des seigneurs et des pêcheurs - mandelieu-la-napoule · 2019-12-10 · d ’autres ont cru...

des seigneurs etdes pêcheurs

des seigneurs etdes pêcheurs

Ville de Mandelieu-La Napoule / Dir. Com.

2 - La Napoule - des seigneurs et des pêcheurs

Sommaire

P4 1 - Du royaume de Léro au Pays d’Avinionet - du temps des ligures et des grecs - la romanisation - la christianisation

P10 2 - Au temps des seigneurs de La Napoule - la dynastie de Villeneuve - l’apogée de La Napoule au XVIème siècle - le déclin et la ruine

P20 3 - Quand les fées et les princes se penchent sur le berceau de La Napoule… - la naissance de la Côte d’Azur - La Napoule et l’aristocratie russe et britannique - Il était une fois Henry et Marie Clews…

P28 4 - Si La Napoule m’était contée - un village de pêcheurs - la place de la fontaine, le cœur animé de La Napoule - des restaurateurs et des hôteliers - Saint Fainéant - des sportifs et des campeurs… - épilogue

1 – Du royaume de Léro au Pays d’Avinionet

Depuis la nuit des temps, le territoire de La Napoule a fasciné les peuples qui y trouvèrent refuge et nourriture en abondance…Plusieurs fouilles archéologiques ont confirmé une présence humaine dans la région dès l’ « âge de la Pierre »(1). On citera notamment la découverte de nombreux silex taillés dans la moyenne-vallée de l’Argentière, à 3 km de la mer(2). Ce gisement paléolithique prouve que des hommes « modernes» (homo sapiens) fréquentaient déjà les grottes de La Napoule il y a plus de 30.000 ans…

D’autres recherches ont également révélé une occupation « protohistorique » des côtes méditerranéennes par le peuple ligure(3). Notre contrée abritait plus précisément la tribu des Oxybiens, tandis que les Suelteri voisinaient au cœur de l’Estérel et que les Décéates occupaient la région d’Antibes… Ces hommes de l’« âge du Fer » vivaient de chasse et de pêche. Ils pratiquaient l’agriculture, élevaient des troupeaux et commerçaient avec les Phéniciens(4) et les Etrusques... Selon la description des auteurs grecs et latins qui les affrontèrent durant plusieurs siècles, les ligures portaient « la barbe épaisse et la chevelure longue et ondoyante ».Ils étaient vêtus de peaux de moutons et d’animaux sauvages, se nourrissaient de fruits, de racines, de gibier ainsi que du lait et de la viande de leurs brebis. Ils cultivaient l’orge avec lequel ils fabriquaient une sorte de bière. Réputés marins audacieux, les ligures étaient également de fieffés pirates !Même si les auteurs anciens forcent le trait, insistant sur leur côté « barbare » ou « sauvage », ils savent aussi reconnaître du courage aux ligures qu’ils dépeignent tels des « hommes infatigables et durs envers eux-mêmes, de vaillants guerriers et d’intrépides marins »…Leurs forteresses (appelées « castellaras » ou « oppida ») étaient toujours situées au sommet de collines dominant une plaine environnante.

1- Paléolithique supérieur (-35000 à -10000 ans av. JC).2- Station Baral (abri RAUX) : découverte d’une industrie lithique de type aurignacien, composée de plus de 400 outils en galets de silex taillés, majoritairement des grattoirs et des burins. 3- La protohistoire est une période intermédiaire entre la préhistoire et l’histoire. Elle commence à l’âge des métaux et se termine avec l’apparition de l’écriture. Les Ligures, peuple alpin protohistorique d’Europe, n’avaient pas de tradition écrite si bien qu’on ne les connait que par les sources grecques (Polybe, Strabon…) et latines (Sénèque, Tite-Live, Pline l’Ancien…) ainsi que par l’archéologie. 4- la Phénicie antique correspond, à peu près, au territoire de l’actuel Liban. 5- Des grecs venus de Phocée, une cité d’Asie mineure.


Ainsi a-t-on retrouvé une enceinte ligure à La Napoule, sur le mont San-Peyre, butte culminant à 130m d’altitude et surveillant la vallée de la Siagne et la mer…

Tout autour, d’autres sites communiquaient avec la forteresse napouloise par des chemins de crête et par divers signaux : l’oppidum du Mont Saint-Martin de Maurevieille, l’enceinte fortifiée du Suquet ou encore celle de l’île Sainte-Marguerite, refuge du redoutable Léro, chef ou divinité ligure qui donnera son nom aux îles de Lérins…

Vers 600 avant JC, les phocéens(5) fondent Marseille (Massalia) puis implantent des comptoirs commerciaux sur la côte, notamment à Antibes (Antipolis) et à Nice (Nikaïa). Ils vont longtemps cohabiter, dans une relative harmonie, avec les tribus celto-ligures déjà établies, les ouvrant aux influences des civilisations méditerranéennes. Ils leur apportent notamment la culture de la vigne et de l’olivier… Les grecs ont-ils aussi conquis la baie de La Napoule ? C’est probable…

Certains historiens ont voulu rattacher son nom à celui d’une « Néapolis » (Νεα πολισ signifie Nouvelle ville) fondée par les nouveaux colons(6).

6- Parmi ceux-ci, on citera le regretté Pierre Cosson qui nous a quitté en 2015, à la veille de ses 101 ans… Dans un livre consacré au municipe d’Antipolis, il étaye sa thèse avec conviction, énumérant tous les atouts que possédait le site de La Napoule à l’époque de la colonisation grecque : la présence d’un temple d’Aphrodite à Arluc (butte de St Cassien) ; la proximité de l’embouchure de la Siagne, porte ouverte au commerce vers l’arrière-pays décéate ; une côte propice à une installation portuaire (alors qu’elle est à rejeter sur la très instable rive gauche de la Siagne, du Béal et de la Frayère) ; la présence à deux pas des îles de Lérins, route obligée du cabotage des commerçants de l’Antiquité ; la richesse du golfe en sel et en poissons ; le passage en bord de mer du vieux chemin ligure, future « Via Aurelia », et son dédoublement vers l’Estérel, précisément en cet endroit.Tant d’avan-tages évidents ne pouvaient, toujours selon M. Cosson, qu’être remarqués d’emblée et appréciés à leur juste valeur aussi bien par les grecs que par les romains (Pierre Cosson, Civitas Antipolitana - Histoire du municipe romain d’Antipolis, Nice- 1995).

La Napoule - des seigneurs et des pêcheurs - 5

D’autres ont cru reconnaître dans La Napoule la fameuse Aegitna, capitale oxybienne décrite par les auteurs antiques(7). Cette cité portuaire fut assiégée et écrasée par l’armée romaine en 154 av JC.

Rome était alors venue au secours des grecs massaliotes menacés par la rébellion des tribus autochtones devenues soudainement hostiles.Cette victoire importante marque le début de la romanisation de notre territoire.

Afin de neutraliser toute possibilité de récidive guerrière, les romains repoussent les peuples ligures à l’intérieur des terres(8) et démantèlent leurs forteresses, transformant

progressivement leurs temples (ou fanum) en lieux de culte latins. C’est ainsi que diverses divinités romaines vont « régenter l’âme maritime de La Napoule »(9) : le mont San-Peyre abritera un sanctuaire dédié au dieu Mercure, celui de Maurevieille honorera le dieu Mars, l’île de Léro sera consacrée au dieu Pan tandis que le culte de la déesse Vénus se développera sur le « bois sacré » (« aureus lucus » ou Arluc) recouvrant la butte de Saint Cassien…(10)

Afin de favoriser le trafic, de mieux contrôler leur empire et de permettre aux légions d’atteindre aisément le port de Fréjus (Forum Julii) voulu par César pour supplanter Marseille (Massalia), les romains consolident les anciennes pistes ligures du bord de mer et les vieux chemins de transhumance(11). Avec toute la technicité qu’on leur connait, ils pavent et bornent ces voies.La Via Aurélia, grande voie de communication reliant Rome à Arles par la côte méditerranéenne, passait par Antibes, se prolongeait vers Arluc (St Cassien) puis vers La Napoule où elle se dédoublait. Une première via bifurquait vers les Termes et traversait l’Estérel en passant par les Adrets, suivant approximativement le tracé de la RN 7. Une autre via ou « Aurelia seconde » poursuivait le tracé littoral jusqu’à Agay, franchissant la montagne au «Rocher des Pendus »(12) pour atteindre Théoule. Plusieurs vestiges et notamment des bornes milliaires jalonnent les routes et permettent de bien localiser les deux itinéraires.

7- La ville d’Aegitna est décrite par les historiens grecs, Polybe et Strabon, comme un petit port maritime situé près de l’embou-chure du fleuve Apron (qui serait, dans ce cas, la dénomination antique de la Siagne). 8- Strabon indique dans son « Histoire » que les tribus ligures furent interdites le long des côtes sur une largeur de 12 stades, soit 2km200 du rivage.9- Hubert Dhumez, Le château de La Napoule, essai – L’Espelido, Sartoux, 195010- Plus tard, les divinités romaines se mueront en saints chrétiens. Ainsi le dieu Mars sera remplacé par Saint-Martin à Maurevieille, le dieu Mercure par Saint-Pierre (ou San-Peyre) et les prêtresses de la déesse Vénus par les religieuses d’un couvent consacré à Saint-Etienne sur la butte de Saint Cassien…11- A Mandelieu, les traces d’une ancienne piste ligure ont été retrouvées. Elle reliait la vallée de la Siagne à Agay en passant, sans doute, par Avinionet (quartier Notre Dame des Vignerons où sera découvert un mithraeum d’époque romaine), le Trem-blant et le vallon de Maupas avant de traverser le vallon de Maurevieille, sous l’oppidum ligure qui la contrôlait. Elle montait ensuite le long du sommet des Grosses Grues et le col de la Cadière pour redescendre par le Mal Infernet jusqu’à la plaine d’Agay.


