat, pourune commune, de faire l’hypothèse d’une élasticité dela demande car, si ce n’est pas le cas, elle sera confron-tée à une pénurie d’eau. Enfin, la tarification saisonniè-re peut inciter les habitants à chercher leur propreapprovisionnement en eau, comme l’eau souterraine oul’eau de pluie. Si cela a un intérêt en terme de dimen-sionnement des infrastructures liées à l’eau potable(sauf en cas de sécheresse, les usagers se tournant versl’eau du réseau), c’est dangereux pour l’équilibre dubudget assainissement et surtout pour la ressource eneau (les ménages ayant ainsi tendance à consommerdavantage d’eau que s’ils s’approvisionnaient unique-ment grâce au réseau).

CONCLUSION

En résumé, la forme de la structure tarifaire de la fac-ture d’eau répond à l’objectif des communes : couvrirde la manière la plus égalitaire possible les coûts (quisont surtout fixes) induits par la distribution de l’eaupotable et par la collecte et le traitement des eauxusées. De plus, comme les communes dimensionnentleurs installations pour tenir compte de la demandede pointe (et aussi des prévisions d’augmentation dela demande en eau dans le futur), elles ont plutôt ten-dance à proposer des structures tarifaires qui incitentles usagers à consommer de l’eau. Compte tenu de cetobjectif prépondérant de couverture des coûts, et lors-qu’elles ont été obligées, du fait de la loi, de modifierleur structure tarifaire de l’eau, les communes n’ontprocédé qu’à une simple adaptation d’une structuretarifaire antérieurement en vigueur. Cela explique la

prépondérance de la structure binomiale et l’utilisa-tion fréquente (surtout dans les petites communes) detarifs décroissants. La nouvelle loi sur l’eau va ainsiobliger de nombreuses communes à adapter leurstructure tarifaire pour générer davantage d’incita-tions à l’économie d’eau (tarification par paliers crois-sants, tarifs saisonniers, etc.), en particulier dans lesrégions où cette ressource est limitée : 7500 com-munes sont situées sur des territoires classés en zonede répartition des eaux de surface et 8000 communessont dans ce cas, en ce qui concerne les eaux souter-raines (avec un chevauchement partiel sur certainescommunes) (SIDO, 2005). Ce changement ne sera pasfacile à mettre en œuvre : d’un côté, parce que l’objec-tif d’économie d’eau (avec l’hypothèse sous-jacente desensibilité de la consommation d’eau à son prix) entreen contradiction avec l’objectif de couverture descoûts (et avec la contrainte prévue par la loi d’enca-drer la partie fixe de la facture) ; d’un autre côté, parcequ’il repose sur l’hypothèse de non-substitution del’eau du réseau. Cette hypothèse est, nous l’avons déjàsouligné, parfois erronée (3), certains usagers(ménages, industries, etc.) pouvant avoir accès à uneressource en eau alternative comme les puits privés oules systèmes de récupération des eaux de pluie(MONTGINOUL et al., 2005). En effet, si la nouvelle loirenvoie à un futur décret pour préciser les conditionsd’installation de compteurs sur ces ressources alterna-tives, permettant ainsi aux communes de facturer leurtraitement lors de leur rejet dans le réseau public d’as-sainissement, elle ne résout pas le problème d’un gas-pillage éventuel (ces ressources étant considéréescomme gratuites par les ménages) et, de ce fait, elle nepermet pas d’atteindre l’objectif d’incitation à l’éco-nomie d’eau totale que l’on devrait obtenir, à l’échel-le d’un bassin versant. Ceci est d’autant plus vrai queles forages des ménages (en fait tous les usagers quiprélèvent moins de 1 000 m3/an) ne sont, la plupartdu temps, pas soumis à déclaration. Et l’incitation àsubstituer une eau alternative à l’eau du réseau pour-rait être d’autant plus importante (quand cela est pos-sible) que, si on interprète strictement la loi, les tarifs« verts » (concernant 33 % des communes et pouvantêtre considérés comme des tarifications dégressives)devraient logiquement disparaître. Ainsi, si la nouvel-le loi sur l’eau affirme le principe d’incitation des«usagers à utiliser les ressources de façon efficace »(article 9 de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau),les instruments tarifaires proposés et applicables sur laseule ressource maîtrisable (ici l’eau du réseau) peu-vent, dans certains contextes, avoir les effetscontraires. Une approche intégrée reste donc à trou-ver. ■

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(3) L’ampleur du phénomène est difficile à préciser et ses conséquencesfinancières également. Nous pouvons toutefois le rapprocher de deuxchiffres issus de l’enquête, à savoir 33 % de communes pratiquant untarif vert et 15 % ayant instauré un forfait assainissement (certainescommunes ayant les deux).

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Remerciements

L’auteur remercie Gabrielle Bouleau (Cemagref ) etJean-Daniel Rinaudo (BRGM) pour leurs commen-taires détaillés qui ont permis d’améliorer la premièreversion de cet article. Merci également à l’ensemble descommunes qui ont participé à l’enquête en y répondantet sans lesquelles un tel travail n’aurait pas pu aboutir.Cette recherche a bénéficié du support financier duMinistère de l’Écologie et du Développement Durable.

BIBLIOGRAPHIE

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Au début du XXe siècle, Frédéric Taylor forma-lise sa doctrine consistant, pour chaque postede travail, à déterminer expérimentalement

le meilleur mode opératoire et le rythme le plus effi-cace. Or, deux siècles plus tôt, on trouve unedémarche semblable en France. Les tayloriens fran-çais reconnurent, d’ailleurs, cette antériorité (1). Àla fin du XVIIe siècle, Vauban tente de rationaliser letravail de terrassement. Il propose d’en réglementerle rythme et la rémunération. Nous exposerons cettecurieuse anticipation, tout d’abord du point de vuede Vauban qui expérimente en situation réelle,

quantifie le travail humain et décide de l’organisa-tion de ses chantiers. Ce faisant, et c’est l’objet denotre deuxième partie, Vauban prend la place desentrepreneurs privés qui ont contracté pour les réa-liser ; mais les conditions de la production, àl’époque, ne donnaient pas à Vauban la liberté deréglementer ce travail. Dans une troisième partie,nous rappellerons les conditions historiques de l’éla-boration de la norme de Vauban et son rejet par leministre Louvois. Enfin, pour conclure, on jugerade l’utilité d’une telle norme à cette époque et de lasimilitude avec la doctrine de Taylor.

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VAUBAN, LA NORMALISATION DUTRAVAIL AVANT TAYLOR?

Vauban, en ses chantiers, avait-il les mêmes soucis de gestion que Taylordeux siècles plus tard ? Non, bien évidemment, mais il a imaginé unedémarche tout à fait novatrice pour l’époque, et on retrouvera chezl’économiste américain un même souci de rationaliser le travail et d’en réglementer rythme et rémunération. Dans son Instruction sur leremuement des terres, Vauban souhaitait quantifier les différentes étapesd’un processus, déterminer une norme de production et ainsi améliorer la productivité. Mais les appareils de mesure correspondant à l’ambition de Vauban n’existaient pas encore, les salaires prévus n’étaient pasindividualisés et les travaux vraiment répétitifs ne furent créés qu’avec la production industrielle de masse. Vauban voulait aussi conjuguerproductivité et faible salaire, à la différence de Taylor, pour qui une partie

des gains de productivité devait être retournée aux ouvriers. Autres temps, autreslieux ?

PAR Jean-Louis PEAUCELLE (*), PROFESSEUR DE GESTION, UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION, LABORATOIRE FACIREM

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* ([email protected]) (1) Jean CHEVALIER, 1928, La Technique de l’organisation des entreprises,Paris , Langlois, p. 14.

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LE TRANSPORT DESTERRES EN BROUETTE

Vauban s’intéresse au travailconsistant à transporter laterre en brouettes sur delongues distances (2). Ilorganise le transport parrelais de 30 mètres (3).L’ouvrier pousse une brouet-te pleine et la passe à unautre ouvrier. Il repart ensens inverse avec une brouet-te vide apportée par cetouvrier. Ainsi chaque ouvrieralterne un travail pénibleavec une brouette pleine etun travail facile avec unebrouette vide.Vauban fixe le travail « nor-mal » d’un ouvrier à 16 m3

par jour, transportés à lavitesse de 3 km/h. À ce tra-vail « normal » correspondune rémunération « norma-le » de 8 sols par jour, queVauban fixe proportionnel-lement à la tâche accom-plie. Nous allons voir com-ment Vauban identifie lanotion de travail normal,quels instruments il em-ploie pour le mesurer,comment il lui attribueune valeur salariale, et comment il allège la sur-veillance dans le système qu’il veut mettre en place.

Le relevé des travaux exécutés

Pour fixer sa norme de productivité, Vauban a exploitéles relevés de production fournis par ses conducteurs detravaux dans différents chantiers. Il ne semble pas qu’ilait donné de consignes précises pour faire varier lesconditions de travail et la rémunération. Le nombre dejournées travaillées par quinzaine, la durée du travail, lemode de rémunération des ouvriers changent sans qu’onen sache la raison. Le type précis de tâche (piochage,chargeage et transport) et la nature du sol ne sont pasindiqués. Les consignes particulières données auxouvriers manquent aussi. Ces comptes rendus montrent

une grande variabilité de l’or-ganisation du travail sur leschantiers de l’époque. Ladiversité de ces conditionspermet cependant de consi-dérer ces relevés commedécoulant d’« expériences »,comme Vauban les nommelui-même.Sur le chantier du fort deSarrelouis, l’ingénieur Riche-rand donne la production de13 ateliers occupés enjuin 1688 à faire du terrasse-ment (voir Tableau 1).L’ampleur du travail desbrouetteurs s’exprime envolume, multiplié par la dis-tance. La norme de Vaubanest d’environ 450 m4 par jouret par personne (4). Pourchaque atelier, on peut calcu-ler cette productivité (voirTableau 2). Elle varie presquedu simple au double, selonles ateliers. L’atelier 4, le plusproductif, atteint presque laproductivité horaire fixée parVauban. La norme est doncalignée sur la productivitémaximale. Si certains ouvriersarrivent à produire ces quan-tités importantes, tous doi-vent le faire.

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(2) VAUBAN, 15 juillet 1688, Instruction pour servir au règlement du trans-port et remuement des terres. Manuscrit à la Bibliothèque Historique del’Armée, Vincennes, Cote MSS 8° N° 1. Ce texte forme le tome XI desOisivetés restées manuscrites du temps de Vauban et jamais éditées inté-gralement. Une édition partielle en a été faite au chapitre 8 du livre IIIde BELIDOR, 1729, La science des ingénieurs dans la conduite des travauxde fortification et d’architecture civile.

(3) Toutes les longueurs sont en toises, soit 1,95 mètre, arrondi ici à 2 mètres. Une toise3 vaut 7,4 m3, arrondis à 8 m3.

(4) Exactement 2 toises3 sur 15 toises, soit 30 toises4/jour/personne ou434 m4/jour/personne.

Cet homme […] a pris le temps de jeter sur le papier desidées diverses tout à fait novatrices. Il les a rassembléessous le titre humoristique de Oisivetés. (Page des Oisivetésde Vauban)

Tableau 1 - Extrait des expériences sur le transport des terres parRicherand à Sarrelouis (tiré de Michèle VIROL, 2003, Vauban dela gloire du Roi au service de l’État, Champ Vallon, p. 188)

Nombre hommes

Ouvrage par jour en toises, pieds, pouces

Nombre de brouettes par toise cube

Chemin en montéeChemin en plaine

Prix de la toise cube

Gain/jour/personne

Heures faites

Atelier 1

8

7t 3p 0p

218

024 toises

18 sols

16 sols

9

Atelier 4

6

3t 4p 4p

220

042 toises

22s 6d

13 sols

9

Atelier 10

5

2t 1p 7p

227

1115t 4p 6p

19s 3d

8 sols

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La quantification du travail

Pour connaître la productivité, Vauban mesure tous lesaspects du travail. Il définit la durée du travail « nor-male », la distance de transport, le volume de terretransporté. À cette époque, ces questions sont nou-velles, ne serait-ce qu’en raison du manque d’instru-ments pour observer précisément. Les heures sontcomptées approximativement, les volumes de terresmesurés avec une faible précision. Les distances sontplus précises, mais les pentes ne sont pas estimées. Leschantiers ne disposaient pas des appareils de mesurecorrespondant à l’ambition de Vauban de quantifier letravail. Le souci de « standardiser» bute sur l’impréci-sion des chiffres qu’on peut obtenir à l’époque.

• La longueur des journéesSur le chantier de Maintenon, en 1686, Louvois aréglementé les journées à 11h30, commençant à 4h30jusqu’à 7h30 puis de 8h30 à 11h30 et de 14 heures à19h30 (5). Ces journées harassantes ne correspon-daient probablement pas à la réalité. Il faut en effet dis-tinguer le temps de présence sous l’autorité des entre-preneurs et le temps de travail effectif.Dans son instruction sur le remuement des terres,Vauban scande le travail de pauses plus rapprochées. Ildistingue ainsi mieux travail et repos. Il veut faire tra-vailler les ouvriers 10 heures par jour en quatre périodesde deux heures et demie de travail continu, entrecou-pées de pauses d’une demi-heure à deux heures, pourles repas. Il propose de :« fixer le temps du travail à 10 heures par jour & celuidu repos à trois qui font en tout 13 heures de sujétioncommençant le travail à cinq heures du matin pour êtreà cinq heures et demi en train, le quitter à huit heurespour déjeuner une demi-heure, le reprendre à huit heures

et demi pour le quitter derechef à onze et aller dîner, puisle reprendre à une heure, pour le quitter à trois et demi,enfin le reprendre à quatre pour le quitter tout à fait àsept ».Cette réduction des temps de travail et de présence surle chantier (13 heures, au lieu de 15 heures) permetd’intensifier le travail de 50 %, parce qu’il est payé à latâche.«10 heures de travail d’un homme qui a pour chassavantson intérêt en valent du moins 15 d’autre qui a sa jour-née réglée ».De plus, les horaires dépendent des saisons. Leshoraires indiqués plus haut sont ceux de l’été. En hiver,les journées sont courtes, les ouvriers travaillent moinslongtemps et gagnent moitié moins. Vauban dit nette-ment :«On pourra soutenir le travail sur ce pied huit mois del’année à savoir mars, avril, mai, juin, juillet, août, sep-tembre, octobre. Pour les quatre autres mois qui sontd’hiver, on pourra retrancher le déjeuner et les goûters etréduire le temps de travail à sept heures pendant les-quelles je suis persuadé que les ouvriers ne feront guèreplus de demi-journée d’été à cause du froid & du mau-vais temps. »Ces règles concernant la journée de travail ne doiventpas faire illusion. On n’avait pas d’horloge sur le chan-tier. Les rythmes de la journée de travail étaient impré-cis sur le terrain faute de mesure fiable. On indiquaitprobablement les pauses et la reprise du travail avec dessonneries. À Sarrelouis, les relevés indiquent des tempsde travail très dispersés. La durée du travail la plus fré-quente est de 9 heures, mais seulement dans trois cassur treize. Ces durées sont très inférieures à celles desordres de Louvois et du règlement de Vauban.

• Le nombre de jours ouvrésLa quantité de travail fourni dépend du nombre dejours travaillés. Il n’y avait pas de vacances, mais lesdimanches et fêtes interrompaient le travail. PourVauban, le repos dominical devait être respecté, non

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Norme deVauban

30

3

8

0,27

Atelier 1

8

180

22,5

2,5

6

0,75

Atelier 4

6

156

26

2,9

7

0,54

Atelier 10

5

73 (corrigé pourla montée)

15

1,6

4

0,60

Moyenne destrois ateliers

21,5

2,4

5,8

0,64

Tableau 2 - Productivité et coûts dans les ateliers du tableau 1

Nombre d’hommes

Volume transporté en toises4

Productivité en toises4/homme/jour

Productivité en toises4/homme/heure

Salaire selon la norme de Vauban en sols/homme/jour

Coût salarial du transport en sols/toise4

(5) Cité par VIROL, 2002, « Réglementer le travail des soldats-ouvriers,un projet de Vauban en 1688 », Congrès national du comité des travauxhistoriques, note 35.

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pour une raison religieuse mais pour éviter les fatiguesextrêmes. Il fallait :« chômer tous les dimanches mais non les fêtes, commeétant certain qu’on ne gagne rien au travail desdimanches par la raison que tout homme qui a travaillésix jours de suite a besoin de repos le septième, car il estsûr que ce que l’on gagne ce jour se perd sur la vigueurdes six d’après, n’étant pas possible que les hommes puis-sent supporter treize jours de suite un gros travail demême force, aussi faut-il faire de grandes violences pourles y contraindre et la lenteur avec laquelle ils s’en acquit-tent est un témoin irréprochable de leur lassitude qui neparoit que trop dans leur santé, sur leur visage et dansleurs tailles. »Cependant Vauban ne peut passer sous silence la règlecatholique, sans trop y croire.«Le dimanche ou équivalent est d’institution divine,dont aucun d’eux ne peut se dispenser, c’est le jour durepos consacré au Seigneur. »Pour l’Église, les fêtes aussi sont chômées. Il y en avaitun grand nombre. Réduites à 30 en 1666, une vingtainede nouvelles étaient réapparues vers 1700. En moyen-ne, on travaillait à peu près 5 jours par semaine, sur lechantier de Maintenon, de 9,5 à 11,5 jours par quin-zaine, jamais 12 jours entiers (6).«Les fêtes de l’année ont été faites par les hommes, ainsiils peuvent s’en dispenser ».Le nombre de fêtes chômées était donc discuté. Il étaitarbitraire et, dans cette marge de manœuvre, Vaubanpense que le meilleur est de les supprimer (7). Il pro-pose de ne pas respecter ces fêtes, religieuses ou autres.Il cherche à faire travailler le plus possible ses ouvriers,tout en sachant qu’ils doivent se reposer pour conserverleur force de travail.

• Le volume des terres«Les terres seront mesurées & réduites à la toise cubedans les lieux de leur déblai ».Le volume est mesuré à l’issue du transport, en terresmeubles. Les ingénieurs placent des piquets sur les lieuxde déblai, avec les hauteurs à atteindre. Ces mesures ontune forte incertitude dépendant des erreurs sur les hau-teurs, les pentes et le degré de tassement. Pour être sûrde sa norme, Vauban aurait dû fiabiliser ces mesures devolumes.Le volume transporté par brouette est de 30 litres envi-ron (8). Il en faut 500 pour la norme de travail journa-lier. Le rythme est de 36 secondes pour un relais à plei-

ne charge et 36 secondes à vide. Les brouetteurs par-courent 30 km en 10 heures.

• Les distances et la penteLes distances sont décomposées en relais de 30 mètres.La distance totale n’est certainement pas un multiple de30 mètres. Vauban demande d’ajuster la longueur desrelais, de manière qu’il faille le même temps pour lesparcourir. Les brouetteurs fournissent alors le mêmeeffort, avec le même rythme.Si le chemin monte, par exemple à partir d’un fossé, lesrelais sont raccourcis à 20 mètres, avec la même rému-nération par relais. Quelle imprécision ! Il aurait certai-nement fallu mesurer les pentes et régler plus précisé-ment les chemins montants. En fait, Vauban laisse lesingénieurs libres de raccourcir les relais autant qu’il lefaut pour conserver le rythme de la chaîne. Les 20mètres n’ont qu’une valeur indicative.Ainsi, malgré la volonté de Vauban, même sur le travailrépétitif de brouettage, il est difficile de quantifier pré-cisément le travail, donc d’imposer une norme tout àfait exacte. Et pourtant, ces bases incertaines servent àcalculer les salaires.

La rémunération normale

Vauban fixe un salaire proportionnel à la production(9), 8 sols par jour si le travail est exécuté selon lanorme de productivité fixée précédemment. Ce salairene s’interprète qu’en fonction des autres salaires del’époque, notamment la rémunération des soldats, maiscelle-ci était fixe, à la journée.Au XVIIe siècle, le Roi de France maintenait toute l’an-née une armée de métier sous les drapeaux et il rému-nérait ses soldats par une solde (10). Au moment oùVauban a écrit son texte, la solde était de 10 sols. Le Roiy était attentif car elle déterminait l’ardeur des soldatsautant que leur nombre.« Tant que la solde a été suffisante […] on a facilementfait des soldats en France. Beaucoup s’engageaient volon-tairement dans les corps et y servaient bien » (11).Ces salaires étaient versés pendant les mois d’été, lorsdes campagnes. Pendant l’hiver, les troupes prenaientleurs quartiers chez l’habitant où ils étaient entretenuspar un impôt local spécifique pour la nourriture, esti-mée par Louvois à 2 sols par jour et par personne. Ona très vite eu l’idée de faire travailler ces soldats désœu-vrés en temps de paix. Ils étaient occupés comme

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(6) VIROL, 2002.

(7) Dans un autre texte, Vauban estime qu’on travaillait environ 180jours par an sur les chantiers en plein air. Il déduisait 50 jours d’intem-péries et 25 jours de maladie.

(8) 218 à 230 brouettes pour une toise3. Vauban prend le chiffre arrondide 250, soit 30 litres par brouette.

(9) À l’époque, il n’était pas rare que les ouvriers soient payés à la tâche,notamment pour le travail à domicile. Le tarif de ces travaux artisanauxétait fixé par la coutume, sous le contrôle des autorités publiques.

(10) Le mot « soldat » vient de l’italien soldo la paye (la solde), qui adonné aussi le mot « sol » ou « sou ». Sous Henri IV, la solde était de 6sols par jour, pour une armée de 125000 hommes. Louis XIV a fait pas-ser son armée à 350 000 hommes, en les payant 1,5 sol vers 1670. Il enest résulté les difficultés bien connues pour recruter et pour éviter ladésertion des soldats. Le capitaine était payé comme six soldats. Le colo-nel comme deux capitaines. Sur la solde, les capitaines prélevaient 1 solpour l’habillement et l’armement.

(11) Albert de ROCHAS D’AIGLUN, 1910, Vauban, sa famille et ses écrits,Berger-Levrault, Tome 1, p. 270.