De nombreuses villae rurales furent érigées à proximité des voies romaines dans tout le vaste Castrum que formait alors notre territoire… Mais si des fouilles ont permis d’en attester l’existence au quartier de la Tour(13) ou à Minelle(14), aucune véritable recherche archéologique n’a été effectuée permettant de l’affirmer pour La Napoule. On observe cependant, sur le mont San-Peyre, les traces d’une exploitation rurale d’époque romaine. La présence de contrepoids de pressoirs semble indiquer une mise en culture des sols, essentiellement viticole et oléicole.Vers 1860, lors de l’établissement de la voie ferrée, d’autres vestiges antiques furent repérés près du château de La Napoule. Selon la description que l’abbé Alliez en fait en 1864(15), il s’agit de « véritables greniers souterrains divisés en plusieurs compartiments par des piliers massifs sur lesquels reposent les voûtes ». Il pense y avoir repéré des horrea (entrepôts romains) et en déduit que La Napoule n’est autre que la célèbre station « Ad Horrea » mentionnée sur l’Itinéraire d’Antonin et sur la carte de Peutinger, halte d’approvisionnement romaine située à mi-chemin entre Antibes et Fréjus. La localisation de ces fameux greniers est cependant controversée et revendiquée par d’autres villes bordant la voie romaine telles Auribeau, Mougins ou Cannes (St Cassien) ! Durant plus de 2 siècles(16), notre territoire connaît la « Pax Romana », ère de paix et de tranquillité au cours de laquelle Rome impose son autorité et apporte sa protection aux divers peuples qui constituent son vaste empire… La région entre ensuite dans une période d’obscurité dont elle ne sortira qu’aux abords de l’an mille…

S’il est indéniable que le très grand réseau de communication romain (17) a facilité le transport des armées et stimulé les échanges commerciaux entre la capitale et ses provinces, c’est aussi grâce à ses nombreuses artères que les idées nouvelles, et notamment le christianisme, se sont propagées d’un bout à l’autre du vaste empire qui englobait, pour la première fois, l’Orient et l’Occident…

C’était le trajet le plus direct pour franchir l’Estérel par un seul col (la Cadière) à 241 m. d’altitude. 12- Déformation de « rocher fendu », c’est-à-dire entaillé pour tracer la voie romaine13- Le quartier de La Tour, au nord de Mandelieu, a été fouillé en 1941 par Hubert Dhumez. Il y fut découvert les traces d’une villa antique: mosaïques, morceaux de marbre rose et blanc, lampe, trépied de bronze et morceau d’arula gravé en grec ; des fragments de colonnes et de chapiteaux romains…14 – Des fouilles effectuées d’urgence en 1979 et 1981 par l’équipe de Michel Fixot ont permis de mettre au jour une villa , des thermes décorés de peinture, un atelier de poterie et des bassins permettant la fabrication de garum. Un cellier avait été transformé en temple au dieu Mithra à la fin du 2ème siècle après JC…15- Dans « Les villes d’hiver de la méditerranée », collection des Guides-Joanne, Elisée Reclus -186416- Depuis le très long règne d’Octave-Auguste (an -27), jusqu’à la mort de l’empereur Marc-Aurèle (+180).17- Réseau de plus de 90 000 kilomètres de routes auxquels se rajoutaient 200 000 kilomètres de chaussées secondaires


Ainsi, reconnue en 313 par l’empereur Constantin, la religion chrétienne rayonne bientôt sur toute la Provence, éclairant de son enseignement tout le pourtour méditerranéen puis l’Europe entière, transformant en profondeur l’ordre établi et les mentalités…

Vers 410, Caprais et Honorat fondent le premier monastère de France sur l’île de Lérina, alors inhabitée et infestée de serpents(18). Arrivés là en ermites, ils seront bientôt rejoints par plusieurs disciples et formeront une première communauté cénobitique(19), sous la protection de l’évêque Léonce de Fréjus.A cette date et face à Lérina, le village de La Napoule fait partie d’un vaste domaine qu’on appellera plus tard Avinionet ou « Pagus Avinionensis ». Son seigneur s’appelle Eucher. Fils d’un préfet des Gaules, il est issu d’une puissante famille gauloise. Très pieux, cet ami d’Honorat participera activement à la fondation du monastère de Lérins, avant de

choisir la solitude et la méditation d’une vie d’anachorète(19). Il fait don d’une partie de ses biens à ses sujets et se retire dans une grotte d’où il sera cependant enlevé pour devenir évêque de Lyon vers 435. Nous n’avons pas de trace archéologique illustrant cette période et peu d’écrits nous sont parvenus permettant d’éclairer les temps obscurs qui suivront, marqués par les nombreuses incursions sarrasines…

On sait cependant que le monastère de Lérins fonde les prieurés de Cannes et de La Napoule au milieu du VIème siècle. Il est très probable qu’une population de pêcheurs vivait alors sur le rivage napoulois, rassemblée autour de son petit port, et qu’un groupe de cultivateurs poursuivait l’exploitation agricole des pentes du San-Peyre, sur les restanques d’époque romaine… Leurs habitations furent plusieurs fois mises à sac par les barbares et, chaque fois, reconstruites vaille que vaille…L’histoire écrite de La Napoule commence réellement dans les archives au XIème siècle(20), époque où la localité apparaît dans les textes sous le nom d’Epulia puis de Napola. Elle est intimement liée à celle de Mandolocus(21) et se confond dans les titres et les actes avec Avinionet, déjà morcelé entre les mains de plusieurs évêchés(22) et plusieurs seigneurs(23) …

18- Actuelle île Saint-Honorat19- Aux premiers temps du christianisme, le cénobitisme était une forme de vie monastique en communauté, propre aux céno-bites, par opposition aux ermites et anachorètes qui vivaient seuls une vie consacrée à la prière et la contemplation.20- Actes notariés et cartulaires…21 – Mandolocus = Mandelieu (lieu de commandement)22- Les évêchés de Fréjus, Marseille et Antibes (transféré à Grasse en 1244)23- Les Gruetta de Grasse et les Barbeta de Vence


C’est également au cours de ce XIème siècle que seront bâtis plusieurs édifices dont quelques vestiges ont traversé le temps : la chapelle Notre-Dame d’Avinionet et sa nécropole, découvertes à Minelle ; les ruines d’un château (enceinte, donjon carré) et son église Saint-Pierre au sommet du San-Peyre, sur le site de l’ancienne forteresse ligure ; la tour polygonale dite « sarrasine » toujours debout dans l’enceinte de l’actuel château, face à la mer…Quant à l’implantation de la famille des Villeneuve sur le territoire, elle remonte à 1284(24), date à laquelle les moines de Lérins cèdent officiellement la seigneurie de La Napoule (« le castrum de Napola, alias Avignonet »)(25) à un certain Raimond de Villeneuve, dit « de Fayence », qui s’en était emparé par la force 12 ans plus tôt…

Pendant près de 5 siècles, ses héritiers se succèderont à la tête du domaine de La Napoule qu’ils défendront, contre vents et marées, dans les violents combats qui les opposeront à d’impitoyables adversaires politiques ainsi que dans les interminables procès qu’ils mèneront contre les chanoines du chapitre de la cathédrale de Grasse…

24- Archives des Bouches du Rhône. B 1054 fe 2025- Selon Hubert Dhumez (dans « essai sur le château de La Napoule »), cette noble famille est probablement de souche espagnole. Géraud de Villeneuve avait reçu, en 1201, l’inféodation d’Alphonse II d’Aragon, Comte de Provence, pour les terres des Arcs, Trans, etc. Il eut 3 fils. Le premier, Arnaud, continua la branche des Arcs ; le second, Raimond, fonda celle de Tourettes-lez-Fayence ; le troisième, Romée (qu’on retrouve au Paradis de Dante) est le fondateur de la branche des Ville-neuve de Vence. C’est ce dernier qui, Grand sénéchal et ami du Comte Bérenger de Provence, créa la cité de Villeneuve où il fit ériger un château, l’actuel château de Villeneuve-Loubet.


1- Conséquences de la guerre de succession entre la Maison d’Anjou et celle de Duras, après l’assassinat de la Reine Jeanne en 1382. La reine Marie de Blois, sans descendance, avait adopté Louis Ier d’Anjou, frère du roi de France Charles V. Devenue tutrice de Louis II d’Anjou, elle devra faire face à la rivalité dynastique de la Maison Duras. 2- Il y avait déjà, probablement, un « édifice fortifié » au bord de la mer mais les courtines datent de la fin du XIVème siècle (à côté du donjon polygonal du XIème siècle). Le château de La Napoule, construit au XIVème siècle par Guillaume de Villeneuve, après le pillage du « castrum » d’Avinionet, sera endommagé au XVIIIème siècle par les troupes du Duc de Savoie, puis en grande partie détruit pendant la Révolution…3- Le document est extrait d’un parchemin de 1490 contenu dans l’ « Inventaire et précis des titres et documents de Messire Pierre Jean de Villeneuve, Chevalier, Marquis de Trans, Comte de Tourettes et autres lieux… » - Archives du château de Mons


2 – Au temps des seigneurs de La Napoule…

Les descendants de Raimond de Villeneuve resteront fidèles aux Comtes de Provence auxquels ils rendent l’hommage féodal. Cette loyauté envers les membres de la dynastie angevine leur apportera, certes, des droits et privilèges mais elle leur attirera également la haine ou la convoitise de certains, en particulier celles des Ducs de Savoie, leurs adversaires héréditaires(1)… Parmi les privilèges accordés à perpétuité aux seigneurs de Villeneuve, on peut citer le droit de rendre la justice au sein de leurs fiefs et celui d’y prélever des taxes… En 1387, le château, le prieuré et le village de La Napoule sont totalement pillés et brûlés par Raymond de Beaufort, Vicomte de Turenne et Seigneur des Baux. Ce sanguinaire allié des Ducs de Savoie était surnommé « le Fléau de Provence ».C’est probablement après ce carnage que le seigneur de Villeneuve décide d’abandonner définitivement le site dévasté du San-Peyre et de construire son château au bord de la mer(2), espérant que les rochers et les nouvelles fortifications assureront une meilleure défense contre les agressions terrestres et maritimes, tout en protégeant la rivière, le port et le village de pêcheurs désormais intégré dans les remparts… L’épisode est relaté dans un vieux parchemin conservé au château de Mons(3). Il s’agit d’un long procès opposant le Chapitre de la Cathédrale de Grasse au « Magnifique et très généreux Andronic de Villeneuve », chacun revendiquant des parts d’un même terroir. Le seigneur de La Napoule défend ses privilèges sur le domaine, assurant « en avoir la juridiction, fruits et émoluments (…) et disoit au contraire qu’il étoit seigneur in toto de La Napoule (qui s’appeloit autrefois Avionet) d’un temps immémorial, et que René, Comte de Provence (4), ayant ordonné d’abatre et démolir ledit village, parce qu’il servoit de retraite aux pirates de terre et de mer ; ce qu’il auroit obligé les seigneurs de Villeneuve d’y faire construire des forteresses, fortifications et une tour très considérable qui ont coûté auxdits sieurs de Villeneuve-Tourettes des sommes immenses, sans que le chapitre de Grasse ait jamais fourni une maille, ni ne soit immiscé de rien en aucune manière… »

Les Seigneurs de La Napoule vont longtemps batailler au sujet du territoire et de sa principale source de revenu, le droit de pêche.

Diverses sentences arbitrales réglementaient les pêcheries de La Napoule et morcelaient le territoire(5) : l’abbaye de Lérins possédait des droits sur une part délimitée de la zone maritime; les seigneurs de Villeneuve sur toutes les mers bordant leurs terres et le chapitre de Grasse sur la rivière de Siagne et les marais de la Roubine...

Car un étang s’était formé à l’embouchure de la Siagne. Les chanoines de Grasse y firent placer des « pièges à poissons » comme l’atteste un parchemin de 1428(6).

Le Chapitre y signait une convention avec 2 artisans pour la construction d’une bourdigue(7) dans l’étang de la Grande Roubine. Il s’agissait d’installer une enceinte de roseaux et de joncs dans les canaux reliant les étangs à la mer, de manière à capturer le poisson venu frayer. La concession était prévue pour une durée de quatre ans et stipulait que le tiers des poissons pêchés dans l’étang ou dans la mer reviendrait au Chapitre.