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manœuvres, sur les chantiers de fortification, parexemple. Ils étaient payés par les entrepreneurs (12).Un ouvrier travaillant pour le Roi percevait 10 sols parjour, indépendamment de la tâche accomplie (13). Lesoldat-ouvrier travaillant à la tâche devait en avoirautant. Vauban considère que la rémunération norma-le d’un soldat est de 8 sols par jour, s’ajoutant aux 2 solsdestinés à la nourriture, soit les mêmes 10 sols. Il faitmine de croire que ce salaire normal pourrait être consi-déré comme trop élevé. Il réplique qu’il faut permettreà l’ouvrier de se bien nourrir.«Les gens qui ont à soutenir un grand travail ne résistentpas longtemps s’ils ne sont bien nourris. Or ils le seronttoutes les fois qu’ils auront six ou sept sols par jour àdépenser et qu’on prendra garde à ce qu’ils soient bienemployés et qu’on leur voie manger de la soupe deux foiset boire quelque fois un peu de vin ».Le but est que le Roi ne soit pas « lésé », autrement ditque la rémunération ne soit pas trop forte, ni que « laperte retombe sur le soldat », c’est-à-dire que leur salairesoit trop faible. Vauban tente de concilier des intérêtscontradictoires.«Ne tombant point dans les extrémités du trop ou dutrop peu, [il] fera que les soldats s’efforceront de travaillerde leur bon gré, on n’aura pas la tête rompue de leursplaintes, et il ne sera pas nécessaire d’user de contraintepour les faire travailler, au lieu de quoi on est obligé deles forcer pour les y faire aller et souvent pour si peu dechose que c’est plutôt une imposition qu’on fait à leursbras, que le prix de l’ouvrage qu’on leur paye, ce qui lesdésespère et chagrine tellement que les uns désertent et lesautres tombent malades de peines et de fatigues et ceuxqui ont achevé le temps de leur enrôlement ne veulentplus continuer de servir, et en s’en allant décrient si fortle service qu’on a présentement toutes les peines dumonde à faire des recrues, joint que les troupes se ruinentd’ailleurs par les maladies et mortalités qui s’y mettent àforce d’être poussées et contraintes à faire plus qu’elles nepeuvent ».La norme de Vauban répond aux récriminations sala-riales qu’il a dû entendre sur certains chantiers.« Il est très possible de remédier aux inconvénients &d’ôter tout prétexte aux soldats de crier […] Chacungagnera suivant son travail, & aucun d’eux n’aura à seplaindre que de lui-même».Mais le niveau du tarif est essentiel au contentementdes ouvriers. Vauban fixe une rémunération trèsfaible. Il compare son « salaire au rendement » à une

« rémunération fixe » pour une production non déter-minée. Il aurait dû comparer aux salaires des ouvriersen situation réelle. Dans le tableau 1, on constate queles salaires journaliers à Sarrelouis varient de 8 à 16sols. Dans le tableau 2, on voit la rémunération qu’au-rait donné le système de Vauban. Elle est environ dela moitié (14). Pour conserver leur rémunération auxouvriers de l’atelier 4 de Sarrelouis, le plus productif,il aurait fallu payer le double. Vauban s’aligne sur laproductivité des meilleurs et réduit leur salaire. Ilaurait eu de graves difficultés sociales à appliquer sonrèglement (15). Cela s’explique sans doute par sa posi-tion au service du Roi. Il cherche à minimiser le coûtdes travaux, mais cela rend irréalistes ses recomman-dations.

La surveillance des travaux

Dans son système, Vauban abaisse le coût par une forteproductivité (16) et un salaire amoindri. Il veut aussilimiter les coûts indirects de surveillance. Le salaire à latâche permettrait d’alléger la surveillance du travail, lebesoin d’encadrement.«L’ouvrier qui est assuré de son gain ne se presse jamais,au lieu que celui qui ne gagne qu’autant qu’il travaille,n’a besoin d’autre chassavant que son propre intérêt ».Lorsque les ouvriers sont payés à la journée, pour lessurveiller et les pousser à travailler, des contremaîtressont nécessaires.« Il faut nécessairement un certain nombre d’inspec-teurs & de chassavants sur les ouvrages puisque rienn’est plus important que d’avoir des argus fidels sur lamain des ouvriers, qui observent leurs actions et les fas-sent diligenter […] J’en voudrois un pour les maçons,un autre pour les terrassiers, un autre pour les voitures,un autre pour la décharge des matériaux, s’il arrivoitque le nombre des ouvriers de même espèce fût fortgrand, il faut mettre un homme pour veiller à laconduite de cent autres […] Quatre hommes bienobservés font plus d’ouvrage que six autres qu’on aban-donneroit à leur propre conduite [… Il faut] avoirtoujours un homme fidel & intelligent dans la maçon-nerie qui ne perde jamais de vuë les maçons […] Onne doit jamais souffrir qu’ils travaillent aux heuresinduës, ni sans la présence de ceux à qui l’on auracommis le soin de les observer » (17)«Les maçonneries sur tout demandent une présenceactuelle, de même que la façon des mortiers, & le choix

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(12) En fait, les soldats ne recevaient pas la totalité de l’argent qu’ilsgagnaient dans ces travaux. Les capitaines prélevaient 2 sols par jour,pour l’usure supplémentaire des habits et un peu pour eux-mêmes.

(13) La « journée du roi » est au niveau du salaire des journaliers à lacampagne.

(14) Si on compte quelques personnes pour charger les brouettes dans cestrois ateliers, le salaire des brouetteurs est un peu plus élevé, de 5,5 à 8 sols.

(15) Vauban a utilisé d’autres observations, notamment les relevés desingénieurs Mesgrigny, Robelin, Vollant sur le chantier de Maintenon,

pour 15 régiments affectés à ce travail, pendant une année. Les rémuné-rations y étaient moindres, de 4 à 9 sols par jour, et les plaintes fré-quentes. Une analyse du travail de ces divers chantiers serait très instruc-tive. Malheureusement, ces relevés détaillés (AN 155 MI 39 et 58) nesont pas accessibles. Les archives de Vauban sont gérées par le marquisde Rosanbo, qui n’accorde pas le droit de les consulter.

(16) « Deux hommes à la tâche font toujours davantage que trois à la journée et jamais moins », soit 50 % d’augmentation de la producti-vité.

(17) Vauban, Le directeur général des fortifications, cité par BELIDOR, 1729,Troisième partie, p. 32.

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de l’emploi des pierres, il ne faut avoir sur cela aucuneindulgence » (18)Cette description est très intéressante. Elle montre uneorganisation des chantiers avec toute une hiérarchieintermédiaire et les problèmes de coordination qui enrésultaient à coup sûr. On parle rarement de ces contre-maîtres dans les des-criptions anciennes dutravail. Le plus étrangeest qu’ils dépendaientnon pas des ingénieursmilitaires, garants de labonne qualité du travailqu’ils avaient projeté,mais d’entrepreneursprivés.

LES ENTREPRENEURSAU SERVICE DU ROI

En lisant Vauban, onpourrait croire que leschantiers royaux étaientmenés par les ingé-nieurs militaires quelui-même dirigeait. Ilaurait eu la charge derémunérer directementles soldats-ouvriers.Or, ce n’était pas dutout le cas. Les chan-tiers étaient menés pardes entrepreneurs pri-vés qui payaient eux-mêmes les ouvriers ; et,autre particularité, larémunération n’étaitpas individuelle. Cetteréalité organisationnel-le change complètement le sens de la norme deVauban.

Les travaux sous contrat

Louis XIV a engagé de grands travaux : le château deVersailles et les places fortes de la frontière. Ces travauxétaient confiés à des entreprises privées. Depuis Sully,une procédure formelle était recommandée : l’appeld’offres, les enchères publiques, les contrats (19).Colbert a précisé ces procédures. Ces démarches noussont familières, dans la procédure des marchés publics.

Les ingénieurs du Roi établissaient un descriptif destravaux, qu’on nommait « devis » (20). L’idéal auraitété que le devis soit assez précis pour qu’on puissetravailler à « prix-fait », à forfait. Mais, la plupart dutemps, on ne connaissait pas précisément l’ampleurdes travaux. L’adjudication se faisait sur un prix uni-

taire des volumes partype de travaux, parexemple, pour la ma-çonnerie et pour lesterres déplacées. Lesingénieurs devaientalors surveiller les tra-vaux et noter chaquejour le travail fait. Siaucune mesure n’étaitpossible, le Roi contrac-tait selon un prix dejournée (travail en ré-gie).L’entrepreneur devaitfournir le matériel, lespioches, les pelles et lesbrouettes et aménagerle chemin avec desplanches pour que lesbrouettes avancent sansproblème. De plus, s’ille fallait, il installait despompes pour retirerl’eau des trous creusés.Les entrepreneurs co-opéraient sur les chan-tiers avec les ingénieursmilitaires qui, aprèsavoir décrit les travauxà accomplir, surveil-laient la qualité du tra-vail et estimaient lesquantités donnant lieuà la rémunération de

l’entrepreneur. Leurs relations étaient encore plusétroites quand la main-d’œuvre était militaire.Les ouvriers étaient des artisans locaux. Pour lestâches les plus faciles, comme le transport debrouettes, le Roi donnait éventuellement la main-d’œuvre levée pour la corvée (21). Il y affectait par-fois des soldats, quand il n’y avait pas de campagneen cours ou en préparation. Vauban parle de ce cas.Les soldats travaillaient donc sur les chantiers duRoi en étant payés par les entrepreneurs.Pour l’administration militaire, fixer le salaire versé parles entrepreneurs, c’est s’immiscer dans les manières de

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(18) Vauban cité par Michèle VIROL, 1997, Les Oisivetés de Monsieur deVauban, thèse EHESS, p. 274.

(19) Règlement de 1604, voir Hélène VÉRIN, 1993, La gloire des ingé-nieurs, Paris, Albin Michel, pp. 220-241.

(20) BELIDOR, 1729, livre VI, « De la manière de faire les devis ».

(21) Impôt sous forme de journées de travail.

Pour les tâches les plus faciles, comme le transport des brouettes, leRoi donnait éventuellement la main-d’œuvre levée pour la corvée. Il yaffectait parfois des soldats, quand il n’y avait pas de campagne en coursou en préparation. (Louis XIV, Roi de France. Gravure par Le Pautre)

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réaliser les contrats, ce qui ne figure pas dans les clauses.Certes il aurait été possible que le Roi détermine lessalaires de ses soldats occupés à ces travaux, mais celaaurait modifié les relations contractuelles. En recher-chant la manière de payer pour obtenir le travail le plusintensif, Vauban se place dans la position de l’em-ployeur, qui n’est pas celle de l’Administration.Cependant, le problème que Vauban soulève s’est poséà lui sur le chantier de Maintenon, où la contrainte àl’avancement des travaux a été celle du nombre de sol-dats qui y ont été affectés. Si ces hommes avaientmieux travaillé, le chantier aurait peut-être été achevé.Le pilotage des grands chantiers se faisait sous lacontrainte du calendrier des périodes de paix, durantlesquelles il fallait obtenir la plus grande quantité detravail possible.

Le bénéfice selon la distance de transport

Normes de travail et salaires sont donc ainsi à laconjonction de trois intérêts. Celui du Roi, qui veutque ses travaux lui coûtent le moins cher possible ; celuides ouvriers (le salaire à la tâche les incite à travailler leplus possible) et celui de l’entrepreneur («Les entreprisesne se font qu’en vüe du gain »). Sans dire qu’il se placede ce dernier point de vue, Vauban dresse un tableau duprix de revient du transport d’une unité de volume,selon la distance, en y incorporant les frais de l’entre-preneur. Naturellement, plus la distance est grande,plus le coût est élevé. L’entrepreneur contractait pourun prix fixe de l’unité de volume de terre transportée(22). Si les distances sont courtes, il fait un bon bénéfi-ce (voir tableau 3). À 500 mètres, le prix de revient estencore équivalent aux 140 sols que reçoit l’entrepre-neur (23).Les ingénieurs des places fortes calculaient la profon-deur des fossés de manière à ce que ceux-ci fournissentla quantité de terre nécessaire aux contrescarpes. Ilsorganisaient les fouilles et les déblais au fur et à mesurede l’avancement des travaux. La description préalable

n’évoquait pas la distance sur laquelle les terres seraienttransportées. Cela créait une forte incertitude dans tousces contrats, sur la main-d’œuvre nécessaire et sur lebénéfice de l’entrepreneur. La description des travauxaurait dû explicitement indiquer ces distances de trans-port.Quoi qu’il en soit, la norme de Vauban concerne sur-tout les entrepreneurs, qui paient et contrôlent les sol-dats-ouvriers. Ils y avaient intérêt, mais Vauban nes’adresse pas à eux. Il oublie aussi que le salaire estdonné à l’équipe.

Le salaire collectif par atelier

Le travail était réalisé en « ateliers » de piocheurs, pel-leteurs et brouetteurs. La même terre passait de l’unà l’autre, en suivant les relais. Le volume de terretransportée était défini pour l’équipe. Il n’était doncpas possible de rémunérer les ouvriers en fonctiond’un travail individuel. La rémunération était doncdonnée collectivement avant un partage entre lespersonnes. Contrairement à l’apparence, le salaireprévu par Vauban n’est pas un salaire individualisé(24). La norme de Vauban est une règle pour déter-miner la somme globale versée à l’équipe, qui larépartit ensuite.La difficulté vient de ce que l’équipe se compose debrouetteurs et de piocheurs-chargeurs. Le travail de cesderniers ne dépend pas de la distance mais de la duretédu sol. Vauban propose un système de rémunérationcomposite ; pour le transport, salaire proportionnel auxvolumes, comme on l’a vu ; pour le piochage, salairefixe de 8 sols mais nombre variable d’ouvriers selon laqualité du sol – terre arable ou roche dure, sol sec oudétrempé – afin de charger les brouettes au rythme desrelais.La totalité de la rémunération est donnée à l’équipe,qui la répartit entre les hommes. Si les piocheurs etchargeurs ont travaillé intensément, les brouetteursont transporté plus de terres. Alors, la somme glo-

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Tableau 3 - Coût de revient du remuement de 16 m3 (2 toises3) selon la distance de transport (d’après un tableau analogue établi parVauban)

Nombre de relais

1

2

3

10

15

17

Distance en mètres

30

60

90

300

450

510

Nombre d’hommes

1

2

3

10

15

17

Coût salarial en sols

8

16

24

80

120

136

Frais de l’entrepreneur

6

6

6

6

6

6

Coût de revient

14

22

30

86

126

142

(22) Prix souvent fixé à 3 livres 10 sols par toise3, soit 70 sols (BELIDOR,1729, livre VI, p. 80).

(23) Le bénéfice réel était moindre car il faut ajouter le coût du char-geage. De plus, les soldats étaient souvent payés à un tarif supérieur à

celui de Vauban. Enfin, l’entrepreneur avançait les frais et était payé avecun grand retard, parfois plusieurs années.

(24) On payait les mineurs de la même manière, au XIXe siècle, en fonc-tion de la quantité extraite par équipe, à charge de répartir la sommeentre eux, de manière égale ou selon l’effort de chacun.

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bale attribuée à l’atelier est plus importante et tousreçoivent plus. Les piocheurs profitent eux aussi dela proportionnalité de la rémunération comptéepour le transport. Ils ont intérêt à fournir desefforts.Pour le transport, la norme vient des expériences deVauban et paraît donc intangible. Pour le piochage etle chargeage, le nombre d’hommes dépend de l’ex-pertise de l’ingénieur sur la difficulté du terrain. S’ily met trop d’hommes, ceux-ci font moins d’effortspour alimenter la chaîne. Les transporteurs consti-tuent la contrainte de l’atelier. Ils sont incités à allerplus vite pour une rémunération globale élevée. Àl’inverse, si l’ingénieur ne met pas assez d’ouvriers aupiochage et au chargeage, ceux-ci n’arrivent pas àassurer la cadence du système des relais. L’atelier éva-cue un volume de terres inférieur à la norme deVauban. Tous les ouvriers sont pénalisés par un faiblesalaire. L’équilibrage du travail entre les piocheurs, lespelleteurs et les brouetteurs est l’élément essentielpour une bonne production de l’équipe. La norme debrouettage ne règle pas tous les problèmes du remue-ment des terres. Il subsiste encore une incertitude sur

l’équilibrage des équipes en fonction de la nature dusol.Malgré cette difficulté d’application, Vauban aidentifié le problème principal que doivent résoudreles conducteurs de travaux, celui d’égaliser la péni-bilité des travaux et les salaires correspondants. Sonsystème laisse « les ouvriers […] attraper ce qu’ilspourront par la force de leurs bras », et ôte « tout pré-texte aux soldats de crier ». Faute de règles, les salairessont arbitraires par rapport aux efforts demandés.Les ouvriers se plaignent d’injustice et ont moins decœur à l’ouvrage.La norme de Vauban sur la productivité et sur lessalaires s’interprète en fonction de l’organisationréelle des chantiers, avec les entrepreneurs et leurssurveillants comme intermédiaires entre les ingé-nieurs du Roi et les ouvriers. Il n’y a pas de salaireindividuel, mais un salaire par équipe, donné parl’entrepreneur en fonction de la difficulté de latâche, mais aussi en fonction des conditions aux-quelles il a obtenu le contrat. Or, Vauban a élaborésa norme quand il terminait un chantier particuliè-rement difficile.

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L’équilibrage du travail entre les piocheurs, les pelleteurs et les brouetteurs est l’élément essentiel pour une bonne production de l’équipe. (La construction d’un grand chemin, Joseph Vernet, XVIIIe siècle)

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LES CIRCONSTANCES DE L’ÉLABORATION DE LA NORME

Vauban a rédigé son texte au moment de la fermeturedu chantier de l’aqueduc de Maintenon, resté inachevé.Il tire les leçons de cet échec et essaye de comprendrecomment il aurait puréaliser cet ouvrage avecle même succès quedans les autres missions,techniques et militaires,que le Roi lui avaitconfiées.

L’aqueduc deMaintenon

Sébastien le Prestre,Marquis de Vauban(1633-1707) est issu de lapetite noblesse. Il futformé par le commissairegénéral aux fortifications,Louis Nicolas de Clerville(1610-1677). Il devintingénieur militaire à 22ans et, à 29 ans, il futchargé de fortifier la villede Dunkerque devenuefrançaise. Il participa àplus de 50 sièges. Il répa-ra, par ailleurs, plus de300 places fortes an-ciennes et en construisit37 nouvelles, sans comp-ter les ports militaires. En1703, il fut nomméMaréchal de France.Cet homme, toujoursoccupé à voyager d’unchantier à l’autre pourprojeter et pour sur-veiller les travaux, a prisle temps de jeter sur lepapier des idées diversestout à fait novatrices. Il les a rassemblées sous le titrehumoristique de Oisivetés (25).

Au cours de cette carrière bien remplie, il y a eu deséchecs. De 1683 à 1688, Vauban a été chargé du chan-tier du canal de 80 kilomètres devant amener l’eau del’Eure à Versailles, en coupant une boucle de cette riviè-re (26). Ce chantier considérable a commencé en 1685.Jusqu’à sept mille hommes y ont travaillé simultané-ment, dont deux tiers de soldats qui se relayaient pour

les terrassements (27).Les difficultés furentconsidérables, notam-ment à Maintenon,pour l’aqueduc franchis-sant la vallée, maréca-geuse à cet endroit.Beaucoup d’ouvriers dé-sertèrent ou tombèrentmalades du paludisme.Le chantier prit duretard et s’interrompità l’été 1688. Le texte deVauban date de cemoment-là (28).Auparavant, Vaubanavait dirigé de nom-breux chantiers où ilfallait transporter desterres. Mais, en troisans, avec des milliersd’ouvriers, il n’a paspu terminer ces tra-vaux. Il cherchait à lafois les raisons de cetéchec et une manièrede ne pas le renouve-ler. Pour cela, il fallaitmotiver les ouvriers etobtenir d’eux, le tra-vail le plus fort qu’ilspouvaient fournir. Lesalaire à la tâche luiparaissait excellent, àcondition de bien éta-lonner le tarif. Or,ce tarif à la tâche exis-tait pour le terrasse-ment, dans un règle-

ment antérieur dont Vauban s’inspire, tout en lecritiquant.

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Sébastien Le Prestre, Marquis de Vauban […], participa à plus de 50sièges. Il répara, par ailleurs, plus de 300 places fortes anciennes et enconstruisit 37 nouvelles, sans compter les ports militaires. (Des archi-tectes face à une maquette de forteresse de Vauban. Gravure françaisedu XVIIe siècle)

(25) Belidor confirme que Vauban est « occupé sans cesse ». On peutavancer l’hypothèse que le titre Oisivetés provient d’une plaisanterie deLouis XIV qui accablait Vauban de chantiers à réaliser. Vauban n’étaitpas bien vu de Louis XIV, auquel il s’était opposé à propos de laRévocation de l’Édit de Nantes en 1685. Il a eu aussi l’audace de proposer un impôt uniforme de 10 % pour tous les habitants du royaume, nobles compris : la dîme royale.

(26) L’eau était un problème permanent à Versailles. La machine deMarly pompant l’eau de la Seine fut achevée en 1683 et elle ne suffisaitpas. On avait même envisagé un canal pour amener l’eau de la Loire

(Charles PERRAULT, Mémoires de ma vie, Paris, Librairie Renouard, 1909,Macula, 1993, pp. 202-206).

(27) Bernard PUJO, 1991, Vauban, Paris : Albin Michel, p. 126.

(28) Louis XIV se préparait à entrer en campagne contre la Ligued’Augsbourg constituée deux ans auparavant entre l’Empire germa-nique, l’Espagne, l’Angleterre et la Hollande. En octobre 1688, l’arméefrançaise envahit le Palatinat. La paix ne revint qu’en 1697 par le traitéde Ryswick. Le chantier de Maintenon avait été définitivement aban-donné.

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La norme alsacienne

Vauban se réfère à un « ancien règlement […] fait enAlsace (29) quelques années avant la dernière guerre »qui fixait le «prix que les entrepreneurs devaient payeraux soldats » terrassiers. Pour 8 m3, le salaire était de10 sols pour piocher et charger, et de 2 sols pour les

brouetter sur 20 mètres de chemin uni et plat (30). Ilvoulait améliorer ce règlement par « les moyens lesplus convenables pour [en] corriger [les] défauts ». Ilcritique cette norme au motif d’un déséquilibre derémunération entre les tâches. « Le prix du chargeageest trop fort et celui des relais trop faible ». Les brouet-teurs n’étaient pas assez rémunérés. Vauban leur

donne 8 sols par jour, au lieu de 6 sols dans le règle-ment alsacien, pour le même travail. Pour les char-geurs, il réduit le salaire, en le fixant à 8 sols. Sonobjectif est l’équité entre ouvriers. Le salaire doitdépendre de l’effort, dans la même proportion pourtoutes les tâches.

«Les ouvriers qui travaillent également et d’égale forcedans un même ouvrage doivent gagner autant les unsque les autres».En moyenne, cela correspond à une diminution dessalaires, surtout sur courte distance. En effet, Vaubanconfond le salaire individuel avec le mode de calcul dessommes versées à l’équipe d’ouvriers. Ceux-ci se répar-

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Vauban a rédigé son texte au moment de la fermeture du chantier de l’aqueduc de Maintenon, resté inachevé. Il tira les leçons de cetéchec […]. (L’aqueduc et le château de Maintenon, François Ricois, XIXe siècle)

(29) En 1648, l’Alsace est annexée par Louis XIV par le traité deMünster. Le territoire concerné est différent de l’Alsace actuelle. La villede Strasbourg devient française en 1681 seulement. Le texte de ce règle-ment n’a pas été retrouvé. On ne le connaît que par cette discussion. On peut faire l’hypothèse que ce tarif à la tâche existait antérieurementen Alsace et que l’Administration française l’avait adopté en le tradui-sant, car le Roi conservait le plus possible les habitudes locales. L’idée

d’une normalisation du travail de terrassement serait donc d’origine ger-manique.

(30) Ce tarif alsacien prévoyait aussi des surcroîts de rémunération pourles chemins montants, pour les fouilles en profondeur, pour les fouillesinondées. S’il fallait creuser du rocher, les ingénieurs décidaient desrémunérations.

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tissaient également la somme globale perçue parl’équipe. Il n’y avait pas d’écart de salaire entre lesouvriers de la même équipe. En prétendant augmenterla rémunération des brouetteurs, Vauban diminue lesrémunérations de l’ensemble des ouvriers (31). Maisévidemment ceci dépend de la nature du sol, de la dif-ficulté à fouir et à charger les brouettes. Vauban connaîtcette variabilité des terres à charger. Il en fait un argu-ment contre le règlement alsacien.«La qualité des terres étant toujours différente entre cellesde la superficie, & celles qui sont 4, 5, 6 ou 7 pieds plusbas, il s’en suit qu’il est impossible que la règle soitbonne ».Selon les cas, un chargeur suffit, dans d’autres plus detrois sont nécessaires. Donc la fixité du tarif de piochage-chargeage n’est pas juste. La solution de Vauban est defaire estimer la difficulté de la tâche aux ingénieurs, selonla nature du sol. Ainsi donc la norme se limite au seul tra-vail vraiment répétitif et mesurable, le brouettage, maisce travail n’a pas de sens sans le chargeage préalable,moins facilement standardisable. La volonté de normerest limitée par la variabilité des tâches. C’est l’argumentmajeur pour lequel le règlement a été écarté par Louvois.

Le refus de réglementer

À cette époque, Vauban était en conflit régulier avecLouvois (32). Il défendait le point de vue techniqueface au financier préoccupé seulement du moindrecoût, au risque d’une mauvaise qualité ou de délais troplongs. Le problème des horaires de travail cité plus hautest caractéristique de cette opposition. Louvois intensi-fiait le travail en jouant sur sa durée, très longue.Vauban voulait réduire cette durée et accroître la pro-ductivité, pour un travail, au total, plus important. Ilseurent des approches divergentes pour obtenir la quan-tité de travail la plus forte.Louvois a reçu la proposition sur le salaire des terras-siers et il l’a écartée probablement sans comprendre queVauban proposait de payer des salaires faibles. Il a misen avant des questions de forme: le texte est uneréflexion, un argumentaire pour une décision. Il fau-drait le réécrire pour lui donner une forme plus juri-dique. Mais la critique principale tient au fond. PourLouvois, Vauban met en évidence qu’il y a bien quan-tité de variantes là où est nécessaire l’expertise de l’in-

génieur militaire surveillant les travaux. Dans la fouledes cas particuliers, une norme globale est impossible.Il faut laisser faire la régulation du marché.«Ce mémoire fait connoistre la dificulté pour ne pas direl’impossibilité de fixer a bien juste tant le travail du sol-dat que les frais de l’entrepreneur, cela me ferait jugerqu’il serait bon de ne point faire de reglement general etde laisser la liberté aux entrepreneurs de convenir de gréà gré avec les soldats sauf aux intendants et aux ingé-nieurs directeurs a interposer leur authorité lorsque l’en-trepreneur avide de gain ne voudra pas faire justice ausoldat » (33).L’entrepreneur qui avait obtenu l’adjudication était lemoins-disant. À lui de décider de ses principes derémunération, au risque de démotiver les ouvriers et dene pas terminer les travaux. Vauban aurait dû s’adresserdirectement aux entrepreneurs (34). La proposition derémunération à la tâche concerne leur gestion interne.Il aurait fallu leur démontrer leur propre intérêt. Le Roin’avait que faire de ces considérations, pourvu que letravail soit réalisé comme il le voulait.Or, les entrepreneurs n’avaient pas une totale libertépour exécuter les contrats. Pour une part, la main-d’œuvre était fournie par le Roi : soldats ou paysansexécutant la corvée. Les inspecteurs vérifiaient à la foisle travail réalisé et les ressources pour l’exécution,matières premières et main-d’œuvre. Ils étaient donc àmême de connaître le prix de revient et de signaler lesbénéfices excessifs des entrepreneurs. À tout moment,le Roi pouvait casser leur contrat (35). Les entrepre-neurs étaient considérablement encadrés. Sans empié-ter beaucoup plus sur leur autonomie, le Roi aurait pufixer la rémunération de ses soldats affectés au chantier.Le manuscrit envoyé par Vauban à Louvois est donc restélettre morte. Vauban en a fait faire une copie qu’il aconservée dans ses propres archives. Il l’a évoqué proba-blement auprès de ses collaborateurs, alors que ce n’étaitpas du tout un texte officiel. Le «règlement sur le remue-ment des terres» eut ainsi une postérité intellectuelle.

La transmission par Belidor

Pour les ingénieurs militaires de l’ancien régime,Vauban est une figure tutélaire, admirée pour la multi-tude de ses réalisations et pour les principes techniquesmis en œuvre, qui constituent l’essentiel des règles de

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(31) Par exemple, pour un terrain assez meuble, 2 chargeurs alimentent3 chaînes de brouettes. Si la terre est portée à 30 mètres, il y a un seulrelais, donc 5 personnes dans l’équipe. Selon la norme de Vauban pourles brouettes, elle remue 48 m3 par jour et gagne 40 sols, soit 8 sols parpersonne. Selon la rémunération alsacienne, elle y gagne 60 sols pour lepiochage-chargeage et 18 sols pour le transport, soit un total de 78 sols.Les ouvriers reçoivent 15,4 sols, presque deux fois plus. Cependant si ladistance est grande, au-dessus de 220 mètres dans cet exemple, Vaubanen arrive à payer mieux. Quand il y a beaucoup de relais, la baisse derémunération des piocheurs-pelleteurs est compensée par le meilleur tarifdu transport. Par ailleurs, les ouvriers de Sarrelouis gagnaient probable-ment un sol de plus que le tarif alsacien.

(32) François Michel Le Tellier, Seigneur de Chaville, Marquis deLouvois (1641-1691) était le supérieur hiérarchique de Vauban en tant

que surintendant des bâtiments. Le conflit portait notamment sur lesfortifications de Belle-Île, encore inachevées parce que Louvois avaitimposé des entrepreneurs peu compétents qui payaient mal leursouvriers (Pujo, 1991, pp. 127-128). Louvois tomba en disgrâce en1689.

(33) VIROL, 1997, p. 272.

(34) D’ailleurs Vauban a été un tel entrepreneur pour les travaux deBrisach de 1664 à 1666 (VIROL, 1997, p. 269).

(35) Jacques GUTTIN, 1957, Vauban et le corps des ingénieurs militaires,Thèse Université de Paris, pp. 61-71.

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l’art. Le manuscrit sur le remuement des terres circuleparmi eux jusqu’à son impression par Belidor (36) quia donné ainsi force à ces idées en les considérantcomme appartenant aux compétences que l’ingénieurdoit posséder. Cependant, il critique aussi une applica-tion trop étroite de la règle de Vauban, au motif que lesrémunérations ne sont pas assez élevées.«Le prix des journées à 8 sols qui étoit passable pour desSoldats dans le temps que ce mémoire a été fait, ne suf-fisoit pas présentement que le rehaussement des monnoyes& les mauvaises années ont tout renchéri » (37).Ainsi, les idées de Vauban se sont transmises, tout enétant étouffées. Mais elles n’ont pas été discutées, enraison, d’une part, de leur pertinence pratique par rap-port à l’époque, et, d’autre part, de la généralisationqu’il était possible d’en faire.

DES IDÉES PRÉMATURÉES

Vauban avait coutume de lancer des idées très nova-trices et il n’avait pas le temps de les approfondir niencore moins de les exprimer avec clarté pour les diffu-ser et obtenir qu’elles soient adoptées. Il a consacré l’es-sentiel de son temps à l’action. Il lui en restait peu pourse consacrer à ce rôle d’intellectuel pour lequel on l’ad-mire encore.Avec le recul de trois siècles, il est loisible de s’interro-ger sur la portée des idées de Vauban sur l’organisationdu travail. À l’époque, ces idées ont été rejetées : cela a-t-il été une erreur de l’Administration? Deux sièclesplus tard, Taylor énonçait des idées similaires : étaient-elles conformes à celles de Vauban?

L’inutilité, à l’époque

Louvois a-t-il eu tort de rejeter le texte de Vauban surles normes de productivité du terrassement et leurrémunération? Si ces idées avaient été appliquées, celaaurait permis une meilleure maîtrise des travaux de ter-rassement, moins de récriminations et plus de produc-tion sur cet aspect des chantiers. À terme, cela auraitpeut-être conduit les entrepreneurs à faire des offres àun moindre prix et le Roi en aurait alors bénéficié. Maisle terrassement n’était pas la dépense la plus importan-te pour construire une fortification. On aurait gagnésur un poste qui était mineur. En revanche, pour lechantier de Maintenon, le terrassement était une sour-ce de coût considérable. Or, ce chantier fut abandonné.Après 1688, Louis XIV n’a plus entrepris de grands tra-vaux. La fin de son règne a été beaucoup moins glo-rieuse. La guerre consommait l’essentiel des ressourcesfinancières. Donc, même si la norme sur le terrasse-

ment avait été appliquée, ces chantiers n’existaient plus.On réparait les forteresses, on n’en concevait plus denouvelles.À la fin du chantier de Maintenon, Vauban a résolu unproblème pertinent pour ce grand projet. Son échec aprobablement découlé de la difficulté d’y organiser leterrassement. Après ce cas très particulier, la questiondu terrassement a eu beaucoup moins d’importance. Ilaurait fallu appliquer la méthode à d’autres tâches.Mais la démarche n’a vraiment de sens que pour lestravaux répétitifs, se reproduisant longtemps à l’iden-tique. De telles tâches n’existent pas avant que l’indus-trie ne les crée pour la production de masse. Il faudraattendre deux siècles pour les rencontrer de manièresignificative. Et c’est Taylor qui formalisera la dé-marche de normalisation du travail fondée sur l’expé-rimentation.

La conformité avec le taylorisme

Vauban anticipe Taylor sur deux points : la productivi-té «normale» des brouetteurs, égale à la production desmeilleurs ouvriers, et le salaire fonction de la tâcheaccomplie. Mais il y a une différence fondamentaleconcernant le niveau du salaire. L’organisation scienti-fique du travail impose une forte productivité pour unsalaire «élevé», en tout cas supérieur de manière signi-ficative à celui perçu antérieurement. Ce salaire « élevé »n’augmentait pas le coût salarial, grâce à une meilleureproductivité.Pour Vauban, le salaire proportionnel est bas, égal à unsalaire fixé à la journée. Ainsi les ouvriers n’auraient pasaccepté ce changement. Incités à travailler plus, ilsauraient voulu en être récompensés. Vauban aurait dûdéconnecter les deux aspects de sa proposition ; d’unepart la norme de productivité, qui ne dépend que de latechnique ; d’autre part le salaire, qui dépend desconditions économiques, notamment du salaire consi-déré comme normal, variable selon les lieux et lesmoments et donc ajustable en fonction des circons-tances. Cette distinction est plus facile chez Taylor, quiaffirme qu’une partie des gains de productivité doitêtre retournée aux ouvriers, sous forme d’augmenta-tion des rémunérations, au moment de l’adoption deson système.Signalons une autre divergence entre Vauban etTaylor. Le premier croit que le salaire à la tâche réduitle besoin en agents de maîtrise. Ce n’est pas ce qu’onobserve dans le système du second, où de multiplescontremaîtres fonctionnels sont nécessaires, notam-ment pour calculer la paie et pour enregistrer le travailfait par chacun.Au-delà des normes de productivité, Taylor cherche lameilleure manière de faire. Par exemple, il détermine la

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(36) Bernard Forest de Belidor (1698-1761), grand admirateur deVauban, a été professeur à l’École d’artillerie et membre de l’Académiedes Sciences. Il a inséré ce texte dans l’ouvrage de 1729 qui correspond à

son enseignement. Cet ouvrage contient d’autres emprunts à Vauban soi-gneusement signalés.

(37) BELIDOR, 1729, livre III p. 43.

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meilleure pelle pour chaque type de minerai (38).Vauban a la même démarche. Pour le transport desterres, il préconise des brouettes plutôt que des hottes(39).La longueur des relais est un autre élément de cette«meilleure manière de travailler ». Vauban préconise desrelais tous les 30 mètres en terrain plat, plus rapprochéssi cela monte, alors que la norme alsacienne plaçait lesrelais tous les 20 mètres (40).«À l'égard des relais, il n’y a pas de meilleure manière deles régler qu’en les établissant à 15 toises de distance lesuns des autres en plain terrain ».La démarche intellectuelle de Vauban est gouvernéepar la recherche de la solution la meilleure, de l’op-timum, de l’arbitrage entre les forces et intérêtsopposés. Il a suivi cette démarche pour améliorer lestechniques d’attaque et de défense des places fortes.Il la transpose dans le domaine de l’organisation dutravail. Les ingénieurs de Louis XIV pensent « qu’iln’y a, pour chaque genre de travaux, qu’une combinai-son qui soit la meilleure de toutes » (41). Ils sont ani-més par une volonté d’optimisation et, pour cela, ilsutilisent, autant qu’ils le peuvent, la mesure et le

calcul, dans une démarche évidemment très moder-ne.Le rapprochement entre Vauban et Taylor est séduisantmais il reste anachronique. Il n’y a pas eu d’influence del’un sur l’autre. Avec leur culture scientifique d’ingé-nieurs, confrontés aux mêmes problèmes pratiquesconcernant les tâches répétitives, ils ont inventé, l’un etl’autre, une méthode spécifique d’expérimentation etde normalisation du travail, incluant le salaire. Ils ontappliqué l’idée de l’optimum technique à des pro-blèmes humains. Chacun, à son époque, a transposé autravail le mode de raisonnement appliqué à la maîtrisedes objets.Ce détour historique montre, comme bien souvent,que les idées sont découvertes à plusieurs reprises, à plu-sieurs moments, à chaque fois qu’un problème similai-re se pose. Vauban n’a pas eu l’occasion d’approfondirsa découverte parce qu’il n’a plus, par la suite, rencon-tré les problèmes du chantier de Maintenon pour les-quels sa pensée était particulièrement pertinente. Ainsi,il n’a pas pu la confronter aux faits. Cela l’aurait peut-être conduit à plus de réalisme, en particulier sur lessalaires. ■

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(38) Frederic Winslow TAYLOR, 1911, The Principles of ScientificManagement, New-York : Harper Bros, Traduction française, 1913,Principes d’organisation scientifiques des usines, Paris, Dunod. Le pelletage esttraité dans les pages 75 à 81.

(39) Les hottes étaient moins chères et pour cela préférées par Louvois,le grand argentier. « Les brouettes sont onéreuses de 40 à 50 sols la pièce.Louvois s’était opposé à leur achat en 1670 pour les travaux à la journée,préférant les hottes à 6 ou 7 sols pièce qu’il jugeait plus solides. Vauban étaitd’un avis contraire (lettre de Louvois à Vauban, 20 novembre 1670) »(VIROL, 2002, note 16).

(40) Cette distance de 30 mètres est toujours celle adoptée sur les chan-tiers où on ne peut utiliser ni bulldozer ni pelleteuse. Selon le Centretechnique du bâtiment (www.batitel.com), la productivité, variable selonla qualité de la terre, est approximativement de 1 m3 transporté enbrouette sur 30 mètres en 0,6 heure, soit 50 m3/heure ou 400 m3/jour, àcomparer aux normes de Vauban 43 m3/heure ou 434 m3/jour. Lesbrouettes ont peu changé. La roue en caoutchouc amortit les irrégulari-tés du sol, mais les chemins des chantiers du XVIIe siècle étaient plan-chéiés. Le travail se fait, avec la même cadence, à trois siècles de distance.

(41) VÉRIN, 1993, p. 241.

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La coordination est une préoccupation majeure ausein des organisations, dès lors que le travail àaccomplir est divisé entre plusieurs individus

(MINTZBERG, 1979). Depuis un siècle, au moins, diversauteurs se sont penchés sur cette problématique. Lespremiers théoriciens de l’organisation (FAYOL, 1916;GULICK, 1937; MOONEY et REILEY, 1939) avaient ten-dance à considérer la hiérarchie comme le moyen parexcellence permettant de coordonner les diverses activi-tés se déroulant au sein de l’entreprise. Par la suite, àpartir des années 1950, les chercheurs se sont mis àpointer d’autres dispositifs et mécanismes permettantde coordonner les efforts : le plan, l’échéancier (SIMON,1947; MARCH et SIMON, 1958), la standardisation des

procédés, les règles, les procédures (THOMPSON, 1967;LAWRENCE et LORSCH, 1967), l’ajustement mutuel, lescontacts directs, les réunions (THOMPSON, 1967 ;LAWRENCE et LORSCH, 1967; VAN DE VEN et al., 1976),les postes d’intégrateurs, les rôles de liaison (LAWRENCE

et LORSCH, 1967; GALBRAITH, 1973), les équipes de pro-jet (LAWRENCE et LORSCH, 1967), les comités perma-nents (LAWRENCE et LORSCH, 1967), les objectifs, lastandardisation des résultats (GALBRAITH, 1973 ;MINTZBERG, 1979), la structure matricielle (GALBRAITH,1973) et, enfin, la standardisation des qualifications(MINTZBERG, 1979).Parallèlement, une compréhension contingente de lacoordination au sein des organisations s’est développée :

LA COORDINATION AU SEIN DESORGANISATIONS :ÉLÉMENTS DE RECADRAGECONCEPTUEL

Il existe sur la coordination dans les organisations une littérature abondante,et plusieurs approches conceptuelles ont déjà été proposées. Les auteursestiment toutefois qu’un nouveau cadrage peut être développé, à partir d’uneinterrogation sur la notion même de coordination, et d’une plongée dans lacomplexité des situations de travail. Une typologie des situations de travail peut ainsimieux faire comprendre ce qu’on entend par coordination. Cette approche estcritiquée par l’un des deux relecteurs de l’article, qui conteste la manière dont lepassage au concept est effectué à partir de la diversité des situations observées. Lesauteurs lui répondent. Une «querelle des universaux» appliquée à la gestion ?

PAR Éric ALSÈNE, PROFESSEUR, DÉPARTEMENT DE MATHÉMATIQUES ET DE GÉNIE INDUSTRIEL, ÉCOLE POLYTECHNIQUEDE MONTRÉAL, CANADA ET François PICHAULT, PROFESSEUR, DIRECTEUR DE LA RECHERCHE, HEC-ÉCOLE DE GESTIONDE L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE, BELGIQUE

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certains moyens et mécanismes de coordination ontcommencé à être considérés comme plus appropriésque d’autres en fonction de certains contextes. Ainsi,pour MARCH et SIMON (1958), une situation stable etprévisible dans une organisation appelle une coordina-

tion par plan, tandis qu’une situation variable et impré-visible requiert plutôt une coordination par rétroaction.THOMPSON (1967) distingue, quant à lui, trois sortesd’interdépendance, et avance l’idée que la coordination

par standardisation est appropriée dans le cas de l’inter-dépendance de communauté, que celle par plan l’estdans le cas de l’interdépendance séquentielle, et quecelle par ajustement mutuel convient en situation d’in-terdépendance réciproque. LAWRENCE et LORSCH (1967)

aboutissent pour leur part à la conclusion suivante :plus l’entreprise est fractionnée et différenciée, plus laprocédure hiérarchique est inadéquate et plus les straté-gies d’intégration doivent être élaborées. Un peu dans

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Encadré 1

LES CAS ÉTUDIÉS

Au total, quatre entreprises de taille, de structureorganisationnelle et de secteur industriel différentsont fait l’objet d’une étude exploratoire de notrepart :– La première, l’entreprise A, œuvrait dans le secteurde la distribution d’énergie. Il s’agissait d’une entre-prise d’assez grande taille (1 300 employés), structu-rée principalement de manière fonctionnelle ;– La deuxième, l’entreprise B, était une entreprisemanufacturière de petite taille (34 employés), quiproduisait des tubes, et qui était organisée en cellulesmultifonctionnelles ;– La troisième, l’entreprise C, relevait du secteur dumultimédia. C’était une entreprise de taille moyenne

(122 employés), qui utilisait une structure matriciel-le pour une grande part de ses activités ;– Enfin, la quatrième, l’entreprise D, était une trèsgrande entreprise (77 000 employés) produisant desmatériaux de construction. Sa structure se composaitde plusieurs branches de produits, comprenant cha-cune plusieurs divisions régionales disposant chacu-ne d’un centre technique – dont un en Amérique duNord (le CTAN) et un en Europe centrale (leCTEC).Dans chaque entreprise, un ensemble constitué dequatre unités de base a plus particulièrement étéétudié, car il était impossible d’examiner en détaille fonctionnement de chacune des organisations.Ces quatre unités ont été sélectionnées danschaque entreprise par des cadres supérieurs, sur labase de leur insertion dans la structure principalede l’entreprise et de leur interdépendance.

Une recherche de cohérence dans le travail accompli par un ensemble d’individus. (Les Métamorphoses du jour, Grandville, 1829)

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N.B. : Dans ce tableau, seuls les missions et les effectifs étudiés sont mentionnés, par souci de concision et de clarté

Entreprise

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B

C

D

Unité de base

DépartementConstructionmajeure

DépartementConstructionrégionale

DépartementIngénierie

DépartementAcquisitionsréseau

Cellule 1

Cellule 2

Cellulede support

DépartementCréation

DépartementProductionartistique

DépartementProductiontechnique

DépartementTechnologie

DépartementProduits duCTAN

DépartementProcédésdu CTAN

DépartementProduitsdu CTEC

DépartementProcédésdu CTEC

Mission

Gérer les projets majeursde construction du réseaude la compagnie

Gérer les projets mineursde construction et d’améliorationdu réseau de la compagnie dans une région

Fournir des services d’ingénierieà l’ensemble de la compagnie

Acquérir des biens et des servicesnécessaires au réseaude la compagnie

Produire des tubes simples

Produire des tubes complexes

Assister les cellulesde production

Concevoir et illustrerdes jeux vidéo

Modéliser, textureret animerdes jeux vidéo

Intégrer, fairela conception sonoreet tester des jeux vidéo

Développer le moteur des jeux vidéoainsi que des logiciels outils

Veiller à la qualité des produits fabriquésdans les usines de la région et participer au développement de nouveaux produits

Veiller à la qualité des procédés utilisésdans les usines de la région et participer à l’implantation de nouveaux procédés

Veiller à la qualité des produits fabriquésdans les usines de la région et participerau développement de nouveaux produits

Veiller à la qualité des procédés utilisésdans les usines de la région et participer à l’implantation de nouveaux procédés

Effectif

3 personnes (dontun chargé de projets,chef de département)

7 personnes (dontun chargé de projets,chef de département)

9 personnes(dont un chef de département)

3 personnes (dontun conseiller corporatif,chef de département)

10 personnes (dont uneinspectrice, chef de cellule)

15 personnes (dont un chef decellule)

8 personnes (dont un chef de cel-lule, également directeur général)

23 personnes (dont un chefde département)

30 personnes(dont un chefde département)

24 personnes(dont un chefde département)

18 personnes(dont un chef de département)

18 personnes(dont un directeur)

13 personnes(dont un directeur)

13 personnes(dont un directeur)

11 personnes(dont un directeur)

Précisons que ces quatre unités sont tombées aunombre de trois, dans l’entreprise B, à la suited’une rationalisation et d’une réorganisation au

cours de l’enquête. Le tableau ci-dessous présenteles quinze unités étudiées, dans l’état qui était leleur en fin d’enquête.