- fonds privé de la famille de Beauregard4- René, Comte de Provence et Roi de Naples, est le deuxième fils de Louis II, successeur de son frère héritier Louis III à son décès en 14345- Depuis 1244 et le transfert des biens de l’évêché d’Antibes à celui de Grasse, le chapitre était devenu le seigneur de Mandelieu. Il possédait également quelques biens autour d’Avinionet… Ces biens étaient inséparables de ceux de la maison de Villeneuve et devaient être exploités dans l’indivision comme en avait décidé un arbitrage rendu en 1298… Voulant sortir de l’indivision en 1459, les deux parties soumettent le partage de leurs droits à un nouvel arbitrage dont la sentence accorde aux Villeneuve la partie côtière du territoire, le village (La Napoule), le château, la Grande Roubine et le rivage tandis que le chapitre se voit attribué la partie supérieure du territoire (Mandelieu) et quelques terres du côté d’Avinionet… En 1515, après de multiples litiges, Honoré de Villeneuve abandonne au Chapitre de Grasse la Grande Roubine, l’Etang et le droit de pêche sur la rivière de Siagne, se réservant l’usage exclusif de la mer et de ses revenus.6- Archives Départementales des Alpes Maritimes – G11537- La bourdigue est une enceinte de claies faites de « cannes » ou roseaux qui permet la capture de poissons venus frayer et cherchant à regagner la mer


Les seigneurs de Villeneuve défendront sans relâche les privilèges accordés sur « leurs mers » par les Comtes de Provence, puis par le Roi de France. Ils parviendront à les maintenir malgré les nombreuses contestations, tant des pêcheurs cannois que des chanoines grassois ou des moines de Lérins ! En plus du droit de pêche, ils comportaient celui du transport des pèlerins vers l’île de Saint-Honorat ainsi que le très lucratif « droit de naufrage »(8)…

Mais, les épidémies de peste, les attaques des pirates ainsi que les perpétuels affrontements entre les Ducs de Savoie et les Comtes de Provence ont épuisé la seigneurie de La Napoule et décimé sa population.

Les archives témoignent d’une totale désolation du village vers 1450… Antoine de Villeneuve décide de procéder au repeuplement de son fief. En 1461, il fait appel à 19 chefs de famille originaires de la région de Gènes et leur accorde une « charte de franchises »(9).

Celle-ci est importante car elle va désormais régir tous les rapports entre le seigneur et ses hommes. Elle permet aux habitants de La Napoule de se réunir en Conseil pour gérer les affaires de la communauté ; de cultiver les terres et d’exploiter les bois ; de posséder et faire paître du bétail ; de chasser et de pêcher… Ces droits sont accordés moyennant certaines taxes et corvées. En contrepartie, le seigneur offre sa protection aux villageois…

8- Le droit de naufrage, dont le produit figure de manière constante dans les revenus des seigneurs féodaux, était exercé par les habitants des côtes et consistait à s’approprier tous les biens des bateaux échoués. L’appât du gain incitait les plus mal intentionnés à saborder les navires en péril, au prix de malfaisance.9- Archives départementales des Alpes maritimes – G 747

Voici les principaux articles de la Charte de franchise de 1461 :• il sera permis aux hommes de La Napoule de se munir en assemblée générale chaque année en présence du baile, le jour de la pentecôte, pour élire le conseil de la communauté : 2 syndic, 1 clavaire(10) et 3 arbitres • le guet sera assuré par le seigneur, de jour et de nuit, sur ses tours et par ses hommes sur les remparts et aux portes quand nécessaire• les hommes pourront labourer toutes les terres qui n’appartiennent à personne dans le lieu et s’y livrer à toutes sortes de cultures : blé, légumes, chanvre, vigne, arbres fruitiers (figuiers, noisetiers, amandiers, pruniers, grenadiers, cerisiers…). Toute personne, âgée de sept ans et plus qui sera surprise en train de voler du raisin ou des fruits sur les terres d’autrui sera passible d’une amende applicable, moitié au seigneur, moitié à l’agriculteur. Les dégâts commis par le bétail sont également passibles d’une amende aux mêmes conditions• les habitants auront la faculté de ramasser du bois dans tout le territoire pour leur usage ou pour le vendre. Le seigneur se réserve le 24ème du bois revendu• ils pourront tenir autant de bétail qu’ils voudront et le faire paître librement dans le territoire • la communauté disposera d’un « devens » (pâturage clôturé) pour la dépaissance des boeufs de labour pendant toute l’année. Aucun bétail de race caprine ou ovine ne pourra y pénétrer de la fête Notre Dame de mars jusqu’à la Noël• le seigneur devra tenir un four à la disposition des habitants avec un fournier et la fornille nécessaire, moyennant le 20ème des


Bien que grevés d’assez lourdes charges, les nouveaux arrivants ne tarderont pas à relancer la vie du petit village centré autour de son port, à l’est du château… Dix ans plus tard, soit lors du rapport de réaffouagement(13) de 1471, la population de La Napoule a plus que doublé, passant de 19 à 46 chefs de famille…Le terroir devra cependant faire face à de nouvelles épreuves, subissant les attaques successives de flottes étrangères dont la plus meurtrière sera celle du corsaire turc Keir-ed-Din Barberousse, aux alentours de 1530(14).

10-Clavaire = officier municipal chargé de la garde et de la gestion de la caisse publique11-Fichouire : espèce de trident avec lequel les pêcheurs dardent les poissons dans les étangs salés12- Droit de lesde ou leyde : droit du seigneur sur le 12ème du poisson pris le jour, alors que le droit de madier est égal au 24ème du poisson pris la nuit13- Dénombrement des foyers d’un village 14-Toute la contrée subit la terrible incursion du grand Turc Barberousse. Sa flotte, aux ordres de l’Empire Ottoman, est tristement célèbre pour ses attaques et ses razzias sur toute la côte méditerranéenne. Dans sa « Chorographie ou description de la Provence » rédigée en 1664, Honoré Bouche rapporte l’évènement : « En 1530, l’équipage de douze galiottes du corsaire Keir-Ed-Din dit Barberousse, posté aux îles de Hyères, attaqua et mis à sac la ville de La Napoule, apparemment insuffi-samment close et fortifiée, qui s’en trouva en partie dépeuplée ».


pains et des plats• la Communauté pourra tenir un boucher et le boucher faire paître un troupeau de 30 bêtes dans le terroir, sauf dans le devens• le vin pourra être vendu librement sur terre ou en mer, mais le seigneur se réserve de tenir la taverne du dimanche gras jusqu’au samedi suivant• la chasse au sanglier, au cerf, au lapin, à la perdrix et autres gibiers sera libre, mais pour le sanglier tiré à l’arbalète, le seigneur se réserve la tête, pour les bêtes prises au filet, un quartier de derrière.• la pêche sera libre dans les étangs et dans la Siagne à la ligne, à la fichouire(11) (foene), à la nasse ; en mer (dans la partie qui dépend de La Napoule) avec n’importe quel engin. Le seigneur percevra au titre de la lesde(12), en cas de vente du poisson ½ gros par livre. Suivent quelques réserves pour les pêches à la lumière, pendant le carême et le temps de carnaval…• les habitants pourront passer librement dans l’île de Saint-Honorat tous les pèlerins et toutes les personnes qui voudront s’y rendre au temps des Indulgences• les femmes qui sont bavardes dans ce pays, ne seront pas poursuivies pour des paroles injurieuses prononcées au four, à moins qu’elles ne fassent l’objet d’une plainte !

Bravant l’adversité, la seigneurie de La Napoule continuera de prospérer pour atteindre son apogée dans la seconde moitié du XVIème siècle.

Le registre d’un notaire napoulois, Me Jehan Antoine Giraud, a été miraculeusement sauvegardé(15). Ses quelques 130 actes, principalement des testaments et compositions de dots, nous permettent de reconstituer de façon assez précise la vie de La Napoule en 1566. Le cœur du village se situe légèrement en marge du château. Il est protégé par une enceinte et organisé autour d’une place centrale, la « place des 4 cantons ». Les actes font état d’une église et de sa maison curiale, d’un « Hôtel-Dieu » (l’hôpital des pauvres) et d’une Maison des Pénitents.... Les maisons (environ 450) sont disséminées de part et d’autre de 3 rues principales : la rue « Droite », la rue « du Mittan » et la rue « Haute »... A l’écart, mais non loin de l’enceinte, se trouvent plusieurs quartiers : la « Marine », premier noyau médiéval, la « Tour », la «Ferrage», « Maupas » et « Entreville »...

La plupart des maisons n’ont pas d’étage mais certaines possèdent un «sollier» haut et un « sollier » bas. Meublées de façon rudimentaire (voir encart), elles comportent une chambre, une cuisine, une cave, une boutique et, parfois, un « fugairon » ou coin feu… Quelques maisons possèdent également un «banquet» en façade. Ce banc de pierre, d’assez grande dimension, jouait un rôle social, économique et politique ! Lieu de retrouvailles entre amis, lors des

longues soirées d’été, c’est aussi là que se faisaient les ventes aux enchères et que se réunissait le Conseil de la Communauté...

15- Registre conservé à la Bibliothèque municipale d’Antibes16- Ménager : paysan cultivant un domaine et y habitant17- Bourrelier : artisan qui fabrique les harnais et autres pièces de cuir18- Nourriguier : s’occupe de l’organisation d’un troupeau et veille aux transhumances19- Bâtier : fabricant de scelles pour bêtes de somme20- Barillier : fabricant et marchand de tonneaux


Les minutes du notaire décrivent le mobilier et l’équipement de plusieurs testateurs. Parmi les inventaires les plus « riches » de la cité, on notera celui de Pierre Castillion, maître-charpentier, dont voici la liste approximative :- des ustensiles de cuisine : 2 chaudrons, une broche, une poêle et des tourtières de bois, un mortier de marbre ; un tamis et 2 filets de soie ; une planche à faire le pain ; 3 serviettes ; 2 grands plats, 5 écuelles, une salière et 2 aiguières d’étain…- des meubles : table de pin avec rallonges ; un banc (avec dossier tournant !), une grande banquette, 2 chaises, 1 escrivoir, 1 chandelier de laiton, 1 chauffrette d’airain, 1 coffre de pin avec serrure, 3 nappes, 1 lit sur « carriol » avec bissac (sac fendu formant drap), traversin et dessus de toile bordée ; 2 lits de camp ; 3 couvertures ; 1 traversin de laine ; 15 linceuls usagés, 1 rideau, 1 tapis brodé ; 1 essuie-main…

La Napoule compte alors quelques 2000 habitants.

Ils vivent de la pêche et du commerce maritime, pratiquent la chasse, exploitent les bois et cultivent les terres de manière intensive.

Mais, si la répartition des métiers liés à la terre ou à la mer semble relativement équilibrée, la pêche reste l’activité principale de La Napoule. Elle le demeurera jusqu’au XXè siècle, avec des techniques quasi inchangées….