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cette lignée, GALBRAITH (1973) estime que les règles etprogrammes, la voie hiérarchique et les objectifs nesont des dispositifs valides que lorsque les tâches à exé-cuter dans les départements interdépendants ne sontpas trop incertaines. Pour les autres cas, l’auteur propo-se diverses formes de relations latérales interdéparte-mentales, qu’il classe par ordre croissant de capacité àfaire face à l’incertitude (les contacts directs entre lesgestionnaires, les rôles de liaison, les groupes tempo-raires, les équipes permanentes, les rôles intégrateurs,les rôles de relation, l’organisation matricielle). VAN DE

VEN et al. (1976) font, de leur coté, l’hypothèse que,dans une unité de travail, le recours aux modes de coor-dination impersonnel (règles et plans), personnel(canaux de communication verticaux et horizontaux) etde groupe (réunions planifiées et impromptues) varierespectivement en fonction de trois facteurs de contexte:l’incertitude des tâches, l’interdépendance des tâchesentre elles et la taille de l’unité. Pour MINTZBERG

(1979), enfin, il existe un continuum dans l’utilisationdes mécanismes de coordination, qui renvoie à la com-plexité du travail à accomplir : « À mesure que le travaild’organisation devient plus difficile, les moyens decoordination employés de façon préférentielle semblentpasser […] de l’ajustement mutuel à la supervisiondirecte, puis à la standardisation des procédés, à celledes résultats, à celle des qualifications et enfin retour-ner à l’ajustement mutuel dans les situations les pluscomplexes » (p. 23).Depuis ce renouvellement de la pensée classique, lephénomène de la coordination au sein des organisa-tions a continué à être étudié. Si certains chercheurs sesont mis à le faire à partir de nouveaux paradigmes(néo-institutionnalisme, école des conventions, etc.)(1), la plupart d’entre eux sont toutefois demeurés dansla perspective contingente initiée par leurs prédéces-seurs – leur apport consistant essentiellement à préciseret à approfondir le travail effectué jusque-là. Ainsi,MINTZBERG (1989) lui-même révise sa typologie de1979: il y ajoute un sixième mécanisme de coordina-tion – la standardisation des normes. MALONE etCROWSTON (1994) proposent une nouvelle typologiedes dépendances entre les activités (ressources parta-gées, relations producteur/consommateur, contraintesde simultanéité, tâches/sous-tâches) (2), et avancentl’idée qu’il existe, pour chaque type de dépendance,

divers mécanismes de coordination, et que chacun estapproprié pour gérer le type de dépendance dont il estquestion. ADLER (1995) note que la dimension tempo-relle a jusque-là été négligée dans la recherche : dans lecas, par exemple, d’un projet de développement d’unnouveau produit, les mécanismes de coordinationinterdépartementale peuvent varier au fil du temps, entype et en intensité. Deux facteurs de contingenceinterviennent, par ailleurs, dans un tel cas : la nouveau-té du projet, et la capacité à résoudre les problèmesposés. YOUNG et al. (1997) cherchent à identifier lesmécanismes de coordination qui permettent à des ser-vices chirurgicaux d’être efficaces. Leur recherche poin-te divers mécanismes (standardisation du travail, stan-dardisation des qualifications, supervision, interactionentre pairs) en regard, respectivement, de certains typesd’activités de ces services. TERWIESCH et al. (2002) étu-dient les échanges d’information qui ont cours entre lesacteurs dans une situation d’ingénierie concourante, etils en viennent à identifier deux types de stratégie decoordination pour ce mode de travail : itérative, et ali-gnée. Finalement, GITTELL (2000, 2002) propose leconcept de coordination relationnelle pour désigner lesformes de coordination spontanée où les employésinteragissent entre eux, afin de se coordonner. Ceconcept, comparé à celui d’ajustement mutuel, rendraitmieux compte du fait que la coordination se réalise,dans un tel cas, par l’intermédiaire d’un réseau de rela-tions, et non dans un vacuum relationnel.Tous ces efforts pour comprendre et maîtriser le phéno-mène de la coordination au sein des organisations sontloin d’être inintéressants. Ils nous semblent toutefoisrelativement insatisfaisants, non tant parce qu’ils sesituent principalement dans une perspective contingen-te – comme pourraient le penser certains partisansd’autres approches théoriques –, que parce qu’ils repo-sent sur des définitions, des catégories et des typologiess’avérant généralement peu robustes. En tout premierlieu, le concept de coordination demeure passablementvague et ambigu. On n’en trouve que quelques défini-tions dans la littérature, et celles-ci sont loin d’êtreconvergentes. De plus, certaines pratiques de coordina-tion ne sont pas prises en compte par ces définitions. Parailleurs, les auteurs analysent (ou proposent d’analyser)le phénomène à des niveaux – tels l’organisation oul’unité de travail – qui ne permettent généralement pas

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Dans chaque entreprise, l’investigation a consisté àexaminer la documentation interne pertinente (rap-ports annuels, organigrammes, notes de service,descriptions de tâches, minutes de réunion, cour-riels, etc.), à observer des réunions et des pratiquesde travail et, surtout, à effectuer de très nombreuxentretiens informels et ad hoc avec la plupart des

employés des unités retenues. L’objectif était derecueillir et de valider des données et des informa-tions, tout d’abord sur le rôle de ces unités et sur letravail effectué par leurs employés, ensuite sur ceque la coordination signifiait pour ces acteurs, ainsique sur les pratiques et les modalités que celle-cienglobait.

(1) Cf., par exemple, THÉVENOT (1990), GUPTA et al. (1994), TSAI,(2002).

(2) Par la suite, MALONE et al., (1999) réduiront cette typologie à troissortes de dépendance : partage, flux et complémentarité.

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d’en saisir toutela richesse ettoute la com-plexité. Par ail-leurs encore, lesmodes de coor-dination que lesauteurs distin-guent ne sontpas toujours in-dicatifs de lamanière dont lesemployés sontcoordonnés (ouse coordonnententre eux) concrè-tement et pra-tiquement ausein des orga-nisations. Fina-lement, les pro-cessus de coor-dination en tantque tels demeu-rent des boîtesnoires relative-ment fermées.On sait peu dechoses sur cesprocessus, et ondispose de peud’outils permet-tant de les com-prendre, la re-cherche sur lacoordination ausein des orga-nisations ayantjusqu’à main-tenant surtoutporté sur les dif-férentes façonsde coordonner – ou de se coordonner – à l’intérieur desentreprises.Cet article a pour objectif de contribuer à remédierà ces lacunes et faiblesses dans l’appareillage concep-tuel relatif à la coordination au sein des organisa-tions. Nous y proposons divers éléments de recadra-ge conceptuel du phénomène. Il est à noter que ceséléments ne sont pas, contrairement à de nom-breuses propositions contenues dans la littérature,des construits purement théoriques. Au contraire,ils s’appuient sur des études de cas, que nous avonseffectuées dans diverses entreprises au cours des der-nières années (encadré 1).Soulignons également que ce travail de re-conceptuali-sation vise autant à questionner et/ou à solidifier cer-tains résultats de recherche contenus dans la littérature,

qu’à mieux ou-tiller les acteursau sein des en-treprises. Parexemple, il estde coutume,dans le cas oùun problème decoordination sepose entre deuxdépartements,de conseilleraux deux chefsde départementconcernés soitde faire appel àleur supérieurhiérarchiquecommun afinque celui-ci ar-bitre le litige,soit de se ren-contrer et derégler le problè-me directemententre eux. Onoublie alors,toutefois, quetant le recours àla voie hiérar-chique que lecontact direct(ou la réunion)entre gestion-naires ne sontque des moyensde parvenir àune solution, etnon la solutionau problème decoordinationrencontré – quoi

que laissent entendre de nombreux auteurs (FAYOL,1916; LAWRENCE et LORSCH, 1967; GALBRAITH, 1973;VAN DE VEN et al., 1976; MINTZBERG, 1979).

DÉFINITION DE LA COORDINATION

Comme le soulignent MALONE et CROWSTON (1994), sinous savons tous intuitivement ce que le mot «coordi-nation» signifie, il n’est pas facile pour autant d’endonner une définition précise. Quelques auteurs sesont néanmoins aventurés sur ce terrain délicat, notam-ment en ce qui concerne la coordination des activitésau sein des organisations. Ainsi, FAYOL (1916, p. 8) esti-me, au début du siècle dernier, que coordonner dans

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[…] l’interdépendance […] par ajustement mutuel convient en situation d’interdépendanceréciproque.

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une entreprise, c’est « relier, unir, harmoniser tous lesactes et tous les efforts ». GULICK (1937) définit par lasuite la coordination comme la tâche consistant à inter-relier les différentes parties du travail. LITTERER (1965)considèrera plus tard que la coordination est le proces-sus de facilitation des activités qui ont des liens entreelles, tandis que VAN DE VEN et al. (1976, p. 322) écri-ront : «Coordonner signifie intégrer ou relier ensembledifférentes parties d’une organisation pour accomplir unensemble collectif de tâches ». Plus tard encore, MALONE

et CROWSTON (1994) définiront la coordination commela gestion des dépendances entre activités.Il ne semble pas faux, en définitive, de dire que la coor-dination au sein des organisations a été vue jusqu’àmaintenant dans la littérature, grosso modo, de deuxmanières : soit comme l’intégration d’activités séparées,soit comme la facilitation d’activités interreliées. Si cesdeux façons d’approcher la coordination peuvent êtreséduisantes à première vue, et si elles ont effectivementséduit nombre de chercheurs et de gestionnaires par lepassé, force est toutefois de constater que ces deuxapproches ne sont pas exemptes de quelques défautsmajeurs.En premier lieu, elles ne s’équivalent pas, et aucune desdeux n’englobe l’autre : l’intégration d’activités séparéesrenvoie à une préoccupation de faire converger desefforts, de faire d’activités éventuellement centrifugesun tout cohérent ; la facilitation d’activités interreliéescorrespond plutôt, quant à elle, à une volonté de fairese dérouler, sans heurts et avec une certaine efficacité,un ensemble d’activités présentant un lien entre elles.Bref : on ne dispose pas, avec ces deux approches, d’unedéfinition générique du concept de coordination.En second lieu, aucune de ces deux approches nerecouvre l’ensemble des pratiques que les acteurs ausein des organisations jugent comme étant des pra-tiques de coordination. Par exemple, dans l’entrepriseA, le chargé de projets du département Constructionmajeure répartissait périodiquement entre les techni-ciens placés sous son autorité les projets de constructionà estimer, à préparer ou à surveiller. Lorsqu’il procédaità ce partage de tâches, conduisant à ce que chaque tech-nicien ait à peu près le même volume de travail, lui-même, et tout le monde autour de lui, étaient convain-cus qu’il faisait alors un travail de coordination. Cetravail n’était toutefois pas un travail de facilitation detâches interreliées, dans la mesure où les tâches mêmesdes techniciens n’étaient pas des tâches interdépen-dantes : chacun travaillait, en effet, sur son projet (ouses projets) de manière indépendante (3). Cela dit, il ne

s’agissait pas non plus d’un travail d’intégration d’acti-vités séparées – le but n’étant pas de faire un tout destâches respectives des techniciens.Par exemple encore (toujours dans l’entreprise A), lechargé de projets du département Construction majeu-re donnait régulièrement des consignes à chacun de sestechniciens sur l’approche que ceux-ci devaient adopterpour mener à bien leur travail. Aux yeux de tous, cesconsignes ressortissaient à une activité de coordination:elles contribuaient à ce que le travail de chaque techni-cien soit en harmonie avec celui qu’effectuait le chargéde projets – étant donné qu’en fait, pour chaque projet,chacun des techniciens était respectivement un assis-tant du chargé de projets (celui-ci se chargeait destâches plutôt stratégiques, tandis que les technicienss’occupaient des tâches plutôt techniques). Cette activi-té de coordination n’était néanmoins pas une activitéd’intégration de tâches séparées, puisque le travail dechaque technicien était étroitement lié à celui du char-gé de projets. Ce n’était pas non plus une activité defacilitation de tâches interreliées, dans la mesure où lafinalité des interventions du chargé de projets auprèsd’un technicien était de contribuer, non pas au bondéroulement de leur travail conjoint, mais à la cohé-rence de leur travail vis-à-vis de partenaires extérieurs(ministères, municipalités, entrepreneurs, etc.).Face à ces divers problèmes, nous proposons de consi-dérer la coordination au sein des organisations sous unangle entièrement nouveau, à savoir non plus celuid’une intégration d’activités séparées, ni celui d’unefacilitation d’activités interreliées, mais sous celui d’unerecherche de cohérence dans le travail accompli par unensemble d’individus. En effet, il nous semble que cequi est au cœur de la coordination, c’est bien unerecherche de cohérence collective, dès lors que le travailest divisé entre plusieurs personnes au sein d’une orga-nisation – et ce, quels que soient le travail et le mode dedivision du travail en jeu. On vient de le voir : dans lepartage de tâches qu’effectuait le chargé de projets,l’idée était de maintenir une charge de travail à peu prèségale entre tous les techniciens ; et dans les consignesqu’il donnait, l’idée était que le travail de chaque tech-nicien soit en harmonie avec le sien propre.Ajoutons que cette notion de recherche de cohérencesubsume clairement celles d’intégration (faire un toutde diverses activités) et de facilitation (faire se déroulersans heurts un ensemble d’activités) ; cette notion peutaussi aisément se décliner sous diverses formes (partageéquitable des tâches, harmonisation du travail, etc.). Àce propos, il nous semble important de retenir que troisgrandes formes de recherche de cohérence sont ressor-ties des études de cas que nous avons effectuées :– la répartition des ressources et des tâches, qui consis-te à allouer les effectifs et les moyens matériels, ou àpartager les tâches et les volumes de travail, afin quele travail à accomplir soit accompli non seulementavec une certaine efficacité, mais aussi dans une rela-tive équité ;

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(3) Il est clair que l’on pourrait à ce niveau jouer sur les mots, comme lefont certains auteurs. Nous pourrions, par exemple, dire que les tâchesdes techniciens sont interdépendantes du fait que ceux-ci font partie dumême département et qu’ils contribuent à sa performance d’ensemble(cf. THOMPSON, 1967), ou encore du fait qu’ils partagent les mêmes res-sources (cf. MALONE et CROWSTON, 1994). Nous refusons toutefois cettevoie, comme VAN DE VEN et al. (1976) qui rebaptisent « indépendancedes tâches » l’interdépendance de communauté mise en avant parTHOMPSON (1967).

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– l’harmonisation des actes, qui consiste à aligner ou àstandardiser les actions de chacun afin que tous tra-vaillent dans le même sens, dans la même perspective,ou que chacun produise le même type de résultats ;– l’orchestration des activités, qui consiste à structurer età agencer les actions de chacun afin que les efforts indi-viduels se complètent et contribuent de manière effi-ciente au résultat final.Ces trois grandes formes représentent, à notre avis, lesdifférentes facettes de la coordination au sein des orga-nisations (4). On peut également forger, à partir d’elles,une définition opératoire de la coordination au sein desorganisations, s’énonçant par exemple de la manièresuivante : «Coordonner, dans une organisation, c’est, ausein de celle-ci, répartir les ressources et les tâches, har-moniser les actes et orchestrer les activités ».

NIVEAU D’ANALYSE DE LA COORDINATION

Pendant longtemps, les chercheurs se sont intéressés àla coordination au sein des organisations soit en termesde coordination interdépartementale, soit en termes decoordination intra-départementale – cf. FAYOL (1916) ;GULICK (1937) ; MARCH et SIMON (1958) ; THOMPSON

(1967) ; LAWRENCE et LORSCH (1967) ; GALBRAITH

(1973) ; VAN DE VEN et al. (1976). Leur niveau d’analy-se pour étudier la coordination était donc soit l’organi-sation, soit l’unité de travail. Une évolution semble tou-tefois se produire depuis quelque temps : le champ deréférence pour étudier la coordination n’apparaît plusêtre l’organisation ou l’unité de travail, mais l’activité detravail (telle que l’administration générale, les soinsdirects aux patients, la formation médicale supérieure(YOUNG et al., 1997)), le mode de travail (tel que l’in-génierie concourante (TERWIESCH et al., 2002)), ouencore le processus de travail (tel que le processus derecrutement, le processus d’envol des avions (MALONE

et al., 1999; GITTELL, 2001)).Nous penchons, en ce qui nous concerne, en faveur dela situation de travail, entendue comme une formed’engagement d’un certain nombre d’employés d’unemême unité (ou de plusieurs unités) de travail dans untype quelconque d’activités productives (de biens ou deservices, pour l’intérieur ou pour l’extérieur de l’organi-sation) – comme, par exemple, lorsque des opérateurstravaillent l’un après l’autre à l’assemblage d’un pro-duit, ou que des acheteurs travaillent, chacun de leurcôté, à passer des commandes de matériel auprès defournisseurs. En effet, la situation de travail – tout

comme l’activité de travail, le mode de travail et le pro-cessus de travail – nous apparaît beaucoup plus perti-nente, comme champ de référence pour étudier la coor-dination, que l’unité de travail : une même unité peutêtre le réceptacle ou le support de plusieurs situationsde travail (ainsi que de plusieurs activités, modes et pro-cessus de travail), situations de travail qui n’appellentpas nécessairement le même genre de coordination. Parexemple, dans une cellule manufacturière multifonc-tionnelle, on peut trouver, sous la direction du mêmechef, des opérateurs qui travaillent l’un après l’autre àl’assemblage d’un produit, et des acheteurs qui tra-vaillent chacun de leur côté à passer des commandes dematériel auprès de fournisseurs. Ces deux situations detravail sont fort différentes l’une de l’autre, et il est clairqu’elles ne posent pas les mêmes défis en termes decoordination.Par ailleurs, la notion de situation de travail nous appa-raît plus satisfaisante que les notions d’activité, demode et de processus de travail, du fait, tout d’abord,qu’elle a tendance à en être la synthèse. Une situationde travail, c’est en effet un type d’activité ou une sériede tâches à accomplir en procédant d’une certainemanière. De plus, la notion de situation de travailouvre des horizons inédits. Par exemple, considérons lefait que, de temps à autre, dans une entreprise, unemployé est amené à remplacer un collègue absent,impliqué dans un processus de travail séquentiel. On aalors affaire à deux situations de travail distinctes : letravail en relais de l’employé régulier (ou de celui qui leremplace) avec d’autres employés, et le remplacementd’un collègue. Cette dernière situation est en généraloccultée par une analyse en termes de processus de tra-vail. Pourtant, il est clair qu’elle s’accompagne d’uneactivité d’affectation de ressources, et donc de coordi-nation, qui n’est pas à négliger.

CATÉGORISATION DES SITUATIONS DE TRAVAIL

Ainsi qu’il vient d’y être fait allusion, toutes les situa-tions de travail ne s’équivalent pas sur le plan de lacoordination. On peut dire, par exemple, qu’une situa-tion où des opérateurs travaillent l’un après l’autre àl’assemblage d’un produit appelle plutôt des effortsd’orchestration des activités, tandis qu’une situation oùdes acheteurs travaillent chacun de leur côté à passerdes commandes de matériel requiert plutôt une répar-tition judicieuse de ressources et de tâches, voire uneharmonisation d’actes.La question qui se pose, dès lors, est celle de la diffé-renciation et de la catégorisation des situations de tra-vail rencontrées. La recherche que nous avons effectuéefournit, nous semble-t-il, des pistes non négligeables àcet égard. En effet, l’analyse comparative graduelle etsystématique (GLASER et STRAUSS, 1967) des quelque164 situations de travail que nous avons pu déceler au

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(4) À noter que l’harmonisation des actes et l’orchestration des activitésne sont pas à confondre, respectivement, avec l’intégration des activitéset la facilitation des tâches. L’harmonisation des actes s’applique aussibien à des actes interdépendants qu’à des actes indépendants ; de plus,elle porte non seulement sur l’alignement des efforts, mais aussi, éven-tuellement, sur leur standardisation. L’orchestration des activités, quant à elle, ne vise pas seulement le déroulement sans heurts d’un ensembled’activités : elle vise également à produire un résultat qui se tienne.

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sein des quatre entreprises étudiées, à l’intérieur desdiverses unités retenues et entre ces mêmes unités, a faitémerger pas moins de onze types différents de situationsde travail (cf. tableau 1).

Soulignons que ces onze types se démarquent tous net-tement entre eux, deux à deux, en fonction d’au moinsune dimension, ce qui explique leur différenciation. Parexemple, si le travail concourant et le travail en équipe

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Tableau 1. Les types de situation de travail mis au jour par la recherche

Type

Le travail enparallèle

Le travail enrotation

Le travail enrelais

Le travailpalliatif

L’aide

L’assistance

La fourniturede services

La fournitured’avis

La collabora-tion

Le travailconcourant

Le travail enéquipe

Description

Dans ce genre de situation, un certain nombre d’employés effectuent le même type de travail,mais ils travaillent indépendamment les uns des autres. Chacun a un certain volume de travail àeffectuer, et il n’y a pas de rapport entre les différents travaux individuels effectués par chacun –hormis le fait que chacun de ceux-ci est du même genre que le travail effectué par les autres.

Dans ce cas, un ou plusieurs employés prennent la relève d’un ou plusieurs autres employés, aubout d’un certain laps de temps, et pour une certaine durée. Parfois, ceux qui prennent ainsi larelève ont à poursuivre le travail de ceux auxquels ils succèdent.

Cette situation de travail fait référence au cas où divers employés travaillent les uns à la suite desautres, de manière séquentielle. Chacun transmet au suivant dans la séquence les résultats de sontravail. De proche en proche, le résultat final prend forme.

Ce type de situation correspond au cas où un ou des employés travaillent de temps à autre à despostes vacants, ou encore au cas où un ou des employés comblent l’absence d’un collègue de travail.

Dans ce cas, un ou plusieurs employés effectuent une partie du travail d’un collègue, dans unesprit de dépannage – après que le collègue en question ou que quelqu’un d’autre leur a demandéde lui prêter main forte, ou après qu’ils se sont aperçus que celui-ci était en mauvaise posture.

Là encore, un ou plusieurs employés effectuent une partie du travail d’un autre, mais ils le font,cette fois-ci, à la suite d’une délégation de tâches. Autrement dit, il y a une certaine relation hiérarchique entre le ou les employés qui prêtent assistance et la personne assistée.

Dans ce cas, un ou plusieurs employés effectuent un travail pour le compte d’un ou plusieursautres employés, à la demande de celui-ci ou de ceux-ci – en général, parce que ces autresemployés ne possèdent pas les compétences requises, ou encore parce que des politiques de lacompagnie obligent ces derniers à recourir à leurs services. Une fois effectué, ce travail permet à ces autres employés de mener à bien leur propre travail.

Il y a fourniture d’avis quand un ou plusieurs employés sont consultés par un collègue, et quand ils luifournissent en retour une explication, ou une opinion. Il est à noter que la fourniture d’avis est uneactivité qui représente un véritable effort : il ne s’agit pas simplement de transmettre des informationsque l’on possède ou auxquelles on a accès; il faut puiser dans ses connaissances et dans son expé-rience, et élaborer une réponse en rapport avec la demande formulée. Par contre, la fourniture d’avisest une activité qui exige relativement peu d’investissement en temps et en énergie.

Dans ce cas, un ou plusieurs employés contribuent au travail d’un collègue. D’une certainemanière, ces employés réalisent, là encore, une partie du travail de leur collègue. Toutefois, ils nele font pas dans un esprit de dépannage face à une charge excédentaire de travail, mais dans unesprit de complémentarité : ils apportent des connaissances et des savoir-faire nécessaires à l’ac-complissement de la tâche de leur collègue, que celui-ci n’a généralement pas. De plus, ils ne tra-vaillent pas pour leur collègue, mais avec lui – il existe en effet un certain travail d’équipe entreeux et lui.

Ce type de situation correspond au cas où plusieurs employés participent simultanément, maischacun de leur côté, à la réalisation d’un extrant collectif. Chacun y contribue à partir de sonexpertise propre. Par contre, ici, tous sont sur un même pied.

Dans ce cas également, un certain nombre d’employés travaillent simultanément à la réalisationd’un extrant collectif. Mais, dans le cas présent, une partie (voire la totalité) du travail est réaliséede manière collective.

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sont effectivement deux types de situation de travailtrès proches l’un de l’autre (dans la mesure où, dans lesdeux cas, un certain nombre d’employés travaillentsimultanément à la réalisation d’un extrant collectif ), ilreste que, dans le premier cas, chacun travaille de soncôté, tandis que, dans le second, une partie significati-ve du travail – voire sa totalité – est réalisée de manièrecollective. Ajoutons que dix, sur les onze types réperto-riés, étaient présents dans l’entreprise A (soit la premiè-re entreprise à être étudiée), que le onzième type – letravail palliatif – a été mis en évidence dans l’entrepriseB (la deuxième à avoir été étudiée), et que les enquêtesdans les deux autres entreprises n’ont pas révélé d’autrestypes (cf. tableau 2). Une bonne saturation des catégo-ries semble donc avoir été atteinte, ce qui laisse à pen-ser que nous avons également en mains une typologiepassablement robuste, en terme d’extension (GLASER etSTRAUSS, 1967) (5).