Une étude approfondie de la vie des pêcheurs du bassin cannois(25), nous apprend que tous ces artisans se connaissaient et étaient interdépendants. Le constructeur de bateaux dépendait du forgeron qui fabriquait les chaînes, les ferrures et les ancres ; du bûcheron qui abattait et charriait le bois pour construire les barques ; du scieur qui les coupait; des calfats qui rendaient la coque étanche ; des cordiers qui fabriquaient les cordages; des fileurs et des tisseurs qui s’occupaient des voiles…etc.

21- Fabricant de cordes. 22- Auffe : sorte de graminée, dont on se servait pour faire des cordages, des nattes, des filets.23- Confectionneurs et réparateurs de filets24- Sur les bateaux en bois, le calfat a la délicate mission d’étanchéifier la jonction des charpentes à l’aide d’étoupes (fibres grossières de lin ou de chanvre) et de «brai» (mot d’origine gauloise qui signifie boue: sorte de goudron, de bitume).25-Marie-Lou Laroche, Les « petits métiers » et les artisans ayant un rapport avec la vie maritime provençale du XIV au XVI s. - Les pêcheurs et la pêche.


- des outils : 2 faucilles ; 1 tenaille ; 6 houes ; 1 faux ; 1 couteau à tailler ; 2 limes, 1 râpe, 1 scie, 2 marteaux, 4 encapels (petites enclumes pour aiguiser les faux) ; 2 claies…- des armes : 1 arbalète avec son arc ; 2 arquebuses ; 1 hallebarde ; 1 épée ; 3 râteliers pour tenir les armes…- dans la cave et le grenier : des barils à eau ; 5 tonneaux à vin (pleins !) ; 2 tonnelets ; 2 jarres ; 1 once de cuir…- outillage pour la pêche : 11 nasses ; 2 « boyronnières » ; 6 fichouires (3 garnies et 3 sans fer) ; 1 fer sardinal ; 1 risel ; 1 guilherme…Grâce aux contrats de mariage, on sait que la jeune mariée apportait généralement dans son trousseau une dot en argent, de 300 à 400 florins, ainsi que 2 robes nuptiales (dont l’une était celle qu’elle portait déjà !), un coffre, 3 ou 4 draps de lit, une couverture, une paillasse, une dizaine de chemises et, plus rarement, un traversin, un coussin et une nappe…

On recense de nombreux métiers liés à l’agriculture et à l’élevage : 43 ménagers(16) et laboureurs, 4 maréchaux-ferrants, 1 bourrelier(17), 3 meuniers, 1 boucher, 2 nourriguiers(18), 1 bâtier(19)… On rencontre également 1 « escolier», des bûcherons, des maçons, des rentiers et des notables : maître-couturier, maîtres-chirur-giens, médecins, prêtre, juge et notaire…Les autres métiers cités dans les actes ont un rapport étroit avec la mer : 25 mariniers et mariniers-pêcheurs, 6 barilliers(20), 7 tisseurs à toile, des cordiers(21), 3 charpentiers ou fustiers, 5 marchands d’auffes(22), des ramendeurs(23), des calfats et maîtres calfats(24), des patrons-marchands…

L’embarcation la plus répandue était la « tartane ». Ce petit bateau à fond plat était relevé à chaque extrémité, soit « pointu » des 2 côtés (d’où le nom qu’il porte communément aujourd’hui) ! Il était utilisé indifféremment pour la pêche et le petit cabotage en mer méditerranée… Les pêcheurs étaient autorisés à pêcher au moyen de nasses et de filets, parmi lesquels on citera « l’issaugue », large filet traînant, et la « rissole », petit filet flottant. La pêche de nuit, dite « au lamparo », se pratiquait à plusieurs bateaux. Pour attirer le poisson, ils étaient équipés de torches faites dans un bois résineux, appelé « theo », dont La Napoule était le lieu de production par excellence.On pêchait le thon, la dorade, le maquereau, le mulet, la bogue, la sardine, l’anchois et, exceptionnellement, le dauphin... Les poissons étaient vendus frais au marché du village ou salés et exportés en barils dans l’arrière-pays.

Le corail, très présent sur nos rochers côtiers, était également une source intéressante de revenu. Cet « or rouge », très prisé des bijoutiers, se récoltait au moyen d’une croix en bois, traînée derrière le bateau sur les fonds rocheux. Elle arrachait le corail à la roche et celui-ci tombait ensuite dans des sacs en jute. C’était la fameuse « Croix de Saint André » malheureusement responsable d’irrémédiables dégâts dans les fonds marins.__________________Les actes notariés nous donnent aussi des renseignements intéressants concernant la nourriture et la boisson des habitants de La Napoule au XVIè s.

Il semble que l’on trouvait chez les marchands tous les produits de première consommation : le blé, la viande de boucherie, le vin… Les céréales, les légumes et les fruits étaient cultivés sur place. On sait que le pays était giboyeux, sa côte poissonneuse et sa forêt généreuse en baies de toutes sortes (myrtes, arbouses…). C’est néanmoins la figue qui, à La Napoule comme dans les autres villes provençales, tenait la plus grande place dans les produits d’alimentation des foyers.


En conclusion, les minutes notariales donnent l’impression qu’une grande majorité des exploitants agricoles ou des mariniers de La Napoule vivaient de leur travail, modestement peut-être, mais ils étaient à l’abri du besoin.

A côté de ces patrons indépendants, relativement aisés, existait toute une classe de « travailleurs » pauvres dont on connaît peu de choses car le « petit peuple » ne recourait guère au notaire! Ils vivaient probablement dans un état proche de l’indigence puisque la Communauté disposait d’un Hôtel-Dieu pour accueillir les plus malheureux…Il est certain, en revanche, que l’essentiel de la richesse se trouvait entre les mains de quelques rares personnages, marchands ou bourgeois, qu’on appelait «sires»…Le registre notarial de 1566 révèle, enfin, une autre information plutôt surprenante : sur cette seule année, 22 testaments sont consignés(26). Etrangement la plupart des testateurs, pourtant dans la force de l’âge, décèdent dans les heures qui suivent la rédaction de leurs dernières volontés… Cette impressionnante mortalité est assurément liée à la nocivité de l’air napoulois(27). Le manque d’entretien du canal de la Siagne avait, en effet, provoqué la formation de lagunes insalubres qui dégageaient de funestes émanations(28) entraînant la désertification des lieux. Maintes fois, les seigneurs de Villeneuve tenteront le repeuplement de leur domaine, multipliant les actes d’habitation, en vain…

26- Les personnes faisaient appel au notaire en pleine nuit, atteints subitement d’une forte fièvre dont ils savaient l’issue souvent fatale. A ces 22 décès recensés, il faut ajouter ceux des personnes de très modeste condition, morts sans instruction testamentaire. 27- Tous ces renseignements sont tirés de l’étude de J.A. Durbec : « La Napoule, du XIè au XIXè siècle », parue dans les Annales de la Société Scientifique et Littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse - 1986.28- Le problème ne sera définitivement résolu qu’après la Révolution, lorsque Joseph de Fontmichel, acquéreur des biens du Chapitre de Grasse, financera la déviation du cours de la Siagne, au 19ème siècle, permettant l’assèchement des marais.


Rédigé à l’occasion de la vente, un mémoire donne pourtant une description du fief bien élogieuse: « …situé sur un rocher au bord de la mer. Il est garni de 2 tours antiques très fortes. Il est réparé à neuf avec tous les bâtiments convenables, comme plafonds à l’anse à paniers, cheminées de marbre, carreaux à tomette, fenêtres à espagnolette (…) Il est grand, spacieux et capable de loger la famille la plus nombreuse. Il est fermé par une grande cour autour de laquelle il y a tous les hangars nécessaires à un grand château et qui est précédée d’une avant-cour à côté de laquelle il y a une église neuve et derrière cette église un petit bois de muriers plantés en quinconce qui aboutit au village dont les maisons sont bâties de fort bonne pierre et bien couvertes… » Le mémoire évoque également « les débris d’un vieux château » sur le Mont San-Peyre « …où la citerne est encore dans son entier et où l’air est fort bon… Les seigneurs habitaient anciennement dans ce château et celui de la mer servait pour la défense contre les Maures d’Afrique. On pourrait le rétablir pour l’habiter l’été » ! Dans la réalité, la seigneurie de La Napoule a perdu son lustre d’antan et le village est dévasté. En examinant de près la carte ci-dessus, on peut y lire « ville ruinée » !

En 1719, après l’échec d’une ultime tentative de repeuplement, Pierre de Villeneuve se résigne à vendre son domaine ruiné.


Le 21 mars 1719, Dominique de Montgrand, Messire de Mazade, achète le domaine contre la somme de 153 000 livres. Il met les terres en fermage et restaure la demeure seigneuriale. On sait, par un arrêt du Conseil d’Etat, que le chevalier de Mongrand était autorisé à « tenir dans son château six pièces de canon pour la défense des navires qui mouillaient près de ses terres… ». Cette « armure » se révèlera, hélas, insuffisante. L’hiver 1746, La Napoule est de nouveau pillée et ravagée par l’armée autrichienne, lors du siège d’Antibes...

En 1789, la Révolution confisque toutes les terres seigneuriales et abolit les privilèges… Les seigneurs de Montgrand s’exilent en Italie…La Napoule est rattachée à la ville de Fréjus. Elle le restera jusqu’en 1836 où, à la demande de ses habitants, une loi rendra officielle sa réunification à Mandelieu demeurée sous la tutelle administrative de Grasse…Le château est en ruines. En 1837, le maître-verrier Louis Barthélémy y installe sa fabrique. Un parfumeur grassois, M. Charrier, rachète la propriété 40 ans plus tard. Il y fera construire, côté front de mer, une demeure d’allure « bourgeoise », recouverte d’un haut toit avec tourelles et tuiles rouges… Le progrès est en marche, inexorablement.

Petit à petit, le village va renaître de ses cendres grâce à la présence et à la bienveillance de plusieurs mécènes…


3 – Quand les fées et les princes se penchent sur

le berceau de La Napoule…

A la veille de la Révolution française apparaissaient déjà les prémices d’une révolution touristique dans notre contrée : 150 familles anglaises fortunées hivernaient à Nice vers 1780 ! Quelques personnages singuliers sont à l’origine de cet engouement pour la Riviera française. Ayant fortuitement découvert la côte provençale et les effets salutaires que prodigue son air marin, ils en sont rapidement devenus les ambassadeurs enthousiastes.