MODES DE COORDINATION

Il est acquis, de nos jours, qu’il existe toutes sortes defaçons de coordonner, ou de se coordonner, au seind’une organisation – cf. MARCH et SIMON (1958);THOMPSON (1967) ; LAWRENCE et LORSCH (1967) ;GALBRAITH (1973); VAN DE VEN et al. (1976); MINTZBERG

(1979). Il ne semble pas faux de dire que les modes de

coordination que distinguent ces auteurs correspondent:– soit à des mécanismes de coordination (on peut penserpar exemple à la rétroaction, à l’ajustement mutuel, à lasupervision directe, à la standardisation) ;– soit à des moyens ou à des dispositifs de coordination(on peut se référer par exemple à la voie hiérarchique,aux règles et procédures, au plan, aux objectifs, auxréunions).À notre avis, toutefois, chacune de ces catégories demodes de coordination pose problème. En effet, lesmécanismes de coordination mentionnés dans la litté-rature ne sont généralement pas indicatifs de la maniè-re dont les employés se coordonnent (ou sont coordon-nés) concrètement et pratiquement dans telle ou telle

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Tableau 2. Répartition des situations de travail relevées (par entreprise et par type)

Types de situationde travail

1. Travail en parallèle

2. Travail en rotation

3. Travail en relais

4. Travail palliatif

5. Aide

6. Assistance

7. Fourniture de services

8. Fourniture d’avis

9. Collaboration

10. Travail concourant

11. Travail en équipe

Total

EntrepriseA

6

1

3

0

2

3

8

6

1

3

1

34

EntrepriseB

11

0

4

2

4

3

8

2

3

0

0

37

EntrepriseC

12

0

1

0

9

0

9

14

0

6

0

51

EntrepriseD

11

0

0

1

2

1

2

8

10

3

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Total

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8

3

17

7

27

30

14

12

5

164

(5) D’aucuns pourraient faire remarquer que cette typologie n’est passans rappeler celles qu’avancent certains analystes du phénomène de lacoordination. Par exemple, les situations de travail en parallèle, de travailen relais et de fourniture de services font penser aux trois types d’interdé-pendance chers à THOMPSON (1967) – soit, respectivement, l’interdé-pendance de communauté, l’interdépendance séquentielle et l’interdé-pendance réciproque. On peut aussi faire un rapprochement entre letravail en parallèle, le travail en relais et le travail concourant d’une part,et les trois sortes de dépendance distinguées par MALONE et al. (1999)(partage, flux et complémentarité), d’autre part. Enfin, il y aussi dessimilarités avec la typologie de VAN DE VEN et al. (1976), qui considè-rent qu’il existe quatre types d’interdépendance : indépendance, interdé-pendance séquentielle, interdépendance réciproque, et arrangementd’équipe. Il n’en demeure pas moins que la typologie qui a été obtenuedépasse de loin en envergure et en diversité ces typologies-là. Citons parexemple le travail en rotation, la fourniture d’avis, ou encore la collabo-ration, qui n’y figurent pas – pas plus, d’ailleurs, qu’elles ne figurent dansla littérature sur la coordination en entreprise.

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situation de travail. Par exemple, l’ajustement mutuel,qui correspond à un processus informel d’échangesd’informations et de négociations entre acteurs demême niveau hiérarchique (THOMPSON, 1967 ;MINTZBERG, 1979), peut déboucher sur des ententesportant sur toutes sortes de plans (le travail à faire, lemoment pour le faire, la manière de le faire, la cadencepour le faire, les objectifs à atteindre, etc.), qui sont loinde s’équivaloir entre eux. Il en va de même des ordresdonnés par un superviseur. Quant au mécanisme de lastandardisation, il peut, aux dires de MINTZBERG (1989)lui-même, prendre quatre formes différentes : standar-disation des procédés de travail, standardisation desrésultats, standardisation des qualifications et standar-disation des normes.Les moyens et les dispositifs de coordination rapportésdans la littérature ne sont, pour leur part, pas tous dumême ordre. Si certains sont tout à fait indicatifs de lamanière dont les employés se coordonnent ou sontcoordonnés concrètement et pratiquement dans telleou telle situation de travail (comme, par exemple, lecalendrier de travail, les règles et procédures, les objec-tifs), d’autres ne sont que des outils qui facilitent éven-

tuellement les pratiques de coordination de certainsacteurs (tels que le contact direct, la réunion, la lignehiérarchique, le groupe de projet).C’est pourquoi nous préférons, pour notre part, nousréférer à la notion de solution de coordination – enten-due comme une prescription proposée (ou imposée)à un ensemble d’employés et tendant à générer de lacohérence dans les efforts fournis par cet ensembled’employés (par exemple, une règle de partage du tra-vail à suivre, ou encore, des échéances à respecter).Cette notion ne comporte en effet aucune ambiguï-té. Par exemple, une règle de partage du travail àsuivre permet indéniablement à des acheteurs, quitravaillent chacun de leur côté, d’accomplir ensemblela totalité du travail de passation de commandes àeffectuer et d’avoir, chacun, un volume de travailrelativement équitable à réaliser. Des échéances à res-pecter permettent également clairement à des opéra-teurs qui travaillent l’un après l’autre à l’assemblaged’un produit d’avoir chacun assez de temps pouraccomplir correctement sa part de travail, tout enréalisant collectivement, dans les délais requis, le pro-duit final attendu.

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[…] toute solution de coordination en vigueur (dans une situation de travail donnée) est le fruit d’un processus pouvant s’étaler surune durée plus ou moins longue. (Pyramides de Gizeh, Égypte)

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Il est à noter en outre qu’une solution de coordinationen vigueur, dans une situation de travail donnée, à uneépoque donnée, n’est pas nécessairement une solutionofficielle, reconnue et approuvée par le management del’entreprise. Ce peut être une solution officieuse, infor-melle. Par exemple, dans la cellule 1 de l’entreprise B, letravail de production de tubes était de type séquentiel.Nous avons remarqué, entre autres, que la responsablede l’inventaire plaçait sur les étagères du cintreur lematériel qu’elle avait préparé pour lui, non pas en fonc-tion du caractère prioritaire des commandes à réaliser,mais en fonction des diamètres des tubes à produire. Cefaisant, elle ne suivait pas la procédure que la directionavait établie pour ordonner la production. Elle en sui-vait une autre, qu’elle avait concoctée «secrètement»avec le cintreur, et qui avait pour but de faciliter le tra-vail de celui-ci (qui se retrouvait, de ce fait, avec moinsd’opérations de préparation de ses machines à effectuer).

CATÉGORISATION DES SOLUTIONS DE COORDINATION

Il est clair également que toutes les solutions de coordi-nation ne contribuent pas de la même manière à lacoordination du travail et que, donc, elles ne s’équiva-lent pas. Par exemple, une règle de partage du travail àsuivre participe plutôt d’une volonté de répartir judi-cieusement les tâches à accomplir, tandis que deséchéances à respecter reflètent plutôt des préoccupa-tions relatives à l’orchestration des activités, voire àl’harmonisation des actes.Ce qui pose donc à nouveau la question de la catégori-sation, cette fois-ci des solutions de coordination quel’on peut identifier. Là encore, la recherche que nousavons effectuée fournit des balises intéressantes. Eneffet, quelque 585 solutions de coordination ont étérecensées dans les quatre entreprises étudiées relative-ment aux 164 situations de travail inventoriées, etquinze types particuliers de solution de coordinationont émergé de l’analyse comparative, graduelle et systé-matique, que nous en avons faite (cf. tableau 3).Soulignons, ici aussi, qu’il existe des différencesnotables entre chacun des types en jeu. Par exemple, siune charge de travail à effectuer et un mandat à remplirpeuvent être assimilés à un travail à réaliser, il n’endemeure pas moins que, pour un employé, avoir unecharge de travail à effectuer (c’est-à-dire un travail quientre dans sa description de tâches, qui fait partie de sesobligations courantes) n’est pas la même chose qued’avoir un mandat à remplir (c’est-à-dire un travail spé-cial à effectuer, s’ajoutant à ses obligations courantes).Par exemple, encore, un calendrier à respecter ne peutêtre considéré comme un objectif à atteindre : uneéchéance à tenir, voilà qui renvoie à une attente enversle moment de livraison d’un travail, et non pas à uneattente envers les résultats d’un travail.

Il est, par ailleurs, à noter que les quinze types réperto-riés ont été rencontrés, à une exception près, dès l’étu-de de l’entreprise A (cf. tableau 4). Le type manquant,«des principes à respecter », a été mis au jour lors del’étude suivante, celle de l’entreprise B. Les enquêtesdans les deux autres entreprises n’ont, là encore, paspermis de distinguer d’autres catégories. La typologieque constituent ces catégories apparaît donc, elle aussi,comme une typologie passablement robuste, du pointde vue de son extension (6).

PROCESSUS DE COORDINATION

La recherche sur la coordination au sein des organisa-tions s’est surtout intéressée, jusqu’à maintenant, auxmodes de coordination, aux façons (éventuellementdifférentes) de coordonner ou de se coordonner – cf.GULICK (1937) ; MARCH et SIMON (1958) ; THOMPSON

(1967) ; LAWRENCE et LORSCH (1967) ; GALBRAITH

(1973) ; VAN DE VEN et al. (1976) ; MINTZBERG (1979) ;MALONE et CROWSTON (1994) ; ADLER (1995) ; GITTELL

(2002). Corrélativement, peu d’attention a été portéeaux processus de coordination comme tels, à la coordi-nation en tant que processus. Ce sujet est toutefois detoute première importance si l’on considère que lacoordination est une recherche de cohérence, et quecette cohérence peut être atteinte grâce à des solutionsde coordination, qui ne sont autres que des construitssociaux.Des études de cas que nous avons effectuées, nous reti-rons divers enseignements, qui peuvent constituerautant d’éléments d’une grille d’analyse sur ce sujet.Tout d’abord, toute solution de coordination envigueur (dans une situation de travail donnée, à unmoment donné) est le fruit d’un processus pouvants’étaler sur une durée plus ou moins longue.L’élaboration d’une nouvelle séquence d’activités à res-pecter peut, par exemple, nécessiter plusieurs mois d’ef-forts. Un ordre indiquant des tâches particulières àaccomplir peut être une réaction instantanée face à unévénement particulier.

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(6) À nouveau, plusieurs des types qui composent cette typologie sontloin d’être inconnus : par exemple, le calendrier à respecter (cf. SIMON,1947 ; MARCH et SIMON, 1958 ; THOMPSON, 1967 ; VAN DE VEN et al.,1976), les objectifs à atteindre (cf. GALBRAITH, 1973 ; MINTZBERG, 1979)et, surtout, les procédures opératoires à suivre (cf. THOMPSON, 1967 ;LAWRENCE et LORSCH, 1967 ; GALBRAITH, 1973 ; VAN DE VEN et al.,1976 ; MINTZBERG, 1979). Par contre, certains autres types peuvent êtrequalifiés de relativement nouveaux, dans la mesure où on ne les retrouvequ’en filigrane dans la littérature sur la coordination en entreprise. C’estle cas, par exemple, des tâches particulières à accomplir ou du rythme àsuivre, qui peuvent être associés jusqu’à un certain point à la coordinationpar rétroaction de MARCH et SIMON (1958) ; des spécifications à respec-ter, qui entrent pour MINTZBERG (1979, 1989) dans la standardisationdes résultats ; des affectations à assumer et du mode d’assignation à res-pecter, qui ont un lien avec le processus d’allocation des ressources dontparlent MALONE et CROWSTON (1994). Par ailleurs, d’autres types encore– tels que la règle de partage du travail à suivre et la stratégie d’action àsuivre – peuvent être considérés comme totalement nouveaux, du faitqu’ils ne semblent pas avoir de précédents notables dans la littérature.

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Ensuite, les solutions de coordination en vigueur (dansune situation de travail donnée, à un moment donné) nesont généralement pas le fruit d’un seul, mais de plu-sieurs processus de coordination. Par exemple, dans l’en-treprise A, les tâches d’estimation, de préparation et desuivi de travaux de construction que les techniciens deprojets du département Construction majeure avaient à

accomplir (charges de travail à effectuer) – dans le cadrede leur travail d’assistance au chargé de projets de cemême département – renvoyaient à des délégationspériodiques de tâches de la part du chargé de projets.Mais l’approche que ces mêmes techniciens devaientsuivre respectivement (stratégie d’action à suivre) pourmener à bien leur travail dans ce même cadre provenait

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Tableau 3. Les types de solution de coordination mis en évidence par la recherche

Type

Des affectations à assumer

Des charges de travail à effectuer

Des mandats à accomplir

Des tâches particulières à accomplir

Un mode d’assignation à respecter

Une règle de partage du travail à suivre

Une séquence d’activités à respecter

Des objectifs à atteindre

Un calendrier à respecter

Une stratégie d’action à suivre

Des procédures opératoires à suivre

Des spécifications à respecter

Des principes à respecter

Des priorités à respecter

Un rythme à suivre

Description

Un ou plusieurs employés sont invités, ou s’invitent, à changer de champ de responsabilités, ou encore à effectuer des tâches quirelèvent d’un autre poste de travail que le leur.

Un ou plusieurs employés sont invités, ou s’invitent, à réaliser un travail qui entre dans la description des tâches qui leur sontconfiées.

Un ou plusieurs employés sont invités, ou s’invitent, à réaliser un travail qui ne fait pas partie officiellement de leurs tâches, maisqui entre dans leur champ de responsabilités et de compétences.

Un ou plusieurs employés sont invités, ou s’invitent, à réaliser certaines opérations ou démarches particulières en regard du travailqu’ils accomplissent – qu’il s’agisse d’une charge de travail, d’unmandat ou d’une affectation.

Un ou plusieurs employés doivent effectuer certaines tâches seloncertaines modalités de prise en charge.

Un certain nombre d’employés doivent effectuer, chacun, une partied’un volume de travail donné, en fonction de certains critères.

Un certain nombre d’employés doivent accomplir diverses tâchesdans un certain ordre les unes par rapport aux autres.

Un ou plusieurs employés doivent travailler à livrer certains résultats.

Un ou plusieurs employés doivent avoir terminé un travail à une certaine date, ou dans certains délais.

Un ou plusieurs employés doivent suivre une certaine orientationou une certaine méthodologie pour mener à bien leur travail.

Un ou plusieurs employés doivent utiliser certains outils ou procé-der d’une certaine manière pour accomplir certaines tâches.

Un ou plusieurs employés doivent travailler en fonction d’un certain cahier de charges (caractéristiques du produit à obtenir,contraintes à prendre en compte, matériaux à utiliser, etc.).

Un ou plusieurs employés doivent se conformer à certaines valeursou à certaines normes dans la réalisation de leur travail.

Un ou plusieurs employés doivent s’occuper de tel ou tel travail,avant tel ou tel autre.

Un ou plusieurs employés doivent accélérer (ou ralentir) leur cadence de travail.

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de consignes que le chargé de projets leur donnait, par-fois en même temps qu’il leur déléguait des tâches, maisle plus souvent à d’autres moments.Par ailleurs, un processus de coordination peut débou-cher sur une, mais aussi sur plusieurs solutions de coor-dination – généralement pour une situation de travaildonnée, mais aussi parfois pour plusieurs. Par exemple,toujours dans l’entreprise A, le chargé de projets dudépartement Construction majeure déléguait des

tâches à certains de ses techniciens en même temps qu’ilrépartissait les projets de construction entre ceux-ci etqu’il veillait à ce que chacun ait à peu près la mêmecharge de travail dans la tâche parallèle qu’ils accom-plissaient au sein du département. À noter qu’il arriveaussi, de temps à autre, qu’un processus de coordina-tion ne débouche sur aucune solution de coordinationet, ce, pour toutes sortes de raisons. Dans un tel cas, lesefforts consentis pour améliorer la cohérence du travail

Tableau 4. Répartition des solutions de coordination identifiées (par entreprise et par type)

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5

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3

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Entreprise B

14

11

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6

3

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4

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0

0

48

5

1

17

1

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Entreprise C

11

44

19

8

0

0

5

1

3

0

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20

0

0

0

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Entreprise D

2

39

19

3

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7

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4

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1

0

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Total

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31

1

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11

585

Types de solutionde coordination

1. Des affectationsà assumer

2. Des charges de tra-vail à effectuer

3. Des mandats àaccomplir

4. Des tâches particu-lières à accomplir

5. Un mode d’assigna-tion à respecter

6. Une règle de partagedu travail à suivre

7. Une séquenced’activités à respecter

8. Des objectifsà atteindre

9. Un calendrierà respecter

10. Une stratégied’action à suivre

11. Des procéduresopératoires à suivre

12. Des spécificationsà respecter

13. Des principesà respecter

14. Des prioritésà respecter

15. Un rythmeà suivre

Total

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de certains individus au sein de l’organisation demeu-rent en suspens.En outre, certains processus de coordination en regardd’une situation de travail donnée peuvent être récurrents,tandis que d’autres peuvent ne survenir qu’une fois. Ilpeut aussi arriver qu’un processus vienne modifier une(ou plusieurs des) solution(s) de coordination produi-te(s) par un (ou des) processus antérieur(s). Finalement,ces divers processus sont rarement synchrones: en parti-culier, certains peuvent se dérouler très longtemps avantd’autres – à tel point même que, parfois, aucun membrede l’organisation ne s’en souvient. Par exemple, dans l’en-treprise B, lorsqu’un opérateur de la cellule 1 travaillaiten priorité sur certaines pièces, il le faisait généralementparce qu’il avait entre les mains un bon de travail, quiavait été émis quelques jours plus tôt par les planifica-teurs, et qui indiquait une date très rapprochée requisepar le client; il pouvait aussi le faire parce que quelquesminutes auparavant la chef de cellule, ou l’agente de ser-vice à la clientèle, lui avait dit de le faire. Par contre, per-sonne ne pouvait expliquer pour quelle raison les plani-ficateurs eux-mêmes devaient émettre des bons de travailsur la base des dates requises par les clients. L’origine decette procédure était trop lointaine.Cela dit, un processus de coordination est aussi unepratique sociale, qui implique un (ou plusieurs)acteur(s). Ces acteurs qui participent à la production desolutions de coordination ne sont pas nécessairementdes spécialistes (planificateurs, etc.) ou des gestion-naires ; ils peuvent être aussi des employés de la base, etaucun type de solution de coordination n’est en-dehorsde leur champ de compétence – contrairement à ce quelaisse entendre MINTZBERG (1989) (7). Par ailleurs, cer-tains de ces acteurs peuvent figurer au nombre desemployés visés par le processus de coordination. Deplus, ces acteurs peuvent varier dans le temps, surtoutsi le processus est un processus de longue durée, ouencore s’il est ardu de le mener à terme.Comme nous y avons déjà fait allusion, un processus decoordination peut se dérouler dans l’informalité, toutcomme il peut s’agir, au contraire, d’une démarche offi-cielle et publicisée. Ses motifs et objectifs peuvent êtretrès variables: certains acteurs peuvent avoir estimé que,dans telle situation de travail, la coordination était inexis-tante ou quasi inexistante; qu’elle était insuffisante;qu’elle était désuète; ou encore, qu’elle était insatisfaisan-te. Un processus de coordination peut également sedéployer pour des raisons moins directes, parfois moinsévidentes (par exemple, à cause d’un jeu de pouvoir).Un processus de coordination peut, par ailleurs, se réa-liser sous une seule (ou plusieurs) configuration(s) d’ac-teurs. Le cas le plus courant est indéniablement celui de

la prise en charge centralisée : un seul individu s’occuped’émettre une (ou plusieurs) solution(s) de coordina-tion en regard de la situation de travail concernée. Cetindividu est généralement un superviseur, un chef deprojet, un planificateur, etc., mais il peut être aussi par-fois, là encore, un simple employé. Ce fut le cas de cetechnicien de projets du département Constructionrégionale de l’entreprise A qui, du fait de sa très grandeexpérience et de son habileté à travailler sur informa-tique, se permettait, avec l’accord (parfois explicite,parfois tacite) de son chef de département, de préciser,de réviser et de mettre sous forme électronique les pro-cédures que ses collègues et lui-même avaient à utiliserdans leur travail. D’autres cas de figure existent cepen-dant, tel celui où les employés impliqués fonctionnenten équipe et se concertent entre eux pour produire lessolutions de coordination attendues ; ou encore, celuioù les employés adoptent individuellement des solu-tions de coordination leur permettant de s’ajuster autravail de leurs collègues, à partir d’observations qu’ilsont faites ou d’informations qu’ils ont reçues (ou sontallés chercher auprès d’eux).De plus, les acteurs impliqués dans un processus decoordination utilisent, ou mobilisent, toutes sortes dedispositifs et d’artefacts pour produire des solutions decoordination. Ces dispositifs et artefacts peuvent êtredes structures organisationnelles (poste hiérarchique,poste de coordonnateur, poste d’agent de liaison, grou-pe de projet, comité permanent, etc.), des espaces(espace de travail ouvert, espaces de travail rapprochés,espace de travail commun, salle de réunion, espace derencontre, etc.), ou encore des outils et des techniques(contact direct, téléphone, messagerie électronique,réunion, activité sociale, etc.).Finalement, un processus de coordination se dérouletoujours dans un contexte de jeux de pouvoir et de rap-ports de force ; il n’y a donc pas nécessairement de« linéarité» dans le processus. Ces jeux de pouvoir et cesrapports de force peuvent être un des facteurs condui-sant à l’arrêt du processus. Ils peuvent aussi être à l’ori-gine d’une bifurcation de sa trajectoire. De plus, il arri-ve que les solutions de coordination qui en émanent nesoient pas suivies à la lettre par les employés visés, ou dumoins par certains d’entre eux, ceux-ci n’y trouvant pasleur compte (8). Par exemple, dans l’entreprise A, uningénieur du département Ingénierie avait émis uneprocédure afin que tous les techniciens-inspecteurs dudépartement Construction régionale, notamment, véri-fient effectivement et de la même façon les travauxd’installation de certains postes de mesurage effectuéspar des entrepreneurs associés à l’entreprise. Mais cetteprocédure a été modifiée, peu de temps après, par un

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(7) En effet, pour MINTZBERG (1989), la production des procédures etdes spécifications de travail, entre autres, est plutôt l’apanage des spécia-listes de la technostructure : «La standardisation des procédés de travailréalise la coordination en spécifiant les procédés de travail de ceux quidoivent réaliser des tâches interdépendantes. (Ces standards sont habi-tuellement établis au niveau de la technostructure pour être exécutés au

niveau du centre opérationnel, comme, par exemple, dans le cas des ins-tructions de travail qui proviennent des études d’organisation scienti-fique du travail) » (p. 157).

(8) On retrouve ici les fameux « jeux » et « tricheries » autour des règles,décrits par plusieurs auteurs (CROZIER et FRIEDBERG, 1977 ; PAVÉ, 1989 ;de TERSSAC, 1992).

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technicien de projets du département, ce technicien etses collègues estimant que certaines réalités de leur tra-vail n’avaient pas été prises en compte par l’ingénieur.