Le Docteur Tobias Smolett est le premier de ces « promoteurs ». Dans ses « Voyages à travers la France et l’Italie » publiés en 1766, il raconte sa fascination pour la douceur du climat, la beauté des paysages et les coutumes insolites des habitants. Ces quelques extraits relatent son voyage de Fréjus à Antibes et nous transportent dans le décor, bien reconnaissable, de La Napoule à l’aube de sa métamorphose : « le flanc de la colline est naturellement couvert des essences à feuilles persistantes les plus agréables, pin, sapin, laurier, cyprès, myrte, tamaris, buis et genévrier entremêlés de marjolaine, de lavande, de thym, de serpolet et de sauge … ». Plus loin, il décrit les « jardins pleins d’arbres verdoyants, chargés d’oranges, de citrons, de cédrats et de bergamotes… ». Il rapporte que : « les maquereaux, grondins, mostelles frétillent dans les filets (…) mais la sardine, l’anchois et le thon sont assurément les prises les plus courantes (…)

1- L’impératrice Eugénie est l’épouse de Napoléon III



Tout au long de la côte, pêcheurs et marins n’ont guère d’autre nourriture que du pain sec et des anchois salés ; quand ils ont mangé le poisson, ils étalent la saumure sur leurs croutes... » !

D’autres auteurs venteront, à leur tour, les charmes du Golfe de La Napoule. Ainsi, Lord Henry Brougham qui, voulant rejoindre sa fille en Italie l’hiver 1834, se retrouve bloqué à la frontière niçoise pour cause de choléra. Rebroussant chemin, il découvre incidemment la petite ville de Cannes ! Il s’y fixe et la fait découvrir aussitôt à ses nombreuses relations de l’aristocratie britannique.

L’historien et archéologue français Prosper Mérimée y séjournera régulièrement de 1856 à 1870, espérant que le bon air cannois soignera son asthme. Quelques années plus tard, Stephen Liegeard invente le terme « Côte d’Azur » dans son ouvrage éponyme publié en 1887. Il ne s’attarde toutefois guère sur le village de La Napoule qu’il qualifie de « petite agglomération de masures, en marge d’un château-fort transformé par un Marseillais »… !

Rapidement, la « French Riviera » devient la destination favorite de la haute société britannique, puis de toutes les têtes couronnées d’Europe : la Reine Victoria d’Angleterre, les Impératrices Sissi d’Autriche, Maria Feodorovna de Russie, Eugénie de France(1) ; les Rois de Suède, du Danemark, de Belgique, de Hollande…

La mode des « vacances d’hiver » et de ses salutaires bains de mer est lancée.

Le découvreur et bienfaiteur de La Napoule est un membre éminent de la famille impériale russe(2).

Forcé à l’exil par son cousin le tsar Alexandre III qui désapprouve son mariage morganatique(3) avec la comtesse Sophie de Merenberg(4) en 1891, le Grand-Duc Michel Mikhaïlovitch de Russie traîne avec ennui sa mélancolie entre l’Angleterre et la France. Les fastueuses réceptions organisées dans sa villa « Kazbeck », à Cannes, n’arrivent pas à le distraire de sa nostalgie du pays… Lors d’un bref séjour en Ecosse, il découvre le jeu de golf.Aussitôt séduit, il décide de reproduire sur la Côte d’Azur le célèbre golf de St Andrews et choisit la magnifique pinède de La Napoule pour l’implanter. C’est ainsi que naît le « Old Course », premier golf méditerranéen. Très vite le club acquiert une notoriété et les lords, ducs, comtes, princes et rois accourent de toutes parts pour le découvrir. La petite

histoire raconte que le Grand-Duc Michel de Russie concluait chaque après-midi sa partie de golf par un thé, agrémenté du lait que deux serviteurs venaient de traire à une vache amenée expressément sur le green !Pour permettre aux illustres golfeurs d’accéder commodément au Club, le Grand-Duc sollicita et obtint l’arrêt des trains du P.L.M.(5) dans la petite halte de La Napoule. Les habitants réclamaient cette station depuis longtemps. Ils lui manifesteront une reconnaissance émue lors de son inauguration, en 1893.

2- Le Grand-Duc Michel de Russie est le petit-fils du tsar Nicolas I, le neveu d’Alexandre II et l’oncle de Nicolas II assassiné par les bolcheviks en 1918 avec toute sa famille3-Un mariage morganatique est l’union entre un souverain, un prince ou comte d’une maison régnante, avec une personne de rang inférieur4- Sophie de Merenberg, Comtesse de Torby, est la fille du Duc de Nassau et la petite-fille du poète Pouchkine5- Paris-Lyon-Méditerranée


L’arrivée du Grand-Duc, accompagné de son épouse, fut accueillie par des cris de joie et une salve de 21 coups de fusil tirée par les chasseurs de Maurevieille. Ensuite, l’aînée des napouloises offrit un bouquet à la Comtesse de Torby en proclamant : « Princesse ! Comme doyenne des habitants de La Napoule et en leur nom, j’ai l’honneur de vous offrir ces modestes fleurs, les plus rares de nos montagnes, que j’ai cherchées et cueillies moi-même, malgré mes vieux ans et mes infirmités. Grâce à son Altesse et à vous, Madame la Grande Duchesse, nous avons enfin cette station que nous désirions depuis trente-deux ans. Aussi, je vous prie et avec moi tous les habitants de La Napoule, d’agréer l’expression de notre reconnaissance et nos remerciements éternels ». Les cris répétés de « Vive la Russie » accueillirent ces paroles tandis qu’une jeune écolière déclamait à son tour : «

…L’arrêt du train, c’est le charme, c’est la vie des enfants, c’est le bonheur pour tous. Cette preuve de la haute protection que vous voulez bien nous accorder ne s’effacera pas de notre souvenir. Soyez donc mille fois béni, Monseigneur. Puisse votre postérité vivre au pays du soleil de génération en génération » !

Très actif dans la cité, le Grand-Duc Michel de Russie encouragera également la création d’équipements importants comme l’hippodrome en 1901, la Corniche d’Or en 1903, le jeu de polo en 1908 ou le port de la Raguette dont il pose la première pierre en 1909… Passionné par l’aviation naissante, il soutiendra l’organisation du premier meeting aérien de la Côte sur notre champ de courses, en avril 1910.

Mais d’autres figures célèbres ou personnages fortunés vont, à leur manière, contribuer à l’envol et au renom de notre petit village de pêcheurs.

Sans être exhaustif, on pourrait citer quelques écrivains…

Guy de Maupassant aimait escalader les pentes du San Peyre et converser avec l’ermite qui avait élu domicile dans la vieille chapelle St Pierre en ruine… De cette amitié paraîtra, en 1886, une nouvelle intitulée « l’Ermite ».

Deux ans plus tard, il publie « Sur l’eau », récit d’une croisière le long des côtes azuréennes à bord de son yacht « Bel Ami ». Maupassant dépeint un paradis encore inviolé, «…un jardin prodigieux où poussent le mimosa et les plus belles fleurs d’Europe ».


Oscar Wilde, cherchant une nouvelle inspiration, séjournera à l’Hôtel des Bains de La Napoule l’hiver 1898… Cette période restera malheureusement inféconde bien qu’il soit rapporté qu’à la vue des jeunes pêcheurs « aux membres dénudés », Wilde ait réfléchi à une sorte de pendant à « La ballade de la geôle de Reading » qui se serait intitulée « La ballade du petit pêcheur »…Au cours des « Années folles », l’auteur américain Ernest Hemingway fréquenta le même établissement napoulois. L’hôtel-pension deviendra le décor de son dernier roman inachevé, « Le Jardin d’Eden »…

La jolie princesse Daisy de Pless(6) possédait plusieurs biens sur notre commune. Elle avait acquis une propriété s’étendant du San Peyre aux berges du Riou de l’Argentière(7). Après son divorce du prince de Silécie, elle fit construire la Villa Marguerite, maison de style « Belle Epoque » plantée au milieu des orangers, face au vieux château seigneurial …En 1918, Harry Leland de Langlay construit le château Agecroft dans un style lui rappelant les manoirs écossais de son enfance. Il sera communément appelé « le château des mineurs(8) » par les napoulois. Après la 2ème guerre mondiale, le châtelain revend son domaine aux « Houillères du Nord et du Pas-de-Calais », offrant généreusement une large bande de terrain côtier à la ville de Mandelieu-La Napoule pour qu’elle y aménage une plage et un terrain de sports à l’intention des vacanciers des bassins houillers du nord de la France…

En 1920, Sir Alan Johnstone et son épouse achètent la « Fanfarigoule », vieille demeure fortifiée sur les pentes du San Peyre…La même année, Paul Goudime Levkovitch, ancien Général de l’armée impériale russe, rachète le vieux poste de douaniers devenu l’« hôtel des bains ». Il baptise l’édifice la « Maïon Longa » en raison de sa f orme allongée. Il y accueillera d’illustres invités parmi lesquels Winston Churchill, le cousin de son épouse Evelyn Green. Une très belle palmeraie ainsi qu’un court de tennis agrémentaient la

6- Mary Theresa Olivia Cornwallis-Ouest est une descendante du roi Henri III d’Angleterre. En 1891, elle épouse Henri XV, 3ème Prince de Pless, riche propriétaire de mines de charbon en Pologne. Le Prince de Galles, futur roi Edouard VII, assistait à la noce. En 1907, la princesse est élue « plus belle femme d‘Angleterre » ! Le couple divorcera en 1922.7- Elle les revendra plus tard au couple Clews8- Le domaine d’Agecroft, réquisitionné par les troupes allemandes, fut le théâtre de violents combats opposant les occupants et les troupes alliées débarquées à Théoule le 15 août 1944… Après la seconde guerre mondiale et son retour d’exil, Leland de


propriété. Le Général cèdera le terrain à la ville, en 1954, pour en faire une place publique devenue depuis le parking St Fainéant.

Bien d’autres personnalités notoires choisiront La Napoule pour des séjours épisodiques ou pour une retraite paisible : l’épouse du professeur René Quinton, génial inventeur du fameux sérum marin; Walter Turney, le propriétaire de la colline sur laquelle sera créé le lotissement du Mont-Turney ; le peintre Dimitri Semionovitch Stelletsky ; l’aviateur Nicolas Popoff ; le confiseur cannois Jean Maiffret ; la chanteuse Lina Margy, interprète inoubliable du « petit vin blanc » ou de « voulez-vous danser grand-mère »...

On peut encore citer l’acteur et réalisateur Roger Vadim qui, fuyant la traque des enfants juifs, fréquenta l’école de La Napoule pendant la seconde guerre mondiale ou, plus récemment, le chanteur Charles Aznavour qui prêta sa maison, située sur les rives napouloises, pour le tournage du film « Les intrus » de Sergio Gobbi en 1972…

Mais, incontestablement, la vie tranquille des habitants sera marquée à jamais par l’empreinte prodigieuse et bienveillante d’un couple d’artistes américains, aussi riches que fantasques ! Henry et Marie Clews achètent le vieux château médiéval en 1918…

Ils sont fascinés par l’ambiance du site, ses ruines romantiques et ses mystérieuses légendes. La plus sombre nous est relatée par Marie Clews elle-même : un comte de Villeneuve aurait été pendu sur les rochers par le sanguinaire Raimond de Turennes. Son fantôme hanterait toujours les remparts du château la nuit, portant sa tête aux traits sévères sous le bras …!

Langley retrouve une propriété totalement ravagée. Devant l’ampleur du désastre, il choisit de vendre son château et les 171 hectares composant son domaine. Le lieu devient un centre de repos réservé aux ouvriers et employés des Mines ainsi qu’à leurs familles.


Les Clews entreprennent la restauration des lieux et y plantent le décor magique d’un conte de fées napoulois qu’ils baptisent très logiquement « Once upon a time »(9).Il est peintre et sculpteur, elle est architecte et paysagiste.Ensemble ils réinventent le château et les jardins, créant un univers hétéroclite, à la fois onirique et néo-gothique. Tel un Don Quichotte des temps modernes, Henry Clews peuple son royaume de créatures fantastiques, tantôt loufoques tantôt tendres ou inquiétantes … Revêtu de costumes moyenâgeux, le couple prend plaisir à organiser de somptueuses réceptions pour des hôtes prestigieux(10) ainsi que des concerts et des récitals où Marie,

musicienne dans l’âme(11), peut déployer ses talents de cantatrice d’opéra…Les Clews seront également très proches des modestes habitants de La Napoule, sachant leur


9- Soit « Il était une fois » en français10- Le couple aimait recevoir ses proches voisins (les Johnstone, Goudime, Gandolphe…), des amis artistes (Scott Fitzgerald, Cocteau, Délius…) et les membres de grandes familles fortunées (le Grand-Duc Michel de Russie, le prince Louis II de Monaco, les Guinness, Vanderbilt, Goult…). 11- Henry Whelen, le père de Marie-Elsie Clews, était l’un des fondateurs de l’orchestre de Philadelphie


manifester respect et générosité en maintes occasions … Bienfaiteurs du village, Henry et Marie Clews lèguent à la paroisse l’église Notre Dame de l’assomption. Ils créent, au pied du château, une petite plage réservée aux pêcheurs et une structure de pierre, la « teinché », où ils pourront traiter leurs filets.Parions que l’âme de ces atypiques châtelains plane sur les coursives de l’antique forteresse continuant de veiller, d’un œil tendrement protecteur, au bien-être des petits napoulois. Ce rêveur inspiré,

amoureux du héros de Cervantès, prononçait avant de mourir cette phrase sibylline qui résonne comme un présage : « Je reviendrai un jour dans ce château, quelques années…ou quelques siècles après ma mort (…) je reviendrai au jour choisi par moi, au crépuscule d’un matin où la lune brillera… » !

… I yearnTo come at eventide as spriteAnd dance upon the window sillOf little folk, wide-eyed and stillWhen summer moon is shining bright.And I shall dance with might and mainTo let dear little children seeHow quaint and funny I can be.From sciences I shall set them freeAnd give them mirth and mysteryAnd myth and fairy lore again.

… J’aspire A venir au crépuscule comme l’elfe Et danser sur le rebord de la fenêtreDes petites gens, les yeux écarquillés, et encore lorsque la lune d’été brille lumineuse.Et je danserai avec force et puissancePour laisser les chers petits enfants voirCombien je peux être original et drôle.Je les délivrerai des sciencesEt leur donnerai la joie et le mystèreEt le mythe et encore le savoir des fées.

Epitaphe sculptée sur la tombe de Henry Clews : ‘‘Mythe, Mystère, Malice’’

4 – Si La Napoule m’était contée…

Si l’histoire du village est indissociable de celle de son château et de ses nobles bienfaiteurs, elle est aussi celle d’un peuple simple, courageux et fier de ses traditions; un peuple à l’accent chantant, ayant appris à lutter contre les vents, la tempête et le soleil brûlant; un peuple vibrant au rythme des saisons et du cliquetis des bateaux, dans l’odeur enivrante des pins, du pistou(1) et du pissalat(2)... !

Comme nous l’avons rappelé, la pêche est demeurée au cours des siècles l’activité principale de La Napoule, empreignant à jamais son paysage et son identité.Dans les années trente, la plupart des pêcheurs habitaient dans la partie basse du village, près du Riou de l’Argentière. Il y avait les Caisson, les Fauret, les Guillerme, les Toesca, les Crestani, les Roustan, les Camisin(3)…, sans oublier « Bélesse », le père d’Honorine pour qui les napoulois avaient fait une chanson, et puis Edmond Villani qui devint maçon par docilité filiale mais qui est demeuré marin dans l’âme...Les maisons de pêcheurs étaient modestes mais commodément situées près du petit port du Riou où ils pouvaient amarrer leurs pointus. A l’époque, tous les propriétaires du quartier étaient chargés d’entretenir la route, devant leur domicile, en y jetant

1- Pistou : sauce à base de basilic, d’ail et d’huile d’olive…2- Pissalat : saumure d’anchois3- Honoré Caisson (dit « Réré »), Yves Guillerme (dit « le père Yves ou le breton » en raison de ses origines), Toesca (dit « Toto »), Cyprien et Simon Fauret… 4- Un cahier des charges du quartier du Riou, qui n’est plus en vigueur de nos jours, interdisait également l’implantation de commerces.5- En 1935, les cépages de ce groupe de raisins « framboises » (le clinton, l’herbemont, l’isabelle, le noah, le jacquez et l’othello) ont été interdits en France. La fermentation de ces raisins produit, effectivement, du méthanol et peut provoquer, chez ceux qui abusent de ce vin, des crises de démence. L’interdiction de vente et de production du raisin framboise a été levée en 2003.


6- les filets étaient lestés de petits plombs gris, la partie haute possé-dant des flotteurs. Une fois descendus (calés) en mer, les mailles s’ouvraient et les filets étaient ainsi maintenus tendus et droits. 7 – caler un filet = le jeter dans l’eau après l’avoir lesté8- démailler = enlever tous les poissons pris dans le filet et dans les mailles. Travail long et fastidieux car il ne fallait pas déchiqueter le poisson9- sur l’actuel quai Villani (rive droite) qui était, en fait, le quai Honoré Caisson (rive gauche). Les deux quais ont été inaugurés par le Maire Henri Leroy le 20 avril 2009.


régulièrement des gravillons. Il faut dire que les voies étaient constamment détériorées par les fréquentes inondations du cours d’eau. Il n’y avait pas encore de ramassage des poubelles, pas d’éclairage ni de clôtures et les maisons n’étaient jamais fermées à clef ! C’était un temps où la convivialité et la confiance régnaient en maîtres(4)… Les habitants possédaient tous leur petite vigne,

pour l’usage personnel, et cultivaient notamment le fameux raisin-framboise à l’arôme fruité si particulier. Mais gare à la consommation excessive de son breuvage fermenté qui, tout comme l’absinthe, avait la réputation de « rendre fou »(5) ! On nous rapporte aussi que les enfants du quartier savaient nager dès 4 ans, sans aucun cours de natation ! Ils étaient nés près de l’eau et la mer était leur vie…Comme par le passé, la pêche variait selon les saisons et les techniques utilisées…

Le printemps était la saison de la sardine, de l’anchois que l’on pêchait au moyen de « sardineaux », filets à mailles serrées « plombés »(6) dans le bas et dont on munissait les bords de petits flotteurs en liège et de bouées de signalisation à la surface.Les filets assemblés constituaient une « barcade » que l’on calait(7) « entre deux eaux » dès le soir venu. Celle-ci s’étirait sur plusieurs kilomètres, allant parfois de La Napoule à Théoule. Ils arrivait que des dauphins suivent les bateaux, provoquant parfois quelques malencontreuses déchirures dans le maillage… Au petit matin, vers 3-4 heures, le pêcheur partait « tirer »(8) ses filets, puis les ramenait sur le quai(9) où ils étaient « démaillés » avec précaution pour ne pas abîmer le poisson… La glissière n’était alors qu’une écaille argentée !Venait ensuite la saison de la bogue que l’on pêchait avec des filets appelés communément « buguières ».


10- petit bateau, « galinette » est également le nom donné au rouget grondin et signifie « petite poule » ! 11- la queue de l’hippocampe se recroqueville et s’entortille en cas de beau temps !

Comme à l’époque des seigneurs de Villeneuve, on pratiquait toujours la pêche nocturne, dite au « lamparo », avec deux bateaux. Mais la lampe électrique avait remplacé la torche en bois résineux ! Juliette Caisson se rappelle

très bien que le gros bateau familial, équipé du lamparo, portait le nom évocateur de « laissez-moi passer » tandis que la petite galinette(10) qui le suivait et ramassait le poisson attiré dans les filets par la lumière, s’appelait « ma quique » ! Plus tard, Honoré Caisson, patron-pêcheur recommu pour ses remarquables connaissances marines naviguera à bord du « Pesca Gaïre »… On peut encore voir aujourd’hui son pointu tanguer doucement

dans le petit port du Riou, rêvant de partir vers de nouvelles aventures marines…L’été, on pêchait la cigale de mer, la langouste, l’oursin…mais aussi l’hippocampe. Ce dernier était séché puis conservé pour servir de porte-bonheur ou de baromètre(11) !

Quant aux poissons de roche, ingrédients indispensables à la bouillabaisse, ils étaient pêchés à l’ « issaugue », filet à larges mailles jeté directement dans la mer depuis la plage et retiré par une dizaine de pêcheurs… Pour la petite histoire, on raconte que la fameuse bouillabaisse de la mère Terrats était toujours réalisée avec un peu d’eau de mer, pour le goût, et dégustée dans des bols en liège !

Les poissons fraîchement pêchés étaient vendus directement aux villageois. Les pêcheurs parcouraient les rues de La Napoule en poussant leur charreton. Certains allaient même jusqu’à Mandelieu vendre le produit de leur pêche en vélo !Lorsque les filets étaient endommagés, il était nécessaire de les raccommoder, c’est-à-dire de les remailler. On faisait appel aux « remandeuses » qui réparaient les filets à l’aide de fils et d’aiguilles spéciales, appelées « navettes », dont la taille différait selon l’épaisseur du filet et la grandeur des mailles.Deux fois par an, au printemps et à l’automne, on devait consolider les filets en les plongeant


dans un bain spécial. Pour illustrer cette phase du travail des pêcheurs, Juliette, l’épouse d’Honoré Caisson, nous donne quelques explications et nous propose de répondre à cette devinette intitulée : « Et moi, ne m’oubliez pas… ».

« Située Square Clews, sur la plage, je fais partie du patrimoine du château seigneurial de La Napoule restauré par Henry Clews. Ma construction en pierres, ornée d’un blason à l’image d’un poisson, date de 1930…

Qui suis-je ?… Oui, vous avez trouvé, je suis la « teinche » (prononcer « tènché » = teinturerie en patois), endroit spécifique où l’on remettait à neuf les filets des pêcheurs !

Description et petite histoire :C’est une pièce unique, sans lumière, juste un fenestron et une porte. A l’intérieur se trouve un énorme récipient, la cuve. En dessous,une dalle supporte quelques morceaux de bois. A côté, un grand bassin… Le bateau et les filets sont les outils principaux des pêcheurs. La matière dans laquelle ces derniers étaient faits, du fil de coton, se détériorait rapidement au contact du sel marin.