CONCLUSION

Au départ, l’intention de cet article était de retravaillerles fondations sur lesquelles reposent bon nombre derésultats de recherche portant sur la coordination ausein des organisations – ces fondations apparaissant engénéral peu robustes. Cet article propose, en définitive,un nouveau cadre conceptuel, une nouvelle grilled’analyse, permettant d’y voir plus clair dans le phéno-mène. Ce nouveau cadre suggère essentiellementd’aborder la coordination via une définition originale(à la fois compréhensive et précise), à un niveau d’ana-lyse judicieux (la situation de travail), en ne confondantpas solutions de coordination et processus de coordina-tion.Il est clair que certains des éléments du cadre proposédemandent à être validés, tandis que d’autres pourraient

être quelque peu affinés. Les typologies des situations detravail et des solutions de coordination, en particulier,pourraient être testées statistiquement, et éventuellementaméliorées. Et cela, même si elles ont été obtenues en res-pectant scrupuleusement les canons de la recherche qua-litative (GLASER et STRAUSS, 1967; YIN, 1994). La ques-tion du support «matériel» des solutions de coordinationmériterait aussi assurément une investigation supplé-mentaire particulière. Il serait intéressant, entre autres, devérifier si l’on peut mettre sur le même plan un ordredonné oralement, un manuel de procédures et un systè-me informatique de gestion intégrée (sachant que toutsystème de ce genre comporte diverses contraintes etopportunités en matière de coordination (LEMAIRE,2003; ALSÈNE, 2005).Cela dit, il nous semble que les éléments proposés for-ment déjà, en leur état actuel, un ensemble manifeste-ment heuristique.En premier lieu, ces éléments permettent d’approcheravec beaucoup plus de perspicacité les problèmesconcrets de coordination rencontrés au sein des organi-sations. En effet, ils invitent tout d’abord à identifier lasituation de travail pour laquelle un problème de coordi-

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Encadré 2

EXEMPLE DE NOUVELLE APPROCHE D’UN PROBLÈME DE COORDINATION

Il n’était pas rare, dans l’entreprise A, que le chargéde projets du département Construction régionalelance des travaux de construction bien que la concep-tion des installations par son département n’eût pasété approuvée par le département Ingénierie. Face àce problème de coordination, la tendance, chez lesingénieurs du département Ingénierie en charge de laconception du réseau de la compagnie, était le rappelà l’ordre du chargé de projets du départementConstruction régionale. Toutefois, cette solutionn’était pas vraiment efficace.

Dans ce cas, une situation de travail bien préciseétait en cause : les ingénieurs du départementIngénierie avaient un service d’ingénierie à fournirau département Construction régionale pour cequi avait trait à la préparation des travaux deconstruction en général, et à la conception des ins-tallations à réaliser en particulier. Par ailleurs, ilexistait une solution de coordination vis-à-vis decette situation de travail – en l’occurrence, uneprocédure à suivre par le département Cons-truction régionale, qui consistait à remplir un for-mulaire d’approbation de design, puis à l’envoyerau département Ingénierie. Cette solution était envigueur depuis plusieurs années. Elle avait étéémise, puis révisée périodiquement, par des ingé-

nieurs du département Ingénierie en charge de laconception du réseau. Par contre, cette solutionétait à la fois insatisfaisante et insuffisante : insatis-faisante, parce que le formulaire n’était pas tou-jours rempli correctement par les techniciens deprojets du département Construction régionale(notamment parce qu’ils n’avaient jamais étéconsultés lors de sa conception et de ses révisionspar le département Ingénierie et qu’ils le trouvaientplus ou moins adéquat et pertinent) ; et insuffisan-te, parce que cette procédure ne pouvait garantir, àelle seule, une bonne coordination de la fourniturede services du département Ingénierie au départe-ment Construction régionale (aucun délai deréponse, en particulier, n’était fixé au départementIngénierie, avec la conséquence que le départementConstruction régionale n’était pas en mesure deplanifier correctement l’exécution de ses travaux deconstruction).

En définitive, pour solutionner réellement le pro-blème, on aurait peut-être pu penser à : 1) émettreun nouveau formulaire qui, lui, fasse consensus(par l’intermédiaire, par exemple, d’un comitéconjoint entre les départements Ingénierie etConstruction régionale) ; et à : 2) fixer un délai deréponse du département Ingénierie au départe-ment Construction régionale, délai qui paraisseraisonnable aux deux parties (via, par exemple, unerencontre entre le chargé de projets du départe-ment Construction régionale et le chef de servicedu département Ingénierie).

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nation se pose, ce qui permet de bien circonscrire ce der-nier ainsi que les acteurs directement concernés. Ensuite,ils incitent à analyser la (ou les) solution(s) de coordina-tion en vigueur relativement à cette situation de travail,tant en termes de contenu qu’en termes d’historiquepropre. C’est à partir de là qu’une évaluation de la perti-nence de ces solutions peut être effectuée, et que, finale-ment, diverses recommandations ou décisions – origi-nales, éventuellement – peuvent être émises ou prises(encadré 2).En second lieu, les éléments de recadrage concep-tuel proposés permettent de développer des appro-fondissements – voire des remises en cause – de cer-taines théories organisationnelles. Par exemple, lathéorie des configurations structurelles deMINTZBERG (1979, p. 268) repose, notamment, surl’idée que « dans chaque configuration, il y a unmécanisme de coordination qui est dominant ».Lorsqu’on raisonne en termes de situations de tra-vail et de solutions de coordination, on s’aperçoitrapidement qu’il existe des dizaines de situations detravail différentes dans une entreprise d’une certai-ne importance, et des dizaines, voire des centaines,de solutions de coordination en regard de ces mul-tiples situations de travail (9). Il apparaît définitive-ment assez difficile et hasardeux d’extirper de cestrès nombreuses solutions de coordination un modeprincipal de coordination valable pour l’ensemblede l’entreprise.Autre exemple : la théorie de la contingence structu-relle avance que certains modes de coordinationsont plus appropriés que d’autres, dans certainscontextes (MARCH et SIMON, 1958 ; THOMPSON,1967 ; LAWRENCE et LORSCH, 1967 ; GALBRAITH,1973 ; VAN DE VEN et al., 1976 ; MINTZBERG, 1979).Le fait de distinguer d’une part onze types de situa-tion de travail et, d’autre part, quinze types de solu-tion de coordination incite à vérifier si cette théories’applique également à ces différents types. Tou-tefois, cela laisse planer, d’emblée, une difficulté : ilne sera pas possible de dégager un type unique desolution de coordination par type de situation detravail – comme ont pu le faire, à leur manière,MARCH et SIMON (1958) et THOMPSON (1967) – dansla mesure où le nombre de types de solution decoordination mis au jour dépasse le nombre destypes de situation de travail répertoriés. L’hypothèsede divers « paquets » de types de solution de coordi-nation, appropriés respectivement aux divers typesde situation de travail répertoriés, pourrait notam-ment être explorée.Finalement, la théorie de la régulation suggère quecoexistent deux formes de production de règles, quis’opposent entre elles, au sein des entreprises : l’une,dite « régulation de contrôle», émane de la direction,

est de type plutôt formel et vise à maîtriser la capacitéde production des salariés ; l’autre, dite « régulationautonome», émane des salariés, est de type plutôt infor-mel et vise à se prémunir contre l’emprise de la direc-tion (REYNAUD, 1988). Les solutions de coordination,en tant que prescriptions, peuvent être considéréescomme des règles. Elles sont toutefois loin d’être tou-jours informelles, lorsqu’elles sont émises par lesemployés de la base. Et même si elles s’opposent parfoisaux solutions produites par la direction (ou par certainsspécialistes), ainsi que l’ont montré certains exemplesrapportés dans cet article, elles sont aussi très souventuniquement motivées par une logique d’efficacité –comme en témoigne le cas de ce technicien de projetsdu département Construction régionale de l’entrepriseA, qui n’hésitait pas, pour améliorer son propre travailet celui de ses collègues, à préciser et à réviser les procé-dures qu’ils avaient à suivre. ■

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(9) À titre indicatif : 3,6 solutions de coordination ont été recensées enmoyenne dans les entreprises étudiées pour chaque situation de travail –le maximum étant de 35 (pour la situation de travail en relais desmembres de la cellule 1, dans l’entreprise B).

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Il y a quelques mois à peine, le samedi 4 novembre2006, l’Europe frôlait un des plus graves accidents élec-triques de son histoire. Rappelons-nous : l’interruptiond’une ligne de haute tension, en Allemagne, destinée àpermettre à un bateau de croisière norvégien derejoindre le port néerlandais d’Eemshaven, provoquaune réaction en chaîne, plongeant 10 millions de foyerseuropéens dans le noir complet. Certains s’étaient éton-nés qu’un événement aussi banal que la progressiond’un gros navire sur une rivière traversée par quelquescâbles eût pu provoquer une crise aussi intense, d’au-tant que la coupure de la ligne incriminée, outre deconstituer une procédure parfaitement ordinaire, étaitprogrammée à l’avance. D’autres, au contraire, s’étaientfélicités que l’effet de dominos provoqué par la chutebrutale d’électricité dans le segment occidental duréseau eût pu être maîtrisé en moins d’une demi-heure,évitant ainsi la catastrophe. Peu importe. Dans un cascomme dans l’autre, ce sont bien les mécanismes decoordination qui ont été en jeu, et dont chacunconviendra qu’ils constituent des éléments stratégiquesdans la vie des organisations. C’est, du reste, un objetd’attention particulièrement étudié par la littératureacadémique — qu’elle émane des sciences de gestion,des sciences économiques ou de la sociologie des orga-nisations.Éric Alsène et François Pichault rappellent un certainnombre des catégorisations qui ont découlé de ces tra-vaux, dont, par exemple, la théorie des configurationsstructurelles de Mintzberg constitue une parfaite illus-tration. Ils considèrent néanmoins ces typologies «peurobustes» et le concept de coordination «passablementvague et ambigu» au regard de leur capacité à rendrecompte de la diversité et de la complexité des pratiques

les plus concrètes. Car l’enjeu de l’article est là. Au lieude chercher à catégoriser les modes et les dispositifs decoordination au niveau de l’organisation ou de l’unité– l’entreprise, l’établissement, l’atelier – les auteursentendent explorer les « solutions de coordination»telles qu’elles émergent depuis le travail accompli, etqui obligent à s’intéresser de près à ce que font concrè-tement les personnels, dès lors qu’ils sont engagés dansune action. Comment organiser la relève d’une équipedont les remplaçants doivent poursuivre le travail ?Comment transmettre les informations relatives à uneactivité dont chacun n’assure qu’un fragment ?Comment penser l’intervention d’experts en charge depallier les difficultés momentanées d’une équipe oud’une personne au cours de l’exécution de ses tâches ?Ces quelques exemples, dont l’enquête réalisée par ÉricAlsène et François Pichault établit une liste exhaustive,invitent à une réduction d’échelle de l’analyse, en fai-sant des « situations de travail » le point de passageobligé pour la réflexion.Ce changement de focale d’observation contribueindiscutablement à renouveler la description des pro-cessus de coordination. Il rejoint, en cela, tout un cou-rant de recherches opérant un véritable tournant prag-matique, toutes soucieuses d’aborder les organisationsdepuis l’action pratique et les raisonnements de leursmembres. On pense aux travaux menés dans la pers-pective de la « cognition distribuée» ou de l’ethnomé-thodologie, pour lesquels la coordination constitue unenjeu d’observation déterminant, et dont témoignentles workplace studies particulièrement attentives auxsituations délicates (comme l’appontage sur un porte-avions ou la régulation du trafic aérien). On songe éga-lement aux travaux sur les activités coordonnées et les

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DÉBAT À PROPOS DE L’ARTICLE «LA COORDINATION AU SEIN DES ORGANISATIONS»

L’article d’Éric Alsène et François Pichault a suscité un débat entre les rapporteurs quiavaient à l’évaluer. Si l’un d’eux a soutenu de façon constante les différentes versions del’article soumis au comité de rédaction, l’autre, Jean-Marc Weller, a fait état, de manièrenon moins constante, de sa réticence. Finalement, le comité de rédaction a décidé depublier l’article en lui adjoignant un débat entre Jean-Marc Weller et les auteurs, ce qui aaussi pour vertu de rappeler l’importance que Gérer et Comprendre attache à la contro-verse scientifique comme moyen de connaissance.

Comment ne pas effacer ses données ?

Jean-Marc WELLER, Membre du comité de rédaction de Gérer et Comprendre, chercheurau Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés de l’École nationale des Ponts etChaussées

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problèmes de construction du sens dans les organisa-tions d’un Karl Weick. On pense encore aux efforts desconventionnalistes, en économie, à comprendre lesrégimes de pratiques et les modes de coordination,sans les dissocier des dispositifs de qualification desbiens et des personnes. Les auteurs n’évoquent quasi-ment pas cette littérature aux courants multiples, bienéloignés de la «perspective contingente» qu’ils leurattribuent néanmoins sans autre explication. C’estdommage. Mais le caractère problématique du mouve-

ment proposé par Éric Alsène et François Pichault àl’endroit de la coordination demeure intact : sedéprendre des catégorisations générales abusivementréductrices, pour entrer dans l’épaisseur des situations.On devine alors peut-être tout l’intérêt qu’il y aurait euà pénétrer, cette soirée de week-end de novembre2006, l’article d’Éric Alsène et de François Pichaultdans les mains, dans une des salles de régulation decette compagnie électrique en charge de gérer le réseauallemand, pour comprendre les pratiques effectives dela gestion des flux de plusieurs milliers de gigawatts sur

tout un territoire, et saisir ainsi les épreuves de coordi-nation qui ne manquent pas de surgir. Hélas, de monpoint de vue, c’eût été revenir bredouille. Car la belleassurance de pouvoir trouver, dans les typologies pro-posées par les auteurs, un guide pour saisir « les pro-blèmes concrets de coordination », perd vite de sa fer-meté. Et ce, pour deux raisons majeures.La première tient à la démarche. Le choix de recourir àla modélisation plutôt qu’à la description monogra-phique (*) supposerait d’être explicité. Faute de quoi,

l’effort à vouloir collecter une à une chaque situation detravail, puis à les typifier, risque fort d’apparaître vain.Un travail de géant, dont l’espoir de déduire de cesclassements un tableau général de toutes les solutionsde coordination possibles, témoigne même d’une in-croyable naïveté. Les auteurs font comme si les situa-

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[…] s’agit-il plutôt d’une cohérence que le chercheur estime depuis sa position d’observateur extérieur, en surplomb ? (Mosaïque depavement figurant un labyrinthe, Palais du Té, Mantoue, Italie).

(*) Sur cette alternative usuelle des sciences économiques et sociales, voirDESROSIÈRES, A. 1989. «L’opposition entre deux formes d’enquête :monographie et statistique », in L. BOLTANSKI et L. THÉVENOT (éd.),Justesse et justice dans le travail, Paris, CEE/PUF, p. 1-10.

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RÉPONSE DES AUTEURS À JEAN-MARC WELLER

De la prétendue infériorité de certaines démarches de recherche

Éric ALSÈNE et François PICHAULT

Depuis des dizaines d’années, notamment depuisGLASER et STRAUSS (1967), d’innombrables chercheursen sciences sociales produisent des catégories et desthéories de manière inductive, à partir d’une confron-tation systématique entre les données qu’ils recueillentet les éléments théoriques qu’ils construisent, ceux-ciétant reformulés jusqu’à saturation, c’est-à-dire jusqu’à

ce qu’aucune donnée nouvelle ne vienne les contredire(LAPERRIÈRE, 1982). On conviendra que ces innom-brables chercheurs ne peuvent pas être tous des naïfs, etce, même s’ils ont opté pour une démarche autre que ladémarche monographique – voire ethnométhodolo-gique – que semble chérir notre critique. Dans notrecas, la confrontation systématique avec le terrain a per-

tions de travail s’imposaient d’elles-mêmes, pouvaientêtre constatées, répertoriées, enregistrées, sommées,comme on cueille un fruit mûr prêt à être ramassé etstocké, cette accumulation de situations rendant pos-sible une comparaison plus systématique. Pourtant,chacun le sait bien, aucune situation de travail ne res-semble, en soi, à aucune autre ! Le rapprochement desquelque 164 situations recensées supposerait qu’onexplicitât les critères posés a priori qui ont permis auxauteurs d’en déduire 11 types possibles, autrementqu’en évoquant ici ou là quelques éléments, comme ledegré d’interdépendance des tâches ou d’autonomiedes opérateurs, mais dont on n’est pas certain qu’ilsaient permis de construire de manière systématiquel’ensemble de la typologie. Faute de quoi, on ne com-prend pas très bien ce que recouvrent exactement cer-taines catégorisations. Quel intérêt y a-t-il, parexemple, à distinguer les situations où un «mode d’as-signation» est à respecter de celles où c’est une«séquence d’activités» qui doit l’être ? Est-on bien sûrque cela n’ait rien à voir avec le cas où les opérateurs ont«des spécifications» à respecter, ou des «procédures » àsuivre ? Sans doute les auteurs ont-ils des argumentsbien précis sur la nature exacte et la légitimité des cri-tères adoptés qui les ont conduits à différencier cestypes de situation, mais le lecteur, faute de les connaîtreexplicitement, éprouve la curieuse impression d’un cer-tain flou.Pour se rassurer, il pourra s’en remettre à la définitiongénérique que proposent les auteurs quant au problè-me de fond étudié ici, à savoir la coordination. Hélas,l’embarras qui l’envahit risque fort de ne pas le quitter.Car, au-delà de la démarche proprement dite, se poseun problème de définition. Éric Alsène et FrançoisPichault avancent que la coordination peut être consi-dérée comme «une recherche de cohérence dans le tra-vail qui est accompli par un ensemble d’individus ».

Soit. Mais de quelle cohérence s’agit-il, exactement?Faut-il ici comprendre qu’il s’agit d’une cohérence dupoint de vue des acteurs, telle qu’ils la définissentdepuis les situations où ils sont engagés, au travers deleurs propres manières d’éprouver ce qui fait problèmepour l’action? Ou s’agit-il plutôt d’une cohérence quele chercheur estime depuis sa position d’observateurextérieur, en surplomb? Et, dans ce cas, selon quels cri-tères ? Là encore, l’article reste muet.Ces silences, concernant aussi bien le bien-fondé de ladémarche que la définition de l’objet de la recherche,s’accordent mal avec l’intention revendiquée par lesauteurs de restituer la coordination dans toute sa consis-tance. Certes, les typologies qu’on trouve classiquementdans la littérature ne permettent pas d’accéder à la diver-sité et au chatoiement des situations de travail. Maisl’enquête d’Éric Alsène et de François Pichault le per-met-elle davantage? Certes, les typologies qu’ils criti-quent sont réductrices. Mais ne permettent-elles pas,malgré tout, de saisir l’organisation, à partir de problé-matiques précises concernant l’information, le pouvoirou l’ajustement au marché? Certes, celle qu’avancent lesauteurs est indéniablement plus complexe. Mais, au-delà même de sa fâcheuse imprécision, n’est-elle pas seu-lement plus compliquée? Avec ses 11 types de situationset ses 15 solutions de coordination, quel guide le cher-cheur peut-il espérer en tirer pour comprendre la réali-té du travail, équipé de cette grille de lecture dont il nesait ce qui l’organise vraiment? Et pour dire quoi? Nefaut-il pas voir, dans cette faible lisibilité, le désajuste-ment entre la méthode utilisée pour décrire le travail despersonnels et l’objectif, annoncé par les auteurs, d’uneattention plus délicate à son accomplissement ?Comment ne pas se demander si, au bout du compte,la démarche typologique ne contribue pas davantage àeffacer les «situations »décrites par une enquête (pour-tant approfondie) qu’à les problématiser vraiment?

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mis de dégager progressivement non seulement onzetypes de situation de travail et quinze types de solutionde coordination, mais aussi, et surtout, de construireune nouvelle définition de la coordination au sein desorganisations, d’apporter la notion de situation de tra-vail comme base de référence pour analyser le phéno-mène, et de mettre en avant les notions de processus etde solution de coordination, qui permettent d’y voirplus clair dans les pratiques et les modes de coordina-tion. Tous ces éléments ont été travaillés et retravaillésjusqu’à ce qu’ils puissent englober l’ensemble des don-nées recueillies, tout d’abord dans chaque entrepriseétudiée, puis d’une entreprise étudiée à l’autre.Soulignons par ailleurs que les chercheurs adeptes de laconstruction inductive et systématique des catégories etdes théories ne sont généralement pas des chercheursqui travaillent en vase clos. La plupart impliquent eneffet, d’une manière ou d’une autre, dans leur travail deconstruction les acteurs qui font partie de leur champd’étude. Dans notre cas, la définition proposée de lacoordination provient de plusieurs allers-retours avecdivers employés des entreprises étudiées. Dans chaqueentreprise, une liste préliminaire des situations de tra-vail recensées a été soumise à divers cadres, en vue d’unerétroaction. En fin de travail de terrain, un rapport des-criptif des situations de travail et des solutions de coor-dination en usage a été rédigé pour chaque entreprise etsoumis à certains cadres pour validation, complémentset corrections.Cela dit, il est important de ne pas confondre laconstruction des catégories et des théories, et leur utili-sation pour comprendre des phénomènes et éventuelle-ment agir vis-à-vis d’eux. Une fois que des catégories etdes théories ont été produites (de manière inductive oudéductive, soit dit en passant) et sont disponibles pourle public, elles peuvent être utilisées indépendammentde leur mode de construction: «en surplomb» par desanalystes, comme le fait notre critique qui affirme que,dans l’affaire de la panne d’électricité du 4 novembre2006 en Europe, « ce sont bien des mécanismes de coor-dination qui ont été en jeu » ; ou alors de manière parti-cipative, en collaboration avec les acteurs concernés –ce qui suppose éventuellement un processus d’explici-tation et d’appropriation des catégories et des théoriesmobilisées.Incidemment, notre critique doute de l’utilité des élé-ments de recadrage conceptuel de la coordination ausein des organisations, auxquels notre recherche, effec-tuée dans quatre entreprises, nous a conduits. Pour lui,si l’on était allé le 4 novembre dernier avec ce cadreconceptuel dans une des salles de régulation de la com-pagnie en charge de gérer le réseau allemand d’électri-cité, on serait reparti bredouille ; on n’aurait rien com-pris à la situation. Encore aurait-il fallu, pour en arriverà une telle conclusion, qu’il tentât de faire l’exercice quesuggère le cadre que nous proposons.

Essayons, pour finir, de le faire à sa place, malgré le peud’informations dont nous disposons pour l’instant. Ilsemble que le 4 novembre dernier, il y ait eu, au départ,une erreur dans l’ajustement entre les diverses sourcesd’électricité du réseau allemand, après qu’une ligne àhaute tension eut été temporairement coupée dans leNord-Ouest de l’Allemagne pour permettre à unbateau de manœuvrer sur une rivière. Supposons quecette erreur d’ajustement soit intervenue dans une sallede contrôle de la compagnie allemande qui a procédé àl’arrêt de la ligne à haute tension. Selon le cadre quenous proposons, pour que l’on puisse parler de ce pro-blème d’ajustement comme d’un problème de coordi-nation, il faudrait que celui-ci renvoie à un problème decohérence dans le travail accompli par un ensembled’individus. Si, par exemple, le 4 novembre, c’est unprogramme informatique qui a fait défaut, ou encores’il s’est agi d’une erreur d’appréciation d’un individutravaillant seul dans la salle de contrôle en question,alors on ne devrait pas envisager le problème commeun problème de coordination (du travail, au sein de lacompagnie visée). Supposons que tel ne fut pas le cas,et que l’erreur d’ajustement renvoie bien à un problèmede cohérence dans un travail accompli par un ensembled’individus. On doit maintenant cerner la situation detravail en jeu : les acteurs impliqués étaient-ils, parexemple, en situation de travail en rotation, de travailen relais, ou de travail concourant? Supposons qu’ils’agissait d’un travail concourant, où plusieursemployés travaillaient simultanément, mais chacun deleur côté, à évaluer les flux d’énergie à l’intérieur duréseau d’électricité allemand. Reste alors à déterminer la(ou les) solution(s) de coordination de leur travail quin’ont pas fonctionné, ou qui ont manqué, dans le casd’espèce. Cela pourrait être le fait qu’un des employésn’ait pas transmis à un autre employé une informationpréliminaire, comme une procédure le prévoyait. Celapourrait être aussi que les objectifs de travail de chacundes employés n’étaient pas clairs, et qu’une tâche parti-culière de vérification avait été omise.Si, seuls, ou avec l’aide de certains acteurs, nous parve-nions à développer une analyse de ce genre, sortirions-nous vraiment bredouilles de la salle de contrôle ?Aurions-nous vraiment, alors, «effacé» les données ànotre disposition, en utilisant les notions et les typolo-gies que nous proposons?