Vu la grandeur des pièces de filet dépliées, il était nécessaire de chercher un endroit réservé et spécifique à leur entretien… Située tout près du boulevard longeant la mer, la teinche convenait parfaitement à cet usage ! C’est là que les marins-pêcheurs renforçaient et consolidaient leurs filets en les trempant dans un bain avec une poudre spéciale adaptée à leur besoin et qui leur donnait cette couleur bleue caractéristique.Voilà comment ils procédaient : 1 - allumer le feu sous la grande cuve remplie d’eau 2 - faire bouillir l’eau 3 - ajouter la poudre 4 - jeter toute la « barcade » (mélange de tous les filets) 5 - mélanger 6 - laisser bouillir 7- après quelques heures : déposer la barcade dans le grand bassin vide situé à côté 8- faire couler de l’eau froide dans le bassin. Baigner et rincer les filets 9- sortir les filets du bassin et de la teinche, puis les poser sur un charreton (petite charrette à bras). 10- les faire égoutter quelques instants, 11- les faire sécher, d’un seul côté, en les dépliant de tout leur long sur le sol du boulevard (actuelle avenue Henry Clews), à côté de la teinche. 12- une fois secs, les ramasser le soir-même.

Avec le temps, les filets en coton ont été remplacés par des filets en nylon, plus solides au contact de l’eau salée. Il n’y eut plus besoin de les entretenir pour les renforcer et la teinturerie perdit son utilité… ! Tous les pêcheurs ont disparu et la teinche est aujourd’hui bien triste de se re-trouver inutile et sans activité… »


Madame Juliette Caisson conclut son récit par cette phrase émouvante : « De ma mémoire napouloise, je pense souvent à cet endroit merveilleux non seulement pour la beauté de son cadre mais pour tous les avantages qu’il a pu procurer dans les démarches de notre travail si fastidieux, si pénible et surtout pour l’avoir vécu avec mon mari, le dernier des pêcheurs de La Napoule qui s’est éteint le 15 janvier 1987(12) ».

La teinturerie avait été construite par Henry Clews, dans le même matériau que son château, et offerte aux pêcheurs pour les aider dans l’accomplissement de leurs lourdes tâches. En leur remettant la clef du petit édifice, le châtelain avait cependant spécifié qu’il devrait revenir à la ville le jour où il ne servirait plus aux pêcheurs. Après le décès du regretté Honoré Caisson, en 1987, son fils Pierre tint la promesse et apporta la clef à la mairie de Mandelieu-La Napoule(13)…

La vie des marins pêcheurs était donc très rude. Toute la semaine, ils affrontaient la mer en solitaire pour ramener de quoi faire vivre leur famille et remplir les étals… Est-ce pour cela que, le week-end venu, ils aimaient se détendre et faire la fête, conjuguant gaiement un art de vie si cher à notre région ?

Car, dans la fratrie joviale et solidaire que formaient à l’époque les napoulois, les pêcheurs étaient peut-être les plus facétieux ! Nombre d’entre eux faisaient, en effet, partie du « Rascasse Club » fondé à Théoule en 1949 par Louis Dolla, Octave Briqueteur et le Dr André Pradayrol.Dans l’organisation des activités, le club pouvait compter sur le soutien infaillible des pêcheurs et des commerçants locaux parmi

lesquels on citera André, Désiré et Roland Repetto, Guy et César Guerrieri, Guge Garaffio, Aldo Cavalli, René Matringe, Gino Mansanti, François Costamagna, Enio Galvani, Charles Steva, Marcel Terrats ou encore Paul Chevalier, le frère de Maurice, et l’acteur Raymond Pellegrin...

12- Depuis 1987, d’autres pêcheurs napoulois sont inscrits à la Prud’homie de Cannes. Aujourd’hui, le pêcheur Nicolas Berenger a son port d’attache à la Napoule et Jean-Pascal Girerd au port de la Rague...13- Devenu communal, le bâtiment est aujourd’hui utilisé pour ranger du matériel d’entretien des plages.


Sous le haut patronage de Saint-Pierre et de l’abbé Raynaud, curé de La Napoule, ces joyeux drilles organisaient des sorties

en mer, des concours de pêche, de football ou de pétanque et des joutes nautiques inoubliables. Ces

récréations se clôturaient bien souvent à la guinguette de Robinson, en bord de Siagne, avec un apéritif généreusement offert par les établissements Ricard ! Les « rascassiens » obtinrent le deuxième prix lors de leur participation à la fête du mimosa en février 1953. Le club avait, pour l’occasion, réalisé un char représentant une rascasse géante mesurant 12 mètres de long et 4 mètres de haut !

________________________Non loin du quartier pittoresque des pêcheurs et passant sous la voie de chemin de fer, une rue porte aujourd’hui le nom du chantier naval qui y fut quelques temps en activité. Elle nous conduit au cœur de La Napoule, à la place de la Fontaine. C’est un endroit animé où les villageois se croisent ou se retrouvent, échangent les nouvelles, se désaltèrent et font leurs emplettes…

On y célébrait toutes les cérémonies et toutes les fêtes. C’est là que fut édifié le monument aux morts de La Napoule après la première guerre mondiale. Il sera plus tard transféré contre le mur de l’église Notre-Dame de l’Assomption…


La place de la Fontaine était entourée d’une foule de commerces. Il y avait l’épicerie de Pierrette et Félix Bottero ; la cordonnerie d’Alfredo Guarnieri, dit « Fredo », et la maison de couture et de souvenirs de Jeanne, son épouse ; la blanchisserie Volo ; l’épicerie du « Bon coin » des Pazzagli ; la boucherie Blanc ; l’entreprise de plomberie-zinguerie de Charles puis André Pierrugues et, à l’étage, le restaurant et la

patisserie de Robert Pierrugues (actuel restaurant la « Pomme d’amour »)(14) ; le bar PMU et l’Hôtel de « La Corniche d’Or » de Madeleine et Michel Pasero … Et puis, après la seconde guerre mondiale et la vente du domaine d’Agecroft aux « Houillères du Nord et du Pas-de-Calais », le cœur de La Napoule changea de visage avec l’arrivée des « gueules noires »…

C’est avec un certain étonnement, mêlé de fascination, que les napoulois découvrirent cette foule bigarrée que formaient les familles de mineurs venues passer quelques jours de repos salutaire, bien mérité, sous le soleil de notre midi ! L’arrivée du « train des mineurs » dans la petite gare de La Napoule, tous les 15 jours durant la belle saison, était une véritable attraction…(15)

On vit bientôt fleurir sur la place de La Fontaine une multitude d’enseignes évoquant le « pays des terrils ». Ainsi « Chez Pepino », la cave des mineurs; le « Petit Quinquin » de Mme Barbier ; « A l’ristourne », racheté ensuite par M.Ribero ; ou encore « Au petit lampiste » ; « Aux gars du Nord » et « Chez Simone »… ainsi que de nombreuses boutiques proposant de la poterie de Vallauris…

14- L’édifice était tenu par un belge et s’appelait « la Taverne de Bruxelles » dans les années 1890-1900. Il y avait un jardin à la place de la terrasse actuelle.15- Le château Agecroft a permis d’organiser « pour les mineurs des vacances de seigneurs ». Ils seront près de 500.000 personnes (les mineurs et leurs familles) à venir passer quelques semaines de repos à La Napoule, entre 1947 et 1994, date de cession du centre par les Charbonnages de France au comité d’entreprise d’EDF-GDF.16- Bar-tabac qui sera transferé dans la maison Giraudy, rue du 23 Août, où il se trouve toujours


Près de cette place et face à la petite gare, il y avait la maison Portal, « Villa des Glycines » (actuelle mairie-annexe), où Denis Giordano tenait un bar-tabac (16).Non loin, les époux Joints exploitaient une agence immobilière ainsi qu’un salon de coiffure où les hommes venaient se faire raser. C’était un endroit vivant où l’on aimait causer… On ne peut raconter La Napoule sans parler de sa petite école qui porte aujourd’hui le nom chantant de « Fanfarigoule ». Les élèves s’y rendaient à pied, faisant la navette « maison-école » 4 fois par jour car il n’y avait pas de cantine !

On se rappelle, avec émotion, de Mme Murris, nommée institutrice de l’école de La Napoule par M. Gandolphe en 1911. Elle avait recueilli, en décembre 1914, la somme de 14 frs auprès de ses élèves pour le Noël des soldats sur le front… Quelques années plus tard,

il y eut le couple de M. et Mme Fidelia et, en 1937, le couple de M. et Mme Julien… Les enfants étaient alors répartis en 2 classes, 3 années étant tenues par l’instituteur et 3 autres par l’institutrice !


On citera encore l’improbable forcerie de mimosa de M. Prigent, au quartier du Riou, dans la villa « Ker Mireille » rue des Hortensias ! Les mimosas étaient cultivés à Tanneron mais « forcés » à La Napoule avant d’être expédiés par cagettes dans le fameux « train des fleurs »…Nous n’oublions pas non plus les aimables docteurs Buso, puis Avi, qui savaient encore prendre le temps de visiter leurs patients à bicyclette, acceptant même de monter jusqu’aux Adrets !Et, si l’on ne peut nommer ici tous les habitants de La Napoule, je citerai cependant quelques artisans comme le menuisier Maurice Bertinetti, dit « Bingo », les maçons Villani, Giraudi ou Steva ; le tailleur de pierres Fredo Guarnieri qui avait fait l’école florentine, ainsi que ses confrères Louis Balderiotti et le père Barsanti(17) ; la famille des artistes Evangelisti…

Mais si La Napoule bénéficie de l’estime générale, tant des visiteurs que des autochtones, elle le doit en grande partie aux illustres hôteliers et restaurateurs qui ont fait sa réputation. C’est grâce à leur mérite et à la qualité de leurs établissements que notre petit village allait trouver un nouvel élan, s’orientant vers un tourisme et une gastronomie dont l’excellence

attira bientôt tous les grands de ce monde…

Originaires du Luc, dans le Var, Honoré et Jeanne Terrats s’installaient à La Napoule en 1925 et ouvraient un restaurant en face du château. La cuisine de « la mère Terrats », typiquement provençale, serait vite prisée des connaisseurs et bientôt reconnue hors de nos frontières. Des rois, des princes et nombre d’artistes(18) firent escale à sa table, appréciée tant pour la saveur de ses plats de poissons que pour la chaleur conviviale de son accueil. Le célèbre établissement fut ensuite repris par son fils, le sympathique Marcel Terrats. Devenu conseiller municipal puis adjoint aux sports, de 1955 à 1961, il œuvrera sans relâche pour le sport à Mandelieu-La Napoule…

17- Ces 3 modestes tailleurs de pierre ont grandement participé à la réalisation de toutes les sculptures créées ou inspirées par Henry Clews dans le château et ses jardins…18- Parmi ceux-ci, on peut citer le roi et la reine du Danemark et de Belgique, le prince de Monaco, le président Trumann, l’empereur du Vietnam Bao Daï, Brigitte Bardot, Jean Gabin, Tino Rossi, Ingrid Bergman, Kirk Douglas, Jeanne Moreau, Grâce Kelly, Mireille Mathieu, Edith Piaf et Marcel Cerdan…