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À propos de l’ouvragede Paul RABINOW,Une France si moderne, Naissancedu social, 1800-1950,Paris, Buchet-Chastel, 2006

On connaît PaulRabinow pour la

contribution à la compréhensionde la pensée de Michel Foucault,qu’il livra, il y a plus de vingt ans,avec son collègue Hubert Dreyfus(1). Quelques années après, parais-sait aux États-Unis un livre qui,sous le titre de French Modern (onnotera un léger décalage avec letitre retenu pour la présente traduc-tion française), réaffirmait simulta-nément sa filiation et son intérêtpour la figure de l’intellectuel fran-çais, mais aussi plus largement pourla France et son projet moderne. Eneffet, du point de vue de sa métho-de, cet ouvrage s’inscrit explicite-ment dans une perspective foucal-dienne, même s’il s’en distingued’emblée par une approche davan-tage anthropologique que philoso-phique et même si l’auteur étend auXIXe siècle et au début du XXe unprojet foucaldien d’histoire des sys-tèmes de pensée. Cette périodedonne évidemment tout son sensau sous-titre de l’ouvrage, car ils’agit bien, pour l’auteur, de mon-trer comment, en corollaire d’undéveloppement d’approches mo-dernes, on en est venu à considérerla société comme objet naturel ouuniversel, doté de ses propres lois etconstitué en objet de gouverne-ment.On dira que cette histoire-là estsans doute déjà connue (s’agissantdu champ social au sens strict) avecnotamment moult travaux d’histo-

riens décrivant, tout au long duXIXe siècle, les impasses d’une régu-lation reposant sur une conceptionstrictement libérale de l’individu,les problèmes concrets des secourspublics (et des accidents du travail)et finalement, la naissance progres-sive d’un modèle de l’État provi-dence. Paul Rabinow intègre biences travaux, mais il les enrichitd’une analyse simultanée d’autreschamps de développement de lamodernité, tels la politique colo-niale ou encore l’urbanisme. Ditautrement, il s’efforce de caractéri-ser la modernité (et, donc, la nais-sance du social) comme une multi-plicité.Par ailleurs, il ne réduit pas sonanalyse de la modernité à l’un deses champs disciplinaires privilégiésde développement (art, philoso-phie, science, etc.). Il la situe, aucontraire, à un niveau intermé-diaire, anthropologique, entre la«haute culture » et la science d’unepart, et la « vie ordinaire » d’autrepart. Cela conduit l’ouvrage à s’at-tacher, bien souvent de manièreextrêmement détaillée, à un typed’acteurs que, pour citer l’un deses protagonistes, Hubert Lyautey« […], l’on peut à juste titre appe-ler ‘techniciens des idées générales’.Ces hommes […] furent les inven-teurs et les praticiens d’un sous-ensemble de pratiques, discours etsymboles de la modernité sociale –expression qu’ils affectionnaient ».La nature de ce projet a une consé-quence majeure sur la forme del’ouvrage, à deux titres au moins.Premièrement, il est construitautour de dix chapitres qui, bienqu’enchâssés dans une perspectivechronologique, sont assez libre-ment enchaînés et abordent desaspects assez différents de l’histoire :«une longue série de sujets appa-remment très divers s’y trouveabordée, tandis que leurs inter-connexions (partielles) ne sontque progressivement explicitées »,comme le reconnaît l’auteur lui-même. Deuxièmement, l’ouvragene comporte pas de conclusion,mais seulement une postface, écriteà l’occasion de sa parution en fran-

çais. Le lecteur francophone neperd pas au change car l’éditionfrançaise réussit à éclairer rétrospec-tivement l’ouvrage, tout en mettanten scène le basculement qui mena-ce aujourd’hui la France : ne plusêtre moderne ! Nous y reviendrons.Le souci de Paul Rabinow, de s’at-tacher à suivre la trajectoire dequelques-uns de ces « techniciensdes idées générales » lui permetd’envisager les champs variés danslesquels, plus ou moins indépen-damment les uns les autres, le pro-jet moderne s’est (non sans heurts)progressivement forgé. Parmi lestrès nombreux personnages évo-qués, on en retiendra trois, emblé-matiques de trois moments et detrois champs bien différents.Le premier est Frédéric Le Play(1806-1882), ingénieur métallur-giste de formation et réformateursocial d’ambition, qui entendaitd’ailleurs concilier ces deux fa-cettes : «dans la science de la sociétécomme dans celle de la métallurgie,je ne croirais pas avoir trouvé lavérité tant que mes idées ne s’ap-puieraient pas sur l’observationdirecte des faits ». Il va concrétiserce souhait dans son travail (ondirait aujourd’hui de recherche) leplus fameux – Les Ouvriers euro-péens –, vaste enquête publiée àdeux reprises (en 1855 et en 1878-1879). Celle-ci fut menée auprès defamilles d’ouvriers de l’Europe etdu monde afin de mieux saisir leurmode de vie (notamment par unenregistrement systématique deleurs dépenses) et d’établir un systè-me classificatoire de la famille.Certains voient aujourd’hui dans cetravail un des premiers exemples derecherche empirique en sciencessociales, mêlant observation etquantification. Ce type d’enquêtestatistique, Le Play allait saisir diffé-rentes occasions pour le promou-voir, par exemple en enrichissant,lors de ses fonctions au ministèredes Travaux publics, les enquêtesindustrielles de données sur la vieprivée des ouvriers. Car, en vérité,cette approche rejoignait les opi-nions du personnage : le sentimentque les relations d’autorité étaient

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RECHERCHE TECHNICIENS DES

IDÉES GÉNÉRALES…

(1) Michel Foucault, un parcours philosophique,Gallimard, 1984.

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centrales dans une société indus-trielle qui, précisément, avait dis-sous les anciennes formes de solida-rité et qu’il convenait de soutenirde telles relations, notamment à ceniveau élémentaire qu’est la famille.D’où le recours à l’enquête pourétablir un diagnostic fondé surl’état moral de la société. Projetmoderne s’il en est.Le second, Hubert Lyautey (1854-1934), officier issu de Saint-Cyr etfutur maréchal de France, est audépart proche de certaines des idéesde Le Play, notamment sur le rôledes élites et le développement d’unpaternalisme moralisateur. Mais larencontre avec les colonies, et enpremier lieu l’Algérie (où il séjour-ne pour la première fois à l’âge devingt-quatre ans), et le souhaitardent de réformer l’institutionmilitaire et d’en faire un outil auservice du social allaient vite l’éloi-gner d’une vision trop moralisatricede l’individu. En effet, la défaitemilitaire de 1870 et l’institutionna-lisation (en 1872) d’une armée deconscription le conduisent à uneréflexion sur le rôle de l’armée,selon lui plus éducatif que tournévers la guerre, et, au-delà, à consi-dérer (comme le souligne Rabinow)que «même si certains effets mora-lisateurs pouvaient être attendus dedispositions sociales nouvelles, cesderniers ne seraient jamais que desbénéfices secondaires ». Il allait pro-gressivement trouver en Indochine,et surtout ensuite à Madagascar etau Maroc, des terrains propices àl’expérimentation sociale qu’ilentendait mener. Celle-ci, à l’instard’un Le Play, passera d’abord par ledéveloppement de connaissancesnouvelles (en l’occurrence, de typeethnographique) et par une visionnouvelle du rôle de l’armée dans lescolonies, où les soldats se feraient« contremaîtres, chefs d’ateliers,instituteurs, jardiniers […]», afind’ouvrir les peuples à la voie indus-trielle, agricole, économique « etaussi — oui, il faut le dire — à uneplus haute vie morale, à une vieplus complète ».Avec Tony Garnier (1869-1948),notre troisième personnage, on

aborde cette fois l’élite dans sonvolet artistique. Prix de Rome en1899, ce Lyonnais appartient eneffet à l’élite des architectes, mêmesi, par ses origines modestes et parson inclinaison à mettre les ques-tions sociales au centre, il s’est viteécarté de la trajectoire académiqueà laquelle son séjour à la VillaMédicis le prédisposait. C’estdurant ce séjour de cinq ans qu’ilélabore son célèbre projet de « citéindustrielle ». Il réalise d’ailleursplusieurs de ses envois à l’Institut(envois obligatoires, en sa qualitéde pensionnaire) sur ce thème, cequi n’est pas sans susciter une cer-taine réprobation, au point que sestravaux finiront par ne plus êtreaffichés. Il y traduit spatialementl’idée qu’« en architecture, la véritéest le produit de calculs effectuéspour satisfaire des besoins connus àl’aide de moyens connus ». Et der-rière le terme de besoins, il faut évi-demment comprendre besoins so-ciaux. Ainsi, sa cité industrielle,finalement peu développée sousl’angle industriel, établit en re-vanche précisément les caractéris-tiques des bâtiments des secteursrésidentiels, administratifs et dédiésaux établissements de soins, ainsique les équipements collectifs né-cessaires (tramway, nombreusesécoles, bibliothèques et archives,etc.). Tandis qu’église, caserne, pri-son, poste de police ou tribunalsont absents de son plan, un com-plexe hospitalier spécialisé dans lesaccidents du travail indique sonsouci de réforme sociale. LeCorbusier, moderne par excellence,érigera cette cité en modèle,quelque vingt ans plus tard.On l’aura compris à partir de cestrois brefs portraits, Paul Rabinows’efforce de rendre compte de lamodernité française, entendue noncomme le projet d’une nation, maiscomme le produit d’une certainelignée de réformateurs sociaux,avec leurs trajectoires et leurs hési-tations spécifiques. Ainsi, il se refu-se à définir la modernité : «parcequ’elle n’a pas d’essence et qu’ellerenvoie à tant de choses diverses, ilparaît futile – ou ce serait simple-

ment participer du processus demodernisation – de s’étendre lon-guement sur des définitions abs-traites, et plus heuristique et plusethnographique, sans doute, d’exa-miner comment le terme a étécompris et employé par ces prati-ciens autoproclamés ». C’est doncdans le foisonnement, dans la mul-tiplicité d’initiatives individuelles,de champs d’expérimentations, dechamps du savoir (hygiène, statis-tique, biologie, etc.), de dispositifset de doctrines que l’on peut com-prendre la véritable spécificité d’unprojet de société, moderne, enFrance.Même si Paul Rabinow nous aban-donne un peu tôt dans ce voyagehistorique (en gros dans les années20, avant l’arrivée de ceux qu’on al’habitude de considérer comme les« vrais » modernes, en architectureet en urbanisme, par exemple), sonouvrage nous est précieux. D’unepart, on conçoit parfaitement quechacun des domaines que l’on vientd’évoquer puisse, au prix d’uneffort d’actualisation, constituer unfacteur explicatif du fameux «malfrançais » : urbanisme et questiondes banlieues, mémoire colonialeet, évidemment, question sociale ausens large. D’autre part, il nousinvite à être attentifs à ces champscontemporains d’où naissent desrationalisations qu’il est possible dequalifier a posteriori, si ce n’est demodernes, du moins de véritable-ment réformatrices. C’est bien lesens, nous semble-t-il, de la postfa-ce à cet ouvrage. Paul Rabinow yinterroge la capacité du fameuxprincipe de précaution, seule ex-pression nouvelle apparue dans leregistre de la rationalité politique, àcréer une véritable dynamique deréforme sociale. S’il comprend lesraisons de ce principe, il préfère ysubstituer l’exhortation suivante, àlaquelle on a envie de croire : « lesmodernes doivent travailler plusdur, observer les choses de plusprès, imaginer plus résolument,frayer, une fois encore, d’autresvoies à la modernisation».

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À propos des livresEncadrer. Un métier impossible ?par Frederik MISPELBLOM BEYER,Paris, Armand Colin, 2006

Top Down. Why Hierarchies AreHere to Stay and How toManage Them More Effectivelypar Harold. J., LEAVITT, Boston(Mass.), Harvard BusinessSchool Press, 2005

Du manager novice au managerexpert, par Rosette et JacquesBONNET, Paris, Hermès-Lavoisier, 2006.

Manageor, par Michel BARABEL

et Olivier MEIER, Paris, Dunod,2006

Paradoxalement, l’intérêt pour lemanagement a pendant longtempslaissé le manager dans l’ombre. Ladémarche abstraite primait sur ceuxqui en étaient — en principe — lesvecteurs. Il s’agit bien ici des mana-gers ordinaires, de premier (firstline) ou de second (middle) niveau,et non des dirigeants (top manage-ment). La sociologie française avaitpour habitude de les noyer dans lacatégorie sociale des cadres et elle sesouciait peu de leur activité de tra-vail proprement dite. Les sciencesde gestion elles-mêmes préféraients’intéresser aux outils et systèmes demanagement, ou bien ne voulaientvoir dans les managers que des lea-ders – c’est moins vulgaire.Ces quatre ouvrages, très différents,tentent, chacun à leur manière, deremettre en scène le manager ordi-naire. Ils ont pour points communsde (re) placer celui-ci au centre del’organisation et du management,d’en tracer un portrait complexe etnuancé et de souligner les difficul-tés considérables de sa position –ou de sa posture, de son métier, deson job, selon les angles adoptés.De ces ouvrages, le plus surprenantest sans doute celui de F.Mispelblom Beyer. Ce sociologue,

inscrit dans la tradition de la socio-logie française du travail, abandon-ne le thème classique de la catégo-rie sociale des cadres pour passer àl’étude des encadrants (« ceux quifont en sorte que les autres tra-vaillent » – à noter qu‘y sont inclusles encadrants non-cadres) et del’activité d’encadrement. Il dévoileles « sept secrets » de l’encadrement.Encadrer, c’est : « ferrailler » pour« tenir une position » ; se débrouillerentre les pressions du haut et cellesdu bas ; tenter de définir le sens autravail ; utiliser et créer des terrainsd’entente ; élaborer des compromissur les « orientations » du travail (lesmanières de le faire) ; faire rentrerdes « orientations » dans des cadresopérationnels. Dernier secret : toutceci ne peut se faire que de maniè-re imparfaite : encadrer, c’est « avan-cer en boitant », « cahin-caha ».Cet assez beau programme d’étuden’est qu’imparfaitement réalisédans la suite de l’ouvrage. Certainesoptions théoriques de l’auteur sontdéroutantes : ainsi, il récuse lasociologie des organisations « à laCrozier » comme trop psychologi-sante (p. 123), tandis qu’il mobilisela théorie du sensemaking de K.E.Weick (un psychologue social,pourtant). Cette dernière transpo-sition s’effectue sans trop se soucierdu fait que Weick a toujours eupour objet premier la fiabilité(même si c’est en un sens élargi),qu’il ignore délibérément les ques-tions de pouvoir et qu’il ne s’estintéressé que marginalement auxmanagers. Les terrains étudiés sontprincipalement ceux des grandesentreprises publiques françaises, cequi constitue un biais non négli-geable. Cependant la démarche estintéressante, de par ses propositions(les « secrets »). La conclusion est,en revanche, décevante. En effet,l’auteur constate que « les enca-drants, après tout, sont aussi dessalariés » (p. 271). Ils sont doncréintégrés dans la masse de ceux qui« luttent ». Contre qui ? Contre lemanagement, « dispositif de polis-sage » conçu pour « endiguer » cequi relève «du pouvoir, de la poli-tique, des sentiments subjectifs, dela sexualité » (p. 272). Sans doute

les discours et pratiques managé-riaux ont-ils cette fonction. Mais sil’auteur cherchait qui, concrète-ment, élabore et qui utilise cemanagement abstrait et normatif, iln’en aurait sans doute pas une vueaussi manichéenne, derrière laquel-le pointe une sorte de nostalgie duchef comme adversaire direct, etdonc accessible.Faudrait-il aller en Amérique,pour le retrouver, ce chef ? Demanière amusante, Leavitt répondà Mispelblom qu’il n’a jamais dis-paru. Dans les grandes entreprisesles plus modernes, grattez lacouche de mots lénifiants, de cor-dialité obligatoire et de participa-tion plus ou moins simulée et vousretrouvez la hiérarchie classique.Selon Leavitt, les mouvementssuccessifs de systématisation(« people for organizations ») etd’humanisation (« organizationsfor people ») qui ont parcouru lesentreprises depuis plusieurs décen-nies ne l’ont pas fait disparaître, nel’ont pas même affaiblie. C’est quela hiérarchie, et le middle manageren tout premier lieu, est précisé-ment le moyen le plus efficaced’effectuer en permanence leréglage fin entre les pressions à lasystématisation et les pressions àl’humanisation. Plus générale-ment, constate avec bon sensLeavitt, même s’il est de bon tonde dénigrer les hiérarchies, nousleur trouvons tous des avantagescertains, qu’ils soient psycholo-giques – par exemple, les hiérar-chies sont des supports pourl’identité personnelle – ou prag-matiques – les hiérarchies, mêmesi elles ne sont pas très perfor-mantes, sont généralement robus-tes. Il y aurait donc un « accordtacite » (p. 123) pour faire sem-blant de croire que les entreprisesseraient plus démocratiques qu’ellesne le sont en réalité, tout en main-tenant en place de solides – maisdiscrets – principes hiérarchiques.Le manager habile comprend cela.Il joue le jeu de la cordialité et del’humanisation, mais conserve,intact, le principe d’autorité, carc’est fondamentalement ce qu’onattend de lui.

LE MANAGER DANS TOUS SES ÉTATS

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Top Down est un livre pour mana-ger, formaté comme un best-seller.Il ne faut pas trop lui en demander.Ses contributions sont principale-ment le constat de la persistance dela hiérarchie, laquelle est confortéepar un accord tacite autour dela mise en scèned’une entreprise«humaine » et par-ticipative, et l’idéedu manager comme« équilibreur » dece système d’au-tant plus instablequ’il est soumis àdes vagues dechangements suc-cessives. La grandelimite de l’ouvragetient au fait qu’ilbifurque brutale-ment vers uneapologie du lea-dership commealternative au ma-nagement – pro-blématique éculéequi apparaît làcomme un dis-cours obligatoire,malgré les précau-tions que prendl ’ a u t e u r .Décidément, chezM i s p e l b l o mcomme chezLeavitt, il est biendifficile de ne pasproposer une ré-conciliation finale– même si elleest peu convain-cante.Les deux livress’accordent cepen-dant à évoquer unportrait complexe du manager, loinde la figure classique du « relais » dela direction, ou du dirigeant enréduction. De ce point de vue, Dumanager novice au manager expertouvre une question capitale : com-ment apprend-on à manager ? Dece métier impossible à définir, lesauteurs isolent d’abord quelquestraits marquants, avec des formulesparfois heureuses. Ainsi, le manager

serait passé de « l’homme du quoi »à « l’homme de l’entre ». Ladémarche des auteurs a une viséepratique : il s’agit d’élaborer desoutils pour accompagner et aiderles managers dans leur parcoursprofessionnel. Plus que les compé-

tences proprement dites, ce quiévolue c’est la «posture » : combi-naison de la « figure » du manageren situation professionnelle et deson « allure » face à son parcours (p.82-83). Jolie formulation, quidébouche cependant sur une typo-logie peu novatrice : novice/profes-sionnel/expert. L’intérêt principalde l’ouvrage se trouve plutôt dansles six cas de managers (deux par

catégorie, chacune étant dédoubléeà son tour avec deux degrés d’avan-cement). C’est le jeu des contrastesentre les cas exposés – des situa-tions managériales et non des por-traits de personnes – qui permet desaisir la trajectoire du manager. Du

novice au profes-sionnel, c’est avanttout la capacité àdécrypter les situa-tions et à mobili-ser les outils perti-nents qui est enjeu. Mais, du pro-fessionnel à l’ex-pert, l’apprentissa-ge du métier demanager s’appa-rente à une sortede retrait : retraitpar rapport auxtechniques et ou-tils, retrait par rap-port aux compé-tences acquises,retrait par rapportà soi-même. Ceque les auteurscaractérisent joli-ment en pointant,chez l’expert, sa« capacité à organi-ser son inutilitérelative ». Il y aquelque chose d’unparcours initiati-que dans cetteprofessionnalisa-tion, qui rappelleles paraboles zen(et leurs clichés ?).Sans doute le ta-bleau est-il quel-que peu idyllique.On ne voit pas cesmanagers aux pri-

ses avec leur propre hiérarchie etl’expert confirmé, curieusement,est un chef d’entreprise – positionsensiblement différente des autresmanagers placés, eux, dans des hié-rarchies. Il reste qu’ici, le manage-ment – ses mots et ses techniques –,si décrié par Mispelblom, apparaîtdavantage comme une ressourcedont le manager doit apprendre àse servir que comme un discours

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externe, imposé, disciplinant. Laprise de distance est nécessaire,mais après appropriation, pardépassement. Serait-ce cela, le lea-dership auquel Harold Leavitt tienttant ?Au vu du «pavé»qu’est le Manageor(presque 900 pa-ges), on peut penserque toutes les ques-tions soulevées parles trois ouvragesprécédents (et parbien d’autres) ytrouvent leurs ré-ponses. À vrai dire,ce n’est pas certain,mais il y a beaucoupà prendre dans cetteimpressionnanteréalisation éditoria-le publiée par desuniversitaires, avecl’appui d’un cabinetde conseil et d’unegrande entreprise.Impossible d’entrerdans les détails. Leplus important estsans doute d’ailleursdans le projet d’en-semble : construireun ouvrage exhaus-tif, selon le point devue du manager.Après une premièrepartie qui vise àdéfinir et situer le métier de mana-ger, deux grands problèmes sont trai-tés en détail : «savoir agir en acteurstratège au sein de l’organisation» et«savoir se comporter et se position-ner face à ses équipes». On y trouvebien entendu beaucoup de chosesclassiques, des mini-manuels de stra-tégie ou de GRH (par exemple, unchapitre sur la gestion du temps) etaussi une profusion de schémas et detableaux. Mais on y trouve égale-ment, outre des résultats d’enquêteset des exemples, des chapitres ou dessections sur des thèmes moins fré-quemment traités : gérer ses «enjeuxpersonnels», «sécuriser sa hiérarchiepour être libre», «savoir se position-ner et gérer sa propre carrière ».Enfin, des situations managériales

typiques sont examinées en détail :« résoudre un dysfonctionnementtechnique» ou « la prise de fonctionmanagériale».Au final, par sa construction même,

l’ouvrage dessine la figure d’unmanager qui assume sa positionintermédiaire et s’équipe pour faireun métier impossible. Il s’équipepour « faire travailler les autres »(son équipe) mais aussi pourrépondre à ceux qui le font tra-vailler, aux jugements que ceux-ciportent sur lui-même et sur sonaction. C’est là une dimension fon-damentale du métier de managerque les trois autres ouvrages éva-cuent trop vite, se contentant dementionner la « pression» venantdu haut. Pour le manager, cettepression a le visage d’autres mana-gers, qui agissent sur lui et enverslui comme lui-même agit vis-à-visde ses équipes. Et le manager ne faitpas que « faire travailler » ses

équipes, il « travaille » également sespropres managers. En ce sens, lafigure du leader évoquée par Leavittest insatisfaisante, tout comme l’estcelle d’un chef d’entreprise perçu

comme « expertavancé » par R. etJ. Bonnet.Quant au manage-ment, c’est-à-direl’ensemble des tech-niques, systèmes etdiscours qui équi-pent les managersà différents ni-veaux, c’est à lafois, et sans qu’onpuisse facilementdécider en quelsens, un réservoirde ressources et decontraintes pouragir vers le bas etvers le haut : « tra-vailler » et « fairetravailler ». C’estaussi, bien plussouvent que nele suppose F.Mispelblom, uncadre qui rassurepar sa rationalitéau moins apparen-te, par sa légitimi-té, ou simplementdu fait de sa seuleexistence. C’est làla base du manage-

ment des significations, qui est toutautre chose que la définition dusens. Que les managers y croienttrop fortement, que les jeux hiérar-chiques empêchent la prise de dis-tance par rapport à ce cadre, et lesmanagers se retrouvent exposés audanger de perdre contact avec laréalité externe, qui ne se révèle àeux que de manière indirecte, à tra-vers leur entourage et à travers cesmêmes systèmes de management.C’est là ce que K.E. Weick aurait àdire aux managers : méfiez-vous dumanagement, mais ne le détestezpas !