La même année 1925, Jean-Honoré Carle et son épouse créaient l’Hôtel « Beau Rivage », le restaurant « La Réserve » agrémenté de son célèbre vivier et le restaurant « l’Estoril » tenu par le sympathique Marcel. Leurs fils, Jean et Paul Carle, devaient prendre la relève…Non loin de là, Monsieur Chabert construisait l’Hôtel de l’« Ermitage du Riou »; Mme Fauret ouvrait l’hôtel « Rocamare » ; Pierre Luck, l’hôtel « le Provençal » et le restaurant « l’Armorial » ; M. Fournier, la « Belle Auberge » ; M. Rolland, rachetait l’hôtel-restaurant « La Calanque » à M. Nirino et Louis Outhier créait le restaurant de l’« Oasis » (aujourd’hui magnifié par les frères Raymbault)…Sur la place Saint-Fainéant, la brasserie de René Matringe qui sera par la suite tenue par Pepino puis par le séduisant Roméo Bareste. Sur la plage, le « Raguette-Beach ». Cet établissement très réputé de Charles Pierrugues et « Mammie » Suzanne, devenait bientôt le Q.G. des jeunes de La Napoule. Combien de mémorables parties de baby-foot ont été disputées dans ce bar ! L’été, Monsieur « Bruno » faisait cinéma de plein-air, une fois par semaine, sur la plage…Les anciens communs de l’Hôtel des Bains avaient été rachetés par André Pierrugues et transformés en entrepôts et garages. Ils seront repris plus tard par ses neveux, Danièle et André Prince, pour devenir la brasserie le « Neapolis » et la boutique de prêt-à-porter « Féerie » dans les années 70…


En découvrant tous ces différents visages de La Napoule, on décèle un monde solidaire et coloré, composé de marins, de pêcheurs, d’artisans, de commerçants, d’aubergistes … qui, tout comme au temps de leurs lointains ancêtres ligures ou à l’époque des seigneurs de Villeneuve, travaillent durement, s’entraident mais savent aussi plaisanter au quotidien, chanter et s’amuser lors de fêtes mémorables…

Et parmi toutes ces fêtes, la « Saint Fainéant » est sans nul doute la plus attendue, la plus originale et la plus remarquable de l’année !Elle remonte aux temps de la brève exploitation d’une verrerie dans les ruines du château(19). La semaine de pentecôte était alors consacrée au nettoyage et à la réparation des fours.

Les artisans verriers occupaient ces jours de « chômage forcé » à la promenade, aux farandoles… Ils faisaient ripaille et s’amusaient, provoquant la moquerie des pêcheurs en plein labeur. L’un d’eux s’écria un soir : « nautre leï pescaries travaillon touti lei jour, et per vous, té, es toute la semano la San Feignants »(20) ! La plaisanterie fit rapidement le tour du village qui consacra joyeusement « Saint Fainéant » patron des napoulencs !Tous les habitants reprirent cet hymne à la sainte Paresse, perpétuant la tradition bien après le départ des verriers… Chaque année, on verra accourir vers la Napoule une foule bigarrée venue des villages voisins participer aux réjouissances qui ponctuaient la fête de notre insolite Saint Patron. Après les sombres moments de la première guerre mondiale,

la fête traditionnelle était modernisée, sous la houlette bienveillante du maire Laurent Gandolphe et de son adjoint Charles Pierrugues. Les festivités devaient désormais se dérouler à Pâques. Au programme : apéritif d’honneur ; banquets; grands bals, orchestrés sous un chapiteau dressé sur la place de la Fontaine; concours de boules…, sans oublier l’incinération du pin purificateur le samedi soir et la grand-messe du dimanche célébrée dans la cour d’honneur du château, en présence des illustres châtelains, Marie et Henry Clews…

19- La verrerie de Louis Barthélemy sera en activité dans le château de 1837 à 1857, date à laquelle le verrier déménage pour s’installer à La Bocca.20- Traduction : « nous autres, les pêcheurs, nous travaillons tous les jours, et pour vous, té, c’est toute la semaine la Saint fei-gnants ». L’anecdote est rapportée par Mme Danièle Prince.


Le clou des festivités était cependant l’élection du plus digne des représentants de la Paresse. Gégène, sacré « Roi Fainéant » plusieurs années consécutives, fut sans conteste le plus mémorable d’entre eux. Il affirmait, en effet, comptabiliser moins de 5 heures de travail en 60 ans d’existence ! (21)

_____________________________

Après le traumatisme causé par la guerre 14-18, le sport était devenu un dérivatif incontournable. Dès 1925, Félix Bertin fondait, avec un groupe d’amis, l’ « Union Sportive de Mandelieu ». Dans le même temps, sous l’impulsion des frères Terrats, Carle et Frontero, naissait à La Napoule l’« Association Sportive Napouloise ». L’activité sportive des 2 clubs se résumait cependant à la seule pratique du football. Aucun stade n’existait à l’époque et les parties se disputaient sur un petit terrain, en bordure du Riou de l’Argentière. Pas de vestiaire, pas de douche…, si bien que les joueurs devaient se « décrotter » directement dans la rivière après les rencontres sportives !

En 1941, les 2 associations fusionnaient pour former l’« U.S.M.N. »(22) qu’allait présider Marcel Terrats. C’est non sans fierté que le nouveau-né fut baptisé, avec pour marraine Marie Clews, la châtelaine de La Napoule, et pour parrains les Princes de Bourbon-Parme et d’Orléans-Bragance ! Cette union eut des effets bénéfiques pour le renouveau du sport dans la ville. Bientôt s’ouvraient de nouvelles sections appelées à devenir très performantes, comme l’athlétisme ou le cyclisme, et un véritable stade municipal était créé sur l’ancien jeu de polo… Mais, pour raconter La Napoule, on ne peut faire fi du jeu de pétanque et de ses légendaires parties de boules, souvent

21- Aujourd’hui, la fête patronale a de nouveau migré sur le calendrier et déroule désormais ses facéties au mois de juillet…22 –USMN = Union Sportive de Mandelieu-La Napoule


assaisonnées de rires et de galéjades épicées, parfois pimentées d’engueulades tonitruantes… mais toujours teintées de bonne humeur ! J’aurai ici une pensée particulière pour Réré Caisson, ce champion fantasque mais exceptionnel qui porta haut les couleurs napouloises, gagnant de nombreux tournois tant en France qu’à l’étranger. S’il connût les honneurs et les distinctions il sût toujours garder modestie et discrétion... Cet amoureux du jeu de boules était devenu l’ami d’illustres « pétanqueurs » avec qui il eut l’occasion de partager sa passion. Parmi eux, on citera Henri Salvador, le prince Bertil de Suède, Lino Ventura, Sacha Distel, Eddie Barclay ou encore le clown Zavatta dont les acrobaties burlesques dans les rues de La Napoule savaient amuser petits et grands…

Enfin, comment clôturer ce chapitre sans parler des golfeurs, ces passionnés de la petite balle blanche qui, sur les traces du Grand-Duc Michel de Russie et instruits par les éminents professeurs Alexandre et Alexander Gaud, continuent d’arpenter le parcours atypique du Golf-club de La Napoule ? Car le « Old Course » offre toujours la particularité, qui fait sans doute tout son charme, d’être coupé en deux par la Siagne. Après avoir « fait » ses 10 trous, le golfeur est obligé d’emprunter le bac pour aller relancer la balle sur l’autre rive du fleuve et terminer son parcours !Situé au pied du pont du chemin de fer, le bac aurait bien des anecdotes à nous rapporter s’il pouvait parler ! Il nous conterait, entre autres, l’arrivée de milliers de touristes sur les berges de la Siagne. Cela se passait dans les glorieuses années d’après-guerre. De juin à septembre, le golf était transformé en terrains de camping. Les beaux pins parasols offraient une ombre précieuse aux campeurs, tandis que les rives du

fleuve, aménagées en plages, accueillaient les baigneurs… Tout le secteur de Robinson devenait alors une fourmilière, une ville dans la ville ! Descendus sur place du train, les vacanciers n’avaient nul besoin de sortir du quartier pour s’alimenter et se distraire. On trouvait de tout à Robinson : des restaurants ; des débits de boissons et de tabac ; des glaciers ; des baraques à frites où, chaque jour étaient épluchés 500kgs de pommes de terre ; des échoppes à pains débitant quotidiennement des tonnes de sandwichs… Les campeurs ne manquaient pas non plus d’animations : élection de miss camping, bals populaires,


cinéma de plein air, bars et dancing, boutiques de jeux et accessoires de plage variés… Bref, l’ambiance était très conviviale et joyeusement festive. Le coin attirait également la population locale cherchant l’amusement à Robinson comme on allait se distraire à la foire ou à la kermesse du village…Une nouvelle ère était née pour notre petit village de pêcheurs qui, peu à peu, prenait des allures de jardin d’Eden ou d’Eldorado rêvé pour un grand nombre de touristes en quête de soleil et de paillettes…

En 1969, la ville inaugurait son nouveau port de plaisance. Celui-ci allait définitivement émanciper La Napoule et l’orienter vers une économie d’avenir. Progressivement, le ballet gracieux des voiliers remplacait les allées et venues discrètes des pointus d’antan… Mais le village a gardé sa vocation marine. La Napoule, c’est une ondine, belle et mystérieuse ! Impassible, elle se joue des saisons et des colères humaines… Et, si vous demandez aux napoulois comment ils ressentent leur quartier aujourd’hui, ils vous diront tous, qu’ils soient de souche ou d’adoption, que leur « village est doué pour donner du bonheur ».

Leur souhait profond est de maintenir cette qualité de vie et cet esprit convivial qui font l’identité de ce beau coin de ciel bleu où traînent, parfois, l’ombre diaphane d’un seigneur ou la douce complainte d’un marin…« La mer, c’est ma liberté » disait Honoré Caisson en contemplant l’horizon…

Nous remercions toutes les personnes qui ont nous livré leurs précieux témoignages oraux, photographiques et filmographiques. C’est grâce à eux que nous avons pu réaliser cette brochure : Mr Gaston Bertin ; Mme Juliette Caisson ; Mr Pierre Carle ; Mr Jean-Michel Dani ; Mme Noëlle Delattre ; Mr Patrick Delpierre ; Mr Gilles Durand ; Mr André Faure ; Mme Laure Fauret ; Mr Jacquy Giordanengo ; Mme Annie Grosso ; Mr Guy Guerrieri ; Mr Yves Duterme ; Mme Nadine Labalette ; Mr Georges Lorenzelli ; Mr Daniel Mansanti ; Mme Danielle Prince ; Mme Nanette Stylianou ; Mme Geneviève Tessier ; Mr Edmond Villani.

Service des Archives MunicipalesRond-point de l’Espace

06210 Mandelieu-La Napoule Tél. : 04 92 97 37 11

www.mandelieu.fr

des seigneurs et des pêcheurs - mandelieu-la-napoule · 2019-12-10 · d ’autres ont cru...

Documents