Par Hervé LAROCHE, ESCP-EAP

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SUBCONTRACTING AND THE SOCIAL TRANSITION: THE EXAMPLE OF THE CNESGuy NABET

Switching suppliers is a sensitive operation with possibly pain-ful social consequences. At the National Center of SpaceStudies (Centre National d’Études Spatiales, CNES) inToulouse, renewing suppliers’ contracts has been an opportu-nity for setting up an original procedure, which revives theidea of “industrial districts” of an Italian sort. Who is betterplaced than parties in the same local labor market for formingan exact idea of existing resources? Who can be more determi-ned to maintain jobs and preserve qualifications? Proceedingfrom this observation, CNES designed a process of “socialtransition” between those who give contract work out and sub-contractors, those selected as well as those who are not. Theagreements signed concern all “network members”, but res-ponsibility for managing this transition falls onto the selectedindustrial group. When bidding for a contract, the latter has totake into account the enlightened interests of competitors…on condition that they return the favor later on!

DELEGATING THE MANAGEMENT OF A PUBLICSERVICE: PRIVATE STRATEGIES TESTEDCédric RICHET and Bastien SOULE

Can “public service” be maintained when management is tur-ned over to the private sector? Can the latter manage when ithas to take into account the general interest? What strategiesdo different parties adopt to overcome obstacles, strike com-promises and maneuver? The study of a “delegation of publicservice” (DSP) in the case of a swimming pool complex inFrance shows how much weight sectorial strategies carry inrelation to the general interest. The lack of experience of civilservants and the incompetence of elected officials sometimesaugment the ability of various parties to defend vested inter-ests and profit from a privileged situation. An actual networkforms that actually organizes the DSP; its special status pro-tects the latter from moral laxity. This raises a broader ques-tion: what contractual dimension for the public managementof industries and businesses?

RELEARNING TO TELL A STORY: THE SOCIALENTREPRENEUR’S ORIGINSFrançois ROUSSEAU

Is efficient management compatible with activism? Can a non-profit organization, when it grows, be managed like a firmwithout selling its soul? How are managers “trained” to runthese hybrid outfits? The “social entrepreneur” who often hasto cope with critical situations will soon come to see that it isworthwhile learning how to manage by having a grasp on theconcepts, languages and tools of the managerial sciences. Butsince activist organizations are bound to “transgress” andbecome “involved”, he will go even farther and develop meansfor managing meaning. The story of the adventures of thehead of a non-profit organization illustrates this ongoingquest. Whether in written or oral form, the organization’smemory is tapped to collectively work out a meaning, in par-ticular when local projects have little relation to a social cause.

WHAT PRICES FOR SAVING WATER?Marielle MONTGINOUL

Setting prices for the water supply is a touchy political issue. Itdetermines the behavior of each and all, and conditions howthis resource will be managed. The predominant idea is to save

water, but local authorities’ overriding objective isto cover costs. In December 2006, members ofboth houses of parliament in France heatedly deba-ted an act on the water supply. A broad surveyconducted in 2003 helps us better understand thedriving forces and issues in this debate, which willlead local authorities to rehaul the pricing of thewater supply. A realistic, integrated approach isindispensable if the results are not to clash with theessential objective of saving water.

VAUBAN: STANDARDIZED WORK BEFORETAYLOR?Jean-Louis PEAUCELLEDid Vauban not have the same managerial preoc-cupations as Taylor two centuries later? Obviouslynot, but he did imagine innovative procedures; andhe showed as much concern as the American eco-nomist with rationalizing work and regulating itspace and pay. In Instruction sur le remuement desterres, Vauban sought to quantify the phases in aprocess, set production standards and thus improveproductivity. But the instruments of measurementdid not yet exist for satisfying his aspirations; wageswere not individualized; and truly repetitive taskswould not be created till the age of mass industry.Vauban wanted both productivity and low wages,whereas Taylor thought that part of the earnings due to increa-sed productivity should be returned to workers. Other times,other places?

COORDINATION INSIDE ORGANIZATIONS: A NEW CONCEPTUAL FRAMEWORKEric ALSENE and François PICHAULTDebat with Jean-Marc WELLER

Much has been written about coordination inside organiza-tions, and several conceptual approaches have been propo-sed. A new framework can be developed by inquiring intothe very idea of coordination and delving into the com-plexity of actual situations at the workplace. A typology ofsuch situations can help us better understand what coordi-nation means. One of the reviewers of this article has criti-cized this approach because of the way it switches from thediversity of observed situations to the general concept. Theauthors have responded. A “quarrel over universals” in thefield of management?

Olivier LENAY : SEARCHING FOR GENERALIST TECHNICIANSOn Paul RABINOW’S Rabinow’s Une France si moderne:Naissance du social, 1800-1950 1950 (Paris, Buchet-Chastel,2006).

Hervé LAROCHE : MANAGERS ALL WORKED UP On Frederik MISPELBLOM BEYER’s Encadrer: Un métier impos-sible? (Paris, Armand Colin, 2006), Harold LEAVITT’s Topdown: Why hierarchies are here to stay and how to manage themmore effectively (Boston, MA, Harvard Business School Press,2005), Rosette BONNET and Jacques BONNET’s Du managernovice au manager expert (Paris: Hermès-Lavoisier, 2006) andMichel BARABEL and Olivier MEIER’s Manageor (Paris,Dunod, 2006)

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AN UNSERE DEUTSCHSPRACHIGEN LESER

DIE VERGABE VON AUFRTÄGEN AN SUBUNTERNEHMER UND SOZIALE ÜBERGANGS-REGELUNGEN : DAS BEISPIEL DESFRANZÖSISCHEN RAUMFAHRTZENTRUMS CNESGuy NABET

Die Vergabe von Aufträgen an neue Leistungserbringer istein kritischer Vorgang, der mit schmerzhaften sozialenFolgen verbunden sein kann. Die Verlängerung vonTeilfertigungsverträgen des CNES in Toulouse wurdedeshalb zum Anlass genommen, vollkommen neueProzeduren zu entwickeln, die den Unternehmergeist deritalienischen Gewerbegebiete zum Vorbild haben. Wer wärebesser als alle Akteure eines selben Beschäftigungsbereichsdazu in der Lage, die bestehenden Ressourcen richtig einzu-schätzen und den festen Willen zu beweisen, Arbeitsplätzezu erhalten und den Fortbestand der einzelnenKompetenzen entschlossen zu verteidigen ? Die Erkenntnisdieses Sachverhalts führte das Management des CNES zurSchaffung von sozialen Übergangsregelungen zwischenAuftraggeber, beauftragtem Subunternehmer und nichtbeauftragtem Subunternehmer. Die unterzeichnetenVereinbarungen richten sich an alle Unternehmen desbetreffenden „Mitgliedernetzes“, doch die Verantwortungfür das soziale Management des Übergangsprozesses obliegtder beauftragten Industriegruppe. Diese muss in ihremAngebot an den Auftraggeber die wohlverstandenenInteressen ihrer Konkurrenten berücksichtigen – gegen ents-prechende Gegenleistungen.

DIE AUFTRAGSVERWALTUNG EINES AQUA-CENTERS. DER ÖFFENTLICHE DIENST IN DER KONFRONTATION MIT PARTIKULARISTISCHEN STRATEGIENCédric RICHET und Bastien SOULE

Kann öffentlicher Dienst funktionieren, wenn er mitAufgaben im Privatsektor betraut wird ? Kann derPrivatsektor fortbestehen, wenn er auf dasAllgemeininteresse Rücksicht nehmen muss ? WelcheStrategien wählen die einen und die anderen, umHindernisse zu überwinden, um Kompromisse zu findenund um sich gegebenenfalls geschickt aus der Affäre zu zie-hen. Die Studie über die delegierte öffentliche Verwaltungeines Aqua-Centers gibt den Autoren die Möglichkeit, dasGewicht sektorieller Strategien im Verhältnis zumAllgemeininteresse zu ermessen. Die Fähigkeit, Situationenauszunützen und Besitzstände zu verteidigen, ist bisweilenauf die Unerfahrenheit der Beamten und auf dieInkompetenz der Volksvertreter zurückzuführen. Deshalbbildet sich ein regelrechtes Netz heraus, das dieAuftragsverwaltung konkret organisiert, aber als Delegationmit besonderem Status gegen jedes übertriebeneMoralisieren gefeit ist. Ein Ausgangspunkt für eine allge-meinere Debatte : wie kann die vertragliche Grundlage fürdie öffentliche Verwaltung von industriellen und kommer-ziellen Sektoren beschaffen sein ?

NOCH EINMAL ERZÄHLEN LERNEN : WERDEGANG EINES SOZIAL DENKENDENUNTERNEHMERSFrançois ROUSSEAU

Ist effizientes Management vereinbar mit glühendemsozialem Engagement ? Kann ein Verein, dessenBedeutung zunimmt, wie ein Unternehmen geleitet wer-den, ohne dass er seine Seele verliert ? WelchenWerdegang haben die Führungskräfte jener hybridenOrganisationen, die keine Gewinner-zielungsabsicht ver-folgen ? Der sozial engagierte Unternehmer wird oft mitkritischen Situationen konfrontiert und begreift deshalbschnell die Nützlichkeit des Erwerbs betriebswirtschaftli-cher Kenntnisse, die ihm den Umgang mit Konzepten,Theorien und Methoden ermöglichen. Doch wird er sichdamit nicht begnügen, denn eine militante Organisationist es sich schuldig, gegen Konventionen zu verstoßenund Engagement zu beweisen. Aus diesem Grunde wirder ein Interesse an sinnorientiertem Management entwic-keln. Anhand der Erzählungen über das abenteuerlicheLeben eines Vereinsleiters erläutert der Autor diesebeständige Suche nach neuen Freiheitsräumen. Dasschriftlich bewahrte Gedächtnis und die mündlicheÜberlieferung : alle Mittel zur kollektiven Konstruktionder Sinngebung werden mobilisiert, besonders wenn zwi-schen einem lokalen und einem gesellschaftlichen Projekteine große Distanz entsteht.

WELCHE TARIFSTRUKTUR HILFT, WASSER ZU SPAREN ?Marielle MONTGINOUL

Die Entscheidung für die Tarifstruktur desWasserverbrauchs ist ein höchst politischer Akt : sie bes-timmt das Verhalten jedes Einzelnen und den globalenUmgang mit dieser Ressource. Heute geht es vor allemdarum, Wasser zu sparen, doch das maßgebliche Ziel derGemeinden ist immer noch die Kostendeckung. Aus diesemGrunde hat die Diskussion über das neue Wassergesetz imDezember zu heftigen Auseinandersetzungen im Parlamentund im Senat geführt. Dank einer umfassendenUntersuchung aus dem Jahr 2003, konnte der Autor zueinem besseren Verständnis der Mechanismen undHerausforderungen dieser Debatte beitragen, die zu einerVeränderung der Tarifstrukturen in den französischenGemeinden führen wird. Eine realistische und integrierteBetrachtungsweise erweist sich als unbedingt notwendig,wenn man es nicht zu Ergebnissen kommen lassen möchte,die dem entscheidenden Ziel des sparsamenWasserverbrauchs entgegenstehen.

VAUBAN, DIE NORMIERUNG DER ARBEIT VORTAYLOR ?Jean-Louis PEAUCELLE

Hatte Vauban auf seinen Baustellen die gleichenVorstellungen von Arbeitsorganisation wie Taylor zweiJahrhunderte später ? Natürlich nicht, aber er dachte sicheine für seine Epoche grundlegend neue Methodik aus, und

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SUBCONTRATACIÓN Y TRANSICIÓN SOCIAL: EJEMPLO DEL CNESGuy NABET

Un cambio de subcontratista es una operación difícil conaspectos sociales que pueden ser dolorosos. La renovaciónde contratos de subcontratación del CNES (CentroFrancés de Estudios Espaciales) de Toulouse fue la buenaocasión para poner en marcha un procedimiento original,que hacía pensar en los “distritos industriales” a la italiana.Nadie mejor que todos los actores de una misma zona deempleo para elaborar un panorama de los recursos exis-tentes, gracias a una voluntad sólida por mantener losempleos y una preocupación sincera de conservar el saberde cada cual. Partiendo de esta base, el CNES creó un pro-ceso de transición social entre contratante, y subcontratis-tas escogidos y no escogidos. Los protocolos finalmentefirmados tienen en cuenta a todos los “miembros de estared”, pero la responsabilidad de la gestión de la transiciónsocial incumbe al grupo industrial escogido. Este últimodebe tomar en consideración, en su oferta al contratante,los intereses de sus competidores…

LA GESTIÓN DELEGADA DE UN COMPLEJOACUÁTICO. EL SERVICIO PUBLICO CONFRONTADO A LAS ESTRATEGIAS PARTICULARISTASCédric RICHET y Bastien SOULE

¿Se puede garantizar el servicio público cuando su gestiónse confía al sector privado? ¿El sector privado puede sub-sistir cuando debe tener en cuenta los intereses generales?

¿Cuáles son las estrategias de unos y otros para superar losobstáculos, realizar concesiones y al mismo tiempo obte-ner beneficios? El estudio de un caso de delegación de ser-vicio público (DSP) aplicada a un complejo acuático per-mite que los autores evalúen el peso que las estrategiassectoriales pueden tener frente al interés general. La capa-cidad de explotar las oportunidades de situación y defen-der los intereses adquiridos se alimenta a veces de la inex-periencia de los funcionarios y de la incompetencia de lospolíticos. Entonces se constituye una verdadera red queorganiza concretamente la DSP, delegación protegida decualquier desviación moral gracias a su estatus particular.Una forma de abordar un debate más general: ¿quédimensión contractual se debe dar a la gestión pública delos sectores industriales y comerciales?

REAPRENDER A CONTAR: GÉNESIS DE UN ENTREPRENEUR SOCIALFrançois ROUSSEAU

Una gestión eficaz, ¿es compatible con un militantismoardiente? ¿Una asociación que crece en importancia sepuede dirigir como una empresa, sin vender su alma aldiablo? ¿Cómo se forman los directores de estos conjuntoshíbridos llamados organismos sin ánimo de lucro? Elentrepreneur social, confrontado frecuentemente a lassituaciones de crisis, comprenderá rápidamente la utilidaddel aprendizaje de la gestión para controlar conceptos,lenguajes y herramientas. Aunque irá más allá, ya que laorganización militante debe transgredir el orden e impli-car a los demás. Para ello, tendrán que desarrollarse dis-positivos de gestión del sentido. El autor ilustra, mediante

A NUESTROS LECTORES DE LENGUA ESPAÑOLA

man findet bei dem amerikanischen Volkswirt dasselbeStreben nach Rationalisierung der Arbeit und nachRegelung von Arbeitszeit und Entlohnung. In seinerAbhandlung „Instruction sur le remuement des terres“(Anleitung zum Bewegen von Erdmassen) schlug Vaubanvor, die verschiedenen Etappen eines Prozesses zu quantifi-zieren, eine Produktionsnorm zu bestimmen und damit dieProduktivität zu erhöhen. Doch die Messgeräte, die demEhrgeiz Vaubans entsprochen hätten, existierten noch nicht,die Löhne waren nicht individualisiert und die wirklichrepetitiven Arbeitsvorgänge wurden erst mit der industriel-len Massenproduktion eingeführt. Vauban hatte auch dieAbsicht, Produktivität und niedrige Löhne miteinander zuvereinen, wohingegen Taylor sich dafür einsetzte, dass einTeil der Gewinne an die Arbeiter abgeführt werden sollte.Andere Zeiten, andere Länder ?

VOM KOORDINIEREN IN EINER ORGANISATION :VERSUCHE KONZEPTIONELLEN UMDENKENSEric ALSENE und François PICHAULTDebatte mit Jean-Marc WELLER

Über das Koordinieren im Rahmen einer Organisation istviel geschrieben worden und es fehlt nicht an theoretischbegründeten Vorschlägen. Die Autoren sind jedoch derAuffassung, dass ein neuer Denkansatz entwickelt werdenkann, der von einer Infragestellung des Begriffs

Koordination ausgeht, um der Komplexität derArbeitssituationen gerecht zu werden. Eine Typologie derArbeitssituationen kann demnach besser Aufschluss darübergeben, was unter Koordination zu verstehen ist. DieserAnsatz wird von einem der beiden Lektoren kritisch analy-siert. Er wendet sich dagegen, dass die vorgenommeneKonzeptualisierung von der Vielfalt der beobachtetenSituationen ausgeht. Die Autoren antworten auf dieseKritik. Ein auf die Betriebswirtschaft angewandter„Universalienstreit“ ?

Olivier LENAY : GESUCHT WERDEN TECHNIKERFÜR ALLGEMEINBILDUNGZum Werk von Paul RABINOW, Une France si moderne.Naissance du social, 1800-1950, Paris, Buchet-Chastel, 2006

Hervé LAROCHE : MANAGER IN HELLER AUFREGUNG Zu vier Büchern :Encadrer. Un métier impossible ? Von Frederik MISPELBLOM

BEYER, Paris, Armand Colin, 2006Top down. Why Hierarchies Are Here to Stay and How toManage Them More Effectively, von Harold J. LEAVITT,Boston (Mass.), Harvard Business School Press, 2005Du manager novice au manager expert, von Rosette undJacques BONNET, Paris Hermès-Lavoisier, 2006Manageor, von Michel BARABEL und Olivier MEIER, Paris,Dunod, 2006

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el relato de las aventuras de un director de una asociación,esta búsqueda permanente de márgenes de nuevas liber-tades. Memoria de lo escrito y tradición oral: todos losmedios se ponen en marcha para una construcción colec-tiva del sentido, sobre todo cuando aumenta la distanciaentre un proyecto local y un proyecto de sociedad.

¿QUÉ ESTRUCTURA DE TARIFAS SE DEBE APLICAR PARA ECONOMIZAR EL AGUA?Marielle MONTGINOUL

La elección de la estructura tarifaria de la factura de aguaes un acto eminentemente político: determina el compor-tamiento de cada uno y la gestión global de este recurso.Ahora bien, si actualmente la tendencia general es elahorro de agua, las comunidades tienen como objetivopreponderante cubrir los costes. De esta forma, la discu-sión de la nueva ley sobre el agua ha apasionado endiciembre a los parlamentarios y senadores. El autor, gra-cias a una amplia investigación realizada en 2003, nosayuda a entender mejor los mecanismos y problemas deeste debate que llevará a las ciudades francesas a modificarsus estructuras de tarifas. Un enfoque realista e integralparece indispensable si no queremos llegar aefectos contrarios al objetivo esencial que es el ahorro delagua

VAUBAN, ¿LA NORMALIZACIÓN DEL TRABAJOANTES DE TAYLOR?Jean-Louis PEAUCELLE

En sus talleres, ¿Vauban tenía los mismos problemas degestión que Taylor dos siglos después? Evidentemente no,pero ya había imaginado un enfoque innovador para suépoca, y también se podrá ver en este economista ameri-cano un deseo de racionalización y reglamentación delritmo del trabajo y de su remuneración. En su libro“Instruction sur le remuement des terres” Vauban queríacuantificar las diferentes etapas de un proceso, determinaruna norma de producción y mejorar de esta forma la pro-ductividad. Pero los aparatos de medida que corres-pondían a la ambición de Vauban todavía no existían, los

salarios previstos no eran individuales y las tareas real-mente repetitivas sólo llegaron con la producción indus-trial masiva. Vauban también quería conjugar productivi-dad y salarios bajos, a diferencia de Taylor, para quien unaparte de las ganancias de la productividad debían volver alos obreros. ¿Otros tiempos, otros lugares?

LA COORDINACIÓN AL INTERIOR DE LAS ORGANIZACIONES: ELEMENTOS DE REENFOQUE CONCEPTUALEric ALSENE y François PICHAULTDebate con Jean-Marc WELLER

Sobre la coordinación en las organizaciones existe una lite-ratura abundante, y ya se han propuesto varios enfoquesconceptuales. No obstante, los autores estiman que unnuevo enfoque puede desarrollarse a partir de una interro-gación sobre la noción de coordinación, y una inmersiónen la complejidad de las situaciones de trabajo. Una tipo-logía de las situaciones de trabajo también puede hacerentender mejor lo que significa la coordinación. Esteenfoque es criticado por uno de los dos relectores del artí-culo, quien cuestiona la manera en la que el paso alconcepto se efectúa desde la diversidad de las situacionesobservadas. Los autores le responden. Una “querella de losuniversales” aplicada a la gestión?

Olivier LENAY: INVESTIGACIÓN TÉCNICAS DE LAS IDEAS GENERALES …Comentarios sobre el libro de Paul RABINOW, Une Francesi moderne. Naissance du social, 1800-1950, Paris, Buchet-Chastel, 2006

Hervé LAROCHE: EL MANAGER COMO NUNCAANTES Comentarios sobre los libros:Encadrer. Un métier impossible ? Frederik MISPELBLOM

BEYER, París, Armand Colin, 2006Top Down. Why Hierarchies Are Here to Stay and How toManage Them More Effectively, escrito por Harold. J.LEAVITT, Boston (Mass.), Harvard Business School Press,2005Du manager novice au manager expert, Rosette y JacquesBONNET, París, Hermès-Lavoisier, 2006Manageor, Michel BARABEL y Olivier MEIER, París,Dunod, 2006

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© 2007, ANNALES DES MINES Directeur de la publication : Serge KEBABTCHIEFFÉditions ESKA, 12, rue du Quatre-Septembre 75002 PARIS Barnéoud, Imprimeur, B.P. 44, 53960 Bonchamp-lès-LavalRevue inscrite à la CPPAP sous le n° 73421 N° d’imprimeur : - Dépôt légal : Mars 2007

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ENTREPRISESHISTOIRE

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Décembre 2006 – N° 45

Entrepriseset développement durable

Thierry Hommel Continuités et discontinuités entre paternalisme et responsabilitésocialeAlexia LeseurL’entreprise comme entité moraleDaniel BoulletEntreprises industrielles et environnement 1950-1990François Labelle et Jean PasqueroAluminium et responsabilité sociale au QuébecMarie-Claire Loison et Anne PezetAluminium et boues rouges en FranceHélène TeulonUne pionnière du développement durable : PatagoniaYannis SuireQuatre siècles de gestion du Marais poitevinDÉBATLes entreprises entre autonomie et régulationDOCUMENTSoude et chlore au tournant du XXe siècleCHRONIQUESArchives • Thèses et HDR • Actualités • Clin d’œil

12, rue du Quatre-Septembre - 75002 PARISTél. : 01 42 86 55 73 - Fax : 01 42 60 45 35

ISBN 978.2.7472.1199.116 x 24 cm - 180 pages

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